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Full text of "Histoire littéraire de la France"

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3  9007    0318    7947     1 


HISTOIRE 

LITTÉRAIRE 

DE  LA  FRANCE 


HISTOIRE 


LITTKRAIRE 

DE  LA  FRANCE 

OUVRAGE 

COMMENCÉ    PAR   DES   RELIGIEUX   BÉNÉDICTINS 

DE  LA  CONGRÉGATION  DE  SAI>T-MALR 

ET    CONTIMÉ 

PAR    DES    MEMBRES   DE    L'INSTITLT 

(académie  des  insciuptions  et  belles-letthes) 


TOME  XXXV 

SUITE  DU  QUATORZIÈME  SIÈCLE 


PARIS   1921 

KRAUS   REPRINT 

Nendeln/Liechtenstein 

1971 


?Q 

lOl 


Réimpression  avec  L'  accord  de 
L    Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres,  Paris 

KRAUS   REPRINT 

A  Division  of 

KRAUS-THOMSON  ORGANIZATION  LIMITED 

Nendcln/Liechtenstein 

1971 

l'riiiled  in  Gcrmany 
I  essingdruckerei  Wiesbaden 


AVERTISSEMENT. 


Il  n'est  arrivé  que  deux  fois  depuis  cent  ans  que  la  Commission 
chargée  de  la  continuation  de  YHistoire  littéraire  de  la  France  ait 
été  renouvelée  presque  tout  entière  d'un  volume  à  l'autre.  Entre 
le  tome  XXXV,  qui  paraît  en  i  92  i ,  et  le  tome  XXXIV,  comme 
entre  le  tome  XIX  et  le  tome  XX,  paru  en  i84i,  trois  membres 
delà  Commission,  sur  quatre,  ont  disparu. 

Nous  n'avons  l'intention  d'apporter  aucun  changement  notable 
aux  partis  adoptés  par  nos  devanciers  immédiats,  sous  réserve  des 
observations  suivantes. 

Dix  volumes  ont  déjà  été  consacrés  au  xiv*"  siècle,  avant 
celui-ci,  et  l'Avertissement  du  dernier  de  ces  volumes  indique 
que  tous  les  auteurs  qui  y  sont  traités,  sauf  un,  ont  cessé  de 
vivre  de  i32i  à  i323,  alors  que  l'on  s'était  félicité  dans  le 
volume  j^récédent  d'avoir  «atteint  l'année  i328».  Chacun  sait 
comment  s'explique  cette  marche  si  lente  et,  en  apparence, 
cahotée.  Une  partie  très  considérable  de  nos  dix  premiers  vo- 
lumes du  xiv^  siècle  est  occupée  par  des  <^tudes  sur  des  écri- 
vains du  xiii^  qui  sont  morts  dans  les  premières  années  du 
siècle  suivant  ;  on  trouvera  encore  ici  trois  articles  de  ce  genre 
(Marco  Polo,  Pierre  Gencien,  Coutumier  d'Artois),  qui  ont  paru 
indispensables.  D'un  autre  côté,  des  «Notices  collectives»,  desli- 


MIST.  LITTBR.  XXXV. 


Y,  \\  ERTISSEMENT. 

nées  à  présenter  le  lableau  de  l'ensemble  des  écrits  d'un  même 
type,  pour  la  plupart  anonymes,  pendant  une  période  très  étendue 
de  riiistoire  de  la  littérature  médiévale,  voire  depuis  les  origines, 
ont  fait  leur  apparition  avec  éclat  à  partir  de  notre  tome  XXXIII; 
nous  nous  expliquons  plus  loin  an  sujet  de  celte  innovation, 
à  laquelle  les  noms  de  Léopold  Delisle  et  de  Paul  Meyer  reste- 
ront attachés''^  Entiri  il  est  impossible,  et  d'ailleurs  inutile, 
on  l'a  souvent  dit,  dans  une  publication  comme  celle-ci,  de 
s'astreindre  à  suivre,  même  pour  les  personnages  dont  la  mort 
est  datée  avec  précision,  un  ordre  cbronologique  rigoureux;  les 
retours  en  arrière,  d'un  volume  à  l'autre,  sont  inévitables  et  ils 
sont  sans  inconvénients  pourvu  que  l'on  use  de  cette  licence  avec 
la  discrétion  convenable. 

FiU  somme,  retours  sur  la  fin  du  xiif  siècle  et  notices  col- 
lectives mis  à  part,  le  tome  y\XXIV  de  Y  Histoire  littéraire  traite 
des  écrivains  qui  ont  disparu  de  i'6'20  à  i323  environ;  la 
plupart  de  ceux  dont  il  est  question  dans  le  présent  volume 
sont  morts  entre  i3^îo  et  i34o.  Il  y  a  donc  progrès  certain  sur 
l'écbelle  du  temps.  Nous  sera-l-il  donné  d'acbever  à  peu  près, 
dans  le  futur  tome  XXXVI,  fliistoire  du  second  quart  du  siècle, 
jusqu'à  i35o?  Nous  fespérons,  sans  prendre  d'autre  engage- 
ment que  celui  de  ne  dépasser  sous  aucun  prétexte,  au  procbain 
volume,  la  date  de  l'avènement  du  roi  Jean.  Encore  restera-t-il , 
pour  conduire  véritablement  fhisloire  littéraire  de  la  France 
jusqu'au  seuil  de  l'âge  de  Charles  \ ,  à  traiter  au  tome  XXXVII 
des  écrivains,  en  assez  grand  nombre,  dont  f activité  s'est  mani- 
festée surtout  avant  i35o,  mais  qui  sont  morts  entre  i35o 
et  i36o. 

l'I   Voir  plus  loin,  p.  xi\. 


AVERTISSEMENT.  vu 

iNoiis  nous  rendons  compte  que  nous  n'arriverons,  si  nous 
y  arrivons,  à  épuiser  complètement,  de  la  sorte,  en  trois  volumes, 
la  matière  que  nos  devanciers  nous  ont  laissée  à  élaborer  jusqu  au 
milieu  du  xiv*  siècle,  qu'à  des  conditions  dont  celle  qui  vient 
d'être  énoncée  n'est  que  la  première.  Il  nous  laudra  sans  doute, 
de  plus,  ajourner  un  certain  nombre  de  «  Notices  collectives  n  qui 
ligurent  à  notre  programme;  renoncer  aux  articles  très  amples, 
dans  le  genre  de  celui  dont  Jacques  Duèse  a  été  l'objet  au 
tome  XXXIV,  où  des  détails  sont  fournis  sur  une  foule  d'écrivains 
en  même  temps  que  sur  le  persoimage  central,  sans  dispenser  de 
notices  particulières  qui  restent  à  faire  par  la  suite  sur  ces  écrivains; 
renouer  enfin,  et  surtout,  une  tradition  abandonnée  par  la  Com- 
mission depuis  le  tome  XXXII,  c'est-à-dire  depuis  vingt  ans,  par 
la  rédaction  de»  Notices  succinctes  »  sur  les  auteurs  secondaires  ou 
plutôt  sur  ceux  que  la  rareté  des  documents  qui  les  concernent 
laisse  dans  une  pénombre  irrémédiable.  Les  deux  derniers  vo- 
lumes de  XHhloire  littéraire  ne  renferment,  en  tout,  que  quatorze 
notices  individuelles.  Le  présent  n'en  contiendrait  (jue  vingt-trois 
si  nous  ne  l'avions  pas  clos,  à  l'exemple  de  nos  arrière-prédéces- 
seurs, par  des  «Notices  succinctes»,  en  nombre  égal.  \  l'allure 
ralentie  des  tomes  XXXIIÏ  et  XXXIV,  la  nomenclature  des  écri- 
vains de  la  première  moitié  du  xw**  siècle  n'aurait  pas  été  épuisée 
dans  la  première  moitié  du  xx",  ou  bien  il  aurait  fallu  passer 
entièrement  sous  silence  tous  ceux  qui  ne  prêtent  pas  à  des 
développements  étendus.  Or,  nous  ne  nous  crovons  pas  le  droit 
de  sacrifier,  au  profit  des  coryphées,  les  plus  modestes  partici- 
pants au  chœur  total. 

Les  auteurs  de  ce  trente-cinquième  volume  de  f/ÏM^otW  littéraire 
de  la  France,  membres  de  l'Institut   (Académie  des  Inscriptions 


vu,  AVERTISSEMENT. 

et  BeUes-Leities),  sont  désigoés  à  la  fin  de  chaque  article  par 

les  initiales  de  leurs  noms  : 

P.  V.  Pâli.  Viollet. 

A.  T.  Antoine  Thomas. 

H.  0.  Henri  Omont. 

P.  F.  Paul  Fournier. 

C.  L.  Charles-Victor  Langlois,  éditeur. 


NOTICE 


PAUL  MOLLET, 

DN    DES  AUIEIBS  DES  TOMES   XXXIH-XX\IV  DE  VIIISTOIRE  LITTÉRAIRE  DE  LA  FRAIVCE 
(mort  I.E    99    NOVEMBRE    igiik 


Le  I  a  juin  i  896,  l'Académie  des  Inscriptions  cl  Belles-iielties  confia  à  Paul  Viollet , 
qui  lui  appartenait  depuis  neuf  années,  la  mission  de  remplacer  Barthélémy  Ilauréau 
à  la  commission  de  l'Hùtoire  littéraire '^^K  Cette  désignation  ne  pouvait  étonner  aucun 
de  ceux  <jui  avaient  apprécié  les  excellentes  qualités  de  notre  confrère,  sa  curiosité 
toujours  en  éveil,  sa  très  vaste  érudition  alimentée  par  les  lectures  les  plus  variées,  sa 
criti({ue  aiguisée,  originale  comme  l'esprit  de  l'auteur  et  impartiale  comme  sa  con- 
science. Au  cours  de  sa  longue  carrière  d'érudit,  il  avait  maintes  fois  rencontré  sur  sa 
route  des  monuments  de  notre  ancienne  littérature,  par  exemple  une  chronique 
latine  du  xii°  siècle  sortie  de  cette  abbaye  de  Saint-Denis  qui  fut  au  moyen  âge  un  des 
principaux  ateliers  où  s'élabora  notre  histoire  nationale,  ou  encore  les  œuvres  chré- 
tiennes des  membres  des  familles  royales  de  France,  dont  il  crut  devoir  publier  un 
recueil,  afin  de  faire  mieux  connaître  la  psychologie  de  personnages  qui  exercèrent 
une  influence  prépondérante  sur  les  destinées  de  la  nation ,  ou  enfin  les  enseignements 
donnés  par  saint  Louis  à  son  fils,  dont  il  appréciait  très  haut  l'importance  religieuse 
et  morale.  Mais,  avant  tout,  Viollet  s'était  consacré  à  l'histoire  du  droit  public  et 
privé. 

Pour  comprendre  le  rôle  qu'il  joua  dans  cette  province  des  sciences  historiques,  il 
faut  savoir  qu'en  s'adonnant  à  ces  études  Viollet  n'avait  été  mû  ni  par  un  intérêt 

'"'  Il  ne  nous  appartient  pas  de  donner  ici  lui  une  notice  très  complète  dans  la    séance 

une  biof^raphie  de  Paul  Viollet.  Son  successeur  du    i5    novembre    1918.  On  y   trouvera  des 

à  l'Académie  des  [nscriptions  et  Belles-Lcttrei ,  indications  bibliographiques  sur  les  œnvres  de 

M.  le  comte  H. -François  Delaborde,  a  lu  sur  Viollet. 


X  NOTICE  SIK  PALL  VIOLLET. 

personnel  ni  par  une  vaine  ruriositt'.  Le  trait  iloniinanl  de  son  àme  était  une  préoc- 
cupation constante  de  la  loi  morale  (jui  régit  la  conduite  des  hommes  et  leur  fait  un 
devoir  primordial  de  se  conformer  au\  préceptes  de  la  justice.  11  eût  aimé  voir  cet 
idéal  réalisé  dans  le  présent ,  et  se  plaignait  de  ne  pas  le  trouver  dans  le  passé  ;  d'où 
sa  haine  très  vive  contre  l'iniijuité,  où  qu'il  crût  la  surprendre,  et  sa  sévérité  à  l'égard 
de  ceux  qui  s'en  rendent  coupables;  sévérité  (|ui  croissait  en  proportion  du  rang 
qu'occupaient  les  coupables  dans  la  société. 

On  n'aura  pas  de  peine  à  comprendre  que  l'étude  du  droit  devait  l'intéresser  plus 
que  personne.  C'est  en  effet  le  droit  (jui  donne  une  solution  à  nombre  de  problèmes 
moraux  que  se  posent  toutes  les  sociétés.  Sollicité  à  la  fois  par  le  piésent  et  par  le 
passé,  VioUet  se  voua  particulièrement  à  l'éludi-,  trop  délaissée  au  temps  de  sa  jeu 
nesse,  de  la  législation  des  âges  qui  ont  précédé  le  nôtre.  C'est  à  cette  résolation  que 
nous  devons  diverses  œuvres  d'une  importance  capitale  au  premier  rang  desquelles  il 
faut  placer  celles  qui  ont  le  plus  contribué  à  établir  la  réputation  de  leur  auteur  :  son 
Histoire  du  droit  civil fian<^ais ,  son  Histoire  des  iiistilatwns  politiques  de  la  France  et  sa 
magistrale  édition  des  ÉtablissemenL^  dits  de  saint  Louis,  donnée  dans  la  Collection 
de  la  Société  de  l'histoire  de  France.  A  côté  des  gi-ands  ouvrages,  la  bibliographie 
de  Piiul  Viollet  contient  une  foule  d'écrits  dont  beaucoup  témoignent  de  sa  prédi- 
lection pour  l'étude  des  cas  de  conscience  dont  l'histoire  est  remplie,  par  exemple  : 
la  doctrine  de  la  légitimité  à  la  chute  de  la  dynastie  carolingienne,  le  problème  du 
droit  des  femmes  à  la  couronne,  le  conflit  des  droits  du  roi  et  de  la  nation,  ou  encore 
celui  des  droits  de  la  communauté  rurale  et  du  seigneur. 

Sous  l'influence  de  cette  tendance,  Viollet  ne  pouvait  manquer  d'être  attiré  parcefle 
des  législations  qui  donne  la  plus  grande  place  aiL\  droits  et  aux  obligations  de  la 
conscience  morale,  c'est-à-dire  par  le  droit  canonique.  De  bonne  heure  il  avait  porté 
son  attention  sur  la  législation  de  l'Eglise  catholique.  Pour  s'en  convaincre,  il  suffit 
de  jeter  les  yeux  sur  les  comptes  rendus  qu'il  consacra,  dans  la  Revue  critique  ou  dans 
la  Revue  historique,  entre  1870  et  1880,  aux  ouvrages  des  principaux  canonistes 
d'outre-Rhin ,  par  exemple  sur  l'important  article  qu'il  publia  sous  ce  litre  :  Examen  de 
l'Histoire  des  Conciles  de  M''  Hefele,  ou  encore  sur  les  écrits  où,  pour  mieux  se  rendre 
compte  des  origines  du  gallicanisme,  il  traita  de  la  Pragmatique  Sanction  longtemps 
attribuée  à  saint  Louis. 

Ainsi«ce  n'était  pas  seulement  l'histoire  des  institutions  civiles,  mais  encore  celle 
des  institutions  ecclésiastiques  qui  était  familière  à  Paul  Viollet.  L'étudiant  qui  le 
voyait  descendre  de  la  Montagne  Sainte-Geneviève,  la  figure  cachée  par  un  volume 
où,  pour  économiser  son  temps,  il  continuait  une  lecture  commencée  dans  son  cabi- 
net, aurait  pu  être  tenté  de  croire  qu'il  rencontrait  un  maître  de  la  vieille  Faculté  de 


NOTICE  SUR  PAIL  MOLLET.  xi 

Décrets,  égaré  dans  le  Paris  du  x\'  siècle.  Mais  s'il  s'approchait  de  lui  pour  solliciter 
un  renseignenncnt  ou  un  conseil,  et  s'il  pénétrait  à  sa  suile  dans  le  cabinet  où  VioUet 
conservait,  dans  des  casiers  admirablement  rangés,  l'innombrable  série  de  fiches  où 
il  avait  consigné  les  obsenations  les  plus  variées,  il  s'apercevait  bien  vite  que  ce 
maître,  versé  dans  la  science  du  passé,  n'était  pas  moins  soucieux  des  choses  mo- 
dernes, et  que  d'un  regard  attentif  il  suivait  l'évolution  des  faits  et  des  idées  aussi 
bien  au  xx°  siècle  qu'au  xiii%  avec  le  souci,  qui  ne  le  quittait  pas,  d'éclairer  le  passé 
par  le  présent,  comme  le  présent  par  le  passé. 

Juriste  et  canoniste,  Viollet  était  bien  préparé  à  l'étude  de  la  littérature  du  viv' siècle 
en  France.  Ce  siècle,  en  effet,  fut  par  excellence  le  siècle  des  jurisconsultes,  parce 
qu'il  vit  s'achever  une  évolution  qui  s'élaborait  depuis  longtemps.  Deux  cents  ans 
plus  tôt,  l'Occident  avait  retrouvé,  avec  les  Pandectes,  une  législation  rationnellement 
construite,  qui  eut  vite  fait  de  se  répandre  dans  les  écoles,  et  de  remplacer,  pour  les 
esprits  cultivés,  les  formules  traditionnelles  et  les  règles  empiriques,  d'ailleurs  assez 
peu  précises ,  constituant  le  droit  commun  des  nations  issues  de  l'Empire  carolingien. 
Au  contact  de  cette  législation,  le  droit  canonique,  qui  lui  avait  emprunté  ses  mé- 
thodes et  quelques-unes  de  ses  constructions,  devint  rapidement  un  droit  scientifique, 
dont  la  connaissance  exigeait  une  initiation.  Les  conséquences  pratiques  de  cette 
transformation  se  firent  bientôt  sentir  dans  l'Eglise.  Pour  appliquer  le  droit  nouveau, 
un  personnel  technique  se  forma,  qui  fournit  aux  prélats  leurs  conseillers  et  leurs 
agents  et  finit  par  s'élever  jusqu'au  sommet  de  la  hiérarchie,  à  telles  enseignes  que  le 
xiii'  siècle  et  le  xiv'  furent  lïige  des  Papes  jurisconsultes.  On  sait  la  grande  place  que 
tint  l'un  d'eux,  Jean  XXII,  dans  le  premier  tiers  du  xiv*  siècle,  et  comment,  sous  son 
règne,  l'Université  de  Paris,  où  se  conservaient  les  traditions  de  la  vieille  science  sa- 
crée, fut  amenée  à  concevoir  quelque  défiance  de  la  cour  d'Avignon,  où  la  prépondé- 
rance semblait  acquise  aux  canonistes.  Dans  le  monde  séculier  l'enseignement 
du  droit  de  Justinien  joint  à  l'exemple  du  gouvernement  ecclésiastique  ne  tarda  pas 
à  produire  un  mouvement  parallèle,  qui  porta  les  légistes  aux  plus  hautes  fonctions, 
judiciaires,  administratives  et  politiques.  La  littérature  du  xiv*  siècle  ne  pouvait 
manquer  de  refléter  cette  double  évolution  ;  large  est  la  place  qu'elle  fit  aux  œuvres 
inspirées  par  l'un  ou  l'autre  droit.  C'était  un  vaste  champ  qui  s'ouvrait  aux  recherches 
de  Paul  Viollet.  Les  quatre  notices,  toutes  importantes,  qu'il  a  écrites  pour  ï Histoire 
littéraire,  concernent  des  œuvres  et  des  personnages  relevant  du  domaine  de  fhistoire 
du  droit. 

Viollet  était  entré  dans  la  Commission  trop  lard  pour  prendre  mie  part  active  à 
la  rédaction  du  tome  XXXII.  La  première  des  notices  qui  lui  sont  dues  parut  dans 
le  tome  XXXIII  ;  elle  donna  la  mesure  de  ce  qu'il  était  permis  d'attendre  de  sa  colla- 


XII  NOTICE  SLR  PAIL  MOLLET. 

boration.  VioUet  y  avait  comblé  une  lacune  des  précédents  volumes,  en  écrivant 
l'histoire  littéraire  du  droit  normand  au  xiif  siècle. 

La  race  vigoureuse  qui  peuplait  la  Normandie,  rajeunie  au  x"  siècle  par  l'infusion 
d'un  sang  nouveau,  avait  su  adapter  à  ses  besoins  les  institutions  carolingiennes,  et, 
sans  subir  l'influence  romaine,  s'était  donné  un  droit  original  et  précis,  singulière- 
ment en  avance  sur  le  droit  encore  amorphe  de  beaucoup  de  provinces  de  France. 
Sans  suivre  les  destinées  de  ce  droit  dans  les  pays  lointains  où  les  Normands  éta- 
blirent leur  domination,  Viollet  se  borna  à  en  étudier  les  monuments  en  Normandie: 
d'abord'  les  deux  textes  capitaux  du  droit  normand  du  xin'  siècle,  le  Très  Ancien 
(joutumier  et  le  Grand  Coutamier;  puis  deux  consultations  du  même  temps  ;  enfin 
une  série  de  recueils  de  jurisprudence  normande  composés  à  diverses  époques  du 
XIII*  siècle.  Ainsi  Viollet  a,  pour  tout  ce  siècle,  fait  connaître  par  le  menu  les  sources 
du  droit  normand  en  même  temps  qu'il  analysait  celles  des  prescriptions  de  ce  droit 
<[u'il  estimait  caractéristiques.  Pour  que  ce  tableau,  tracé  de  main  de  maître,  fût  com- 
plet, il  a  manqué  à  Viollet  de  pouvoir  tirer  parti  du  volume  publié  en  igoS  par 
M.  Joseph  Tardif,  où  est  reproduit  le  texte  français  du  Très  Ancien  Coutamier,  accom- 
pagné d'une  introduction  critique  ;  au  moins  lui  a-t-il  été  permis  d'en  mentionner 
les  conclusions  dans  les  notes  additionnelles  placées,  suivant  l'usage,  à  la  fin  du 
volume.  Il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  sa  notice,  si  ample  et  si  consciencieusement 
fouillée,  constitue  de  la  législation  normande  au  xiir  siècle  un  exposé  qui  est  de 
grande  utilité  aux  historiens  du  droit. 

La  collaboration  de  Viollet  au  tome  XXXIV  est  représentée  par  les  notices  de 
deux  canonistes  :  Guillaume  de  Mandagout  et  Bérenger  Frédol,  tous  deux  originaires 
de  la  France  méridionale,  préparés  par  leurs  études  et  leurs  fonctions  premières  aux 
hautes  charges  de  l'Eglise,  plus  tard  évêques,  archevêques,  cardinaux  de  l'Eglise  ro- 
maine, et  tous  deux  classés  parmi  ceux  qui,  à  la  mort  de  Clément  \,  furent  consi- 
dérés comme  ayant  des  chances  d'être  élus  au  suprême  pontificat.  L'un  et  l'autre, 
mêlés  aux  plus  grandes  affaires  religieuses  et  politiques  de  la  période  qui  s'étend  de 
l'avènement  de  Philippe  le  Bel  aux  dernières  années  du  pontificat  de  Jean  XXII, 
négociateurs,  arbitres,  juges,  conseillers  des  puissants,  collaborant  à  la  rédaction  des 
nouveaux  codes  canonicjiies,  ont  manfué  leur  trace  dans  l'histoire  de  leur  temps,  et 
laissé  après  eux  des  écrits  estimés  qui  concernent  la  législation  ecclésiastique.  C'est 
encore  à  un  canoniste  que  \  ioUet  consacra  sa  dernière  notice ,  insérée  au  présent  vo- 
lume :  Guillaume  Durant  le  Jeune,  évêque  de  Mende,  neveu  du  Speciilator.  Le  nom 
de  ce  personnage  appartient  à  notre  histoire  à  raison  du  rôle  ((u'il  joua  dans  la  poli- 
tique française.  Plus  considérable  encore  fut  la  part  qu'il  prit  aux  affaires  de  l'EgUse, 
soit  comme  évêque  français,  soit  comme  agent  de  la  politique  pontificale  en  Italie, 


NOTJCE  SIR  l>\L!L  MOi.l.KT.  xii. 

soit  L'iifin  comme  auteur  d'un  ouvrage  où  il  traite  de  toutes  les  questions  intéressant 
le  gouvernement  ecclésiastique  :  le  Tractatiis  de  modo  celebrandi  Coiinlii  gencialis.Pai 
(|uel(jues-unes  des  idées  (ju'il  y  développe,  Durant  se  trouve  être  le  précurseur  de  la 
théorie  conciliaire,  qui  devait  séduire  tant  d'espiits  en  Krance,  quatre-vingts  ans 
plus  tard,  à  l'occasion  du  Grand  Schisme.  Un  tel  ouvrage  était  hien  fait  pour  attirer 
sur  son  auteur  l'attention  très  éveillée  de  Paul  VioHet. 

On  retrouve  dans  ces  diverses  notices  les  qualités  coutumières  de  notre  (onfrère, 
et,  toutd'ahord,  la  richesse  de  son  information.  l'Vapperà  toutes  les  portes,  explorer 
tous  les  dépôts,  consulter  tous  les  ouvrages  dont  il  lui  était  permis  d'esp.'^rer  des  ren- 
seignements, c'était  là  pour  lui  une  affaire  de  conscience  ;  il  s'en  acquittait  avec  le  soin 
méticuleux  qu'il  mettait  à  toutes  chos(;s.  On  le  vit,  lorsqu'il  préparait  la  notice  de 
Guillaume  Durant,  s'établir  à  deux  reprises  à  Mende  pour  y  recueillir  des  documents, 
(hàce  à  ses  recherches,  il  lui  fut  donné  de  découvrir  plus  d'un  manuscrit  incornm  de 
ses  devanciers,  de  rectifier  des  atlrihutions  erronées, de  conjbler  des  lacunes  de  biblio- 
graphie, de  résoudre  plusieurs  inigmes.  D'ailleurs  il  ne  bornait  pas  sa  lâche  à  faire 
une  histoire  purement  evterne  des  u'uvres  qu'il  ri'ncontrait  sur  sa  route.  Il  les  analysait 
par  le  menti,  comme  on  en  pourra  juger  par  l'analyse  de  l'écrit  de  (juilla.ime  Durant, 
ou  par  celle  du  tiaité  de  Guillaume  de  Mandagont  sur  les  élections  canoniques;  il 
appli(|uait  ses  facultés  de  critique  perspicace  à  en  dégager  les  idées  maîtresses. 

Comme  il  fallait  l'attendre  d'un  homme  toujours  préoccupé  des  problèmes  intéres- 
sant la  conscience,  Viollet  s  attachait  particulièrement  à  mettre  en  relief  la  physionomie 
morale  des  auteurs  dont  il  étudiait  les  ouvrages  :  c'est  là  le  trait  vraiment  caractéris- 
tique de  son  œuvie.  S'occupe-t-il  du  Grand  CouLumicr  d<-  Normandie,  dont  l'auteur  est 
fort  mal  connu,  il  saisit  au  \ol  les  informations  dont  il  peut  tirer  parti  pour  en  ébau- 
cher le  portrait.  Aux  préoccupations  que  décèlent  divers  passages  du  Coutumier, 
Viollet  reconnaît  un  clerc  ;  il  a,  dit  il,  la  charité  ([ui  convient  à  cet  état,  à  laquelle  il 
joint  une  linesse  à  la  fois  ecclésiastique  et  normande.  Au  fond  c'est  un  brave  homme 
et  un  bon  cœur;  mais  il  a  sa  manière  de  donner,  des  choses,  des  raisons  toujours 
ingénieuses,  souvent  arlilicielles,  qui  sont  moins  les  vraies  raisons  que  des  explication.s 
de  diplomate.  «  Il  a  brodé  une  tapisserie  élégante,  qui  cache  au  lecteur  superiiciel  et 
peut-être  lui  cache  à  lui-même  les  vraies  raisons.  .  Viollet  est  heureux  de  soulever  le 
voile  et  de  découvrir  l'homme  derrière  le  juriste.  Cette  étude  ne  sera  pas  inutile  ;  car 
Viollet  en  conclut  que  le  jurisconsulte  et  l'historien  ne  devront  interroger  l'auteur  du 
Grand  Coalumier  cp^i'avec  quelque  précaution. 

Notre  confrère  n'est  pas  moins  curieux  de  la  psychologie  des  trois  prélats  dont  il 
lui  est  échu  d'étudier  l'œuvre.  11  s'est  fait  un  idéal  très  élevé  du  rôle  qui  appartient  aux 
chefs  de  l'Église;  aussi  n'est-il  pas  indulgent  à  leurs  vices  ou  même  à  leurs  faiblesses. 


HIST.  LrrTER.   XWV. 


x.v  NOTICE  SLH  l>\l  I.   VIOLI.ET. 

li  tient  GuiHaumi;  de  Mandagout  et  Jiéiengei  |- ivdol  pour  des  personnages  de  mora- 
lité moyenne,  tn-s  soucieux  des  mtéièts  de  leur  «arrière;  Mandagout  lui  apparaît 
comme  un  homme  de  transaction  et  de  concdiation,  ([ui  a  j)eu  de  goût  pour  les  solu- 
tions logiques  et  les  opinions  extrêmes.  Il  est  prudent  et  n'aime  pas  à  se  compromettre; 
choqué  de  l'empressement  qu'il  mit  à  se  justilier  du  soupçon  d'avoir  émis  une  opinion 
désagréable  au  roi  de  Sicile,  Charles  11,  Viollet  n  hésite  pas  à  le  ranger  dans 
«  la  grande  famille  des  trembleurs  ".  Cardiniil-e\é(|ue  de  Paiestrina,  Mandagout  joint 
à  son  évêché  de  nombreux  bénélices,  en  dépit  de  la  iui(|ui  prohibe  la  pluralité;  cano- 
niste,  auteur  d'un  tiaité  des  élections,  il  s'est  à  trois  reprises  laissé  nommer  directement 
par  le  pape  à  de  grands  sièges  épiscopaux.  >aii>  prendre  le  moindre  souci  îles  droits 
des  chapitres.  Viollet  ne  peut  se  tenir  de  I  en  blànier  sévèrement.  Si  Mandagout  avait 
pu  répondre  à  ces  critiques,  il  eût  sans  doute  allégué,  d'une  part,  (jue  les  cardinaux 
étaient  exempts  des  prohibitions  concernant  la  pluralité  des  benélices,  d'autre  part, 
que  le  droit  de  nomination  directe,  ex«  rci'  par  l^  pape  t  n  m  itu  des  réserves,  n  était  pas 
sérieusement  contestable,  et  (jn'ainsi,  sur  les  deux  points,  il  as  ail  la  conscience  tran- 
(|uille.  11  eût  ajouté  qu'en  dépit  de  la  piudenee  diPiil  c)n  lui  faisait  un  grief,  il  était 
de  ceux  i|ui,  sous  le  pontificat  de  Clément  V.  avaii  ?it  défendu  la  mémoire  de  Boni- 
face  \  m  et  avaient  combattu  la  (andidatnre  du  roi  de  France  à  fKmpire.  Quanta 
Hérenger  Krédol ,  Viollet  en  lait  un  portrait  |)en  flatteur  :  «  Bien  né,  bien  apparenté, 
«  débonnaire  et  ambitieux,  doux  et  avise,  plu>  cauteleux  qu'honnête,  mais  compa- 
«  tissant  et  humain,  sans  giande  originalité  d'esprit,  il  avait  tous  les  dons,  toutes  les 
«qualités,  tous  les  défauts  et  les  lacunes  cpii  facilitent  le  chemin  des  honneurs.» 
Viollet  lui  reconnaît  cependant  le  mérite  d'avoir,  dan>  lafTaire  de  Bernai d  Délicieux, 
combattu  les  excès  des  inquisiteurs,  et  le  loue  d'avoir,  sous  Jean  XXll,  pris  le  parti 
des  Franciscains  spirituels,  qui  devaient  être  vaincus.  Quant  à  sa  conduite  dans  le  pro- 
cès des  Templiers,  il  l'explique  par  une  de  ces  hypothèses  ingénieuses,  auxquelles  il 
lui  arrive  de  se  complaire  ;  celle-ci  n'a  pas  niaïujué  de  soulever  de  graves  objections. 

Guillaume  Durant  ne  devait  pas  non  plus  sortii-  indemne  de  len(|uêle  à  laquelle 
s'est  livré  Viollet.  Visiblement,  Viollet  lui  sait  gré  de  l'indépendance  de  quelques-unes 
de  ses  a[)préciations  et  de  son  zèle  pour  la  réforme  de  l'Mglise,  non  seulement  dans 
ses  membres ,  mais  encore  et  surtout  dans  son  chef.  Il  ne  l'en  accuse  pas  moins  d'oublier 
trop  facilement  certains  préceptes  de  morale  chrétienne,  ou  même  de  morale  natu- 
relle. Sans  doute  s'étonne-t-il  de  la  vigoureuse  et  durable  hostilité  que  témoigna 
l'évêque  aux  membres  de  la  noblesse  du  Gévaudan,  irréconciliables  adversaires  du 
pariage  conclu  entre  lui-même  et  le  roi  de  France,  dont  le  résultat  fut  d'ailleurs 
d'assurer  le  repos  de  l'I'lglise  et  du  pays. 

Ainsi  notre  regrette  collaboraleur  s  efforçait  de  lire  entre  les  lignes  de  l'histoire  et  de 


NOTICE  SLR   PAIL   MOLLET.  xv 

dégager  du  langage  souvent  laconique  des  chroniques  et  du  langage  toujours  convenu 
des  chartes  le  portrait  d'hommes  him  vivants,  mêlés  aux  alTaireset  aux  luîtes  contem- 
poraines, s'y  mouvant  sous  l'empiic  de  considérations  fort  humaines  et  parfois  de 
passions  qui  eussent  scandalisé  les  saints.  Pour  juger  unpartialement  ces  honames,  il 
faisait  appel  aux  inépuisables  ressources  de  son  éiudition,  et  s'en  servait  avec  la  belle 
et  noble  indépendance  qui  caractérisait  ses  appréciations.  11  a  marqué  d'un  cachet  qui 
est  bien  à  lui  les  pages  qu'il  a  données  à  Yllhtciie  (iftéraire,  parce  qu'il  y  a  mani- 
festé sans  ambages  le  souci,  dont  il  fut  toujours  animé,  de  réserver  ses  louanges  aux 
hommes  qui,  à  son  avis,  étaient  demeurés  fidèles  au  devoir  et  avaient  respecte 
le  droit. 

F.  F. 


NOTICE 


SUR 


NOËL  VALOIS, 


UN   DES  AUTEURS  DES  TOMES  XXXIII-XXXIV  DE  L'HISTOIRE  LITTERAIRE   DE  LA  FRAffCE 
(mort  le   11    NOVEMBRE    IQlS). 


Noël  Valois  appartenait  à  l'Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres  depuis 
un  an  à  peine  —  il  avait  été  élu  membre  ordinaire  le  23  mai  1902  —  lorsque  les 
suffrages  de  nos  confrères  l'appelèrent,  le  i"'  mai  1903,  à  faire  partie  de  la  Com- 
mission (le  y  Histoire  littéraire  de  la  France  à  la  pla<;e  de  (îaston  Paris,  décé(l('' 
le  5  mars  précédent'".  Pendant  douze  ans  et  demi ,  il  a  pris  part  aux  travaux  de  notre 
Commission  et  apporté  une  active  collaboration  à  la  publication  de  la  dernière 
partie  du  tome  XXXIII,  et  surtout  du  tome  XXXIV,  qui  est  en  bonne  partie  son 
œuvre.  Le  29  (jctobre  1  9 1  5 ,  il  revisait  encore  les  premières  épreuves  du  tome  XXX\  . 
sans  que  lui-même  eût  deviné  le  mal  qui  cheminait  traîtreusement  et  qui,  quelques 
jours  plus  tard,  devait  l'emporter,  en  pleine  activité  et  à  peine  âgé  de  soixante 
ans,  le  1  1  novembre  1915. 

Né  à  Paris,  le  li  mai  i855,  dans  l'ancien  «  petit  hôtel  de  Nivernais  «,  au  n°  1  1  de 
la  rue  Garancière,  notre  confrère  appartenait  à  une  vieille  famille  parisienne, 
illustrée  au  xvni°  siècle  par  ses  ancêtres,  les  peintres  Hubert  Drouais  t'i  Noël  Halle, 
plus  tard  par  son  grand-père,  Achille  Valois,  sculpteur  ordinaire  de  la  coui-  de 
Louis  XVIII,  et,  du  côté  maternel,  par  Philibert  Guéneau  de  Mussy,  le  conseiller 
de  Fontanes  lors  de  l'organisation  de  l'Université  impériale,  au  début  du  siècle 
dernier.  Ses  études  secondaires  brillamment  terminées  au  lycée  Louis-le-Grand  et 

''*  La  vie  de  Noël  VaJois  a  été  retracée  en  Ei\e  est  publiée,  avec  une  bibliographie  trùs 

détail,  et  avec  autant  d'art  que  de  précision,  complète  à  la  suite ,  dans  les  Comptes  rendus  des 

par  son  successeur  à  l'Académie  des  Inscrip-  séances  de  l'année  1918,  p.  iy-gS. 
lions  et  Belles-LeUres ,    M.   Ch.-V.   Langlois. 


xv„i  NOTICE  SI  II  NOËL  V\L01S. 

complétées  parles  deux  licences  es  lettres  el  en  droit ,  Noël  Valois  entrait  à  vingt  ans, 
en  1875,  à  l'École  des  chartes,  en  même  temps  que  deux  de  nos  confrères, 
MM.  Antoine  Thomas  et  Paul  Fournier,  qui,  plus  tard,  devaient  le  rejoindre  à 
l'Académie  et  dans  notre  Commission.  Archiviste-paléographe  en  janvier  1879,  il 
était  docteur  es  lettres  l'année  suivante  avec  deux  thèses  justement  remarquées  : 
l'une  sur  GuUlaunie  d'Auvergne ,  àvêqae  de  Paris  {Î2'28-12Ù9),  sa  vie  el  ses  ouvrages, 
dans  laquelle  il  faisait  revivre  la  noble  figure,  imparfaitement  connue  encore,  de  ce 
grand  prélat  et  de  ce  savant  théologien ,  en  même  temps  conseiller  de  saint  Louis 
et  agent  dévoué  de  la  papauté;  l'autre  intitulée  :  De  arte  scribendi  epistolas  apnd 
Gallicos  medii  œvi  scripbres  rhetoresve,  qui  allait  être  bientôt  suivie  de  son  Élude 
sur  le  lylhmc  fies  bulles  pontijicales ,  publiée  en  1881  dans  la  Biblv)lhèquc  de  l'École  des 
chartes:  travail  resté  classique,  où  des  problèmes  longtemps  insoupçonnés  étaient 
lésolus  et  qui  ouvrait  des  voies  nouvelles  à  la  critique  des  textes  diplomatiques  du 
moyen  âge. 

Nommé  en  1  881  archiviste  aux  Archives  nationales,  Noël  Valois  y  passa  douze  ans 
de  sa  vie  et  y  fut  un  fonctionnaire  modèle,  ainsi  qu'en  témoignent  les  deux  gros 
volumes  d'Inventaire  des  arrêts  du  Conseil  d'État  [règne  de  Henri  IV),  parus  à  quelques 
années  de  date,  en  1886  et  1893.  Le  tome  premier  de  cet  Inventaire  était  précédé 
d'un  Essai  historique  sur  le  Conseil  du  Roi,  qui,  remanié  et  complété,  formait, 
en  i888,  le  Conseil  du  Roi  aux  xiv',xv'  et  xvi'  siècles,  ouvrage  dont  l'Académie  des 
Inscriptions  reconnaissait  le  mérite  l'année  suivante  en  décernant  à  son  auteur  le 
1"'  prix  Goberl. 

Le  travail  de  l'archivisti'  avait  décidé  de  la  vocation  de  l'historien ,  qui,  désormais, 
devait  consacrer  son  activité  presque  exclusivement  à  l'étude  du  xiv*  el  du  xv'  siècles. 
L'Inventaire  des  arrêts  du  Conseil  d'Etat  et  ses  recherches  sur  l'histoire  du  Conseil 
du  Roi  avaient,  en  ellet,  conduit  tout  naturellement  Noël  Valois  à  l'étude  du 
xiv'  siècle,  et,  dans  la  seconde  moitié  de  ce  siècle,  s'était  présentée  à  lui  la  question, 
importante  el  obscure  entre  toutes,  des  origines  et  des  développements  du  Giand 
Schisme  d'Occident.  Il  avait  rencontré  Li  voie  où  ses  qualités  émincntes  d'historien 
de  la  France  et  de  l'Eglise  allaient  donner  leur  mesure.  En  1893,  il  quittait  les 
Archives  nationales,  afin  d'entreprendre  en  toute  liberté  une  vaste  enquèle  dans  les 
dépôts  français  et  étrangers,  et  ses  recherches  aboutissaient  à  la  publication,  de  i  896 
à  1902,  de  quatre  volumes  sur  La  France  et  le  Grand  Schisme  d'Occident,  qui  lui 
valurent  une  seconde  fois  le  1  "  prix  Gobert.  Bientôt  paraissaient  encore  son  Histoire 
de  la  Pragmatique  Sanction  de  Bouiges  [1906),  suivie  de  deux  volumes  sur  La  Crise 
religieuse  du  xv'  siècle.  Le  Pape  et  le  Concile  (1  909)- 

Ces  derniers  travaux,  où  Noël  Valois  renouvelait  l'histoire  sur  une  loule  de  points. 


NOTICE  SUR  iNOÉL  VALOIS.  six 

en  suivant  pas  à  pas  If  développement  de  la  crise  religieuse  qui  avait  si  profondé- 
ment troublé  les  esprits  au  xiv'  et  au  xv'  siècle,  avaient  marché  de  pair  avec  sa  col- 
laboration à  l'Histoire  Hltéraiie  de  la  France.  Appelé  dans  la  Commission  pour  rem- 
placer Gaston  Paris,  il  était  cependant  tout  désigné  pour  reprendre  parmi  nous 
l'œuvre  interrompue  de  Barthélémy  Hauréau  et  continuer  dans  le  tome  XXXIII 
l'étude  des  écrivains  scolastiques.  C'est  ainsi  que  les  deux  dernières  notices  de  ce 
volume  ont  été  consacré«?s  par  lui,  l'une  à  préciser  la  vie  et  les  œuvres  du  hère 
mineur  Pierre  Auriol,  ce  penseur  original,  suivant  les  propres  expressions  de  notre 
confrère,  qui,  en  aucune  des  matières  de  l'enseignement  philosophique,  ne  se  con- 
tenta des  solutions  fournies  par  les  maîtres  anciens  ou  modernes,  et  qui,  toujours,  eut 
l'ambition  de  parvenir,  par  son  effort  personnel,  le  plus  près  possible  de  la  vérité; 
l'autre  à  un  maître  de  l'Université  de  Paris,  Jean  de  Jandun,  dont  les  traités 
philosophiques  et  les  commentaires  sur  Aristote  et  Averroès  ont  longtemps  obteim 
des  succès  d'école,  mais  qui  est  plus  connu  par  son  Eloge  de  Paris  et  surtout  jjar 
la  part  qu'il  a  prise  à  la  rédaction  du  célèbre  Dejensor  pacis ,  écrit  à  Paris  en  l'ôià, 
en  collaboration  avec  Marsile  de  Padoue,  pour  soutenir  le  chef  de  i'Kmpire,  Louis 
de  Bavière,  dans  sa  lutte  contre  Jean  XXII;  œuvre  touffue,  obscure  souvent,  et 
pleine  de  contradictions,  mais  singulièrement  audacieuse,  tant  en  religion  qu'en 
politique,  si  bien  qu'on  a  pu  reconnaître  en  ses  auteurs  les  précurseurs  de  la  Réformr 
et  même  de  la  Révolution  française. 

Dans  le  tome  XXXIV  de  l'Histoire  littéraire  de  la  France,  cinq  des  dix  articles  qui 
le  composent  et  en  forment  la  partit-  la  plus  considérable  sont  l'œuvre  de  Xoël 
Valois  :  Jacques  de  Thérines,  Jean  de  Pouilli,  Jean  Rigaud,  Guillaume  de  Sauque- 
ville  et  Jacques  Duèse,  pape  sous  le  nom  de  Jean  XXII  :  ce  dernier  article  occupe  à 
lui  seul  plus  du  tiers  du  volume.  Notre  confrère  a  tracé  de  vivants  portraits  des  deux 
premiers  de  ces  théologiens  :  l'un,  le  cistercien  Jacques  de  Thérines,  auquel  il  a 
restitué  son  véritable  nom,  théologien  renommé,  philosophe  disert,  casuiste  hardi, 
le  type  en  un  mot  du  moine  français  contemporain  de  Philippe  le  Bel,  indépendant 
vis-à-vis  du  roi  et  plein  de  méfiance  à  l'égard  du  haut  clergé  séculier;  l'autre,  élève 
de  Godefroi  de  Fontaines,  le  «  Docteur  vénérable  »,  sorboniste  décidé,  dévoué  avant 
tout  è  la  défense  des  cboits  du  clergé  séculier  dans  ses  luttes  contre  les  Ordres 
Mendiants,  et  en  qui  l'on  voit  renaître,  toutes  proportions  gardées,  une  sorte  de 
Guillaume  de  Saint-Amour.  Le  portrait  de  Jean  XXII,  que  Noël  Valois  a  peint 
de  main  de  maître,  s'il  sort  un  peu  du  cadre  ordinaire  de  l'Histoire  littéraire,  fait 
revivre  à  nos  yeux,  avec  autant  de  vérité  et  de  force  que  d'agrément,  l'activité  sur- 
prenante de  ce  vieillard,  pontife  épris  d'autorité  avant  tout,  ennemi  de  l'hérésie  sous 
ses  formes  diverses,  propagateur  de  la  foi  chrétienne  dans  les  lointaines  contrées 


XX  NOTICE  SUR  NOËL  VALOIS. 

de  l'Orient,  mais  en  même  temps,  et  avant  tout,  défenseur  de  la  suprématie  tem- 
porelle du  Saint-Siège. 

La  vivante  image  que  notre  confrère  a  tracée  ici  du  plus  grand  des  papes  d'Avi- 
gnon restera  comme  le  couronnement  de  son  œuvre,  prématurément  interrompue, 
mais  qui,  de  Guillaume  d'Auvergne  à  Jean  XXII,  n'a  cessé  d'être  d'une  parfaite  unité. 
Cette  imité  se  retrouvait  dans  sa  vie.  Savant  et  artiste  à  la  fois,  «gentilhomme 
français  et  chrétien»,  suivant  la  très  juste  expression  de  celui  qui  l'a  remplacé 
parmi  nous,  Noël  Valois  a  laissé  le  souvenir  de  l'honnête  homme,  simple,  droit, 
courtois  et  ferme,  imposant  le  respect  et  l'estime  autant  pour  son  caractère  que  pour 
son  talent  d'historien. 

H.  0. 


NOTICE 

SUR 

PAUL  MEYER, 

CN  DES  AUTEURS  DES  TOMES  XXXII -XXXIV  DE  VBISTOIRE  LITTÉRAIRE  DE  LA  FRANCE 

(mort    le    7    SEPTEMBRE     1 9  1 7  )■ 


Né  à  Paris  le  17  janvier  18/io,  Marie-Paul-Hyacinthe  Meyer  fut  élu  membre  de 
l'Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres  le  3o  novembre  1  883  ;  neuf  ans  plus 
tard,  le  U  décembre  1892,  l'Académie  le  désigna  pour  succéder  à  Ernest  Renan 
dans  la  Commission  chargée  de  continuer  {'Histoire  littéraire  de  la  Fiance. 

La  Commission  n'a  jamais  été  composée  d'une  manière  aussi  brillante  et  aussi 
eflicace  qu'alors.  Quelle  époque,  dans  l'histoire  de  Y  Histoire  littéraire,  que  celle  où 
Barthélémy  Hauréau,  Gaston  Paris ,  Léopold  Delisle  et  Paul  Meyer,  après  Renan,  ont 
été  appelés  à  mettre  en  commun  leurs  ressources  pour  surélever  de  ipielques  assises 
cet  édifice  immense  et  disparate  auquel  tant  de  générations  avaient  déjà  travaillé  et 
dont  l'achèvement  se  perd  et  se  perdra  longtemps  encore  dans  des  perspectives  loin- 
taines! Agrégé  le  dernier,  par  le  hasard  des  vacances,  à  cette  équipe  illustre, 
Paul  Meyer  en  a  été  aussi  le  dernier  survivant.  Nous,  qui  en  avons  connu  tous  les 
membres ,  et  qui  sommes  leurs  disciples ,  nous  savons  par  quelles  nuances  ces  grands 
hommes  différaient,  mais,  tout  mis  en  balance,  notre  admiration  les  place  à  peu  près 
sur  le  même  plan.  Et  nous  savons  aussi  que,  pour  bien  des  raisons,  pareille  conjonc- 
tion de  talents  supérieurs  ne  se  reproduira  plus,  vraisemblablement,  sur  le  terrain 
de  nos  études. 

Une  carrière  comme  celle  de  Paul  Meyer,  en  particulier,  ne  parait  plus  possible 
désormais.  Outre  que  les  hommes  aussi  bien  doués  que  lui  pour  la  recherche  et  la 
découverte  dans  Tordre  des  problèmee  dont  on  s'occupe  ici,  et  qui  ont  de  si  bonne 
heure  une  vocation  si  décidée,  sont  très  rares,  les  circonstances  ne  se  prêtent  plus, 
comme  il  y  a  un  demi-siècle ,  à  ces  enquêtes  triomphales  dans  des  dépôts  de  manuscrits 

HIST.  LITTÉR.  XXXV.  d 

2  * 


XXII  NOTfCE  SUR  PAIL  MEYER. 

mal  explorés,  surtout  ii  lYtranuLT,  que  Paul  iNIeyer  entreprit  dès  l'adolescence  et 
continua  pendant  près  de  ciiK|uante  années  avec  une  ardeur  et  un  bonheur  sans 
pareils.  Personne  n'a  lait  autant  de  trouvailles  éclatantes  que  Paul  Meyer  dans  le 
domaine  de  l'histoire  littéraire  du  moyen  âge.  Et  personne  n'en  fera  autant  à  l'avenir, 
notamment  pour  ce  motif  qu  il  n'y  en  a  plus  tant  à  faire. 

il  entra  à  l'Ecole  des  chartes  en  novembre  iSSy,  et,  dès  i858,  son  maître  Guessard 
l'attacha  à  la  publication  des  anciens  poètes  de  la  France.  On  vit  paraître,  dans  cette 
collection,  en  1861  ,  un  volume  qui  contenait  deux  chansons  de  geste,  Ayed'Avignon, 
par  Guessard  et  Paul  Meyer,  et  Guy  de  Nanleiiil,  par  Paul  Meyer  seul.  Entre  temps, 
L.  Delisle  s'en  était  remis  à  lui  pour  éditer  et  conmienter  un  texte  provençal,  récem- 
ment découvert  à  la  Bibliothècpie  nationale,  qui  forme  la  principale  pièce  d'un 
recueil  d'Anciennes  poésies  religieuses  en  langue  d'oc,  inséré  dans  la  Bibliothèque  de 
l'École  des  chartes  en  1 860.  Ce  texte  était  difficile;  on  est  émerveillé  encore  maintenant 
de  la  science  et  de  la  dextérité  critiques  dont  fit  preuve,  en  l'élaborant,  cet  éditeur  de 
vingt  ans;  un  professeur  allemand  a  voulu,  eu  1886,  recommencer  ce  travail  de  fond 
en  comble O,  et  il  l'a  manqué.  Paul  Meyer  préludait  d'ailleurs,  simultanément,  sur 
tous  les  tons  et  sur  tous  les  thèmes  où  il  devait  exceller  par  la  suite.  Le  long  compte 
rendu  qu'il  consacra,  en  i8G'2,  aux  Etudes  sur  l'histoire  de  la  langue  française  de 
Littré'^'  le  fait  voir  déjà  installé,  en  ce  temps-là,  dans  les  fonctions  qu'il  a  toujours 
aimé  à  exercer,  et  qui  l'ont  rendu  longtemps  redoutable,  de  censeur  des  travaux 
d'autrui.  Il  faisait  enfin  ses  premières  armes  dans  fhistoiro  littéraire  proprement 
dite:  ses  Études  sur  la  chanson  de  Gérard  de  Roussillon,  composées  en  i858- 
1859,  dès  l'École,  furent  publiées  en  i86o>'';  en  1861,  il  découvrit  à  la  Biblio- 
thèque de  Châlons-sur-Marne  le  manuscrit  de  la  Chronique  de  Jean  le  Bel,  décrit 
au  xviii'  siècle  mais  considéré  depuis  comme  disparu,  qui  devait  renouveler  la 
connaissance  de  Froissarl  '  ;  il  ouvrit  en  janvier  1  865 ,  à  l'Ecole  des  chartes,  un  cours 
libre,  dont  des  fragments  ont  été  imprimés'^',  sui-  l'histoire  de  la  littérature  proven- 
çale, un  champ  oîi  il  était  dès  lors  considéré  comme  sans  rival;  la  même  année, 
il  faisait  connaître .  par  une  édition  princeps,  accompagnée  d'une  traduction ,  le  poème 

'■>  E.  Stengel,  dans  la  Zeitsclnifl  fiir  toma-  '''   Ecole  impériale  des  chartes.  Cours  d'histoire 

nische  Philologie,  t.  \,  p.  i55.  delà  littérature  iirovençale  {Paris,  ln\f>r.  A.  Laine 

'''  Bibliothèque  de  l'Ecole  de<  chartes ,  'y  se-  et  J.  Havard).  C'est  un  prospectus.  La  leçon 

rie,  t.  V,  p.  igS.  d'ouverture   a   paru  dans  la  Revue  des  cours 

'''  Ibid.,  5*  série,  I.  M,  p.  3l-()^.  littéraires,  e\  k  fari .  —Cl.  Bibliothèque  de  l'Ecole 

'''  Comptes  rendus  de  l'Académie  des  Inscrip-  des  chartes,  6*  série,  t.  1",  p.  4oi-442. 
tiens,  séance  du  18  octobre  18G1. 


NOTICE  SUR  PAUL  MEYER.  xxni 

(le  Flamenca,  un  des  chefs-d'œuvre,  sinon  le  chef-d'œuvre,  de  l'ancienne  littérature 
en  langue  d'oc"';  c'est  aussi  en  i865  que,  chargé  par  le  Ministère  de  l'Instruction 
publique  d'une  .  mission  littéraire  en  Angleterre  »,  il  commença  l'exploration  systé- 
matique des  bibhothèques  anglaises  et,  comme  entrée  de  jeu,  mit  la  main,  entre 
autres  choses,  sur  la  traduction  française,  exécutée  par  frère  Jean  du  Vignai,  d'un 
fragment  considérable  de  la  chronique  latine  perdue  de  Primat,  moine  de  Saint-Denis, 
dont  on  ne  connaissait  alors  que  le  nom'^'.  Telles  furent,  en  raccourci,  les  «  enfances  » 
de  cet  esprit  lucide  et  puissant,  servi  par  un  courage  et  une  force  de  travail  tout 
à  fait  exceptionnels. 

Cette  première  période  de  la  vie  de  Paul  Meyei-  s'achève  en  i865.  Or,  c'est  cette 
année-là,  le  29  décembre,  que  Gaston  Paris,  présenta  à  la  Sorbonne,  comme  thèse 
de  doctorat,  ï  Histoire  poétique  de  Charleniagne.  La  France  avait  donc,  enfin,  en  ligne 
deux  champions  qui  lui  assuraient  le  premier  rang  sur  le  terrain  de  sa  philologie 
nationale.  Et  ces  deux  émules,  dont  les  qualités  étaient,  pour  ainsi  dire,  complé- 
mentaires, étaient  unis  d'une  étroite  amitié.  Ils  avaient  décidé,  d'ailleurs,  d'associer 
leurs  efforts. 

Paul  Meyer,  dans  sa  notice  sur  Gaston  Paris,  jiubliée  en  tète  du  tome  XXXIJI  de 
YHistoire  littéraire  (1906),  a  raconte,  avec  une  autorité  incomparable,  les  origines 
des  entreprises  où  s'entrelacèrent  bientôt  l'action  de  son  illustre  ami  et  la  sienne  : 
il  a  dit  dans  quel  esprit  fut  fondée,  principalement  par  leurs  soins,  la  Revue  critique 
d'histoire  et  de  littérature,  dont  le  premier  numéro  parut  le  6  janvier  1866,  et 
pourquoi  ils  créèrent,  de  concert,  au  commencement  de  l'année  1872,  sous  le  nom 
de  Romania,  «  une  revue  spéciale  pour  les  langues  et  les  littératures  romanes  pendant 
"  le  moyen  âge,  la  France  occupant  naturellement  la  première  place,  comme  ayant 
«  la  littérature  la  plus  considérable  et  la  moins  connue  ...  Ce  qu'il  a  dit  là  que  Gaston 
Paris  avait  pensé,  ib  l'avaient  pensé  ensemble,  et  même  il  l'avait  sans  doute,  en  partie, 
suggéré.  Nous  ne  saurions  mieux  faire  que  de  renvoyer  le  lecteur  à  ces  pages 
magistrales. 

..  C'est  dans  la  Romania,  dit-il,  que  Paris  a  publié,  à  partir  de  1872 ,  ses  travaux 
«  les  plus  originaux  sur  la  linguistique  française  et  sur  notre  ancienne  littérature.  «La 
même  chose  est  vraie  de  lui,  quoiqu'il  ait  aussi  beaucoup  écrit  ailleurs,  notamment 
dans  le  Bulletin  de  la  Société  des  anciens  textes  français  (fondée  en  1875),  qu'il  fut 
longtemps  presque  seul  à  alimenter.  Dans  son  âge  mûr,  il  souriait  parfois  de  l'em- 

'■'  Le  roman  de  Flamenca,  publié  d'après  le         (1866),  p.  36a  ;  cf.  ibid..  t.  II  (  i865),  p.  638: 
manuscrit   unique  de    Carcassonne,    traduit   et        el  A.  MoWmer,  Sources  de  l'histoire  de  France] 


accompagné  d'un  glossaire  (Paris,  i865).  t.  HI,  n"  353o-253i 

'*'  Archives   des   Missions,    2"    série,    t.  III 


i. 


xx,v  NOTICE  SUR  PAIIF.  MEYER. 

barras  où  seraient  un  jour  les  érudits  qui  s'occuperaient  de  dresser  la  noinonclalure 
de  ses  publications  et  il  se  faisait  volontiers  fort,  si  sa  «  bibliographie  »  paraissait  de 
son  vivant,  d'en  remontrer  à  l'auteur.  Pour  ce  motif,  ou  pour  tout  autre,  la  liste  de 
ses  publications  n'a  pas  été  dressée.  Ce  n'est  certes  pas  ici  le  lieu  de  l'esquisser,  même 
en  la  réduisant  à  ce  qui  intéresse  directement  l'histoire  littéraire  de  notre  paysjusqu'à 
la  fin  du  moyen  âge.  11  faut  pourtant  jeter  un  coup  d'oeil  sur  l'énorme  bagage  qu'il 
avait  accumulé  en  ce  genre  lorsqu'il  fut  appelé,  encore  dans  la  pleine  vigueur  de  son 
âge  et  de  son  talent,  quoique  relativement  sur  le  tard,  à  la  Commission  académique 
où  Gaston  Paris  l'avait  précédé  de  onze  ans. 

Les  écrits  du  moyen  âge  que  Paul  Meyer  a  découverts  ou  mis  en  valeur,  seul  ou  en 
collaboration  avec  divers  érudits,  en  en  procurant  un  texte  correct  et  en  les  munissant 
de  dissertations,  d'éclaircissements,  de  glossaires,  etc.,  sont  très  nombreux.  Citons 
le  Bestiaire  de  Gervaise  (1872),  Blandin  de  Cornouailles  (  1 8  7  3  ) ,  Brun  de  la  Montagne 
(1875),  Un  récit  en  vers  de  la  première  croisade  Jondé  sar  Baadry  de  Boargueil 
(1876),  le  Débat  des  hérauts  de  France  et  d'Angleterre  (1877),  la  Chanson  de  la  Croi- 
sade contre  les  Albigeois  (1870-1879),  Daarel  et  Béton  (1880),  Haonl  de  Cambrai 
(  1882),  la  Vie  de  saint  Grégoire  par  frère  Angier  (  i883),  les  Fragments  d'une  vie  de 
saint  Tliomas  de  Cantorbéry  (  i883),  les  Contes  moralises  de  Nicole  Bozon  (  1889),  le 
roman  d'£s<fcer  en  provençal  (1892),  i'EscoaJle  (^iS^k),  Guillaume  de  la  Barre(i895). 
De  1891  à  1901  parut  encore,  en  trois  volumes,  l'Histoire  de  Guillaume  le  Maréchal, 
régent  d'Angleterre  de  1216  à  1219,  une  des  perles  de  la  littérature  française  du 
moyen  âge,  enfouie  jusque-là  dans  ia  plus  profonde  obscurité.  Nous  ne  résistons  pas 
au  désir  de  le  laisser  exposer  lui-même  les  circonstances  de  cette  magnifique  trou- 
vaille, car  elles  sont  caractéristiques  du  fait  que  le  bonheur  des  grands  découvreurs 
comme  lui  est  dû,  autant  qu'à  la  chance,  à  une  patiente,  très  patiente,  méthode 
d'investigation.  La  chasse  du  manuscrit  Savile,  qui  contient  l'œuvre  extraordinaire 
du  biographe  anonyme  de  Guillaume  le  Maréchal,  a  duré  vingt  ans  : 

Les  manuscrits  réanis  à  Li  tin  du  xvi°  siècle  et  au  commencement  du  xvii'  par  divers  membres 
delà  famille  Savile,  el  mis  en  vente  publique ,  à  Londres,  le  6  février  1861,  formaient  assurément 
i'nne  des  coileclions  les  plus  précieuses  qui  aient  été  mises  aux  enchèi'cs  en  ce  siècle.  .  .  J'assistais 
à  la  vente,  à  laquelle  j'avais  été  envoyé  par  l'administration  de  la  Bibliothèque  impériale.  Ce  fut 
mon  premier  voyage  en  Angleterre .  .  .  L'administration  m'avait  particulièrement  signalé  trois 
manuscrits  qu'elle  désirait  acquérir.  Quant  aux  autres  manuscrits  français ,  j'eus  à  peine  le  loisir 
de  les  fenilleler  rapidement  pendant  la  vente.  Entre  ces  manuscrits,  il  en  est  un  [le  n°  5i  ]  qui 
avait  excité  vivement  ma  curiosité .  .  .  J'avais  cherché  à  savoir,  le  jour  de  la  vente,  quels  étaient  les 
acquéreurs  des  manuscrits  qui  m'intéressaient  le  plus  particulièrement,  et  des  renseignements  que 
j'avais  obtenus  résultait  ia  certitude  j^resque  absolue  que  le  manuscrit  n°  5 1  avait  été  acquis  par 
Sir  Thomas  Phillipps.  Sir  Thomas  avait  coutume  d'imprimer,  dans  sa  petite  imprimerie  de  Middlehill, 


NOTICE  SUR  PAUL  MEYER.  xxv 

le  catalogue  de  ses  manascrits  par  feuillets  isolés,  au  fur  et  à  mesure  des  accroissements  de  sa 
collection.  Cette  publication.  .  .,  commencée  en  iSSy,  parait  s'être  poursuivie  jusqu'à  la  mort  de 
Sir  Thomas  en  février  1872...  J'ai  pu  me  convaincre  qu'aucun  des  manuscrits  de  la  vente  Savile 
n'y  figurait.  .  .  Je  demeurai  néanmoins  persuadé  qu'il  devait  se  trouver  dans  une  partie  non  cata- 
loguée. .  .  Je  n'hésitai  donc  pas  à  faire  demander  aux  héritiers  de  Sir  Thomas  [en  avril  1880], 
ce  qu'était  devenu  le  manuscrit  5i  de  la  vente  Savile,  que  je  savais  de  source  certaine  avoir  été 
acquis  parle  baronet  en  1861.  Le  manuscrit  fut  trouvé;  il  porte  actuellement  dans  la  Bibliothèque 
de  Middiehill  le  n°  a5,i55.  .  . 

Lorsqu'il  sera  connu,  on  jugera  sans  doute  que  la  littérature  française  du  moyen  âge  ne 
possède  pas,  jusqu'à  Froissart ,  une  seule  cvuvrè,  soit  en  vers,  soit  en  prose,  qui  combine 
au  même  degré  l'intérêt  historique  et  la  valeur  littéraire;  je  n'excepte  ni  Villehardouia  ni 
JoinvilleO. 

Voilà  les  principales  éditions  que  Paul  Meyer  a  publiées  à  part,  en  forme  de 
volume  ou  d'article  étendu;  les  poèmes  en  langue  d'oc  (dont  notre  confrère  s'était 
fait  d'abord  une  sorte  de  spécialité)  et  les  monuments  de  la  littérature  anglo- 
normande  dominent ,  comme  on  voit ,  dans  cette  série  ''".  Mais  c'est  à  peine  la  majeure 
partie  de  ce  qu'il  a  mis  de  textes  du  moyen  âge  à  la  disposition  des  savants.  Car  il 
a,  toute  sa  vie,  dépouillé  des  manuscrits,  transcrit  ce  qui  s'y  trouvait  de  neuf 
(sa  connaissance  de  l'ancienne  littérature  et  des  études  modernes  qui  s'y  rap- 
portent lui  permettait  de  le  reconnaître  avec  une  sûreté  admirable)  et  communiqué  au 
public  ce  qui  en  valait  la  peine,  soit  au  fur  et  à  mesure,  soit  lorsqu'il  avait  réuni, 
au  cours  de  ses  investigations,  une  quantité  jugée  suffisante  de  données  apparen- 
tées. Telles  sont,  en  ce  dernier  genre ,  ses  dissertations  sur  Henri  d'Andeli  et  le  chan- 
celier Philippe  (1873),  sur  Les  premières  compilations  françaises  d'histoire  ancienne  (  1 885  ) 
et  sur  les  Versions  piwençalcs  du  Nouveau  Testament  {188^).  Quant  aux  «Notices» 
de  manuscrits  et  aux  «  Mélanges  » ,  avec  extraits ,  communiqués  au  fur  et  à  mesure 
des  rencontres,  il  suffit  de  parcoiu-ir  les  tables  de  la  Romania  et  du  Bulletin  de 
la  Société  des  anciens  textes  français  pour  avoir  une  idée  de  la  masse  très  considé- 
rable de  faits  entièrement  nouveaux  que  Paul  Meyer  a  mis  en  circulation  de  cette 
manière  modeste  et  précise,  qui  lui  plut  toujours  entre  toutes.  S'il  avait  réuni  en 
recueil,  sous  un  titre  commun,  comme  l'a  fait  B.  Hauréau  dans  ses  Notices  et 
extraits  de  (quelques  manuscrits...,  ces  «  contributions  »  dispersées  dans  les  périodi- 
ques,  on   en   apprécierait    mieux   encore  la    richesse   substantielle,   la   forme  élé- 

'"'  Romania,  t.  XI,  188a,  p.  aa-a5.  accompagné  d'un  vocabulaire,  parut  en  1901  ; 

<''  11  y  faut  ajouter  une  •  deuxième  édition,  le   second   volume    devait    comprendre,  avec 

entièrement  refondue»,  du  roman  de /''/ame/jf  a,  l'introduction  de  1 865  remaniée,  une  traduc- 

dont  le  t.  1"  seulement,  qui  contient  le  texte  tion  intégrale. 


XXVI  NOTICE  SIR  PAUL  MEYER. 

gante  et  achevée.  L'index  général  d'un  pareil  recueil  serait  un  des  vade-mccum  du 
médiéviste. 

Il  avait  infiniment  d'esprit  :  du  plus  vif ,  du  plus  mordant.  Il  écrivait  comme  il 
parlait,  avec  une  aisance,  une  désinvolture,  une  simplicité,  une  clarté  et  une  pureté 
charmantes.  Il  voyait  les  choses  de  haut  et  ne  se  perdait  jamais  dans  les  détails.  Nul 
enfin  ne  s'entendait  mieux  cjue  lui  à  débrouiller,  organiser,  exposer.  Les  gens  du 
monde  pourraient  donc  s'étonner  qu'il  ait  consacré  une  si  grande  partie  de  sou 
activité  à  des  éditions  et  à  des  rapports  d'explorateur,  par  le  procédé  sans  préten- 
tion, et  comme  naïf,  des  u  notices  et  extraits  ».  D'autant  plus  qu'il  avait  commencé, 
comme  tout  le  monde,  avec  d'autres  ambitions,  et  cjue,  quand  il  consentait,  par 
hasard,  à  disserter  sur  des  questions  générales  ou  à  faire  ce  que  le  grand  public 
appelle  «un  livre»,  il  y  excellait.  Voir  ses  leçons  ou  conférences  De  l' influence  des 
tivabadours  sur  la  poésie  des  peuples  romans'^^  et  Des  rapports  de  la  poésie  des  trouvères 
avec  celle  des  troubadours  ''^',  qui  donnent  un  aperçu  de  ce  que  cette  «  Histoire  géné- 
rale de  la  littérature  provençale  »,  à  lacjuelle  il  avait  rêvé  dans  sa  jeunesse,  aurait  pu 
être  ;  ou  encore  ses  «  Vues  sur  l'origine  et  les  premiers  développements  de  l'histo- 
<i  riographie  française  » ''',  son  discours  De  l'expansion  de  la  langue  française  en  Italie 
pendant  le  moyen  â(je^"K  Témoin,  surtout,  son  livre  sur  Alexandre  le  Grand  dans  la 
littérature  française  du  moyen  âge,  conçu  de  bonne  heure  pour  faire  pendant  au  livre 
de  Gaston  Paris  sur  la  légende  de  Charlemagne;  Paul  Meyer  aimait  à  dire,  plus  tard, 
en  souriant,  qu'il  avait  toujours  compté  sur  ce  livre-là  pour  «  entrer  à  l'Institut  »,  et 
que,  pourtant,  il  n'en  avait  pas  eu  besoin,  ayant  été  admis  dans  la  Compagnie  trois 
ans  avant  de  favoir  fini  '■^K  Mais  à  qui  serait  un  peu  surpris  de  cette  sorte  d'ascé- 
tisme intellectuel,  il  faut  conseiller  la  lecture  de  la  notice  qu'il  a  consacrée  à  Barthé- 
lémy Hauréau,  dans  notre  t.  XXXII.  Après  avoir  écrit  son  Histoire  de  la  philosophie 
scolastique,  B.  Hauréau  n'avait  plus  fait  de  «  livres  »  et  s'était  lancé  sans  esprit  de 
retour  sur  la  mer  illimitée  des  recherches  dans  les  manuscrits.  Il  s'en  était  justifié  en 
ces  termes  :  «Ce  genre  de  labeur  ne  saurait  prétendre  aux  suffrages  du  public,  qui 
«  ne  peut  louer  que  ce  qui  l'intéresse;  mais  il  a  beaucoup  d'attraits  pour  celui  qui  s'y 
CI  consacre.  Oui,  sans  doute,  c'est  une  humble  étude;  mais  combien  d'autres  compen- 
«  sent  la  peine  qu'elles  donnent  en  permettant  de  dire  aussi  souvent  :  «  J'ai  trouvé''''.  » 

'')  Romania,  t.  V,  p.  357.  '''  T.  l".  Textes  ;  t.  H,  Histoire  de  la  légende 

'')  Ihid.,l.  XIX,  p.  1.  (Paris,  1886). 

'''  Dans  \' Annuaire-Bulletin  de  la  Société  de  '*'  B.  Hauréau,  Notices  et  extraits  de  quelques 

l'histoire  de  France,   1890,  p.  89.  manuscrits   latins  de  la  Bibliothèque  nationale, 

'•'  Rome,  190.4.  t.  l"(Paris,  1890),  p.  vi. 


NOTICE  SUR  P\UL  MEYER.  xxvii 

Paul  Moyen,   faisant  cerlainement ,  à  co  propos,   un  retour  sur  lui-même,  l'en  a 
approuvé  de  son  côté ,  par  ces  lignes  d'un  accent  vraiment  autobiographique  : 

Ces  investigations  piolongées  à  lra\ers  des  collections  du  manuscrits  ineiplorés  ont  un  intérêt 
singulier  pour  celui  qui  les  entreprend  avec  une  préparution  suiïisante,  c'est-à-dire  avec  la  notion 
exacte  des  lacunes  de  nos  connaissances  et  le  désir  d'arriver  à  les  combler.  C'est  comme  un 
voyage  d'exploration  dont  la  fatigue  est  compensée  par  l'attrait  de  la  découverte  qu'on  fait  quel- 
quefois et  qu'on  espère  toujours.  11  est  dillicile  de  s  arracher  à  cette  douceur  quand  on  l'a  une 
fois  éprouvée:  on  regrette  presque  le  temps  emplové  à  mettre  en  œuvre  les  éléments  recueillis; 
on  le  fuit  de  la  manière  la  plus  brève,  pour  retourner  au  plus  tôt  au\  recherches  un  instant 
interrompues,  et  on  perd  promptement  le  goût  des  travaux  d'ensemble,  dont  une  partie  seule- 
ment consiste  en  nouveautés ,  le  reste  n'étant  que  résumé  et  compilation. 

On  peut  dire  de  lui,  comme  il  l'a  dit  d'Hauréau,  que  «le  dépouillement  des 
«  manuscrits  fut  son  occupation  préférée  ».  Mais  il  faut  ajouter  que,  comme  Ilauréau, 
il  a  eu  l'art  do  manifester,  dans  l'exposé  des  résultats  de  ses  recherches  de  cet  ordre, 
tout  ce  que  sa  pensée  avait  d'originalité  et  de  vigueur.  Ces  deux  savants,  dont  la  for- 
mation première  et  l'allure  n'avaient  rien  d'analogue,  ont  eu  en  commun,  avec  la 
plus  haute  conscience  scientifique  et  une  certaine  appréhension  de  la  synthèse,  le 
goût  et  le  talent  de  s'exprimer  tout  entiers  —  incidemment,  pour  ainsi  dire  — 
dans  des  monographies  étroites  :  notices  sur  des  textes  anciens  et  aussi  sur  des  livres 
nouveaux.  Comme  leurs  notices  de  manuscrits,  les  comptes  rendus  d'Hauréau  dans 
le  Journal  des  Savants  et  de  Meyer  dans  la  Romania  sur  les  ouvrages  récemment 
parus  sont,  enefïet,  un  trésor  inépuisable  de  notions,  de  faits,  d'idées,  de  rappro- 
chements, de  .suggestions;  ils  ont  teim  en  haleine,  parlois  en  respect,  tonifié  et 
ravitaillé  les  spécialistes  pendant  une  ou  deux  générations.  11  est  difficile  et  laborieux 
de  prendre  aujourd'hui  connaissance  de  ces  innombrables  pages  éparses,  d'un 
caractère  en  apparence  éphémère  et  dont  1'»  actualité  »  s'est  évaporée,  mais  telle  en 
est  la  plénitude  qu'on  ne  s'en  dispense  pas  sans  dommage. 

Lorsque  Paul  Meyer  fut  élu  membre  de  notre  Commission,  il  y  eut  aussi- 
tôt un  grand  rôle  à  deux  titres  distincts,   comme  «éditeur»  et  comme  «auteur». 

D'abord,  comme  «éditeur».  Les  fonctions  d'éditeur,  c'est-à  dire  de  secrétaire  de 
la  rédaction,  avaient  été  exercées  jusque-là  par  les  membres  les  plus  exclusivement 
dévoués  à  l'entreprise ,  et  qui  en  avaient  lait  l'essentiel  des  préoccupations  de  leur  vie 
scientifique,  tels  que  Victor  Le  Clerc  et  Barthélémy  Hauréau.  À  la  mort  d'Hauréau 
(  1896),  elles  furent  assignées,  comme  de  juste,  à  P.  Meyer.  G.  Paris  et  L.  Delisle 
avaient  d'autres  intérêts  considérables  que  l'Histoire  littéraire,  et  même  que  l'histoire 
Httéraire    sans   italiques.   Et   surtout  P.  Meyer  était  connu  pour  ses    aptitudes  de 


XXVIII  NOTICE  SUR  PAUL  MEYER. 

melteur  en  œuvre.  C'était  lui,  à  n'en  pas  douter,  qui  avait  successivement  dessiné 
les  cadres  de  la  Revue  critique  et  de  la  Romania,  veillé  à  ce  que  ces  revues  et  les 
publications  de  la  «  Société  des  anciens  textes  français  »  se  présentassent  sous  une 
forme  intrinsèquement  harmonieuse  et  typographiquement  très  agréable.  Dans  son 
association  avec  G.  Paris  comme  directeur  de  grandes  publications,  Paris  a  plutôt 
joué  le  rôle  de  Marie;  Meyer  s'était  plutôt  réservé  celui  de  Marthe.  Tout  le  désignait 
donc.  Son  action,  à  cet  égard,  commença  à  se  manifester  dès  le  t.  XXXII,  le  pre- 
mier qu'il  ait  fait  paraître,  en  1898.  Ce  volume  est  muni  d'une  Table  générale  des 
t.  XXV  à  XXXII  (dressée  par  M.  Delisle,  président  delà  Commission)  :  tVHistoire 
«  littéraire,  dit  l'Avertissement,  rédigé  par  l'éditeur,  est,  en  somme,  un  recueil  de 
"  monographies  indépendantes,  auxquelles  il  serait  impossible  d'imposer  un  classe- 
«  ment  rigoureux.  Des  tables  fréquentes  sont  le  seul  moyen  de  remédier  aux  irrégu- 
«  larités  que  comporte  la  rédaction  d'une  oeuvre  collective.  »  A  partir  du  t.  XXXIII 
(1906),  certaines  dispositions  typographiques,  qui  n'avaient  pas  été  modifiées 
depuis  le  xviii*  siècle,  sont  changées.  L'aspect  de  Y  Histoire  littéraire  est  sagement 
modernisé;  plus  de  manchettes,  des  notes:  «D'où  résulte  un  double  avantage. 
«  D'une  part,  nous  élargissons  la  justification,  et,  d'autre  part,  les  renvois,  formulés 
«d'une  façon  souvent  trop  brève  lorsqu'ils  étaient  placés  dans  la  marge,  ont  pu 
"  être  donnés  d'une  façon  assez  complète  pour  nous  permettre  de  supprimer  la 
«table  des  ouvrages  cités,  qui,  jusqu'ici,  a  occupé  dans  nos  volumes  une  place 
«  considérable.  »  Toutes  ces  innovations  excellentes,  qui  seront  durables,  étaient 
évidemment  dues  au  nouvel  «  éditeur  ».  Qu'il  en  soit  remercié  Jtei. 

Ensuite,  comme»  auteur  ».  Sa  collaboration  officielle  commenceaveclet.XXXII'"; 
elle  ne  s'est  malheureusement  continuée  que  jusqu'au  t.  XXXIV.  Mais,  nos  trois 
derniers  volumes  renferment ,  sous  sa  signature ,  des  morceaux  de  premier  ordre. 

La  littérature  provençale  avait  été  presque  entièrement  laissée  de  côté  par  la 
Commission  depuis  qu'elle  ne  comptait  plus  de  provençaliste ,  c'est-à-dire  depuis  la 
mort  d'Emeric  David  en  1889'^'.  Le  premier  soin  de  Paul  Meyer,  allant  au  plus 
pressé,  fut  de  combler  les  lacunes  ainsi  béantes,  en  remontant  à  la  fin  du  xui'  siècle, 
où  elles  apparaissaient.  De  là  les  notices  qu'il  consacra  à  Guillaume  Anelier,  de 
Toulouse,  auteur  d'un   poème  sur  la  guerre  de  Navarre  (  1  27/i-i  276);  à  Matfré 

'''  Rappelons  que  ce  sont  de»  découvertes  crés  au  xiv*  siède,  on  ne  relève  que  la  notice 

de  Paul  Meyer  qui  avaient  permis  de  rédiger  sur  Philippine  de  Porcelet  (cf.  la  note  précé- 

antérieurement  les  articles  consacrés  à  Jean  de  dente),   et    deux    notes    complémentaire»   de 

Journi  (t.  XXV,   p.  619-623)  et  à  Philippine  G.  Paris   sur    Blandin  de  CornouaUles    et   sur 

de  Porcelet  (t.  XXIX,  p.  5a6-546).  /an/re  (t.  XXX,  p.  laietp.  ai5). 

'''  Dans  les  sept  premiers  volume*  eonsa- 


NOTICE  SUR  PAUL  MEYER.  xxix 

EriDengau  de  Béziers,  auteur  du  Breviari  d'Amor  (achevé  après  lago);  aux  trouba- 
dours Guillem  d'AutpoI ,  Guillem  de  Murs,  Peire  et  GuiHem,  Bertran  Carbonel, 
Jacme  Mote,  Motet,  Ponçon,  Johan  de  Pennes,  Guillaume  de  l'Olivier,  Bérenguier 
Trobel,  Rostanh  Bérenguier;  aux  «Légendes  pieuses  en  provençal»  (Vie  de 
sainte  Enimie,  par  Bertran  de  Marseille;  Vie  de  sainte  Marie-Madeleine;  Vie  de 
sainte  Marguerite  ;  Evangile  de  Nicodème;  Évangile  de  l'Enfance).  De  ces  articles, 
celui  sur  le  Breviari  d'Amor,  immense  encyclopédie  de  forme  allégorique  où  la  théo- 
logie et  fhistoire  religieuse  tiennent  la  plus  grande  place  et  se  trouvent  bizarrement 
juxtaposées  à  des  préceptes  sur  l'amour  empruntés  aux  poésies  des  troubadours, 
est ,  de  beaucoup ,  le  plus  important.  Paul  Meyer  connaissait  cet  ouvrage  à  fond  et 
de  longue  main,  car  il  avait  établi  lui-même,  jadis,  le  texte  des  cinq  premières 
livraisons  de  l'édition  Azaïs,  publiées  de  i86q  à  1866. 

Cela  fait,  notre  ëminent  confrère  cessa  presque  entièrement  de  rédiger  des  notices 
individuelles  sur  des  écrivains,  du  type  ordinaire  de  celles  qui  ont  figuré,  de  tout 
temps,  dans  notre  recueil'",  pour  entreprendre,  sinon  inaugurer,  des  articles  d'une 
espèce  absolument  nouvelle.  Essayons  d'expliquer  comment,  et  pourquoi. 

Lorsqu'on  a  pris  l'habitude  de  faire  son  principal  de  dépouiller  les  nianusci  ils 
pour  y  relever  ce  qui  s'y  trouve  de  nouveau,  de  quelque  date  et  de  quelque  nature 
que  c^  soit,  il  devient  peu  tentant  de  s'astreindre  à  rechercher  systématiquement 
dans  les  collections  tout  ce  qui  concerne  un  sujet  précis  ou  un  auteur  déterminé, 
surtout  si  l'on  n'a  pas  déjà  eu,  au  cours  de  ses  dépouillements  antérieurs,  l'occasion 
de  commencer  à  se  faire  un  dossier  sous  la  rubrique  de  ce  sujet  ou  de  cet  auteur. 
Or,  les  collaborateurs  de  l'Histoire  littéraire  de  la  France  sont  obligés,  par  la  règle 
de  leur  institution,  de  traiter,  non  pas  les  auteurs  sur  lesquels  ils  ont  déjà  des 
dossiers,  qui  les  intéressent  de  longue  date  ou  particulièrement,  mais  ceux  que 
l'ordre  des  temps  leur  impose.  L'Histoire  littéraire  en  était  arrivée  depuis  longtemps 
au  xiv*  siècle  quand  Paul  Meyer  eut  à  s'en  mêler;  sans  doute  il  avait  par  devers  lui, 
sur  le  xiv°  siècle  comme  sur  toutes  les  autres  périodes  de  notre  histoire  littéraire,  des 
notes  en  abondartce;  mais  il  n'avait  pas  de  préférence  pour  cette  époque  (qui  donc 
en  a  ?),  et  l'ordre  des  temps  ne  pouvait  manquer  de  lui  imposer  des  sujets  qu'il  n'eût 
pas  choisis.  Des  sujets  en  vue  desquels  il  serait  obligé  de  se  livrer  à  l'opération  inverse 
de  celle  qu'il  avait  toujours  pratiquée ,  plus  fructueusement  que  personne  :  chercher 

'''  li  n'a  plus  donné  qu'une   courte  notice  qu'elle  comporte  des  renseignements  inattendus 

sur  le  médecin   Pons  de  Saint-Gilles  el  sur  le  sur  des  ouvrages  qui  n'ont  d'autre  lien  avec 

manuscrit  qui  nous  a  conservé    sa    compila-  Pons  de  Saint-Gilles  que  de  se   trouver  dans 

lion   (t.   XXXll,  p.  594-595).   Encore    cette  le    même    manuscrit    qu'un     libellas   de    cet 

notice  si  courte  est-elle  exceptionnelle  en  ceci  auteur. 

HIST.  LITTÉR.   XXXV.  g 


XXX  NOTICE  SUR  PAUL  MEMIR. 

n'importe  où,  au  risque  d'omissions  graves,  des  données  .>)Ur  une  question  proposée, 
au  lieu  de  chercher  librement  n'importe  quoi  de  neuf  à  des  sources  définies  et 
clioisies.  Or,  il  est  aisé  de  se  persuader  que  la  seconde  de  ces  méthodes  est  non 
seulement  plus  agréable,  mais  plus  rationnelle  et  moins  iiasardeuse  que  la  première. 
Et,  en  eiïet,  il  y  a  du  vrai.  La  première  est  et  restera  un  pis-aller,  tant  qu'il  y  aura 
encore  des  régions  de  sources  inexplorées.  Elle  ne  se  justifie  que  par  cette  considé- 
ration, mais  capitale,  (|uil  est  utile,  même  nécessaire,  décrire  l'histoire  sans  attendre 
qu'il  soit  possible  de  le  faire  avec  la  certitude  de  ne  laisser  de  côté  aucune  infor- 
mation, c'est-à-dire  vraiment  bien.  Voilà,  semble-t-il,  des  motifs  qui  ont  pu  agir  pour 
détourner  inconsciemment  Paul  Mever,  tel  que  nou^i  l'avons  connu,  de  la  routine 
oïdinaire  des  notices  individuelles  sur  le  premier  venu. 

Mais  voici  des  motifs  indubitables  et  beaucoup  |>lus  puissants.  Des  hommes 
consciencieux ,  venus  à  fhistoire  littéraire  du  moyen  âge  d'autres  régions  de  l'érudition, 
peuvent  toujours,  la  preuve  en  a  été  maintes  Ibis  administrée,  composer  sur  d'an- 
ciens auteuisdes  notices  individuelles  qui  réalisent  un  progrès  par  rapport  aux  connais- 
sances antérieures.  Mais  il  n'appartient  qu'aux  érudits  dont  toute  la  vie  fut  dévouée 
à  cette  discipline  d'entreprendre  et  de  mener  it  bien,  >oiis  lorme  de  "  notices  collec- 
tives »,  des  revues  ou  tableaux  d'ensemble  «embrassant  toute  une  série  d'ouvrages 
«  anciens  qui  présentent  entre  eux  des  analogies,  de  fond  ou  de  forme,  et  dont  il  y  a 
«  intérêt  à  traiter  simultanément».  Or,  Paul  Mejer  se  savait  éminemment  propre  à 
ce  genre  de  travail,  récompense,  privilège  et  couronnement  de  longs  travaux  anté- 
rijuis.  Il  résolut  donc  de  s'y  livrer,  estimant  que  c'était  là,  pour  lui,  la  meilleure 
manière  d'employer,  dans  l'intérêt  général,  son  expéiience  et  ses  collections  incom- 
parables. 

Il  y  avait  déjà,  en  ce  sens,  quelques  précédents.  Duni  Brial  (au  t.  XV)  et  Victor 
Le  Clerc  (au  t.  XXI)  avaient  jadis  consacré  de  longues  notices  collectives  à  la  littéra- 
ture annalistique.  Léupold  Delisle,  avec  sa  rare  connaissance  des  dépôts  de  manu- 
scrits, avait  artistement  groupé  des  renseignements  sur  de>  ouvrages  de  même  nature, 
pour  la  plupart  anonymes  :  sur  les  «  Anciens  Catalogues  des  évêques  des  églises  de 
France  »  (t.  XXIX),  sur  les  Traités  De proprietaliltus  rerum  (t.  XXX),  sur-  les  auteurs 
de  Recueils  (ÏEaempla  à  l'usage  des  prédicateurs  et  sur  les  Livres  d'images  (t.  XXXI), 
sur  des  «  Chroniques  et  annales  »  monastiques  (t.  XXXII).  G.  Paris  avait  intitulé  un 
article  (t.  XXIX)  :  «  Chrestien  Legouais  et  autres  traducteurs  et  imitateurs  d'Ovide  ». 
Dans  l'Avertissement  du  t.  XXXIII,  Paul  Meyer  écrit  officiellement  à  ce  sujet,  en 
qualité  d'éditeur  : 

Nous  serons  de  plus  en  plus  amenés  à  rédiger  des  notices  collectives  sur  des  écrits  d'un  même 
genre  qui,  pris  isolément,  n'olIVent  qu'un  assez  faible  intérêt,  tandis  que,  groupés,  ils  peuvent 


NOTICE  SUR  P\l  L  MEYER.  xnxi 

donner  lieu  à  des  conclusions  générales  d'une  certaine  portée.  .  .  C'est  ce  que  nous  tentons  dan» 
le  présent  volume  pour  les  Coutnmiers  normands,  oeuvres  d'époques  diverses  dont  il  n'eût  guère 
été  possible  d'établir  les  rapports  en  des  notices  séparées,  et  pour  les  innombrables  Vies  de 
saints  traduites  en  prose  française  au  cours  du  xiii"  siècle  et  au  commencement  du  xiv*.  11  est 
assez  indifférent  que  des  notices  de  ce  f;enre,  où  il  n  est  guère  question  que  d'écrits  non  datés, 
soient  placés  à  un  endroit  ou  à  un  autre.  .  . 

Des  notices  collectives  ainsi  annonrées,  Paul  Meyer  en  a  rédigé  deux  :  Versions  en 
vers  et  en  prose  des  •  Vies  des  Pères  «  (t.  XXXIII,  p.  a  58-3  27),  Légendes  hagiographiques 
en  français  (p.  32  8-458).  —  Dans  ia  première,  il  fait  connaître,  en  les  classant 
rigoureusement,  des  œuvres  d'édification  dont  le  fond  est  sans  originalité,  mais  dont 
la  genèse  et  la  forme  jettent  un  jour  curieux  sur  une  partie  de  la  littérature  française 
que  la  critique  avait  complètement  négligée.  Tirant  presque  exclusivement  ses 
matériaux  de  manuscrits  inédits  de  la  France  et  de  l'étranger,  il  ordonne  ce  cpii 
était  auparavant  un  véritable  chaos.  Et  de  ce  chaos  émergent  trois  figures  littéraires 
intéressantes:  un  poète,  Henri  d'Arci,  frère  du  Temple,  qui  vivait  en  Angleterre, 
au  comté  de  Lincoln,  dans  la  seconde  moitié  du  Mif  siècle;  un  polygraphe,  plus 
ancien  d'une  génération  au  moins,  Wauchier  de  Denain,  en  qui,  par  un  trait  de 
cette  merveilleuse  perspicacité  dont  il  a  donné  tant  de  preuves,  Paul  Meyer  recon- 
naît, avec  toute  vraisemblance,  l'un  des  continuateurs  du  Perceval  de  Chrestien 
de  Troyes  et  l'auteur  d'une  ■<  Histoire  universelle  »  depuis  Adam  jusqu'à  .Iules  César; 
enfin  un  prosateur  anonyme,  traducteur  de  divers  recueils,  que  notre  confrère 
revendique  pour  ia  France,  bien  que  les  deux  manuscrits  qui  font  connaître 
ses  ouvrages  aient  été  exécutés  en  Italie'".  —  L'article  sur  les  Légendes  hagiogra- 
phiques, fondé  sur  quantité  de  monographies  antérieurement  publiées  par  l'auteur 
dans  la  Romania  et  dans  le  recueil  académique  des  Notices  et  extraits  des  manuscrits , 
est  plus  étendu  encore.  Il  est  divisé  en  deux  parties,  dont  chacune  a  son  objet  propre, 
et  la  première,  qui  est  une  nomenclature  de  toutes  les  légendes  versifiées  depuis  les 
origines  delà  littérature  française  jusqu'à  la  fin  du  moyen  âge,  une  forme  tout- 
à-fait  inaccoutumée  dans  YHistoire  littéraire.  «  Ce  n'est  pas  proprement  une  notice  : 
•  c'est  une  sèche  bibliographie  en  ordre  alphabétique  »'*',  précédée  d'une  introduc- 
tion à  grands  traits. 

La  raison  pour  laquelle  nous  avons  cru  devoir  nous  écarter  de  notre  méthode  haoïtuelle,  dit  à 
ce  propos  Paul  Meyer,  est  celle-ci  ;  les  légendes  en  vers,  toutes  traduites  ou  imitées  de  composi- 
tion» latines,  foisonnent  dans  notre  littérature  du  xii*  au  xv'  siècle.  Nous  en  avons  relevé  plus  de 

<"'  Les  conclusions  de  P.  Meyer  sur  ce  point        traductions  de  l'Anonyme  montre  qu'il  était 
ent  été  récemment  contestées  (Bomnnin,  t.  XL,        originaire  de  l'Italie  du  Nord. 
1911,   p.  6o5);    l'étude  lexicographique   des  '''  T.  XXXIII,  p.  iv. 


xxxu  NOTICE  SUK  PAUL  MEYER.    . 

deux  cents,  et  nous  n'osons  aHiirncr  que  notre  énutnération  soit  complète.  Entre  ces  poèmes  il  en 
est  plusieurs  qui  ont  été  composés  à  une  époque  à  laquelle  nous  ne  sommes  pas  encore  arrivés  : 
nous  les  signalons  à  nos  successeurs;  mais  la  plupart  appartiennent  à  une  période,  maintenant 
close,  de  ÏHistoirc  Itltéiaire,  et  bien  peu  cependant  ont  obtenu  de  nos  devanciers  les  notices  aux- 
quelles ils  avaient  droit.  Nous  avons  voulu  qu'ils  eussent  du  moins  une  mention  dans  notre  œu>re , 
et,  sans  leur  consacrer  des  notices  qui  ne  seraient  plus  à  leur  place,  nous  avons  iru  devoir 
fournir  des  indications  bibliographiques  qui  seront  utiles  aux  personnes  disposées  à  en  entre- 
prendre l'étude. 

Dans  la  seconde  partie  df  cet  article  capital  («  Légendes  en  prose  »),  l'auteur  étudie 
d'abord  les  légendes  isolées,  puis  les  légendes  groupées.  Les  groupes  qu'il  établit 
sont  au  nombre  de  sept;  mais  il  lui  faut  encore  passer  en  revue  des  manuscrits  qui 
ne  rentrent  dans  aucun  de  ces  sept  groupes,  et  constituer  une  dernière  section  pour 
les  légendiers  classés  suivant  l'ordre  de  l'année  liturgique.  A  ia  fin  est  la  liste,  par 
bibliothèque,  des  manuscrits  utilisés,  qui  s'élèvent  au  chiffre  de  quatre-vingts. 

Ces  détails  étaient  nécessaires  pour  faire  mesurer  l'importance  des  innovations 
introduites  par  l'éditeur  de  notre  t.  XXXIII.  Jusque-là  les  principes  n'avaient  pas  été 
contestés  que  l'ordre  chronologique,  d'après  la  date  de  la  mort  des  auteurs  étudiés, 
devait  être,  autant  que  possible,  suivi  par  les  collaborateurs  de  YHistoire  littéraire; 
et  que  l'on  ne  devait,  sous  aucun  prétexte,  ni  revenir  sur  le  passé  :  «  Ce  qui  est  fait 
est  fait»,  ni  empiéter  sur  l'avenir.  En  réalité  on  avait  donilé,  parfois,  de  légères 
entorses  à  ces  principes,  dans  des  cas  particuliers;  mais  ils  n'en  subsistaient  pas 
moins  '".  Or  il  est  posé  désormais  que  l'ordre  des  temps  n'est  plus  à  prendre  en 
considération,  dans  l'un  ou  l'autre  sens,  s'il  s'agit  de  cette  nouvelle  espèce  d'articles, 
dont  celui  sur  les  Légendes  hagiographiques  en  français  est  et  restera  probablement 
longtemps  le  spécimen  le  plus  typique  :  «  Articles  sur  dés  écrits  du  même  genre,  — 
pour  la  plupart  anonymes  et  sans  date  précise,  —  qui,  groupés,  peuvent  donner 
lieu  à  des  conclusions  générales,  alors  que,  pris  à  part,  chacun  paraîtrait  insigni- 
fiant i,  ou  plutôt  serait  purement  et  simplement  omis,  par  la  force  des  choses.  — 
Ce  n'est  pas  tout  :  il  est  désormais  licite  de  réduire  certains  articles ,  ou  certaines 
parties  d'articles  de  ce  type,  à  de  simples  énumérations  en  forme  de  répertoire  biblio- 

'"'  On  avait  employé  divers  artiGces  pour  «Pour cette  partie  de  notre  travail  (les  écrivains 

repêcher,  après  que  l'ouvrage  avait  déjà  dépassé  juifs  français  du  xiv*  siècle),  il  doit  nous  être 

le  commencement  du  xiv"  siècle,  des  écrivains  permis  d'embrasser  de  longues  périodes  et  de 

du  xnr  méconnus  ou  oubliés;  et  c'est  ce  qui  devancer  l'ordre  des  temps  »  (t.  XXXI,  p.  35  i); 

contribue  à    expliquer   que  tant   de  volumes  c(.  ib.  .p-  "jàQ:  thés  rè^a  de  VHistoire  littéraire 

aient  été  consacrés  jusqu'à  ce  jour  au  xiv*  siècle ,  seraient  trop  fortement  violées  si  nous  donnions 

sans  en  avoir  dépassé  le  premier  quart.  —  On  ici  la  suite  des  rabbins  du  xv*  siècle  •  ;  et  on  la 

avait    même    «devancé   l'ordre   des    temps»:  donne  tout  de  même. 


NOTICE  SUR  PAUL  MEYER.  xui,, 

graphique.  Paul  Meyer,  qui  avait  renoncé  de  bonne  heure  aux  a  livres  ■  pour  ies 
«notices»,  avait  ainsi  abouti  logiquement,  au  sommet  de  sa  carrière,  à  condenser, 
dans  certains  cas,  les  «notices»  mêmes  sous  la  forme  parfaitement  impersonnelle, 
dépouillée  et  sublimée  de  nomenclatures  comme  celle  qui  occupe  les  pages  33 7  ;i 
378  du  t.  XXXIII. 

Dans  quelle  mesure  ces  nouveautés  radicales  se  consolideront-elles,  à  l'avenir, 
pour  devenir  des  traits  caractéristiques  de  ce  magnum  opus  des  Bénédictins  qui,  depuis 
près  de  deux  cents  ans ,  a  déjà  plusieurs  fois  changé  d'aspect  ?  Nous  ne  saurions  le  dire. 
Nous  savons  seulement  que  Paul  Meyer  était  décidé  à  persévérer,  quant  à  lui,  dans 
le  chemin  qu'il  avait  frayé.  Le  seul  article  qui  figure  sous  ses  initiales  au  t.  XXXIV 
(il  était  déjà  fatigué  au  cours  des  années  pendant  lesquelles  ce  volume,  paru 
en  191  d,  fut  préparé)  est  une  revue  générale  des  Bestiaires  (c'est-à-dire  des  imita- 
tions françaises  d'un  original  qui  appartient  à  la  littérature  grecque),  composés 
à  quelque  époque  du  moyen  âge  que  ce  soit  —  dont  aucun,  du  reste,  n'est 
du  xiv"  siècle.  Il  avait  l'intention  d'en  faire  autant  pour  les  Lapidaires  '".  11  avait  bien 
d'autres  projets.  Et,  comme  il  n'a  jamais  craint  de  faire  part  au  public  de  ses 
desseins  '2',  nous  les  connaissons.  Il  envisageait  au  moins  trois  grandes  notices  collec- 
tives où  il  aurait  fait  entrer,  comme  dans  celles  qu'il  a  effectivement  achevées,  la 
quintessence  de  recherches  continuées  pendant  cinquante  ans.  Afin  d'utiliser  les 
notes  qu'il  avait  prises  toute  sa  vie  dans  les  manuscrits  médicaux,  en  souvenir  des 
relations  qu'il  avait  entretenues  pendant  sa  jeunesse  avec  Ch.  Daremherg,  le  savant 
historien  des  sciences  médicales,  il  «préparait  pour  l'Histoire  littéraire  un  article 
général  sur  des  ouvrages  de  médecine  qui  appartiennent  à  la  première  moitié 
du  XIV"  siècle»"'.  D'autre  part,  l'étude  des  manuscrits  médicaux  l'avait  conduit  à 
celle  d'une  autre  littérature  technique  du  moyen  âge,  difficile  et  inconnue  entre 
toutes  :  les  manuscrits  des  astrologues  et  des  géomanciens  de  profession;  et  ce  qu'il 
a  publié  là-dessus,  dans  la  Romania  et  ailleurs,  qui  est  très  considérable,  donnerait  à 
penser,  s'il  ne  l'avait  d'ailleurs  affirmé  expressément  '"',  qu'il  se  proposait  de  rassemble!- 
de  même  pour  notre  recueil,  dans  des  notices  collectives,  des  notions  sur  l'ensemble 
de  ces  écrits  qu'il  était  seul  à  posséder.  Enfin  il  serait  surprenant  qu'il  n'eût  pas 
pensé  à  traiter  dans  le  même  cadre  des  monuments  de  la  littérature  morale  ou 
catéchétique ,  à  intentions  pieuses  ou  édifiantes ,  en  prose  française ,  depuis  les  origines 
jusqu'au  milieu  ou   plutôt  jusqu'à  la  fin  du  xiv'  siècle.  Province  riche,  très  riche, 

'■)  Romania,  t.  XXXVIII  (1909),  p.  44-  '''  Romania,  t.  XLIV  (1915),  p.  162. 

'*'  «Occupé  depuis  bien  des  années  à  ras-  '*!  Romania.  l.  XXVI  (1898),  p.  aa5,  478. 

sembler  les  éléments  d'un  grand  dictionnaire  Cf.  t.  XXXII  (igoS),  p.  589. 
de  la  langue  d'oc.  .  .  »  [Romania ,  1. 1",  p.  ^oi). 


XXXIV  NOTICE  SUR  PALL  MEVER. 

mais  très  peu  connue,  de  notre  histoire  littéraire,  parce  que  la  plupart  des  opuscules 
qui  la  composent  sont  inédits,  anonymes,  sans  date,  et  jouissent,  en  outre,  dune 
réputation  a  priori,  bien  établie,  de  platitude  et  de  nullité.  Mais  Paul  Meyer,  (|ui 
avait  comme  un  faible  pour  les  productions  obscures  et,  littérairement,  mal  famées 
comme  celles-là,  et  qui  avait  déchiffré  patiemment,  toute  sa  vie,  dans  les  très  nom- 
breux manuscrits  où  se  trouvent  ces  sortes  de  compositions,  à  partir  du  xni°  siècle, 
plus  d'homélies  que  n'en  avala  jamais  chanoine  ou  dévote  du  temps  passé,  savait 
qu'il  y  a  des  parcelles  d'or  dans  cet  amas.  Ou  plutôt  il  s'était  rendu  compte  que, 
ainsi  qu'il  l'a  dit  avec  son  ton  tranquille,  sans  emphase  aucune,  des  traductions  de 
«Vies  de  saints»  —  autre  partie  de  la  littérature  d'édification,  autre  objet  de  sa 
curiosité  scientifujue  — -  «  ces  écrits  peuvent  donner  lieu  à  des  conclusions  générales 
«  d'une  certaine  portée  ».  l\  avait  publié  par  avance,  notamment  dans  le  Bulletin  delà 
Société  des  anciens  textes  français,  les  notices  de  plusieurs  manuscrits  consacrés  aux 
écrits  de  cette  veine  ;  il  en  connaissait  davantage.  Il  est  certain  qu'un  exposé  générai 
de  lui  sur  une  matière  comme  celle-là,  à  peine  mentionnée  dans  les  tableaux  d'en- 
semble classiques  de  l'histoire  d<'  la  littérature  française  au  moyen  âge,  eût  été  en 
vérité  une  révélation. 

«  Dans  les  premiers  momens  où  un  auteur  forme  un  dessin  de  cette  nature, 
«  rien  ne  lui  coûte,  et  sa  propre  complaisance  lui  aplanit  tous  les  obstacles.  .  .  Mais 
«  combien  d'ouvrages  qui  n'ont  subsisté  que  dans  l'imagination  de  leurs  auteurs?  » 
Ainsi  s'exprime  dom  Filipe  Le  Cerf  de  La  Viéville  en  i  726,  à  propos  du  prospectus 
de  l'Histoire  littéraire  de  la  France,  que  dom  Rivet  venait  de  lancer'".  Paul  Meyer  se 
rendait  très  bien  compte  que  plusieurs  existences  ne  lui  auraient  pas  suffi  pour  venir 
à  bout  des  travaux  qu'il  avait  entrepris  ou  médités.  11  avait  d'ailleurs  d'autres 
choses  sur  les  bras  que  celles  dont  nous  avons  parlé  et,  avant  de  faiblir,  il  en  a  réalisé 
encore  beaucoup  :  signalons  notamment  la  recrudescence  de  sa  collaboration , 
de  189131 908 ,  aux  Notices  et  e.rtraiti  des  manuscrits  de  l'Académie  des  Inscriptions 
et  Belles-Lettres,  publication  rigoureusement  appropriée  à  ses  habitudes  et  à  ses 
goûts,  qu'il  considérait  avec  raison,  de  même  que  B.  Hauréau  l'avait  fait  longtemps  du 
Journal  des  Savants,  comme  une  sorte  d'auxiliaire  de  VHistoire  littéraire;  c'est  là  qu'il 
a  fait  paraître  quantité  d'additions  et  de  corrections  aux  parties  anciennes  et  vieillies 
de  noire  ouvrage,  dont  une  des  plus  importantes,  sur  les  Corrogationes  Pivmetliei 
d'Alexandre  Neckam  (t.  XXXV,  1897),  ^t^^*^^  ^^^  services  qu'il  aurait  rendus  à 
l'histoire  de  la  littérature  en  latin  du  moyen  âge,  s'il  avait  eu  le  temps  de  s'en 
occuper.  Cependant,  il  vieillissait.  On  ne  besogne  pas  impunément,  toute  sa  vie, 

'■'  D.  Filipe  I>e  Cerf  de  La  Viéville,  Diblio-  Congrégation  de  Sainl-Maiir  (La  Haye,  1726), 
tlièqae  historique  et  critique  des  auteurs  de  la         p.  4a8. 


NOTICE  SUR  PAUL  MEYER.  xxxv 

beaucoup  plus  des  huit  heures  par  jour  réglementaires  du  credo  social  de  nos  jours, 
avec  un  appétit  de  travail  perpétuellement  inassouvi.  Dès  1891,  il  avait  songé,  ainsi 
que  Gaston  Paris,  à  se  décharger  des  soins  matériels  que  la  direction  de  la  Romania 
leur  imposait  à  tous  deux  :  «  J'avais  entrepris  des  recherches  de  longue  haleine  que 
je  ne  terminerai  jamais,.  .  .  sans  parler  de  mes  occupations  ofTicielles'".  »  Il  ne  lui 
parut,  néanmoins,  possible  de  confier  à  d'autres  mains  le  sort  de  leui"  «  lille  »  qu'en 
1911.  Mais,  tlès  1  906,  il  avait  abandonné  sa  chaire  du  Collège  de  France,  pour  i»e 
garder  (|ue  la  direction  et  son  enseignement  de  l'Kcole  des  chartes,  les  moins  rému- 
nérées des  places  que  l'évidence  de  son  mérite  lui  avait  values  jadis,  sans  qu'il  en  eût 
jamais  sollicité  aucune.  Il  faiblissait  :«  Mes  forces  ont  beaucoup  diminué»  (1912). 
11  s'atténuait.  Des  jours  vinrent,  prématurément,  où  celle  lumineuse  intelligence  fut 
envaiiie  par  une  fatigue  incurable  et  sombra  enfin  dans  la  nuit. 

Paul  Meyer  a  siégé  pour  la  dernière  fois  à  la  Commission  de  V Histoire  littéraire 
le  3  mars  1916.  Il  n'est  mort  qu'un  an  et  demi  ajirès. 

Nous  passons  notre  temps  à  écrire  les  faits  et  gestes  de  personnages  qui  ont  disparu 
depuis  six  cents  ans,  après  avoir  recueilli  scrupuleusement  les  moindres  traits  qui 
laissent  entrevoir  ou  soupçonner  leur  manière  d'être.  Mais  nous  n'en  connaîtrons 
jamais  aucun,  par  les  témoignages  presque  toujours  indigents  dont  on  dispose;  à 
distance,  comme  nous  avons  connu  directement  Paul  Meyer.  Il  serait  donc  assez  sin- 
gulier de  prendre  une  dernière  fois  congé  de  ce  maître,  après  avoir  esquissé  son 
œuvre  scientifique,  sans  parler  de  l'homme  qu'il  était:  un  homme  d'une  sincérité 
absolue  (ce  qui,  comme  l'a  dit  un  humoriste  anglais  contemporain  que  l'on  interro- 
geait sur  son  secret,  est  la  meilleure  manière  «le  faire  des  plaisanteries,  et  aussi  de 
terrifier  les  gens);  qui  allectait  d'être  extraordinaircment  malicieux  et  qui  avait  des 
parties  de  candeur;  que  l'on  croyait  arrogant ,  et  qui  était  délicat,  modeste,  môme 
timide  ;  qui  paraissait  parfois  méchant,  et  qui  était  bon.  Une  sorte  de  pudeur,  (|u'il 
aurait  approuvée,  nous  interdit  pourtant  de  développer  ici  nos  souvenirs  et  nos 
sentiments  à  cet  égard.  Qu'il  suffise  de  dire  qu'il  a  e.\ercé  sur  nous,  qui  passâmes 
tous  successivement  sous  sa  férule,  en  même  temps  qu'une  grande  action  intellec- 
tuelle, un  autre  genre  d'influence  encore,  quasi  morale  :  f image  que  nous  gardons 
de  lui  est  incorporée  à  notre  idéal  de  l'érudit,  c'est-à-dire  que  cet  idéal  est,  dans 
une  large  mesure,  à  son  image. 

A.  T.  et  C.  L. 

'■'   Romania,  t.  XLI  (1912),  p.  2. 


HISTOIRE 

LITTÉRAIRE 

DE  LA  FRANCE. 


GUILLAUME   DURANT   LE   JEUNE, 
ÉVÈQUE  DE  MENDE. 


SA  VIE. 

Lt'  i^  oclobre  i3o4,  une  scène,  très  probablement  unique  dans 
les  fastes  de  l'histoire  ecclésiastique,  se  déroulait  à  Mende. 

L'évêque  réunit,  ce  jour-là,  les  chanoines  de  l'église  cathédrale 
et  quelques  autres  témoins;  devant  cette  assemblée  il  fait,  en  son 
nom  et  aussi,  dit-il,  au  nom  de  ses  successeurs,  une  déclaration 
solennelle  : 

Quoi  que  dans  le  présent  il  puisse  dire  ou  faire,  quoi  que  "dans  le 
passé  il  ait  dit  ou  fait,  quoi  que  dans  l'avenir  il  puisse  dire  ou 
faire  au  regard  de  tels  seigneurs  et  de  tels  chevaliers  (il  les  nomme 
tons),  quelque  désaccord  qu'il  puisse  y  avoir  entre  ses  paroles  ou 
ses  actes,  passés  ou  futurs,  le  prélat  atteste  qu'il  ne  remet,  ni  n'entend 
remettre  auxdits  seigneurs  et  chevaliers,  ou  à  l'un  d'eux,  l'injustice 
qu'ils  lui  ont  faite  à  lui-même,  et  en  sa  personne  à  l'église  de  Mende, 
ni  la  commise  de  tous  biens  qu'ils  ont  encourue  par  suite  du  complot 
ourdi,  cette  année  même,  contre  sa  personne  et  contre  ses  biens.  Il 
veut  que  ce  qu'il  vient  de  proclamer  soit  consigné  en  un  instrument 
officiel. 

C'est  ce  procès-verbal  même  dont  le  libellé,  aujourd'hui  encore 


HIST.    I.ITTER.   XXXV. 


3    * 


2  GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

vibrant,  ressemble  à  la  parole  sténographiée,  c'est  ce  procès-verjjal 
que  nous  avons  sous  les  yeux  '''. 

Celui  qui  le  fit  dresser  est  Guillaume  Durant  le  Jeune '^',  évêque 
de  Mende,  dont  nous  voudrions  dire  ici  la  vie  agitée  et  tourmentée, 
l'àme  ardente  et  passionnée;  ardeur  et  passion  unies,  comme  on  le 
verra,  au  génie  des  alTaires  et  à  l'instinct  de  la  diplomatie.  Guillaume 
a  abordé,  dans  son  œuvre  principale ,  le  De  modo  celebrandi  concilii,  des 
sujets  de  morale  très  variés;  on  ne  sera  pas  surpris  qu'il  ait  oublié  de 
dire  un  mot  du  pardon  des  injures. 

Nous  rencontrerons  bientôt  sur  notre  route  ces  conspirateurs  aux- 
quels l'évêque  vouait,  en  i3o4,  une  rancune  tenace;  cette  protes- 
tation à  toujours,  restée  inconnue  des  historiens,  nous  aidera  à  scru- 
ter la  situation  réciproque  du  prélat  et  des  barons,  nous  permettra 
peut-être  de  mieux  saisir  la  pensée  de  ce  haut  dignitaire  au  cours  des 
années  dilhciles  durant  lesquelles  il  prépara  l'acte  le  plus  important 
de  son  épiscopat,  le  pariage  de  iSo",  nous  permettra  enfiç  de  lire 
sans  embarras  ni  hésitation  certain  document  qui,  vers  la  fin  de  la  vie 


•''  11  Noveiint,elc.,quod  revcrendus  inChristo 
0  pater  doininus  G. ,  episcopus  Mimatensis  pre- 
11  dictus , existens  Mimate ,  in  capitule ,  in  prt'sen- 
11  tiu  canonicoruin  et  testium  infrascriptoruin 
Il  dixit  ol  protestatiis  fuil,  suo  et  successoruin  suo- 
11  ru  m  nomine,  quod  pnr  allqua  verba  vel  farta 
11  qu(>  lacial,  (lical,  habucrit,  liabeat  vel  habobil  in 
«  rului'uiii,  quecuraque  lueiint  illa  et  quantum- 
11  cumqiie  dissiniilia ,  cuin  nobilibus  viris  A. ,  do- 
«  luino  de  l'etra .  et  doniinis  Guig.  de  Senareto  , 
iiHug.  deOtieutiniaco,  inilitibus,  Hichardo  de 
11  Pelia  ,  n.  de  Mayreriis,  non  remittit  nec  lemit- 
II  tere  inlendit  eisdemvel  alicui  ipsoiuniinjuriam 
11  dotniiio  episcopo  et  ecclesie  Mimatensi  in  per- 
II  sona  sua  fartani,  nec  comniissionem  quorum- 
II  cunique  l)onorum  suoruin  lactain  et  contrac- 
11  tani  per  ipsos  vel  aliquos  eoiuindeui  occasione 
Il  et  ratione  conspirationis  facto  per  ipsos,  ut 
«  dicitur,  ipso  anno  contra  personam  ipsius  do- 
«  mini  episcopi  et  ejus  bona  vel  quacuuique  alia 
«  causa.  De  quibus  ipse  dominus  episcopus  petiit 
•  sibi  fieri  publicum  instrumentum.  Actum  Mi- 
11  mate,  in  capitule.  »  Suivent  les  noms  des  per- 
sonnes présentes  (Arch.  de  la  Lozère,  G  i55, 
fol.  I  ai  V*). 

'*'  Dans  le  livre  des  obits  de  l'église  de 
Mende,  composé  en  iSaS,  Guillaume  Durant 


le  Jeune  est  appelé  une  fois  Daranli  et  huit 
ou  neul  fois  Durant  nu  Daran  (Bibl.  de  la  ville 
de  Mende,  ms.  n°  3,  fol.  17,  3a  v",  49,  96, 
137  V"  et  169  v°).  Nous  dirons,  nous  aussi, 
Durant  et  non  Durant}  ;  la  forme  Duranli  d'ail- 
leurs était  usitée  couramment,  même  dans  les 
textes  en  langue  romane.  On  lit  dans  le  livre 
des  obits  :  «  R.  P.  en  D.  messire  Guillem  Du- 
«  ranti  second,  evesque  de  la  présent  gleysa.  » 
Ce  11  Guillem  "Duranti  second»  est  incontes- 
tablement celui  dont  nous  écrivons  la  vie; 
il  est  qualifié  ailleurs  Guillaume  IV,  comme 
nous  le  verrons  ci-après  ( p.  6),  mais  non  Guil- 
laume Durant  IV;  il  est  bien  le  second  Guil- 
laume Durant. 

Nous  citerons  souvent,  au  cours  de  cette  no- 
tice, les  Archives  départementales  de  la  Lozère. 
Les  documents  utilisés  plus  loin  n'ont  pas  tous 
été  transcrits  par  nous.  M.  Philippe,  ancien 
archiviste  de  la  Lozère,  qui  nous  a  si  heureu- 
sement secondés  au  moment  où  nous  faisions 
ces  recherches,  a  eu  l'extrême  obligeance  de 
transcrire  lui-même,  à  notre  intention,  tout  un 
lot  de  pièces  d  archives.  Nous  devons  beaucoup 
aussi  à  la  complaisance  éprouvée  de  son  suc- 
cesseur M.  linmel,  à  qui  nous  avons  eu  re- 
cours un  peu  plus  tard. 


EVEQUK  DE  MENDE.  —  SA  VIE.  3 

(le  Guillaume,  s'offrira  à  notre  examen  et  qui  resterait  en  partie 
énigmaticjue,  si  l'on  perdait  fie  vue  le  souvenir  des  querelles  de 
i3o3-i3o4'". 

Sans  plus  tarder,  nous  a])ordons  la  biographie  de  cet  homme  vin- 
dicatif. 

Il  était  le  neveu  du  fameux  Guillaume  Durant,  le  Specnlator,  lui 
aussi  évêque  de  Mende '-'.  Bien  des  auteurs,  notamment  Bossuet ''", 
l'ont  confondu  avec  son  oncle.  Confusion  qui  remonte  très  haut  : 
nous  en  constatons  couramment  l'existence  dès  le  xv*  siècle I'*'. 

La  famille  des  Durant  est  originaire  de  Puimisson'^',  au  diocèse  de 
Béziers.  Du  père  et  de  la  mère  de  noire  Guillaume,  nous  ne  savons 
rien;  mais  nous  lui  connaissons  de  nombreux  parents.  C'est  ainsi 
que  nous  pouvons  citer  quatre  frères  de  Guillaume  Durant  le  Jeune, 
à  savoir:  Pierre'*'',  sans  doute  l'aîné  de  la  famille,  en  tout  cas  le  seul 
qui  ne  soit  pas  entré  dans  les  ordres,  et  qui  demeura  à  Puimisson; 
Bernard  on  Bertrand*^',  chanoine  d'Agde  et  de  Mende;  Pons***',  cha- 
noine de  Mende  et  de  Mirepoix;  Guillaume,  chanoine  régulier,  qui, 
ayant  appartenu  de   i3o6  à   i  3  18  au  monastère  de  Cassan,  du  dio- 


'"'  Nous  faisons  allusion  à  une  lellii'  de 
Charles  le  Bel,  analysée  ci-ajirès,  p.  ij  :  le  roi 
y  exprime  le  désir  d'apaiser  rancœurs  el  dis- 
cords;  il  fait  é\idemnient  allusion  aux  luttes 
tenaces  de  Gnillaunie  el  de  la  famille  des  de 
Peyre. 

''I  Hift.  lin.  (le  la  France,    t.   XX,  |).   'n  i- 

497- 

'''  Bossuet,  Défense  de  la  Déclaration  de 
l'Assemblée  générale  du,  clergé  de  France  de 
1682,  Dissertation  préliminaire,  S  l  (Ams- 
terdam, 1745),  t.  I,  p.  63. 

'**  Voyez  la  manière  dont  est  désigné  l'au- 
teur du  De  modo  celebrandi  coHci/ii  dans  le  ms. 
168  de  l'hôpital  Saint-Nicolas  de  Cues,  dans 
le  ms.  1687  de  la  Mazarine,  dans  les  mss.  786 
de  Troyes  et  Sao  de  Tours.  Il  est  qualifié  Spe- 
cnlator. ce  que  les  copistes  ahrègenl  ordinai- 
rement par  les  lettres  Spc. 

'*'  Et  non  de  Puimoisson,  Basses- Alpes, 
comme  l'ont  prétendu  d'anciens  historiens 
provençaux.  Cf.  J.  Maurel,  Histoire  de  la  com- 
mune de  Puimoisson  etde  la  commandcrie  des  che- 
valiers de  Malte  [9&T\i,  1897), p.  ga.  L'épilaphe 
du  Speculator  ne  laisse  aucun  doute  sur  ce 
point  [Hist.  litt.  de  la  France,  t.  XX,  p.  /i3i). 


'''  Il  est  nommé  en  i3i3  dans  l'acte  de 
fondation,  à  la  cathédrale  de  Mende,  d'une 
chapellenie  qui  devint  ensuite  le  collège  des 
prêtres  de  la  Toussaint;  cette  fondation  fut 
faite  en  exécution  des  dernières  volontés  du 
Speculator.  En  i3i8,  avec  ses  frères,  Pierre 
Durant  exerce  le  droit  de  présentation  qui 
leur  appartient  pour  une  place  au  collège  de 
Toussainis.  Cl.  Arch.  de  la  Lozère,  G  1880, 
338i  et  a385  [Inventaire,  t.  II,  p.  91,  2o3  et 
aO(4). 

'''  MoUat,  Jean  XXII,  Lettres  communes, 
n"  65^5,  6526  et  6601.  Dans  ces  actes  le 
frère  de  l'évêque  est  appelé  Bernard;  c'est 
sûrement  le  même  personnage  qui  est 
appelé  Bertrand  dans  ['Inventaire  des  Ar- 
chives de  la  Lozère,  p.  2o4,  cité  à  la  note 
précédente. 

w  Mollat,  n"  6652,  66i3  et  661 5. Suivant 
F.  André,  Bertrand  et  Pons  seraient,  non  frères, 
mais  neveux  de  Guillaume;  voir  F.  André, 
Les  évéques  de  Mende  pendant  le  xiv'  siècle,  dans 
Bulletin  de  la  Société  d'agriculture  de  la  Lozère 
(1871),  t.  XXII,  2*  partie,  page  3a.  C'est  là, 
croyons-nous,  une  erreur,  peut-être  une  simple 
distraction. 


4  GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

cèse  (le  Béziers,  devint  en  i3i8  membre  du  chapitre  calliédral  de 
Pamiers,  soumis  à  la  règle  de  saint  Augustin'"'. 

Les  dignitaires  ecclésiastiques  ne  sont  pas  moins  nombreux  parmi 
les  neveux  et  les  cousins  de  l'évèque  de  Mende.  Un  neveu,  qui  portail 
le  même  nom  que  lui,  Guillaume,  était  dès  i3o6  pourvu  d(^  la  cure 
d'Esclanèdes,  au  diocèse  de  Mende,  et  d'un  canonical  à  l'église  cathé- 
drale de  cette  ville'^'.  Ce  personnage  s'était  consacré  aux  études  juri- 
diques; pour  s'y  livrer  à  loisir,  il  obtint  du  pape  Clément  V,  en 
i3i  1,  l'autorisation  de  garder  pendant  cinq  ans  sa  cure,  sans  être 
tenu  de  se  faire  promouvoir  à  la  prêtrise *'''.  A  cette  époque,  l'ancien 
étudiant  était  devenu  un  maître;  c'est  lui  vraisemblablement  qui 
accompagna  son  oncle  au  concile  de  Vienne*'"'.  Nous  savons  qu'il  ensei- 
gna le  droit  romain  et  le  droit  canonique  à  Toulouse,  et  aussi  à  Lerida, 
où  il  résidait  en  i  3  1 5  ;  au  cours  de  cette  année,  son  oncle  l'évèque  le 
recommanda  instamment  au  roi  Jacques  II  d'Aragon**'.  C'est  sans 
doute  le  même  Guillaume  que  nous  retrouvons,  en  i  3  1 8  et  en  i  3 20, 
à  Bénévent,  où  il  exerce  les  fonctions  de  trésorier  pontifical,  «;ii 
même  temps  qu'il  possède  la  cure  de  Briols,  au  diocèse  de  Vabres'". 
En  i3i6,  Jean  XXII  conféra  à  un  autre  neveu  de  l'évèque,  Raymond 
Blanc,  l'expectative  d'un  bénéfice  à  la  collation  des  chanoines 
réguliers  de  Maguelone'^'.  En  outre  des  témoignages  certains  attes- 
tent que  cinq  au  moins  des  cousins  de  Guillaume  Durant  appar- 
tenaient aussi  au  clergé  :  Etienne  Bedotii ,  chanoine  et  vicaire 
général    de   Mende   en   décembre    i32  2   '^';   Guillaume  Carrerie  de 

'"'   Reg.  Clein.   V,  ann.  I.  p.  247,  n°   1847;  Die  Einnalimen  dcr  apostotischen  knintiier  untei 

MoHat,  II"  f)r)29  et  G53i .  Johann    XXII    (Padorborn,    igog),   p.    293. 

'*'  Reg.  Clcm.   V,  ann.   I,  p.  232,  n°  ia46.  Il  résulte  de  ces  textes  que  Guillaume  n'était 

'''  Ibid.,  ann.  VI,  p.  208,  n°  7018,   texte  plus  à  cette  époque  curé  d'Esclanèdes.  Un  do- 

clté    par   Gatien-Arnoult    (Ménioiics  de  l'Ara-  cument  conservé   aux    Archives  di^  la   Lozère 

détitie  des  fcienrcs...  de  Toulouse,  S'  série,  t.  I,  (G    1870)    est    ainsi    résumé   par   V Inventaire 

p.    12,  note  16),  mais  attribue  par  lui  à  Guil-  (t.  II,  p.  qo)   :    «Union    de   la    cure    d'Escla- 

laume,  évêque  de  Mende.  Il  résulte  de  la  lettre  nèdes  à  la  uiense  eniscopale;    cette    cure   est 

de  Clément  V  que  Guillaume;,  le  neveu,  était  vacante   par    la   mort    de   (luillaume    Durant. 

diacre  en  i3i  1.  neveu  de  l'évèque    dernier  titulaire.»  La  cure 

'*'   Jbid. ,  ann.  Vil,  p.  278,  n°  8719.  d'Rsclanèdes  fut  sans  doute  vacante  et  unie  à 

'''   Voirie  document  publié  dans  le  Moyen-  la  mensc  épiscopale;    mais  nous   doutons  que 

A(je,  2'  série,  t.  XIX  (igiti),  p.  354-355,  par  la  vacance  ait  eu  pour  cause  la  mort  de  (îuil 

M.  F.  Valls  Taberner,  archiviste  aux  Archives  laume  Durant. 

de  la  Couroime  d'Aragon.  '''  Mollat,n°  i;')G8. 

'•'   Davidsohn,  Forsrhungen   zur    Gesrhichte  '*'   /6itf. ,  n°  Gf)  !4;  Bibl.  nat. ,  ms.  l'r.  2o88r' . 

von  l'iorenz,  t.  III,  p.  i4o,  n"  707;  GôHer,  n°  90. 


FAEQDE  DE  MENDE.  —  SA  VIE.  5 

Bassaii,  curé  de  Notre-Dame  de  la  Val,  au  diocèse  de  Mende,  qui, 
n'ayant  pu  entrer  en  possession  de  l'archidiaconé  d'Armagh,  en  Ir- 
lande, à  lui  attribué,  eu  i3o8,par  Clément  V  ''',  dut  s'estimer  heureux 
d'obtenir, en  i3iG,deson  successeur  l'expectative  d'une  prébende  au 
chapitre  de  Mende*^';  Raymond  André  de  Bassan,  moine  bénédictin 
à  Saint-Victor  de  Marseille,  et  Guillaume  d' Aiguesvives,  moine  béné- 
dictin du  monastère  de  Saint-Tibéri,  au  diocèse  d'Agde,  qui,  l'un 
en  i3iG,  l'autre  en  i3i8,  furent  gratifiés  par  Jean  XXII  de  l'expec- 
tative d'un  bénéfice  régulier'"'';  enfin  Pierre  Rainaud,  curé  de  Cha- 
denel,  au  diocèse  de  Mende,  qui,  en  i3i8,  reçut  du  même  pontife 
l'expectative  d'une  prébende  au  chapitre  de  Castelnaudari''''.  Toutes 
ces  grâces,  les  lettres  de  Jean  XXII  nous  fattestent'^',  avaient  été  ac- 
cordées en  considération  de  l'évêque  de  Mende,  excellent  parent, 
dont  la  haute  fortune  fut  ainsi  forigine  des  nombreuses  faveurs  qui 
se  réj)andirent  sur  les  membres  de  sa  famille. 

Des  premières  années  de  Guillaume  nous  n'avons  à  peu  près  rien 
appris.  Un  érudit,  Gatien-Arnoult,  le  croit  docteur  en  droit  et  profes- 
seur à  riJniversité  de  Toulouse;  mais  il  le  confond  évidemment  avec 
le  neveu  dont  nous  avons  parlé  '*"'. 

Guillaume  était,  en  1296,  archidiacre  de  féglise  de  Mende.  Le 
Speculator  mourut  à  Rome  cette  année-là ,  vacance  en  cour  de  Rome 
qui  ouvrait  la  voie  à  une  provision  directe  par  le  pape.  Le  neveu  de 
l'évêque  décédé,  notre  Guillaume,  non  encore  promu  aux  ordres  sacrés 
et  n'ayant  peut-être  pas  1  âge  requis  pour  la  dignité  épiscopale  <'^  fut 
nommé  par  Boniface  VIII,  qui  le  releva  en  même  temps  de  toute 
irrégularité  (17  décembre  1296)'*'.  La  nomination  du  nouvel  évêque 

'"'   Reg.  Clem.   K,  ann.  III.p.  191,  n°  30/17.  '*'   GaWa  christ. J.\  Joe. cil. CeslCAimrnlW 
'''   Mollat,  n°  1571.                             .  qui    transforma    en     régie    canonique    l'usafje 
'''   Ihitl.,  n"  1667  et  653 1.  assez    fréquent   des   collations   directes    par  le 
''   Ibid. ,  n°  ()6o3.  pape  en  cas  de    vacance   in  caria  (Sexte,  III, 
'''   Pour  s'en  convaincre,  il  sulTit  de  se  re-  iv.   De  praeb.,  a).  La    constitution  qu'il    pro- 
porter  aux    sommaires   des    lettres   précitées,  mulf;^a   à   ce  sujet   souleva  de   vives  protesta- 
qui  accordent  des  bénéfices  aux   parents  de  lions   (P.    Viollet,    Hist.    des     instit.  polit,    et 
Guillaume  et  les  dispensent  souvent  de  l'obser-  administr.  de  la  France,  t.  II,  p.  33i  ).  Au  con- 
vation  de  la  loi  canonique   prohibant   la  plu-  cile  de  Lyon,   on  obtint  de  Grégoire    X  une 
ralité  des  bénéGres.  atténuation    à    la    décrétale     de    Clément     IV 
'*'  Voir  ci-dessus,  p.  4,  note  3.  (Sexte,  ibid..  c.  3),  atténuation  que  le  Specii- 
'''   Le  pape,  du  moins,  l'a  entendu  dire:  ut  lalor,  dans  un  commentaire  sur  le  concile  de 
asseritur  (Gallia christ. ,  t.  I,  lnsti'uin.,col.  26).  Lyon,  déclare  plus  apparente,  plus  verbale  que 
Nous  ne  sommes  pas  mieux  renseignés  à  cet  réelle    (Gôlier,    Zar    Geschichte    des    zmeiten 
que  Boniface  VIII.  Lyoner  Konzilt  and  des  Liber  Sexlus ,  dans  Rôm. 


6  GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

fut  notifiée,  par  cinq  bulles  distinctes,  au  chapitre,  au  clergé  et  au 
peuple  du  diocèse,  aux  vassaux  de  l'évêque,  au  roi  de  France''*.  Ce 
Guillaume  fut  souvent  considéré  comme  le  quatrième  évêque  de 
ce  nom.  Il  était  alors  qualifié  Guillaume  IV,  bien  qu'il  fût  en  réalité 
le  sixième  Guillaume'^'. 

Nous  rencontrons  en  1297  une  formalité  très  intéressante  :  la  jiro- 
messe  réciproque  de  l'évêque  et  des  chanoines,  promesse,  faite  sur 
les  saints  Evangiles,  de  respecter  les  libertés,  coutumes  et  statuts  de 
féglise  de  Mende'"''.  Pareilles  précautions  sont  révélatrices;  elles  suf- 
fisent à  nous  faire  entendre  que  l'évêque  et  le  chapitre  ne  vivaient  pas 
toujours  en  parfaite  intelligence.  Trois  ans  plus  tard,  en  i3oo,  les 
deux  parties  convinrent  d'une  transaction  tendant  à  faire  disparaître 
tout  sujet  de  discorde  ''''. 

En  la  même  année  1  297,  notre  jeune  prélat,  dont  l'esprit  vindicatif 
se  révélait  ainsi  dès  le  premier  jour,  décida, entre  autres  choses,  avec 
l'assentiment  du  chapitre,  qu'aucun  parent  (jusqu'au  troisième  degré) 
de  quiconque  aurait  lésé  l'église  de  Mende  ne  pourrait  désormais  être 
])romu  chanoine''''.  Douze  ou  treize  ans  plus  tard,  dans  le  De  modo 
celchrandi  concilii,  Guillaume  reviendra  sur  cette  conception,  qui  lui  est 
chère,  et  proposera  d'en  faire  une  loi  de  l'Eglise  universelle''''. 

Quartnhclii ijt,  l.  W,  \Qo6,  Geschichle,  p.  84-  surtout    une   lettre  du    18  octobre   1 338,  que 

85).  «  nous  croyons  rédigée  par  Guillaume  lui-même 

''I  Digard,   Faucon,    Thomas,    Registres    de  [ihid. ,  G  àSi). 
Boniface  VIII ,  n°  1^02.  '''   «  Et  incoiitinenti  idem  dominus  episcopus 

'*'  Les  auteurs  de  la  Gallia  chrislinna  aanrent  •  eorum  singulos  ad  osculum  pacis  admisit  et 
avoir  vu  un  acte  où  il  est  qualifié  Guillaume  VI  trecepito  (Arch.  de  la  Loz.ère,  G  633). 
{Gallia  christ.,  t.  1,  col.  96).  Les  cinq  Guil-  '*'  Ch.  Porée,  Le  consulat  et  l'administration 
laumc  antérieurs  sont:  Guillaume  de  Peyre  au  manicipale  de  Mende  (Paris,  1903),  p.  r>7-64. 
X'  siècle,  un  autre  Guillaume  au  xi'  siècle,  en-  A  noter  aussi  une  curieuse  lettre  de  l'évêque  à 
core  deux  Guillaume  de  Peyre  au  xil*  et  ou  xiii'  l'occasion  de  la  nomination  d'un  nouveau  pré- 
siècle,  enfin  Guillaume  Durant,  dit  le  Specu-  chantre  et  la  réplique  du  chapitre  (.\rch.  de 
lator ,  au  xiiT  siècle.  Mais,  au  temps  qui  nous  la  Lozère,  G  639). 

occupe,  on  oubliait  souvent  les  deux  plus  an-  '*'   Gallia  christ.,  t.  I,  col.  96-96.  Ce  statut 

ciens  Guillaume:  on  commençait  la  série  des  fut  confirmé  par  Boniface  VIII  le  35  décembre 

Guillaume  avec  Guillaume  de  Peyre  ou  de  Châ-  1Z02  {Registres  de  Boniface   VIII,  n°  4985). 

teauneuf,  mort  en  1  i5o,  et  on  qualifiait  volon-  La     confirmation     est     accompagnée     de     ce 

tiers  Guillaume  11  Guillaume  de  Peyre ,  mort  correctif    :    à    moins    que    le    tort    n'ait    été 

en  13  33  [Mémoire  relatif  an  pare'aqe  de  1301,  réparé.   Nous  ajouterons   que  ce  statut,   dont 

éd.    Maisonobe.    Mende,    1896,    p.  7).  Quant  nous    n'avons   pas    le    texte    primitif,    pouvait 

à  la  qualification  de  Guillaume  IV  appliquée  à  fort    bien    contenir    originairement    la    même 

notre   Guillaume,  voir  notamment  une  trans-  clause. 

action    de    i333,   un   vidimas  de   ladite  pièce  '"'    Cf.    De     modo    celebrandi    concilii,     III, 

daté  de  1337  (Arch.  de  la  Lozère,  G  124)  et  35. 


KVEQUE  DE  MENDE.  —  SA  VIE.  7 

Une  des  premières  préoccupations  du  nouvel  évêque  fut  d'obtenir 
du  saint-siège  le  droit  de  tester;  cette  faveur  lui  fut  accordée  le 
3o  avril  1297  '"'.  Le  29  juillet  suivant,  une  autre  bulle  pontificale 
le  dispensait  de  la  visite  ad  limina,  qui  devait  être  renouvelée  tous 
les  deux  ans  '^'. 

Ce  n'est  pas  sur  Rome,  c'est  sur  Paris  que  le  prélat  se  devait  pronip- 
teinent  diriger.  En  novembre,  il  se  dispose  à  partir  pour  cette  ville, 
afin  de  prêter  serment  de  fidélité  au  roi.  L'année  suivante,  ses 
nombreux  vassaux  lui  prêteront  à  lui-même  serment  de  foi  et  hom- 


mage '■". 


Un  seigneur  féodal  qui  prend  possession  de  son  domaine  doit 
surveiller  de  près  ses  intérêts.  Ainsi  l'hommage  pur  et  sinij^le  ne  serait 
pas  toujours  considéré  comme  une  formalité  snlllsante.  Pour  certains 
châteaux  dits  "jurables  et  rendables»,  il  est  sage  de  se  conformer  à 
un  usage  qui  souligne  les  droits  du  suzerain. 

C'est  ce  qui  eut  lieu  en  1  299  au  regard  du  château  de  Cénaret,  le- 
quel ,  pour  un  quart,  relevait  de  l'évêque.  Tout  d'abord ,  ce  fief  «  ren- 
dable  »  devant  ce  jour-là  être  «rendu»,  tous  les  hommes  du  vassal, 
pour  quelques  instants,  vidèrent  les  lieux;  après  quoi, le  drapeau  de 
saint  Privât  fut  arboré  sur  le  château.  Un  des  hommes  de  l'évêque 
quatre  fois  sonna  de  la  trompette.  Le  même  jeta  à  pleins  poumons,  à 
trois  t^t  quatre  reprises,  le  cri  qui,  avec  le  drapeau  déployé,  proclame 
et  résume  cette  prise  de  possession  :  Saint  Privât , peu  Mossenlior  levés- 
que  de  Mende!  Saint  Privât!  Dieus  0  vol^'^K  —  Le  majus  dominiuin  de 
l'évêque  sur  le  quart  de  la  baronnie  de  Cénaret  était  dès  lors  assuré , 
et  le  caractère  tout  spécial  de  ce  fief  rendable  rituellement  reconnu  et 
alïirmé.  Tous  les  hommes  du  vassal  purent  aussitôt  rentrer  dans  le 
château. 

L'entrée  en  jouissance  du  domaine  éminenl  de  févêque  sur  la 
baronnie  de  Florac  fut  plus  laborieuse  et  moins  complète.  Guillaume 
rencontra  là  un  obstacle  sérieux,  qu'il  ne  leva  peut-être  qu'imparfai- 
tement. 


'"'   Registres    de    Boniface    VIII ,    n°    1921;  présence  à  Mende  de  l'évêque  Guillaume  n  est 

Arch.de  la  Lozère,  G  44.  pas  mentionnée.  Elle  est  attestée  dans  une  pres- 

'''   Registres  de  Boniface  V/7/,  n°2i3i.  tation  d'hommage  datée  du  3  septembre  (l'fcirf., 

'''  Arch.  de  la  Lozère,  G  87,  89,  91.  Lors  G  laS,  pièce  n"  19). 
de  ces  hommages,  qui  sont  de  juin  et  juillet,  la  '*'  Arch.   de  la   Lozère,  G   87. 


8  GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

En  1299,  tous  les  châteaux  de  cette  baronnie,  appartenant  à  un 
groupe  de  parents,  parmi  lesfjuels  les  deux  fils  et  héritiers  (dont 
un  mineur)  de  feu  Isabelle,  dame  de  Montlaur  et  de  Florac,  étaient 
sous  la  sauvegarde  et  protection  du  roi,  représenté  par  le  viguier 
d'Anduze.  Celui-ci  y  avait  établi  des  gardes.  L'évêque  se  déclarait 
prêt  à  se  substituer  au  roi  et  à  assurer  l'ordre  et  la  paix  dans  ces 
domaines;  ce  qui  serait,  assurait-il,  conforme  aux  précédents.  Mais 
se  débarrasser  du  roi  sans  en  demander  la  permission  au  roi,  qui 
l'oserait.^  L'évêque  s'adressa  à  Philippe  le  Bel.  Celui-ci  prescrivit  une 
enquête  dont  le  résultat  paraît  avoir  été  très  favorable  à  l'évêque. 
Ce  qui  lui  fut  sans  doute  un  secours  plus  puissant,  c'est  l'inter- 
vention de  Guillaume  de  Nogaret.  Nogaret,  en  effet,  rédigea  lui-même 
les  résolutions  prises  sur  les  requêtes  du  prélat'".  Avons-nous  ici 
la  preuve  des  bonnes  relations  personnelles  qui  auraient  uni 
l'évêque  de  Mende,  énergique  défenseur  des  droits  de  l'Eglise,  mais 
critique  inlassable  de  la  cour  de  Rome,  et  Guillaume  de  Nogaret, 
avocat  de  l'Etat  contre  l'Eglise,  grossier  contempteur  de  Boni- 
face  VIll?  Serait-il  dès  lors  permis,  en  d'autres  circonstances,  de 
soupçonner  dans  l'ombre  la  présence  de  cet  ami,  qui  ne  se  laisse 
point  apercevoir.^ 

Ij'alïaire  de  la  baronnie  de  Florac  ne  fut  pourtant  pas  clairement 
résolue.  Ee  viguier  d'Anduze  se  confondit  en  bonnes  paroles,  mais 
montra  beaucoup  d'obstination.  Ea  famille,  de  son  côté,  était  fort  peu 
empressée  à  déférer  aux  sommations  de  l'évêque,  et,  sans  une  re- 
connaissance des  droits  épiscopaux,  arrachée  enfin,  la  sépulture  reli- 
gieuse eût  été  refusée  à  Isabelle,  dame  de  Montlaur  et  de  Florac.  Ea 
paix  obtenue  (octobre  1299)  fut,  semble-t-il,  une  paix  contrainte  et 
mal  assurée,  une  manière  de  paix  armée '^'. 

Ee  voyage  à  Paris,  que  l'évêque  annonçait  à  la  fin  de  l'année  1  297, 
.sera  souvent  répété,  sans  préjudice  d'autres  absences  extrêmement 

'■'    «Item,  quedam  arresta  facla  in  Francis  «  teni,  legiim  professorem,  consiliariunidomini 

..super    petilionibus     in     parlamento    hiemali  ..  régis  ;  quarum  quidem  requeslarum  et  arres- 

I.  proxinip  pioterito  per  dictuiii  dominuni   ppi-  »  lorum    ténor   tnlis  est.  •  La  suite  du  texte  ne 

»  scopuin  ledditis,  quorum  quidem  arrestorum  permet  pas  de  dégager  les  arresla  qui  seraient 

..et   litlerarum  dixit  copiam   habere  niagister  l'œuvre  de  Guillaume  de    Nogaret  (Arch.  de 

..Hugo,  proniralnr  regius  in  senescallia  Boili-  la   F.ozère,  G  i.S5,fol.  ioI)elsuiv.) 
«cadri,    qui     prcdicti»     arreslationibus     [sic)  '"   Ibid.,  fol.    lod  et  suiv.   La   (]ucslion   di- 

•  inlerfuit.  Et  dicta  arresta  scripla  fuenmt  per  Florac  est  longuement  traitée  dans  le  Mémoire 

«  nobilem  vinundominumG.  de  iNogarelo,  mili-  relatif  an  paréage  de  iSOl ,  p.  338-397. 


EVEQUE  DE  MENDE.  —  SA  VIE.  9 

fréquentes,  car  la  loi  de  la  résidence  ne  paraît  pas  avoir  préoccupé 
Guillaume  Durant.  Il  eut  même  à  Paris  et  aux  portes  de  Paris 
deux  habitations  :  à  Paris  l'hôtel  de  la  Calandre'"',  et  un  manoir  à 
Argenteuil'^*. 

En  1 297,  l'évéque  part  pour  Paris,  non  seulement  en  vue  de  prêter 
serment  au  roi  et  de  plaider  la  cause  des  sujets  de  l'église  de  Mende, 
auxquels  on  veut  imposer  de  lourdes  contributions,  mais  encore  pour 
suivre  activement  un  ancien  et  très  important  litige  qui,  depuis 
près  de  trente  ans,  divise  le  roi  et  l'évéque  de  Mende'^',  litige  sur  lequel 
nous  reviendrons  plus  loin.  De  ce  fait,  des  dépenses  considérables 
sont  à  prévoir.  Mais  la  mense  épiscopale  est  insuffisante  et  le  prélat 
a  besoin  de  ressources  extraordinaires.  Les  chanoines,  les  curés  et 
les  chapelains  sont  informés  de  la  situation  et  saisis,  comme  nous 
dirions,  d'une  demande  de  crédit.  D'accord  avec  son  clergé,  Guil- 
laume décide  (novembre  1297)  que  tous  les  curés  en  mesure  de  faire 
ce  sacrifice  remettront  chaque  année  à  l'évéque  la  somme  de 
60  sous  tournois  tant  que  la  grande  affaire  en  question  le  retien- 
dra hors  du  diocèse.  Les  recteurs  hors  d'état  de  fournir  pareille 
subvention  donneront  ce  qu'ils  pourront,  eu  égard  à  leurs  revenus. 
Enfin,  durant  six  ans,  l'évéque  jouira  desannates  de  tous  les  bénéfices 
qui  viendront  à  vaquer  dans  le  diocèse  '**'. 

Les  affaires  courantes  sont  d'ordinaire  les  plus  urgentes.  Ce  sont 
celles  auxquelles  le  prélat  donne,  en  effet,  pour  commencer,  tous  ses 
soins;  nous  voulons  parler  des  subsides  réclamés  par  le  roi.  Dès  le 
12  février  1  298,  Philippe  le  Bel,  saisi  par  Guillaume  Durant,  résout 
une  question  délicate  relative  à  la  perception  des  subsides,  question 
qui  intéresse  en  même  temps  les  rapports  de  l'évéque  avec  le  roi  et 
avec  certains  grands  vassaux  :  sur  les  terres  où  l'évéque  possède  haute 
et  basse  justice,  lui  seul,  et  non  certains  seigneurs  qui,  tout  récem- 
ment, ont  usurpé  ce  rôle,  lui  seul,  déclare  le  roi,  doit  percevoir 

*''  Voir  Dotainiiient    Arch.  de    la   Lozère,  Paris  qu'il  qualifie  «  tiers  quartier»   (Lebeiif, 

G  72  (acte  du  25  décembre  i3i5);G7i  (acte  Histoire    de   la   ville  et    de    tout    le  diocèse   de 

du3mai  i323);G48i  (lettredei328);G72  Paris,  Paris,    i883,  t.    I,   p.  178,275,  317 

(acte  du  3ojuin  1329).  La  rue  de  la  Calandre  et  376). 

appartenait  presque  tout  entière  au  territoire  *''  Lettres  de  i3i5,   de   i32i   et  de    i32a 

de  Saint-Germain-le-Vieux  ;  elle  donnait  sur  la  (Arrh.  de  la  Lozère,  G  3o,  33,  la/i  et  639). 
rue  delà  Barillcrie  etsur  la  rue  de  laSavaterie,  '^'  Ci'.  Mémoire  relatif  aa  paréage  de   1307, 

plus  tard  appelée  rue  Saint-Eloi.    Un  manu-  p.  3-2 1;  Porée,  p.  xvi. 
scrit  du  xv'  siècle  la  classe  dans  le  quartier  de  '*'  Arch.  de  la  Lozère,  G  33. 

IIIST.   I.ITTKR.   XXXV.  2 


10  GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

les  subsides  accordés  au  roi;  le  sénéchal  de  Carcassonne  fera  exé- 
cuter cet  ordre''*.  Le  28  avril  suivant,  l'affaire  des  subsides  se 
représente  sous  une  autre  forme;  c'est  cette  fois  une  lettre  de  non- 
préjudice  :  le  roi  affirme  n'avoir  jamais  eu  l'intention,  en  exigeant  de 
l'évêque  certains  subsides,  de  porter  atteinte  aux  privilèges  et  libertés 
de  l'évêque  et  de  l'église  de  Mende'^'.  Le  1"  août  1 298,  Philippe  le  Bel 
aborde  la  question  des  annates,  pierre  d'achoppement  entre  l'évêque 
et  le  roi;  pierre  d'achoppement,  car  le  prince,  lui  aussi,  a  songé  à  ce 
moyen  de  se  procurer  de  l'argent,  et  il  a  obtenu  du  pape  la  faveur 
de  jouir,  pendant  la  durée  de  la  guerre,  des  annates  des  bénéfices 
vacants  en  France.  Les  intérêts  des  deux  parties  sont  donc  en  condit. 
Le  roi  consent  à  tenir  compte  des  décisions  régulières  [ordinatlo  légi- 
time facta)  qui  ont  pu  être  prises  en  faveur  de  l'évêque  avant  la 
concession  octroyée  par  le  pape. 

Nous  soupçonnons  qu'on  a  mal  renseigné  le  roi  sur  la  date  de  la 
convention  faite  avec  le  clergé  gévaudanais;  on  a  dû  lui  dire  qu'elle 
était  très  antérieure  à  la  concession  octroyée  par  le  pape  [dm  ante 
gratiam  de  annatil>us)^^\  Mais  le  roi  a  quelque  sou])qon.  Il  parle  avec 
intention  (ïordinatio  légitime Jacta,  réservant  par  là  cette  question  : 
une  décision  qui  aurait  été  prise  par  l'évêque  et  son  clergé  en 
novembre  1297,  en  opposition  avec  la  concession  du  souverain  ])on- 
tife  au  roi,  laquelle  est  du  8  août  1297'''',  ne  sérail  pas  régulière; 
^elle  ne  saurait  être  considérée  comme  légitime  Jacta. 

Pour  le  moment,  le  roi  partage  inégalement  le  gâteau  :  il  aban- 
donne à  l'évêque  le  quart  des  revenus  pendant  deux  ans.  Quant  à 
la  suite  de  cette  affaire,  nous  savons  seulement  qu'en  l'an  i3oo 
Philippe  le  Bel  percevait  les  annates  en  Gévaudan  '^';  plus  tard 
l'évêque  semble  les  percevoir  sans  contestation ,  ainsi  qu'il  résulte  de 
ses  lettres  de  iSog  et  i3i5. 

Guillaume  ne  perd  pas  de  vue  toute  une  catégorie  d'affaires  qui 
concernent  soit  les  droits  de  l'église  de  Mende  au  regard  du  roi,  soit 
les  prétentions  opposées  de  l'aristocratie  gévaudanaise  et  de  l'évêque. 

'''  Roiicaute  et  Sache,  Lettres  de  Philippe  le  sont  en  dehors  de  la  concession  faite  au  roi. 

Bel  relatives  au  pays  de  Gévaudan.  p.  lo.n'vi.  Voir  Jusseiin,   Etude  sur  les  impôts  royaux  en 

'''  Ibid.,   p.  la,  n°  vu.  France  sous  le  règne  de  Philippe  le  Bel  et  de  ses 

'''   Ihid.,  p.  li,  n°  IX.  fils  ;   mémoire   manuscrit,  couronné  par  l'Aca- 

'''   Registres  de  Boniface  VIII.  n"  2367.  Les  demie  des  Inscriptions  en  1914. 

archevêchés,  évêchés,  monastères  et  abbayes  '*'  Roucaute  et  Sache,  p.  20-31,  u"  xi. 


ÉVKQUE  DE  MENDE.  —  SA  VIE.  11 

Le  tout  sera,  dans  quelques  années,  réglé  directement  ou  indirec- 
tement par  un  arrangement  solennel  dit  pariage,  ou  association  entre 
le  roi  de  France  et  levêque  de  Mende.  Pour  l'instant,  certaines  dif- 
ficultés sont  résolues.  Le  28  avril  1298,  Philippe  le  Bel  ordonne 
au  sénéchal  de  Beaucaire  de  veiller  à  ce  que  levêque  soit  remis  en 
possession  de  certains  biens  et  droits  usurpés  par  plusieurs  barons 
du  Gévaudan'''.  Le  1"  décembre  suivant,  le  roi  invite  le  même 
sénéchal  à  faire  une  enquête  sur  les  droits  de  levêque,  qui  paraissent 
avoir  été  violés  par  cet  officier,  parce  que,  sans  le  consentement 
de  l'évêque,  il  a  exigé  du  seigneur  de  Randon  un  droit  d'amortisse- 
ment pour  des  manses  qui  seraient  mouvants  de  l'évêque*"-'.  Le 
24  février  i3oo,  le  roi  prescrit  à  ses  olhciers  de  ne  porter  aucune 
atteinte  à  la  juridiction  spirituelle  ou  temporelle  de  l'évêque  de 
Mende,  de  n'exiger  aucune  subvention  des  clercs  —  mariés  ou  non 
mariés — vivant  cléricalement''^'.  Cet  édit  royal,  considéré  comme 
très  important,  fut  renouvelé,  en  i3o2,  par  Philippe  le  Bel''*'  et  con- 
firmé, en  1 3 1 5 ,  par  Louis  X'^'. 

Le  prélat,  disions-nous  plus  haut,  se  disposait  en  novembre  1297 
à  quitter  Mende.  Deux  ans  plus  tard,  le  27  janvier  i3oo,date 
d'une  importante  transaction  avec  le  chapitre'''*,  il  était,  croyons- 
nous,  de  nouveau  absent  de  sa  ville  épiscopale.  Aussi  bien  nous 
savons,  par  ailleurs,  que  ses  fréquents  séjours  en  «  France»  lui  coû- 
tèrent extrêmement  cher'''.  Il  était  de  retour  à  Mende  en  février  1 3o  1  ; 
le  4  février,  il  léunissait  tous  ses  chanoines  et  les  entretenait  du 
grand  litige  que  lui  avaient  légué  ses  prédécesseurs. 

Ce  débat,  qui  oppose  l'une  à  l'autre  deux  conceptions  toutes  diffé- 
rentes de  la  condition  juridique  du  Gévaudan,  qui  embarrassa  au 
plus  haut  point  le  Parlement  de  Paris  et  sur  lequel  s'entassèrent  pen- 
dant des  années  délais  sur  délais,  enquêtes  sur  enquêtes**',  se  peut 
résumer  en  quelques  lignes. 

L'évêque  prétend  avoir  sur  le  Gévaudan  une  autorité  souveraine 

'''  Roucaute  et  Sache,  p.  i3,  n"  viii.  •'>  Porée,  ouvrage  cité,  p.  57-64.  Voir  aussi 

'*'  Ibid.,  p.  i5-i6,  n°  X.  plus  haut,  p.  6.  L'absence  de  l'évêque  en  pa- 

'''  Ibid..  p.  17-21,  n°  XI.  Cf.  une  lettre  de  reille  circonstance  implique,  à  nos  yeux,  qu'il 

Philippe  le  Bel,  d'octobre  i3oi  [ibid.,  p.  21-  est  retenu  au  loin. 

22,n''xii).  '')  •  Per  ipsum  episcopum veniendoetstando 

'''  Arch.  de  la  Lozère,  G  20,  d'après  I'/h-  «in  Francia   non  abs(|ue  magnis  sumptibusi 

ventaire,  t.  I,  p.  5.  (Mémoire  relatif  au  paréaqe  de  1301,  p.  20). 
''!   Ibid.  ")   Ibid.,^.  l5-2  1. 


12  GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

qu'il  qualifie  de  major  dominatio,  ma/us  dominium ,  plénum  jus  cum  recja- 
libus.  U  reconnaît  toutefois  que  certaines  parties  du  Gévaudan  relèvent 
du  roi  à  des  titres  divers^'*.  Mais,  ces  terres  exceptées,  il  ne  doit, 
assure-t-il,  au  roi  de  France,  ni  redevance  ni  obéissance.  Ici  intervient 
une  distinction  plutôt  obscure  que  subtile  :  févéque  ne  doit  au  roi  ni 
redevance  ni  obéissance  {jedihentia  et  ohedientm) ,  mais  il  lui  doit  lidé- 
lité  et  soumission.  A  ce  devoir  de  fidélité  et  soumission  les  évêques  de 
Mende  s'obligent  par  serment  depuis  le  pontificat  d'Aldebert  III  du 
Tournel,  au  temps  de  Louis  VII'-'. 

Le  sénéchal  de  Beaucaire  ou  ses  olliciers  troublent  f  église  de  Mende 
en  la  possession  ou  quasi-possession  de  cette  situation  traditionnelle. 
L'évèque  entend  faire  cesser  ces  attentats  répétés  à  ses  droits. 

Le  roi  soutient,  au  contraire,  que,  suivant  le  droit  commun  et  la 
coutume  antique,  l'évêcbé  de  Mende,  de  temps  immémorial,  relève 
tout  entier  de  la  couronne  pleno  jure  quoad  majorent  junsdicttoncm. 
Il  est  lui-même  lésé  par  févèque'^'. 

L'évèque  exposa  au  chapitre  que  le  résultat  final  de  ce  grand  procès 
politicpie  lui  paraissait  douteux,  et  il  demanda  conseil. 

L'église  de  Mende,  févêque  actuel  et  ses  prédécesseurs,  répondirent 
les  chanoines,  se  sont  épuisés  à  suivre  cette  affaire.  Ni  peines  ni  frais 
n'ont  été  épargnés.  Pendant  cette  longue  période  de  lutte,  les  droits 
de  févêque,  ceux  de  f  église,  ceux  du  chapitre  ont  été  de  mille 
manières  foulés  aux  pieds  et  usurpés  par  les  barons,  les  com tors*'*',  les 
châtelains,  les  aobles  et  les  puissants.  L'évèque  qui,  par  lui-même, 

'"'  Voir  Jean  Roucaute,   La  formalion  terri-  protectear    des     troubadours,     dans     Bomania , 

toriale  du  domaine  royal  en    Gcvaadan,   1161-  1910,  p.  agy-ooi- 

1307 ,  avec  la  carie  des  ferres  propres  an  roi  au  '''   Voir   le    texte  du   pariage    dans    G.    de 

temps  de  Philippe  le  iie/ (Paris,    1901).   C'esl  Burdin,  Documents    historiques  sur  la  prorince 

l'édition  IVancaise  d'une  thèse  latine  publiée  de  Gévaudan    (Toulouse,    18^6),  t.  1,  p.  SSg- 

sous  ce  titre  :  Qua  ratione  et  qaibus  temporibns  o-j6 ,   et  dans  Roucaute  et  Sache,    Lettres   de 

fines  doniinii   renii  in  Galialitano  constituli   sint  Philippe  le  Bel  relatives  au  pays  de  Gévaudan, 

(Mimat.T,    1900).    Cf.   aussi   Robert    Michel,  p.    17^  et  suiv.;  le  Mémoire,  p.  4,  96,  a64> 

L'administration  royale  dans  In   sénéchaussée  de  A02  et  passim.  Quant  aux  territoires  sur  les- 

lieaucaire  (Paris,  igiO),  p.  1  16  et  i46.  quels  l'évèque,  depuis  un  arrangement  avec  le 

"'  Méihoirc ,  p.  4-6.  L'expression  se  suhdens,  roi,  n'a  pas  les  mêmes  droits,  voir  Mémoire, 

qui  se  trouve  dans  l'acte  émané  de  Louis  VII,  p.  a3.  Cf.  Arch.  nat. ,  J  34».  ri°  6;  Arch.  de 

est  corri^'ee  par  cette  explication  :  «Quod  sane  la  Lozère,  G  780   à  G   74a    [Inventaire ,  t.  I, 

•  factum  ad  nulluni  delrimenlum,  ad  nullaiu  p.  i58-i64}. 

u  prorsus   privatlonem  hactenus   habite  potes-  '*'  Sur  les  comtors,  voir  Paul  Viollet,  His- 

•  iatis  in  posterum  converti  volenles.  •  — Sur  toire  des  institutions  politiques  et  administratives 
cet  Aldebert  duïournel,  voirCrunel,  Randon,         de  la  France,  t.  11,  p.  419- 


ÉVÉQUE  DE  MENDE.  —  SA  VIE.  13 

ne  peut  les  contenir,  n'ose  s'adresser  à  la  cour  du  roi  de  peur  de 
porter  préjudice  aux  droits  régaliens  [jura  reyaluim)  et  à  la  souverai- 
neté du  Gévaudan,  objet  même  du  litige.  Il  convient  donc  que,  con- 
fiant en  Marie  et  en  saint  Privât,  patron  du  diocèse,  l'évêque  s'emploie 
à  obtenir  enfin,  malgré  l'incertitude  du  résultat,  un  arrêt  de  justice. 
Cet  arrêt  ne  pourra  faire  perdre  à  l'église  de  Mcnde  plus  qu'elle  n'a 
perdu  dès  ce  jour,  car  les  olficiers  du  roi  se  sont  emparés  par  violence 
du  pouvoir  et  de  la  souveraineté  en  Gévaudan.  Ils  jouissent  en  fait  des 
droits  et  de  la  domination  que  l'évêque  et  le  chapitre  leur  contestent. 
C'est  pour(pioi  les  chanoines  prient  instamment  el  humblement  le 
seigneur  évêque  de  poursuivre,  quoi  qu'il  puisse  advenir,  l'obten- 
tion d'une  sentence  de  justice;  il  pourra  se  pourvoir  contre  cette 
sentence,  s'il  le  juge  à  propos,  par  voie  de  supplication  ou  d'appel. 
Tous  pouvoirs  lui  sont  donnés  en  vue  d'une  solution  définitive*'^ 

On  s'attend,  après  avoir  pris  connaissance  de  la  délibération  du 
cha])itre,  à  une  lutte  judiciaiie  très  énergique;  et,  cependant,  si  on 
interroge  les  archives,  au  lendemain  de  cette  déclaration  de  guerre 
(où,  à  la  vérité,  on  pourrait  peut-être  apercevoir  une  allusion  voilée 
à  la  possibilité  d'une  transaction)'-',  on  rencontre  une  série  de  déci- 
sions royales  qui  accusent  un  échange  de  bons  rapports  entre  les 
deux  parties  et  qui  sont,  à  bien  prendre,  comme  l'acheminement  à 
une  entente  définitive.  Cette  entente  sera  le  pariage  de  iSoy. 

Ce  qui  répond  fort  bien  au  ton  de  la  délibération  de  i3oi,  c'est 
l'écrit  qui  a  été  publié  par  M.  Maisonobe  sous  le  titre  de  Mémoire 
relatif  au  pariage^^\  mémoire  où  est  longuement  et  solidement  déve- 
loppée la  thèse  de  l'évêque.  Ce  mémoire,  très  étudié,  fut  rédigé  par 
un  procureur  dont  le  nom  malheureusement  ne  nous  est  pas 
parvenu.  Il  ne  semble  pas  avoir  eu   en  vue   le  pariage.    Mais   ce 

'"'  Arch/de  la  Lozère,  G  74i-  munication  de  M.   E.    Perrot.)    Le   mémoire 

'''  Après  une  énumération  de  tout  ce  qui  est  donc  postérieur  à  1298,  date  de  la  publi- 

peul   s'interpréter   comme    pouvoir  donné   à  cation  du  Sexte.  Nous  ajouterons  qu'il  a  dà  être 

l'évêque     de     poursuivre    judiciairement     le  écrit  environ  quatre  ans  après  le  départ  pour 

triomphe  du  litige,  ces  mots  et  ad  omnia  alia  Paris  de   Guillaume   Durant,  départ   qui   eut 

dictain  causam  seu  processnm  ejasdem  generaliter  lieu    vers    novembre     1297     (voir    Mémoire, 

vel   specialiter   contingentia    couvriraient-ils    la  p.  30).  Du   •  Mémoire  relatif  au  pariage  •  on 

possijjilité  d'un  accord?  rapprochera   utilement    le    relevé,    divisé  en 

'''  Mende,    1896.  Le  Sexte  est  mentionné  quatre  sections,  des  assertions  de  l'évêque  dans 

dans  ce  mémoire,  p.  121   et  5o5.  (Nous  de-  son  différend  avec  le  roi  (Arch.  nat.,  J  34ii 

vons  cette  observation  importante  à  une  com-  Mende,  n"  6). 


14  GUirXAUME  DUR\M  LE  JEUNE, 

factum,  qui  apporte  des  arguments  sérieux  contre  la  thèse  des  ofTiciers 
rovaux,  n'aurait-il  jias  contribué,  en  fait,  à  procurer  une  entente? 
Le  roi  n  aurait-il  pas  transigé,  afin  d'éviter  une  défaite  judiciaire,  qui 
n'était  peut-être  pas  rigoureusement  impossible?  Ou  encore  le  roi  et 
l'évêque,  perplexes  l'un  et  l'autre,  n'auraient-ils  point  senti  qu'ils 
avaient  tout  avantage  à  faire  la  paix  et  à  s'entendre  ''*  ? 

D'ailleurs,  tandis  que  les  conseillers  du  roi  pesaient  les  arguments 
et  les  faits  versés  au  débat  par  le  procureur  de  l'évêque,  ce  dernier, 
très  remuant,  agissait  en  cour  et  se  ménageait  l'appui  du  souverain  en 
diverses  affaires  se  rattachant  de  près  ou  de  loin  aux  questions 
controversées.  Il  obtint  notamment,  le  3  mai  i3o2,  au  sujet  de  ses 
droits  de  justice,  ce  mandement  royal  :  le  sénéchal  de  Beaucaire  ne 
devra  pas  inquiéter  les  gens  de  l'évêque,  qui,  en  poursuivant  à  main 
armée  des  malfaiteurs  soumis  à  sa  juridiction,  traverseraient  les 
terres  du  roi'"'.  Six  jours  plus  tard  il  fut  ordonné  de  surseoir  à  la 
levée  des  contributions  de  guerre  demandées  aux  églises  et  aux 
ecclésiastiques  ^^K 

Intervint  le  fameux  «  différend  »  avec  Boniface  VIII.  Guillaume 
assista  au  synode  qui  se  réunità  Rome  en  octobre-novembre  i3o2  '"', 
date  qui  coïncide  avec  celle  de  la  bulle  Unam  sanctam.  À  cette  bulle 
Philippe  le  Bel  répondit  par  l'acte  solennel  d'accusation  contre  le 
j:)ontife,  acte  auquel  les  évoques  et  tout  le  clergé  de  France  furent 
conviés  à  s'associer.  Nous  n'apprenons  pas  que  l'évêque  de  Mende  ait 
répondu  à  l'appel  du  roi.  Quant  au  chapitre,  il  envoya  une  procura- 
tion extrêmement  prudente  et,  pour  tout  dire,  parfaitement  vide  de 


sens 


(5) 


'''  Le   roi  et  révèque  le  disent  chacun  de  «esset  dubius  litis   eventus»    fut  libellée  par 

leur  côté.  Voici  tout  le  passage  :  »  Et  maxime  l'évêque. 

«quia  dictus  senescalliis  et  alie  gentos  nostre,  M.    Rnucaute    a    publié    un  document    qui 

«que  ad  probandum  aliquos  arliculos  petebant  parait    bien    indiquer  que   le  roi  pouvait,  en 

«se  admitti ,  dlcebant  quod  non   erat  adliuc  in  définitive,  perdre  son  procès  [La  formation  tcr- 

«  causa  conciusum ,  et  esset  dubius  ipsius  litis  riloriale  du  domaine  royal  en  Gévaudan ,  Paris, 

«  eventus,  et  lis  dicto  episcopo,  ecclesic  et  pa-  igoi ,  p.  83-8^).  Cf.  Mémoire  relatif  au  j>uréa(je 

«trie  foret  ex  multis  causis  daninosa,  et  etiani  de  1307,  p.  499- 

«sumpluosa.  .  .  »   (Arch.  nat. ,  J  3^1,  Mende,  '''  Roucaute  et  Sache,  Lettres  de  Philippe  le 

n°  4)-  Cf.  G.  de  Burdin,  Documents  historiques  sur  Bel  relatives  au  pays  de  Gévaudan ,  p.  26 ,  n°  xv. 

laprovince  de  Gévaudan  (Toulouse,  i846),  t.  I,  '^'  Ibid.,  p.  Q7,  n°  xvi. 

p.  362.  L'évêque  adéj.idit,  en  i3oi,auciia-  '*'   Dupuy,     Histoire     du     différend     d'entre 

pitre  :  «Dubius    esset  predicte    litis  eventus  n  Boniface  VIII  et  Philippe  le  Bel  (Paris,  i655), 

(Arch.  de  la  Lozère,  G  74i).   D'où  nous  con-  p.  86. 

cluons    qu'originairement    cette    formule    tel  '*'  G.  P'icol,  Documents  relatifs  aux  Etats  gêné- 


ÉVÉQUE  DE  MENDE.  —  SA  VIE.  15 

Faut-il  expliquer  par  le  méconteutemenl  du  roi  une  décision  du 
26  août  i3o3,  qui  soumet  cette  fois  les  ecclésiastiques  au  payement 
de  la  décime  ou  plutôt  de  la  demi-décime'*'?  Nous  ne  le  pensons  pas. 
Des  considérations  d'ordre  général  expliquent  cette  mesure.  Elle  n'en 
fut  ])as  moins  pénible  au  prélat,  qui  avait,  par  ailleurs ,  de  très  sérieuses 
inquiétudes  et  sentait  le  sol  trembler,  en  Gévaudan,  sous  ses  pas. 
Un  sourd  mécontentement  se  propageait  parmi  les  féodaux;  une  con- 
spiration le  menaçait.  En  cette  lieure  d'angoisse,  il  lit  appel  au  ])ape 
Benoit  XI  et  lui  demanda  une  bulle  de  sauvegarde.  Cette  bulle  est 
restée  à  l'état  de  projet'"-'. 

\  ers  le  même  temps,  nous  rencontrons  (îuillaume  Durant  prési- 
dant un  concile  de  la  province  de  Bourges,  avec  l'évêque  de  Limoges 
et  les  vicaires  généraux  du  primat  d'Aquitaine,  lequel  se  trouvait 
pour  lors  en  cour  de  Bome.  11  figure  au  second  rang,  après  févêque 
de  Limoges.  Ce  dernier  prélat  et  l'évêque  de  Mende  ainsi  que  les 
vicaires  généraux  de  l'archevêque  de  Bourges,  primat  d'Aquitaine, 
transmirent  à  l'abbé  de  Cluni,  délégué  du  roi  de  France,  les  délibé- 
rations du  concile.  C'est  par  ce  message  que  nous  sommes  renseignés 
sur  cette  assemblée,  qui  eut  lieu  en  mars  i3o4.  Elle  fut  très  peu 
nombreuse;  c'est  à  peine  si  la  sixième  partie  des  personnes  appelées 
à  siéger  aux  conciles  provinciaux  avait  pu  se  rendre  à  la  convocation. 
Sans  la  présence  de  Guillaume  Durant,  l'assemblée  n'aurait  compté 
qu'un  seul  évêque.  Les  ecclésiastiques  présents  constatèrent  avec 
anxiété  cette  situation  et  exprimèrent  le  vœu  qu'un  autre  concile  fût 
réuni,  ou  même  prirent  une  décision  en  ce  sens.  Faudrait-il  entrevoir 
ici  un  procédé  habile,  qui  aurait  pu  un  jour,  si  les  circonstances 
étaient  devenues  favorables,  servir  à  infirmer  les  délibérations  qui 
lurent  prises  .►>  Elles  sont  d'ailleurs  très  prudentes  ces  délibérations. 
Le  roi  demande  un  subside  ;  on  lui  offre,  s'il  plait  au  pape  (^si placuerit 
domino  papœ),  une  décime  qui  serait  levée  par  le  clergé,  suivant  fan- 
cienne  taxation,'  et  cela,  pourvu  que  le  roi  remplisse  toutes  les  pro- 
roux e(  assemblées  réunis  sous  Philippe  le  Bel  {G allia  chrisliana,  t. Il,  Instrumenta,  col.  3oo- 
(Paris,   1901),  p.   339-330,  n°    i48.   —  En         3oi,n°  xlii). 

i3o3  (n.  st. ),  avant  Pâques,  Guillaume  était  à  '''  Roucaute  et  Sache ,  p.  39,n°xvii. 

Paris;  il   faisait  partie   d'une  grande   réunion  '''  Arch.   de  la  Lozère,  G  3i.  Cette   pièce 

de  prélats  et  de  barons  devant  laquelle  l'ar-  singulière  n'est  pas  datée  et  ne  parait  pas  avoir 
chevéque  de  Bordeaux  protesta  qu'il  ne  été  scellée.  Benoît  XI  fut  élu  pape  en  octobre 
devait  pas  foi  et  hommage  au  roi  de  France         i3o3  et  mourut,  à  Pérouse,  en  juillet  i3o4- 


16  GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

messes  qu'il  a  faites,  notamment  au  sujet  de  la  monnaie,  et  pourvu 
qu'il  n'exige  pas,  à  l'occasion  de  la  guerre  actuelle,  d'autre  subside 
ou  d'autre  service.  Si  cette  offre  était  rejetée  comme  insuffisante,  le 
clergé  pourrait  aller,  s'il  plaisait  au  pape,  jusqu'aux  décimes  de  grossis 
fruclibus;  cette  seconde  proposition  est  faite,  elle  aussi,  à  certaines 
conditions,  nombreuses  et  précises'"',  dans  le  détail  desquelles  nous 
n'entrerons  pas  ici. 

Ces  conditions,  qui  semblent  avoir  été  sensiblement  les  mêmes  dans 
toutes  les  provinces,  furent  acceptées  par  Philippe  le  Bel,  pour  le 
moment  du  moins.  Plusieurs  ordonnances  royales  octroyèrent  au 
clergé  des  faveurs  et  des  grâces'"',  qui  sont  précisément  celles  que 
léclamaient  et  le  concile  de  la  province  de  Bourges  et,  sans  nul 
doute,  d'autres  conciles. 

On  doit  supposer  que  l'attitude  de  l'évéque  de  Mende  au  concile 
de  mars  i3o4  satisfit  pleinement  Philippe  le  Bel;  peut-être  même 
cette  attitude  avait-elle  été  ménagée  à  f  avance  :  l'évéque  avait  besoin 
du  roi,  le  roi  avait  besoin  de  févêque.  Dès  le  printemps  de  fannée 
i3o4,  les  actes  royaux  favorables  à  l'évéque  se  renouvellent  et  se 
multiplient,  symptômes  d'une  entente  prochaine  et  définitive  entre 
les  deux  pouvoirs  :  lo  mars  i3o4,  ordre  au  sénéchal  de  Beaucaire 
de  se  montrer  favorable  aux  requêtes  de  l'évéque  de  Mende,  qui  a  pu 
être  lésé  par  diverses  sommations  [monitiombns)  émanées  de  l'au- 
torité royale*''^;  lo  mai  i3o4,  enquête  au  sujet  d'un  projet  d'échange 
entre  le  roi  et  l'évéque  —  le  roi  céderait  à  l'évéque  la  moitié  du  péage 
de  Mende,  qui  lui  appartient  depuis  1266,  et  l'évéque  renoncerait  à 
une  rente  annuelle  de  vingt  livres,  qui  lui  est  due  sur  la  trésorerie 
royale  de  Nîmes;  —  i5  juin  i3o4,  ordonnance  octroyant  diverses 
faveurs  à  l'évéque  de  Mende  et  aux  églises  de  son  diocèse,  en  récom- 
pense de  leur  contribution  au  subside  pour  l'armée  de  Flandre, 
notamment  Texenq^tion  du  droit  de  franc  fief,  l'interdiction  des 
«  nouveaux  aveux  »''*',  etc.  Ces  dernières  lettres  patentas  formaient  un 
ensemble  assez  inqîortant  pour  qu'ultérieurement  l'évéque  et  le  clergé 
de  Mende  jugeassent  utile  d'en  demander  et  d'en  obtenir  confirma- 

'"'  Arcli.  nat. ,  J  1025,  n°  4.  La  petite  phrase  i3o4  (Roucaule  et  Sache,  n°  xx,  p.  37  et  suiv.; 

relative  à   la  monnaie   est  énergique  dans  sa  Méneslrier,    Histoire  de    Lyon,   Lyon,    1(196, 

soltriéte  :  «El  hoc,  si  dominas  rex  suis  sump-  p.  un,  col.  a;  Ordonnances,  t.  XV,  p.  454). 
(itibus  mulet  inonetam ,  ut  piomisit.  »  '''  Iloucaute  et  Sache,  p.  36,  n°xix. 

'''  Lettres  de  Philippe  le  Bel,  du   i5juin  '''  Ibid.,  p.  34 ,  n°  xviii. 


ÉVÈQUE  DE  MENDE.  —  SA  VIE.  17 

tion  de  Louis  X,  confirmation  qui  fut  accordée  sous  forme  de  vidi- 
mus*'*. 

Au  demeurant,  au  lieu  de  lutter  en  justice,  le  roi  et  l'évêque, 
visiblement,  s'entendaient  et  marchaient  de  concert.  Un  accord  défi- 
nitif était  proche. 

Si  cet  accord  se  réalise,  les  féodaux  auront  désormais  à  compter, 
non  plus  avec  févêque  seul,  mais  avec  févéque  et  le  roi.  C'est  un 
coup  désastreux  qui  frappera  les  seigneurs  du  Gévaudan,  ombra- 
geux et  turbulents,  avides  d'indépendance.  Ils  savent  tous  qu'au 
cours  du  xiif  siècle  plusieurs  alliances  temporaires  entre  l'évêque 
et  tel  connétable  du  roi  au  Puy,  tel  sénéchal  à  Reaucaire,  ont  sulh  à 
les  materC^'.  Les  associations  avec  le  roi  lui-même,  non  point  tempo- 
raires, mais  permanentes,  leur  sont  bien  connues,  car  les  pariages 
ne  sont  pas  rares  en  Ciévaudan'"*'. 

Tout  cela  chacun  le  sent  en  Gévaudan.  Le  sentent  surtout  très 
vivement  les  puissants  seigneurs  de  Peyre'"',  qui,  en  fait  de  pariage, 
sont  fort  entendus,  et  savent  ou  devinent  tous  les  ressorts  du  système. 
Le  chef  de  cette  maison ,  Astorg  de  Peyre,  jouit  personnellement  (fan 
pariage  conclu  avec  le  roi  :  il  y  a  à  Marvejols  une  cour  commune 
à  lui  et  au  roi'^'.  Un  prieur  d'Ispagnac  —  prieuré  qui  ressemble 
fort  à  un  apanage  féodal  de  la  famille  de  Peyre  —  avait  lui-même 
conclu  avec  Philippe  le  Bel,  en  1298,  un  pariage  pour  ce  prieuré, 
pensant  le  soustraire  par  là  à  toute  immixtion  de  l'évêque'''^.  Le 
grand  pariage  que  préparait  Guillaume  allait  étouffer  ces  conven- 
tions, écraser  ces  petits  pariages  et  établir  sur  le  (Jévaudan  une 
domination  tout  ensemble  royale  et  épiscopale,  domination  active, 
agissante. 

<'l  Ordonnances ,  t.V, p. 6^-i\  t.  XI,  p.  430;  p.  ag;  Roucaute  et  Sache,  p.  96,  n°   xlviii. 

Roucaute  et  Sache,  p.  37,11°  XX.  MM.  Uoucaute  '''  Roucaute  et  Sache,   p.  A/i,  n°  xxii.    Cf. 

et  Sache  emploient  le  mot  t)i(/imus(  p.  4 1,  note),  Arch.  de  la  Lozère,    H   i4o,  d'après  Vlnven- 

qui  est  parlaitement  exact;   mais   il  est  clair  laire.  p.  5i.   A  la  suite  du  pariage  de   1298, 

qu'ici  un  vidimas  a  la   valeur  d'une  confirma-  Guillaume  Durant,   très    préoccupé  d'une  pa- 

lion.   CF.   Arch.  de  la  Lozère,  G  8i-],  d'après  reille  combinaison,  avait  obtenu  de  l'abbé  de 

l'Inventaire,  t.  I,  p.  182.  Saint-Géraud  et  du  prieur  d'Ispagnac  la  pro- 

'''   Mémoire,  p.  9-11.  messe  que  ces  deux  dignitaires  travailleraient 

'''   Cf.    Annales   du    Midi,   t.    XV  (1903),  à  l'aire   révoquer  cet  acte,  promesse  qui  n'eut 

p.  .^3.  aucune  suite  (  F.  André ,  Ispagnac  el  son  prieuré, 

(*)  Comm.  de  Saint-Sauveur  de-Peyre,  canl.  notice    historique,    dans    Annuaire    de    la   Lo- 

et  arr.  de  Marvejols.  zêre.    1874,    43°    année,    partie    historique, 


C  G.  de  Burdin,  Documents  historiques,  LÏ,         p.  10-11) 


HIST.   LITTER. 


3 


18  GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

Un  complot  fut  organisé.  La  famille  de  Peyre  en  fut  la  tête.  On 
espérait  écarter  le  pariage  en  assassinant  l'évêque'''.  Ce  complot,  qui, 
d'ailleurs,  fut  assez  facilement  réprimé,  exaspéra  Guillaume,  mais 
probablement  aussi  l'épouvanta.  C'est  à  l'occasion  de  cette  con- 
spiration que,  le  23  octobre  i3o4,  Guillaume  Durant  réunissait, 
comme  nous  l'avons  vu,  son  chapitre  et  vouait  ofliciellement  une 
haine  implacable  à  ses  ennemis;  il  nomma,  ce  jour-là,  Astorg  de 
Peyre,  Gui  de  Cénaret'"',  Hugues  de  Quintinhac'^',  Richard  de  Peyre 
et  un  cinquième  personnage,  Raymond  de  Meyrières''*'.  11  ne  semble 
pas  avoir  désigné  nommément  le  prieur  d'ispagnac,  Aldebert  de 
Peyre'^';  ce  nom  le  gênait-il  dans  la  circonstance,  Aldebert  étant 
lui-même  chanoine  de  Mende'''*.^  Ou  encore  sous  le  nom  d'Astorg 
de  Peyre,  chef  de  la  maison,  englobait-il  les  cadets,  qui  sont  tous 
des  Aldebert'^*? 

Ce  que  nous  savons  de  l'attitude  de  Guillaume  entre  1 3o4  et  i  Soy, 
date  de  la  conclusion  du  pariage,  révèle,  ce  semble,  un  grand 
trouble  :  la  colère  et  la  soif  de  vengeance,  mais  aussi  la  peur,  agitent 
cette  àme  ardente,  soumise  à  une  très  dilficile  épreuve.  Guillaume 
dénonce  au  roi  le  prieur  d'ispagnac  et  ses  complices.  Le  sénéchal 
de  Beaucaire  est  aussitôt  avisé  par  le  prince  d'avoir  à  se  saisir  des 
criminels;  ceux  d'entre  eux  qui  sont  clercs,  par  conséquent  le  prieur 
susnommé,  devront  être  livrés  à  la  justice  épiscopale '*'.  Un  autre 
prieur  remplace  peu  après  Aldebert  de  Peyre''^';  Richard  de  Peyre, 
poursuivi  comme  son  parent,  est  lui-même  incarcéré'"^*,  mais  nous 

''1   Roucaute  et  Sache,  p.  43,  n°  xxii.  "■   Sur  le  nom  d'Aslorg  réservé  aux  aînés  el 

'*'   La  quatrième  partie  du   château  de  Ce-  celui   d'Aldebert    aux    cadets,    voir    B.    P[ru- 

naret  relevait  de  l'évèque  de  Mende  (Arcli.  de  nières].    L'ancienne    haronnie  de   Peyre,  dans 

la  Lozère,  G  87).  Bnlletin  de  la  Société  d'agriculture ,    industrie. 

'^*  Hugues  de  Quinlinliac  était  vassal  d'As-  sciences  el  arts  de  la  Lozère  (186G),  t.  XVH, 

lorg  de   Pejre   (Arch.  de  la  Lozère,  G   108,  2°  partie,  p.  1G7,  noie  1. 
d'après  17Hi'eH(ai/c,  t.  1,  p.  29).  '"'   Roucaute   et  Sache,  p.  43,  n°  xxii.   Un 

'  '   Vassal  d'Aldebert  de  Peyre,  prieur  d'Is-  religieux  du  monastère  de  Bonnevaux,  au  dio- 

pagnac,  il   tenait  de  lui   le  quart   indivis   du  cèse  de  Poitiers,  fut  mêlé  à  celte  affaire;  mis 

mas   de   Fraissinet   et   plusieurs   autres    biens  à  la  torture,  il  confessa  avoir  conspiré  la  morl 

(Arch.  de  la  Lozère,  H  i46  ,  d'après  l'Inven-  de  Guillaume  Durant  [Invent.  somm.  des  arcli. 

taire,  p.  5/i  ).  de  la  Lozère,  série  G,  t.  I,  p.  1  ). 

>*'   .1.  dominas  de  Pelra  me  parait  désigner  '''   Arch.  de  la  Lozère,  H   i/iG ,  d'après  l'/n- 

Aslorg  de  Peyre  plutôt  que  le  prieur  Aldebert.  venlaire,  p.  34- 

'''  Aldebertas   de    Pelra,    precentor,    assiste  ''"'  Il   fut  mis   en   liberté  sous    caution   en 

à  une  réunion  du  chapitre  le  24  novembre  1297  i3i3   (Boutarir,    Actes    du   Parlement,  t.  II, 

(Arch.  de  la  Lozère,  G  33).  n°  4i3i  ;  cf.  n"'  7787-7789). 


KVEQUE  DE  MENDE.  —  SA  VIE.  19 

ignorons  la  date  de  son  arrestation;  elle  est  peut-être  postérieure  de 
plusieurs  années  et  pourrait  se  rattacher  à  une  autre  accusation''^. 
Quant  à  Guillaume  Durant,  sa  situation  devient  d'autant  plus  dilTicile 
que,  vers  le  même  temps,  d'autres  mécontents  l'accusent  d'avoir 
perçu  irrégulièrement  des  subsides  sur  son  clergé.  Le  17  mars  i3o5, 
il  se  fait  libérer,  en  assemblée  générale,  de  toute  obligation  de  resti- 
tution, en  même  temps  qu'on  lui  octroie  un  nouveau  subside  cari- 
tatif,  subside  très  inférieur  à  celui  qui  lui  avait  été  accordé  en 
novembre  1297*^'. 

En  résumé,  d'une  part,  Guillaume  est  menacé  par  ses  adversaires, 
qui  lui  font,  on  peut  le  dire,  une  guerre  au  couteau;  d'autre  part, 
des  ennemis  plus  cauteleux  lancent  contre  lui  une  accusation  cruelle. 
Comment  ses  fidèles  le  soutiennent-ils?  En  l'exemptant  de  toute 
«  restitution  »,  défense  qui,  dans  nno  certaine  mesure,  confirme  l'ac- 
cusation et,  par  conséquent,  constitue  une  offense  nouvelle.  En  un 
pareil  moment  le  séjour  de  l'évéque  dans  sa  ville  épiscopale  devait 
être  singulièrement  pénible  et  peut-être  dangereux.  Guillaume  se 
trouvait  heureusement  en  bons  termes  avec  la  cour  de  Rome,  qui, 
dans  le  même  temps,  eut  à  s'occuper  des  affaires  de  la  malheureuse 
Italie,  décbirée  par  les  partis  politiques '■'l  Clément  V  alla-t-il  de  lui- 
)nême  chercher  l'évéque  de  Mende,  ou  celui-ci  l'aborda-t-il  le  pre- 
mier.'^ Nous  l'ignorons.  Mais  nous  savons  de  source  sûre  que  le 
nouveau  pontife  nomma  l'évéque  de  Mende  et  l'abbé  de  Lombez  ses 
légats  en  Italie'**.  Guillaume  put  quitter  tête  haute  la  capitale  du 
Gévaudan. 

La  mission  confiée  aux  légats  était  très  importante.  Ils  furent 
chargés  de  pacifier  une  grande  partie  de  la  péninside,  livrée  aux  dis- 
sensions intestines  et  aux  guerres  civiles.  Entre  autres  pièces  émanées 
d'eux,  nous  possédons  les  rapports  très  circonstanciés  et  très  intéres- 


<''   Voir  ci-après,  p.  45.  Ne  pas  oublier  que,  Speculator  dans  la  Romagne  et  la  Marchetl'An- 

le  2?)  octobre  i3o/i,  l'évéque  a  pris  ses  prc-  cône  ne  contribua  pas  à  ce  choix,    fort  inat- 

cautions  à  l'avance  pour  agir  à  sa  guise  contre  tendu,  de  l'évéque  de  Mende.  Sur  le  rôle  joué 

ses  ennemis  :  vel  quacamqae  alla  causa.  en  Italie  par  le  Speculator,  voir  Hist.  litl.  île  la 

''1   Arch.  de  la  Loière,  G  33.  France,  t.  XX,  p.  422-427;  Max  Heber,  Gut- 

'■'''   Viilani,  VllJ,  82  ,  dans  Muratoii,  iîcrum  achtcn    and  Reformiorschlâge  fur   das   Vienner 

Italicarum  scriplores,  t.  XIII,  p.  4ai-42a.  Gcneralconcil  (Leipzig,   1896),  p.  66.  La  niis- 

'*' On  s'est  demandé  si  le  souvenir  du  grand  sion    confiée    à    Guillaume    ressemble  si ngu- 

rôle  politique  joué  autrefois  par  son  oncle  le  lièrement  à  celle  qu'avait  reçue  son  oncle. 

3. 


20  GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

sants  qu'ils  adressèrent  au  souverain  pontife;  il  en  sera  question  plus 
loinC). 

Sans  doute,  le  procureur  ou  les  procureurs  du  prélat  continuèrent, 
pendant  ce  temps,  les  négociations  à  la  cour  de  France,  et  Guillaume, 
sa  mission- accomplie  (il  était  encore  en  Italie  en  mars  i3o6)'"^'',  put 
lui-même  les  suivre  de  près.  Elles  aboutirent  au  pariage,  qui  est  daté 
de  février  iSoy  (n.  st.)'"*^. 

A  peine  ce  traité  conclu,  l'infatigable  prélat  partait  pour  l'Angle- 
terre, chargé  par  le  souverain  pontiie  d'une  alfaire  bien  diflércnte  de 
celle  qui  lui  avait  été  confiée  en  Italie  :  il  s'agissait,  cette  fois,  d'en- 
quêter en  vue  de  la  canonisation  de  Thomas  de  Canteloup,  évêque 
de  Hereford,  mort  excommunié,  assurait-on '^^  Nous  nous  occu- 
perons de  l'une  et  de  l'autre  mission,  en  traitant  des  œuvres  de 
Guillaume  '*'. 

Le  pariage  de  février  iSoy  est  l'acte  le  plus  considérable  de  fépi- 
scopat  de  Guillaume  Durant.  Par  une  délibération  du  chapitre,  posté- 
rieure à  celle  que  nous  avons  analysée  plus  haut,  le  prélat  avait  été 
autorisé  à  transiger  avec  le  roi,  mais  deux  chanoines  lui  avaient  été 
adjoints  à  cet  eifet,  et  c'est  d'accord  avec  ces  deux  délégués  qu'il 
pouvait  conclure. 

L'acte  de  pariage  fut  promulgué  sous  deux  formes  différentes  : 
dans  l'une,  c'est  le  roi  qui  parle'''';  dans  l'autre,  c'est  févêque'^'.  Toutes 
les  clauses  du  contrat  sont  dans  les  deux  instruments  identiques  quant 
au  fond,  matatis  mutandis.  Mais  l'évèque  a  soin  de  mentionner  qu'il 
est  assisté  des  deux  chanoines,  que  lui  avait  adjoints  le  chapitre  de 

(')  \  oir  ci-dessous,  p.  64  et  suiv.  but  que  d'arriver  à  un  traité  définitif,  officiel 

'''  Clément  V  confirma,  le  i(^  août   i3oG,  et  public, 
certains  échanges  et  opérations  que  Guillaume  '*'  Acta  Sanctorum,  Oct.,   t.  I,  p.  539-599. 

avait  soumis   à  son  approbation  (11.  Grange,  Cette  mission  fut  conllée  à  Guillaume  Durant 

Sommaire   des  lettres  pontificales  concernant  le  peu  après  sa   mission   politique  en   Italie.  La 

(jiiril,    XI  y'  sil^cle.    Ninics,    1911,    1"    partie,  ])remiére  lettre  de  Clément  \  ,  qui  s'y  réfère  ,  est 

p.  l'y,  n°  5).  Nous  devons  supposer  qu'à  cette  daJée  de  lîordeaux,  aS  août  i3o6;  mais  l'exé- 

dale  l'évèque  était  de  retour  en  France.  cution  fut  retardée  profiter  multa  et  varia  impe- 

'^'   Nous  nous  sonnnes  plus  d'une  fois   de-  dimenla  [ibid.,  ]).  586). 
mandé   si  le  complot  de    i3o4  n'avait  pas  eu  '*'  \'oir   ci-dessous,    p.   64   et   suiv.,    -ja  et 

pour   résultai  d'ajourner    la    conclusion    défi-  suiv,;cf  aussi  p.  56-57. 

nilivp    et   la    pronmljjatlon   d'un    accord   déjà  ''' 0;y/();i;inn(C<,  t.  \l,  p.  296,  et  variantes  au 

réglé,  et  dont  les  conspirateurs  auraient  eu  con-  t. XVI,  p.  256;  (i.  de  Burdin,  Documents  hi'- 

naissance.  S'il  en  était  ainsi,  les  négociations  toriques   sur    la  jirovince    de   Gévandan ,    t.  I, 

et  pourparlers  en  cour,  dont   nous  disons  un  p.  359-376. 
mol  dans  le  texte,  n'auraient  guère  eu  d'autre  '"'  Arch.  nat.,  J  34i,  Mende,  n°  4. 


ÉVÉQUE  DE  MENDE.  —  SA  VIE.  21 

Mende''';  cette  circonstance  fort  intéressante  n'est  pas  relatée  dans 
la  charte  parallèle  qui  émane  du  roi.  Confirmé  à  maintes  reprises  par 
les  rois  de  France'^',  en  dernier  lieu  par  Louis  XV,  en  1720'''',  le 
pariage  de  1  807  a  continué  jusqu'à  la  lin  de  l'ancien  régime  à  régler 
théoriquement  les  rapports  du  roi  et  de  révêque'*'.  Nous  l'analyse- 
rons sommairement. 

Tout  pariage  est  une  association.  L'association  de  1807  ne 
comprend  pas  l'ensemble  des  biens  du  roi  et  de  l'évêque  :  toute 
une  catégorie  de  terres  et  de  droits  afférents  à  ces  terres  en  est  exclue. 
Pour  ces  territoires  hors  pariage,  le  roi  et  l'évêque  restent,  en  regard 
l'un  de  l'autre,  sur  le  pied  de  la  quasi-indépendance  réciproque  où 
ils  étaient  avant  1807.  En  d'autres  termes,  Philippe  le  Bel  et  Guil- 
laume font  chacun  deux  parts  de  leurs  droits  :  pour  une  part,  ils 
concluent  un  pariage,  ils  s'associent;  pour  l'autre  part,  celle  des 
biens  propres,  ils  demeurent  dans  le  statu  (juo  ante.  La  lecture  atten- 
tive du  document  nous  conduit  à  constater  que  la  major  superioritas 
et  le  ressort  souverain  sont  reconnus  au  roi,  non  pas  à  l'évêque, 
quant  à  ses  biens  propres'^'.  En  revanche,  et  ceci  est  capital,  le  roi 
met  en  commun  avec  l'évêque  le  merum  et  mixtum  împerium,  la  juri- 
diction haute  et  basse  et  le  ressort,  tous  les  jura  regalia  sur  les 
biens  compris  dans  le  pariage''''.  Que  sont  donc  ces  biens,  objets  du 
pariage .►*  Précisément  ceux  sur  lesquels  l'autorité  de  l'évêque  est  très 
im^iarfailement  assise.  Cette  clause,  par  conséquent,  étrangle  la  fière 
et  insoumise  aristocratie  du  Gévaudan. 

Le  prieur  d'ispagnac,  par  exemple,  est  directement  touché.  Voici 
comment  :  il  est  expliqué  que  ce  prieur  a  conclu  lui-même  antérieu- 

'''   «  Assistenlibus    nobis  venerabilibus   viris  *''   Comparez  le  passages  relaliTs  à  ces  biens 

«  Raiidone   de    Tornello,   preposito    Aniciensi  réservés    dans  G.  de   Burdin,   t.  1 ,    p.   363- 

•  et  canonico  Mimatensi,  et  R.  Barroti,  precen-  365. 

•  tore  Mimatcnil,  cuin  quiDus  transigendi  et  '•"'  Voir  Je  texte,  ibid. ,  p.  363.  Convient-il 
«coniponendi  potestatem  a  nostro  capilulo  de  rat'acher  à  cette  souveraineté  de  l'évêque 
«  habebamus»  ((7'i(Z.  ).  le    privilège    du     port    d'armes    dans    toute 

'*'  Notanniienl  en   i3i5  par  Louis  X  (Or-  l'étendue  du  royaume,  qui  lui  fut  accordé  en 

donnanres,  t.  XII,  p.  4«o)  et  en   février   i3i7  i3io,   à    lui    et    à    ses   serviteurs    (  Arcb.    de 

par   Philippe   le    Long    (Arch.   nat.,    J  34i,  la  Lozère,  G  864,  d'après   V Inventaire ,  t.   I, 

Mende,  n"  3;  JJ  53,  n°  ia8;  cf.  Ordonnances,  p.  i85)  ?  Lors  d'un  procès  soutenu  en  i34i , 

t.  X\'I,  p.  Qa5).  le  procureur   du    roi    déclara    que    ce    droit 

'^'  TextedansG.de  Burdin,  t.  I,  p.  38i-38/i.  de  port  d'armes,  attribué  à  l'évêque,  causait 

**'  Cf.  Ch.  l'orée.  Le  consulat  et  l'administra-  au    pays    dommages    et    violence    (Arch.     de 

tion  municipale  lie  Mende  (Ptirii,i^O-i),  p.  xt\,  la  Lozère,  G   873,  d'après  l'Inventaire,   t.    I, 

cxxxiv  et  cxxxv.  p.  186). 


22  GUILLAUME  DUMNT  LE  JEUNE, 

rement  un  pariage  avec  le  roi;  l'évèque  souhaite  la  résiliation  de  ce 
contrat,  qui  lui  porte  préjudice.  Le  contrat  cependant  ne  sera  point 
supprimé;  mais  on  arrive  au  même  résultat  par  cette  voie,  tout  à  la 
fois  élégante  et  correcte  :  le  roi  met  en  commun  avec  l'évèque  tous 
ses  droits  de  pariage  sur  Ispagnac.  En  d'autres  termes,  le  grand 
pariage  de  iSoy  avec  l'évèque  se  superpose  au  petit  pariage  d'ispa- 
gnac  avec  le  prieur  et  l'écrase.  Peut-être  cette  clause  du  futur  contrat 
de  pariage  était-elle  déjà  connue  ou  entrevue  en  i3o4,  lors  du  com- 
plot criminel  ourdi  contre  Guillaume.  Elle  dut  exaspérer  le  prieur 
d'ispagnac. 

Précisons  maintenant  quelques  détails  de  ce  pariage  ou  association 
des  deux  pouvoirs.  En  vue  de  régir  la  catégorie  des  biens  mis  en 
pariage,  le  roi  et  l'évèque  instituent  d'un  commun  accord  un  bailli  et 
un  juge  ordinaire,  chargésde  rendre  la  justice  en  leur  nom  collectif. 
Au  cas  où  ils  ne  s'entendraient  pas  sur  le  choix  de  ces  dignitaires,  la 
nomination  en  serait  faite,  une  année,  par  le  roi  et,  une  année,  par 
l'évèque.  Le  bailli  et  le  juge  ainsi  nommés  désigneront  les  ofilciers 
subalternes.  La  cour  commune  siégera  alternativement,  une  année, 
à  Mende  et,  une  année,  à  Marvejols.  Les  émoluments  de  celte  justice 
commune  seront  partagés  entre  le  roi  et  l'évèque'''.  En  cas  de  récu- 
sation du  bailli  ou  du  juge,  le  sénéchal  de  Beaucaire  et  l'évèque 
pourront  adjoindre  à  la  cour  un  prud'homme  [probus  vir).  Le  roi  et 
l'évèque  nommeront  aussi  un  juge  d'appel  de  la  cour  Commune,  ©u, 
comme  on  disait  jadis,  un  juge  d'appeaux.  Les  arrêts  de  ce  juge  d'appel 
ne  pourront  être  attaqués  que  devant  le  roi  [in  caria  nostra  Franciœ) 
ou  devant  le  sénéchal  de  Beaucaire'-^.  Cette  dernière  clause  rend  illu- 
soire, au  point  de  vue  de  l'évèque,  la  mise  en  commun  du  merum 
impennm  et  du  ressort. 

Est-il  besoin  de  signaler  les  inconvénients  de  ces  nombreuses  voies 
de  recours,  notamment  au  Parlement  de  Paris  et  au  sénéchal  de  Beau- 
caire.^ Sans  compter  que  la  situation  se  trouvait  encore  compliquée 
par  le  fait  des  commissaires  que  le  Parlement  déléguait  en  Gévaudan. 
Cernai,  les  parties  en  cause  le  sentaient  vivement,  et  il  leur  arriva  quel- 
quefois, dans  l'espoir  d'éviter  ces  renvois  interminables  de  juridiction 

'■'  Cf.  Arch.  <le  la  Lozère,  G  867,  d'après  '''  Cf.     Boularic,     Actes    du    Parlement    de 

l'Inventaire,  t.  I,   p.   i85.  Paris,  t.  l,  n"  7348  (appel  de  i3a3). 


EVEQUE  DE  MENDE.  —  SA  VIE.  23 

en  juridiction''^  de  formuler  un  premier  appel  en  termes  intention- 
nellement vagues  et  compréhensifs  :  ad  jiidiceni  appellatioimm,  tel  ad 
senéscallum  Belhcadri ,  sea  ad  nos,  lisons-nous  dans  un  arrêt  du  Parle- 
ment, ad  illiiin  tamen,ad  Cjiiem.  meluis  possunt  et  debent  appellarc  appella- 
verunt  ^"^K 

()uant  aux  droits  fiscaux,  il  est  dit  que,  dans  les  terres  communes, 
le  roi  ne  ])ourra  lever  de  tailles  sans  le  consentement  de  son  parier. 
Ilelativement  aux  terres  de  l'évêque  le  pariage  est  muet  :  les  évêques 
pourront  donc  soutenir  que  cette  interdiction  de  lever  la  taille  existe 
a  forliori  sur  leur  domaine  propre,  et  ils  défendront,  en  effet,  vivement 
cette  prérogative  et,  du  même  coup,  les  privilèges  de  leurs  sujets.  En 
i333,  au  début  de  la  guerre  de  Cent  ans,  les  citoyens  de  Mende, 
auxquels  le  bailli  de  Marvejols  réclamera  l'impôt  royal,  se  lève- 
ront menaçants  et  proclameront  qu'ils   n'ont  d'autre   roi  que   leur 


eveque'^^ 


Mais  revenons  au  texte  même  du  pariage.  Nous  y  voyons  que  le 
roi  prend  sous  sa  protection  el  sauvegarde  spéciale  l'évêque,  sa  famille 
et  ses  serviteurs,  le  chapitre  et  l'église  de  Mende.  Enfin  le  Gévaudan 
est  érigé  en  comté  :  l'évêque  et  ses  successeurs  se  qualifieront  comtes 
de  Gévaudan.  A  l'occasion  de  ce  titre,  il  est  dit,  dans  la  convention 
même  de  pariage,  que,  théoriquement,  la  moitié  de  ce  comilatus 
appartient  au  roi,  car  l'évêque  ne  touche  lui-même  que  la  moitié  du 
péage  de  Mende,  évaluée  à  forfait  à  20  livres,  mais  inférieure  en  fait 
à  ce  chiffre  '"^l  Cette  observation  présente  un  intérêt  historique  qui 
n'échappera  pas  à  quiconque  se  préoccupe  de  l'origine  des  évêques- 
comtes.  Le  droit  de  battre  monnaie  d'argent  ou  de  billon  est  reconnu 
à  l'évêque;  cette  monnaie  a  cours  dans  tout  le  Gévaudan. 


'"'  Voir  l'énumération   de  renvois  répétés,  le  procureur  du  roi  soutint  que  ie  roi  avait 

qui   donuent   une   bien  fàclieuse  idée  de  ces  amoindri    son    patrimoine     en     donnant     à 

procédures,  dans  un   arrêt   du  Parlement  de  l'évêque  vingt  livres  par  an,  à  prendre  sur  le 

Paris,  du  i5  février  iSaS  (Arch.  nat.,  X'*  5,  péage  de  Mende  (Arch.  de  la  Lozère,  G  878, 

loi.  4a6  v°  et  ia^  ;   analyse   dans  Uoutaric,  d'après  VInvenlaire ,  t.  1,  p.  186). Voir  le  texte 

t.  II,  p.  61 1,  n°  7789).  du  pariage  dans  G.  de  Burdin.t.  I,  p.  359-376. 

'''  Affaire  compliquée,  où  figure  Richard  de  Cf.  une  lettre  de  Philippe  le  Bel,  du  10  mars 

Peyre  (Arch.  nat.,  X''  5,  fol.  458  v*  et  459;  i3o4,  dans    Roucaute    et    Sache,   p.  34-36, 

analyse  dans  Boutanc,  1. 11,  p.  6i5,  n°  7828).  n°  xviii;  Arch.  de  la  Lozère,  G  a56  {Inveiit., 

'''  Ch.  Porée,  Le  consolai  et  l'administration  t.  I,  p.  59)  et  G  864  {Invent.,  t.  1,  p.  i85); 

municipale  de  Mende,  p.  xxi.  D.  Vaissette,  llist.  de  Languedoc,  éd.  Privât, 

'*'  En  1 34 1,  lors  d'un  procès  contre  l'évêque,  t.  IX,  p.  297,  note  1. 


24 


GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 


Quant  à  la  catégorie  des  biens  propres,  qu'il  est  souvent  si  difficile 
de  distinguer  des  droits  mis  en  commun  et  faisant  l'objet  du  pariage, 
il  nous  suffira  de  dire,  sans  entreprendre  une  longue  et  fastidieuse 
énumération,  que  la  ville  principale  des  domaines  propres  du  roi 
est  Marvejols'",  et  que  la  ville  principale  des  domaines  propres  de 
févêque  est  Mende'^'. 

Ce  résumé  rapide  permet  d'entrevoir  les  nombreuses  difficultés 
qui,  fatalement,  surgiront'^'.  H  fait  également  bien  sentir  que  lessei- 
gneurs  du  Gévaudiui  auront  désormais  un  maître,  le  roi  ou  févêque, 
sinon  le  roi  et  févêque  réunis.  C'est  ce  que  la  noblesse  comprendra 
parfaitement  :  contre  le  pariage  entrevu  elle  a  fomenté  un  mouvement 
criminel;  contre  le  pariage  conclu  elle  se  coalisera  et  fera  judiciaire- 
ment opposition '''*. 

Une  liste  des  opposants  au  pariage,  dressée  en  i3o8,  s'ouvre  ainsi 
par  le  nom  d'un  seigneur  puissant,  Béraud  de  Mercœiir,  que  nous 
retrouverons  au  cours  de  ce  récit'^'.  Sur  la  même  liste  figurent  —  et 
cela  n'est  pas  pour  nous  surprendre  —  Astorg  de  Peyre,  Gui  de 
Cénaret,  Hugues  de  Quintinhac'*"'.  L'opposition  légale  de  i3o8  resta 
d'ailleurs  stérile  :  le  roi  et  févêque  usent  de  procédés  dilatoires,  mais 
ces  procédures  se  prolongeront  pendant  trente-trois  ans  et  se  termi- 
neront par  la  défaite  des  barons  ou  de  leur  postérité  '''. 


"'  G.  (le  Burdin,  l.  I,  p.  39-34;  Ch.  Porée, 
p.  XVI,  note  2.  —  Le  roi  a  en  outre,  à  Mar- 
vejols,  une  juridiction  commune  ^vec  le  sei- 
gneur de  Peyre;  voir  une  difficulté  à  ce 
sujet  dans  Roucaute  et  Sache,  p.  96-98, 
n°  xxxxviii. 

'''  Sur  ces  domaines  propres  de  l'ëvêque, 
voir  G.  de  Burdin,  t.  I,  p.  33-37;  Ch.  Porée, 
Le  consulat  et  l'adminislration  municipale  de 
Mcnde ,  |).  xvii,  note  1. 

'''  Joignez  Houcaute  et  Sache,  n"  xxvii  à 
xxxiii,  xxxvii  à  xxxxi,  xxxxiv  à  xxxxvi  et 
passim. 

'''  Roucaute  et  Sache,  p.  67,  n"  xxxiii. 

'*'   Voir  plus  loin,  p.  39. 

'*'   Rouraute  et  Sache,  p.  ao3-ao4- 

'''  Cf.  Roucaute  et  Sache,  p.  67,  n°  xxxill, 
p.  ao3-ao8.  Un  mémoire,  rédigé  après  la  mort 
de  Guillaume  Durant  et  copie  par  feu  l'abbé 
CharboiHiel,  contient  les  articles  suivants  rela- 
tifs à  l'opposition  féodale  : 

3/|.    «Item,  quod  aliqni  de  diclis  nobilibus. 


•  qui  fecerant  et  perpetraverant  plura  nialeficia 

•  et  delicta  dicta  lite  pendente,  dubitantes  jus- 
«  titiam  régis,  qui  fortificabat  ecclesiam ,  ratione 

•  pariatgii  initi,  et  penasquas  debebant  portare 
«ratione  delirtoruni  per  eos  coinmissoruni,  tra- 
«diderunt  diveisos  articulos  in  l'arlamento 
«contra  diclum  pariatgium  pariter;  et  fmalilcr 

•  mandavit  rcx  scnoscallo  Bellicadri  et  suo  pro- 

•  curatori  quod  adjornarentur  ad  Parlamentum 

•  tune  s«'quens  omnes  illi  qui  vellcnt  se  oppo- 

•  nere   contra   dictuni  pariatgium,  ad    ccrlam 

•  diem,  et  quod  venirent  cum  omnibus  muni- 
«  mentis  suis  ad  dicendum  et  objiciendum  con- 

•  tra  dictum  pariatgium  ,  alioquin  in  poslerum 

•  minime  audirentur.  Et  ila  fuit  factum. 

35.    tltem,    quod  dicti    nobiles,    barones, 
«comptores,  castellani  et  alii  de  patria  non  se 

•  opposuerunl  nd  diclam   dleni  eis  assignalam 

•  in  dicto  Parlamcnto,  et  si  aliqui  se  opposue- 

•  runt,   non  tamen  sunl  prosecuti  suam  o[>|)o- 

•  sitionem;  sed  dicta  compositio,  pariatgium, 
<  communie  et  associatio  remansit  in  sua  vir- 


EVEQUE  DE  MENDE.  —  SA  VIE.  25 

Cependant  une  émeute  parallèle  à  ce  recours  à  la  justice  fut  répri- 
mée et  sévèrement  punie  par  le  Parlement  de  Paris.  Le  chef  des  émeu- 
tiers  n'était  autre  que  le  lieutenant  du  baile  royal'''  de  Marvejols, 
vieux  fonctionnaire  que  le  régime  nouveau  amoindrissait  cruel- 
lement*^'. 

La  lutte  de  Marvejols  contre  l'évêque  s'identifie,  à  bien  prendre, 
avec  la  lutte  des  de  Peyre  contre  le  même  évêque.  Marvejols  él.'lit,  eu 
effet,  avsint  le  pariage ,  le  centre  féodal  des  de  Peyre  :  ils  y  exerçaient, 
en  commun  avec  l'autorité  lointaine  du  roi,  un  pouvoir  respecté;  ils 
y  avaient,  en  féglise  des  Mineurs,  des  tombeaux  de  famille'^'.  Leur 
crédit  semble  y  avoir  été  considérable  :  on  sent  que,  lors  du  pariage, 
une  partie  de  la  population  partagea  l'indignation  et  la  colère  de  ses 
seigneurs. 

En  1809,  au  lendemain  de  fémeutede  i3o8,  un  fait  matériel,  qui 
rendait  palpable  et  visible  à  tous  l'installation  du  pouvoir  nouveau, 
vint  frapper  les  populations  :  des  fourches  patibulaires  et  piloris 
furent  établis  sur  les  terres  communes  au  roi  et  à  l'évêque.  Les 
fourches  lurent  dressées  entre  Mende  et  Marvejols,  un  pied  dans  le 
domaine  royal  et  l'autre  dans  le  domaine  épiscopal''**. 

Enfin  cette  année  1809  fait  date,  non  seulement  dans  l'histoire  de  ces 
contestations'^',  mais  surtout  dans  celle  des  embarras  d'argent  qui  en 
résultèrent  pour  notre  prélat.  En  septembre,  il  exposait  à  son  clergé 
cette  situation  difficile,  lui  disait  ses  litiges  compliqués  et  demandait, 
de  ce  chef,  un  nouveau  subside  caritatif,  les  frais  se  multipliant  avec 
les  incidents  de  procédure'*''.  La  même  année,  Guillaume  se  procura 
un  autre  subside  qui  n'avait  rien  de  caritatif:  il  obtint  du  roi  le  tiers  de 

«  Iule  et  fuit  concordatum ,  servalnm  et  raliflca-  Peyre ,  dans  liullelin  de  la  Société  d'agriculture. . . 

•  tuin   por  ipsos  expresse  vel  tacite.  .  .  »  de  la  Lozère,  186G,  t.  XVII,  t'  partie,  p.  aig 

Rapprochez  Iloucaute  et  Sache,  p.  67,   81,  et  siiiv.,  29G;  Koucaute  et  Sache,  j).  i3(),  i3i 

note  I,  302  el  208.  et  note  a.  —  Ajoutons  tjue,  d'après  plusieurs 

'"'   (]e  baije  royal  nous  parait  ne  faire  qu  un  témoignages  produits  en  1 3 1 7,  Astorg  dt-  Peyre, 

avec  le  chef  de  Ja  cour  commune  du  roi  et  du  que  nous  appellerons  pins  loin  Astorg  1",  fut 

seigneur  de  Peyre.  Il  n'est  pas  surprenant  qu'il  inhumé  au  monastère  de  Chirac  (Arch.  de  la  Lo- 

soil  hostile  à  la  puissante  cour  commune   du  zère,  G8()i,  vers  la  lin  du  registre), 
roi  et  de  révê(|ue.  (*'  Roucaulc  et  Sache,  p.  89,  n°  xwxv. 

'*'  Boutaric,    Acte/  du  Parlement  de   Paris,  '*'   Voir,  an  sujet  de  ces conl«>stations,  Arch. 

,  t.  II,   p.   57,   n"   3587;    Itoucaute  et    Sache,  de  la  IjOzère,G  ao,  783,  787,  837,  8G/1  (/«ccn- 

p.  81,  n°  xxxxiii,  I,  p.    106,  note  i;   Arch.  lairc.t.  I,  p.  173,  180,  i85);  BouUric,  Actes 

de  la  Ix)zère,  (i -jSi  (Inventaire,  t.  I,  p.   17a).  du  Parlement  de  Paris,  t.  II,  p.  58,  n°  SSyG; 

*''  Arch.  de  la  Lozère,  Inventaire,  série  K,  Koocautc  et  Sache,  p.  v,  9a,  gS,  n°  xxxxvii. 
p.  1 35 ;  1)'  B.  P[runières],  L'ancienne  baronnie  de  ''*  Arch.  de  la  Lozère ,  G  33. 

HIST.   I.ITTÉR.  XXXV.  4 


26  GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

tous  les  biens  des  Juifs  du  Gévaudan.  L'évêque  eût  voulu,  à  l'occa- 
sion de  l'expulsion  générale  de  1 3o6,  s'approprier  le  tout;  mais  le  roi 
exigea  pour  lui-même  les  deux  tiers'*'. 

Les  préoccupations  financières  ont  joué  dans  la  vie  de  Guillaume 
Durant  un  rôle  énorme.  H  fit  entendre  à  Philippe  le  Bel  que  le  pariage 
l'avait  appauvri  et  obtint,  assure-t-on,  cette  étrange  promesse  :  le  roi 
ferait  négocier  auprès  du  souverain  pontife  l'octroi  d'une  rente  de 
cent  livres  à  prélever  au  profit  de  l'évêque  sur  les  prieurés  du  Gévau- 
dan '-'.  Cette  requête  fut-elle  vraiment  présentée  à  Clément  V  ?  La 
laveur  ambitionnée  fut-elle  accordée.^  Nous  ne  sommes  en  mesure 
de  répondre  ni  à  l'une  ni  à  l'autre  question.  Mais  nous  constatons 
que,  en  i3o6  et  en  l^oS,  Clément  V  vint  au  secours  du  prélat  en 
lui  accordant  l'autorisation  de  réunir  à  la  mense  épiscopale,  dont  les 
revenus  étaient,  au  dire  de  l'évêque,  extrêmement  exigus,  d'abord 
quatre,  puis  deux  paroisses  de  son  diocèse'^'. 

En  dépit  de  difficultés,  sans  cesse  renaissantes''^',  le  pariage  de 
Mende,  maintes  fois  confirmé,  se  maintint  cependant  jusqu'à  la  fin 
de  l'ancien  régime.  La  plus  ancienne  confirmation  remonte  à 
Louis  X  et  à  l'année  i3i5.  En  même  temps  que  cette  confirmation 
du  pariage,  Mende  obtint  toute  une  série  de  ratifications  de  chartes 
antérieures*^',  dont  la  plus  importante  était  celle  du  2  3  mars  i3o3, 
qu'on  a  quelquefois  qualifiée  grande  charte  française*^'. 

A  ces  vidimas  ou  confirmations  se  joignent  deux  chartes  nouvelles, 
datées  de  décembre  1 3  1 5.  Ce  sont  des  chartes  de  liberté,  qui  font  pen- 
dant à  la  charte  aux  Normands,  à  la  charte  aux  Auvergnats,  à  la 

<''  Outre   son  tiers,    l'évêque  obtint,  hors  Marvejols  en  iSaa  (André,  iii't/.,  p.go,  note  i). 
part,  la  maison  d'un  Juif  (le  la  ville  de  Mende,  •''  Roucaule,    La  jormalion    territoriale    (la 

qui  était  tout   à  fait  à  sa  convenance.  Sur  les  domaine  royal  en  Gévaudan,  p.  84- 
Juifs  en  Gévaudan  et  sur  les  arrangements  de  '''  Reg.  Cleni.  V,  ann.  I,  p.  aSa,  n°  iSSa; 

Guillaume  avec  Philippe  le  Bel,  voir  André,  ann.  III,  p.  191,  n°  3o48. 

Notice  snr  les  Juifs ,  dans  Bulletin  de  la  Société  '*'   Les  efforts  des  seigneurs  jwur  obtenir  la 

d'agriculture.  .  .  de  la  Lozère,  1872,  t.  XXIII,  révocation  du  pariage  de  i3o7  sont  fréquents 

partie    hist. ,    p.   85-90;    Roucaute    et  Sache,  au  XV*  siècle.  Ils  demeurèrent  vains. 
|).    53-56  et  116-118.  La  lettre  de  Philippe  '*'  Parmi    lesquelles   on    peut    citer    deux 

le  Bel,  que  MM.  Roucaute  et  Sache  publient,  chartes  de  saint  Louis.  Cf.  Arch.  de  la  Lozère, 

p.   116-118,  n"  LViii,  est   datée  :  Anno  mille-  G  ao;  A.  Artonne  ,   Le  mouvement  de  iSiU  et 

simo  trecentesimo  nono ,  mense  aprilis.  La  fête  de  les  chartes  provinciales  de  1315  (Paris,  191a), 

Pâques  tombait,  en  i3o9,  le  3o  mars;  il  y  eut  p.  88. 

donc    deux    mois   d'avril    dans    l'année    i3o9  '*'   ^rf/o/inanccs,  t.  I,  p.  354.  Pour  les  antres 

(ancien  stvie).   L'expulsion   ne   fut  pas  com-  chartes  confirmées  en  1 3 1 5,  voir  le  détail  dans 

plèle,  car  il  y  avait  encore  quelques  Juifs  h  Artonne,  p.  85. 


ÉVÊQUE  DE  MENDE.  —  SA  VIE.  27 

charte  aux  Picards,  à  la  charte  aux  Champenois,  en  un  mot  à  toutes 
les  chartes  que  Louis  X  accorda  aux  alliés  coalisés.  Mais  elles  n'ont 
rien  d'original  :  elles  ne  sont  autres  que  la  charte  aux  Bourguignons 
et  Forésiens'''  et  la  charte  aux  Languedociens'"^',  en  tant  que  ces  deux 
documents  se  peuvent  appliquer  aux  habitants  du  Gévaudan,  proul 
se  possnnt  extendcre  ad  cosdein  et  ad  eos  pertuiere.  Nous  remarquons  que 
l'expédition  de  ces  chartes  est  adressée  à  l'évèque  de  Mende,  aux 
autres  personnes  fl'Eglise  et  à  leurs  sujets;  les  féodaux  laïques  ne  sont 
pas  visés  dans  ce  salut  initial''''.  Le  roi,  se  souvenant  du  pariage  de 
iSoy,  dirigé  contre  l'aristocratie  gévaudanaise,  aurait-il  voulu  éviter 
de  lui  accorder  quelque  apparence  d'encouragement?  Nous  indiquons 
cet  aspect  de  la  question,  nous  gardant  de  rien  affirmer,  car  ces 
bénéfices  d'assimilation  aux  Bourguignons  et  aux  Languedociens 
furent  accordés  par  Louis  X  à  un  très  grand  nombre  d'évêques  de 
France,  peut-être  à  tous,  peut-être  enfin  dans  les  mêmes  termes. 
Le  roi  récompensait  ainsi  les  prélats  de  l'octroi  de  la  décime  pour  la 
guerre  de  Flandre'*',  dépendant  (îuillaume  Durant  paraît  avoir  été, 
en  cette  circonstance,  plus  généreusement  traité  que  la  plupart  de 
ses  confrères:  ce  fut,  en  i3i5,  pour  f évoque  de  Mende,  une  vraie 
pluie  de  faveurs  et  de  libertés.  Il  avait  besoin,  pour  maintenir  son 
pariage,  de  l'amitié  solide  du  roi;  il  avait  su  se  la  ménager. 

Le  grand  pariage  de  1807  n'est  pasle  seul  qui  appartienne  à  notre 
étude.  Deux  autres  pariages  doivent  être  ici  mentionnés. 

En  i3ii,  Guillaume  Durant  donnait  pouvoir  au  préchantre  et  à 
deux  chanoines  de  Mende  de  traiter,  avec  les  fondés  de  pouvoir  du  roi 
(parmi  lesquels  Guillaume  de  Plaisians),  d'un  pariage  pour  diverses 
localités  appartenant  soit  à  f  église  de  Mende  (Saint-Julien  d'Ar- 
paon  et  Fontanilles),  soit  au  roi  (Saint-Etienne-Vallée-Française)'^'. 

En  i3i5,  Guillaume  concluait  encore  avec  le  seigneur  d'Alais  un 

'"'  Disons,  avec  plus  de  précision,  la  deu-  comme  le  prouve  une  lettre  adressée  le  20  aoùl 

xième  charte  aux  Bourguignon»  (  Artonne,  ifciJ.,  i3i4   par  se»  vicaires  généraux  aux  barons, 

p.  iS?)-  comtors,  châtelains   et   autres   nobles,  feuda- 

'''   Disons,  avec  plu»  de  précision,  la   pre-  taires  de  l'evéché ,  leur  ordonnant  de  se  rendre 

mière    charte  aux    Languedociens    (Artonne,  avec   chevaux,  cavaliers  et  fantassins   armés, 

p.  i55).  sous  la   bannière  de  l'église  de  Mende,   ver» 

'''  Ordonnances,  t.  XI,  p.  44o;  Arch.  de  la  Arras,  pour  la  défense  du  royaume  (Arch.  de 

Lozère,  G  19.  la    Lozère,  G  27,   d'après   l'Inventaire,   t.   I, 

'•'  Artonne,   p.   85,    86,   88.   L'évèque   de  p.  7). 

Mende    s'était  distingué   par   son    loyalisme,  '''  Arch.  de  la  Lozère,  G  824- 


28  GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

partage,  qui  nous  fait  toucher  du  doij^t  un  état  de  la  propriété  au 
moyen  âge,  très  curieux  et  trop  peu  remarqué  :  nous  voulons  parler 
de  l'extrême  fractionnement  des  droits  de  propriété  et  des  droits 
féodaux  fonciers,  fractionnement  accompagné  d'indivision  persis- 
tante. L'évê([ue  de  Mende  et  le  seigneur  d'Alais  mettent  en  com- 
mun, entre  autres  biens,  des  fractions  de  mouvances  qui  appar- 
tenaient avant  le  traité  au  seul  seigneur  d'Alais  :  févêque  commence 
par  acquérir,  moyennant  une  somme  d'argent,  la  moitié  des  droits 
qui  vont  être  l'objet  du  pariage  ;  une  fois  cette  situation  de  proprié- 
taire réalisée,  il  conclut  le  pariage.  Nous  notons,  entre  autres  objets 
de  cette  singulière  association,  deux  parts  de  la  moitié  de  la  mou- 
vance du  château  de  Sueilhes'*',  au  diocèse  de  Nîmes,  déduction  faite 
du  tiers  de  cette  moitié  pour  lequel  fhommage  est  du  au  roi'-^.  Nous 
avons  peine  à  comprendre  pareil  émiettement  delà  propriété  féodale  ; 
il  n'était  pas  rare  cependant'''^ 

Très  répandu,  très  actif,  Guillaume  avait  évidemment  de  grands 
besoius  d'argent,  et,  tout  naturellement,  il  faisait  appel,  comme  on 
l'a  vu,  à  son  fidèle  clergé.  Il  avait  cependant,  à  foccasion,  quelques 
ressources  extérieures.  C'est  ainsi  que,  désigné  en  août  i3o8  parle 
pape  Clément  V  pour  prendre  part  à  l'enquête  dirigée  contre  les 
Templiers,  il  se  vit  allouer  une  vacation  journalière  de  douze  florins 
d'or  à  prendre  sur  les  revenus  de  fOrdre''''.  L'affaire  des  Templiers 
l'occupa  à  plusieurs  reprises.  En  i  3  i  i ,  il  était  membre  de  la  com- 
mission chargée  de  réunir  et  de  vérifier  les  comptes  des  administra- 
teurs des  biens  de  la  milice  du  Temple'^'.  On  peut  conjecturer  qu'il 
ne  chicana  pas  sur  l'attribution  des  douze  florins  par  jour,  dont  nous 
venons  de  parler.  Cette  affaire  des  Templiers  valut  à  Guillaume  des 
animosités  nouvelles,  qui,  s' ajoutant  aux  hostilités  anciennes,  parais- 
sent l'avoir  fortement  ému.  Une  fois  encore,  il  crut  sa' vie  menacée 

'"'Comni.  et  cant.  de  Saint'>)ean-da-Gar(J ,  d'autres  fractions  de  l'ractions  ;  il  est  l'ait  men- 

arr.  d'Alais.  tion  notamment  d'un  arbre  tenu  en  fief  (  Arch. 

'"'  Arch.  de  la  Lozère,  G  7a,  d'après  Un-  de  la  Lozère,  G  bb6). 
ventaire.  t.  I,  p.  18.  '''  Reg.  Clem.  V,  ann.  III,  p.  319,  n"  353 1. 

'"'Un  exemple  parmi  bien   d'autres  :  Guil-  Cf.     Micbelet,     Procès    des    Templiers,    t.    I, 

lanme    de   Fontanilles   tenait  de   l'évêque   de  p.  285. 

Mende  le  quart   du   château    de  FonUnilles;  '*'  Reg.  Clem.  V,  ann.  VI,  p.  l33,n°  6816. 

Guillaume  P.squirol  tenait  du  même  prélat  la  —  Son  nom  reparait,  en    i3i5,  à   l'issue  de 

moitit-  de  la  vingt-quatrième  partie  du  même  ce  cmel  et  douloureux  procès  [ibid. ,  ann.  VU, 

château,    sans    parler    d'autres    vassaux    pour  p.  yi,  n°  7886). 


KVEQUE  DE  MENDE.  —  SA  VIE  29 

et,  en  juilfet  i3ii,  il  obtint  de  Philippe  le  Bel  l'autorisation  de  se 
faire  escorter  jusqu'à  la  fin  de  l'année  par  quelques  familiers  armés ''^ 
Ainsi  dans  son  Gévaudan,  et  même  dans  la  France  entière,  l'évêque- 
comte  marchera  précédé  et  suivi  de  gardes  du  corps. 

Guillaume  avait  la  confiance  de  la  famille  des  vicomtes  de  Nai'- 
bonne.  Il  régla,  en  qualité  d'arbitre,  un  différend  qui  divisait  le 
vicomte  Amauri  il  et  son  frère;  sa  sentence  fut  rendue,  à  Paris, 
le  19  février  i3io  -'.  Douze  ans  plus  lard,  en  i32a,  il  jouait  de 
nouveau  ce  rôle  (farbitre  conciliateur,  cette  fois  entre  Amauri  11 
et  ses  enfants  '^'. 

Pacilicateur,  en  i3io,  de  la  famille  des  vicomtes  de  Narbonne, 
Gmllaume  Durant  assista,  un  peu  plus  tard,  au  concile  de  Vienne; 
il  y  fut  accompagné  par  le  prévôt  et  le  préchantre  de  sa  cathédrale  et 
par  \in  neveu,  vraisemblablement  le  chanoine  de  Mende,  qui  portait 
le  même  nom  que  lui  et  était  versé  dans  l'étude  du  droit''"'.  Avant  la 
réunion  du  concile,  l'évêque  de  Mende  avait  écrit  l'important  ouvrage 
par  lequel  sa  mémoire  devait  être  conservée  à  la  postérité;  c'est  le 
traité  De  modo  celehrandi  concilu  (/enemlis.  Comme  on  le  verra  par 
fanalyse  qui  en  sera  donnée  ci-dessous,  l'auteur  y  démontrait  la 
nécessité  d'une  réforme  de  l'Eglise  dans  son  chef  et  dans  ses  membres 
et  indif[uait  les  moyens  de  la  réaliser. 

Arrivé  à  Vienne,  il  essaya  de  répandre  ses  idées  réformatrices  et 
de  les  faires  triompher.  Par  quels  moyens,  nous  l'ignorons;  ce  n'est 
pas,  en  tout  cas,  par  le  mémoire  intitulé  Libellas  de  ivbns  m  con- 
cilio  definiendis,  rédigé  après  la  première  session  du  concile,  qui  lui 
a  été  autrefois  imputé  et  qui  certainement  n'est  pas  son  œuvre'^'. 
Sous  quelque  forme  que  se  soit  produite  son  action,  nous  savons, 
par  une  lettre  de  Jean  XXII'®',  écrite  quelques  années  plus  tard, 
qu'elle  parut  de  nature  à  provoquer  un  schisme.  Ce  danger 
semble  avoir  été  conjuré  par  l'intervention  de  Clément  V;  grâce  à 
l'entremise  de  négociateurs  ofiicieux,  l'évêque  désavoua  son  livre  et 
obtint  son  pardon  du  pontife  suprême.  La  réconciliation  fut  com- 

'"'  Roucaute  et  Sache,  p.  i35,  n'  lxxii.  '*'  Beg.  Clem.  V,  ann.  VII,  p.  378,  n°  8719. 

'''  Wégné,  Ainauri  II,  vicomte  de  Narbonne,  '''  Il  est  de  Guillaume  Le  Maire  ;  voir  cides- 

p.    401-409,   n°  xviii.  L'officialile    de  Pari»  sous,  p.  i38. 

homologue  cet  accord  en  i320  (ibid.,p.  428-  '*'  Lettre  écrite  en  iSig  à  la  reine  Jeanne 

432,  n°  xxiv).  de    France,   dans   Coulon,    Lettres  secrètes  et 

'^>  Régné,  ibid.,  p.  a83  et  286.  cuiiales  de  Jean  XXll ,  t.  I,  n"  849. 


30  GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

plète;  car  nous  pouvons  constater  qu'à  l'issue  du  concile,  l'évêque  et 
ses  familiers  eurent  leur  bonne  part  dans  les  faveurs  que  le  Pape 
distribua  aux  membres  de  rassemblée''^ 

En  ces  années  i3i  i-i3i2,  qui  sont  celles  du  concile  de  Vienne, 
Guillaume  Durant  fit  dans  son  diocèse  plusieurs  fondations,  que 
nous  devons  mentionner.  H  fonda,  en  i3ii,  à  Marvejols  une  col- 
légiale dite  :  «  Collège  des  prêtres  et  des  clercs  de  Notre-Dame  de 
Marvejols».  Ces  ecclésiastiques  étaient  chargés  d'assurer  des  oHîces 
réo^uliers  ;  tous  devaient  savoir  lire  ;  aucun  prêtre  de  mauvaise  vie  ne 
pouvait  être  admis  dans  la  communauté.  Le  document  est  daté  de 
Paris,  en  la  maison  de  M'  Guillaume  de  Cbanac  (le  texte  dit  Chant) , 
près  Saint-Germain ,  i  2  janvier  1 3 1 1'"^',  où  habitait  le  prélat. 

Le  Speculator  avait  ordonné  dans  son  testament  la  fondation 
d'une  chapellenie  en  l'église  cathédrale  de  Mende  et  désigné  à  cet 
efiet  l'autel  de  saint  Martin.  Dès  1297,  notre  (Guillaume  s'entendit 
avec  le  chapitre  pour  la  création  et  de  cette  chapellenie  et  d'une  aulre 
chapellenie  à  l'autel  de  saint  Privât,  dans  la  crypte.  Le  patronage  de 
ces  deux  chapellenies  devait  appartenir  à  Pierre  Durant,  du  diocèse 
de  Béziers,  frère  de  Guillaume.  Cette  fondation  se  transforme  en 
i3i  2  ;  notre  prélat,  trouvant  la  crypte  très  obscure, fait  construire  à 
ses  bais  dans  l'intérieur  de  la  cathédrale  une  chapelle  assez  spacieuse 
en  l'honneur  de  la  sainte  Vierge  et  de  tous  les  saints;  il  y  établit 
quatre  chapelains,  chargés  de  prier  Dieu  pour  l'àme  de  Guillaume 
Durant  l'ancien  et  pour  ses  parents.  Une  maison  à  Mende  sera  la  rési- 
dence des  chapelains'^).  Ce  collège,  dit  de  Toussaints,  doit  une  rede- 
vance au  chapitre.  L'acte  que  nous  venons  d'analyser  fut  passé  à 
Lyon,  dans  le  monastère  des  Clarisses,  où  Guillaume  résidait  en  ce 
moment'*'. 

Une  troisième  fondation ,  œuvre  commune  de  l'évêque,  du  chapitre 
et  d'un  prêtre  de  Mende,  date  aussi  de  i3i2.  Elle  a  pour  but  d'as- 
surer et   de   développer  le   service   religieux  de  la  grotte  de  saint 

C   Reg.   Clcm.    V,  ann.   VII,  p.    278-280,  tins,  t.   I,  p.  76;  André,  Les  évêqaes  de  Mende 

n"  8719-8721  (lettres  du  23  juin  i3i3).  pendant  lexiv'  sièele,  dans  Bulletin  de  la  Soeiété 

'*'  Arch.  de  la  Lozère,  G  2247.  d'agriculture...  de  la  Lozère  (1871),  t.  XXll, 

(">  D'après  les  frères   de  Sainte-Marthe,  les  2°  partie,  p.  3).  Quelques  débris  de  ce  collège 

Bénédictins  et  F.  André,  la  résidence  des  cha-  des  chapelains  subsistent  à  Mende,  rue  Nolre- 

pelains  fut   l'ancienne  synagogue  (Scévole  et  Dame.  Le  nom  de  cette  rue  en  rappelle  aussi  le 

Louis  de  Sainte-Marthe,   Gallia  christ.,  t.   III,  souvenir, 
p.  73;  nouvelle  Galliu  christ.,  par  les  Bénedic-  '''  Arch.  de  la  Lozère.  G  a38i  et  2382. 


ÉVÈQUK  DE  MENDE.  —  SA  VIE.  31 

Privât,  qui  jusque-là  n'a  eu  qu'un  seul  chapelain.  Il  y  en  aura  désor- 
mais quatre;  ces  quatre  chapelains  du  collège  de  Saint-Privat- 
la-Pioche  vivront  eu  communauté.  Trois  d'entre  eux  sont  dotés  par 
l'évèque,  le  chapitre  et  le  préchantre;  le  ([uatrième  est  doté  par  un 
prêtre  de  Mende,  appelé  Pierre  Frontut.  Les  quatre  chapelains 
furent  installés  dans  un  hâliment  construit,  au  dire  des  historiens 
de  Mende,  en  i3  17  '''. 

Nous  rapprocherons  de  ces  fondations  divers  actes  qui  témoignent 
aussi  (le  1  intérêt  actif  qufe  Guillaume  portait  aux  affaires  du  diocèse  : 
il  unit  plusieurs  églises  à  la  mense  épiscopale,  lit  hàtir  la  chapelle 
(le  Rramonas  "^'  et  l'église  paroissiale  du  Villard''' ,  dota  l'évêché  de  la 
terre  et  seigneurie  du  Cheylard,  nommé  depuis  Cheylard-l'Evêque'"'. 
Après  de  longues  contestations,  il  déclara,  avec  beaucoup  de  solen- 
nité, soumis  à  la  juridiction  de  l'évèque  de  Mende  un  couvent  de  reli- 
gieuses bénédictines,  relevant  de  l'abbaye  de  Saint- Jean-du-Buis 
d'Aurillac,  le  prieuré  du  (^hambon'^'. 

\ers  la  fin  du  règne  de  Phili|)pe  le  Bel,  en  janvier  i3  i3,  fut  tenue 
à  Paris  une  réunion  de  prélats  et  de  barons,  où  l'on  délibéra  sui-  le 
projet  de  croisade  dont  s'était  occupé,  l'année  précédente,  le  concile 
de  Vienne.  Guillaume  Durant  fut  invité  par  lettre  du  roi,  du  3o  dé- 
cembre 1 3 1  j  ,  à  se  rendre  à  l'assemblée '*"'.  C'est  certainement  à  cette 
occasion  qu'il  rédigea  un  mémoire  dont  il  sera  question  ci-après'^'. 

L'évèque  de  Mende  était  dans  les  meilleurs  termes  avec  le  roi. 
La  marque  la  plus  frappante  de  cette  bonne  entente  est  peut-être  une 
lettre  du  22  mars  i3i4,  par  laquelle  Philippe  le  Bel  prescrivait  le 
dépôt,  dans  le  trésor  du  chapitre  de  Mende,  de  tous  les  registres  et 
mémoires  envoyés  au  Parlement  par  le  sénéchal  de  Beaucaire,  en  sa 
qualité  de  procureur  du  roi,  au  cours  de  l'interminable  procès  qui 
aboutit  au   pariage  de  i3o7;  ces  mémoires   devaient  être  réunis  à 

'■'  Arch.  de  la  Lozère,  G  a366;  Félix  Re-  '''  Comm.  de  Balsièges,  cant.  de  Mende. 

niize,  Saint  Privât,  martyr,  évéqae  du  Gévaudan  '''  Cant.  de  Chanac,  arr.  de  Marvejols. 

(Paris,  1910),  p.  SaS-.^ag.  '*'  Gant,  de  Chàtoauneuf-de-Randon,  arr.  de 

D'une  cliapclienie  fondée  à  Saint-Sifirein  de  Mende.  Art.  cité,  p.  32. 

Carpentras  il  est  dit  dans  des  actes  du  moyen  '''  Arch.    de    la  Lozère,   G   6^7    (acte    de 

af;c  :  «  per  Guillermum  Durant,  ut  dicitur,  l'un-  iSoa).  Cf.  H  336  (Inventaire,  p.  1 13). 

•  dntuin»  (Bibl.  d'Avignon,  ms.  4aa3). De  quel  '''  Roucaute  et  Sache,  p.  i4ii  n°  lxxiv. 

Guillaume  Durant   s'agit-il?  '''   Voir  p.   129. 


32  GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

ceux  que  1  evêque,  partie  adverse,  adressait  lui-même  à  la  cour  pour 
défendre  sa  cause  :  71  registres  et  19  rouleaux  du  côté  du  sénéchal; 
35  volumes  et  48  rouleaux  ou  documents  du  coté  de  l'évêqi^e'''.  L'un 
des  mémoires  rédigés  pour  le  compte  de  l'évêquc,  mémoire  con- 
servé aux  Archives  de  la  Lozère,  a  été  publié  de  nos  jours,  et  nous 
l'avons  utilisé  plus  haut. 

Entre  Guillaume  et  Louis  X  ces  bons  rapports  continuèrent. 
En  1 3 1 5,  l'évêque  rejoignit  à  Arras  l'armée  royale,  qui  marchait  contre 
les  Flamands '^^  Nous  le  trouvons,  en  1 3 1 6 ,  siégeant  aux  Enquêtes  et 
en  la  Grand  Chambre'^'.  Sans  doute,  il  avait  déjà  le  titre  de  conseiller 
du  roi,  que  lui  donnent  explicitement  des  actes  de  1 3 18  et  de  i32o''". 
La  conliance  enfin  qu'il  inspirait  à  Philippe  le  Long  lui  valut  l'hon- 
neur déjouer  un  rôle  dans  la  dernière  phase  des  grands  débats, 
qui,  à  la  mort  de  l'héritier  posthume  de  Louis  X,  surgirent  entre 
Philippe  et  plusieurs  grands  leudataires  au  sujet  du  droit  de  suc- 
cession à  la  couronne. 

Au  moment  où  nous  rencontrons  dans  les  documents  de  cette  pé- 
riode agitée  le  nom  de  Guillaume,  la  succession  de  Louis  X  n'est  pas 
encore  pleinement  et  tranquillement  assurée.  Sans  doute,  le  frère  du 
roi  défunt,  Philippe,  comte  de  Poitiers,  s'est  déjà  fait  sacrer  à  Reims 
(9  janvier  iSi/].  Une  assemblée  de  nobles,  de  prélats,  de  doc- 
teurs de  l'Université  et  de  bourgeois  notables  réunie  à  Paris,  en  fé- 
vrier 1  3  1  7,  a  approuvé  et  confirmé  cette  prise  de  possession,  rejeté  par 
conséquent  les  réclamations  de  ceux  qui  revendiquent  le  trône  pour 
Jeanne,  fille  du  feu  roi  Louis  X.  Enfin  l'Université  elle-même  a 
adhéré  en  corps.  Philippe,  très  habile  et  très  actif,  a  su  gagner  à  sa 
cause  son  frère  Charles,  comte  de  la  Marche,  et  son  oncle,  Louis, 
comte  d'Evreux.  Mais  Eudes,  duc  de  Bourgogne,  frère  de  Marguerite, 
première  femme  de  Louis  X,  et,  par  conséquent,  oncle  de  Jeanne, 
Eudes,  petit-fils  de  saint  Louis  par  sa  mère  Agnès,  Agnès  elle-même, 
duchesse  douairière  de  Bourgogne,  restent  attachés  à  la  cause  de 
Jeanne.  Agnès  a  même  lancé,  le  10  avril  i3i7,  une  protestation  so- 
lennelle, rédigée  dans  une  assemblée  tenue  à  Esnon,  près  de  Joigny  : 
elle  persiste  à  réclamer  le  trône  pour  la  fille  de  Louis  X.  Les  nobles 

'■'   HoucauteelSaché,  p.  iSy-iôS,  n°LXXXlv.  ''*   Boutaric,  t.  Il,  p.   i43-i44. 

'''  Arcli.  di' la  Lozùre,  G  1 30,  d'après  17«-  '*'  (loulon,     Lettres    da  pape   Jean     XXII, 

ventaire,  t.  I,  p.  37.  n"  776  et  778;  Arch.  de  la  Lorère,  G  783. 


EVEQLE  DE  MENDE.  —  SA  VIE.  33 

de  Champagne  ont  répondu  nombreux  à  cet  appel.  Louis,  comte  de 
Nevers  et  de  Rethel ,  fds  du  comte  de  F"landre ,  a  embrassé ,  lui  aussi ,  la 
cause  de  Jeanne.  Tous  ces  opposants  refusent  de  rendre  hommage 
au  «  comte  de  Poitiers  » ,  c'est  ainsi  qu'ils  persistent  à  qualifier  celui 
qui  vient  d'être  sacré  à  Reims. 

Pour  venir  à  bout  de  ces  adversaires,  Philippe  le  Long  mit  en 
œuvre  plusieurs  procédés.  Il  réduisit  par  les  armes  le  comte  de  Nevers. 
Au  duc  de  Bourgogne  il  laissa  entrevoir  un  mariage  avec  sa  propre 
fille,  pourvue  d'une  très  belle  dot;  leur  nièce,  la  fille  de  Louis  X, 
épouserait  Philippe,  fils  aîné  de  Louis  d'Évreux.  En  même  temps  que 
se  poursuivaient  ces  pourparlers,  le  nouveau  roi  constituait  un  groupe 
d'arbitres  médiateurs,  sur  lequel  il  s'était  ménagé  la  haute  main  et 
dont  la  mission,  d'allure  à  demi  juridique,  consistait  à  statuer  sur  la 
question  des  hommages,  autrement  dit  sur  la  question  théorique  des 
droits  de  succession  à  la  couronne. 

C'est  dans  ce  groupe,  où  se  poursuivent  des  négociations  très 
actives  et  très  pratiques,  que  nous  rencontrons  l'évêque  de  Mende. 
En  juillet  iSiy,  il  est  au  nombre  des  seigneurs,  ayant  à  leur  tête 
Louis,  «fils  de  roi  de  France''^),  comte  d'Evreux,  qui  exposent  à  la 
féodalité  armée  l'état  des  négociations  et  projets  officiels  d'arbitrage 
entre  le  nouveau  roi  et  ses  adversaires,  à  savoir  Eudes,  duc  de  Bour- 
gogne, Eudes,  comte  de  Joigny,  et  plusieurs  autres  genldshommes 
champenois.  L'organisation  de  ce  travail  d'arbitrage  officiel,  qui  couvre 
des  eflorts  plus  pratiques,  est  assez  compliquée. 

Le  comte  d'Evreux  et  ses  acolytes,  agissant  au  nom  du  roi  et  se 
quaHfiantsesprocureurs,  nous  narrent  eux-mêmes,au  cours  d'un  exposé 
général,  comment  Guillaume  a  pris  place  dans  ce  groupement  dévoué 
au  roi.  Ils  ont  désigné,  disent-ils,  quinze  arbitres;  à  ces  quinze  ar- 
bitres le  roi,  «  de  sa  volonté  et  de  son  spécial  commandement  »,  en  a 
adjoint  cinq  autres,  au  nombre  desquels  le  comte  d'Evreux  lui-même 
et  Guillaume  Durant.  Si  l'un  des  vingt  arbitres  venait  à  être  em- 
pêché, le  roi  pourvoirait  d'autorité  à  la  vacance.  La  décision  à 
laquelle  s'arrêteront  ces  vingt  arbitres,  ou  quinze  d'entre  eux,  sera 
définitive  et  sans  appel.  Le  duc  Eudes  et  ses  alliés  s'obligent  à  ac- 
cepter la  sentence  arbitrale.  Cette  sentence  sera  rendue  avant  la  Noël 

'''  C'est  la  formule  ofTicielIe.  Le  comte  d'Évreux  était  fils  de  Philippe  le  Hardi  et  de  Marie 
de  Brabant. 

HIST.  LITTÉB.  XXXV.  5 

5  ♦  ..p.,..,„  ..„„,... 


34  GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

de  l'année  iSiy  ;  d'ici  là  les  deux  parties  en  présence,  à  savoir  le  roi 
et  les  alliés,  observeront  une  trêve  très  rigoureuse. 

Mais  les  arbitres  n'ignorent  pas  qu'à  côté  d'eux  le  roi,  se  plaçant 
sur  un  terrain  tout  autre  que  le  droit  de  succession  à  la  couronne, 
travaille  à  sa  manière  et  négocie.  Il  importe  de  laisser  à  son  action  la 
liberté  et  les  délais  qui  lui  sont  nécessaires,  car  une  sentence  intem- 
pestive pourrait  renverser  l'édifice  politique  auquel  il  se  consacre. 
Voilà  pourquoi  lesdits  arbitres  se  réservent  avec  grand  soin  le  droit 
d'ajourner  leur  décision  :  «  lequel  temps  nous,  ou  les  quinze  de  nous, 
«  pourrons  eslogner  une  foiz  ou  pluseurs,  selon  ce  que  il  nous  samblera 
«que  sera  à  faire''^>.  De  fait,  quand  la  Noël  approcha,  on  ajourna 
jusqu'à  la  fête  de  Pâques  de  Tannée  suivante;  cette  dernière  décision 
est  datée  de  Lorris-en-Gâtinais,  i5  novembre  iSiy  '"^'.  Les  prévisions 
que  suppose  cet  ajournement  à  Pâques  étaient  justes,  car  les  projets 
de  paix  par  voie  de  mariages,  que  nous  indi(juions  plus  haut,  furent 
délinitivement  arrêtés  avant  Pâques,  le  27  mars  i3i8.  La  mission 
confiée  aux  arbitres  s'évanouissait,  par  conséquent,  d'elle-même, 
comme  ils  l'avaient  pressenti. 

Parallèlement  à  l'affaire  des  hommages  de  Bourgogne  et  de  Cham- 
pagne, affaire  d'ordre  politique  de  la  plus  haute  importance,  s'était 
posée  pour  Philippe  le  Long  une  question  moins  grave,  mais  délicate 
à  bien  des  égards,  celle  du  douaire  de  la  reine  Clémence,  veuve  de 
Louis  X.  Guillaume  Durant  fut  mêlé  à  ces  pourparlers;  il  est  fun  des 
témoins  du  traité  passé  à  Poissy,  le  if)  août  iSiy,  par  lequel  furent 
réglées  certaines  conditions  de  ce  douaire  :  la  clause  la  plus  intéres- 
sante en  est  peut-être  celle  par  laquelle  la  reine  Clémence  cède  au  roi 
sa  maison  de  Vincennes,  le  roi  lui  abandonnant  en  échange,  soit  •  la 
«  grant  maison,  qui  fut  du  Temple,  à  la  grant  tour,  vers  Saint-Martin- 
«  des-Champs  » ,  soit  la  «  maison  appelée  Neele,  sur  la  rivière  de  Seine  ■>. 
Dans  cet  acte,  la  reine  (îlémence  appelle  le  roi  «  noslre  chier  seigneur 
«et  frère»;  le  roi  appelle  la  reine  Clémence  «  nostre  chiere  dame  et 
Mseur^^'».  L'accord  de  1817   ne  supprima  pas  d'ailleurs  toutes    les 

'''   Arci).  nal. ,  J    3o6,   Provins,    n°   2.  Ces  nient  de  Philippe  le  Long,  on  peut  lire  :  Paul 

engagements   forent  pris  à  Melun,  en  juillet  Viollet, //ufoiVp  f/«  institutions. ..  de  la  France, 

l3i7  (J  20/i,  n°  a).  Cf.  Coulon,  t.  I,  n°  aaS,  t.  II,  p.    68-70;    Lehugeur,    Histoire  de   Phi- 

note  3,  et  n°  869 ,  note  1.  lippe  le  Long  (Paris,   1897),  p.  28-43  et  79- 

<''  Arcli.  nat. ,J  aOi4.n°  a.  Sur  les  diiricultés  io5. 

et  les  contestations    qui   surgirent   à    lavène-  '''   Arch.    nat.,   J    io3G,  n°  7,  et   J    io44. 


EVEQUE  DE  MENDE.  —  SA  VIE.  35 

difficultés.  En  janvier  i3i8.  Ta  (Faire  du  douaire  n'était  pas  encore 
terminée,  et  le  pape,  qui  avait  conféré  à  ce  sujet  avec  les  ambassa- 
deurs du  roi,  parmi  lesquels  levêque  de  Mende,  engageait  la  reine 
Clémence   à  prendre  patience ''^ 

Les  démêlés  de  Philippe  le  Long  avec  les  «  alliés  »  et  avec  la  reine 
Clémence  n'absorbaient  pas  toute  l'activité  et  tous  les  instants  de 
Guillaume,  car  nous  le  voyons,  précisément  en  l'année  iSiy,  jouer 
ce  même  rôle  d'arbitre  entre  Bernard  VI  d'Armagnac,  les  consuls  et 
habitants  du  bourg  de  Rodez,  d'une  part,  l'évêque,  le  chapitre  de 
Rodez  et  les  consuls  de  la  cité,  d'autre  part.  Le  désaccord  de  Bernard 
d'Armagnac  et  de  l'évêque  avait  pris  naissance  vers  1 3 1 5 ,  à  l'occasion 
de  la  police  des  foires  de  Rodez.  La  querelle  s'était  ensuite  développée 
et  aggravée.  11  y  avait  eu  lutte  à  main  armée,  suivie  d'excommuni- 
cation lancée  par  l'évêque.  Le  3i  mars  i3i7,  Guillaume,  assisté  de 
deux  commissaires  du  roi  et  du  sénéchal  de  Rouergue,  rendit  une 
sentence  arbitrale,  qui  établissait  un  pariage  entre  l'évêque  et  le  comte. 
Cette  sentence  assoupit  momentanément  le  dillérend,  mais  les  contes- 
tations se  renouvelèrent,  et,  en  i325,  Guillaume  fut  invité  par  le  roi 
à  intervenir  de  nouveau  pour  régler  certaines  questions  restées  pen- 
dantes. Le  débat  ne  fut  pas  encore  clos  déhnitivement  à  cette  date; 
il  devait  renaître  ultérieurement''^'. 

Bien  que  l'évêque  de  Mende  ait  écrit,  du  temps  de  Clément  V,  le 
fameux  traité  De  modo  celebrandi  concilii ,  si  cruel  pour  la  cour  de  Rome , 
il  ne  parait  pas,  on  l'a  vu  plus  haut>^\  que  le  pape  lui  en  ait,  après  la 
dissolution  du  concile,  témoigné  du  ressentiment;  au  contraire,  il  le 
traita  avec  faveur. 

Les  relations  de  Guillaume  Durant  avec  Jean  XXII  furent,  comme 
on  le  verra,  plus  mouvementées. 

Ces  relations  commencent  dès  l'année  i3i6,  au  lendemain  de 
l'élection  du  souverain  pontife  (7  août).  À  cette  date,  elles  sont  excel- 
lentes. Le  conseiller  du  roi,  lequel  est  l'ami  du  pape'*',  semble  avoir 

n°  22.  Cf.  Coulon,  n"  233  et  36i,  avec  les  abbé   Guérard,   Documents  pontificaux-  sur   la 

notes.  Gascogne,    Pontificat    de   Jean    XXII    (Paris, 

''■   Coulon,    Letties    secrètes    et    curiales    de  '9o3),   t.  II,  p.  26,  note  3;  Bibl.  nat.,  ms. 

Jean  XXII,  n°  476.  fr.  2637,   p.  6i3  et  suiv.;  Gallia  christ.,  t.  I, 

'*'  D.Wa\ssele,  Histoire  de  Languedoc,  t.  IX,  col  96. 

p.  35i-352;   Baron  de   Gaujal,  Études  histo-  '''  P.  29  et  3o. 

riques  sur  le  Rouergue,  t.  II,p.  i53-i57  et  i63;  '*'  Sur  les  relations  amicales  de  Jean  XXII  et 


36  GCILLAUMI-:  DURANT  LE  JEUNE, 

lui-môme  la  confiance  du  pontife.  En  voici  la  preuve.  L'archevêque 
de  Reims  et  son  concile  provincial  ont  entamé,  puis  délaissé,  une 
procédure  criminelle  contre  levéque  de  Châlons,  sur  lequel  pèsent 
les  plus  graves  accusations;  en  octobre  i3i6,  Jean  XXII  charge  f ar- 
chevêque de  Cambrai,  les  évêques  d'Amiens,  de  Mende  et  d'Arras  de 
poursuivre  l'enquête,  tout  en  maintenant  sous  bonne  garde  l'évêque 
accusé'".  Bien  que  le  souverain  pontife  ait  écrit  à  ces  quatre  prélats 
de  procéder  SH/nmane  et  de  piano,  sine  strepilii  et  figura  judicii ,  l'afialre 
traîna  en  longueur;  l'année  suivante,  le  pape  la  rappelait  aux  quatre 
commissaires'"-',  et,  de  nouveau,  il  les  pressait  de  transmettre  leurs 
conclusions  à  la  cour  de  Rome'^'.  L'innocence  du  prélat  fut  finalement 
reconnue'*'.  Du  reste,  aux  termes  des  lettres  pontificales,  la  présence 
de  deux  des  quatre  prélats  suffisait  pour  que  fenquête  fût  régulièic. 
Nous  ne  pouvons  donc  affirmer  que  févêque  de  Mende  ait  pris  à  cette 
affaire  une  part  effective  et  personnelle.  C'est  même  peu  probable, 
car  en  iSiy  Guillaume  faisait  partie  d'une  ambassade  solennelle 
envoyée  par  Philippe  le  Long  auprès  de  Jean  XXII  pour  l'entretenir 
de  questions  diverses  :  affaire  de  Flandre,  demande  de  subsides, 
règlemeiit  du  douaire  de  la  reine  Clémence,  projet  de  croisade,  enfin 
projets  d'érection  d'archevêchés  et  d'évêchés,  étudiés  par  le  souverain 
pontife  et  auxquels  le  roi  ne  se  montrait  pas  très  favorable'*'.  L'évêque 
de  Mende  partit  pour  Avignon  en  compagnie  des  évêques  de  Laoïi 
et  du  Puy,  des  comtes  de  Clermont  et  de  Forez,  et  du  sire  de  SuUi. 
Au  commencement  de  f  année  i3i8,  il  était  encore  à  la  cour  ponti- 
ficale; nous  apprenons  par  une  lettre  de  Jean  XXII,  du  25  mars 
i3i8,  qu'il  se  disposait,  vers  cette  date,  à  retourner  à  la  cour  de 
France  '*"'. 

Les  mêmes  évêques  de  Laon,  de  Mende,  du  Puy,  et  les  seigneurs 
laïques  ci-dessus  nomrnés  furent  chargés  par  le  roi  de  diverses  mis- 
-sions,  qui  rappellent,  pour  partie,  les  enquêtes  ordonnées  par  saint 
Louis,  puisqu'ils  avaient  notamment  pouvoir  de  réprimer  les  excès 

de  Philippe  le  Lonjj,  voir  Lehugeur,  Histoire  '^'  Cf.  Coulon  ,  n°  33o,  note  a,  et  n°  i'jS, 
(le  Philippe  leLonif.p.  30o-ao4-  note  7;  Ilisl.  lill.  de  la  Fr.,  t.  XXXIV,  f>.àc)/i; 
'"'  MoUat,  n'  1457.  Lehugeur,  ouvr.  cité,  p.  ao/i  3o5.  M.  I.ehugcur, 
'''  ("oulon,  n"  4 10.  il  est  bon  dVn  faire  la  remarque,  ne  croit  pas 
'''  Coulon,   n°  5i6;    MoUat,   n°  0(565  (ai          que  Philippe  le  Long  ait  été  hostile  à  ces  de- 
mars  i3i8).  membrements. 

•'1   G  allia  christ. ,  f.  IX,  col.  800-801.  '*'   Coulon,  n°  5a5. 


EVEQUE  DE  MENDE.  —  SA  VIE.  37 

et  abus  imputables  aux  officiers  royaux.  C'est  précisément  lors  du 
voyage  d'Avignon  qu'ils  jouèrent  ce  rôle  d'enquêteurs  réformateurs'^^. 
Ils  eurent  occasion  d'informer  au  sujet  d'une  plainte  portée  devant 
eux  ])ar  l'évèque  de  Maguelone  :  plusieurs  ofliciers  royaux  de  la  séné- 
cliaussée  de  Beaucaire  avaient  outragé,  violenté  et  même  incarcéré, 
les  traitant  de  voleurs,  un  professeur  de  droit  canonique  à  Montpel- 
lier'"*, conseiller  et  familier  de  cet  évêque,  et  quatre  autres  clercs,  atta- 
cliés  à  des  tilres  divers  à  la  cour  de  l'évèque.  Celui-ci  demandait 
justice.  Les  commissaires,  ou  plus  exactement  deux  d'entre  eux  (les 
autres  ayant  été  retenus  par  diverses  occupations) ,  adressèrent  au  roi 
un  rapport  entièrement  favorable  à  l'évèque  de  Maguelone.  Le  roi 
transmit  au  Parlement  le  dossier  de  l'aflaire.  Après  que  la  cour  eut 
entendu  contradictoirement  les  parties,  Philippe  envoya  à  son  Par- 
lement l'ordre  de  juger  dans  le  sens  indiqué  par  les  commissaires, 
et  l'arrêt  rendu  le  9  juin  i3i8  fut,  en  effet,  très  dur  aux  officiers 
coupables  ^^'. 

Au  mois  d'avril  i3i8,  un  accord  solennel  fut  conclu,  ])ar  l'en- 
tremise de  l'évèque  de  Mende,  entre  la  duchesse  de  Bretagne  Isabelle 
et  son  beau- frère  Gui,  pour  mettre  lin  aux  difficultés  relatives  à  la 
possession  de  la  vicomte  de  Limoges'*'.  Guillaume  joua  aussi  un  rôle 
actif  dans  l'enquête  relative  à  certaines  accusations  portées  contre 
Raoul  de  Pereaus;  ce  conseiller  du  roi  était  en  butte  à  de  conti- 
nuelles attaques  contre  lesquelles  Jean  XXII  chercha  en  vain  à  le 
défendre'^*. 

Au  commencement  de  mai  i3i8,  diverses  mesures,  fort  étranges, 
prises  par  Jean  XXII  contribuent  à  nous  faire  sentir  le  crédit  dont  jouit 
Guillaume,  tout  à  la  fois  auprès  du  pape  et  auprès  du  roi.  11  s'agit  de 
dispenses  de  mariage  demandées  par  Philippe  le  Long,  qui  veut  unir 
sa  fdle  Jeanne  à  Eudes,  duc  de  Bourgogne,  et  sa  nièce  Jeanne,  fdle  de 
Louis  X,  à  Philippe,  fils  du  comte  d'Evreux  :  dispenses  de  parenté  et 
aussi  dispenses  d'âge,  car  la  fille  de  Louis  X  n'a  pas  encore  sept  ans 

'''  L'affaire  dont  ii  est  question  nous  reporte  qui  aura  bientôt  sa  notice  dans  notre  ouvrage, 
à  l'aller  et  non  au  retour  des  commissaires,  '''  Beugnol,  Otini.t.  III,  a*  partie,  p.  1273- 

car  le  sire   de  SuUi    ne  revint    pas  avec  les  1375,  n°  liv;  Boutaric,  Actes  du  Parlement  de 

évoques  de    Laon    et    de    Mende    (Coulon,  Pan'j,  t.  II,  p.  a44,  n°  544o. 
n°    5a5).  '*'  Coulon,  n°  374, note  a.  Cf.  GaWia  c/irù(.. 

*''  Ce  professeur  n'était  autre  que  Jesselin  de  t.  I .  col.  97. 
Cassagne  (His.  litt.  de  la  Fr. ,  t.  XXXIV.  p.  5 1 8).  ^  Coulon ,  n"  554.  Cf.  n°  7a ,  note  1 . 


38  GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

et  le  fils  du  comte  d'Evreux  n'a  pas  quatorze  ans  accomplis.  Cette 
dispense  d'âge  embarrasse  cruellement  le  souverain  pontife,  qui  tient 
à  obliger  son  ami  et  allié  le  roi  de  France,  mais  auquel  une  commis- 
sion de  cardinaux,  de  théologiens  et  de  canonistes  a  donné  sur  cette 
question  un  avis  nettement  défavorable:  pareille  dispense  serait  con- 
traire au  droit  naturel.  Que  faire  .«^  Vraisemblablement  le  souvenir  de 
Philippe  le  Bel  n'est  pas  étranger  au  désir  très  vif  qu'exprime 
Jean  XXII  de  complaire  au  fds  du  redoutable  adversaire  de  la  pa- 
pauté. 

Le  pape  imagine  donc,  ou  on  imagine  pour  lui,  une  très  curieuse 
combinaison  :  deux  lettres  pontificales  sont  expédiées,  qui  toutes  deux 
accordent  la  dispense  de  parenté;  en  Tune  des  deux  lettres  il  est  ex- 
pliqué que  cette  dispense  est  accordée  en  vue  de  contracter  mariage 
en  âge  de  puberté;  sur  ce  point  l'autre  lettre  garde  le  silence.  Permis- 
sion est  donnée  au  roi  de  se  servir  de  l'exemplaire  des  lettres  ponti- 
ficales qui  lui  conviendra  le  mieux.  En  même  temps,  le  pape  donne 
pouvoir  à  l'archevêque  de  Rouen,  à  l'évêque  de  Laon  et  à  l'évêque  de 
Mende,  ou  à  l'archevêque  assisté  d'un  des  deux  évèques,  d'accorder 
toutes  les  dispenses  qui  leur  paraîtront  compatibles  avec  ce  qui  est 
licite  au  pape  et  sied  à  sa  dignité'*'.  11  était  vraisemblable  que  le  roi 
choisirait  la  lettre  pontificale  où  il  n'était  question  que  de  la  parenté 
et  n'était  pas  fait  allusion  à  l'âge;  pour  cette  dispense  d'âge  il  devait 
utiliser  les  pouvoirs  généraux  donnés  aux  trois  prélats.  Faut-il  sup- 
poser que,  par  ce  procédé,  le  pape  estimait  libérer  sa  conscience  et 
charger  celle  des  trois  fondés  de  pouvoir  du  poids  qui  l'oppressai  t.** 

Que  firent  les  trois  prélats.^  Aucun  texte  ne  fournit  à  cette  question 
de  réponse  directe.  Mais  il  nous  paraît  aujourd'hui  vraisemblable  que 
la  décision  des  évêques  vint  opportunément  compléter  la  lettre  de  dis- 
pense où  il  n'était  pas  dit  un  mot  de  l'âge '^*,  car  les  deux  mariages 
furent  célébrés,  ppr  verba  de  prœsenti ,  le  1 8  juin  1 3 1 8  ''''. 

Ces  manœuvres  di])lomatiques  dans  le  domaine  du  droit  naturel 
et  de  la  conscience  ajoutent  des  traits  assez  inattendus  aux  physio- 
nomies, d'apparence  si  énergique,  des  auteurs  delà  bulle  Ëxsecrabilis 

'"'  Coulon ,  n"  576,  576,  577  et  579.  plu»  minulieuse  de  la  situation  nous  ont   fait 

'*'   Nous  exprimions  l'opinion  contraire,  dans  changer  d'avis. 
YHtst.  lin.  de  la  Fr..  t.  XXXIV,  p.  i3i.  L'exa-  <''  Cf.   Lehugeur,  ouvr.  cit.-,  p.    lo'i;   Hisl. 

men  plus  attentif  de»  documents  et  l'analyse  litt.  de  la  Fr.,  t.  XXXIV,  p.  iSg. 


ÉVÈQUE  DE  MENDE.  —  SA  VIE.  39 

el  (lu  traité  De  modo  celehrandi  concdii.  Ils  sont  l'un  et  l'autre  cuirassés 
de  fer.  Mais,  sous  ce  fer,  que  de  mollesse,  que  de  souplesse,  parfois  que 
de  duplicité!  À  qui  la  lit  tout  entière,  la  bulle  Exsecrahdis  elle-ménie 
trahit  déjà  cette  faiblesse  de  caractère''*.  Quant  à  l'auteur  du  De  mudo 
celehrandi  concdii,  ce  pur  chrétien  des  premiers  siècles  et  des  grands 
conciles  œcuméniques,  il  oublie  trop  facilement  certains  préceptes  de 
morale  chrétienne  et  même  de  morale  naturelle.  Aussi  bien,  les  trois 
évêques, auxquels  le  souverain  pontile  abandonnait  tacitement  le  soin 
de  résoudre  ce  difficile  problème  de  la  dispense  d'âge,  purent  facile- 
ment découvrir  dans  les  Décrétales  de  Grégoire  IX  un  texte  sauveur'"^'. 
Pendant  les  premières  années  du  pontifical  de  Jean  XXII,  jusqu'en 
mai  i3i8  inclusivement,  les  indices  de  rapports  excellents  entre  le 
souverain  pontife  et  Guillaume  Durant  abondent.  En  mars  i3i8,  la 
faveur  dont  jouit  l'évêque  est  attestée  par  de  nombreuses  concessions 
de  ])rivilèges  pour  lui-même,  el  de  bénéfices  accordés,  sur  son  inter- 
vention*^', à  ses  parents  et  protégés*'',  (l'est  le  résultat  presque  nécessaire 
de  la  situation  que  le  roi  et  le  pape  ont  faite  à  notre  prélat.  Mais  nous 
touchons  à  des  temps  moins  tranquilles.  Cette  phase  nouvelle  de  la 
carrière  de  Guillaume  nous  ramènera,  pour  êlre  parfaitement  enten- 
due et  comprise,  et  au  pariage  et  au  concile  de  Vienne. 

Béraud  VII  de  Mercœur,  le  plus  opulent  seigneur  d'Auvergne,  ne 
relevait  pour  son  château  de  Mercœur  que  de  Dieu.  11  avait  de  nom- 
breuses et  belles  possessions  dans  plusieurs  autres  provinces,  en  Bour- 
bonnais ,  en  Champagne ,  en  Bourgogne,  en  Franche-Comté ,  en  Lyon- 
nais, en  Forez,  en  Velay,  en  Rouergue  et  en  Gévaudan,  sans  parler 
de  ses  hôtels  de  Paris  et  de  Lyon.  Il  fut,  à  dater  de  i3o4  environ, 
connétable  de  Champagne.  C'était  un  féodal  actif  et  agité.  Les  affaires 
de  Gévaudan  tiennent  dans  sa  vie  une  place  considérahle.  Il  avait,  en 
eifet,  dans  ce  pays  de  grands  intérêts  :  une  partie  de  la  vicomte  de 

'"'  Cf.    Hist.    lilt.    de    la    Fr.,    t.    XXXIV,  laume  Durant  dans  sa  mission  auprès  du  saint- 

p.  iSa.  siège. 

''•   \\\  u,  Detlcsponsalioiie,  ^.  "'   MoUat,    n°'   6532   à    6536.    Nous    rele- 

''*  MoUat,  n°'  6524  à  6537,  6552,  66o5,  vons  parmi  ces   lettres  pontificales  une  nou- 

66i2,  66i3  et  66i5.  Il  faut  ajouter  que  le  velle  licence  de  tester  (n"  6533). En  mai  i3i8, 

registre  des  lettres  communes  de  Jean   XXII  nous  voyons  encore  une  mission ,  fort  délicate , 

atteste  que  des  faveurs  analogues  ont  été  accor-  confiée  par  le  pape  à  Guillaume  et  à  d'autres 

dées  à  la  même  époque  aux  collègues  de  Guil-  évêques  (Coulon,  n"*  b-jb  à  877  et  579). 


40  GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

Gévaudan ,  dite  de  Grèzes,  près  de  Marvejols,  plusieurs  chàteHenies  et 
domaines  iui  appartenaient. 

Au  temps  de  Guillaume  Durant,  les  plus  importants  seigneurs  du 
pays  de  Marvejols  étaient  le  roi  et  Béraud  de  Mercœiir.  Mais  qui 
était  en  Gévaudan  le  suzerain  de  Béraud,  le  roi  ou  l'évéque?  Long  dé- 
bat à  ce  sujet,  on  l'a  vu  plus  haut,  entre  les  deux  puissances  :  débat 
non  seulement  à  l'endroit  de  Béraud  de  Mercœur,  mais  aussi  à  l'en- 
droit de  plusieurs  autres  féodaux.  C'est  aux  dépens  de  celte  noblesse 
avide  d'indépendance  que  fut  conclu  le  pariage  de  iSoy. 

Aux  griefs  que  les  gentilshommes  invoquaient  en  commun  contre 
l'évéque  de  Mende,  Béraud  ajoutait  un  grief  spécial  :  il  avait,  depuis 
un  certain  temps,  introduit  la  coutume  d'Auvergne  dans  les  terri- 
toires possédés  en  Gévaudan  par  la  maison  de  Mercœur'*';  or  la  cour 
commune  du  roi  et  de  l'évéque,  dont  le  rôle  en  Gévaudan  était 
consacré  par  le  pariage'''',  voulait  bannir  la  coutume  d'Auvergne  et 
prétendait  que  les  terres  de  Mercœur  devaient  abandonner  cette 
coutume  et  être  régies  par  le  droit  romain.  La  contestation  fut  ter- 
minée comme  l'entendait  la  cour  commune.  Cette  question  et  quel- 
ques autres  furent  réglées  par  une  transaction  conclue  dans  le  châ- 
teau de  Saint-Cirgues,  près  de  Brioude,  le  '26  septembre  i3i2,  sous 
réserve  de  l'approbation  royale.  Philippe  le  Bel  approuva  cet  accord 
par  lettres-patentes,  datées  de  Paris,  au  mois  d'août  i3i4'^'.  La  paix 
ainsi  établie  entre  les  deux  adversaires  semblait  si  solide  que  Béraud 
de  Mercœur  crut  pouvoir  faire  de  l'évéque  un  de  ses  exécuteurs  testa- 
mentaires, lorsque,  le  26  mai  i3i4,  jour  de  la  Pentecôte,  il  rédigea 
son  testament'*'.  Peut-être  cependant  les  vieux  ressentiments  sont-ils 
seulement  endormis  jusqu'au  jour  où  des  circonstances  favorables  l«s 
viendront  réveiller.  Ces  circonstances  se  seraient-elles  produites  lors 
d'un  séjour  prolongé  de  Béraud  de  Mercœur  à  la  cour  d'Avignon, 
sous  le  pontificat  de  Jean  XXll?  Nous  arrivons  à  ces  événements. 

Béraud,  qui  vraisemblablement  avait  eu  certaines  relations  avec 

'''  Cf.   Marcpllin    Boudet,  Béraad    VII    de  <''   Aich.   nat.,  JJ   5o,  n"  /jS:   Roucaute    et 

Mercœur,  dam  Revue  d'Auver<ine(\^oi)^t. XXI,  Sache,  Lettres  de  Philippe  le    Bel  relatives  au 

p.  3,  110,  ii5,  118,  120  et  265.  pays  de  Gévaudan,  p.    i54,  n"  lxxxi,  p.    i6l 

'''  Cf.  le  texte  du  pariage  dans  G.  de  Burdin,  et  n°  lxxxvi,   p.   aia;  Chassaing,  Spicilcgiuin 

Documents  historiques  sur  la  province  de  Gévau-  Brivatcnse ,  p.  380,  n°  io4;   0.  Vaissete,  Hisl. 

dan,  t.  1,  p.  368-369  ;  dans  Roucaute  et  Saclié,  de  Languedoc,  t.  1\,  p.  296,  note   1. 
Lettres  de  Philippe  le  Bel  rchttives  au  pays  de  '*'  Baluze,    Hist.   de  la  maison  d' Auvergne , 

Gévaudan,  p.  i8Â-  *•  IL  P-  ^^1-  Cf.  GaUia  christ.,  t.  I,  col.  96. 


ÉVÉQUE  DE  MENDE.  —  SA  VIE.  fa 

Jacques  Duèse,  offrit,  dit-on,  à  celui-ci,  devenu  Jean  XXII,  sa  per- 
sonne et  son  épée,  lorsqu'au  lendemain  du  couronnement  le  pape 
crut  sa  vie  menacée  par  un  groupe  hostile  de  conspirateurs"'  Le 
souverain  pontife  remercia  Béraud  et  lui  voua  dès  lors,  en  dépit 
de  divers  incidents  fâcheux,  une  vive  sympathie.  Sympathie  solide 
et  durable,  car,  en  i3i8,  à  l'heure  où  Philippe  le  Long,  offensé  par 
Beraud  de  Mercœur,  procédait  contre  celui-ci  les  armes  à  la  main 
Béraud  trouva  un  refuge  à  la  cour  d'Avignon'^).  Le  paj)e  s'intéressa 
vivement  a  son  protégé  et  écrivit  au  roi  de  France  lettres  sur  lettres 
en  laveur  de  Mercœur. 

Vers  le  même  temps,  la  cour  d'Avignon   était  saisie  de  plaintes 
nombreuses   contre   Guillaume    Durant.  Celui-ci  dut,  en   effet,   en 
i3i8,  faire  tête  à  un  assaut  d'accusations:  accusations  en  Gévaudan 
accusations    en    Avignon.   En  Gévaudan,  c'est   le   baile  de    Marve- 
jois,   probablement  un  vieux  titulaire,  mi-parti   officier  royal    mi- 
parti  officier  des  de  Peyre,  magistrat  amoindri  depuis  la  cr^tion  do 
la  cour  commune  instituée  par  le  traité  de  pariage,  qui  fait  courir, 
assure-t-on,  de  très  méchants  bruits  sur  le  compte  de  l'évéque  •  en 
présence  de  personnes  honorables,  il  a  dit,  entre  autres  choses    que  le 
prélat  avait  à  son  service  ou  entretenait  des  brigands  et  des  assassins  • 
qu  il  avait   a  force  de  pressurer  le  peuple,  réduit  à  la  prostitution  une 
centaine  de  femmes  f^).  Ce  médisant  baile,  qui  avait  proféré  bien  d'au- 
tres injures,  fut  cité  à  comparaître  par-devant  le  lieutenant  du  séné- 
clial  de  Beaucaire.  11  fit  piteuse  mine  en  justice,  niant  les  propos  qui 
lui  étaient  attribués ,  se  soumettant  d'ailleurs  humblement  à  tous  ordirs 
et  injonctions  qu'il  plairait  à  l'évéque  de  lui  dicter^*'.  De  ces  hostilités 
gévaudanaises  nous  ne  savons  directement  nulb;  autre  chose.  Mais  nous 
ne  devons  pas  oublier  qu'en  1 3 1 8  les  mécontents,  ligueurs  de  la  veille 
s  agitaient  encore  en  France  sur  bien  des  points,  notamment  en  Au- 
vergne. En  Gévaudan,  l'heure  dut  sembler  favorable  à  tous  ceux  qui 
en  i3o4,  puis  en  i3o8-i3o9,  s'étaient  levés  contre  l'évéque.  On  sent 
que  le  baiIe  de  Marvejols  n'est  pas  une  voix  isolée;  il  représente  tout 

de  l  /t:;':'xXXW  p '/os'''-  ''  ''"•  '"'•  •  I^^J."'-.'^'--'  !^'^-  <lo.i„u,.  episco,,u,„ 

m  M        II      n     j'.       %    r  o    ^  "fecisse  in  diocesi  Mimalensi.. 

Marcelhn  Boudet     p.   ^S-5,j6.  <»)   Arch.  do  la  Lozère.  G  783.  Sur  les  difli- 

)  Nous  v.,ons  celle  phrase  :  .  ac  eliam  cen-  cultes  intérieures  que  trouvait  à  ce  mom     t 

.IZnTZT           ''''   '"   P'-"   """f  "•"•         '''^^^'J"«  ^'''-  -"  dio--.  voir  auss   G  .sT 
•rafone  exact.onum quas dictus         800,  d'après  VInvenlaire.  t.  J,  p  3,  et  i^S 


HIST.   LITTER.  XXXV. 


6 


42  GUILLAUME  DURANT  LR  JEUNE, 

mi  courant  hostile.  Peut-être  le  lecteur  n'a-t-il  pas  oublié  qu'en  i.îo8 
le  lieutenant  du  baile  royal  était,  en  ce  même  Marvejols,  chef 
(r(''meute''*.  La  vieille  jui,^erie  de  cette  ville  était  certainement  un  centre 
d'opposition  au  paiiage. 

Du  Gévaudan  nous  nous  transportons  en  Avignon  où,  comme  on  l'a 
vu,  s'est  rélugié  ])rès  du  pape  le  plus  important  des  0j)posants  de 
i3o8,  Béraud  de  Mercœur.  Des  accusations  contre  l'évêque  sont 
arrivées  jusqu'au  souverain  pontife.  Mais  Guillaume,  évidemment 
inquiet,  a  saisi  de  l'alTaire  le  roi  et  la  reine  de  France  :  il  a  demandé 
et  obtenu  leur  intervention.  Le  roi,  considérant  comme  un  crime  de 
lèse-majesté  qu'on  accusât  ainsi  un  de  ses  conseillers,  l'a  pris  de  très 
haut  et  a  demandé  des  explications.  Très  noblement,  Jean  XXII  jus- 
tifie sa  conduite.  Une  coriespondance  s'engage  alors  entre  le  roi  et 
la  reine,  d'une  part,  le  pape,  d'autre  part;  mais  seules  les  lettres  du 
pape  nous  sont  parvenues;  nous  les  résumerons  brièvement.  Les 
plaintes  contre  Guillaume  datent  déjà  d'assez  loin;  elles  remontent 
à  plus  de  huit  mois,  écrit  le  pape,  le  i3  décembre  i3i8'-'.  Au  début, 
on  s'occupa  de  l'alîaire  en  consistoire  secret.  Mais  la  divulgation  des 
faits  allégués  lut  telle  qu'il  devint  impossible  de  continuer  cette  infor- 
mation occulte;  une  procédure  en  règle  s'imposait.  Les  témoins  en- 
tendus sont  au-dessus  de  toute  suspicion  :  ce  sont  des  cardinaux,  des 
évèepies,  des  abbés,  des  religieux,  notamment  des  Mineurs  et  des  Bé- 
nédictins, des  chanoines  séculiers  et  des  curés,  enfin  des  laïques  en 
petit  nombre,  mais  nobles,  jmiici,  sed nobdes'^K  On  sait,  en  effet,  qu'en 
<jévaudan  les  principaux  adversaires  de  Guillaume  étaient  des  gen- 
tilshommes, sur  lesquels  pesait  lourdement  le  pariage  de  iSoy. 
L'enquête  est  conduite  par  deux  cardinaux,  les  ]irocureurs  de  (îuil- 
laume  ont  communication  de  toutes  les  accusations;  en  un  mot  la 
liberté  de  la  défense  est  assurée  **'. 

Mais  quel  est  le  principal  instigateur  de  ce  procès  intenté  en  cour 
dd  Rome  à  un  conseiller  du  roi,  qui  jouit  de  toute  la  confiance  de  son 
maître.^  Ceux  qui  connaissent  l'état  des  relations  de  Guillaume  et  de 
Béraud  de  Mercœur,  et  qui,  déplus,  savent  Béraud  en  cour  d'Avignon, 
où  il  est  le  protégé  et  comme  l'ami  du  pontife,  nomment  le  seigneur  de 

'''  Arrh.  de  la  Lozère ,  itiW.  Cf.  ci-dessus, p.  a5.  —  '*'  Coulon,  n"  776  et  778.  Le  10  avril  iSig, 
le  pape  dit  que  les  plaintes  reçues  remontent  à  plus  d'un  an  (n°  85o).  —  *''  Coulon,  n°'  776  et 
84q.  —  '*'  Coulon,  n"  85o. 


KVÈQUE  DE  MENDE.  —  SA  \IE.  'i3 

Meicœur.  Philippe  adopte  celte  opinion ,  très  fermement ,  semble-t-il ,  et 
(lési|^ne  au  souverain  pontife  Béraud  de  Mercœur  comme  le  calomnia- 
teur (le  févêque.  Le  pape  proteste  :  il  n'a  point  agi  ad  mstantiam  uohiUs 
vin  Beramh^^\  Nous  croyons  Jean  XXII  sur  parole,  sans  rejeter  abso- 
lument pour  cela  les  conjectures  de  ceux  qui  estiment  que  l'inlassable 
Mercœur  s'efforçait  à  noircir  l'auteur  du  pariagc  de  iSoy.  C'est  chose 
très  vraisemblable*^',  c'est  aussi  chose  incertaine.  Quant  au  pape,  il 
n'a  pas  besoin  des  incitations  de  ce  grand  seigneur  pour  entamer  le 
procès  de  l'évêque;  il  est  régulièrement  saisi  de  l'affaire  par  d'auties 
plaignants,  moins  compromettants,  car  ils  ne  sont  point  en  lutte  avec 
le  puissant  roi  de  France.  Il  a,  d'ailleurs,  comme  pontife  suprême, 
contre  Guillaume  Durant  des  griefs  autrement  graves  que  ces  accu- 
sations du  dehors.  Jean  XXII  nomme  une  seule  partie  plaignante, 
l'église  de  Rodez,  à  laquelle  Guillaume,  en  qualité  d'arbitre,  avait, 
en  iSiy,  imposé  un  pariage  et  qui,  sans  nul  doute,  se  disait  lésée '^'. 
Suivant  toute  vraisemblance,  nous  pouvons  ajouter  Astorg  de  Peyre, 
qui,  lui  aussi,  était  en  instance  à  lîome*'**.  Mais  que  pèsent  les  griefs 
de  l'église  de  Rodez,  de  la  famille  de  Peyre '^'  et  de  tous  ceux  qui  se 
disent  lésés  par  le  pariage,  en  regard  de  la  conduite  de  Guillaume 
au  concile  de  Vienne,  en  regard  du  libelle  qu'il  écrivit  contre  Rome 
et  qu'il  eut  l'audace  d'offrir  à  Clément  V  [cum  linmililate  apparenti)  ?  Il 
poursuit ,  d'ailleurs,  contre  l'évêque  de  Rome  cette  guerre,  commencée 
au  concile''''.  Tels  sont,  quant  au  procès  de  Guillaume,  les  traits  que 
nous  fournissent  les  lettres  de  Jean  XXII*''. 

11  semble  que  le  roi  de  France  réussit  finalement  à  éteindre 
l'affaire.  Succès  diplomatique,  bien  digne  du  fds  et  successeur 
de  celui  qui,  après  avoir  outragé  Roniface  vivant,  parvint  à  faire 
ouvrir  contre  Boniface  mort  le  grand  procès  d'hérésie.  À  la  vérité, 
un  autre  prince  pourrait  bien,  comme  on  le  verra,  avoir  contribué  lui 

'"'  Coulon,  n°"  776  et  778.  —   Rien  dans  ode  chose  qui  le  touchoit,  nul  de  ses  anemis 

les  lettres  citées  par  M.  Haller  {Papsttum  iind  «ni  fust  appelez  ne  oïzi. 

kirchcnreform.   Berlin,    1  goS ,  t.  1 ,  p.  58)  ne  '''  Coulon,  n°  85o. 

permet  de  penser  que  Guillaume  Durant   ait  <*'  Arch.  de  la  Lozère,  G  892,  art.  xill. 

été  emprisonné  à  Avignon.  l''   Sur  la  lutte,  eni3i8,  de  Richard  de  Pe^re 

'''   Marcellin  Boudet,  dans  Revue d'Auveryne  et  ses  amis  contre  Guillaume,  voir  Arch.de  la 

1906),  t.  XXII,  p.  i63. —  M.  Boudet,  en  dé-  Lozère,G895,  d'aprèsl7Huen<aire,  t.  I,p.  190 

crivant  une  comparution  solennelle  de  Béraud  <''  Coulon,  n°  849- 

devant  le  roi  en   iSig,  signale  ce  passage  de  *''  Voir  encore  les  mentions  dans  Coulon, 

sa  déclaration:    •  suppliant  que,  au  Conseil,  n""  8G1,  914  et  915. 

6 


44  GUlIXAUiVIE  DURANT  LE  JEUNE, 

aussi  à  cet  heureux  résultat.  Si  nous  ne  nous  abusons,  cette  procédure 
en  cour  de  Rome  avait,  à  i'origine,  profondément  ému  l'évéque  de 
Mende,  qui  voyait  renaître  contre  lui  une  coalition  redoutable.  Il 
semble  avoir  ébauché  un  plan  de  conduite  qui  rappelle  celui  qu'il 
avait  très  heureusement  réalisé  en  i3o5  et  qui  consistait  à  fuir  la  tète 
haute.  En  i3o5,  Guillaume,  ne  povivant  rester  à  Mende,  s'était  fait 
donner  une  mission  en  Italie,  mission  des  plus  honorables.  Vers  i  3  i  8, 
il  songea  à  se  faire  attribuer  une  mission  ou  légation  pour  la  croi- 
sade projetée  [JegaUo  uhramarnu  passafiii),  probablement  une  légation 
pacifique  et  religieuse,  qui  correspondrait  assez  bien  à  certaines  vues 
émises  par  lui-même  dans  un  mémoire  dont  il  sera  question  ci- 
après;  mais  il  abandonna  très  vite  ce  projet.  On  semble  lui  avoir 
prêté  aussi,  vers  ce  temps,  le  désir  d'obtenir  le  patriarcliat  de  Jéru- 
salem, ambition  irréalisable,  car  le  patriarche  n'avait  point  passe  de 
vie  à  trépas'''.  Guillaume  finira  douze  ans  plus  tard  sur  ce  cbemin 
de  l'Orient  latin  qui  déjà  l'attire.  Il  ne  sera  janiais  patriarche  de 
Jérusalem;  mais  il  fera  ce  grand  et  dernier  voyag(>  en  compagnie  du 
patriarche. 

Béraud  de  Mercœur,  amoindri  et  humilié  en  Gévaudan  par  (îuil- 
laume  Durant,  n'était  point  pourtant  du  nombre  de  ces  conspira- 
teurs qui,  en  i3o4,  avaient  rêvé  d'écarter  le  pariage,  déjcà  menaçant, 
en  assassinant  l'évéque,  et  auxquels  ce  dernier  avait  voué  solennel- 
lement, le  23  octobre  i3o4,  une  haine  sans  merci.  Par  contre,  la 
famille  de  Peyre,  à  laquelle  nous  arrivons,  était,  on  s'en  souvient, 
lame  de  ce  complot.  Les  de  Peyre  et  leurs  amis  étaient  de  riches 
seigneurs'-',  en  sorte  que  cette  haine  vigoureuse,  accompagnée 
d'une  déclaration  de  commise  ou  confiscation,  se  manifestait  par 
une  tentative  de  mainmise  sur  un  grand  nombre  de  domaines  ou 
fiefs  du  (lévaudan ''*.  Quelle  passion  l'emporta  ce  jour-là  en  l'àme 
agitée  et  complexe  de  Guillaume,  aussi  fougueux  qu'avisé,  la  haine 
ou  la  convoitise?  Nous  pouvons  suivre,  au  travers  des  pièces  d'ar- 
chives jKirvenues  jusqu'à  nous,  non  certes  l'accomplissement  inté- 
gral du  serment  prêté  par  l'évéque,  mais  de  persévérants  elforts  pour 

'■'  Coulon,  n°  76a.  t.  XXVII,  a' partie,  p.  i85,  186  el  197;  Arch. 

'''  Voir,   à  ce  sujet,  B.  P[runières],  L'an-  de  la    Lozère,    H   i46,    d'après    V Inventaire, 

tienne  haronnie  de  Peyre ,  àam  Bulletin  de   la  p.6&. 

Société' d'agricnltare ,  ...de  la  Lozère  (1866],  ''"  B.  P[runièresl.  l'iit/.,  p.  160. 


EVEQUE  DE  MENDE.  —  SA  VIE.  45 

y  parvenir.  Cette  enquête,  qui  nous  conduira  jusqu'aux  années  i328- 
1 3 29,  va  faire  passer  de  nouveau  sous  nos  yeux  les  noms  connus  du 
prieur  Aldebert,  d'Astor<ç  et  de  Richard  de  Peyre.  C'est  au  regard 
(lu  seul  Aldebert  que  le  complot  de  i3o4  fournit  une  base  avouée 
d'accusation.  Contre  Astorg  et  Richard  il  fallut  trouver  d'autres 
griels.  Guillaume  en  rechercha  avec  obstination;  il  avait  d'ailleurs, 
dans  sa  déclaration  de  i3o4,  prévu  la  nécessité  de  ces  détours'"'.' 

Aldebert  se  présente  le  premier  dans  l'ordre  chronologique  des  do- 
cuments. Il  ne  semble  pas,  nous  l'avons  dit  plus  haut,  que  ce  prieur 
d'Isi^agnac,  principal  représentant  de  la  branche  cadette  des  de  Peyre, 
ait  été  nommé  par  l'évèque  lors  du  serment  solennel  du  2 3  octobre 
i3o4.  Mais  ni  le  prieuré,  ni  Aldebert  ne  furent  un  moment  oubliés. 
Le  |)ariage  d'ispagnac  devait  être,  comme  on  l'a  vu,  adroitement 
annihilé  par  le  grand  pariage  de  i3o7.  Quant  à  Aldebert  lui-même, 
les  premiers  soins  du  prélat,  avant  son  départ  pour  l'Italie,  en  août  i3o5, 
lui  furent  consacrés.  D'une  part,  Guillaume  dénonça  Aldebert  au  roi, 
avec  les  autres  conspirateurs,  et  Philippe  donna  à  tous  ses  olhciers  de 
Reaucaire,  Rodez,  Auvergne  et  Velay  l'ordre  de  livrer  à  l'évèque, s'ils 
en  étaient  requis  par  le  prélat,  Aldebert  et  tous  les  clercs  qui  tombe- 
raient entre  leurs  mains  (lettre  du  roi,  du  24  juin  i3o5)'''.  D'autre 
part,  écrivant,  le  26  mars  i3o5,  à  M*"  Etienne  de  Suisi,  prêtre, 
archidiacre  de  Rruges,  lequel  devait  peu  après  être  créé  cardinal 
(i5  décembre  i3o5)'^\  Guillaume  déclarait  le  prieuré  d'ispagnac 
vacant  en  droit,  bien  qu'occupé  de  fait,  mais  indûment,  par 
Aldebert,  et  l'offrait  audit  M"  Etienne,  assez  puissant  j)our  y  faire 
régner  le  bon  ordre  et  la  paix'*'.  Très  vite,  en  effet,  le  cardinal  Etienne 
devint  titulaire  du  prieuré  :  une  reconnaissance  féodale  concernant 
un  terroir  des  environs  de  la  ville  de  Mende  est  reçue  par  son 
procureur  en  i3o7'^'.  A  la  vérité,  cet  acte  isolé  ne  suffirait  pas  à 
prouver,  une  prise  de  possession  sérieuse,  complète  et  définitive; 
mais  nous  avons,  à  cet  égard,  d'autres  indications  probantes'®'.  Poli- 
tique habile,  Guillaume  Durant  a  voulu  se  débarrasser  d'un  ennemi 

'"'   0  Ratione    conspirationis    facte...,    vel  '*'  Arch.  de  la  Lozère,  II  l4i- 

< quacumqiie  alia  causa >  (Arch.  de  la  Lozère ,  '*'  Ibid..     H      i46,     d'après     l'Inventaire, 

G  i55,  loi.  121  v°).  p.  54- 

'''   Roucaule  et  Sache,  p.  43,  n°  xxii.  '''  Cf.  André,  Ispagnac  et  son  prieuré,  notice 

'''  Eubel,   Hierarchia   catliolica   medii  œvi,  historique,  dans  Annuaire. ..  de  la  Lozère,  18"] ^ 

3°  édil.  (1913),  p.  4i.  (43'  année),  partie  hist.,  p.  1  i-ia. 


46  GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

dangereux,  qu'il  avait  sur  ses  terres  et  qui  ne  pouvait  tolérer  les 
atteintes  portées  à  la  situation  et  à  l'autorité  du  prieuré  d'ispagnac, 
patrimoine  quasi  familial;  il  a  voulu  lui  substituer  un  ami  très  haut 
placé,  abondamment  pourvu  par  ailleurs,  vivant  au  loin,  et  dont  il 
a  su  faire,  par  le  don  d'Ispagnac,  son  obligé.  Suivant  toute  vrai- 
semblance, le  cardinal  Etienne  s'inquiétera  fort  peu  des  affaires  du 
prieuré  et  de  la  splendeur  passée  d'un  bénéfice  dont  il  ne  sentira 
point  la  déchéance. 

La  lutte  contre  les  divers  membres  de  la  famille  de  Peyre,  annoncée 
en  i3o4  par  l'évêque  de  Mende,  n'eut  point,  nous  favons  laissé  en- 
tendre, un  caractère  uniforme.  Guillaume  Durant  prit  conseil  des 
circonstances.  Au  surplus,  ce  fut  une  guerre  longue  et  opiniâtre,  et 
qui  reste  pour  nous  enveloppée  de  certaines  obscurités.  On  plaida  vn 
Parlement'"  et  jusqu'en  cour  de  Rome'^*. 

Les  débats  avec  la  branche  aînée,  à  laquelle  nous  arrivons,  se  rat- 
tachent originairement  àl'alfaire  du  pariage  de  i3o7,si  dommageable 
pour  cette  branche,  au  regard  notamment  de  ses  droits  à  Marvejols'^'. 
Son  pariage  avec  le  roi  était  étouffé  à  Marvcjols,  comme  celui  des  ca- 
dets fêtait  à  Ispagnac.  Mais  le  grief  qui  joua,  en  fait,  le  principal  rùle 
est  assurément  fort  inattendu  :  il  s'agit  de  la  non-exécution,  ou  plutôt 
de  fexécution  incomplète,  du  testament  d'Astorg  de  Peyre,  daté  de 
l'an  i3o2.  C'est  ce  testament  qui  fournit  à  févêque  foccasion  d'une 
grande  lutte.  Astorg  avait  fait  divers  legs  et  avait  muni  l'expression 
de  ses  volontés  dernières  de  cette  clause  pénale  :  au  cas  où  ces  legs  ne 
seraient  pas  délivrés,  5oo  marcs  d'argent  devront  être  versés  au  roi 
de  France'*'.  Or  les  legs  ne  furent  pas,  assura-t-on,  entièrement  ac- 
quittés. Les  Astorg  se  trouvaient  donc  astreints  au  payement  d'une 
grosse  amende.  C'est  cette  seconde  affaire  qui  mit  le  plus  sérieuse- 
ment aux  prises  les  deux  adversaires,  Astorg  et  Guillaume. Guillaume 
pouvait  ici  entrer  en  scène,  car,  depuis  la  conclusion  du  pariage,  les 
intérêts  du  roi  et  ceux  de  févêque  se  trouvaient  confondus. Telle  était 
du  moins  la  prétention  de  févêque  de  Mende. 

Pour  résumer  brièvement  ces  longs  débats,  nous  appellerons  le 
testateur  Astorg  \"  et  son  successeur  immédiat  Astorg   II.  Ce  suc- 

'■'  Rouraute  et  Sache,  p.  i3o,  n°  lxviii.  —  '''  Arch.  de  la  Lozère,  G  892.  —  ''*  Astorg 
provoqua  lui-même  ce  débat  judiciaire.  —  '*'  Arch.  de  la  Lozère,  G  891  (voir  notamment  le 
petit  résumé  final  du  notaire  du  roi)  et  G  894. 


EVEQLE  DE  MENDE.  —  SA  VIE.  47 

cesseur  n'ayant  pas  exécuté  le  testament  clans  le  délai  qui  lui  avait  été 
imparti,  les  commissaires  du  roi  le  condamnèrentàune  amende,  non 
plus  de  5oo  marcs,  mais  de  io,5oo  marcs  d'argent  au  profit  de  Phi- 
Ii|)pe  le  Long  et  de  l'évêque  de  Mende^'l  L'exécution  de  cette  sentence 
fut  cruelle  aux  de  Peyre  :  plusieurs  châteaux  et  villages  appartenant 
à  Astorg  111,  successeur  d'Astorg  II,  tombèrent  aux  mains  du  roi  et 
de  févc(pie.  Alors  la  maison  de  Peyre  put  croire  arrivée  fheure  de 
la  commise  générale  déclarée  par  Guillaume  en  i3o4.  Le  chef  de  la 
famille,  en  détresse,  implora,  suppliant  et  pressant,  la  pitié  du  roi'-', 
11  fui  entendu;  le  Parlement,  saisi  de  l'alfaire.  se  prononça  contre 
l'évêque,  et  le  procureur  du  roi  annula  tout  ce  qui  avait  été  fait  depuis 
la  mort  d'Astorg  t\  condamna  l'évêque  à  restituer  les  revenus  touchés 
de|)uis  sept  ansel  à  verser  2,000  livres  tournois  à  litre  de  dommages- 
intérêts,  du  chef  des  détériorations  subies  par  les  immeubles  saisis'^'. 
Contre  cet  arrêt  Guillaume  s'éleva  vivement,  le  roi  ne  pouvant, 
disail-il,  faire  1  émise  d'une  amende  qui,  en  vertu  du  pariage,  doit 
profiter  également  au  roi  et  à  l'évêque''''. 

Sur  ce,  Charles  le  Bel  intervint  à  titre  de  paciilcateur  :  désirant, 
proclama-t-il,  ramènera  la  concorde  les  parties  adverses  et  éviter  les 
scandales  que  pouvaient  faire  naître  rancœurs  et  discords,  il  avait 
Fait  savoir  à  Guillaume  el  à  Astorg  (pi'il  souhaitait  être  librement 
choisi  par  eux  comme  arbitre  du  dillérend,  proposition  que  le  sire 
de  Peyre  et  l'évêque  avaient  acceptée.  Le  roi  chargea  donc  le  chan- 
celier Jean  Cerchemont  de  statuer  en  son  nom;  celui-ci  fit  remise  à 
Astorg  de  toute  j)eine  pécuniaire  encourue  au  profit  de  la  Couronne, 
el  le  roi  confirma  cette  sentence  (juillet  iSaG)'^'.  Au  demeurant, 
dira-t-on,  si  tous  les  biens  d'Astorg  de  Peyre  ne  tombèrent  pas  en 
commise,  comme  l'eût  voulu  Guillaume  en  i3o4,  il  en  saisit  du  moins 
et  en  garda  une  ])artie;  en  effet,  la  sentence  arbitrale  de  Charles  IV 

<''  Arch.  do  la  Lo/.ère,  G  89^;  Arch.  nat.,  voir   Tessereau,    Histoire    chronologique   de   la 

JJ  64,  loi.   i5o,  n"  3o2.  grande  Chancellerie  (Paris,  1710),  t.  I,  p.  i  3, 

'I'  Arch.  de  la  Lozère,   G   894.  où  ce  grand   olTicier  est  appelé  Jean  de  Cer- 

'''   Cf.  Arch.nat.,  X'-ô,  fol.  4i8r°el  v'(ana-  cheniont;  dans  G  8()4,  nous  lisons  .  Johannes 

lyse  dans  Boularic,  Actes  du  Parlement ,  t.  Il,  Cerchemont».     M.    L.     Perrichet  {La    grande 

p.  599,  n"  7G90).  Chancellerie  de  France,  des  origines  à  1328.  Paris, 

I*'  Arch.  de  la  Lozère,  G  893   (nombreux  1913,  p.  535)  adopte  la  forme  de  Cerchemont; 

mémoires  en  faveur  de  l'evèque).  la   particule    n'est   pas  justiliée,   car   Cherche- 

'''   Arch.  de  la  Lozère,  G  894;  Arch.  nat.,  mont  est  un  sobriquet  et  non  pas  un  nom  de 

JJ  64,  fol  i5o,  n°  3o2.  Sur  Jean  Cerchemont,  lieu. 


48  GUILLAUME  DURANT  LK  JEUNE, 

comporte  annulation  de  l'arrêt  du  Parlement;  ce  que  Guillaume  dé- 
tient reste  donc  de  bonne  prise.  Le  roi  ne  rend  que  sa  part  du  butin  ; 
il  ne  dessaisit  pas  l'évêque  et  celui-ci  n'est  condamné  ni  à  restitution 
ni  à  dommages-intérêts.  C'est  du  moins  ce  que  nous  supposons;  mais 
cette  interprétation  n'est-elle  point  trop  favorable  à  l'évêque?  Le  texte 
est  à  double  entente,  et  prudemment  nous  nous  garderons  ici  de  rien 
affirmer. 

Nous  arrivons  à  Riciiard  de  Peyre,  nommé  par  Guillaume  en  i3o4 
et  jamais  oublié.  Sur  l'action  énergique  exercée  par  l'évêque  contre 
ce  Richard  de  Peyre  nous  ne  possédons  que  des  renseignements  frag- 
mentaires. Nous  les  résumerons  suivant  l'ordre  chronologique.  C'est 
en  i3i2  que  la  lutte  se  dessine  clairement  à  nos  yeux.  Gomment 
s'ouvre-t-elle.-^  Par  une  gigantesque  accusation  de  faux,  faux  aussi 
nombreux  qu'audacieux,  qui  auraient  été  fabriqués,  à  finstigation 
de  Richard  et  de  son  fils  Richardon,  et  à  leur  profit,  au  détriment  de 
l'évêque.  L'acte  qui  nous  révèle  ce  scandale  ajoute  les  détails  les  plus 
minutieux.  Guillaume  affectant  de  se  montrer  très  miséricordieux, 
l'affaire  se  termine  ou  semble  se  terminer  en  i3i3  (27  avril)  par  la 
promesse  d'une  grosse  indemnité  (800  livres  tournois) ,  qui  sera  versée 
par  Richard  et  son  fils'"'.  N'est-ce  pas  au  cours  de  cette  affaire  que 
Richard  de  Peyre  fut  incarcéré,  comme  on  l'a  vu,  au  Chàtelet  de 
Paris.^  Il  fut  mis  en  liberté  sous  caution  en  cette  même  année  i3i3 
(23  avril)  *^',  mise  en  liberté  qui  ressemble  à  un  ajournement  indé- 
fini. Des  crimes  de  faux  nous  n'entendons  plus  parler;  le  silence  a 
été  acheté  800  livres. 

Cependant  l'évêque  n'oubliait  pas  ses  ennemis,  et  les  ennemis  de 
l'évêque  n'oubliaient  ])as  l'évêque.  Richard  fut  de  nouveau  indirecte- 
ment mis  en  cause  :  son  fils,  Richardon ,  avait,  prétendait-on ,  en  compa- 
gnie de  complices,  maltraité  plusieurs  officiers  ou  serviteurs  dupvélat. 
Une  lettre  du  roi,  de  l'année  i3i8,  est  relative  à  cette  affaire'^'.  Peu 
après  le  père  et  le  fils  furent  accusés  f  un  et  Tautre  nominativement''*'. 
N'est-ce  point  le  même  incident  que  vise,  en  termes  un  peu  différents, 

'"'  Arcli.  de  la  Lozère ,  G  41)3,  n°'  anciens  4  porte  Tancien  n°  2g.  L'inventaire  de  la  série  G , 

et  36.  t.  I,  p.  190,  semble  attribuer  ce  méfait  a  Ri- 

'''  Arch.  nat.,  X''i  (analyse  dans  Boutaric,  cliard  liii-mênip  ;  il  s'agit,  dans  celte  première 

l.  1 1 ,  |).  1 09,  n'  4 1  3 1  ).  pièce ,  de  Richardon ,  iils  de  Richard. 

*''   Arch.   de   la   Lozère,   G  896,   pièce  qui  '*'   Ihid. ,  pièce  qui  porte  l'ancien  n°  106. 


ÉVÉQUE  DE  MENDE.  —  SA  VIE.  49 

un  arrêt  du  Parlement  de  i^ib?  Dans  ce  dernier  document  il  n'est 
plus  question  de  serviteurs  maltraités,  mais  vaguement  de  propos  in- 
jurieux et  ditTamatoires,  de  félonies  diverses.  Quant  au  but  pratique 
que  poursuit  révèque,il  reste  en  parfaite  harmonie  avec  le  serment 
de  i3o4  :  il  s'agit  toujours  de  confiscation;  le  prélat  voudrait  confis- 
quer la  moitié  du  château  de  Servières,  appartenant  à  Richard,  la 
part  de  propriété  du  même  seigneur  dans  le  château  de  Rochebelot, 
le  château  de  Ghanac  et  autres  domaines.  L'affaire  a  été  portée 
devant  la  cour  commune  du  Gévaudan,  qui  a  été  récusée;  mais, 
cette  récusation  n'ayant  pas  été  admise  par  le  juge  commun*", 
Richard  a  interjeté  appel  au  Parlement.  Celui-ci,  par  arrêt  du  i5  fé- 
vrier iSaô,  décida  que  des  commissaires  enquêteurs  seraient  envoyés 
en  Gévaudan'^'. 

Sur  ce  premier  débat  s'en  greffait  un  second  :  un  certain  emplace- 
ment [platea  vocata  de  Terjiila)  faisait-il  ou  non  partie  de  la  moitié  du 
château  de  Servières  ajq^artenant  à  Ricfiard.!^  Là  dessus  contestations, 
l^roduction  de  témoins,  qu'on  accusa  d'avoir  été  subornés  par  Richar- 
don.  Sur  ces  entrefaites,  Richardon  vint  à  mourir;  à  la  suite  de  cette 
moit,  le  Parlement  décida,  par  un  nouvel  arrêt  daté  du  même  jour, 
qu'il  ne  serait  tenu  aucun  compte  de  l'enquête  relative  à  la  subor- 
nation de  témoins '■*'. 

Mais  nous  ne  suivrons  pas  dans  toutes  leurs  ramifications  ces  inter- 
minables procédures,  qui  se  compliquent  sans  cesse  d'incidents  nou- 
veaux. Nous  devons  pourtant  relever  un  jugement  de  la  cour  com- 
mune du  Gévaudan  condamnant  Richard  de  Peyre  à  une  amende 
de  600  livres  tournois;  ce  jugement  fut  suivi  de  recours  et  d'appels 
singulièrement  midtipliés.  Nos  renseignements  prennent  fin  avec  un 
troisième  arrêt  du  Parlement  de  Paris,  du  i5  février  iS'iô,  qui  or- 
donn'fe  lui  aussi  l'envoi  sur  les  lieux  de  commissaires  désignés  par  la 
cour;  ceux-ci  reprendront  fétude  du  procès  à  partir  d'une  certaine 

'''  La  récusation  admise  entraînait  tout  sim-  de  Beaucaire  ;  autant  vaut  se  présenter  tout  de 

plement  radjonction  d'un  prudhomme  désigné  suite  devant  le  Parlement, 

parle  sénéchal  de  Beaucaire  et  par  Tévèque  '*'  Arch.   nat. ,    .\.'°5,   fol.   446  r°    (analyse 

(ci-dessus,  p.  aa).  Il  est  probable  que  les  deux  dans  BouLiric,  t.  II,  p.  Gi  i,  n*  7787).  —  On 

parties  sont  d'accord  pour  éviter  cette  compli-  peut  voir  des  détails  curieux  sur  un  des  inci- 

cation,  qui  retarderait  foule  la  procédure;  car  dents  dans  G  896  (anc.   197)  des  Arch.  de  la 

l'arrêt  de  la  cour,  quel  qu'il  soit ,  serait  porté  de-  Lozère. 

vant  le  juge  d'appeaux,  et  du  juge  d'appeaux  on  '''  Arch.  nat. ,  X'"5,  fol.  446  r°  et  v°  (analyse 

irait  soit  en  Parlement,  soit  devant  le  sénéchal  dans  Boutaric,  t.  II ,  p.  61 1,  n°  7788). 

HIST.  LITTÉR.  XXXV.  7 


50  GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

phase,  précisée  dans  l'arrêt,  et  transmettront  à  la  cour  le  résultat  de 
leur  enquête'".  Richard  de  Peyre  acquitta-t-il  finalement  ces  600  livres 
d'amende'^'?  Nous  ne  sommes  pas  en  mesure  de  répondre  à  cette 
question. 

Une  affaire  plus  intéressante,  où  la  personnalité  de  Guillaume  va  se 
dégager  sous  nos  yeux  très  nettement,  appartient,  elle  aussi,  à  l'histoire 
des  luttes  entre  Guillaume  et  Richard  de  Peyre,  si  toutefois  nous  sai- 
sissons le  sens  vrai  d'une  phrase  de  Guillaume  Durant,  aussi  vague 
qu'énergique.  Il  nous  laut  auparavant  dire  ici  quelques  mots  d'une 
institution  féodale,  fort  curieuse,  qui  existait  en  Gévaudan.  Le  château 
de  la  Garde-Guérin'^'  commandait,  sur  les  confins  du  Gévaudan  et  du 
Vi\arais,  une  route  très  fréquentée,  d'origine  romaine,  la  célèbre 
•1  Régourdane  »,''''  qui  reliait  Nîmes  à  l'Auvergne.  Les  gentilhommes 
auxquels  appartenait  en  commun  cette  seigneurie  —  on  les  nom- 
mait les  II  pariers  i>  de  la  Garde-Guérin,  —  constituaient  dans  ces 
r'gions  montagneuses,  favorables  aux  entreprises  des  brigands, 
une  sorte.de  milice  policière,  chargée  d'assurer  le  bon  ordre. 
Ils  se  partageaient  les  revenus  de  la  seigneurie  ;  le  «  péage  »  et 
le  «guidage»,  droits  destinés  théoriquement  à  assurer  la  vial)ilité 
et  la  sûreté  de  la  route,  formaient  le  plus  clair  de  ces  revenus  ''. 
Les  jiareries  étaient  aliénables,  ou  plutôt  partiellement  aliénables; 
l'acquéreur,  en  ellet,  ne  jouissait  que  d'une  fraction  des  revenus 
communs,  notamment  du  péage,  le  sur|)lus  des  revenus  faisant 
retoui"  à  la  communauté.  La  fraction  ainsi  aliénée  était  dite  pareiie 
moVle'"'.  La  communauté  des  seigneurs  pariers  relevait  de  l'évèque 
de  Mende '^'.  Ses  statuts  étaient  promulgués  soit  par  l'évèque, 
soit  par  son  délégué  ou  vicaire  ;  on  possède  ainsi  les  statuts  de 
l'évêcpie  Etienne  de  Brioude  (1  2  38  et  1  i/jS),  ceux  de  l'évèque  Odllon 
de  iMercœur  (1260),  enfin  deux    rédactions   complètes  et   un  texte 

'''   Aicli.  nat. ,  X'"  5,  fol.  4 '16  v°  et  !\\i  r°  '*'   Voir  J.  Bédier,  Les  légendes  éiiiqucs ,  2' éd. 

(anaiyso  dans  Boutaric,  t.  II,  p.  fil  1, 11°  ■yyScj).  (Paris,  1914), t.  I,p.  368  l't  suiv. 

*''   Quant  aux  conPiscalions  (le  fiels,  on  verra  ''    Cli.  Porée,  Les  staluts  de  la  commiinaaté 

plus  loin  (p.  53,  note  i)(jue,  vers  la  lin  de  l'épi-  des  seigneurs  parifis  de  la  Gar<lr-Gnériii  en  Gé- 

scopal  de  Guillaume,  deux  de  Peyre,  Richard  vaudan ,  dans  liibliothèque  de  l'Ecole  des  chtirivs 

et  Guibert,  éiaient  coseigneurs  de  Servières  :  (itjoy),  t.  I^WIII,    p.  81-82. 
l'évèque  n'avait  pas  réussi  à  confisquer  la  part  '*'  (]h.  l'orée,  p.  iji-ga. 

de  Richard.  '"*  Vx,  pour  partie,  du  seigneur  du  Tournel 

'''   Comm.  de  Prevenihères ,  cant.  de  Ville-  (Arch.  de   la   Lozère,   G  761,  d'après  i'Inven- 

forl,  arr.  de  Mende.  taire,  t.  1,  p.  1C8). 


ÉVRQUE  DE  MENDE.  —  SA  VIE.  51 

addilioniiel,  qui  sont  du  temps  de  Guillaume  Durant.  Ces  trois  der- 
nieis  documents  sont  datés  des  années  1299,  i3io  et  i3i3. 

Quelques  traits  nouveaux  et  importants  caractérisent  les  statuts  de 
i3io  :  les  consuls  de  la  Garde-Guérin,  chargés  de  gérer  les  revenus 
communs,  seront  désormais  élus  par  l'assemblée  des  pariers,  au  lieu 
d'être  désignés  par  les  consuls  sortants'''.  Suivant  une  règle  très  an- 
cienne, tout  parier  qui  voulait  aliéner  sa  parerie  devait  tout  d'abord 
l'olTiirà  la  communauté;  l'aliénation  ne  pouvait  avoir  lieu  qu'au  cas 
où  cette  offre  aurait  été  déclinée'-';  la  règle  est  maintenue,  mais  le 
parier  obtient  pour  cette  transaction  des  facilités  nouvelles.  En  effet, 
la  parerie  ne  pouvait,  avant  Guillaume,  être  aliénée  en  faveur  d'un 
autre  parier;  cette  interdiction  du  cumul  disparaît'^'.  La  parerie 
pourra  être  acquise,  est-il  dit  dans  les  statuts  de  i3io'''',  soit  par  un 
vilain,  soit  par  un  gentilhomme;  les  barons  seuls  sont  exclus.  Si  on 
songe  aux  préoccupations  dont  devait  s'inspirer  Guillaume  Durant 
en  i3io,  au  lendemain  de  la  conclusion  du  pariage,  et  en  face  des 
résistances  qui  se  manifestaient  parmi  la  noblesse,  on  sera  induit  à 
supposer  que  l'évêque, effrayé  de  ce  soulèvement  des  esprits,  souhaite 
l'allaiblissement  de  la  Garde-Guérin,  qui  a  fait  cause  commune  avec 
la  noblesse'*'  et  veut  l'empêcher  de  se  fortifier  en  s'agrégeant  des 
hommes  puissants. 

Gef  article  fut  modifié  en  i3i3;  alors  furent  exclus,  non  seule- 
ment les  barons,  mais  tous  personnages  plus  nobles  et  plus  puissants 
que  les  autres  pariers,  car  ils  pouvaient  opprimer  leurs  associés; 
fut  exclu  également  tout  homme  inhabile  à  porter  les  armes,  enfin 
tout  vilain  '*''.  Ces  exclusions  de  1 3  i3  ont  un  tout  autre  caractère  que 
celles  de  i3io;cesont,  cette  fois,  les  pariers  eux-mêmes  qui  re- 
cherchent l'égalité  dans  la  communauté  et  redoutent  d'absorbantes 
influences. 

Les  statuts  ne  mentionnent  pas  expressément,  mais,  suivant  toute 
vraisemblance,  supposent,  au  profit  de  l'évêque,  un  droit  de  retrait 
ou  préemption''',  qui  d'ailleurs  était  au  moyen  âge  le  droit  commun 

"'  Statuts   de    i3io,    art.    7    (Ch.    Porée,  '*>  Voir  Roucaule  et  Sache,  p.  2o4. 

P-  »3.Hj.  (•>  Voir  les  statuts  de  i3io,  art.  5,  avec  les 

'*'  Statuts    de     i238,   art.   9  (Ch.   Porée,  additions  de    i3i3    (Ch.    Porée,    p.    laa    et 

p.  io3).  126). 

'''  Ch.  Porée,  p.  gS,  gd,  gg.  <''  Ce  droit  de  retrait  nous  semble  visé ,  sans 

'*'  Statutsdei3io,  art.  5(Ch.Porée,p.  122).  d'ailleurs  être  exprimé,  par  ces  mots  des  statuts 


52  GUILLAUMIi  DURANT  LE  JEUNE, 

du  suzerain.  Les  évêques  de  Mendn  ne  semblent  pas  avoir  négligé 
ces  placements  en  parts  de  la  communauté  de  la  Garde-Guérin  : 
donations'*',  retraits'^',  achats '"^^  ont  procuré  à  Guillaume  lui-mémo 
pareries  ou  demi-pareries. 

Un  incident  singulier  survint  en  i3'i8.  Deux  ct)ntractants  avaient, 
si  Ton  s'en  tient  à  l'acte  qu'ils  produisirent,  conclu  un  échange  de 
pareries,  acte  qui  n'ouvrait  pas  la  voie  au  droit  de  retrait.  Ils  compa- 
rurent devant  les  représentants  de  l'évêque  et  furent  amenés  à  con- 
fesser que  l'acte  aurait  plutôt  mérité  le  nom  de  vente.  Sur  quoi,  les 
représentants  de  l'évêque  voulurent  exercer  au  prolit  du  prélat  le 
droit  de  retrait.  Mais  les  consuls  de  la  Garde-Guérin  s'opposèrent  à 
cette  prétention  et  soutinrent  que  le  droit  de  retrait  leur  compé- 
tait  avant  tout  à  eux-mêmes.  Us  invoquaient  le  texte  de  leurs  statuts, 
texte  dont  le  sens,  à  nos  yeux,  est  douteux  et  qu'il  n'est  peut- 
être  pas  impossible  d'interpréter  en  faveur  de  la  communauté  des 
pariers,à  laquelle  le  droit  de  retrait  appartiendrait  en  première  ligne, 
l'évêque  ne  venant  qu'après  la  Garde-Guérin.  Guillaume  était  alors  à 
Paris,  en  son  hôtel  de  la  Calandre'*'.  11  fut  saisi  de  l'affaire  et  lança 
une  épître,  adressée  tout  à  la  fois  à  ses  vicaires  généraux  et  aux 
consuls  et  pariers  de  la  Garde-Guérin,  épitre  qui,  certes,  n'est  pas 
l'œuvre  d'un  secrétaire.  C'est  qu'en  effet  l'affaire  est  particulièrement 
grave  pour  l'évêque,  car  le  contrat  concerne,  en  même  temps  que  la 
parerie,  le  château  de  Servières,  auquel  une  parerie  ou  une  demi- 
parerie  est  attachée,  château  qui  appartient  pour  partie  à  Richard 
de  Pevre  et  que  convoite  Guillaume.  Un  certain  Guibert  de  Peyre, 
parent  de  Richard,  est  coseigneur  de  Servières'^',  ce  qui,  depuis 
longtemps,  complique  la  guerre  que  se  livrent  sans  relâche  Richard 
et  Guillaume. 

Nous  analyserons  ici  cette  curieuse  épître.  Elle  débute  par  un 
préambule  philosophique,  suivi  d'une  allusion  probablement  très 
claire  pour  tous  ceux  qui  la  lurent;   c'est,  à  nos  yeux,  Richard  de 

de  i3io,  art.  5  :  «  Dicti  domini  episcopi  et  ejus  '''  Arch.  de  la  Lozère,  G  /48i. 

«  successoi-um  jure  salvo   in    omnibus  ac  per  '*'  \  oir  ci-dessus,  p.  9. 

tomnin    et   retento»    (texte    publié    par    Ch.  '''  Voir  le  récit  d'une  curieuse  affaire  relative 

Porée,  p.  133).  au  château  de  Servières  et  où  Richard  de  Peyre 

'"'  Arch.  de  la  Lozère,  G  48o  et  48i  d'après  et  les  gens  de  Guibert  de  Peyre  jouent  un  rôle 

l'Inventaire,  t.  I,  p.  107.  actif  (Arch.  nal. ,  X'' 5  ,  fol.  4-'>9  v°-459  r°;  ana- 

<''  Arch.  de  la  Lozère,  G  48o.  iyse  dans  Boutaric,  t.  II,  p.  6i5,  n*  7828). 


EVEQUE  DE  MENDE.  —  SA  VIE.  53 

Peyre  qui  y  est  visé  en  termes,  comme  on  va  le  voir,  singulièrement 
amors  : 

Lh  sagesse  supérieure,  écrit  levêque,  a  établi  dans  la  société  des  degrés  et  des 
ordres  distincts,  afin  que,  par  le  respect  des  inférieurs  pour  les  supérieurs,  par 
l'amour  et  dilection  des  supérieurs  pour  les  inférieurs,  pût  s'établir  une  véritable 
concorde.  Cette  diversité  assure  la  régularité  de  chaque  fonction.  Aucun  corps,  en 
effet,  ne  subsisterait  si  cette  ordonnance  générale  ne  le  maintenait,  car  des  créatures 
toutes  d'une  seule  et  même  qualité  ne  sauraient  vivre,  ne  sauraient  être  régies  et 
gouvernées.  Cela  est  attesté  par  l'Ecriture.  Certes,  jusqu'ici,  cette  concorde  dans  la 
chanté,  cette  union  dans  un  amour  mutuel  s'est  maintenue  inviolée  entre  nous  et 
nos  prédécesseurs,  d'une  part,  et  vous,  nobles,  consuls  et  pariers  et  vos  aïeux,  d'autre 
part.  Cette  union,  à  l'avenir,  se  maintiendra,  le  Seigneur  aidant.  Cependant,  un 
ennemi,  perturbateur  de  la  paix,  de  la  concorde,  de  la  tranquillité  et  de  lunité, 
fomenlateur  de  zizanie,  a  ménagé  entre  vous  et  nos  vicaires  un  sujet  de  dissentiment, 
ainsi  que  me  l'a  expliqué  tout  au  long  et  de  vive  voix  noble  G.  de  La  (îarde,  da- 
moiseau, votre  comparier  et  consul"*;  et  cela  par  le  moyen  d'ime  parerie  que  le 
noble  damoiseau  Roland  de  La  Carde  aurait,  par  voie  d'échange,  transférée  à  notre 
amé  et  féal  noble  homme  Guibert  de  Peyre,  damoiseau,  coseigneur  du  château  de 
Servières  ;  cette  parerie,  vous  l'avez  retenue,  vous,  nos  vicaires,  par  droit  de  préla- 
tion,  en  vertu  des  règlements  et  statuts  établis  et  confirmés  par  nos  prédécesseurs 
et  par  nous-même.  • 

L'évêque  explique  alors  que,  en  édictantou  confirmant  règlements, 
coutumes  et  statuts  de  la  Garde-Guérin,  il  n'a  jamais  eu,  ne  peut  avoir 
et  n'aura  jamais  l'intention  de  concéder  aux  pariers,  de  préférence  à 
l'évêque,  le  droit  de  retraire  les  pareries,  lesquelles  sont  tenues  en  fief 
de  l'évêque  et  de  f  église  de  Mende;  le  droit  de  retrait  du  seigneur 
suzerain  est  notoire  et  incontesté  dans  le  Gévaudan  et  dans  les  pays 
voisins.  Avant  que  les  statuts  et  règlements  de  la  Garde-Guérin  exis- 
tassent et  depuis  qu'ils  existent ,  les  prédécesseurs  de  Guillaume  et 
lui-même  ont  acquis  des  pareries  par  voie  de  retrait  et  par  toute  autre 
voie  leur  compétant,  au  su  des  pariers  et  consuls,  et  sans  aucune 
contradiction.  Les  évêques  n'ont  pas  le  droit  de  renoncer  à  ce  privi- 
lège du  retrait  ni  de  l'aliéner;  s'ils  avaient  jamais  consenti  pareille 
aliénation,  un  tel  acte  eût  été  nul,  et  ils  auraient  pu,  de  ce  fait,  être 

''*  Ces  explications  ou  révélations  ne  peuvent  cache   pas.    C'est,   croyons-nous,   Richard,   le 

guère  concerner  des  machinations  imaginées  coseigneur  de  Servières,  parent  de  Guibert, 

par  Guibert  de  Peyre,  car  son  nom  apparaît  que  l'évêque  soupçonne  ici  de  manœuvres  téné- 

dans  ia  convention,  objet  du  litige;  il  ne  se  breuses. 


5^1  GUILLAUME  DURANT  LK  JEUNE, 

repris  et  légitimement  châtiés.  S'arrêtant  à  cette  question  des  statuts, 
l'évêque  affirme  solennellement  ses  pouvoirs  : 

l^uisque  à  tfuifait  la  loi ,  il  appartient  de  l'interpréter -^K  puisque ,  en  vertu  du  pouvoir 
que  nous  nous  sommes  rL'servé  en  édictant  ou  en  confirmant  les  statuts,  il  nous  est 
loisible  d'annuler,  corriger  et  changer  lesdits  statuts,  nous  édictons,  alin  de  lever  ù 
l'avance  toute  h(''sitation  sur  ce  point,  et  vous  adressons  la  déclaration  que  voici  : 
Sont  supprimés,  corrigés,  écartés  et  annulés  tous  statuts,  quels  ((u'ils  soient,  et.  dans 
lesdits  statuts  et  règlements,  toutes  expressions  d'après  lesquelles  vous  compéterait, 
de  quelque  manière  que  ce  soit,  à  vous,  consuls  et  pariers,  le  droit  d'acheter  ou  de 
vous  procurer,  de  quelque  manière  que  ce  soit,  pareries  entières  ou  demi-pareries 
tenues  de  nous  en  fief,  au  cas  oîi  nous  voudrions  nous-mème,  nous  ou  nos  succs- 
srurs,  retraire,  acheter,  acquérir  ou  retenir,  à  quelque  litre  légitime  que  ce  soit, 
lesdites  pareries.  Que  si  nous  ou  nos  successeurs  ne  voulions  point  avoir  ou  acquéiii', 
comme  il  a  été  dit,  lesdites  pareries,  nous  déclarons  qu'il  a  été  et  qu'il  est  de  notre 
intention  que  vous  jouissiez,  avant  tous  autres,  du  droit  de  les  acheter  et  retenir,  l't 
({ue  vuus  usiez  de  vos  statuts  et  règlements,  sauf  en  toutes  choses  notre  droit,  celui 
de  l'église  et  de  nos  successeurs. 

Suit  un  projet  d'arrangement,  qui  prouve  que  l'évêque  sait  compter  : 
il  e\pli([ue  que  les  droits  de  (juidaciuim  et  de  retrocjuidaguim ,  ainsi  que 
lesémolumentsde  justice  afférents  au  cliàteau  de  la  Garde,  sont  compris 
flans  les  droits  faisant  l'objet  du  débat,  ce  qui  n'est  pas  le  cas  pour 
les  autres  pareries  appartenant  aux  évêques  de  Mende  (pareries  dites 
mortes)  '''.  Guillaume  pourra  abandonner  lesdits  droits,  si  on  lui  con- 
cède par  surcroît  une  demi-parerie,  plus  cent  livres  tournois  une  fois 
payées. 

Nous  n'avons  ni  traduit  ni  analysé  une  curieuse  proposition  d'arbi- 
Irage  qui  précède,  dans  la  lettre  de  Guillaume  Durant,  l'exposé  de  ses 
droits  et  les  décisions  législatives  qu'il  promulgue  d'autorité.  L'inanité 
pf  le  peu  de  sincérité  de  la  susdite  proposition  résultent,  avec  évi- 

'''   «  Ejus  est  intcrprelari  cujus  est  condere.  »  à  jtropos  du  canon  vi  du  concile.  Entre  autres 

Cet  axiome,  ([ni  est  encore  enseigné  dans  les  réiérences,  le  Spec«/a(or  renvoie  à  (îratien,  (|ui 

écoles,  est  souligné  dans  la  lettre  de  Guillaunae.  formule  presque  littéralement  cet  axiome  {l)e- 

Quclques  autres  passages  de   ladite  lettre  ont  cretum.  Causa   XI,  q.  i,   c.  .So,  S  Ëjc  his).   La 

été  aussi  soulignés.   M.  Brunel,  ancien  archi-  Ibrnie  consacrée,  Ejits  est  interpretari  cujus  est 

viste  de  la  Lozère,  qui  a  examinédetrès  près  ce  condere,  se  trouve  dans  la  glose  du  c.    i  a  Cinn 

document,  estime  «jue  ces  divers  passages  ont  venissent ,  titre  De  judiciis,  aux  Décrétales  de 

été  soulignés  au  xv*  ou  au  xvi*  siècle.  L'axiome  Grégoire  IX,  lib.  Il,  lit.  i,  sur  le  mot  jndicnii. 
Ejiis  est ,  e\c.  a  été  aussi  invoqué  par  Guillaume  '''  Sur    les    pareries   vives  ou   mortes,   voir 

Durant,  \e  Speciilator  (In  sacrosanct.  Lagdan.  notamment  Arch.  de  la  Lozère,  G  761,  dernier 

onc.  cnmmentarins.   Fano,   1669,  fol.  63  r°),  feuillet. 


EVEQUE  DE  MENDE.  —  SA  VIE.  55 

dence,  (le  cet  exposé  et  surtout  des  déclarations  qui  font  suite  aux 
statuts  et  que  nous  avons  reproduites.  Voici  le  texte  même  de  la 
pioposition  : 

Désirant  et  voulant  supprimer  eutrt'  nous  et  vous  tout  sujet  de  conllit,  ne  cher- 
chant point  à  abuser  de  notre  puissance  et  grandeur,  mais  désireux  de  vous  gou- 
verner, vous  et  nos  autres  sujets,  en  clémence  et  douceur,  afin  que,  jouissant  de  la 
paix,  objet  des  vœux  de  tous  les  hommes,  vous  vous  reposiez  dans  ses  tabernacles, 
nous  vous  mandons  à  vous,  nos  vicaires,  s'il  plaît  auxdits  pariers  et  consuls,  et  si,  à 
1  unanimité,  ils  vous  en  font  la  demande,  nous  vous  mandons  de  vous  entendre  avec 
eux  ])our  préciser  par  écrit  le  point  de  fait  d'où  naît  le  présent  désaccord  et  de  trans- 
mcttri!  ce  point  de  fait,  avec  les  arguments  des  parties,  à  un ,  à  deux  ou  à  trois  d'entre 
les  ri'vércnds  pères  en  Dieu  nos  seigneurs  les  cardinaux  de  la  sacrosainte  Eglise 
romaine,  lesdits  cardinaux  choisis  en  commun  avec  les  pariers  et  consuls  susdits, 
et  de  leur  demander  leur  avis  d'un  accord  unanime.  Si  tel  est  leur  sentiment,  vous 
révoquerez  sans  dilTicullé  celles  de  vos  entieprises  au  regard  des  choses  susdites  qui 
seraient  préjudiciables  aux  susnommés  pariers  et  consuls.  Ceux-ci  agiront  de  même 
s  ils  ont  entrepris  au  regard  desdites  choses  quoi  que  ce  soit  qui  porte  préjudict?  à 
nous  ou  à  notre  église  '". 

Personne  ne  pouvait  prendre  au  sérieux  ces  phrases  creuses  et  cette 
pompeuse  proposition  d'arbitrage;  quelques  jurisconsultes  conli- 
nuèient  à  discuter,  les  avocats  de  l'évêque  invoquèrent  avec  une  fa- 
cile et  trompeuse  abondance  le  droit  romain  et  le  droit  canonique'"-', 
et  bientôt  les  pariers  s'inclinèrent  devant  la  volonté  du  prélat.  Sa 
lettre  est  du  18  octobre  iSsS;  le  l\  août  1829,  ses  représentants 
exerçaient  au  profit  de  l'église  de  Mende  le  droit  de  retrait  et  rem- 
boursaient à  l'acheteur  Guibert  de  Peyre  le  prix  de  la  parerie,  soit 
260  livres'^'. 

Ici  s'arrête,  pour  nous,  la  suite  des  mesures  prises  par  le  ])rélat 
en  exécution  de  son  serment  de  i3o4;  cet  historique  est  vraisendjla- 
blement  incomplet,  car  il  est  improbable  que  les  pièces  se  rattachant 
à  ces  longs  démêlés  aient  été  toutes  respectées  par  le  temps  et  nous 
soient  toutes  connues.  Nous  n'avons  pas  retrouvé  sur  notre  route  les 
divers  amis  des  de  Peyre  que  (îuillaume  comprit  dans  sa  solennelle 
déclaration  de  haine  et  de  vengeance  et  désigna  nommément.  Peut- 
être,  en  effet,  se  contenta-t-il  de  frapper,  ou  au  moins  de  viser  la 

''    Arch.  de  la  Lozère,  G  48i.  '''  Arch.  de  la  Lozère,  G  48i.  Nous  devons 

'''  Arch.  de  la  Lozère,  G  484.  copie  de  cette  pièce  à  l'obligeance  de  M.  Brunel. 


56  GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

tête,  c'est-à-dire  la  famille  de  Peyre,  négligeant  les  membres  secon- 
daires de  ce  groupe  féodal. 

Le  long  exposé  des  démêlés  de  Guillaume  Durant  avec  Béraud  de 
Mercœur  et  avec  les  de  Peyre  nous  a  fait  perdre  de  vue  son  rôle  ])o- 
litique  à  la  conr  de  France.  H  y  garda  la  grande  position  qu'il  occu- 
pait antérieurement.  De  décembre  i3i6  à  mars  iSiy,  nous  le  trou- 
vons à  Saint-Pol,  Arras,  Amiens,  Moiitdidier,  Corbie,  etc.,  chargé, 
en  même  temps  que  d'autres  agents  du  roi,  de  longues  négociations 
avec  les  seigneurs  d'Artois  et  de  Picardie'''.  Le  8  novembre  i3i7,  il 
fut,  avec  Henri  de  Sulli  et  Pierre  Bertrand,  un  des  mandataires  de  Phi- 
lippe V  pour  rédiger  un  projet  de  traité  avec  la  Castille*"^'.  Le  1 1  octo- 
bre 1  3  18,  il  prit  une  part  importante  à  une  conférence  tenue,  sous  les 
auspices  des  nonces  pontificaux,  Bernard  Gui  et  Bertrand  de  La  Tour, 
à  lloyallieu,  près  de  Gompiègne,  pour  traiter  de  la  paix  entre  Phi- 
lippe V  et  le  comte  de  Flandre'^'.  Une  autre  conférence  se  tint  sous  sa 
présidence  à  Gorn])iègMe,  le  uG  mars  i3  19,  et  aboutit  à  un  accord  entre 
le  roi  et  les  nobles  du  Vermandois''"'.  En  1 3 20-1  32  1,  il  fit,  avec  .Jean 
de  Varonnes  et  Bertrand  Boniface,  deux  voyages  en  Angleterre  et  en 
Ecosse  pour  les  affaires  du  roi  ;  f objet  principal  de  ces  voyages  était 
de*  travailler  à  la  conclusion  de  la  paix  entre  les  rois  d'Angleterre 
et  d'Ecosse'^',  (iuillaume,  toujours  très  préoccupé  de  l'hostilité  de 
Jean  XXII  à  son  endroit,  mit  à  profit  cette  mission  à  l'étranger. 
On  se  souvient  qjiie,  sous  le  pontificat  de  Glément  V,  il  avait  été 
envoyé  en  Angleterre  en  qualité  d'enquêteur  pour  la  canonisation 
de  saint  Thomas  de  Ganteloup,  évêque  de  Hereford''''.  Lors  des 
voyages  de  i320,  il  obtint  d'Edouard  11  une  lettre  que  ce  prince 
adressa,  le  7  août  i320,  à  .lean  XXII,  qui  venait  de  canoniser  cet 
évêque  anglais  ;  le  roi  lui  rappelait  le  rôle  joué  par  (îuillaume  lors 
de  l'enquête  de  i3o7  et  lui  demandait  pour  cet  homme  éminent, 

'"'   Lohugeur,  ouvr.  cité,  p.    i66. —  Cf.  In-  '''   Ibid..  p.  ii2-i43. 

venlaire    d'anciens    comptes    royauje   dresse'  par  '*'  Ibid. ,  p.  i8i. 

Robert  Miifnon.  éd     Ch.-V.    Langlois    (Paris,  '''    Uyiner,    Fœdera,    t.    IF,     pars    l    (Lon- 

i8()()),  j).  .'ifii  :  «  Compoliis  rpiscopi  Minmlcnsis  dres,    1818),   p.  4.'5ri,  4/|T  et  4r)0  ;  J.   Viard, 

»de  viapio  Bituricensi  ad  Regeni  [nnno]  xvii.  »  Les  joarntiax  da   Trésor  de  Charles  IV  le  Del 

'''   (].  Daumet,  Mémoires  sur  les  relations  de  (Paris,    1917),    n"  .396,   5i2,    3'.î3(),   ^920, 

la  France  H  de  la  Cnslille  (Paris,  s. '(!.),  p.  i35  /jo  1 5  ,  5oi6  et  6363.  Cf.  Lehugeur,  p.   a6à. 
et  a3i.  '*'  Cf.  ci-dessus,  p.  ao,  et  ci-dessoas,  p.  7a 


ÉVÉQUE  DE  MENDE.  _  SA  VIE.  57 

qui  avait  laissé  d'excellents  souvenirs,  mansuétude  et  paternelle  sol- 
licitude'•'.  En  juillet  i32,  ,  l'évêque  de  Mende  porta  la  parole  au 
nom  du  roi  dans  une  assemblée  de  députés  des  bonnes  villes,  tenue 
a  t'ai-is,  sur  la  question  des  mesures  et  des  monnaies  ^'\  Le  4  octobre 

r  ,  r       rf  l^'^T   ^"  ^«"*'^t  ^«  "'«'••âge    de  Charles,   duc  de 
La  labre,  lils  aine  du  roi    Robert,  avec   Marie,  fille  de  Charles  de 
Valois,    contrat   passé   à    l'abbaye  du    Val-des-Écoliers  ;   parmi  les 
témoins  igurait  avec  lui  la  reine  douairière,  Clémence  de  Hongrie  (^) 
•      Au  début  de  1 32  3,  Guillaume  fut  chargé,  avec  Amauri  II,  vicomte 
de  Narbonne,  très  zélé  pour  la  croisade,  de  préparer  le  passage  en 
1  erre  sainte ,  pour  lequel  ce  dernier  reçut  un  subside  de  2  4,ooo  livres  W 
On  sait  que  Charles  le  Bel,  à  son  avènement,  avait  proclamé  haute- 
ment  son  intention  de  passer  outre   mer'^J.  —  Quant  à  la  mission 
conhée  en  commun  à  Guillaume  Durant  et  au  vicomte  de  Narbonne 
nen  de  plus  naturel  que  la  coopération  de  ces  deux  personnages! 
Nous  ayons  eu  déjà  1  occasion  de  noter  les  bons  rapports  qui  unis- 
saient leveque  de  Mende  et  la  famille  de  Narbonne    Un  acte,  passé 
e  16  mars    i323  en  la  Chambre  des  comptes,  à  Paris,  et  où  Guil- 
laume figure  en  qualité  de  témoin,  doit  être  mentionné  ici    à  ce 
propos  :  Amaun,   qui  avait  reçu   lui-même  du  roi  de  France  des 
sonimes  considérables  destinées  à  l'expédition  projetée,  s'engage  à  les 
restituer  si  cette  expédition  n'est  pas  elFectuée  <•'). 

L'intérêt  que  Guillaume  portait  aux  aflaires  de  Terre  sainte  était 
bien  connu  en  Europe  ;  l'inlassable  promoteur  d'une  croisade  nou- 
velle, Marino  Sanudo  lancien,  lui  écrivit  souvent  à  ce  sujet.  Une 
lettre  de  ce  personnage,  datée  de  Venise,  i326,  est  adressée  à 
leveque  comte  de  Gévaudan,  procurator  passa^ii ,  et  aux  socii  dudit 
eveque  m  eodem  negoUo  insUtiiû.  Cette  qualification, ;,rocam^or«a55afl,ï 
est  une  allusion  très  claire  à  la  mission  dont  il  s'agit  plus  haut' 
Manno  a  adressé,  dit-il,  lettres  sur  lettres  à  l'évêque  de  Mende  et  n'a 

pa^^  rS/"^"  ''"'"^'  *•  "•  ''")•  ,  ''  ^'«'^  \  ^^  ^^-^l-'^.  Proie,  ^e   croisade 

de  Paru    i884),  t.  XI,  p.  61  Tyyyiv     ^-  ^^^-   ^'^   ^"'    ''"'  ^   '"    ^r.. 

(')   A-^i,        .      I  /    "        ,„  «•  AAA.1V,  p.  5oa. 

'■  '  Arch.   nat. ,  J  4 1 1 .  n°  43  («    n  '      ■ 

•  "  J?r?-r  ^«97-  CU.Ré,ne,AmauriII,         43  .  nS.r^^-  "'''  P"   ''''''  ''  ''' 
vicomte  de  Narbonne,  p.  i44-i45.  '' 


HIST.  LITTÉR.   XXXV. 


8 


58  GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

reçu  aucune  réponse  ;  il  semble  que  tous,  grands  et  petits,  sommeillent 
au  lieu  d'agir.  Ce  thème  inspire  ati  noble  Vénitien  de  longs  dévelop- 
pements oratoires,  qui  sont  purs  exercices  de  rhétorique;  mais,  che- 
min faisant,  il  précise  quelques  détails  intéressants  ;  nous  apprenons 
qu'il  a  saisi  de  ses  projets  le  roi  de  France  et  Louis,  sire  de  Bourbon  et 
comte  de  Glermont'' ,  qu'il  a  remis  au  roi  et  à  l'évèque  lui-même  son 
fameux  Liber  secretorum  fidclmm  crucis  et  qu'il  y  a  joint  des  cartes  géo- 
graphiques. Sans  doute  le  plan  d'une  grande  croisade  est  abandonné, 
Sanudo  le  reconnaît  avec,  douleur.  Cependant  un  projet  réduit  pour- 
rait aboutir;  qu'on  se  reporte  aux  instructions  et  aux  notes  en  langue 
française  qui  sont  entre  les  mains  de  Guillaume,  les  voies  et  moyens 
V  sont  exposés.  Il  faut  espérer  que  débile  principium  inehorjorliinu  seque- 
tiir.  En  tout  cas,  qu'on  ne  l'oublie  point,  il  y  a  dans  cette  sainte  entre- 
prise plus  d'argent  à  gagner  que  de  dépense  à  faire  '^'. 

À  la  date  de  1829,  où  nous  a  conduits  l'histoire  des  relations  de 
Guillaume  avec  les  de  Peyre,  cet  évêque,  si  souvent  hors  de  son  dio- 
cèse, était  au  loin.  H  avait  entrepris  le  grand  voyage  d'Orient  où  il 
devait  trouver  la  mort,  voyage  sur  lequel  nous  avons,  par  malheur, 
des  renseignements  trop  sommaires.  Ce  voyage  est-il  en  relation 
directe  avec  les  projets  de  Marino  vSanudo.»^  C'est  peu  probable. 

Guillaume,  chargé  de  mission  par  Jean  XXll  et  Philippe  de  Valois'^', 
partit  pour  la  Terre  sainte  avec  le  train  d'un  grand  seigneur;  le  pape 
l'avait  autorisé  à  emmener  une  suite  de  trente  personnes,  outre  ses 
familiers '*'.  11  prit  ])lace  dans  l'une  des  quatre  «  galées  »  nolisées  pour 
transporter  la  lille  du  duc  de  Bourbonnais,  Marie,  liancéeà  l'héritier 
delà  couronne  de  Chypre,  Gui  de  Lusignan.  La  princesse  avait  été 
confiée  par  son  père  à  deux  chevaliers  français  et  à  Pierre  de  la  Palu, 
patriarche  latin  de  Jérusalem'^',  qui  devait  être  le  compagnon  de 
l'évèque  de  Mende  dans  son  ambassade.  H  est  peu  probable  que  le 

''   Pliilippe  le  Long  avait,  en  i3i8,  nommé  registre  du  Vatican  91,  cp.   2498).  Le   même 

ce  prince  capitaine  d'une  armée  d'avant-garde  jour,  le  pape  avait  accordé  à  l'évèque  de  Mende 

qui  (levait  précéder  le  passage  général  (A.  de  la  faculté  d'affecter  au  |)ayement  des  frais  de 

Boisiisle,  toc.  cit.,  p.  a3i).  son   passage  outre-mer  les   revenus  en  argent 

'*'   Bongars,   Gesta   Dei  pcr   Francos,  t.  11,  et  en  nature  de  son    évêrhé    [ihid.,     registre 

p.  U94-2f)7<-  d'Avignon,  loi.  534  h;  registre    du    Vatican 

'''   Ceci  résulte  de  l'épitaphe  qui  sera  repro-  91,  ep.  3499)-  Ces  deux  notes   nous  ont    été 

duite  ci-dessous,  p.  60.  communiquées  pai-  M.  i'abbé  MoUat. 

"*'  Lettie   du    10  avril    i3a9    (Archives    du  '    Huillard-BréhoUes,  Inventaire  des   tili-es 

Vatican,   registre   d'Avignon  33,    fol.  534  '';  de  la  maison  ducale  de  Bourbon,  n'  1894. 


EVEQUE  DE  MENDE.  —  SA  VIE.  59 

départ,  dont  on  faisait  les  préparatifs  au  mois  d'août'"',  ait  eu  lieu 
avant  une  époque  assez  avancée  de  l'automne.  Nous  en  ignorons  la 
dale;  mais  un  document  atteste  que  le  mariage  ne  fut  célébré  qu'en 
janvier  i33o,  à  Nicosie,  en  présence  des  deux  ambassadeurs'^'.  Con- 
formément aux  instructions  qu'il  avait  reçues  du  pape  et  du  roi, 
l'évéque  de  Mende  se  rendit  ensuite  en  Egypte,  avec  le  patriarche  de 
Jérusalem;  les  deux  prélats  avaient  pour  mission  de  sonder  les  inten- 
tions du  Soudan.  On  espérait  sa  neutralité  et  peut-être  son  appui 
pour  le  projet  de  croisade  formé  en  Occident'^'. 

Des  résultats  de  leurs  pourparlers  avec  le  Soudan  nous  ne  savons 
rien  de  précis,  mais  nous  pouvons  allirmer  que  ce  voyage  ne  fut 
pas  considéré  comme  une  tentative  d'enquête  inutile  et  vaine,  car  le 
souverain  pontife,  par  lettre  du  2  i  février  i33i,  invita  Philippe  VI  à 
délibérer  au  sujet  de  la  croisade  avec  le  patriarche  de  Jérusalem  qui 
revenait  de  sa  mission  auprès  du  soudan  ''*'.  D'autres  délégués  furent 
envoyés  en  i333,  et  finalement  Philippe  VI  fut  désigné  comme  chef 
de  la  croisade  projetée'^'.  Un  document  postérieur  de  quelques  aimées 
nous  apprend,  en  outre,  que  le  patriarche  de  Jérusalem  et  l'évéque 
de  Mende  s'acquittèrent  aussi  en  Egypte  d'une  mission  accessoire  rjue 
leur  avait  confiée  le  roi  de  France'^'. 

Si,  en  i33i,  il  n'est  plus  question  que  du  patriarche  de  Jérusalem, 

'''   Le  la  avril,  le  Génois  Sadnr  l'oiia,  (|ui  celui  ci    avait    adressé   au    roi    de    France  des 

avait  fourni  les  navires,  s'occupait  don  recruter  lettres  «  quae  graliosae  erant  »;  sur  quoi  il  ajoute 

les  é(|uipaf,'es  (ibid. ,  n°  i8()7).  cette  réflexion  :  «  Quare  cum  suinnius  pontifex 

'"'   Huillard-Bréholles,   n°'    igiS,    i()iJ   et  «et  rex  Francia-   illustrissimus   requirit    ad  si; 

igi6;  Mas-l,atrie,  Histoire  de  l'Ue  de  CliYpre ,  «trahere  has  gentes  hujusmodi  conditionis  et 

t.  II,  1"  partie,  p.   162.  Le  contrat  de  mariage  «maxime  soldanum  Babyloniae •  (Kunst- 

fut  ratifié  solennellement  à  Nicosie  le   i4jan-  mann, Sladienùbei  Marina  Sanudo  den  A eltcren, 

vier  i33o.  dans  Abhandiungen  der  hist.  Klasse  der  kônigl. 

'''   0  Hoc  anno,  frater  Petrus  de  Palude,  pa-  bayer.    Akademie    der    Wissenschaften ,    i855, 

•  triarcha  Jérusalem ,  qui  missus  fuerat  ad  soi-  t.  VII,  p.  765-766).  Cf.  Max  Heber,  Gutachteu 

0  danum  ad  sciendum  utrum  via  possit  inveniri  und  Reformvorschlàge  fur  dos  Vienner  General- 

«  qua  Terra  sancta  recuperaretur.  .  .  n  (Conti-  conci7  (Leipzig,  1896),  p.  70. 
nuateur  de  Guillaume  de  Nangis,  éd.  H.  Gé-  '*'  Arch.    du   Vatican,    reg.   116,  fol.   ag, 

raud,  t.  II,  p.  108,  1  10,  i3o;  Lequien,  Oriens  n°  i33  (communication  de  M.  Coulon). 
ckristiaiius ,    t.  III,  col.    ia65-i266).   Joignez  '''  Communication  de  M.  Coulon. 

ce  qu'a  écrit  à  ce  sujet  H.  Lot,  dans  la /Jifc/io-  '*'     Il    s'agissait     de    déterminer    le    rôle 

thèque   de   l'Ecole   des  chartes  (iSbcf),    t.   XX,  joué  par  un  certain  Guillaume  Bonnesmains, 

p.  5o3.  Sanudo  fait  allusion  à  cette   mission  manière  d'ambassadeur  envoyé  par  Charles  IV 

dans  une  lettre,  datée  de  Venise,  10  avril  i33o;  auprès  du  Soudan   (H.  Lot,   dans  la   liibl.  de 

il  nous  apprend  que ,  l'année  qui  a  précédé  l'en-  l'Ecole  des  chartes ,  t.  XX ,  p.  5o3 ,  et  t.  XXXVI , 

voi  de  celle  ambassade  au  Soudan  de  Babylone,  p.  691  et  598). 

S. 


60  GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

c'est  que  son  compagnon  l'évêque  de  Mende  n'était  plus  de  ce  monde. 
En  effet,  revenu  d'Egypte  en  Chypre,  Guillaume,  qui  en  homme 
prudent  s'était,  cinq  ans  à  l'avance,  assuré,  pour  ses  derniers  mo- 
ments, la  faveur  pontificale  de  l'indulgence  plénière''',  y  trépassait 
bientôt.  Son  corps,  mis  dans  un  sac  de  cuir,  fut  inhumé  à  Nicosie 
dans  la  plus  grande  des  chapelles  latérales,  à  gauche  du  maître- 
autel,  de  l'église  des  Cisterciens  de  Sainte-Marie  de  Beaulieu'^'.  L'épi- 
taphe  gravée  sur  son  tombeau  a  été  conservée  par  un  historien  de 
Bologne,  Ghirardacci  ^',  sous  la  forme  suivante: 

HIC    lACET     REVERENDISSIMVS     IN     CHRISTO 

PATER    D.    VILELMVS    DVRANTI     DEl    GRATIA 

EPISCOPVS    MIMATENSIS    COMESQ;    GABALLITANI 

ET   PEREGRINVS    AD    SANCTVM    SEPVLCHRVM,    ET    NVNTI\  S 

DD.    PAPAE,    ET    REGIS    FRANCIAE 

AD    SOLDANVM 

QVl    IN    REGRESSV    OBIIT    IN    MONASTERIO    BELLl    LOCI    CYPRI. 

ANNO    D.    MCCCLVI.    DIE...    IVLII. 

CVIVS    ANIMA    REQVIESCAT    IN    PACE. 

AMEN. 

Mais  la  date  de  l'inscription  a  été  imparfaitement  déchiffrée;  si 
Ghirardacci  n'a  pas  hésité  à  imprimer  mccclvi,  avant  lui  Baldo  degli 
Ubaldi  et  Diplovalazio,  reproduits  par  Sarti,  n'avaient  lu  que  mcccvi. 
Sarli  proposa  xxviii''',  les  Bénédictins,  auteurs  de  la  Gallia  chrisùana, 
plaç.'inl  la  mort  de  Guillaume  en  1828  et  leur  opinion  s'imposant  à 
titre  d'autorité  indiscutable.  (^)uaiit  à  nous»  qui  venons  de  voir 
Guillaume  s'embarquer  à  Marseille  peu  après  juillet  1829,  et  qui 
savons  que   son  successeur  à    Mende,  Jean  d'Arci,   fut  nommé  le 

'■'  Le  1"  juin  iSaô,  Jean  XXII  lui  accorda  aussi  par  Schulte  {Geschichie  der  Quellen...  des 

«ut  suus  contessor  semel   in    morlis  articulo  can.  fiechts,  t.  IF,  p.  19'));  MM.  Max  Heber 

«possit  i|  si   plenam   remissionem  peccatorum  (Gutachten  iind  Reformvorschiâgejurdas  Vienner 

«  conceilere»  (Mollat,  n°  32467).  Generalcoiicil ,  p.  ^i  ),  et  I\.  Scholz  (Die  Pabli- 

'''  Appelée  plus  tard  iSan  Giovanni  in  Monte  zisiik  zur  Zett  Pkilippsdes  Schôncii  und  Bonifaz 

Forte.  F///,  Stuttgart,  igoS,  p.  3 10)  proposent  i33i. 

'''  Historia   di  vari  saccessi   d'Ilalia  (  Holo-  —  Nos  prédécesseurs  ont  relevé  l'erreur  de 

gna,    i6(i<)),   t.   II,    p.    a32    (communication  Simon  Maiolo,  qui  attribue  au  5/)ecu/a(or  cette 

de  M.  L.  Dorez).  mission  en  Orient  et,  par  suite,  le  fait  mourir 

'"'   De  claris   archigymnasii   Bononiensis  pra-  en  Chypre  {Hist.  litt.  delà  Fr.,  l   XX,p. /jsg). 

fessoribiis    (Cononiae,     1769),    t.    1,   part,    i,  Baldo,  Diplovatazio  et  Ghirardacci  ont  fait  le 

p.   3y6.    Cette   date    de    i3a8    est    adoptée  même  quiproquo. 


EVEQLIE  DE  MENDE.  —  SA  VIE.  61 

i4  décembre   i33o,  nous  n'hésitons  pas  à  affirmer  qu'il  mourut  à 
Chypre  en  juillet  i33o'''. 

S'il  fut  donné  à  Guillaume  Durant  de  jeter,  en  mourant,  un  regard 
su  r  sa  vie  agitée ,  il  put  apercevoir  au  loin ,  dans  le  passé ,  ses  vengeances 
commencées,  non  point  assouvies,  son  ambition  du  patriarchat  de 
.lérusalem  déçue,  ses  rêves  magnifiques  de  réforme  de  l'Église  de- 
meurés impuissants  et  vains.  H  laissait  pourtant  une  œuvre,  une  seule, 
l'organisation  politi([ue  du  Gévaudan,le  pariage. 

Jean  d'Arci,  successeur  de  Guillaume,  était  un  des  légataires  du 
défunt.  Le  chapitre  de  Mende  lui  remit,  en  i33i ,  un  pontifical,  un 
missel  et  deux  chapes,  ([ue  Guillaume  lui  avait  destinés;  Jean  d'Arci, 
très  ])r()mptement  transféré  à  Autun,  renvoya  ces  objets  au  chapitre 
de  Mende '^^. 

Les  Bénédictins,  auteurs  de  la  Gallia  christiana,  ont  maladroite- 
ment intercalé  entre  Guillaume  Durant  et  Jean  d'Arci  un  certain 
Bernard '•'^  évêque  imaginaire,  resté  très  légitimement  inconnu  à 
leurs  prédécesseurs,  Scévole  et  Louis  de  Sainte-Marthe'"^.  Nous  n'insis- 
terons pas  sur  cette  erreur,  depuis  longtemps  relevée'^'. 

Les  mêmes  savants  ignorent  le  voyage  en  Orient  de  Guillaume  et 
sa  mort  en  Chypre.  Au  tome  I",  ils  placent  son  tombeau 
dans  l'église  du  prieuré  de  Notre-Dame  de  Cassan,  près  Béziers,  et 
décrivent  la  statue  tombale  qui  représente,  pensent-ils,  le  prélat  <**'.  Au 
tome  VI,  ils  semblent  avoir  reconnu  leur  erreur  ;  ils  ne  parlent  plus, 
en  effet,  de  tombeau  à  Notre-Dame  de  Cassan,  mais  de  cénotaphe'^'. 

'"  Eubel ,  Hierarchia  catholica ,  a°  éd.  (  1 9 1 3  ),  "i  Par  André ,  Les  évéques  de  }fen<îe,  p.  33-34. 

p.  342.  Cf.  Coulon,  Lettres  secrètes  et  curiales  Cf.  Eubel,  a*  éd. ,  p.  3 '12,  note  6.  Aucun  des 

de  Jean  XXII.  n°   776,  noie   5  in  fine.  Néan-  auteurs   que  nous   avons   consultés    ne  donne 

moins,  le  1"  décembre   i33o,  un  mandataire  de   renvoi  précis   permettant  de    retrouver  la 

de  Guillaume   Durant  a^t  encore  à   ce   titre  charte,  source  de  celte  erreur.  Les  recherches 

(André,    Les    évèques    de   Mende    pendant    le  de  M.  Brunel,  archiviste  de  la  Lozère,  consulté 

xiv'  siècle,  dans  le  Bulletin  de  la  Société  d'agri-  par  nous,  n'ont  pas  abouti.  Il  veut  bien  nous 

culture ...- de    la     Lozère,     1871,    t.     XXIF,  signaler  le  renseignement  le  moins  vague  qu'il 

p.  33,  note   1  );  mais  le  mandant,  à  coup  sûr,  ait  rencontré  :  les  auteurs  de  l'Histoire  de  Lan- 

n'est  plus  de  ce  monde.  —  Depuis  bien  des  guedoc  parlent  des  souscriptions  d'une  charte 

années,  VOrdo  du  diocèse  de   Mende   donne  pour   l'abbaye  de  Mcrroire,   où  figurerait  ce 

exactement  pour  la  mort  de  Guillaume  Durant  Bernard , évêque  (t.  IV,  p.  SgS). 
cette  date    indiscutable    de    i33o.    Voir   Ordo  <*'   Gaffia  cAnst..  I.  1,  col.  cjy. 

divini  officii  ( Mimali,  1 90a ) ,  p.  67.  O  T.  VI,  col.  SaS.  En  disant  cénotaphe , les 

Ga//m  cftris/. ,  t.  I ,  col.  97.  savants  auteurs  abandonnent  peut-être  impli- 

^    '""'•.  citement  l'identilicatioii  avec  Guillaume  Durant 

<'   Ga//iacATO<.,t.  III(Paris,  i656),p.  731-  le  jeune;   songeraient-ils  au  Speculator,  qu'ils 

7*'^-  savent  inhumé  à  Rome? 


62  GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

Cénotaphe  est  la  seule  expression  qui  ait  chance  d'être  exacte.  Mais 
la  statue  tombale  de  Notre-Dame  de  Cassan  était-elle  vraiment  la 
statue  de  notre  Guillaume?  La  question,  à  nos  yeux,  est  obscure  et 
embarrassante.  Elle  est  jusqu'à  un  certain  point  emmêlée  à  cet  autre 
problème  :  connaissons-nous  sûrement  les  armoiries  de  Guillaume 
Durant  le  jeune? 

Au  xvii^  siècle,  Scévole  et  Louis  de  Sainte-Marthe,  en  marge  de 
la  notice  consacrée,  dans  leur  Gallia  christiana,  à  notre  Guillaume, 
décrivent  ainsi  qu'il  suit  les  armoiries  de  ce  prélat  :  «  D'argent,  à  trois 
bandes  d'azur,  au  chef  d'argent,  à  un  lionissant  d'azur,  le  même  chef 
soutenu  d'azur,  à  trois  étoiles  d'or'"'.»  Les  Bénédictins  corrigent  : 
«  à  trois  trèfles  d'or  «. 

Par  ailleurs,  aucun  sceau  armorié,  aucune  indication  directe. 
La  description  des  Sainte-Marthe  est  notre  base  unique.  Comment 
donc  ces  érudits  ont-ils  connu  les  armes  de  Guillaume?  Quelle  est 
leur  autorité?  Nous  craignons  fort  que  cette  attribution  ne  résulte 
d'une  erreur  matérielle.  En  elTet,  les  armes  décrites  en  français  par 
les  Sainte-Marthe,  en  marge  de  l'article  consacré  par  eux  à  Guil- 
laume Durant  le  jeune,  sont  exactement  celles  que  tout  le  monde 
peut  relever  sur  le  monument  funéraire  de  Guillaume  Durant  fancien , 
à  Home'"'.  Or  les  Sainte-Marthe,  dans  l'article  consacré  au  Speciilator, 
ne  décrivent  point  ses  armes.  Cependant  ils  connaissaient  fort  bien  le 
tombeau  de  la  Minerve  et  savaient  que  les  armes  du  Spcculator  sont 
reproduites  sur  sa  statue'^'.  La  description  que  nous  lisons  en  marge 
de  la  notice  de  Guillaume  Durant  le  jeune  n'était-elle  point  destinée 
à  la  notice  précédente,  celle  de  Guillaume  Durant  l'ancien? 

Quant  à  la  statue  tombale  de  Notre-Dame  de  Cassan,  les 
Sainte-Marthe,  se  reportant  à  une  épitaphe  gravée  sur  la  muraille,  con- 
jecturaient que  c'était  l'efiigie  d'nn  évêque  de  Béziers,  morl  en  i  2o5  , 
Guillaume  de  Roquesel'"'.  Ici  interviennent  les  Bénédictins.  Ils  afiir- 
mèrent,  au  xviii"  siècle,  que  les  insicjnia  (à  traduire,  ce  semble,  par 
armoiries)  de  Guillaume  Durant  le  jeune  se  retrouvaient  sur  la  tombe 
de  Notre-Dame  de  Cassan   [in  fornice  et  in  propylœoy'''' -^  les  Sainte- 

*'*  T.  III,  p.  731-733.  l'appelle  de  Rocozels,  d'après  la  forme  usuelle 

'''   Heprodijclion  daus  Bertaui ,  Borne  (Paris,  du   nom  de  la  localité  d'où   cet  t'vè(|uc  lirait 

iQo5),  p.  79,  fig.  34.  son  origine  [Hist.  de  la  ville  de  lioajan.  Béziers, 

(''  T.  III    p.  731.  1869,  p.  117). 
'*'  Gadia  christ.,   t.  Il,  p.  419    M.  Crouzat  '*'  Gallia  ckrist.,  t.  VI,  col.  3-î.^. 


ÉVÈQUE  DE  MENDE.  —  SA  VIE.  63 

Marthe,  par  lesquels  les  Bénédictins  étaient  renseignés  sur  les  armes 
de  Guillaume  le  jeune,  n'y  auraient  rien  vu.  Ce  tombeau,  ou  ce  céno- 
taphe, devenait  dès  lors,  en  dépit  de  l'épitaphe,  le  tombeau  dudit 
(uiillaume. 

Le  monument  funéraire  de  Notre-Dame  de  Cassan,  qui  n'existe 
plus  dans  cette  église,  est  conservé  aujourd'hui  au  musée  de  Tou- 
louse. Sur  la  ])hotographie  de  ce  uîonument,  que  nous  avons  sous  les 
veux,  nous  ne  distinguons  point  d'armoiries  in  forniœ  et  iii  propylœo. 
Le  conservateur  du  musée,  qui  a  décrit  cette  statue  avec  grand  soin, 
n'a  pas  vu  davantage  ces  ins'ujnla  inforniceet  in  propylœo;  mais  il  aperçoit 
certains  souvenirs  ou  débris  des  armoiries  ci-dessus  décrites  dans  les 
broderies  de  l'aube  et  dans  les  trèfles  des  chaussures'''. 

Un  connaisseur,  M.  l'abbé  Auriol,  veut  bien  nous  communiquer  à 
ce  sujet  la  noie  suivante,  qui  complète  très  heureusement  ce  que 
nous  pouvons  dire  du  monument  funéraire  conservé  à  Toulouse  : 
«  La  statue  tombale,  dite  de  Guillaume  Durant,  fut  trouvée  par 
Al.  du  Mège,  en  i833,  chez  un  marchand  nommé  Grimm,  à  Mont- 
pellier. On  assurait  que  ladite  statue  provenait  de  l'église  du  prieuré 
de  Notre-Dame  de  Cassan,  au  diocèse  de  Béziers,  et  avait  recouvert  la 
tombe  de  Guillaume  Durant,  dans  la  chapelle  Saint-Privat,  que  cet 
évêque  avait  faitajouter  à  l'église  de  ce  prieuré...  Ladite  statue  ne  porte 
aucune  inscription.  Son  soubassement  n'a  jamais  été  au  musée.  .  . 
Les  écussons  de  l'orfroi,  du  collet  et  du  coussin  n'ont  jamais  porté 
d'armoiries;  c'est  simple  motif  d'ornementation.  Les  gants  du  prélat 
étaient  ornés  de  plaques  métalliques;  un  anneau  de  métal  était  fixé  à 
l'annulaire  gauche.  La  mitre,  tant  sur  le  circulus  et  le  titulus  que  sur 
les  galons  de  la  bordure,  était  enrichie  de  cabochons;  ces  ornements 
ont  disparu.  » 

Si  les  observations  qui  précèdent  viennent  affaiblir  certaines  consi- 
dérations favorables  à  l'attribution  proposée  par  les  Bénédictins  et 
par  le  conservateur  du  musée  de  Toulouse,  il  reste  en  faveur  de 
cette  thèse  un  fait  incontestable  :  notre  Guillaume  avait  une  grande 
vénération  pour  saint  Privât,  auquel  était  dédiée  la  chapelle  en 
question  de  Notre-Dame  de  Cassan.  Relevons  aussi  une  assertion 
qui,  contrôlée  et  vérifiée,  serait  un  sérieux  argument.  Guillaume  le 

'"'  Description  du  n'  SSg,  dans  Roschach,         des   objets    d'art   (Toulouse,    i865),   p.    3i8- 
Miisée  de  Toulouse.  Catalogue  des  antiquités  et         3 19. 


64  GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

jeune  aurait  été,  au  dire  des  Bénédictins,  chanoine  de  Notre-Dame  de 
Cassan'').  Ce  dire  n'est  appuyé  malheureusement  d'aucune  référence. 
Les  recherches  qu'on  a  bien  voulu  faire  à  ce  sujet  aux  archives  dépar- 
tementales de  l'Hérault  (fonds  de  Notre-Dame  de  Cassan  et  de  la 
commune  de  Roujan)  n'ont  pas  donné  de  résultat. 

Nous  passons  aux  écrits  laissés  par  Guillaume  Durant.  Nous  n'avons 
pu  d'ailleurs  retracer  sa  vie  sans  faire  allusion  déjà  à  quelques-uns 
d'entre  eux. 


SES  ECBITS. 


I.  —  Actes  relatifs  a  sa  mission  en  Italie  (  i3o5-i3o6). 

Dans  les  premières  années  du  xiv^  siècle,  une  grande  partie  de 
l'Italie  était  en  proie  à  de  sanglantes  dissensions.  Le  pays  était  déchiré 
par  la  rivalité  séculaire  des  Guelfes  et  des  Gibelins  ;  à  cela  s'était 
ajoutée,  en  Toscane,  la  lutte  entre  deux  fractions  du  parti  des  Guelfes, 
les  Blancs  et  les  Noirs;  enfin  les  faveurs  exorbitantes  accordées  par 
Boniface  VIII  à  ses  jiarents,  les  Gaetani,  avaient  provoqué  chez  leurs 
adversaires,  les  Colonna,  dépouillés  à  leur  profit,  une  irritation  qui, 
dès  la  mort  du  pontife,  se  transforma  en  hostilité  déclarée,  si  bien 
que  les  régions  soumises  à  l'Eglise  romaine  en  furent  profondément 
troublées.  Boniface  VIII  avait  suivi  une  politique  entièrement  favo- 
rable aux  Noirs  ;  rompant  avec  cette  politique ,  Benoît  XII  avait  essayé, 
sans  y  réussir,  de  refaire  l'unité  du  parti  guelfe.  Clément  V,  qui, 
lors  de  son  avènement,  se  proposait  de  ramener  la  papauté  au  tom- 
beau de  l'Apôtre,  ne  pouvait  (jue  désirer  ardemment  l'accord  des 
partis,  condition  indispensable  du  rétablissement  du  saint-siège  à 
Rome.  C'est  pour  apaiser  les  discordes  que,  dès  les  premiers  jours  de 
son  pontificat,  il  envoya  au  delà  des  Alpes,  comme  ses  délégués, 
.Guillaume  Durant,  évêque  de  Mende,  et  Pelfort  de  Rabastens,  abbé 
de  Lombez'^^. 

<■'  Gallia  christ.,    t.  VI,  col.   325.   —   Nous  ''>  Cf.  A.  Eitcl,  Der  Kirchenslaat  itntcr  KU- 

devons  aussi  de  précieuses  indicalioas  à  MM.         mens  V  (Berlin,    1907,  iD-8°).  Los  actes  des 
Berlhelé,  Coulon,  Prinet  et  Martin-Chabot.  délégués    de   Clément- V    sont    mentionnés   h 


ÉVÊQUE  DE  MENDE.  —  SES  ÉCRITS.  65 

Cette  mission  nous  est  connue  :  i°  par  une  sorte  de  journal 
ou  mémorial,  conservé  aux  Archives  du  Vatican,  qui  reproduit  ou 
résume  les  actes  écrits  et  en  général  les  faits  et  gestes  des  légats; 
2°  par  les  pièces  nombreuses  qui,  depuis  six  siècles,  sont  conservées 
dans  les  archives  de  plusieurs  villes  ou  villages  d'Italie.  M.  David- 
sohn")  a  largement  puisé  à  ces  deux  sources;  M.  Goller''^)  et  surtout 
M.  Schûtte<^'  ont  mis  à  contribution  les  seules  Archives  du  Vatican. 
Les  pubhcations  de  ces  trois  érudits  permettent  d'étudier,  pièces  en 
mains,  ce  voyage  odîciel. 

Guillaume  avait  près  de  lui  quelques  famihers;  trois  au  moins  nous 
sont  connus:  Raimond  Barot,  préchantre  de  Mende'*',  Jacques 
d'Assise,  chanoine  de  Meaux,  Pierre  de  Césène.  Ces  personnages 
secondaires  ont  parfois  joué  un  rôle  actif:  c'est  ainsi  que,  le  27  dé- 
cembre i3o5,  Guillaume  Durant  constituait  Raimond  Barot  et 
Jacqui^s  d'Assise  ses  procureurs  et  les  chargeait  d'intimer  en  son  nom 
des  injonctions  à  plusieurs  gentilshommes  du  diocèse  de  Rieti.  Le 
29  décembre  suivant,  Pierre  de  Césène  s'acquittait  d'une  mission  ana- 
logue à  San  Gemini.  Mentionnons  enfin  un  certain  Jordns  de  Mercolerio , 
qui  est  qualifié  domicellus  dicti  episcopi^^K 

Les  envoyés  étaient  accompagnés  aussi  de  deux  notaires  :  Dominicus 
(juondam  Insegne,  de  Poggibonsi,  et  Sof ridas  fiwmdam  Spedalerii,  de 
Pistoie.  Ce  sont  ces  notaires  qui  rédigent  le  mémorial,  les  actes 
divers  et  les  lettres  qui  constituent  l'histoire  de  la  mission.  Mais  tenir  . 
la  plume  n'est  pas  leur  rôle  unique  ;  ainsi  nous  les  voyons,  le 
17  mars  i3o6,  recevoir,  au  nom  des  légats  absents,  la  soumission 
de  plusieurs  villes  et  villages'^'. 

Parmi  les  nombreux  documents  publiés  en  ces  derniers  temps  et 
intéressant  la  mission  des  deux  légats,  nous  relevons  trois  rapports  au 
souverain  pontife*"  et  plus  de  quarante  lettres  ou  actes  divers.  Les 

diverses  reprises,  p.  10  et  suiv.,   100,110,136,  dans    Beitràge    zuni   Osterprogramm  1909  des 

'^?r^     'i^'*^         „       ,  knnigl.  kath.  Gymnasiums   su  Leohschûtz. 

Uavidsohn,    Forschungen   zur    Geschichte  '"  Cf.  ci-dessous,  p.  76   note  i 

vonFlorenz  (Berlin,  1901),  t.  III,  p.  387.321.  ('>  Scliùtte,  p.  .5,  n"  17  et  18. 

'  Goller,    Zar   Geschichte   der  italienischen  m  Schiitte,  p.  4,  n"  4;  p.  33,  n*  38 

Légation  Daranlis  des  Jungeren  von  Mende .  dans  O  Davidsohn,  t.  III,  p.  388-3q5  •   Schûite 

Rômische   QuartaUchnJÏ,    t.    XIX,    3'    partie,  p.    S-g.   n»   4;   Gôlier,   p.   3 1  ;   texte   tronqué 

GeschchteJ  xç)o5)p    liM.  dans  Schùtte,    p.  44.   n°  46.    -   Il  y  a  des 

'  bchulte,     Valikamsche    Aktenslûcke   znr  traces  d'un  quatrième  rapport  dans  le  mémo- 

itahenischen  Légation  des  Duranti  imd  Pillfovt.  rial  de  lamission  (cf.Schulte,  p.47-48,n°  48). 

HIST.   LITTÉB.  XXXV. 

7  *  '""'"""  ""°""'' 


66  GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

deux  légats  agissent  presque  toujours  en  commun.  Cependant,  Guil- 
laume procéda  seul  pendant  la  dernière  semaine  de  décembre  i3o5, 
son  collègue  s'étant  absenté  pour  affaires,  et,  c'est  lui  qui,  le  29  dé- 
cembre, reçut  la  soumission  des  habitants  d'Acquasparta". 

Les  légats  partirent  pour  l'Italie  le  28  août  i3o5.  Us  étaient  munis 
de  plusieurs  lettres  pontificales  en  date  du  18  août,  à  Bordeaux, 
lettres  qui  les  investissaient  de  grands  pouvoirs,  mandaient  aux  cités 
italiennes  d'obtempérer  à  leurs  ordres,  et  à  tous  les  dignitaires  de 
l'Eglise  de  leur  donner  conseil,  aide  et  assistance'"^'. 

Les  deux  prélats  étaient,  le  12  septembre,  à  Gênes,  le  19,  à  Pise, 
peu  de  jours  après,  à  Lucques.  Reçus  avec  honneur  dans  le  camp  du 
duc  Robert,  qui,  à  la  tète  des  Florentins  et  des  Lucquois,  dits  alors 
les  Noirs,  assiégeait  les  Blancs  de  Pistoie,  ils  traversèrent  le  camp  et 
entrèrent  dans  Pistoie;  de  Pistoie  ils  proclamèrent  une  trêve  de 
quinze  jours,  à  dater  du  22  septembre.  Ce  délai  fut  employé  par 
les  légats  à  des  tentatives  de  conciliation  singulièrement  compliquées. 
Ils  avaient  mission  de  Clément  V  d'obtenir  la  levée  du  siège  de  Pistoie 
et  par  là  de  faire  enfin  cesser  Teffusion  du  sang.  Mais  les  Florentins  et 
les  Lucquois  soutenaient  qu'ils  n'étaient  que  les  instruments  de 
fEglise  et  qu'ils  guerroyaient  contre  les  citoyens  de  Pistoie  sur 
l'ordre  de  Boniface  Vlll.  Aussi  bien,  ceux  de  Pistoie  avaient  été, 
disaient-ils,  excommuniés  par  le  légat  de  Boniface.  Ces  derniers 
répliquaient  qu'ils  avaient  été  absous  par  un  autre  légat,  en  sorte 
que  les  rebelles  à  fEglise  de  Rome,  c'étaient  leurs  ennemis,  non 
point  les  Blancs  de  Pistoie.  Ces  vrais  rebelles,  Florentins  et  Lucquois, 
avaient  été  d'ailleurs  excommuniés  à  leur  tour  et  leur  pays  frappé 
d'interdit'^'. 

Après  quelques  tentatives  infructueuses,  les  légats  quittèrent  la 
Toscane  en  décrétant,  au  nom  du  souverain  pontife,  une  trêve  qui 
devait  se  prolonger  jusqu'à  la  prochaine  fête  de  Pâques.  N'ayant  pu 
sauver  Pistoie,  qui  devait  plus  tard  tomber  aux  mains  des  assiégeants, 
ils  se  dirigèrent  vers  Pérouse,  dont  les  habitants,  disaient-ils,  se 
montraient  indociles  aux  ordres  du  saint-siège'*'.  La  population  de 

'''  ScliiiUe,  p.  16,  n°  19.  '*'   «Dicti  Perusini  sunt  sue  volunlatis  et  non 

'''  Davidsohn,   t.    III,   p.   3i6-3i7;  Gôller,  «  consueveruiU    mulluni    legualos    et    nuncios 

|).  18-21.  c  sedis  apostolice   inibi  volentes  processus  fa- 

'''  Davidsohn,  t.  III,  p.  390-293.  «cere  revereri  •  (Davidsohn,  t.  III,  p.  293).  Pé- 


EVÈQUE  DE  MENDE.  —  SES  ÉCRITS.  67 

cette  ville,  favorable  aux  Florentins  et  aux  Lucquois,  était  très  émue 
de  l'intervention  des  légats.  On  recommanda  donc  à  ceux-ci  beau- 
coup de  modération,  la  populace  pouvant  se  porter  sur  leur  personne 
aux  derniers  excès  et  profiter  du  désarroi  pour  piller  le  trésor  laissé 
par  Benoît  XI  *''.  Les  légats  suivirent  ce  sage  conseil,  et,  quittant 
Pérouse,  se  dirigèrent  vers  Foligno,  où  ils  espéraient  pouvoir  conférer 
avec  des  délégués  de  Pérouse;  mais  arrivés  à  Foligno,  ils  ne  purent 
même  y  promulguer  leurs  injonctions'"^'. 

Dans  la  Marche  d'Ancône,  profondément  troublée,  ils  décrétèrent 
des  trêves  et  des  paix,  qu'il  n'était  pas  facile  de  faire  respecter.  Les 
représentants  des  cités  furent  convoqués  pour  le  i5  janvier  i3o6  à 
une  grande  assemblée,  à  Pausula'"*'.  Plusieurs  obtempérèrent  aux 
injonctions  des  légats.  Mais  quelle  confiance  avoir  en  des  promesses 
de  paix  échangées  par  ordre  .^  Les  prélats  sentaient  eux-mêmes  la 
fragilité  de  pareils  engagements.  Ils  imaginèrent,  un  jour,  poiir  con- 
solider ces  liens,  de  recourir  à  un  procédé  assez  inattendu.  Il  s'agissait 
d'établir  une  paix  durable  entre  la  ville  de  Camerino  et  les  communes 
de  San  Severino,  Fabriano  et  Matelica.  Le  18  février  i3o6,  non 
contents  d'avoir  fait  échanger  le  baiser  de  paix  entre  les  représen- 
tants de  ces  localités  et  d'avoir  décidé  que,  dans  un  délai  de  huit 
jours,  tous  les  habitants,  depuis  dix-huit  ans  jusqu'à  soixante-dix, 
jureraient  d'observer  la  paix,  ils  décrétèrent  quatre-vingts  mariages 
ainsi  répartis  :  d'une  part,  quarante  femmes  de  Camerino,  prises  dans 
toutes  les  classes  de  la  société,  se  marieront,  savoir  :  dix  à  San  Seve- 
rino, vingt  à  Matelica,  dix  à  Fabriano;  d'autre  part,  quarante  femmes 
des  diverses  classes  de  la  population,  savoir  :  dix  de  San  Severino, 
vingt  de  Matelica,  dix  de  Fabriano,  se  marieront  à  Camerino.  Le  tiers 
de  ces  mariages  devra  être  célébré  dans  un  délai  de  deux  mois  ;  un 
autre  tiers  dans  un  second  délai  de  deux  mois;  le  dernier  tiers  dans 
un  troisième  délai  de  deux  mois.  Quelques  prud'hommes  (quatre,  six 

rouse  fut  un  asile  sûr  pour  Benoit  XI  après  son  Écoles  d'Athènes  et  de  Rome,  fasc.  80).  Sur  cette 

départ    de    Rome,    ce    qui    parait    s'Iiarmo-  affaire  du  trésor,  voir  Davidsohn,  t.  III,  p.  Sog 

niser   assez    mal    avec    le  dire    des   deux    en-  et  suiv. 

voyés.  (*)    Schùtte,  p.   45.   Et  même  certaines  in- 

''Davidsohn,    p.   Qg3.  L'inventaire  de  ce  jonctions  importantes  semblent  n'avoir  pu  être 

trésor,  dressé  en  1 3 1 1 ,  est  arrivé  jusqu'à  nous  publiées  à   Pérouse  :  «  Sed  processus  super  dis- 

(  J.  de  Loye ,  Les  archives  de  la  Chambre  aposto-  «  solutione  coUigationum  non  fuerunt  ausi  pre- 

lique  aa  xiy' siècle,  1" partie,  inventaire,  Paris,  «sentare  eisdem  »  (Gôller,  p.  24). 

1899,  p.  2o5,  n°  10,  dans  h  Bibliothèque  des  ''*  Schùtte,  p.  ao. 

9* 


68  GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

ou  huit)  organiseront  effectivement  ces  mariages  [pvocurelur  ejjectua- 
liter  et  ordinetur).  Tous  les  hommes  qui  épouseront  des  femmes  de 
Camerino  deviendront  par  là  même  citoyens  [cives)  de  Camerino; 
tous  les  hommes  de  Camerino  qui  épouseront  des  femmes  de 
Fabriano,  de  San  Severino,  de  Matelica,  seront  réputés  castellani^^^ 
de  chacun  de  ces  castra^^K 

Ces  injonctions  matrimoniales  furent-elles  suivies  d'ellet?  Les 
quatre-vingts  mariages  assurèrent-ils  la  paix  et  l'union? Le  lecteur  en 
doutera,  et  peut-être  cette  curieuse  tentative  ne  lui  paraîtra-t-elle  pas 
avoir  eu  plus  d'efficacité  que  certain  mandement  du  29  mars  1  3o6  par 
lequel  les  légats  imposèrent  un  perpétuel  silence  à  la  ville  de  Came- 
rino et  à  la  commune  de  San  Severino,  à  la  ville  de  Camerino  et  à  la 
commune  de  Matelica  au  sujet  de  divers  territoires  contestés.  Voici 
l'histoire,  très  brève,  de  ce  perpetuum  silentnim.  A  peine  avait-il  été 
proclamé  par  les  deux  légats,  en  séance  publique  et  solennelle,  qu'il 
fut  rompu.  Une  voix  s'éleva  :  c'était  celle  du  syndic  de  Camerino  qui 
interjetait  appel,  déclarant  qu'il  entamerait  régulièrement  une  procé- 
dure écrite.  L'évêque  et  l'abbé  répondirent  qu'ils  ne  recevaient  pas 
ini  semblable  appel,  mais  qu'ils  citaient  par  devant  eux  à  trente  jours 
le  syndic  de  Camerino.  Le  perpetiium  siîentium  n'avait  pas  duré  deux 
minutes''*'.  Quant  aux  quatre-vingts  mariages  ordonnés  le  18  fé- 
vrier i3o6,  la  première  série  ne  s'organisa  pas  vite  et  les  prélats  se 
virent  obligés  de  proroger  d'un  mois  le  premier  délai  de  deux  mois. 
Les  légats  nous  laissent  entrevoir,  à  cette  occasion,  que  cette  vaste 
opération  diplomatique  et  matrimoniale  menace  ruine;  ils  se  réservent 
de  pourvoir,  comme  ils  pourront,  à  ces  dilïicultés  :  Ad  hec  reser- 
vamiis  nolns  putestatein .  .  .  declarandi  super  hiis  de  (jiiibus .  .  .  videbitur 
expedire ,  citantes .  .  .  syndicos  dictoram  cornmuitiam ...  ut  compareant 
personaliter  coram  iiohis,  ulncanaue  fuerunus,  die  Inné  post  octabas  Pasce, 
audituri  et  impleluii  (jue  eis  duxerimus  injumjenda.  .  .  ac  informaturi  nos 
ad  plénum  '**.  Cet  ajournement  aux  octaves  de  Pâques,  ubicuncjiie 
fuerimus,  ressemble,  comme  nous  disons,  à  un  renvoi  aux  calendes 

'"'   Caslellani    signilic    tout    siinpienient    ici  satisfaits  de  l'attitude  plus  pacifique  de  Came- 

liabitaitti.  rino  :    il    s'y  prépare,    disent-ils,    cent  qua- 

'''  Schûtle,   p.  20,  21,  35.  rante   mariages     (Schûtte,     p.    47)-    N'est-ce 

''•  Ibid.,  p.  43.  point  maStre  Dominique,  ou  son  confrère,  qui 

'''  Schûtte,  p.   43.    Dans    un    autre  docu-  s'amuse   ici  des    procédés    matrimoniaux  des 

ment,  un  peu  postérieur,  les  légats  paraissent  deui  prélats  ? 


ÉVÉQUE  DE  MENDE.   —  SES  ECRITS.  69 

grecques,  car,  à  cette  date,  les  deux  prélats  devaient  être  en  route 
pour  la  France'"'. 

La  scène  du  ag  mars  i3o6,  qui  eut  lieu,  ce  semble,  à  Macerata 
et  dont  nous  venons  de  donner  une  idée,  n'était  pas  la  première  de 
ce  genre.  L'année  précédente,  une  autre  séance  solennelle,  tenue  à 
Sienne  en  novembre,  avait  été  de  même  interrompue  par  un  appe- 
lant. Les  légats  racontent  au  pape  ce  curieux  incident.  Un  juriscon- 
sulte, qui  représentait  les  syndics  de  Florence,  Lucques,  Sienne, 
Prato,  se  leva  et  demanda  l'autorisation  de  lire  un  mémoire  où  il 
développait  ses  moyens.  La  nuit  approchait  :  cette  autorisation  lui  fut 
refusée.  Le  juriste  prit  néanmoins  la  parole  et  commença  la  lecture 
de  ses  considérants  et  conclusions,  alors  qu'en  face  de  lui  maître 
Dominique,  notaire  des  légats,  lisait  de  son  côté  leurs  injonctions. 
Les  deux  voix  s'emmêlaient  confusément.  Mais  on  distinguait,  sortant 
de  la  bouche  du  juriste  ces  mots  :  «J'en  aj)pelle.  »  Ce  fut  un  beau 
tumulte.  Les  légats  eux-mêmes  y  apportèrent  leur  concours.  Pou- 
vaient-ils, en  effet,  s'abstenir?  Ils  intervinrent,  comme  c'était  leur  devoir, 
mais  avec  quelle  prudence  et  quelle  série  de  cautèles,  car  une  parole 
inspirée  par  la  prudence  peut  elle-même  devenir  une  imprudence. 
Ils  protestèrent  donc,  déclarant  expressément  ne  point  donner  leur 
assentiment  aux  dires  de  l'appelant  en  ce  que  ces  dires  pourraient 
avoir  de  contraire  à  l'honneur  et  au  respect  dus  au  saint-siège,  de 
contraire  à  leur  office  de  pacificateurs,  de  contraire  enfin  au  droit, 
à  moins  pourtant  qu'ils  ne  fussent  eux-mêmes  dans  la  nécessité  juri- 
dique d'acquiescer'"^'. 

Clément  V,  en  lisant  ce  message,  dut  sentir  que  ses  affaires  d'Italie 
n'étaient  pas  claires.  Peut-être  le  comprit-il  mieux  encore  le  jour  où 
il  reçut  le  dernier  message  des  légats  relatif  à  la  Marche  d'Ancône, 
message  dont  nous  avons  seulement  une  analyse.  L'évêque  de  Mende 
et  l'abbé  de  Lombez  y  mettaient  en  relief  la  qmîstion  capitale  qui, 

'"'  Scliûtte,  p.  4 1-42.  L'évêque  de  Mende  ayant  le  pas'sur  l'abbé  de 

'''  Schûtte,    j).   4-    Nous    suivons    le    rap-  Lombez,  il  est  très  vraisemblable  qu'en  cette 

port  adressé  au  souverain  pontife  par  les  com-  grave  et  comique  circonstance,  c'est  lui  qui 

missaires    et    nous    les    faisons    protester  en  improvisa  (soufflé  peut-être  par  maître  Domi- 

commun.   C'est  la  manière   dont   ils  parlent  nique  de  Poggibonsi)  protestation,  réserve  et 

d'eux-mêmes  en  écrivant  au  pape ,  et  c'est  évi-  réserve  sur  réserve.  —  L'appel  immédiat   et 

demment  en  employant  ces  formules  coHec-  oral,  dont  nous  parlons  dans  le  texte,  fut  suivi, 

tives  que  l'un  d'eux  prit  ia  parole  ;  il  va  de  soi  dès  le  lendemain ,  d'un  acte  d'appel  auquel  les 

qu'ils   ne  parlèrent  pas  tous  deux  ensemble.  légats  répondirent  par  écrit  (Schùtte,  p.  5). 


70  GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

flans  la  Marche  d'Ancône,  dominait  toutes  les  autres.  Boniface  VllI 
avait  accordé,  en  i3o3,  à  la  Marche  des  statuts  remarquablement 
larges  et  libéraux.  Cette  concession  fut  suspendue  en  i3o/i  par 
Benoît  XI''';  sur  ce,  cinquante-deux  communes  de  la  Marche  se 
liguèrent  pour  résister  à  la  bulle  de  Benoît  XI.  Les  deux  légats 
se  virent  contraints,  tant  cette  ligue  était  menaçante,  de  rapporter  la 
décision  de  Benoît  XI  et  de  remettre  provisoirement  en  vigueur 
la  bulle  si  regrettée  de  Boniface  VIII  jusqu'à  ce  que  le  saint-siège 
statuât  définitivement  à  cet  égard.  Ils  firent  les  plus  grands  efforts 
pour  obtenir  la  soumission  des  cinquante-deux  communautés  armées; 
plusieurs  d'entre  elles  maintinrent  la  ligue  qu'elles  avaient  formée  et 
ne  tinrent  compte  ni  des  injonctions  des  représentants  du  pontife,  ni 
des  excommunications  et  amendes  encourues'"^'. 

La  série  fies  mécomptes  des  deux  commissaires  de  Clément  V  est 
interminable.  Dans  une  lettre  adressée,  le  27  ntnembre  i3o5,  aux 
syndics  de  Pise,  d'Arezzo,  de  Pistoie  et  aux  Blancs  émigrés  de  Flo- 
rence, de  Lucques,  de  Prato  et  de  Volterra,  ils  confessent  naïvement 
leur  extrême  embarras;  ils  ne  réussissent  pas  à  faire  promulguer  leurs 
fléclarations  et  décisions.  Parmi  les  frères  Mendiants,  un  bien  petit 
nombre  acceptent  cette  mission  de  hérauts,  soit  qu'ils  aient  peur  de 
])erflro  les  aumônes  auxquelles  ils  sont  habitués,  ou  qu'ils  craignent 
mèmeflêtre  tués,  soit  qu'ils  s'attachent  simplement  à  maintenir  intacts 
leurs  privilèges'^*. 

La  situation  politique  était  telle  que  les  injonctions  pacifiques  des 
impuissants  prélats  se  détruisaient  souvent  d'elles-mêmes  du  jour  au 
lenflemain.  Ainsi ,  le  2  3  décembre  1 3o5 ,  ils  intimaient  aux  habitants  fie 
Rietil'ortlre  de  cesser  tout  armement,  tout  fait  de  guerre;  mais,  le  2^, 
ils  étaient  obligés  de  déclarer  qu'ils  n'avaient  point  eu  l'intention  d'in- 
terflire  aux  habitants  de  Bieti  de  se  fléfendre  les  armes  à  la  main  contre 
leurs  ennemis'*'.  Le  4  janvier  1 3o6 ,  les  légats  faisaient  pour  Spolète  une 
déclaration  analogue  :  il  leur  fallait  amender  et  expliquer  de  manière 
identique  un  ordre  de  désarmement  du  18  décembre  précédent'*'. 

'■'  Tlieiner,  Codex  diplomatie  us  dominii  tem-  (p.   ai-a4)et  tronquée  dans   Schùtte  (p.  /i'i- 

poralis    Snnctœ    Sedis     (Rome,    1861),    t.    I,  46,  n° 47),  ne  mentionne  pas  encore  ce  retour 

n"  571-577.  aux  libertés  concédées  par  Boniface    VIII. 

<■'    Schlitte,   p.   34,    48,  49;     Davidsohn,  '''   David.-iohn,    t.  III,  p.  3ii. 

t.  m,  p.  395.  Une  lettre  au  pape,  du   19  jan-  '*'  Schiilte,  p.  la  et  i3. 

vier  i3o6,  publiée   intégralement  par  Gôiier  '''  Ibid.,f.  17. 


ÉVÉQUE  DE  MENDE.  —  SES  ÉCRITS.  71 

Nous  n'avons  pas  parlé  encore  de  la  Romagne;  il  nous  suifira  de 
dire  que  les  deux  légats  l'avaient  trouvée  en  pleine  anarchie.  Ce  qu'ils 
purent  mander  de  plus  consolant  au  pape,  c'est  qu'au  moment  de 
leur  passage  les  guerres  cessèrent  en  grande  partie  :  cessaverunt  com- 
iminiter  a  guenis .  .  .  quamdiu  nosjuimiis  m  partibus  i//fs*''. 

À  Anagni ,  où  les  deux  envoyés  parurent  à  la  fin  de  l'année  1 3o5, 
ils  obtinrent  que  les  habitants  reconnussent  la  seigneurie  du  pape  ; 
mais  le  parti  des  Gaetani  prit  ombrage  de  leur  action,  si  bien 
que  les  luttes  recommencèrent  de  plus  belle  et  troublèrent  de  nou- 
veau toute  cette  région  ''^'. 

Telle  était  la  situation  au  moment  où  prit  fin  la  mission  de  l'évêque 
de  Mende  et  de  l'abbé  de  Lombez.  L'entreprise  confiée  par  Clément  V 
à  Guillaume  Durant  et  à  Peltort  de  Rabastens  s'inspirait  d'une  pen- 
sée profondément  humaine  et  vraiment  chrétienne,  mais  elle  dépas- 
sait les  forces  de  ces  pacificateurs  spirituels  et  désarmés,  dont  les 
ordres  n'avaient  d'autre  sanction  que  le  stérile  anathème'^'  ou  la  con- 
damnation, nous  pourrions  dire  théorique,  au  payement  d'une 
amende'''^  Un  mot,  un  seul,  résume  pour  nous  l'impression  qui  se 
dégage  des  rapports,  des  lettres  et  du  mémorial  des  légats  :  impuis- 
sance. 

Les  deux  prélats  étaient  encore  à  Macerata  en  mars  i3o6'*'.  Ils 
reprirent  le  chemin  de  la  France  vers  les  fêles  de  Pâques  de  la  même 
année '*''.  Un  des  cardinaux  qui  avaient  provoqué  l'intervention  de 
Clément  V,  Napoléon  Or.sini ,  succéda  comme  légat  à  l'évêque  de  Mende 
et  à  l'abbé  de  Lombez;  sa  grande  situation  personnelle  faisait  espérer 
que  son  action  pourrait  être  plus  efficace*^'. 

'"'  Davidsohn,  t.  III,  p.  agS.  j*'t^  appel  et   plus   de  cent  cavaliers  armés 

'*'  Cf.  A.  Eilel ,  Der  Kiixhemtaat  uiiler   kle-  viennent  menacer,   dans  Macerata ,  les  légats 

mens  V,  p.  i  lo  et  suiv.  du  pape  (Schûtie,  p.  47-48;  Davidsohn,  t.  lll, 

''I  Cr.  Davidsohn,  t.  111. p.  317.  p.  396 ). 

'*!    Cf.    Schûtte,    p.    49;    GôUer,   p.    a3.  <'•  Schùtte,  p.  4i. 

Incident     caractéristique  les     légats     ont  '*'   Schùtte,  p.  4i-42- 

imposé  aux  hab^ants  de  Fermo  une  ''>  Davidsohn,  t.  111,  p.  3 1 3.  C'est  ce  même 
amende  de  5o,ooo  marcs  d'argent,  les  ont  Napoléon  Orsini,  doyen  du  Sacré  Collège,  qui , 
excommuniés  et  ont  frappé  leur  territoire  le  i4  novembre  i3o9,  avait  couronné  Clé- 
d'interdit.  Loin  de  se  soumettre ,  Fermo  inter-  ment  V  à  Lyon 


GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 


II.  —  Enquête  en  vue  de  la  canonisation 
DE  SAINT  Thomas  de  Canteloup,  évêque  de  Hereford. 

S'il  est  difficile  d'exercer  une  acHon  politique  sur  un  grand  pays 
à  l'aide  d'armes  purement  spirituelles,  il  ne  l'est  pas  moins  de  cano- 
niser un  chrétien  qui  passe  pour  être  mort  excommunié  ;  ce  second 
problème  se  posa  pour  Clément  V  en  1 3o6. 

Thomas  de  Canteloup,  évèque  de  Hereford,  jadis  étudiant  es  arts 
à  Paris,  étudiant  en  droit  civil  à  Orléans,  puis  derechef  à  Paris,  cette 
fois  étudiant  en  droit  canonique  et  en  théologie,  ancien  professeur  à 
l'Université  d'Oxford,  où  il  avait  enseigné  le  droit  canonique,  ancien 
chancelier  de  cette  Université'"',  était  mort,  en  1282,  en  odeur  de 
sainteté.  Les  miracles  obtenus  par  son  intercession  faisaient  son  nom 
célèbre  et  vénéré.  Sa  canonisation  fut  demandée  au  souverain  pontife 
par  le  roi  Edouard  1",  par  l'archevêque  d'York  et  par  un  grand  nombre 
de  prélats,  abbés  et  seigneurs'"^'.  Cette  requête  fut  reçue  avec  faveur  ; 
Clément  V  chargea  de  l'enquête  préparatoire  Guillaume  Durant, 
Raoul  de  Baldock,  évêque  de  Londres,  et  Guillaume  Teste,  archidiacre 
d'Aran,  au  diocèse  de  Comminges,  nonce  apostolique  en  Angleterre. 

Mais,  à  peine  le  souverain  pontife  avait-il  pris  cette  décision  qu'une 
nouvelle  inattendue  lui  parvint.  Le  saint  évêque  de  Hereford,  rompu 
dès  sa  jeunesse  aux  discussions  juridiques,  avait  eu,  au  cours  de  son 
épiscopat,  de  très  graves  différends  avec  son  supérieur  hiérarchique, 
Jean  Peckham,  archevêque  de  Cantorbéry,  primat  d'Angleterre.  H 
était  mort,  assurait-on,  sous  le  coup  d'une  sentence  d'excommunica- 
tion majeure  portée  par  le  primat'''',  grosse  difficulté  qui  compliquait 
singulièrement  l'affaire.  Par  de  nouvelles  lettres,  le  pontife  chargea 
les  trois  commissaires  d'enquêter  avant  tout  sur  ce  point  :  une  sen- 
tence d'excommunication  a-t-elle  été  prononcée  contre  Thomas,  ou, 
tout  au  moins,  a-t-il  encouru  l'excommunication?  11  sera  sursis  à  l'en- 
quête sur  la  foi,  la  vie,  les  mœurs  et  les  miracles,  s'il  ne  conste  de 
l'absolution  ou  de  la  nullité  de  la  sentence  ''"'. 

L'enquête  prescrite  par  ces  deux  lettres  pontificales,  qui  sont  datées 

c  Acta  Sanctorum.  Ocl.,  t.  I,  p.  5/»/i-5/j8.  '''  Ibid..  p.  b-]i-b-j2,  584-585. 

Cl  Ibid..  p.  584-585,  59a.  (•)  Ibid..  p.  586. 


ÉVÊQUE  DE  MENDE.  —  SES  ÉCRITS.  73 

respectivement  des  23  août  et  i"  septembre  i3o6,  ne  commença  pas 
immédiatement  :  elle  fut  retardée  jusqu'en  avril  i^o-j,proptermidta  et 
varia  impedimenta,  expliquent  les  commissaires.  Nous  connaissons  un 
de  ces  impedimenta  :  iévêque  de  Mende  ne  pouvait  quitter  la  France 
avant  la  conclusion  de  son  traité  de  pariage  avec  le  roi;  or  ce  traité 
ne  fut  conclu  qu'en  février  1807. 

Nous  possédons  le  rapport  adressé  au  souverain  pontife  par  les 
trois  commissaires  enquêteurs;  il  est  daté  de  décembre  iSoy'').  La 
question  de  l'excommunication  est ,  comme  il  convient,  abordée  la  pre- 
mière :  Tbomas  a-t-il  été  excommunié?  Sur  ce  point  les  commissaires, 
après  s'être  heurtés  à  un  silence  évidemment  concerté,  trouvèrent 
moyen  de  recevoir  la  déposition  ?le  celui-là  même  qu'on  disait  avoir 
prononcé  la  sentence  et  celle  de  quatorze  famibers  de  l'archevêque''^'. 
Les  dépositions  reçues  furent  transmises  au  souverain  pontife;  après 
quoi,  à  Londres  même,  un  cardinal,  plusieurs  auditeurs  du  Sacré 
Palais,  délégués  par  le  souverain  pontife,  et  les  trois  commissaires 
examinèrent  en  communies  procès-verbaux  de  l'enquête  et  étudièrent 
longuement  les  questions  de  droit  que  soulevait  cet  examen.  11  parut 
qu'il  convenait  de  procéder  à  la  seconde  partie  de  l'enquête  sur  la  foi, 
la  vie  et  les  miracles  de  Thomas  de  Ganteloiip,  non  obstantibus  (jui- 
biisciimqiie  de  dicta  et  aliis  excommanicationibas,  (jiias  dicebatur  idem  archi- 
episcopus  tulisse  in  prœfatum  domimim  T/iomam,  per  processum  inventis^^K 

Les  commissaires  ne  se  contentent  pas  de  relater  ainsi  sommaire- 
ment la  décision  de  la  conférence  de  Londres;  ils  s'efforcent  de  don- 
ner au  pape  une  idée  des  pourparlers  qui  ont  eu  lieu,  car  ils  tiennent 
à  justifier  la  résolution  prise.  La  discussion  semble  avoir  été  quelque 
peu  pénible,  et  le  résumé  qu'en  donnent  les  commissaires  est  par- 
fois légèrement  embarrassé.  Nous  nous  efforcerons  de  le  simplifier, 
autant  que  possible,  sans  l'altérer. 

Avantd'être  excommunié  par  l'archevêque  da  Cantorbéry,  Thomas 
avait  interjeté  appel  en  cour  de  Rome.  Les  excommunications  Jancées, 
il  avait  de  nouveau  interjeté  appel,  avant  que  les  injonctions  con- 
tenues auxdites  sentences  d'excommunication  eussent  pu  être  suivies 

[■'  ^c/aSa«c/on,m,  Ocl..  t.  I,  p.  596.  «alios,    qi,i    in    parlibus     fuerant     clerici    et 

"  .  Hecepimus   eliam  ex   officio  nostro    in  .  familiares     archiepiscopi     antedicli.     libid. 

■  testes  illum ,  qui  dicebatur  praedictam  excom-  p.  5y3). 

« municationis  sentcntiam    protulisse,  et  xiiii  ''<  Ibid. 

HI6T.  LITTEH.  XAXV. 


74  GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

d'effet.  11  parait  même  établi  qu'avant  de  recevoir  la  signification 
des  monitions  de  l'archevêque,  il  avait  présenté  au  primat  des  lettres 
du  pape  lui  conférant  certains  droits  contestés. 

Thomas  se  rendit  à  Rome  pour  suivre  ses  appels.  Le  pape  Mar- 
tin IV,  averti  de  la  situation,  le  reçut  cependant  très  honorablement 
ad  oscuhim;  les  cardinaux  agirent  de  même.  Il  communia  in  divinis  avec 
le  souverain  pontife  et  avec  ces  hauts  dignitaires  de  l'Eglise.  Tombé 
malade  au  cours  de  ce  voyage,  il  mourut  près  de  Montefiascone, 
après  avoir  reçu  du  pape  l'autorisation  de  tester.  Il  s'était  confessé  à 
un  Mineur,  pénitencier  du  pape;  l'absolution  que  lui  donna  ce  confes- 
seur fut  ratifiée  par  le  souverain  pontife.  Plusieurs  cardinaux  assis- 
tèrent à  son  inhumation  dans  le  'monastère  de  San  Severo,  près 
d'Orvieto.  Peu  après,  ses  ossements  furent  transférés  en  Angleterre, 
dans  l'église  même  de  Hereford.  L'archevêque  de  Cantorbéry,  qui  tout 
d'aboid  s'était  opposé  à  ce  que  ses  restes  fussent  déposés  dans  le  lieu 
saint,  donna  ensuite  son  autorisation  sur  le  vu  d'une  lettre  du  péniten- 
cier attestant  fabsolution  donnée'''.  Tels  sont  les  faits,  bien  établis, 
qui  permettent  d'affirmer  que  févêque  était  mort  absous. 

Nous  n'analvserons  pas  la  partie  du  rapport  des  commissaires 
consacrée  à  l'exposé  des  vertus,  au  récit  de  la  vie  édifiante,  à  l'énoncé 
des  miracles.  Qu'il  nous  suffise  de  noter  que,  au  dire  d'un  des 
témoins  les  plus  importants,  l'évêque  de  Hereford  avait  ressuscité 
neuf  cadavres'^'.  Thomas  de  Canteloup  fut  finalement  canonisé  par 
Jean  XXII  le  17  avrd  1 3 20(^1. 

Le  document  que  nous  venons  d'analyser  émane  officiellement  des 
trois  commissaires.  Nous  ne  croyons  pas  cependant  que  Guillaume,  ou 
l'un  des  deux  autres  commissaires ,  ait  ten  u  ordinairement  la  plume,  soit 
pour  la  rédaction  des  procès-verbaux  d'enquête  (qui  ne  nous  sont 
pas  parvenus),  soit  pour  la  rédaction  du  rapport  adressé  au  souverain 
pontife.  Guillaume  Durant  était  assisté  de  maître  Raimond  de  La 
Prade,  ijotaire  impérial  et  épiscopal  du  diocèse  de  Mende,  et  de 
Raimond  Bérenger,  moine  de  Figeac,  qui,  à  l'occasion,  suppléait  ce 
notaire;  enfin  quatre  notaires  impériaux  du  royaume  d'Angleterre 
étaient  délégués  aussi  à  ce  service,  et  deux  d'entre  eux  toujours  pré- 

'■>   Acla  Sanctoram,  Oct.,  t.  I,  p.  677-580  '''   Ibid.,  p.   596-598;   Coccpielines,  Bulla- 

et  593-5()4.  rium,  t.  III,  a'  partie,  p.  178,  n°  a5.  Cf.  Hisl. 

'''  Ibitl,  p.  593-595.  lia.  de  la  Fr. .  t.  XXXIV,  p.  53o. 


E\EQLE  DE  MENDE.  —  SES  ECRITS.  75 

sents.  Ce  sont  donc  des  notaires  (jui  in  scriptis  omnia  redegerunt.  Suivant 
toute  vraisemblance,  Guillaume  dirigeait  la  procédure. 

Nous  devons  noter  toutefois  une  singularité  qui  nous  autorise  à 
dire  que  quelques  lignes  du  rapport  signalé  ci-dessus  ont  été  écrites 
par  Guillaume  Durant  lui-même.  C'est  lui,  en  effet,  qui,  vers  la  fin 
de  cette  pièce,  prend  un  moment  la  parole  et  donne  au  pape  les 
renseignements  mêmes  que  nous  venons  de  reproduire  :  «  Rursus 
Sanctitatis  vestrae,  beatissime  Pater,  clementia  non  «  ignoret  me 
«  episcopum  Mimatensem .  .  .  affuisse  et  iiiecum  ad  conscribendum 
«  singula  magistrum  Raymundum  de  La  Prada,  de  mea  diœcesi 
«  oriundum,.  .  .  aut  dominum  Raymundum  Berengarii, .  .  .  capel- 
«  laniim  meum.  »,  etc.*''. 

Guillaume  Durant  paraît  avoir  mis  à  profil  pour  un  des  siens  ce 
voyage  en  Angleterre,  car  il  obtint  de  Clément  V,  en  i  3o8,  pour  son 
cousin  Guillaume  Caircrie  le  titre  et  les  émoluments  de  chanoine  et 
archidiacre  d'Armagh'^'. 


III.  —  Addition  alx  Instructions  et  Constitutions 

DU  SPECULATOn. 

Ce  morceau,  oublié  depuis  très  longtemps,  a  été  signalé  par 
M.  l'abbé  Albert  Soianet,  en  i  897'^',  vers  le  temps  où  MM.  Berthelé  et 
Valniary  préparaient  leur  édition  des  Instructions  et  Constitutions  du 
Speculalor^'*\  oubliées  elles-mêmes.  Evidemment,  ces  deux  érudits 
ont  eu  sous  les  yeux  l'addition  du  neveu,  car  elle  fait  suite  aux  Instruc- 
tions et  Constitutions  de  l'oncle  dans  un  très  ancien  livre  imprimé 
qu'ils  ont  utilisé,  mais  ils  n'ont  pas  cru  devoir  en  faire  mention.  L'ad- 
dition de  notre  Guillaume  ne  nous  est  connue  quepar  cet  imprimé'^', 

'"'  j4c/n  Sancforam,  Oct.,  t.  I,p.  596.  Nous  ne  culture...    de   la    Lozère    (1897),   t.    XLIX, 

relevons  pas  ce  qui  est  dit  des  interprètes.  Signa-  p.  147-1^9- 

Ions  en  passant  un  Gévaudanais,  préchantre  '*'  Berthelé  et  Valmary,  Instructions  et  Cou- 
de J'église  de  Mende,  Raimond  Barot,  dont  le  stitulions  de  Guillaume  Durand  le  Spécnlateur 
nom  est  altéré  en  Garrot  dans  les  Acta  Sanc-  (dans  Archives  de  l'Hérault,  t.  V,  Montpel- 
torum;  voir  ci-dessus,  p.  65.  lier,    1900). 

'''  Voir  ci-dessus,  p.  5,  note  1.  .      '''  Un   exemplaire    appartient  à  la  Société 

"'  Abhé  Albert  Soianet,  Instructions  et  Consii-  d'agriculture  de  la  Lozère,  nn  antre  à  la  bi- 

ttttions  synodales  de  Guillaume   Durand,  dit  le  bliothèque  de  la  ville  de  Mende;  l'un  et  l'autre 

Spéculateur,  dam  le  Bulletin  de  la  Société  (Tagri-  sont  mutilés  à  la  fin  et  celui  de  la  ville  l'est 


70  GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

tandis  que  cinq  manuscrits'''  nous  ont  conservé  les  Instructions  et 
Constitutions  de  Guillaume  l'Ancien. 

L'addition  de  Guillaume  Durant  le  Jeune  est  fort  intéressante;  elle 
accuse  chez  notre  prélat  deux  préoccupations  :  en  premier  lieu, 
l'horreur  de  l'usure,  entendue  au  sens  qu'a  aujourd'hui  l'expression 
«  prêt  à  intérêt  »  ;  —  à  l'usure  il  déclare  une  guerre  implacai)Ie;  —  en 
second  lieu,  le  souci  de  faire  exactement  connaître  aux  hdèles  cer- 
taines décisions  de  l'autorité  religieuse.  Voici  l'entrée  en  matière  de 
notre  auteur  : 

Nous  n'oublions  pas  que  feu  noire  prédéeesseur  et  oncle,  le  seigneur  (îuillaume, 
(l'heureuse  mémoire,  proscrivit  naguère  par  constitution  synodale  le  crime  d'usure, 
que  condamnent  l'Ancien  et  le  Nouveau  Testament  aussi  bien  que  le  drcjit;  nous  n'ou- 
tîlions  ])as  qu'il  défendit  que  dorénavant  nul,  dans  notre  cité  et  diocèse  de  Mende, 
pratiquât  l'usure,  ou  certains  contrats  illicites  et  frauduleusement  entachés  d'usure; 
(|u'il  (h'clara  excommuniés  ipso  Jaclu  tous  ceux  (jui ,  après  trois  monitions  publiques 
du  chapelain  ou  du  recleur,  coiitinu<raient  l<'urs  pratiques,  lesdits  coupables  ne  pou- 
vant être  absous  tant  qu'ils  ne  si-  seraient  pas  amendés  et  n'auraient  pas  restitué  le 
bien  mal  ac(|uis,  leurs  oll'randes  ne  pouvant  être  acceptées  dans  les  églises,  leur 
corps  ne  pou\ant  être  inhumé  dans  les  cimetières,  des  prières  ne  j)ouvant  être 
adressées  à  Dieu  pour  le  repos  de  leur  àme''^'. 

Mais,  nous  le  disons  ici  avec  douleur,  quelques-uns  de  nos  sujets,  aveuglés  par 
l'avarici',  se  livrent  incoiisidéiément  aux  démons  qui  les  dévorent  et,  par  de  dévo- 
rantes usures ,  dévorant  eux-mêmes  et  épuisant  en  peu  de  temps  les  ressources  des 
autres'^',  s'ellorcent  de  ])allier  gains  illicites  et  contrats  réprouvés  par  l'excuse  de  la 
simplicité  et  de  l'ignorance. 

heaucouj)  plus  gravement  que  celui  de  la  So-  de  lVlefz(ni».  in3),  le  quatrième  dans  celle  de 

ciéte  d'agricullure.   Un  troisième   exenqilairi-,  l'université  de  Graz  (nis.  Il ,  583).  ISous  devons 

idenliqup  aux  doux  autres    l'I   contenant   lad-  à  l'obligeance  de  M.  le  professeur  11.  Schenki 

dilion    de    Guillaume    [durant  le    Jeune,    est  des  extraits  de  ce  dernier  manuscrit,  qui  per- 

conservé   aujourd  hui   aux   Archives   de    l'Ile-  mettent  d'alTinner  qu'il  s'agit  des  Instructions 

rouit  ;  i'e>l  le  seul    exemplaire   complet    que  et  Constitutions  du  Speculalor.  M.  Goller  s'est 

nous   connaissions.  U  est  sans  date  et  ne  porte  certainement   trompé    en    attribuant  le  traité 

indication  ni  de  libraire  ou  imprimeur,  ni  de  conservé  à   Graz    à    notre    Guillamne   [)urant 

lieu  d'imi  ression  (communication  de  M.  Ber-  (Zur  Geschichte  der  italienischen  Légation  Du- 

thelé,  archi\islede  l'Hérault).  lantis  des  JûiKjerenvon  Afende ,  p.  i.^)). 

'''   Un   de    ces  cinq   manuscrits  est  déposé  '''  Allusion  aux  décisions  du  Spcctdalor  qui 

aujourd'hui  aux  Archives  départementales  de  ligurent  dans  les    Instractions  et  Constitutions . 

l'Hérault    (Berlhelé    et    Vahnary,    p.    i).    Les  édit.  Bertheléet  Valmary,  p.  137.  LeS/«;cu/a/or 

quatre  autres,  que  les   éditeurs  ne  paraissent  suit  de  très  près  Grégoire  X  au  concile  de  Lyon 

|>a3  avoir  connus,  sont  conservés,  l'un  dans  la,  (Sexle,  \  ,  v,  c.  1  c.  et  a)  et  notre  (iuillaume, 

)ibliotl)('(|ue  delà  ville  deTroyes  (ras.  1550),  à  son  tour,  copie  en  grande  partie  le  iS/»ecu/a(or. 

l'autre  dans  celle  de  Clermont-Ferrand  (ms.  '''  Ici  Guillnunie  Durant  le  Jeune  s'inspire 

l58■l37^  fol.  47-133),  le  troisième  dans  celle  de  Grégoire  X  au  concile  de  Lyon  {ibid.,  c.  1). 


ÉVÊQUE  DE  MENDE.  —  SES  ECRITS.  77 

Afin  de  chasser  celte  malice  et  de  couper  court  à  ces  fraudes,  considérant  la  valeur 
et  la  force  de  la  constitution  susdite,  en  ce  moment  même  confirmée  et  renouvelée, 
nous  déclarons  tout  d'abord  par  le  présent  édit  perpétuel  : 

Doivent  être  réputés  usuriers  ceux  qui  pratiquent  directement  des  usures  mani- 
festes à  peu  près  pour  tous,  en  prêtant  une  somme  moindre  afin  de  retirer,  en  vertu 
de  la  convention  passée  entre  les  parties,  une  somme  plus  forle,  prêtant  lo,  par 
exemple,  pour  recevoir  i  i  en  raison  du  délai  accordé  pour  le  remboursement. 

En  second  lieu ,  nous  déclarons  que  lesdits  usuriers  sont  touchés  par  la  constitu- 
tion ci-dessus  et  tombent  sous  le  coup  de  toutes  autres  peines  portées  à  ce  sujet  par 
nos  prédécesseurs  et  parle  droit;  nous  mentionnons  spécialement  la  constitution  du 
seigneur  pape  Grégoire  X,  aux  lermes  de  laquelle  les  usuriers  ne  peuvent  tester  ni 
être  entendus  en  confession  tant  qu'ils  n'ont  pas  effectué  restitution  pleine  et  entière 
ou  fourni  caution  suffisante'". 

Pas.saiit  ensuite  à  l'usiife  déguisée,  l'évêque  énumère  une  série  de 
contrats  entachés  d'usure.  Nous  citerons  notamment  la  convention 
dite,  cjuand  elle  concerne  le  bétail,  cheptel  de  fer,  en  remarquant 
que  Guillaume  n'adopte  pas  encore  cette  qualification  empruntée 
au  Talmud*^'.  Voici  comment  il  décrit  l'opération  prohibée  : 

Remettre  de  l'argent,  des  animaux  ou  toutes  autres  choses  à  des  particuliers,  en 
formant  avec  eux  une  société  avec  cette  clause  :  tout  dommage,  tout  ris(jue  sera 
supporté  par  le  preneur,  mais  les  émoluments  et  bénéfices  seront  communs,  les 
objets  remis  au  preneur,  ou  leur  estimation,  ne  cesseront  pas  d'être  dus,  bien  que 
leur  destruction  ou  détérioration  ne  puisse  s'expliquer  par  le  dol,  la  négligence  ou 
la  faute  du  preneur'^'. 

Dans  cette  longue  revue  des  opérations  entachées  d'usure  et  dans 
la  définition  même  de  l'usure,  nous  n'avons  aperçu  aucune  allusion 
directe  à  la  théorie  du  damiuim  emeryens,  en  d'autres  termes,  à  la 
théorie  de  Vinteresse  ou  de  ïid  (jiiod  interesi^'*\  laquelle,  se  précisant  et 
s'élargissant,  aboutira  très  légitimementà  nos  conceptions  modernes. 
Non  pas  cependant  qu'un  examen  attentif  des  termes  employés  ne 
puisse  donner  ouverture  au  système  fécond  de  Vinteresse;  mais  il  paraît 
bien  que  l'auteur,  extrême  ici  comme  il  l'est  ailleurs,  n'est  nullement 
sympathique  à  ces  explications.  S'il  leur  eût  été  favorable,  pouvait-il 

•''  Cf.  Grégoire  X  au  concile  de  Lyotï{ibid.,  *''  S.  Thomas, De  nsoris.c.  i3et  ii{Opera, 

c.  2).  i865,  t.  XVII,  p.  429-430);   8.  Célestin  V, 

'*'   Bnbylonische  Talmad,  irad.  Goldschmidt,  De  usaris,  dans  La  Bigne,  Bibliotheca  maxima 

t.  VI,  p.  719.  Patrum,  1677,  *•  XXV,  p.  853.  Le  lucrum  ces- 

'''  Fol.  CL  v°  et  CLi  r".  sans  apparaît,  croyons-nous,  postérieurement. 


78  GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

manquer   de  les  communiquer  à  ses  prêtres?  Mais  il  les  ignorait 
peut-être. 

Nous  relevons,  à  l'occasion  des  difficultés  qui  surgissent  entre 
créancier  et  débiteur,  une  préoccupation  intéressante  :  Guillaume  ne 
songe  pas  à  interdire  l'excommunication  pour  dettes;  mais  il  la  soumet 
à  certaines  formalités  et  délais,  car,  dit-il,  le  glaive  avec  lequel  on 
frappe  çà  et  là,  comme  au  hasard,  s'émousse  très  vite  :  ensis  cum  (jiio 
passim  perciititur  sepius  hebetatur^^K 

La  seconde  partie  de  ce  précieux  document  est  consacrée  à  la 
publicité  qu'il  convient  de  donner  à  certaines  prescriptions  de  l'auto- 
rité ecclésiastique.  Ces  prescriptions  devront  être  rappelées  aux 
fidèles  deux  fois  par  an ,  en  temps  de  carême  et  au  mois  de  septem- 
bre :  les  prieurs,  recteurs  et  curés  sont  invités,  en  vertu  de  la  sainte 
obéissance  et  à  peine  d'être  suspens,  à  procéder  et  faire  procéder  à 
ces  promulgations,  en  langue  vulgaire  [vnlgariter) ,  aux  dates  ci-dessus 
indiquées''^'.  Elles  comprendront  :  i°  toutes  les  décisions  relatives  à 
l'usure,  que  Guillaume  a  renouvelées  ou  édictées  le  premier;  2°  une 
série  de  prescriptions  d'un  autre  ordre,  empruntées  aux  constitutions 
du  Spcculator,  De  statu,  vila  et  conversatione  persunarum  ecclesiasticarnm^^^ 
et  De  ecclesiis  et  earnm  prmlecj'ds^'*^ ;  3° deux  constitutions deGrégoireX, 
relatives  à  l'usure'^' et  deux  constitutions  de  BonifaceVIII,  qui  ont 
pour  objet  de  sauvegarder  l'immunité  des  églises'^'. 

La  lecture  de  ces  documents  in  extenso  serait  interminable  :  Guil- 
laume en  a  donc  rédigé  lui-même,  ou  fait  rédiger  un  texte  très  abrégé 
qui  devra  être  lu  au  jieuple  en  langue  vulgaire.  Mais  son  instruction 
étant  destinée  aux  prieurs,  recteurs  et  curés,  c'est  un  résumé  en 
latin  qui  nous  est  parvenu '^l 

Gette  addition  aux  Instructions  et  Constitutions  du  Specnlator 
a-t-elle  été  entièrement  écrite  par  Guillaume.^  Cela  nous  paraît  assez  peu 
probable.  Guillaume  a  vraisemblablement  mis  à  profit  l'expérience 
et  les  connaissances  tbéologiques  de  son  entourage.  Mais  quelques 
phrases,  quelques  expressions  imagées'^'  trahissent  çà  et  là,  croyons- 
nous,  son  intervention  personnelle. 

(')  Fol.  CLV  \°.  <'l  Sexte,  V,  v,  c.  i  et  a. 

<''  Foi.  CLV  v°  et  CLvi  r°.  "'  Sexte,  III,  xxiii,  c.  4  et  5. 

'''  Cf.  liertheléet  Valmary,  p.  loo-ioa.  <''  Fol.  CLXi  r"  et  suiv. 

'*'  lbid..f.  io3.  '"'  Nous  visons  notamment  les  mots  uoranrfos. 


EVEQUE  DE  \IENDE.  —  SES  ÉCRITS.  79 

Examinée  intrinsèquement,  l'instruction  supplémentaire  de  Guil- 
laume Durant  le  Jeune  nous  fournit,  quant  à  la  date  de  la  rédac- 
tion, cette  donnée  unique  :  elle  a  été  rédigée  postérieurement  à  la 
promulgation  du  Sexle  (1298),  puisque  les  constitutions  de  Gré- 
goire \  et  de  Boniface  VIII,  qui  y  sont  visées,  figurent  dans  ce  recueil. 
Mais  nous  pouvons  pousser  un  peu  plus  avant  :  voici  comment. 
Les  Instructions  et^ Constitutions  du  Spcrulator  sont  copiées  dans  un 
manuscrit  de  la  bibliothèque  de  la  ville  de  Troyes''^.  Ce  manuscrit  ne 
contient  pas,  conime  le  petit  volume  imprimé  au  commencement  du 
xvi^  siècle,  l'addition  de  Guillaume  Durant  le  Jeune.  Dans  ce  manu- 
scrit, l'explicit  d'un  traité  De  ordinatlone  misse,  qui  fait  suite  immédiate 
aux  Constitutions  de  Guillaume  l'Ancien  et  qui  est  de  la  même  main, 
nous  fournit  la  date  de  i3o3,  indiquée  comme  la  date  du  travail 
exécuté  par  le  copiste,  llest  donc  extrêmement  vraisemblable  que  l'ad- 
dition de  (iuillaume  le  Jeune  n'existait  pas  encore  en  i3o3.  S'il  nous 
fallait  serrer  de  plus  près  ce  petit  problème  chronologique,  nous  son- 
gerions aux  environs  de  l'année  i3o9,  date  à  laquelle  Guillaume  se 
fit  adjuger  le  tiers  des  biens  des  Juifs  expulsés  par  Philippe  le  Bel  ;  il 
est  naturel  de  supposer  que,  à  l'occasion  des  alï'aires  des  Juifs,  la  ques- 
tion de  l'usure  a  retenu  plus  particulièrement  son  attention.  Aussi 
bien  l'expulsion  des  Juifs  rendait  l'argent  plus  rare  et  plus  cher;  cette 
préoccupation  s'imposait  à  tous. 


IV.    TrACTATUS  de  modo  CELEBRANDl  CONCILH^'^K 

Cette  rubrique  ne  donne  pas  de  l'ouvrage  une  idée  juste;  en  l'écri- 
vant, Guillaume  Durant  a  voulu  mettre  en  relief  tout  ce  qui,  dans  la 

lora^me  (Zeuo;anteî;  voir  ci-dessus,  p.  77,  notre  très    exactement    ce    morceau    au   Sftecalator 

traduction.  Sans  doute  le  texte    même  de  la  (p.   659-660),  mais  te  rédacteur  de  la  table 

constitution  de  Gréî,'oireX  [voruginem,  dévorât)  l'attribue  à  tort  à  Guillaume  Durant   le  Jeune 

est  le   point  de  départ  de  ce  développement  (p.  io64).  Il  a  été  induit  en  erreur  par  la  date 

littéraire;   mais    c'est    une    métaphore   qui  a  de  i3o3  qui  figure,  comme  il  sera  dit  dans  le 

fleuri  sous  la  plume  de  Guillaume.  Cf.  la  consli-  texte,  à  Vexplicit  d'un  autre  traité  intitulé  :  De 

tution  de  Grégoire  X,  déjà  citée,  dans  le  Sexte,  ordinations  misse    (fol.  77  r"). 
V,  V,  G.   I.  A  noter  cet  autre  jeu  de  mots  qui  '''  Manuscrits   :   Tours,    337    (incomplet)  ; 

n'est  pas  traduisibie  :  «Recipiuntin  baratis  eos  Troyes,  786;  Paris,  Mazarine,  1687  (incomplet)  ; 

ndinferniducentesinra^rMmn(fol.xLVlil-XLix).  Paris,  Bibl.  nat.,  lat.  1 443;  Cues,  hôpital  Saint- 

'■'   Ms.  i556,  fol.  22  r"-74  r°.  Le  rédacteur  Nicolas,   168.  Editions  :  Lyon,  i53i,  et  avec 

du  catalogue  des  manuscrits  de  Troyes  attribue  un  autre  frontispice  ,  i534;Paris,  i545,  i56i. 


80  (ÎUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

législation  canonique,  et  parfois  dans  la  législation  civile,  dans  la 
coutume  contemporaine «t  dans  la  pratique,  devrait,  suivant  lui,  être 
restauré,  modifié,  complété  ou  abrogé.  C'est  une  revision  qui  porte 
sur  les  points  les  plus  divers,  pour  tout  dire  en  un  mot,  sur  l'en- 
semble de  la  société  chrétieime  en  ses  grandes  lignes  et  en  ses  plus 
minces  détails,  depuis  la  primauté  de  saint  Pierre  et  la  suprématie 
de  l'Église  jusqu'à  la  clochette  dont  le  son  doit,  à  «ertains  moments  de 
la  messe,  éveiller  l'attention  des  fidèles. 

Clément  V,  avant  l'ouverture  du  concile  de  Vienne,  avait  invité 
les  évêques  à  lui  adresser  par  écrit  toutes  les  con)munications  qui 
leur  paraîtraient  utiles  au  bien  de  l'Eglise  et  du  peuple  chrétien'''. 
Le  traité  que  nous  abordons  est  une  réponse  à  l'invitation  du  pape 
en  ce  qui  concerne  la  réforme  générale  de  l'Eglise. 

Esprit  vif  et  ouvert,  àme  ardente  et  passionnée,  Guillaume  Durant 
est  avide  de  réformes.  Il  a  pris  ou  fait  prendre  quantité  de  notes.  Il  les 
utilise  et  les  commente,  sans  les  avoir  au  préalable  convenablement 
classées  par  matières,  et  sans  apporter  toujours  à  l'étude' des  textes 
un  sens  critique  parfaitement  équilibré.  11  emprunte  de  nombreuses 
citations  à  l'Ancien  et  au  Nouveau  Testament.  Celles  qu'il  tire  du 
Corpus  juris  canonici  sont  innombrables;  pour  le  plus  grand  nombre, 
elles  proviennent  du  Z)me(  deGratien,  dont  Guillaume  possédait  une 
connaissance  approfondie.  Il  cite  souvent  les  Pères  de  l'Eglise  :  saint 
Augustin,  saint  Jérôme,  saint  Ambroise,  saint  Grégoire,  parfois 
Isidore  de  Séville,  Bède  le  Vénérable,  ou  saint  Bernard;  mais  il  est 
visible  que  c'est  le  Décret  qui  lui  a  fourni  la  plupart  de  ces  citations. 
L'auteur  a  aussi  mis  à  contribution  le  Corpus  juris  civilis  :  on  trouve; 
dans  son  œuvre  des  fragments  du  Digeste,  du  Code,  des  Noveiles, 
et  aussi  des  constitutions  de  Frédéric  Barberousse  qui  leur  ont  été 
ajoutées  en  appendice.  11  cite  les  capilulaires  des  rois  Francs,  les 
œuvres  de  canonistes  et  de  légistes  tels  que  Henri  de  Suse,  cardinal 
d'Ostie,  et  Geoffroi  de  Trani.  Il  a  aussi  demandé  quelques  textes  à 
(>icéron,  aux  écrits  attribués  à  Sénèque,  à  Valère-Maxime,  et,  en  ce 

^'cniseet  Paris,  1C17  ,  i()35;  Paris,  1671  (par  après  bien  d'autres,  aUribue  ce  traité  au  Spc- 

.\nt  Faure).  Ce  traité  se  trouve   aussi  dans  le  culutor.    Fabricius  est  parfaitement   renseigne 

Traclatus  illastriam  in  utraquc  lam  pontificii  tum  [BMiolkcca  latina  mediœ  et  infimœ  œtalis,  e.lit. 

cœsareijurisFacullulciiirisconsullorum.  t.Xm,  Mansi,  1754,  t.  II,  p.  bg).  ,        ,  ,        ,. 

pars   I     (Venise,    ir>8/,),  fol.   i.VviSa.  '"Voir  la   préface  du    De  modo  celebramU 

Dans  la  Défense  de  lu  Déclaration,  Bossuet,  concilii. 


EVÈQUE  DE  MENDE.  —  SES  ÉCRITS.  81 

3 ni  concerne  les  œuvres  du  moyen  âge,  à  Alcuin  et  à  la  chronique 
e  Marlin  le  Polonais.  Peut-être  a-t-il  connu  l'écrit  composé  par 
Ilumbert  de  Romans  pour  préparer  les  travaux  du  deuxième  concile 
de  Lyon;  mais  si,  comme  il  est  naturel,  les  deux  auteurs  se  ren- 
contrent «ur  plusieurs  points,  il  paraît  certain  que  Guillaume  Durant 
n'a  pas  fait  usage  de  l'opuscule  de  son  prédécesseur. 

Il  connaissait,  nous  le  savons  déjà,  les  Instructions  et  Constitutions 
de  son  oncle  Guillaume  Durant  l'Ancien*,  instructions  et  constitutions 
qu'il  a  même  complétées.  Ce  qu'il  dit  dans  le  De  modo  cclehrandi  concilii 
au  sujet  de  la  tenue  des  clercs,  de  la  défense  faite  aux  laïques  de 
toucher  aux  choses  d'Église,  du  caractère  exclusivement  religieux  des 
églises  et  des  cimetières,  des  atteintes  portées  par  le  pouvoir  civil  aux 
libertés  et  privilèges  de  l'Eglise  et  des  ecclésiastiques,  se  retrouve  dans 
les  Instructions  et  Constitutions''^  Mais,  entre  ces  deux  œuvres,  le  trait 
commun  le  plus  frappant  est,  à  coup  sûr,  cette  pensée  :  le  clergé,  qui 
prêche  la  morale,  doit  avant  tout  se  réformer  lui-môme  :  Qui  trabem 
(jestat  in  ocalo,  non  potest  festncam  educcre  de  ocnio  fratris  sui^'^\  Cette 
allusion  à  un  passage  bien  connu  de  saint  .\hittiiieu  s'écarte  sen- 
siblement du  texte  même  de  son  évangile.  En  comparant  ici  les  deux 
auteurs,  nous  constatons  immédiatement  que  le  second  Durant  a 
copié  directement,  non  pas  saint  Matthieu,  mais  son  oncle  le  Spe- 
culator. 

Un  autre  écrit  de  Guillaume  l'Ancien,  le  Commentaire  sur  le 
concile  de  Lyon'^',  contient,  à  propos  de  l'usure  et  au  regard  de 
Rome,  cette  observation  mordante  :  Dehuil  a  se  ipso  dominus  Papa 
incipere  et  hanc  constitutionem  in  sua  curiafacere  observari,  nam  a  capite 
ratio  est  reddenda^'^K  Guillaume  généralise  cette  critique  et  y  revient 
sans  cesse.  Tout  lecteur  du  De  modo  celebrandi  concilii  sera  frappé  de 
la  gravité  des  accusations  et  des  reproches  que  le  ])rélat  adresse  à  la 
cour  de  Rome;  telle  est  l'impression  dominante  qui  se  dégage  néces- 
sairement. Elle  est  résumée  en  cette  formule  énergique  qui  fit  for- 
tune :  l'Eglise  doit  être  réformée  dans  son  chef  et  flans  ses  membres. 
Nous  analyserons  de  près  ce  célèbre  traité. 

'''   Berthelé    et   Valmary,   p.   11,49,    'O^'  menlarius  a  Simone  Mawlo...editns  (Fano,  ib6i)). 
io3,  io5,  ili2.  I»)  Cf.   Ciôller,    Znr    Gcschiclite  des    zweiieii 

'*'  Berthelé  et  Valmary,  p.  10.  Lyoner    Konzils .   dans  Rômische  Quartatschrift 

<''  In  sacrosanctum Lagdanensc concilium corn-  (1906),  t.  XX,  Gescliichle,  p.  87. 

HIST.  LITTÉR.  XXXV.  1  l 

8  *  ..".-"«  ..fo,.... 


82  GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

Précédé  d'un  avertissement  très  sobre ,  il  est  divisé  en  trois  parties*'* , 
et  chaque  partie  est  subdivisée  en  titres,  divisions  et  subdivisions  qui 
s'adressent  à  l'œil  plus  qu'à  l'intelligence,  car,  dans  son  ensemble, 
l'œuvre  est  confuse  et  hâtive  ;  ce  sont,  pourrait-on  dire,  des  notes 
jetées  comme  en  courant. 

Nous  suivrons  autant  que  possible  cet  «  ordre  dispersé  » ,  qui  cor- 
respond fort  bien  au  tempérament  de  l'auteur;  nous  n'essayerons  pas 
d'y  substituer  une  classification  arbitraire,  qui  altérerait  gravement 
la  physionomie  de  l'ouvrage  et  lui  enlèverait  son  originalité. 

La  première  partie  est  la  plus  courte.  Les  titres  i  à  /i  de  cette 
partie  peuvent  être  considérés  comme  la  préface  de  l'ouvrag<^;  l'au- 
teur s'y  révèle  déjà  tout  entier.  Nous  résumons  cette  préface. 

Le  pape  Clément  V  ayant  mandé  à  tous  les  archevêques  et  évêques 
convoqués  au  concile  de  Vienne  de  communiquer  à  l'assemblée  des 
mémoires  sur  toutes  les  questions  intéressant  l'Eglise,  le  peuple 
chrétien  et  les  progrès  de  la-  foi,  l'évêque  de  Mende  s'est  fait  un 
devoir  d'obéir  au  souverain  pontife  ;  il  a  relu  avec  attention  les 
canons  des  conciles,  trop  souvent  méconnus,  et  il  a  consigné  par 
écrit  le  résumé  de  ce  qui  lui  paraît,  suivant  du  moins  sou  faible 
entendement  {juxta  parvitatis  meœ  moclulam)^  devoir  être  soumis  au 
concile. 

Penseur  agité,  moraliste  combatif,  notre  auteur  prend  les  choses 
de  haut.  Voici  la  ]wrtie  essentielle  de  son  entrée  en  matière  :  c'est, 
sous  une  forme  énergique  et  passionnée,  une  pensée  très  juste  qu'avait 
déjà  exprimée,  comme  on  sait,  le  Speculalor.  Celui  qui  a  une  poutre 
dans  fœilne  saurait,  est-il  dit  dans  l'évangile  de  saint  Matthieu, 
enlever  un  fétu  de  l'œil  de  son  frère'-'.  (Jeux  qui  se  mêlent  de  re- 
prendre autrui,  et  ne  font  point  pénitence,  doivent  être  rappelés  à 
eux-mêmes,  écrit  saint  Grégoire,  afin  qu'ils  aient  à  se  corriger  tout 
d'abord,  pour  songer  à  corriger  les  autres.  Il  est  donc  utile,  il  est 
nécessaire  de  corriger  et  de  réformer,  avant  tout,  ce  qui,  en  l'Eglise 

'''   Dans  le  manuscrit  de  Troyes  n°  786,  l'ou  de    la    seconde  partie.   Ce  chapitre  est  nunié- 

vrage  est  divisé  en  deux  parties  seulement,  la  roté  100  dans  le  manuscrit.  —  Pour   toutes 

Iroisièine  partie   ne  faisant   qu'un  avec  la  se-  nos     citations,    nous    suivrons     les    divisions 

conde.  La   troisième  partie  manque    dans    le  adoptées  par  l'éditeur  de  1671. 

manuscrit  de  Tours  ainsi  que  dans  le  manu-  '''   Saint  Matthieu  dit  :  •  Sine   cjiciam  festu- 

scrit    de    la  Mazarine    n"    1687,    qui  s'arrête  «  cam  de  oculo,  et  ecce  trabsest  in  oculo  tuo  ?• 

aux   mots    tjravaminihus     Erclcsie    du    ch.    7a  (vu,  4)- 


EVEQLE  DE  MENDE.  —  SES  ECRITS.  83 

(le  Dieu,  est  à  corriger  et  à  réformer  dans  le  chef  et  dans  les  mem- 
bres, tam  III  capite  (jiiam  in  membris.  Je  parlerai  cam  pace  etvenia,  et  mon 
excuse  sera  l'obéissance  au  souverain  pontife  [et  ex  obœdientia  excu- 
satas  liabeor).  Je  n'ai  trouvé,  dit  saint  Jérôme,  pour  diviser  l'Eglise 
de  Dieu  et  éloigner  le  peuple  de  la  maison  du  Seigneur,  que  ceux-là 
mêmes  qui  sont  institués  par  Dieu,  les  prêtres  et  les  prophètes. 
Prêtres  et  prophètes  sont  des  éclaireurs;  et  ces  éclaireurs-là  partout 
tendent  des  pièges  et, en  tous  lieux,  promènent  le  scandale'''.  L'Eglise 
de  Dieu  est  souillée  par  ceux  qu'on  appelle  ecclésiastiques,  par  ceux 
qui  devraient  être  pour  les  autres  autant  de  flambeaux,  autant  de 
flammes  lumineuses.  Ceux-là  mêmes  qui  manquent  de  toute  connais- 
sance de  Dieu  détestent  cette  folle  conduite  et,  plus  sainement,  plus 
sagement  inspirés,  réprouvent  ces  voies  désordonnées,  si  opposées  à 
la  loi  divine.  11  est  nécessaire  que  les  savants  soient  repris  par  les 
ignorants,  les  clercs  par  les  laïques. 

Comment  corriger,  comment  réformer  l'Eglise  et  la  chrétienté? 
L  autorité  ecclésiastique  et  l'autorité  civile,  le  souverain  pontife  et 
les  rois  doivent  se  conformer  au  droit  naturel,  aux  préceptes  de  la  loi 
et  de  l'Evangile,  aux  décrets  des  conciles,  aux  règles  établies  [juribus 
apprubatis).  Ni  le  pape,  ni  saint  Pierre  lui-même  n'ont  reçu,  avec  le 
pouvoir  attaché  au  siège  apostolique,  licence  de  pécher.  Aussi  bien, 
plus  les  papes  sont  rapprochés  du  Sauveur,  plus  ils  sont  visés  par 
l'ennemi  du  genre  humain,  qui  a  tant  de  moyens  de  tromper  et  qui, 
depuis  l'origine,  s'efforce  de  détruire  l'unité  de  fEglise,  de  blesser  la 
charité,  de  s'attaquer  aux  œuvres  saintes  par  le  fiel  de  la  jalousie,  de 
troubler  et  de  pervertir  de  mille  manières  le  genre  humain. 

Notre  sérénissime  seigneur  pape  et  les  rois  doivent  avant  tout  agir 
correctement  et  faire  le  bien,  afin  de  prêcher  d'exemple,  car,  comme 
dit  Sénèque,  les  exemples  valent  plus  que  les  paroles.  Nous  oppose- 
ra-t-on  que  pape  et  rois  sont  au-dessus  des  lois  (  le(jibiis  soluti]  ?  Nous 
répondrons  qu'ils  ne  sont  point  dispensés  d'obéir  aux  lois  divines; 
car,  suivant  le  pape  Urbain,  le  pontife  romain  lui-même  ne  peut  in- 
nover là  où  le  Seigneur  ou  ses  apôtres  et  les  saints  Pères,  leurs  succes- 
seurs, ont  porté  une  sentence  définitive;  il  doit,  au  contraire,  la  main- 
tenir et  la  confirmer  jusqu'au  sacrifice  de  sa  vie'^'.  Le  pape  Zosime 

"'  Décret  de  Gratien,  C.  XXIV,  qii.  m,  c.  33,  —  ''  Ibid..  C.  XXV,  qu.  i,  c.  6. 


84  GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

écrit  aussi  que  l'autorité  du  siège  apostolique  ne  peut  rien  changer  aux 
saintes  décisions  des  Pères'''.  Si  j'abrogeais  ce  qu'ont  décidé  mes  pré- 
décesseurs, a  dit  saint  Grégoire,  je  serais  justement  qualifié  destruc- 
teur, non  pas  constructeur'^'.  Ce  pontife  accepte  et  vénère,  à  l'égal  des 
quatre  Evangiles,  les  quatre  conciles  de  Nicée,  de  Constantinople, 
d'Ephèse  et  de  Chalcédoine.  Quant  aux  princes  séculiers,  ils  con- 
fessent qu'eux  aussi  tendent  à  se  conformer  aux  lois  ecclésiastiques; 
ils  sont,  d'autre  part,  soumis  eux-mêmes  aux  lois  qu'ils  ont  portées. 

Telles  sont  les  notions  générales  que  l'auteur,  pour  commencer, 
met  nettement  en  relief;  il  les  considère  comme  la  base  même  des 
observations  qu'il  va  présenter. 

Tout  pouvoir,  continue-t-il,  doit  être  régi,  limité  et  contenu  par 
la  raison,  qui  gouverne  toutes  choses,  comme  l'écrivait  le  pape  Gré- 
goire à  l'empereur  Maurice.  L'avis  des  anciens  et  des  notables  est  une 
garantie  de  justice  et  de  vérité  ;  il  serait  donc  salutaire  à  l'Eglise  et  à 
l'État  que  le  souverain  pontife  ne  fît  point  usage  du  pouvoir  sans  le 
conseil  des  cardinaux,  ni  les  rois  et  les  princes  sans  le  conseil 
d'hommes  sages  (comme  c'était  l'usage  jusqu'à  ces  derniers  temps); 
le  pape  devrait  surtout  procéder  de  la  sorte  pour  toute  concession  en 
opposition  avec  les  canons  des  conciles  et  avec  le  droit  commun 
en  vigueur  (jura  approbata  conwiumtery 

Contre  les  conciles  et  contre  le  droit  commun  les  souverains  pon- 
tifes ne  devraient  rien  décider  si  ce  n'est  en  concile  général,  car, 
suivant  l'un  et  l'autre  droits,  ce  qui  intéresse  l'universalité  doit  être 
approuvé  par  f universalité,  comme  fa  dit  aussi  saint  Augustin.  Les 
papes  sont  plus  élevés  en  dignité  que  le  reste  des  hommes,  mais  ils 
ne  sont  pas  plus  assurés  de  la  rectitude  de  leurs  actions  et  de  leurs 
décisions,  comme  le  fait  observer  saint  Grégoire.  Toute  exemption  du 
droit  commun,  en  d'autres  termes,  toute  dispense  doit  être  justifiée 
par  un  besoin  réel  ou  par  la  nécessité.  Si  le  pape  était  suffisamment 
pénétré  de  ce  ])rincipe,il  s'abstiendrait  d'accorder  dispenses,  indul- 
gences, privilèges  et  exemptions  contraires  au  bien  général  de  la 
chrétienté. 

Ainsi,  dès  les  premières  pages,  la  cour  de  Home  est  mise  en  cause. 
Cette  note  alarmante,  qui  tout  de  suite  est  venue  frapper  nos  oreilles, 

i')  Décret  de  Gratieii,  C.  XXV,  qu.  i,  c.  7.  —  '''  Ibid. .  C.  XXV,  qu.  11,  c.  3. 


E\  EQUE  DE  MENDE.  —  SES  ECRITS.  85 

se  fera  entendre  à  chaque  instant,  avant  même  que  nous  arrivions  à  la 
troisième  et  dernière  partie  de  l'ouvrage,  dont  le  titre  premier  est  in- 
titulé :  De  re/ormatione  iiniversalis  Ecclesiœ,  et  (jiiod  in  ea  est  primo  a 
capite ,  scihcet  liomana  Ecclesia ,  prœlalis  et  aliis>.superioribus  inchoandam^^K 
C'est  vraiment  le  tocsin  qui,  dès  le  temps  de  Philippe  le  Bel,  annonce 
les  crises  redoutables  fin  xv*"  et  du  xvT  siècle. 

x\près  ce  préambule,  l'auteur  aborde,  dans  le  titre  5,  une  des  ques- 
tions qui  lui  tiennent  le  plus  à  cœur,  question  qui  devait  être  si  vive- 
ment débattue  au  concile  de  Vienne,  je  veux  parler  des  exemptions  : 
il  cite  tous  les  textes  favorables  au  pouvoir  des  évêques  et  demande 
l'abolition  des  exemptions.  Or,  comme  les  exemptions  sont  une  des 
manifestations  les  plus  caractéristiques  du  pouvoir  suprême  du  Siège 
apostolique,  l'auteur  ébauche  à  ce  propos  une  théorie  de  la  primauté 
de  Pierre,  qu'il  construit  en  s'eiTorçant  de  résumer  et  de  rapprocher 
des  textes  bien  connus  un  fragment  d'une  fausse  décrétale  attribuée 
au  pape  Anaclet*^'  et  des  passages  souvent  cités  de  la  lettre  69  de 
saint  Gyprien'^'. 

Revenant,  après  quelques  détours,  aux  exemptions  des  religieux, 
Guillaume  Durant  fait  remarquer  que  tous  les  monastères,  toutes 
les  maisons  religieuses  doivent  être  soumis  aux  évêques.  Sans  doute 
le  pape  a  le  pouvoir  d'accorder  exemptions  et  immunités,  mais  ces 
privilèges  lui  nuisent  à  lui-même,  nuisent  à  l'Église  universelle  et  à  la 
religion,  à  cause  des  scandales  de  toute  sorte  qui  en  résultent.  Si  cer- 
tains de  ces  privilèges  furent  autrefois  sérieusement  motivés,  ils  ne  se 
justifient  plus  aujourd'hui.  Que  le  souverain  pontife  prononce  donc 
fabolition  générale  de  privilèges  attentatoires  aux  droits  de  l'épiscopat, 
qui  est  d'institution  divine.  Sur  ces  conclusions  radicales  se  clôt  la 
première  partie  du  traité. 

Pour  la  seconde  partie,  l'auteur  a  adopté  un  plan  singulier,  une 
méthode  que  nous  serions  tenté  d'appeler  grossière  :  il  se  préoccu- 
pera d'abord  des  conciles  grecs,  desquels  il  rapprochera  divers  con- 
ciles latins  et  divers  textes  canoniques  (tit.  1  à  24);  après  quoi,  il 
utilisera  les  conciles  latins  (tit.  25  à  72).  Gette  division  des  matières, 
que  les  collections  canoniques  anciennes  ont  probablement  inspirée, 
se  justifierait  à  merveille  dans  un  recueil  de   textes;  mais  elle  ne 

'"  Voir  ci-après,  p.    loo.  —  '''  Décret  de    Gratien  ,    D.   xxi,   c.    a.  —  <"   Ibid.,  C.  XXIV, 
qu.  I ,  c.  18. 


86  GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

convient  pas  à  une  dissertation  du  genre  de  celle  que  nous  étudions, 
car  elle  ne  correspond  nullement  à  l'ordre  méthodique.  Les  répéti- 
tions, les  doubles  emplois  seront  donc  très  fréquents.  Nous  laisse- 
rons ordinairement  de  coté  les  conciles  invoqués,  pour  nous  attacher, 
autant  que  possible,  à  la  pensée  même  de  l'auteur;  c'est  elle  qui  avant 
tout  nous  intéresse. 

Dans  un  préambule  énergique,  l'auteur  pose  ce  principe  fonda- 
mental :  la  coutume,  si  elle  est  mauvaise,  ne  doit  pas  être  respectée. 
Elle  doit  céder  devant  la  vérité,  car  le  Seigneur  n'a  pas  dit  : 
E(jo  suin  consuetudo,  mais  :  E(jo  siim  vcritas^^K  La  victoire  doit  rester  à 
la  raison  et  à  la  vérité  :  elles  doivent  chasser  la  coutume.  Ceux  qui  se 
sentent  vaincus  par  la  raison  nous  opposent  la  coutume,  a  dit  saint 
Augustin,  comme  si  la  coutume  était  supérieure  à  la  vérité. 

Si  notre  évèque  n'entend  pas  se  laisser  vaincre  par  la  coutume,  il 
ne  sera  pas  non  plus  l'esclave  des  documents  qu'il  a  colligés;  et,  au 
sujet  de  ces  sources  (conciles  et  textes  divers),  il  reproduit,  sous  cou- 
vert d'une  ])rétendue  citation  de  saint  Ambroise,  une  maxime  heu- 
reuse, qui  fait  bien  augurer  de  ce  qui  va  suivre  :  il  s'entoure,  écrit-il, 
de  documents,  car  il  faut  lire  certains  textes  canoniques,  afin  de  ne 
pas  les  négliger;  d'autres  textes,  afin  de  ne  pas  les  ignorer;  d'autres, 
enfin,  en  vue,  non  pas  de  s'y  conformer,  mais  bien  de  les  rejeter''^'. 
Le  saint  concile  pourra  trouver  en  ces  documents  divers  des  pres- 
criptions à  faire  observer ,  d'autres  à  révoquer  ou  à  modifier. 

Sur  quoi,  l'auteur  aborde  son  sujet  et  consacre  un  titre  entier  à 
énumérer  une  longue  série  d'actes  prohibés  par  le  droit  canonique. 
Il  insiste  tout  particulièrement  sur  les  interdictions  qui  visent  les 
ecclésiastiques  ;  il  reviendra  ultérieurement  sur  plusieurs  d'entre 
elles,  mais,  pour  certaines  défenses,  le  présent  énoncé  sufiira.  Nous 
relevons  les  décisions  suivantes  :  tout  évêque  qui  se  sera  servi  du 
pouvoir  civil  pour  obtenir  son  siège  sera  déposé;  les  évêques  doi- 
vent se  réunir  en  concile  deux  fois  par  an;  l'évêque  ne  doit  pas  faire 

'''  Décret  île  Gralien,  D.  vin,  c.  7.  «ne  iegantur  ;  legimus  ne  ignoremus  ;  legimus 

'''  «Ad  hune  fineni  ut  legainus    aliqua   ne  «non   ut  teneamus  ,    sed   ut   repudiemus.  .  .  t 

n  negiiganlur,  alla  ne  igDorentur,  et  alla  non  ut  (Migne,  Patr.  lat. ,   t.    XV,   col.   i533).  Guil- 

«teneantur,  sed  ut  repudientur  •.   Saint  Am-  laume  Durant  ajoute  un  renvoi  au  Décret  de 

broise,  auquel  Guillaume  Durant  nous  renvoie  (îratien,   D.  xxxvii,  c.  9,  où  le  texte  de  saint 

[ncut  ait  hcatas  Ainbrodus  super  Lticain) ,  parle  Ambroise  est  reproduit  sans  la  modification  que 

uniquement   de  la   troisième   catégorie,    celle  notre  auteur  y  a  apportée  en  l'insérant  dans  son 

des  livres  (jui  sont  à  rejeter  :  «  Legimus  aliqua  traité. 


EVEQUE  DE  MENDE.  —  SES  ÉCRITS.  87 

profiter  sa  famille  des  biens  de  l'Église,  etc.  Ce  titre  V\  très  long, 
ressemble  à  un  recueil  de  notes  que  fauteur  aurait  placé  en  tête  des 
parties  II  et  III,  en  manière  de  table  des  matières. 

Suivent  trois  titres  très  courts,  en  aucun  desquels  la  cour  de 
Rome  n'est  oubliée.  Les  premiers' chrétiens  avaient  établi  parmi 
eux  la  communauté  de  biens;  ne  conviendrait-il  pas  de  revenir  à 
ces  antiques  usages,  ou,  du  moins,  de  s'en  rapprocher  un  peu  en 
supprimant  les  gains  dont  profitent  et  le  collège  des  cardinaux  et 
d'autres  collèges,  en   supprimant   aussi   la    pluralité   des   bénéfices 

(tit.   2).:> 

Dans  les  pages  suivantes,  fauteur  s'en  prenrl  à  des  décisions  ponti- 
ficales qui,  très  sagement,  avaient  restreint  le  privilège  du  for.  Il  les 
critique  parce  que  ces  décisions  du  saint-siège  n'ont  pas  été  con- 
firmées par  un  concile  général;  sans  doute  il  voudrait  que  les  ques- 
tions relatives  au  privilège  du  for  fussent  comprises  dans  le  pro- 
gramme du  futur  concile.  En  tout  cas,  il  reproche  à  la  cour  de  Rome 
d'avoir  autorisé,  à  titre  exceptionnel,  il  est  vrai,  les  juges  laïques  à 
porter  la  main  sur  les  clercs;  c'est  là  sans  doute  une  allusion  à  des 
concessions  comme  celles  que  fit,  en  1260,  le  pape  Alexandre  IV  au 
roi  saint  Louis  quand  il  lui  accorda  le  privilège  de  n'être  pas  excom- 
munié s'il  faisait  arrêter  des  clercs  notoirement  coupables  de  crimes 
énormes,  ou  accusés  de  ces  crimes  par  la  voix  publique,  pourvu  qu'il 
se  proposât  de  les  remettre  aux  tribunaux  ecclésiastiques"'.  Plus  loin 
Guillaume  Durant  blâme  les  décisions  que  prit  Boniface  VIII  pour 
restreindre  le  privilège  clérical  au  détriment  des  clercs  mariés;  il  s'a«rit 
évidemment  des  deux  décrétales  insérées  au  Sexte,  dont  fune  excfut 
du  privilège  les  clercs  bigames  (au  sens  canonique  du  mot)  et  les 
clercs  marchands''^  tandis  que  l'autre  attache  une  grande  importance, 
pour  la  preuve  de  la  qualité  de  clerc,  au  port  de  l'habit  ecclésias- 
tique'''.  Il  semble  bien  que  les  auteurs  de  ces  diverses  décrétales 
n'aient  pas  mérité  les  critiques  de  l'évêque  de  Mende. 

Après  ces  propositions  au  regard  de  Rome,  févêque  s'attaque 
au  pouvoir  civil  :  les  princes   entravent  la    liberté   d'acquérir  des 

°7b^H^'"''    "^^    ^'"""^   ''''   ''""''"'   '■    '"'  ^'"'^''  contraxerunt.  Cf.  Paul  Fournier,    Les 

"  (1)  l  ■ .       ,„  ,     ^  officialités  au  moyen  âge.  p.  69  et  suiv.,  note. 

'  'Sexte,   III,  „,  c.   ,.  I^  Sexte  réserve  le  O  C'est  la  décrétale  bien  connue  5/  index 

privilège  du  for  aux  clercs  qai  cani  nnicis  et  vir-  laicus,  Sexte,  V,  xi,  c.  la. 


88  GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

propriétés,  qui  appartient  de  «Iroit  aux  églises  et  doit  être  respectée. 
C'est  sans  doute  pour  lui  une  manière  de  protester  contre  l'applica- 
tion du  droit  d'amortissement.  Suivent  de  vives  récriminations  au 
sujet  de  la  non-observation  de  la  bulle  Clericis  laicos  (tit.  5). 

Notre  auteur  a-t-il  espéré  compenser,  aux  yeux  du  pouvoir  civil, 
l'aigreur  de  ces  ])laintes  en  les  faisant  suivre  d'un  titre  où  il  recom- 
mande que  des  prières  soient  faites  dans  les  églises,  non  seulement 
pour  tous  les  hommes,  mais  spécialement  pour  les  rois  et  pour  tous 
ceux  qui  sont  élevés  en  dignité  (tit.  6).>* 

Le  titre  suivant  (tit.  7)  concerne  les  droits  des  évêques.  Ici  encore 
Home  est  mise  en  cause  :  les  évêques  et  les  prêtres  sont  beaucoup  trop 
facilement  cités  en  cour  de  Rome.  Les  cardinaux  romains  prennent 
place,  quoique  simples  prêtres  ou  diacres,  au-dessus  des  archevêques 
et  des  évêques,  ce  qui  est  contraire  à  toute  règle.  Le  rang  des 
évêques  n'est  pas  respecté  dans  les  cérémonies,  de  nombreux  oRi- 
ciers  de  la  cour  de  Rome  prennent  le  pas  sur  les  successeurs  des 
apôtres,  sur  les  frères  de  l'évêque  de  Rome.  Celui-ci  ne  devrait  pas  se 
qualifier  universalis  papa.  Qui  n'acquitte  pas  ce  qu'il  doit,  réclame  en 
vain  ce  qui  lui  est  dû  :  Non  servanli  Jidem  Jides  interdnm.  non  servatiii: 
La  cour  de  Rome  ne  devrait  jamais,  sans  l'aveu  des  évêques,  con- 
sentir aux  princes  séculiers  un  subside  sur  les  églises.  Elle  devrait 
renoncer  aux  réserves  et  aux  grâces  expectatives.  «  Cil  qui  tôt  convoite 
«  tôt  perd  »,  dit  un  proverbe  populaire'''.  Celui  ([ui  se  mouche 
trop  fort,  tire  le  sang,  a  dit  Salomon'^'.  Oublie-t-on  que  l'Eglise 
grecque  a  rejeté  l'obédience  de  Rome? 

Le  titre  8  est  consacré  aux  negotia  sœculana  interdits  à  tous  ceux 
tjiii  militant  Deo. 

Dans  le  titre  9,  rappelant  la  donation  de  Constantin,  notre  auteur 
insiste  avec  complaisance  sur  la  haute  situation  du  souverain  pontife. 
Constantin  non  seulement  lui  a  reconnu  la  primauté  sur  toute  l'Eglise, 
mais  lui  a  abandonné  Rome  et  l'empire  d'Occident'^';  aussi  bien  le 
Seigneur  n'a-t-il  pas  confié  à  Pierre,  porte-clefs  de  l'Église,  les  droits 
royaux  dans  le  ciel  et  sur  la  terre  .^ 

'"'  Guillaume  Durant  dans  son  livre  ùnonce  '''   Proverbes,  XXX,  33. 

ce  j)roverl)e  en  latin  :   «Qui  totun»  viilt,  totuni  '''  Cf.   Décret  de  Gralien,   D.  \cvi,    c.    i/i 

|ierdit.  »    Cf.  Le  Roux  de  Lincy,   Le  Livre  des  (extrait  de  la  donslion  de  Constantin),  avec  la 

^roi'crfccj //-(//ifaii- ( Paris,  iSôg),  t.  il,  p.  37/1.  glose  sur  le  mot  Utile. 


ÉVÊQUE  DE  MENDE.  —  SES  ÉCRITS.  89 

Il  serait  utile,  si  la  chose  se  peut  tenter  sans  scandale,  de  faire 
comprendre  aux  princes  qu'ils  n'ont  point  à  se  considérer  comme 
offensés  lorsque  l'Eglise  s'entremet  en  certaines  affaires  séculières. 
Le  concile  pourrait  déterminer  en  quoi  la  primauté  de  Rome  s'étend, 
dans  l'ordre  régulier  de  ses  pouvoirs,  sur  le  spirituel  et  sur  le 
temporel. 

Rome  est  visée  de  nouveau,  à  l'occasion  des  rapports  avec  les 
femmes ,  que  les  clercs  doivent  éviter  (tit.  i  o).  H  faudrait,  conclut  à  ce 
propos  l'évêque  de  Mende*'*,  que  les  maisons  publiques  ne  fussent  pas 
attenantes  aux  églises,  qu'à  la  cour  de  Rome  elles  ne  fussent  pas  pla- 
cées dans  le  voisinage  du  seigneur  pape  ou  des  prélats;  il  faudrait, 
enfin ,  que  le  maréchal  du  pape  et  les  officiers  similaires  ne  touchassent 
aucune  finance  des  courtisanes  et  des  proxénètes. 

Le  titre  1 1  est  consacré  aux  conciles  provinciaux  qui,  aux  termes 
d'un  canon  de  Nicée*^',  doivent  être  tenus  deux  fois  par  an.  La  diffi- 
culté de  se  réunir  deux  fois  par  an  a  fait  qu'on  s'est  contenté  d'un 
seul  synode  annuel'^',  ou  même  qu'on  s'assemble  tout  simplement 
quand  le  métropolitain  le  juge  à  propos.  Ce  titre  n'est  pour  partie 
autre  chose  que  le  texte  des  prescriptions  diverses  relatives  à  ces 
conciles,  copié  sur  le  quatrième  concile  de  Tolède**'  et  celui  de 
ÏOrdo  de  celehrando  concdio,  placé  en  tête  du  recueil  du  faux  Isidore. 
Çà  et  là,  pourtant,  se  trouvent  certaines  observations  intéressantes, 
celle-ci  entre  autres  :  il  serait  utile  d'appeler  aux  conciles  quelques 
membres  des  chapitres,  quelques  prêtres  et  quelques  laïques. 
A  l'appui  de  ce  vœu,  l'auteur  invoque,  et  il  en  a  le  droit,  un  synode 
de  Tarragone'*'. 

La  question  des  conciles  appelle  aussi  quelques  observations  sur  les 
pouvoirs  du  souverain  pontife,  qui  font  l'objet  des  préoccupations 
constantes  de  notre  auteur.  Toutes  les  affaires  intéressant  le  clergé 
régulier  et  séculier,  qui  n'ont  pu  être  terniinées  devant  l'ordinaire  ou 
qui  sont  en  appel,  devraient,  suivant  Guillaume  Durant,  être  déférées 
aux  conciles  provinciaux;  celles  qui,  d'après  le  droit,  sont  maximœ 

'  '  Tout  ce  qui  suit  concerne  probablement  aussi  tous  les  manuscrits  que  nous  avons  con- 

plutôt  Avignon  que  Rome.  suites. 

'*'  Can.  5;  et  non  6,  comme  il  est  imprimé  '''  Cf.  Décret  de  Gratien,  D.  xviii,  c.  7. 

notamment  dans  l'édition  de  l'œuvre  de  notre  '*'  Can.  i3  de  ce  concile, 

auteur,   Paris,    1671,    et    comme  le  portent  '*'  Hinschius,  p.  344  et  suiv. 

HIST.  LITTÉR.  XXXV.  12 


90  GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

causœ^^K  seraient  seules  dévolues  â  la  cour  de  Rome.  On  devrait 
toujours,  avant  d'aller  en  appel  à  Rome,  soumettre  l'affaire  aux 
évêques  voisins,  comme  le  prescrivent  le  concile  de  Nicée'^',  le  sixième 
concile  de  Cartilage  et  le  concile  de  Sardique'^l 

Dans  les  titres  suivants  (  i  2  à  2  4  ) ,  Guillaume  Durant  passe  en  revue 
les  prescriptions  canoniques  qui  interdisent  la  magie  et  les  sorti- 
lèges'*', qui  fixent  l'âge  des  ordinations  et  déterminent  le  nombre  des 
diacres,  celles  qui  défendent  qu'un  dignitaire  ecclésiastique  soit  pris 
hors  du  diocèse  où  on  l'envoie  exercer  un  office,  celles  qui  règlent 
l'élection  des  évêques,  prescrivent  la  résidence,  interdisent  les  acqui- 
sitions hors  de  la  province,  défendent  les  visites  à  la  cour  du  prince 
sans  fautorisation  du  métropolitain  et  des  évêques  de  la  province, 
excluent  de  l'épiscopat  les  personnes  indignes  ou  ignorantes,  impo- 
sent la  dignité  et  la  décence  dans  la  célébration  des  offices,  pro- 
scrivent la  simonie,  la  pluralité  des  bénéfices,  les  coalitions  contre 
l'évêque,  l'ordination  des  diacres  avant  vingt-cinq  ans,  la  consécration 
à  Dieu  des  vierges  avant  le  même  âge.  Il  rappelle  la  nécessité  pour 
les  évêques  de  se  décharger  sur  des  économes  pris  dans  le  clergé  de 
la  gérance  des  biens  d'Eglise,  et  sur  des  avoués  de  la  conduite  des 
affaires  litigieuses. 

Au  cours  de  ces  treize  titres  (titres  1  2  à  24),  l'auteur  met  sept  fois 
en  cause  la  cour  de  Rome.  Nous  énumérons  ses  griefs  :  promotion  au 
cardinalat  de  sujets  trop  jeunes,  célébration  des  offices  sans  dignité 
et  solennité  (l'évêque  parait  avoir  surtout  en  vue  le  nombre  insuffisant 
des  diacres),  promotion  d'évêques  étrangers,  (jui  nec  subditos  intelli- 
(junt,  nec  intelli(jantur  ah  eis^^\  promotion  d'évêques  insuffisants  ou 
indignes'^',  simonie  permanente,  accumulation  de  bénéfices  sur  les 
mêmes  têtes,  pensions  et  commendes  au  profit  des  cardinaux,  ac- 
cueil beaucoup  trop  facile  fait  en  cour  de  Rome  aux  accusations 
contre  les  évêques. 

A   foccasion   de  la    pluralité   des    bénéfices,    Guillaume    Durant 

'''  Guillaume  Durant  invoque  ici  le  Décret  '''   Décret  de  Gralien,  G.  VI,   qu.    iv,  c.  7. 

de  Gratieii,  C.   H,   qu.    vu.  c.    'jS.    C'est   un  '*'  C(.  Inslnict.  cl  Constit.de  Guillaume  Durant 

argument  péniblement  forgé.  le  Specalator,  éd.  Berthelé  et  Volmary,  p.  1  i  1 . 

'*'   Le  concile  de  Nicée  est  ici  invoqué,  l'au-  •''   Cette  critique  s'étend  aux  proniotions  de 

teur  le  dif  expressément.  Sur  la  foi  du  canon  3  dignitaires   ecclésiastiques   par   des   prœsbyteri 

du  sixième  concile  de  Carthage,  on  confondait  preelati  (part.  II,  lit.  i5,  in  fine). 
Sardique  avec  Nicée.  '*'   Partie  II,  tit.  18. 


ÉVÈQUE  DE  MENDE.  —  SES  ÉCRITS.  91 

n'oublie  pas  l'histoire,  souvent  contée,  de  Philippe  de  Grève,  chan- 
celier de  l'église  de  Paris,  qui  fut  livré  aux  flammes  de  l'enfer  pour 
avoir  gardé  jusqu'à  sa  mort  de  nombreux  bénéfices'"'. 

Le  passage  relatif  à  la  simonie  en  cour  de  Rome  est  concis  et  éner- 
gique. A  chaque  promotion  d'évêque  on  perçoit  une  finance  :  nos 
seigneurs  les  cardinaux  entendent  partager  cette  finance  avec  le  pape, 
comme  si  commettre  la  simonie  n'était  pas  péché,  ou  comme  si 
donner  et  recevoir  après  n'était  pas  la  même  chose  que  donner  et 
recevoir  avant.  L'auteur  établit  sa  proposition  d'après  les  textes  du 
Décret'^'. 

Nous  arrivons  aux  extraits  des  conciles  latins.  Nous  nous  contente- 
rons d'indiquer  sommairement  les  sujets  abordés  dans  les  titres  2  5  à  33 
inclus.  L'auteur  y  traite  :  de  la  clôture  des  religieuses  et  il  critique  à 
ce  propos  une  décrétale  de  Boniface  VIII'^';  de  la  promotion  des  clercs, 
laquelle  ne  doit  pas  avoir  lieu  tant  qu'ils  ont  des  comptes  à  rendre; 
de  fobéissance  aux  canons  des  conciles  et  aux  ordres  des  supérieurs 
du  respect  et  de  la  soumission  due  par  les  religieux  aux  sentences 
d'excommunication  ou  d'interdit  portées  par  lesévêques;  du  scandale 
donné  par  certains  prélats  ou  autres  dignitaires  qui  prennent  des 
engagements  et  ne  les  tiennent  pas,  accordent  des  grâces  et  les  retirent 
sans  raison.  Ce  dernier  reproche  peut  être  adressé  aux  souverains 
pontifes,  car  on  les  a  vus,  non  seulement  révoquer  ce  qu'avaient  fait 
leurs  prédécesseurs,  mais  encore  ce  qu'ils  avaient  concédé  eux-mêmes, 
conduite  qui  est  en  opposition  avec  la  gravité,  avec  l'autorité,  avec 
l'honnêteté  ecclésiastique,  avec  Vhonestas  juridica.  Guillaume  Durant 
traite  ensuite  de  l'obligation  imposée  à  tout  ecclésiastique,  avant 
d'être  ordonné  prêtre  ou  promu  à  i'épiscopat,  de  connaître  les 
décrets  des  conciles  concernant  son  office  et  les  canons  péniten- 
tiaux  (partie  11,  tit.  3o).  La  décadence  du  régime  ancien  de  la 
pénitence  alarme  au  plus  haut  degré  l'évêque  de  Mende;  aussi  parle- 
t-il  souvent  de  ces  canons  pénitentiaux  si  négligés.  Il  y  reviendra  au 

'"'  Sur    cette  légende,   voir    Noël    Valoi»,  exige   la  clôture   perpétuelle  des  religieuse». 

Guillaame  S  Auvergne,  évéqae  de  Paris  (Paris,  Guillaume  Durant  observe:  «nec  provislo  do- 

1880),  p.  33-35.  «  mini  Bonifacii  sufficit ,  qnod  multae  snnt,  qUae, 

'*'  Partie  II ,  tit.  ao.  t  si  includerentur,  non  haberent  unde  viverent . 

'''  Sexte,  III,  XVI,  c.  unie.  Cette  décrétale  (tit.  a 5). 


92  GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

titre  36  de  la  deuxième  partie,  et  encore  aux  titres  !\\  et  /^ 5  de  la 
troisième. 

Aux  titres  3 1,  Sa  et  33,  notre  auteur  traite  du  jugement  des  évéques, 
qui  devrait  être  déféré  aux  conciles  provinciaux;  cette  règle  est  éludée 
par  la  cour  de  Rome,  les  allaires  des  évéques  étant  rangées  par  elle 
au  nombre  des  causœ  majores.  Il  s'occupe  de  l'organisation  si  souhai- 
table de  la  gratuité  pour  les  affaires  des  indigents,  des  règles  diverses 
imposées  aux  clercs  ])our  que  leur  vie  soit  toujours  décente,  régulière 
et  honnête.  11  voudrait  que  les  clercs  mineurs,  pourvus  de  bénéfices, 
renonçassent  au  mariage,  que  l'interdiction  de  tenir  dans  les  églises 
et  dans  les  cimetières  des  réunions  mondaines  et  d'y  traiter  d'affaires 
séculières  fût  respectée. 

Au  titre  34,  Guillaume  Durant  reprend  longuement  une  question 
qu'il  a  déjà  touchée  et  qu'il  traitera  encore''*  :  l'évêque  qui  occupe  le 
premier  siège  de  la  chrétienté,  l'évêque  de  Rome,  ne  doit  pas  prendre 
le  titre  d'nniversalis  papa  ou  quelque  qualihcation  analogue;  notre 
auteur  ne  manque  pas  d'invoquer  à  ce  propos  le  troisième  concile  de 
Carthage  '^'  et  Grégoire  le  Grand'^l  Sur  quoi  il  formule  cet  avis,  qui 
certes  ne  manque  pas  de  noblesse  :  «  Admonendi  sunt  subditi  ne  plus 
«  quam  expédiât  sint  subjecti.  » 

Tout  ecclésiastique  qui  n'avait  aucun  bien  au  momeni  de  son 
ordination  et,  postérieurement  à  cette  ordination,  a  fait  des  acquisi- 
tions en  son  propre  nom,  doit  abandonner  ces  biens  à  l'Eglise  (tit.  37). 

Suit  un  titre  très  long  (38)  consacré  aux  évoques,  dont  les  devoirs 
divers  et  les  abus  de  pouvoir  sont  passés  en  revue  ;  l'auteur,  après  en 
avoir  achevé  la  rédaction,  a  senti  que  son  exposé  restait  incomplet  et 
a  pris  soin  de  nous  informer  qu'il  faut  joindre  au  titre  38  vingt-deux 
autres  titres  de  la  seconde  partie,  qu'il  énumère  soigneusement.  Il 
aurait  pu  d'ailleurs  grossir  notablement  ce  renvoi.  Dans  le  titre  38 
nous  remarquons  la  proposition  d'attribuer  aux  pauvres  écoliers 
des  universités  le  dixième  de  tous  les  revenus  des  bénélices  ecclé- 
siastiques, et  le  conseil  de  défendre  énergiquement  contre  les  pouvoirs 
laïques  la  juridiction  de  l'Eglise. 

L'évêque  de  Mende  se  réfère ,  dans  le  titre  3  g,  aux  décrets  conciliaires 

'■'  Cf.  p.  88,  108  et  118.  est  tiré  d'une  lettre  de  S.Grégoire,  livre  VIII, 

'*'  Can.  a6.  lettre  3o  de  l'édition  des  Bénédictins,  et  29  de 

'''  Décret  de  Gralien ,  D.  xcix,  c.  5.  Ce  texte         l'édition  des  Monumenta  Gcrmaniœ. 


EVEQUE  DE  MENDE.  —  SES  ECRITS.  93 

anciens  qui  défendent  de  recevoir  des  olTrandes  des  oppresseurs  des 
pauvres,  des  sacrilèges,  de  tous  ceux  qui  dépouillent  l'Eglise.  Un  trait 
final  est  dirigé  contre  les  Mendiants  :  «  Videretur  esse  super  hoc  pro- 
«videndum  verissime,  potissiuie  cum  a  religiosis  de  ordine  pauper- 
«  tatis  fréquenter  usurarioruni  funera  prae  caeteris  honorentur.  » 

Guillaume  Durant  a  lu  dans  un  concile  de  Carthage  que  les  églises 
doivent  demander  aux  empereurs  des  défenseurs  qui  les  puissent  pro- 
téger :  il  voudrait  que  les  princes  de  son  temps  rendissent  aux  églises 
le  même  service  (tit.  4o).  Naturellement,  il  ne  paraîl  pas  soupçonner 
que  les  advocati  (avoués)  nommés  souvent  par  les  empereurs  carolin- 
giens ne  sont  autre  chose  que  ces  anciens  dejensores  *''. 

Avec  le  titre  ^i^  Guillaume  Durant  revient  à  une  idée  qui  lui  est 
chère  :  il  faudrait  réunir  un  concile  général  chaque  fois  qu'il  s'agit  du 
bien  commun  de  l'Église,  ou  chaque  fois  qu'on  songe  à  une  innova- 
tion législative. 

Le  titre  45  mérite  d'être  signalé  tout  particulièrement,  car  l'auteur, 
si  ardent  d'ordinaire  à  défendre  les  privilèges  de  l'Eglise,  s'y  montre 
assez  peu  favorable  au  droit  d'asile.  Non  pas  qu'il  en  demande  l'abo- 
lition, mais  il  propose  d'y  apporter  des  restrictions  et  atténuations 
considérables.  Nous  sera-t-il  permis  de  rappeler  une  seconde  fois  à  ce 
propos  que  l'évêque  de  Mende  est  en  même  temps  prince  temporel.'* 
Il  a  pu,  comme  tel,  sentir  vivement  les  dangers  et  inconvénients  du 
droit  d'asile  '^'. 

Le  titre  46  est  très  important.  L'auteur,  déplorant  l'incontinence 
des  clercs  et  reconnaissant  que  les  besoins  de  la  chair  sont  presque 
invincibles,  rappelle  l'opinion  exprimée  par  Paphnutius  au  concile  de 
Nicée  *^'  et  demande  s'il  ne  serait  pas  opportun  d'adopter  en  Occi- 
dent la  discipline  de  l'Eglise  d'Orient  en  ce  qui  concerne  le  mariage 
des  clercs  promus  aux  ordres  majeurs. 

Une  autre  innovation  est  proposée  au  titre  48.  Notre  prélat  cite 
deux  textes  anciens  qui  prescrivent  en  termes  absolus  trois  com- 
munions annuelles.  Sur  quoi  il  introduit  cette  question  :  y  aurait-il 

'"'  Cf.  Paul  VioUet,  Histoire  des  institutions  <''  Guillaume  Durant  vise  ici  VHistoria  tri- 

politiqaes  et  administratives    de  la  France,  t.  I,  par<i<a  et  renvoie  aussi  à  Gratien,  D.  xxxi,  c.  i  a. 

p.  373.  Cette  allusion  et  cette  citation  ne  font  qu'un, 

'*'  Le  Speculator  est  beaucoup  plus  rigide  sur  ie  chapitre  du  Décret  ci-dessns  indiqué  étant 

le  droit  d'asile  (/nf(rac<ion}e(Con5(ifa(ion«,  édit.  un   extrait   de  VHistoria  tripartila  de  Cassio- 

citée,  p.  io4-io5).  dore,  II,  i4. 


94  GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

lieu  de  revenir  à  l'ancienne  discipline?  Guillaume  n'ajoute  pas 
qu'on  abrogerait  ainsi  la  loi  portée  par  le  concile  général  de  Latran 
de  1  2  i5,  qui  prescrit  tout  simplement  la  communion  annuelle.  Mais 
qui  pouvait,  au  concile  de  Vienne,  ignorer  l'existence  de  ce  canon 
de  Latran  '^'  ? 

Voilà  donc  en  ces  deux  titres  des  textes  canoniques  de  la  plus  haute 
importance  que  notre  auteur  serait  assez  volontiers  disposé  à  ranger 
dans  la  catégorie  de  ceux  dont  on  doit  se  préoccuper,  non  pas  afin  de 
s'y  mieux  conformer,  mais,  tout  au  contraire,  en  vue  de  les  rejeter, 
ut  repudientur,  comme  il  a  été  dit  dans  la  préface  même  de  cette 
seconde  partie. 

Le  titre  4 7  est  consacré  aux  legs  pieux:  ils  doivent  être  exécutés 
religieusement. 

Dans  le  titre  ^9,  l'auteur  s'occupe  des  émoluments  (sf/joenrffa)  attri- 
bués aux  clercs.  Ces  émoluments  doivent  être  proportionnés  aux  ser- 
vices rendus  :  les  docteurs  et  les  lettrés  seront  préférés  aux  illettrés, 
affectione  contraria  non  obstante. 

La  question  de  l'assistance  des  clercs  à  la  messe  et  aux  offices  est 
étudiée  dans  le  titre  5o.  Il  ne  convient  pas  que  les  clercs  absents  des 
offices  soient  traités  comme  les  clercs  présents;  ceux  mêmes  qui  ont 
des  causes  légitimes  d'absence,  approuvées  par  leurs  supérieurs,  ne 
devraient  cependant  recevoir  que  le  tiers  ou  le  quart  des  émoluments 
attribués  à  ceux  qui  sont  présents. 

Dans  les  titres  5i  et  62,  l'auteur  rappelle  les  prescriptions  cano- 
niques qui  interdisent  aux  clercs  le  plaisir  de  la  chasse  et  qui  leur 
défendent  de  s'éloigner  du  diocèse  sans  lettres  de  l'évêque  [litterœ 
commendatitiœ).  Il  v  a  lieu  de  restaurer  cette  discipline  négligée,  car 
les  ecclésiastiques  circulent  de  tous  côtés,  sicut  oves  non  habentes  pas- 
torcm.  A  propos  de  la  chasse  interdite  aux  clercs,  notre  auteur,  s'aban- 
donnant  à  son  fougueux  instinct  de  réforme,  ou  plutôt  écrivant  sans 
précision  et  avec  une  négligence  hâtive,  semble  proposer  d'étendre 
cette  interdiction  aux  rois  et  aux  princes,  car  ces  personnages  perdent 
leur  temps  à  chasser:  tVideretur  de  observatione  dictorum  jurium 
«  providei)dum    non    solum    quoad   personas    ecclesiasticas,   verum 

'''  Le  Specalator  se  préoccupe  aussi  des  trois  dire  qu'il  souhaite,  lui  aussi,  une  modification 
communions  annuelles  auxquelles  il  fautexhor-  au  canon  de  L&tnn  { Instrnrtions  et  Constitutions, 
ter  (monendi)  les  fidèles,  mais  nous  n'oserions         édit.  citée,  p.  lao). 


EVEQUE  DE  MENDE.  —  SES  ECRITS.  95 

«  etiaiii  quoad  reges  et  principes,  quorum  aliqui  expendunt  tempus 
«suum  in  venationibus.  .  .  » 

Avec  le  titre  53,  Guillaume  Durant  aborde  et  traite  longuement 
une  des  questions  qui  lui  tiennent  le  plus  à  cœur  :  il  s'occupe  des  mo- 
nastères et  des  moines.  Dès  les  premiers  mots,  l'évêque  affirme  son 
autorité  :  le  moine  doit  obéissance  à  son  abbé  et  à  son  évêque,  duquel 
relèvent''',  nous  le  savons,  tous  les  monastères.  L'évêque  a  droit  de  visite 
et  de  correction  ;  il  faut  s'acquitter  exactement  envers  lui  des  jura 
episcopaha. 

On  ne  doit  rien  payer  ])our  entrer  dans  un  monastère  et  devenir 
moine;  ce  serait  simonie.  L'auteur  insiste  sur  les  devoirs  de  la  vie 
monacale ,  sur  les  nombreuses  incapacités  dont  sont  frappés  les  moines. 
Un  moine  ne  doit  être  fait  clerc  que  s'il  est  vraiment  digne  de  la  clé- 
ricature.  Celui  qui  a  été  fait  clerc  ne  pourra  être  ordonné  diacre  ou 
prêtre  que  s'il  est  entré  avant  trente  ans  dans  les  ordres  mineurs. 
Si  un  mauvais  moine  ne  saurait  faire  un  bon  clerc,  il  ne  faut  pas 
croire  qu'un  bon  moine  fasse  toujours  un  bon  clerc,  car  le  bon  moine 
peut  être  suffisamment  continent,  mais  manquer  de  l'instruction  né- 
cessaire au  clerc  ou  présenter  quelque  autre  irrégularité.  Guillaume 
attache  une  grande  importance  aux  conditions  d'âge  qui  devraient 
être  établies  au  regard  des  moines  pourvus  de  prieurés  ou  de  fonc- 
tions emportant  charge  d'àmes,  alors  même  que  cette  charge  serait 
confiée  à  un  vicaire.  Le  concile  de  Vienne  est  entré  ici  dans  les  vues 
de  notre  réformateur''^'. 

Signalons  la  proposition  qui  clôt  ce  titre  53  :  les  correcteurs  et 
visiteurs  résident  souvent  en  dehors  de  la  province  ou  même  du 
royaume,  et,  par  suite,  ne  visitent,  ni  ne  corrigent;  les  abus  restent 
donc  impunis.  Il  paraît  souhaitable  que  chaque  «  religion  »  ait  un 
visiteur  par  province  et  que  les  visites  soient  annuelles. 

Les  évêques  sont  trop  souvent  absents  de  leur  diocèse,  notamment 
à  l'époque  de  l'année  où  ils  doivent  distribuer  le  saint  chrême;  ne 
serait-il  pas  expédient  de  les  astreindre  très  sévèrement  à  la  présence 
dans  leur  diocèse,  lors  des  grandes  fêtes,  surtout  à  Pâques?  Tel  est 
l'objet  principal  du  titre  54- 

Dans  le  titre  55,  l'auteur  se  préoccupe   d'écarter  les  laïques  du 

'■'  Ou  du  moins  doivent  relever,  car  Guillaume  Durant  ne  veut  plus  des  exemptions.  Voir 
partie  I,  tit.  5  et  ci-dessus,  p.  85.  —  '''Clémentines,  III,  x,  c.  i,  S7. 


96  GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

sanctuaire  et  de  tout  contact  avec  les  reliques  des  saints  et  les  objets 
du  culte  '^'. 

Le  titre  56  est  consacré  à  la  question  des  jeûnes  prescrits  par 
l'Eglise;  le  titre  57,  aux  peintures  et  sculptures  dans  les  édifices  reli- 
gieux :  il  importe  de  n'y  rien  tolérer  d'inconvenant,  de  ridicule,  de 
contraire  à  la  foi  ou  aux  témoignages  dignes  de  créance,  car  ces  repré- 
sentations ne  doivent  pas  s'écarter  a  veritate  rei  gestœ.  Un  souci  ana- 
logue se  retrouve  chez  le  Speculator,  qui,  très  sagement,  a  édicté  cette 
défense  :  Altaria  (iiiofjiie  per  somma  et  inanes  (juasi  revelatwnes  hominum 
construi  pnTkihemus  ''^*. 

Les  conversations,  les  chants  indécents  et  les  jeux  doivent  être 
proscrits  dans  les  églises  et  dans  les  cimetières  (tit.  58)  '^'.  Un  autre 
titre  (62)  traite  de  la  prohibition  générale  des  jeux  de  dés  et  des 
tournois. 

Il  faut  éviter,  pendant  les  offices,  le  contact  des  adultères  notoires. 
Quant  aux  diacres,  aux  prêtres  et  aux  évêquesqui  se  sont  rendus  cou- 
pables de  cette  grande  faute,  ils  devraient  être  déposés  (tit.  59).  Un 
autre  titre  (63)  rappelle  le  concile  d'Elvire,  qui  défend  aux  femmes 
d'entretenir  aucune  correspondance  à  l'insu  de  leur  mari  '*'.  L'auteur 
reviendra,  au  titre  69,  sur  les  préceptes  relatifs  aux  femmes  et  leur 
prescrira  la  modestie. 

Le  titre  60  mérite  une  mention  particulière  :  l'auteur  y  réclame 
la  gratuité  absolue,  non  seulement  des  sacrements,  mais  aussi  des 
sépultures.  Il  n'admet  même  pas  cette  pseudo-gratuité  qui  est  suivie 
d'une  oflrande  dite  volontaire,  et  il  invoque  le  canon  48  du  concile 
d'Elvire,  qui  défend  aux  nouveaux  baptisés  de  déposer  dans  la  coupe 
[conclia)  des  pièces  de  monnaie,  «  ne  sacerdos,  quod  gratis  acceperit, 
«  pretio  distrahere  videatur».  Les  remèdes  essayés  contre  ces  abus 
sont  jusqu'ici  restés  vains,  «  pro  eo  quod  multi  exmajoribus  columnls 
«et  praelatis  Ecclesia»  in  his  peccant».  Guillaume  renvoie  à  ce  qui  a 
été  dit  au  titre  20,  intitulé:  De  simonia  et  de  cxactionibus (jiiœ  in  Rnmana 
caria  et  alibi  pro  votis  reqnirunlur,  où  il  oppose  à  ces  habitudes  déplo- 
rables la  Prima  causa  presque  entière  du  Décret  de  Gratien. 

Le  titre  6 1  est  consacré  aux  Juifs  :  les  nombreuses  prescriptions 

'''   Rapprocher  le  Speculalnr  (^Instructions  et  '''   De  son  coté,  le  Specninlor  s'est  beaucoup 

Constitutions ,  cdit.  citée,  p.  ig  et  5/»).  préoccupé  de  ces  abus  (ibid.,  p.  79,  80,  lO/i). 

'*'   Instructions  et  Constitutions,  p.  io3.  '*'  Can.  81. 


ÉVÈQUE  DE  MENDE.  —  SES  ÉCRITS.  97 

édictées  à  leur  sujet  doivent  être  observées,  et  aussi  celles  qui  con- 
cernent les  Chrétiens  qui  trafiquent  avec  les  Sarrasins:  on  leur  accorde, 
en  cour  de  Rome  et  ailleurs,  dispenses  et  absolutions  avec  une 
facilité  scandaleuse,  (juasi  pro  nihilo. 

Divers  conciles  ont  interdit  l'ouverture  des  tribunaux,  la  tenue  de 
foires  et  de  marchés  les  dimanches  et  jours  de  fêtes,  interdictions 
dont  on  ne  tient  compte  ni  en  France  ni  en  d'autres  pays. «  Videretur», 
conclut  Guillaume  Durant,  «  esse  super  hoc  providendum,  cum  plura 
«  mala  in  dictis  dominicis  et  festivis  diebus  quam  in  aliis  committan- 
«  tur,  et  fréquenter  sepopuli  exerceant  in  ludis  turpibus,  et  amatoriis 
«  plausibus  et  cantilenis  »  (tit.  64). 

Un  concile  de  J'arragone,  un  concile  de  Tolède  et  un  concile  de 
Bra<ra  ont  imposé  aux  clercs  de  chaque  paroisse  la  présence  aux 
olhces;  notre  prélat  estime  qu'il  serait  utile  de  faire  observer  ces  pres- 
criptions anciennes  (tit.  65). 

Le  titre  66  est  consacré  aux  visites  annuelles  des  évê(|ues  et  aux 
droits  de  gîte  ou  de  procuration.  H  est  très  souhaitable  (jue  la  cour  de 
Rome  n'accorde  jamais  le  privilège  d'exiger  le  droit  de  gîte  {^procurât io'j 
sans  que  la  visite  soit  effectuée;  il  ne  faut  pas  non  plus  que  ces  droits 
de  gîte  dégénèrent  en  très  pénibles  et  lourdes  vexations  ''^  À  propos 
des  procurations,  notre  auteur  pose  ce])rincipe  :  en  droit  toute  église 
est  immiinis  et  libéra,  à  moins  qu'il  ne  soit  bien  établi  qu'elle  est  serva. 
Il  ne  semble  pas  que  le  pape  puisse  établir  pareille  servitude,  ainsi 
qu'il  l'a  lait  en  faveur  de  certains  rois;  comment  celui  qui  a  mission 
de  défendre  les  droits  de  l'Eglise  pourrait-il  détruire  des  immunités 
qui  sont  un  fait  général  et  qui  doivent  être  vues  avec  faveur  ? 

L'évêque  de  Mende  reprend  ici  une  question  qu'il  a  déjà  abordée 
plus  haut  :  plusieurs  princes  et  tyrans  [malt i principes  et  tyranni)  entre- 
prennent d'obliger  les  églises  à  mettre  hors  de  leurs  mains  les  acquisi- 
tions nouvelles;  à  cette  prétention  il  oppose  des  décisions  d'Alexan- 
dre 111  et  de  Boniface  VIII  ^^K  Les  laïques  violent  encore  les  droits  de 
l'Église  en  tenant  leurs  assises  intra  ecclesias  et  monasteria ,  claustra  et 
cœmcteria  ;  c'est  une  atteinte  à  l'immunité,  laquelle  s'étend,  suivant 
l'importance  de  l'église,  dont  il  s'agit,  jusqu'à  trente  ou  quarante  pas 
de  l'enceinte'^l 

'''  On  s'efforça,  au  concile  de  Vienne,  d'al-  '*'  Sexte,  III,  xxiii.r.  i  et  3. 

ténuer  ces  abus  (Clémentines,  m,  XIII, c.  2).  '''  Trente  pas,  d'après  le  canon  10  du  dou- 

HIST.   LITTÉR.  XXXV.  |3 


98  GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

Toute  possession  de  l'Eglise,  si  elle  remonte  à  trente  ans,  doit  être 
respectée  :  c'est  la  prescription  de  trente  ans,  que  l'auteur  invoque 
en  faveur  de  l'Eglise.  Il  ne  fait  aucune  allusion  au  canon  célèbre  du 
concile  de  Latran  de  i2i5  :  «  Synodali  judicio  definimus  ut  nuUa 
«  valeat  absque  bona  fide  praescriptio,  tani  canonica  quam  civilis, 
«  cuni  sit  generaliter  onini  constitutioni  derogandum,  quae  absque 
M  mortali  non  potest  observari  peccato.  Unde  oportet  ut  qui  pra;scri- 
«  bit,  in  nuUa  teniporis  parte  rei  habeat  conscientiam  aliénée  *"'.  » 

Un  peu  plus  loin  (tit.  70),  l'auteur  n'oubliera  pas  de  noter  que, 
contre  l'Eglise,  ce  n'est  pas  la  prescription  de  trente  ans,  mais  celle  de 
{[uarante  ans,  qui  peut  être  invoquée.  11  est  juste  d'ajouter  qu'il  ne 
fera  pas  davantage  ici  intervenir  la  question  de  bonne  ou  de  mauvaise 
foi  ;  il  néglige  cette  considération,  que  l'intérêt  en  cause  soit  celui  de 
l'Eglise  ou  celui  des  laïques.  Mais  rien,  en  définitive,  n'autorise  à 
supposer  qu'il  songe  à  classer  le  canon  de  Latran  parmi  les  textes 
à  éliminer. 

A  l'occasion  des  diverses  atteintes  portées  aux  droits  de  l'Eglise,  le 
roi  de  France,  à  la  fin  du  titre  66,  est  pris  directement  à  partie  : 
«  Régi  eliam  Franciae  videtur  imponi  nécessitas  quod  talia  non  prae- 
«  sumat.  » 

Suit  un  titre  très  intéressant  (67),  dans  lequel  l'auteur  s'attaque 
avec  vigueur  à  l'abus  des  présents  faits  aux  juges  dans  les  alfaires 
judiciaires,  à  la  vente  des  cliarges  de  justice,  au  radiât  des  peines  à 
prix  d'argent. 

Dans  le  titre  68  nous  notons  le  vœu  de  voir  s'établir  dans  chaque 
province  ecclésiastique  l'uniformité  des  cérémonies  religieuses  *"^'. 
A  cette  occasion,  Guillaume  Durant,  d'après  un  concile  de  Tolède, 
qu'il  emprunte  au  Décret  de  Gratien'"^*,  met  en  relief  l'autorité  et  la 
haute  situation  des  métropolitains. 

Avec  le  titre  70  l'auteur  reprend,  non  sans  d'abondants  détails,  la 
question  des  droits  et  privilèges  des  églises  et  des  ecclésiastiques;  il  énu- 

zième  concile  de  Tolède  (Décret  de  Gratien,  '''  Ce  vœu  est  inspiré  à  Guillaume  Durant 

XVII,  qu.  IV,  c.  35);  trente  ou  quarante  pas,  par  la  lecture  de  plusieurs  décisions  conciliaires 

suivant  l'importance  des  églises  d'après  le  con-  espagnoles.    Dans   la    troisième   partie  de  son 

cile  romain  de  loSg  (C.  XVll.  qu.  IV,  c.  6).  On  traité,   il  réclamera  une  uniformité  liturgique 

remarquera  que  le  texte  original  de  ce   con-  beaucoup  plus  complète,  et,  cette  fois  encore, 

cile  fixe  la  limite  à  soixante  pas,  non  a  qua-  il  s'inspirera   d'un  concile   espagnol  (Migne, 

rante.  Pair.  lat..  t.  LXXXIV,  col.  365). 
''*  Décrétales de  Grégoire  IX,  II, XXVI, c. -jo.  l''   Dist.  XII.c.  i3. 


ÉVÈQUE  DE  MENDE.  —  SES  ÉCRITS.  99 

mère  les  torts  sans  nombre  qui  leur  sont  faits.  Les  juridictions  ecclésias- 
tiques sont  persévéramment  battues  en  brècbe:  «  Quasi  per  quamdam 
«  alluvioneni  frustatim  domini  temporales  ad  se  omnia  trahunt.  Et 
..  sicut  frustatim  lupus  agnum  comedit,  ita  et  per  ipsos  jurisdictio 
«  ecclesiastica  frustatim  quodam  modo  devoratur.  »  La  situation  est 
telle  «  ut  deterioris  conditionis  factum  sub  eis  sacerdotium  \ideatur 
«  quam  sub  Pharaone  fuerit,  qui  legis  divinae  notitiam  non  habebat  ». 

L'auteur  proteste  ensuite  contre  les  collations  de  bénéfices  par  des 
laïques,  contre  leurs  interventions,  accompagnées  souvent  de  vio- 
lences, en  vue  d'imposer  leurs  candidats  en  cas  de  vacance  des  sièges 
épiscopaux,  contre  les  citations  à  comparaître  devant  la  justice  royale 
que  reçoivent  fréquemment  les  évéques  et  les  archevêques,  contre  le 
droit  de  dépouille  que  s'attribuent  souvent  les  princes  temporels, 
contre  le  serment  de  fidélité  imposé  à  des  ecclésiastiques  qui  ne 
tiennent  aucun  lief  du  roi. 

Suit  un  titre  fort  long  (71),  presque  entièrement  emprunté  aux 
quatrième'",  cinquième*^'  et  sixième '^' conciles  de  Tolède;  il  y  est 
traité  des  devoirs  étroits  de  quiconque,  laïque  ou  ecclésiastique,  a 
prêté  serment  au  roi  ou  à  un  autre  prince  temporel  et,  en  général, 
des  devoirs  des  sujets  envers  le  roi.  Le  canon  3  du  sixième  concile  de 
Tolède  (638),  qui  rappelle  l'expulsion  des  Juifs  par  le  roi  Chintila, 
est  transcrit  avec  une  référence  très  précise;  mais  le  roi  visigoth  qui, 
dans  le  texte  original  du  concile,  n'est  pas  nommé,  devient,  pour 
Guillaume  Durant,  le  christianissimus princeps ,  Francomm  rexLudovicns. 
Ces  trois  derniers  mots  sont  une  addition  au  texte  du  concile '*^ 
addition  singulière  qui  appelle  une  observation.  Au  moment  où  il 
substituait  par  ce  procédé  au  roi  des  Visigoths  le  très  chrétien  roi  de 
France,  Guillaume  sentait,  croyons-nous,  le  besoin  de  placer  sous  les 
auspices  et  sous  le  patronage  du  pieux  roi.  Inscrit  par  Boniface  VHl 
au  rang  des  saints  vénérés  dans  l'Eglise,  sa  haine  des  Juifs,  haine 
accompagnée  d'un  goût  prononcé  pour  leurs  biens.  H  n'avait  pas  les 

'■'  Canon  75.  munication  de  M.  A.  Collon);  Troyes,  786, 

(»)  Canons  a  à  9.  loi.  i48  r°.  Ces  trois  mots  manquent  dnns  le 

'''  Canon  3.  ms.  latin  i443,  fol.  lxxvi  v°,  de  la  Bibl.  nat. 

'''   L'existence  de  ces  trois  mots  a  été  vérifiée  (xv'-xvi*  siècle),   qui  nous  ofiTre,  par  ailleurs, 

sur   les   manuscrits    suivants  :   Cues,  hôpital  nn  texte  détestable  et  dont  il  est  impossible  de 

Saint -Nicolas,    168,    fol.    78    v°;    Mazarine,  s'autoriser  pour  rayer  dans  tous  les  autres  les 

1687, 'fol.  08  r°;  Tours,  237,  fol.  77  v°  (com-  trois  mots  Francorwn  rex  Ludovicus. 

i3. 


100  r.UILLAUME  DURANT  I.E  JFXNE, 

mains  netles  ;  l'expulsion  générale  et  la  confiscation  décrétées  par 
Philippe  le  Bel,  en  i  3o6,  avaient,  on  s'en  souvient,  excité  ses  propres 
convoitises.  Il  aurait  voulu  s'approprier,  à  l'exclusion  du  roi,  tous  les 
biens  des  Juifs  établis  sur  ses  domaines;  le  roi,  ou  plus  exactement, 
les  gens  du  roi  avaient,  bien  entendu,  la  même  prétention.  Le  débat 
s'était  clos  récemment,  en  iSog,  par  une  transaction'".  Voilà  com- 
ment saint  Louis  prit,  sous  la  plume  complaisante  de  l'évoque  de 
Mende,  la  place  de  Chintila.  Ce  morceau,  très  hostile  aux  Juifs  et 
en  général  aux  non-catholiques,  acquérait  par  là  une  force  singulière. 
Le  patron  que  se  donnait  Guillaume  était  assez  heureusement  choisi. 

La  seconde  partie  du  traité  se  clôt  par  un  titre  récapitulatif  très 
court,  intitulé  :  De  reformatione  recjam  et  sœculanum  personariiin.  Les  rois 
et  les  princes  doivent  être  dirigés  par  un  conseil  de  prudhommes, 
et  non  abandonnés  à  eux-mêmes  ;  qu'ils  se  gardent  de  grever  les 
églises,  dont  les  (/ravamina  (au  nombre  de  cinquante)  ont  été  énumérés 
un  peu  plus  haut  dans  le  titre  70;  qu'ils  se  gardent  aussi  d'altérer 
les  monnaies,  de  créer  des  charges  inutiles  de  tabellions,  de  porter  la 
main  sur  les  clercs,  d'empêcher  les  églises  d'acquérir  des  biens;  qu'au 
lieu  de  les  vexer  et  de  les  grever,  ils  leur  donnent  des  protecteurs; 
qu'enhn  ils  n'abusent  pas  des  plaisirs  de  la  chasse.  Ici  notre  auteur 
renvoie  au  titre  5  1,  où,  par  suite  d'une  rédaction  hâtive,  il  avait  paru, 
on  s'en  souvient,  demander  que  la  chasse  fût  interdite  aux  princes 
comme  elle  l'est  aux  clercs.  Il  ajoute  un  renvoi  très  utile  à  tous  les 
titres  où  il  a  déjà  traité  de  la  réforme  des  rois  et  des  princes  séculiers. 

Une  observation  qui  lui  est  familière  résume  heureusement  sa 
pensée  :  la  réforme  des  rois  et  des  princes,  celle  de  l'Église  de  Rome, 
des  prélats,  des  religieux  et  de  tout  le  clergé  serait  un  adjuvant  puis- 
sant pour  la  réforme  générale  de  tous  les  séculiers,  car  la  conduite  des 
princes  et  celle  du  clergé  servent  d'exemple  aux  laïques. 

Avec  la  troisième  partie,  Guillaume  Durant  aborde  enfin  de  front 
cette  réforme  de  l'Eglise  dans  son  chef  et  dans  ses  membres  à  laquelle 
il  a  fait  déjà  de  si  fréquentes  allusions. 

Le  titre  1  est  intitulé  :  De  re/ormalioue  universalis  Ecclesie,  et  (juod 
ïti  en  est  primo,  a  capite,  scilicet  Romana  Ecclesia ,  prelatis  et  aliis  supe- 
riuribus  inclioandum  ''^ 

'''  Voir  ci-dessus,  p.  25  et  26.  —  '*'  Nous  suivons  le  ms.  de  la  Bibl.  nat. ,  latin  i443,  fol.  xlj  v°, 
car  les  éditions  donnent  un  texte  défectueux. 


ÉVÊQUE  DE  MENDE.  —  SES  ÉCRITS.  101 

L'Eglise  de  Rome  est,  à  la  fois,  la  tête  et  la  mère  de  toutes  les 
églises.  Elle  est  «omnibus  posita  in  spéculum  et  exemplum»;  elle 
doit  donc  être  ■■<  spéculum  sine  macula  atque  ruga,  exemplum  absque 
Il  reprehensionis  nota  ».  Si  la  tête  languit,  lous  les  membres  souffrent. 
Si  les  évêques  se  permettent  des  actes  pervers,  Itnirs  inférieurs  suivent 
facilement  cet  exemple,  car,  comme  l'a  dit  Sénèque,  les  actes  en  oppo- 
sition avec  les  paroles  ont  plus  d'influence  que  les  paroles. 

Suivent,  dans  ce  titre  i  et  dans  le  titre  2,  des  fragments  visigo- 
thiques,  qui  sont  à  rapprocher  de  ceux  qui  ont  déjà  été  signalés  plus 
haut.  On  peut  se  demander  si  quelque  confusion  dans  les  notes  de 
notre  auteur  n'explique  pas  la  bizarrerie  de  ces  citations. 

Le  titre  3  et,  un  peu  plus  loin,  le  titre  26  sont  fort  curieux,  quoique 
vides.  L'auteur  nous  explique,  sous  le  titre  3  comme  sous  le  titre  26, 
qu'il  voulait  traiter  des  rapports  du  pouvoir  temporel  avec  le  pouvoir 
spirituel,  mais  qu'il  préfère  renvoyer  tout  simplement  le  lecteur  à 
l'écrit  de  frère  Gilles,  archevêque  de  Bourges,  qui  a  étudié  cette 
question  avec  sa  science  profonde  et  vigoureuse,  son  talent  sublime. 
A  défaut  de  ce  que  nous  savons  déjà  de  la  doctrine  de  Guillaume 
Durant,  ces  renvois  suffiraient  à  nous  édifier;  Gilles  de  Rome  est,  en 
eflet,  cet  énergique  théoricien  de  la  suprématie  du  pouvoir  spirituel, 
auquel  sont  empruntés  plusieurs  passages  de  la  bulle  Unam  sanctam, 
et  qui  pourrait  bien  avoir  rédigé  lui-même  ce  document  fameux.  Le 
traité  visé  est  le  De  ecclesiastica  potestate,  dont  Charles  Jourdain  a 
signalé  naguère  le  caractère  et  l'importance. 

Notre  titre  3  est  intitulé  :  De  fiis  (juœ  imperatores,  reges,  principes 
et  domini  temporales  intra  Ecclesiam  et  m  personis  ecclesiasticis ,  rébus  et 
bonis  acjere  et  exercere  possunt.  Nous  relevons  en  note  les  passages  du 
traité  de  Gilles  de  Rome  qui  semblent  correspondre  à  la  question ,  fort 
complexe,  indiquée  en  ce  libellé'''.  Le  titre  26  est  intitulé;  De  potestate 

'''   «Aliter  eruni  [res]  sub  Ecclesia  et  aliter  •  dominio  vero  inferiori  et  secundario  debentur 

•  sub  60 [domino  teinporali]  erunt.  Sub  Ecclesia  •  potestatibus  terrenis  et  temporalibus  dominis 
oerunt  tanquain  sub  ea  que  habet  dominium  •  de  ipsis  temporalibus  rébus  alie  utilitates  et 

•  superius  et  priroarium,  quod  dominium  est  «  olia  emolumenta  que  proveniunt  ex  tempora 
«  principale  et  universale,  sed  erunt  sub  domino  ilibus  rébus. ..  In  temporalibus  suum  jus  nabet 
«  temporali  tanquara  sub  domino  qui  habet  do-  «  Ecclesia  et  suum  jus  habet  César»  (part.  III, 
«minium  inferius  et  secundarium,  quod  est  cap.  xi  ;  d'après  Jourdain ,  Un  oavraqe  inédit  de 
«immediatum  et  executorium.  Kx  hoc  autem  Gilles  de  Rome,  Paris,  18.S8,  p.  16,  note  1;  ex- 
«  dominio  superiori  debentur  Lcclesie  de  cm-  trait  d\x  Journal  général  de  l'inslraclion  publique). 

•  nibus  temporalibus  décime  et  oblationes;  ex  C(.  Hisl.litt.  delà  Fr..  t.  XXX,  p.  5ia-544. 


102  GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

ecclesiastica  snper  temporales  dominos  et  dominia  temporalia.  Il  s'agit  ici  des 
idées  fondamentales  de  Gilles  de  Rome,  et,  par  conséquent,  de  Guil- 
laume Durant.  Résumons  cette  doctrine. 

C'est  à  l'Eglise  que  le  Seigneur  s'adresse  par  la  bouche  du  prophète  : 
"Je  t'ai  établie  sur  les  nations  et  sur  les  royaumes,  pour  que  tu  les 
«arraches  de  la  terre  et  que  tu  les  détruises,  et  que,  les  ayant  dis- 
«  perses,  tu  fondes  et  élèves  de  nouveaux  empires'''.»  Il  appartient 
donc  à  l'Église  d'instituer  les  rois  et,  quand  ils  gouvernent  mal,  de  les 
juger.  Le  glaive  temporel  et  le  glaive  spirituel  sont  aux  mains  du 
pape,  comme  ils  furent,  sous  l'ancienne  Loi,  aux  mains  de  Moïse  et 
des  grands  prêtres.  Le  souverain  pontife  doit,  d'ailleurs,  user  avec 
modération  de  l'autorité  qui  lui  est  confiée  et  ne  pas  s'en  servir  pour 
porter  le  trouble  dans  les  Etats. 

L'Eglise  perçoit  la  dîme,  les  offrandes  et  les  autres  revenus  appar- 
tenant aux  institutions  religieuses.  Elle  a,  en  outre,  sur  toute  espèce 
de  biens  un  droit  supérieur.  En  d'autres  termes,  il  n'y  a  de  domimum 
que  suh  Ecclesia  et  per  Ecclesiam.  Nul  n'est  digne  de  succéder  aux 
biens  paternels,  s'il  n'est  serviteur  et  fds  de  l'Eglise.  La  puissance  de 
l'Eglise  est  telle  qu'il  est  impossible  d'en  calculer  et  d'en  mesurer 
l'étendue  :  In  Ecclesia  est  tanta  potestatis  plenitiido  (juod  ejiis  posse  est 
sine  pondère,  numéro  et  mensnra'^^K  Telle  est  textuellement  la  conclu- 
sion de  Gilles  de  Rome;  c'est  donc  aussi  celle  de  Guillaume  Durant. 
Mais  il  renvoie  le  lecteur  au  canoniste  dont  il  adopte  la  doctrine, 
sans  prendre  la  peine  de  formuler  à  son  tour  ce  qu'a  dit  Gilles  de 
Rome. 

Le  titre  A  est  consacré  à  l'instruction  du  clergé,  qui  devrait  être 
l'objet  des  préoccupations  et  des  soins  les  plus  assidus.  Guillaume 
expose  ici  des  vues  personnelles.  Bien  des  questions,  dit-il,  sont  con- 
troversées; le  souverain  pontife  ne  devrait-il  pas  en  déférer  l'examen  à 
des  hommes  instruits  et  compétents  qui  prononceraient  sur  les  points 
douteux?  Mais  notre  évêque  sent  immédiatement  le  danger  de  ces  so- 
lutions officielles  ou  quasi-ofFicielles,  et  il  ajoute  ces  mots  essentiels: 
«  remanentibus  tamen  ipsarum  scientiarum  textibus  originalibus».  II 
faudrait,  de  plus,  faire  rédiger  de  petits  résumés  de  la  doctrine,  qui 
seraient  de  la  plus  grande  utilité  dans  les  écoles;  ils  ne  seraient  pas 

''•  Jéremie,  I,  lo.  —  '''  Ch.  Jourdain,  mémoire  cité. 


ÉVÈQLE  DE  MENDE.  —  SES  ÉCRITS.  103 

moins  utiles  aux  administrateurs  et  à  tous  ceux  qui  ont  charge 
d'àmes. 

Autre  vœu  :  le  pape,  les  cardinaux,  les  prêtres  ne  devraient-ils  pas 
se  faire  lire  l'Ecriture  sainte  pendant  les  repas,  comme  le  recom- 
mandent plusieurs  conciles  (tit.  5)  ? 

Le  titre  6, est  consacré  aux  enterrements  :  notre  auteur  voudrait  en 
bannir  les  pleureurs  et  les  pleureuses. 

Le  titre  7  traite  des  enfants  procréés  par  des  clercs  engagés  dans 
l'ordre  du  sous-diaconat  et  dans  les  ordres  supérieurs  :  ces  enfants, 
qui  sont  des  bâtards,  n'ont  aucun  droit  successoral;  Guillaume  tient 
beaucoup  à  établir  qu'ils  sont  serfs  de  l'Eglise'*'. 

Une  question  relative  aux  offices  fait  l'objet  du  titre  8.  (^uand  la 
chose  est  possible,  le  célébrant  devrait  avoir  près  de  lui  un  coadjuteur, 
qui  le  puisse  au  besoin  suppléer;  il  n'est  trop  souvent  assisté  que 
par  des  personnes  qui  sont  à  peine  capables  de  répondre  aux  prières 
(tit.  8). 

Dans  le  titre  9,  Guillaume  Durant  s  occupe  des  revenus  ecclésias- 
tiques. D'après  divers  conciles,  ces  revenus  devraient  être  divisés  en 
trois  parties  égales  :  l'une  attribuée  à  l'évêque,  l'autre  aux  clercs 
assistant  à  l'office  divin,  la  troisième  aux  réparations  de  l'église  et  à 
la  fabrique.  Or,  dans  certains  diocèses,  les  évêques  touchent  la  pres- 
que totalité  des  revenus;  dans  d'autres,  presque  rien.  N'y  aurait-il 
pas  à  ce  sujet  quelque  décision  nouvelle  à  prendre  ? 

Le  titre  10  est  consacré  au  costume  ecclésiastique. 

Le  titre  1 1  aborde  une  question  intéressante,  qui  eût  été  mieux 
placée  à  côté  du  titre  6,  consacré  aux  enterrements  :  il  a  pour  objet 
d'obtenir  l'interdiction  d'inhumer  à  l'intérieur  des  églises  d'autres 
corps  que  ceux  des  évêques,  des  abbés,  des  dicjni  presbyleri  et  des 
fidèles  laici.  On  y  sent  l'embarras  de  notre  réformateur,  qui  pose  une 
règle  et  l'énervé  immédiatement  par  de  larges  et  flottantes  exceptions. 

Les  titres  la  et  i3  ont  trait  à  la  liturgie  et  aux  jeûnes.  Au  titre  \k 
l'auteur  agite  une  importante  question  de  procédure,  qui  concerne 
la  déposition-  des  évêques  et  des  cardinaux.  11  s'agit  du  nombre  des 
témoins  requis  en  pareil  cas  :  l'auteur  invoque  le  texte  des  Fausses 
Décrétales  inséré  au  Décret'^'. 

'"'  C'est  la  doctrine  du  neuvième  concile  de  '*'  Décret  de   Gratien,  C.  II,  qu.  v.,c.  9 

Tolède ,  canon  1  o.  et  3. 


104  GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

Dans  le  titre  i5  est  visé  l'abus  des  quêtes  et  des  quêteurs  qui  sé- 
duisent les  simples  :  «  Videretur  super  hoc  de  competenti  remedio 
«  providendum ,  et  insuper  quod  cessarent  quaestus  cursorum  et 
«  nuntiorum  Romanae  curiae.  » 

Le  titre  16,  que  l'auteur  consacre  aux  Ordres  mendiants,  révèle  des 
vues  pratiques,  vraiment  très  sages,  et  suffit  à  dénjontrer  que 
Guillaume  Durant  savait  à  l'occasion  faire  preuve  tout  à  la  fois  de  sens 
critique  et  d'esprit  bienveillant.  Il  n'ignore  aucun  des  reproches  ([u'on 
peut  adresser  aux  religieux  mendiants,  mais  il  admire  les  grands 
exemples  que  donnent  la  plupart  d'entre  eux,  et  il  voudrait  qu'on  les 
utilisât  pour  le  service  des  paroisses  confiées  à  des  curés  ignorants  et 
négligents. 

Il  passe  ensuite  aux  lépreux  et  insiste  sur  la  nécessité  de  les  isoler; 
il  voudrait  que  la  nourriture  leur  fût  assurée  par  les  communautés, 
«quod  de  publica  alimonia  praestaretur  eisdem  »  (tit.  17).  II  faudrait 
de  même  pourvoir  aux  besoins  des  mendiants  invalides,  et  interdire 
la  mendicité  aux  mendiants  valides  (tit.  18),  fonder  enfin,  partout  où 
ces  maisons  n'existent  pas,  des  asiles  pour  les  pauvres  voyageurs, 
pour  les  orphelins,  pour  les  vieillards,  pour  les  nourrissons,  et,  plus 
généralement,  pour  les  malheureux,  restaurer  les  établissements  de 
ce  genre  qui  existent  et  leur  rendre  leur  avoir  dissipé  (lit.  19). 

Toute  peine  pécuniaire  infligée  par  l'Eglise  à  des  sacrilèges  ou  à 
des  excommuniés  devrait  être  appliquée  à  des  œuvres  pies.  Toute 
autre  pratique  fait  dire  du  mal  de  l'Eglise.  Les  voies  de  coercition 
devraient  être  employées  contre  les  excommuniés  qui  ne  viennent  pas 
à  résipiscence  (tit.  20). 

Le  titre  21,  consacré  à  la  question  des  dîmes,  trop  souvent  non 
acquittées,  est  très  bref,  et  fait  supposer  que  l'auteur  aperçoit  maintes 
dinicultés  et  complications  que  le  concile  devra  résoudre'"'. 

Dans  les  titres  22  et  23,  l'auteur  reprend  une  question  qui,  on  le 
sait,  lui  tient  fort  à  cœur  :  l'insoumission  des  moines  au  regard  de 

'■'  Puisque  nulle  part,  fait  observer  Guil-  Sur  le»  dîmes  dites  personnelles,  voir  J.  Viard, 

Jaunie,  ne  sont  acquittées  les  dîmes  personnelles,  Histoire   de   la    dîme  ecclésiastique  aux  xii'  et 

•  q>i;rdebpnlur  ex  negotiatione,  artificio,  scien-  xiir'  siècles,  p.  16-18.  Le  Specalator  a  dit,  en 

•  tia,  militia  et  venatione,  et  maxime  in  Italia  ternies  absolus,  mai»  vague»  :  •  Omnes  fidèles 

•  et    inulli";    aliis    partibus...,   videretur  esse  «  integraliter  illa»  solvant  de  omnibus  proven- 

•  propter  aniroorum  periculum  super  his  per  itibusi  {Instruct.  et  Conslit.  de  Guillaume  Du- 

•  Ecclesiam  providendumi  (part.  111,  tit.  aij.  ranl ,  p.  83). 


FA'EQIIE  DE  MENDE.  —  SES  ECRITS.  105 

l'évêque  (lit.  23).  À  ce  problème,  toujours  présent  à  son  esprit,  se  rat- 
tache la  situation,  déplorable  à  certains  égards,  des  paroisses  dont  le 
titulaire  est  à  la  présentation  d'une  maison  religieuse.  À  ce  mal,  qui  est 
grand,  le  concile  devra  pourvoir  par  des  remèdes  appropriés  (tit.  22). 

Avec  le  titre  24,  Guillaume  aborde  une  série  de  questions  d'ordre 
temporel.  Il  voudrait  qu'on  mît  un  terme  à  l'altération  des  monnaies 
et  à  celle  des  poids  et  mesures.  H  s'élève  contre  les  dots  et  les  trous- 
seaux exagérés  que  les  parents  constituent  à  leurs  fdies;  contre  les 
vexations  et  spoliations  dont  les  puissants  accablent  les  hommes  libres, 
les  transformant  ainsi  en  véritables  serfs;  contre  les  créations  arbi- 
traires de  nouveaux  tonlieux  et  péages;  contre  les  nominations  de 
notaires  ignorants  et  incapables. 

Des  ambitions  rivales  se  donnaient  rendez-vous  sur  ce  terrain  des 
tabellionages;  le  souverain  pontife  avait  ses  notaires,  le  roi  avait  ses 
notaires,  l'évêque  avait  ses  notaires.  Nous  devinons  facilement  que,  au 
jugement  de  l'évêque,  ignorants  et  incapables  se  rencontrent  parmi 
les  notaires  royaux  ,  plutôt  que  dans  les  rangs  des  notaires  éiiiscopaux. 
A  ces  notaires  royaux  Guillaume  fil  d'ailleurs  une  rude  concurrence 
en  créant  des  cliarges  nouvelles;  nous  aimons  à  penser  que  les  notaires 
épiscopaux  institués  par  le  vicaire  général,  auquel  Guillaume  avait 
conféré  ce  pouvoir''',  furent,  ainsi  que  les  notaires  apostoliques  nommés 
par  l'évêque  lui-même  à  ce  autorisé  par  le  souverain  pontife'-*,  des 
hommes  instruits  et  capables,  bien  préférables  aux  notaires  royaux. 

Au  titre  25,  sont  traitées  deux  questions  très  différentes.  Dans  un 
premier  paragraphe,  l'auteur  exprime  le  vœu  qu'aucun  bénéfice  ecclé- 
siastique ne  puisse  être  concédé,  fût-ce  par  lettres  apostoliques,  à 
celui  qui  s'est  rendu  coupable  d'offenses  envers  l'Eglise,  ou  dont  les 
parents  jusqu'au  troisième  degré  (cousins  issus  de  germains)  sont 
dans  le  même  cas,  et  ce  jusqu'à  entière  satisfaction.  11  propose  aussi 
que  ces  mêmes  fautes  entraînent,  pour  ceux  qui  s'en  rendront  cou- 
pables, déchéance  du  droit  de  jirésentation  aux  bénéfices.  Guillaume 
Durant  demande  ici  tout  simplement  l'extension  et  la  généralisation 

'"'  Archives  de  la  Lozère,  G  3o.  de  revendiquer  le  droit  de  créer  des  notaires 

'''   MoUat    et    P.   de    Losquen,  Jean  XXII,  dans  toute  l'élendue  de  son  évêclié,  droit  que 

Lettre!  communes,  n°  6536   (année   i3i8).  —  lui    contestait    le    lieutenant  du    sénéchal    de 

Cette  question  des  notaires  institues  par  l'évêque  Beaucaire  (lettre  de  Chsrles  le  Bel  au  sénéchal 

était  l'objet  de  contestations  et  de  litiges.  Vers  de  Beaucaire,  1 4  janvier  iSa^;  Archives  de  la 

la  fin  de  son  episcopat,  Guillaume  eutl'occasion  Lozère,  G  3o). 

HIST.   LITTÉn.  XXXV.  l4 


100  GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

d'une  refile  qu'il  a  établie  dans  son  propre  diocèse  et  qu'il  a  fait 
conlirmer,  en  1 3o.i,  par  Boniface  VIII  •''.  Dans  un  second  paragraphe, 
Guillaume  se  plaint  vivement  des  interdits,  suspenses  et  excommuni- 
cations que  les  délégués  du  siège  apostolique  fulminent  tout  à  coup, 
et  parfois  sans  cause  suffisante,  ne  suspendant  l'exécution  de  la  sen- 
tence que  pendant  un  délai  beaucoup  trop  court  (six  jours),  accordé 
pour  obtempérer  à  l'ordre  intimé. 

Nous  avons  déjà  mentionné  le  curieux  titre  26,  où  l'exposé  de  la 
suprématie  du  pouvoir  spirituel  se  réduit  à  un  simple  renvoi  à  Gilles 
de  Rome'"^'. 

Nous  arrivons  au  titre  27  :  Guillaume  Durant  se  place  enfin  face 
à  la  cour  de  Rome,  objet  constant  de  ses  préoccupations.  Tradui- 
sons ses  propres  paroles  : 

Quant  à  la  réforme  de  l'Église  de  Rome,  Eglise  qui  ne  doit  avoir  ni  tache,  ni  ride, 
Kf;lisc  qui  est  la  mère  de  la  foi  et  doit  être  la  maîtresse  de  l'Eglise  universelle.  Eglise 
à  lacjuelie  doit  être  rapporté  et  par  laquelle  doit  être  réglé  tout  ce  qui  touche  à 
notri'  sainte  religion,  il  semblerait  bon  qu'elle  se  manifesti'it  comme  la  norme  et 
comme  l'école  des  vertus,  et  que,  par  sa  vie  exemplaire  et  par  sa  fidélité  à  suivre  elle- 
même  les  voies  de  la  justice,  elle  marquât  aux  autres  la  règle  de  la  conduite  et 
ne  s'abandonnât  à  aucun  abus.  Ayant  ainsi  commencé  par  se  corriger  elle-même, 
s'.ippuyant  sur  l'amour  de  Dieu  et  du  prochain,  sur  l'humilité  vraie,  sur  l'honnê- 
teté de  la  conduite,  sur  la  gravité  des  mœurs,  sur  le  zèle  pour  le  culte  divin,  sur 
la  simplicité  de  la  table  et  du  costume,  ayant  su  restreindre  le  luxe  et  la  superfluité 
des  ornements,  de  l'apparat,  de  la  domesticité,  de  la  mise  en  scène,  riche  d'une 
science  profonde,  l'œil  enfin  débarrassé  de  la  poutre,  elle  pourrait  corriger  tout  ce 
qu'elle  verrait  de  mauvais  et  défectueux  en  ses  sujets,  et  elle  accomplirait  la 
réforme  suivant  l'exemple  du  Christ,  lequel  a  commencé  à  agir  avant  d'enseigner. 

I^a  première  loi  qu'elle  s'imposerait  serait  celle  de  ne  transgresser  ni  les  lois  divines 
ni  les  lois  humaines,  de  n'accorder  aucune  dispense  contraire  à  ces  lois,  de  ne 
délivrer  ni  privilèges,  ni  indulgences,  ni  exemptions,  de  révoquer  toutes  faveurs  anté- 
rieurement concédées  et  contraires  à  ces  lois.  Le  pape  ne  devrait  rien  faire  d'impor- 
tant sans  le  conseil  de  ses  frères;  il  ne  devrait  pas  révoquer  ce  qui  a  été  raisonnable- 
ment décidé'ou  accordé  par  ses  prédécesseurs;  il  ne  devrait  tolérer  aucune  atteinte 
à  la  liberté  de  l'Eglise. 

Après  cette  entrée  en  matière,  l'auteur  rappelle  ce  principe,  que 
les  évêques  sont  les  successeurs  des  apôtres  et  qu'ils  tiennent  de  Dieu 

'■'   f{e<iistres    de    Boniface    VIII,    n"    4985         le   résumé  que   nous  avons  sous  les  yeux    ne 
(a3  décembre  i3o3).  Ce  dorument  concerne         parle  pas  du  droit  de  presenUlion. 
seulement  les  canonicals  de  l'église  de  Mende;  '*'  Voir  ci-dessus,  p.  loi. 


ÉVÈQLE  DE  ^lENDE.  —  SES  ÉCRITS.  107 

parcmcum  Petro  honorem  et  potestatem.  Ils  doivent  donc,  ainsi  que  tous 
les  hauts  dignitaires,  archevêques,  primats,  patriarches,  abbés,  rece- 
voir les  honneurs  et  occuper  les  places  qui  leur  sont  dues.  En  consé- 
quence, Guillaume  demande  : 

Que  les  pontifes  romains  ne  troublent  point  l'ordre  établi  dans 
l'Église  par  Dieu,  par  les  apôtres  et  par  les  conciles;  qu'ils  .s'abstien- 
nent par  conséquent  de  toute  usurpation  dans  le  jugement  des  affaires 
litigieuses,  de  toute  usurpation  en  la  connaissance  des  causes  portées 
en  appel;  qu'ils  s'abstiennent —  l'abus  dont  i\  s'agit  est  plus  grave 
encore  —  de  conférer  évêchés,  patriarchats,  archiépiscopats;  qu'ils 
renoncent  enfin  au  système  des  réserves,  car  ces  procédés  jettent 
l'Église  entière  dans  le  désordre  et  la  confusion*''. 

Que  dans  les  cas  où  les  papes  accorderaient  certaines  provisions, 
les  dignitaires  pourvus  par  eux  ne  soient  pas  indignes,  ignorants, 
insuffisants  ou  affligés  de  quelque  irrégularité  canonique,  mais  qu'ils 
soient  ductores  bene  litterati  et  hene  ineriti. 

Que  la  cour  de  Rome  ne  se  contente  pas  de  se  défendre  par  des 
mots,  qu'elle  se  défende  par  le  fait  de  toute  apparence  de  simonie, 
de  tnipta  et  inhonesta  lucra,  de  toutes  exactions  à  l'occasion  soit  de  pro- 
motions, soit  de  déhvrance  de  lettres  pontificales,  de  toutes  exactions 
par  la  voie  de  ses  légats,  de  ses  courriers,  de  ses  nonces;  que  le  sei- 
gneur pape  et  les  cardinaux  se  fassent  libéralement  et  facilement 
accessibles;  qu'enfin  nos  seigneurs  les  cardinaux  mettent  tous  leurs 
revenus  en  commun  et  n'aient  séparément  aucun  bénéfice  ecclésias- 
tique; que  la  cour  de  Rome  ne  confère  jamais  plusieurs  offices  à  la 
fois,  soit  à  un  cardinal,  soit  à  tout  autre;  qu'elle  ne  pourvoie  pas  de 
bénéfice  celui  qui  ne  parle  ni  ne  comprend  la  langue  du  pays. 

Qu'aucun  procès  en  cour  de  Rome  ne  se  prolonge  plus  de  trois 
ans;  qu'aucun  appel  en  cour  de  Rome  ne  soit  reçu  après  deux  ans; 
que  toutes  les  affaires  des  indigents  soient  traitées  et  terminées  abscjue 
strepitu  et  figura  judiciorum. 

Que  l'Église  de  Rome  ne  promulgue  aucune  loi  générale  sans  avoir 
convoqué  un  concile  œcuménique,  et  que  ce  concile  se  réunisse  régu- 
lièrement tous  les  dix  ans. 

Qu'enfin  la  cour  de  Rome,  observant  vis-à-vis  d'elle-même  tout  ce 

'"'  On  se  rappeJlera  que  Guillaume  Durant  par  application  du  principe  des  réserves  en  cas 
lui-même  avait  été  promu  évêque  de  Mende         de  vacance  in  curia.  Voir  ci-dessus,  p.  5. 

i4. 


108  GUILL\UME  DURANT  I.E  JEUNE, 

qui  a  été  sagement  réglé  et  ordonné,  fasse  observer  ces  aiènies  lois 
et  règlements  dans  toute  l'Eglise  par  les  patriarches  et  primats;  ceux- 
ci  imposeront  à  leur  tour  la  même  discipline  aux  archevêques  et  mé- 
tropolitains; ces  derniers  l'imposeront  aux  évéques;  les  évêques  l'im- 
poseront aux  abbés,  aux  chapitres,  à  tous  les  séculiers  et  réguliers. 
Pour  assurer  cet  oi'dre  parfait,  des  exécuteurs  et  visiteurs  pourraient 
être  envoyés  par  la  cour  de  Rome  dans  les  divers  royaumes  ;  tous  les 
trois  ans  ces  délégués  de  Rome  assisteraient  à  un  concile  provincial. 

Que  les  faveurs  et  l'argent  n'aillent  pas  à  des  laïques,  parents  ou 
amis  soit  du  souverain  pontile,  soit  des  cardinaux,  soit  d'autres  digni- 
taires ecclésiastiques;  que,  dans  la  mesure  du  possible,  les  laveurs  de 
cette  catégorie  déjà  accordées  soient  retirées. 

Qu'aucun  ecclésiastique  ne  soit  admis  en  cour  de  Rome  sans  lit- 
lerœ  coinincndalitiœ  de  son  évêque ,  et  que,  sans  motif  sérieux,  il  n'y 
reste  pas  plus  de  six  mois. 

Que,  sur  les  biens  surabondants  des  ecclésiastiques,  soit  prélevée 
une  somme  raisonnable  alléclée  aux  besoins  de  la  cour  de  Rome,  qui 
pourra  ainsi  se  sulTire  honorablement  et  supporter  les  charges  qui 
lui  incombent;  cette  provision  n'aura  rien  d'odieux  comme  lerait 
une  taxe,  à  condition  que  l'Église  romaine  n'aille  point  désormais 
outre  ou  contre  ce  qui  vient  d'être  dit,  à  condition  qu'elle  se  soumette 
aux  autres  mesures  qui  paraîtront  raisonnables  au  concile,  et  qu'elle 
ne  puisse  plus  étendre,  au  ]Méjudice  des  lois  divines  et  humaines, 
les  bornes  de  sa  pleine  puissance. 

Un  ])aragraphe  est  consacré  à  l'élection  des  papes.  Nous  pouvons 
le  résumer  ainsi  qu'il  suit  :  les  cardinaux  auront  trois  mois  pour  élire 
le  nouveau  pape;  si,  dans  les  trois  mois  de  la  vacance,  l'élection  n'a 
pas  eu  lieu,  les  cardinaux  seront,  pour  cette  fois,  déchus  de  leur 
droit,  et  l'élection  sera  transférée  ad  aluiuos  arcliiepiscopos  et  episcopos, 
et  alios  de  (juibus  videretar  expédions;  si  cette  solution  ne  paraît  pas 
acceptable,  (px'on  en  trouve  (juelque  autre  qui  complète  les  prescrip- 
tions de  Grégoire  X  et  contraigne  les  cardinaux  à  s'entendre. 

Que  le  seigneur  pape  ne  soit  pas  qualifié  universahs  Ecclesiœ  ponti- 
Je.v,  ce  qui  a  été  prohibé  par  Grégoire  le  Grand.  Ce  n'est  pas  la  pre- 
mière fois  que  l'évéque  de  Mende  formule  ce  vœu'''. 

'"'  Cf.  ci-dessus,  j>.  88,  93,  et  li-dessous ,  p.  1  i8. 


ÉVÈQUE  DE  MENDE    —  SES  ÉCRITS.  109 

Que  les  évêques  et  cardinaux  ne  puissent  être  condamnés  si,  pour 
jusliiler  l'accusation  portée  contre  eux,  n'a  été  produit  le  nombre  de 
témoins  prescrit  par  le  pape  Clément'''. 

Ici  Guillaume  Durant,  s'apercevant  peut-être  qu'il  comnience  à  se 
répéter,  fait  remarquer  que  beaucoup  d'autres  observations  relatives 
à  la  réforme  de  l'Église  de  Rome  ont  déjà  été  consignées  dans  la  pre- 
mière partie  de  ce  traité  et  en  plusieurs  titres  de  la  seconde  partie. 
À  ces  divers  titres  notre  auteur  renvoie  avec  précision. 

Les  titres  suivants  (28  et  29)  sont  intitulés  :  De  reforinationeprœla- 
toram  et  De  re/'ormalione  cleri.  Dans  le  premier  de  ces  titres,  l'auteur 
réclame  la  tenue  de  conciles  provinciaux,  insiste  sur  le  devoir  de  la 
résidence  Incombant  aux  évêques ,  surtout  tenipoie  clirismatis  conjiciendi , 
et  sur  la  visite  annuelle  du  diocèse,  blâme  les  excommunications, 
suspenses,  interdits,  lancés  sans  raison  ou  pour  des  motifs  futiles, 
s'élève  contre  les  excès  du  luxe,  rappelle  enfin  aux  évêques  qu'ils 
doivent  pourvoir  leurs  diocèses  de  bons  maîtres  chargés  d'enseigner. 
Dans  le  second  nous  retrouvons  des  observations  déjà  faites  :  les 
clercs  doivent  s'abstenir  des  sœculares  curœ  et  des  nccjotia  sœcidana. 
Aucun  clerc  ne  doit  mendier.  Pour  être  admis  à  la  cléricature,  il 
faut  avoir  de  quoi  vivre  :  haberent  iinde  viverent.  A  détaul  d  un  patri- 
moine, une  profession  honnête  suflira  [ars  scribendi  sen  aha  Iwnesta 
ars).  Aucun  séculier  ne  sera  admis  à  une  ordination  s'il  ne  sait  sulïi- 
samment  chanter  et  lire,  s'il  n'entend  et  s'il  ne  parle  convenablement 
le  latin.  Quant  à  l'ordre  de  prêtrise,  il  ne  pourra  être  conféré  qu'à 
ceux  qui,  indépendamment  des  connaissances  déjà  indiquées,  sau- 
ront les  canons  pénitentiaux  et  tout  ce  qui  est  nécessaire  à  la  direction 
des  âmes. 

Les  ecclésiastiques  ne  cohabiteront  pas  avec  des  femmes.  Tous 
ceux  d'une  même  paroisse  devraient  vivre  ensemble,  sub  disciplina 
curati  vel  alionim  probomm.  Nous  retrouvons  ici  cette  préoccupation 
de  la  vie  commune,  qui  reparaît  à  toutes  les  époques  de  l'histoire  de 
l'Église.  Le  bon  ordre  veut  aussi  que,  les  dimanches  et  jours  de  fête, 

1')  11  fallait  dire,  comme  au  lit.  i4,  le  pape  que  dans  le  Décret  de   Gratien,  G.  II,  qu.  iv, 

vSilveslre.    On    trouvera    le    texte    du    concile  c.  a  :  il  faut  7a    témoins  pour  condamner  un 

apocryphe  de  Silvestre  dans  Hinschius,  Deere-  évéque,  04  pour  condamner  un  cardinal  prêtre, 

taies  Psewio-hidoiianœ,  p.  4^9,  et  le  passage  27  pour  condamner  un  cardinal  diacre,  ce  (|Ui 

de  ce  concile ,  que  vise  Guillaume  Durant ,  dans  revient  à  dire  qu'il  est  à  peu  près  impossible  de 

les  Capitula  Angilramni.  ibid.,  p.  768,    ainsi  condamner  un  de  ces  prélats. 


1  0 


110  GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

les  ecclésiastiques  se  réunissent  aux  offices,  et  qu'ils  ne  voyagent  pas 
sans  lettres  de  l'évêque. 

Suit  le  titre  3o,  De  reformatione  relujiosorum;  le  texte  même  ne  ré- 
pond pas  à  ce  libellé.  L'auteur,  après  un  renvoi  aux  chapitres  où  déjà 
il  s'est  occupé  des  religieux,  copie  le  canon  lo  du  huitième  concile 
de  Tolède  (653)  et  le  décret  qui  clôt  ce  concile.  Ces  textes  n'ont 
pas  trait  aux  religieux  et  concernent  l'élection  et  les  devoirs  des  rois. 
Vers  la  fin  de  cette  longue  intercalation,  Guillaume  Durant  nous  rap- 
pelle —  c'est  une  pensée  qui  l'obsède  —  que  le  successeur  de  Pierre 
n'a  pas  reçu  le  privilège  nun  peccandi.  Mais  il  ajoute,  cette  fois,  copiant 
un  autre  texte  bien  connu,  qu'aucun  mortel  n'a  le  droit  de  convaincre 
de  faute  le  pontife,  «  quia  cunctos  ipse  judicaturus  a  nemine  est  judi- 
«  candiis,  nisi  a  fide  deprehendatur  devins ''^). 

Le  titre  3  i  et  le  titre  32  sont  consacrés  aux  moyens  de  réft)rmer 
l'Eglise  universelle.  Réformer  le  pouvoir  spirituel  et  le  pouvoir  royal, 
voilà  les  choses  urgentes.  Toutes  les  mesures  prises  contre  le  droit 
naturel,  le  droit  divin,  le  droit  positif,  tous  privilèges,  libertés, 
immunités,  exemptions  contraires  au  droit,  doivent  être  révoqués 
par  les  pontifes  et  par  les  princes  temporels.  Ici  l'auteur  reprend  son 
thème  favori,  le  trouble  apporté  par  l'Église  de  Rome  à  f ordre  gé- 
néral de  l'Eglise.  Quant  aux  rois,  notre  auteur  leur  rappelle  ce  prin- 
cipe, formulé  notamment  par  Isidore  :  le  prince  doit  observer  ses 
propres  lois. 

Il  revient,  dans  le  titre  32  ,  à  la  cour  de  Rome  :  qu'elle  se  réforme  la 
première  pour  réformer  ensuite  graduellement  toute  l'Eglise.  Négliger 
de  réformer  les  abus  qui  régnent  parmi  les  prélats,  c'est  un  j)éché 
mortel  qui  doit  être  suivi  de  la  déposition,  «  et  deposilionem  inducit, 
«sicut  jura  testantur».  Ici  Guillaume  Durant  oublie  qu'il  a  invoqué 
un  peu  plus  haut  la  doctrine  d'après  laquelle  le  pape  ne  doit  être  jugé 
par  personne. 

Du  titre  33  au  titre  3g,  l'auteur  passe  en  revue  les  vices  qu'on  a 
appelés  les  péchés  capitaux,  depuis  l'avarice  jusqu'à  la  paresse.  Inu- 
tile d'ajouter  que,  suivant  son  habitude,  il  ne  songe  point  à  un  exposé 
pédagogique  et  ne  s'attache  pas  à  énumérer  les  péchés  ou  vices  que 
l'école  envisage  comme  fondamentaux.  Son  exposé  n'est   même  pas 

'"'  Décret  de  Gratien,  D.  xl,  c.  6. 


ÉVÈQUE  DE  MENDE.  —  SES  ÉCRITS.  111 

assez  technique  pour  que  nous  sachions  très  sûrement  s'il  compte, 
avec  les  auteurs  dont  la  doctrine  est  devenue  classique,  sept  péchés, 
ou,  avec  d'autres  écrivains, huit  péchés  capitaux. 

L'avarice  d'abord,  àpreté  au  gain  de  l'Eglise  de  Rome  et  de  l'Eglise 
tout  entière,  est  un  de  ses  sujets  favoris  :  l'argent,  écrit-il,  joue  un 
rôle  constant  dans  les  collations  de  bénéfices  et  de  dignités  ecclésias- 
tiques; les  légats,  les  nonces,  les  familiales  du  saint-siège  sont  d'in- 
tolérables quêteurs.  Subsides,  procurations,  frais  pour  la  délivrance 
des  lettres  apostoliques  et  pour  le  sceau,  indulgences,  privilèges, 
dispenses,  exemptions,  tout  se  ramène  à  l'argent.  Les  offices  de  justice 
se  vendent;  ce  sont  de  tous  côtés  tiirpia  lucra  et  inhoncsta,  et  beau- 
coup (le  ces  trafics  sentent  l'usure.  Des  petits  jusqu'aux  grands,  tous, 
en  celte  Église,  sont  avides  et  avaricieux  ;  voilà  le  cri  universel.  Non 
seulement  le  pauvre,  qui  ne  peut  rien  oflVir,  est  traite  avec  mépris, 
mais  en  sa  personne  la  vérité  et  la  justice  sont  opprimées;  quant  au 
coupable,  qui  se  peut  racheter  avec  des  écus,  il  n'a  rien  à  crainclre 
(tit.  33).  Partout  le  luxe,  l'ostentation,  l'orgueil  et  la  vaine  gloire 

(lit.  34).  ,       ,       , 

Dans  le  titre  35,  l'auteur  s'occupe  surtout  des  mœurs  du  cierge. 
Son  attention  s'était  portée  antérieurement  sur  ce  sujet;  il  s'était  même 
demandé  (livre  II,  titre  46),  sans  conclure,  s'U  n'y  aurait  pas  lieu 
d'admettre  en  Occident  la  pratique  de  l'EgUse  d'Orient  qui  permet  le 
mariage  des  clercs  engagés  dans  les  ordres  majeurs.  En  ce  passage, 
il  ne  revient  pas  sur  cette  question  et  se  borne  à  rappeler,  en  les 
appuyant  de  nombreux  textes,  les  préceptes  qui  constituent  pour  le 
clergé  la  règle  des  mœurs. 

Suit  une  exhortation  à  la  sobriété ,  où  il  est  recommandé  aux  évêques 
qui  visitent  leurs  diocèses  de  ne  pas  se  faire  servir  trop  somptueuse- 
ment par  les  curés  (tit.  36). 

Dans  les  titres  Sy  à  39,  l'auteur  met  le  clergé  en  garde  contre 
l'envie  et  la  fureur  des  dénigrements  entre  confrères,  contre  la 
colère,  si  dangereuse  surtout  chez  celui  qui  est  appelé  à  rendre 
la  justice,  enfin  contre  Vacedia,  qui,  pour  l'évêque  de  Mende,  est 
synonyme  de  neglicjenlia  et  iynorantia.  Guillaume  s'étend  longuement 
sur  ce  vice  et  sur  les  moyens  de  le  combattre.  Il  distingue  lanegli- 
gentia  eraditionis,  la  negligentia  circa  curam  animarum,  la  neghgentia 
circa  ojficmm. 


112  (GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

Neqliqentia  eniditionis.  —  Contre  cette  pestis  icjnorantiœ ,  le  premier 
remède  est  le  choix  des  évêques  :  ils  ne  doivent  être  ni  processifs,  ni 
cupides,  mais  pudiques,  instruits  dans  la  loi  du  Seigneur  (tit.  4o]. 
Quant  aux  curés,  il  importe  qu'ils  ne  soient  pas  non  plus  paresseux, 
ignorants,  négligents.  Ne  serait-il  pas  opportun  de  provoquer  la  com- 
position d'un  guide  très  simple  à  leur  usage?  Les  canons  pénitentiaux 
y  seraient  reproduits;  un  concile  de  Tolède  prescrivit  jadis  une  me- 
sure de  ce  genre  '''  (tit.  4  i  )• 

Une  sollicitude  analogue  doit  présider  à  la  formation  de  tous  les 
clercs  (tit.  42).  Ici  l'auteur  rappelle  les  prescriptions  du  concile  gé- 
néral de  Lalran,  qui  ordonne  la  nomination  dans  toutes  les  églises 
cathédrales  et  dans  toutes  autres  églises  importantes  de  maîtres  qui 
seraient  chargés  d'instruire  les  pauvres  clercs,  et  même  les  laïques, 
et  de  leur  apprendre  gratuitement  le  chant,  la  lecture,  l'écriture, 
la  grammaire  et  la  logique '"^^.  Ce  vœu  donne  une  extension  considé- 
rable au  canon  1  1  du  quatrième  concile  de  Latran'^*,  lequel  ne  men- 
tionne ni  les  laïques  ni  l'enseignement  de  la  logique. 

L'évêque  de  Mende  conseille  aussi,  en  invoquant  l'autorité  d'un 
concile  de  Tolède'"',  la  création  d'établissements  qui  ressembleraient 
à  nos  petits  séminaires.  On  y  accueillerait  et  on  y  instruirait,  dans  un 
local  clos  [sub  uno  conclavi) ,  les  enfants  destinés  par  leurs  parents  à  la 
cléricature;  ils  recevraient  la  tonsure  et  y  passeraient,  sous  l'œil  d'un 
maître  expérimenté,  les  liibricw  œtatis  annos,  non  in  luxuria,  sed  in 
disciplinis  ecclesiasticis.  H  semble,  d'après  cette  rédaction,  que,  pour 
notre  auteur,  les  luhricœ  œlatis  an/ir  prennent  fin  vers  dix-huit  ans; 
à  cet  âge,  les  jeunes  gens  ainsi  élevés  feraient  vœu  de  chasteté,  si 
clerici  esse  relient,  et  seraient  plus  tard  promus  aux  ordres.  Guil- 
laume, qui  rédige  toujours  hâtivement,  a  probablement  mal  dit  ce 
qu'il  avait  dans  i'espiit.  11  ajoute,  d'ailleurs,  que  si,  à  dix-huit  ans, 
ces  adolescents,  n'ayant  pas  encore  émis  le  vœu  de  chasteté,  vou- 
laient se  marier,  la  permission"  du  pape  ne  leur  serait  pas  refusée. 
Ils  pourraient  demeurer  clercs,  pourvu  qu'ils  ne  se  mariassent  qu'une 


'''  Allusion  aux  canons   25   et   26  du  qua-  '''   Décrétalcs  de  Grégoire  IX  ,  V,  v,  c.  4- 

trième  concile  de  Tolède.  '*'  Ce  concile  est  le  second  concile  de  Tolède , 

'''   Sur  l'ignorance  du  clergé,   voir  notam-  can.  1,  dont  la  décision  est  très  difleiviite  des 

ment  Hi^l.  Ull.  de  la  France,  t.  XXXI,  p.  f)3,  propositions,  qu'on  va  lire,  de  Guillaume  Du- 

et  t.  XXXIV,  p.  34.  rant. 


ÉVÊQUE  DE  MENDE.  —  SES  ÉCRITS.  113 

seule  fois,  et  avec  une  femme  vierge,  et  jouiraient  des  privilèges  de 
cléricature. 

11  serait  facile  de  pourvoir  les  clercs  pauvues  et  instruits  :  il  suffirait 
pour  cela  de  supprimer  la  pluralité  abusive  des  bénéfices,  de  doter 
moins  richement  les  clercs  déjà  fortunés,  d'écarter  tous  les  étrangers 
qui  ne  comprennent  même  pas  la  langue  des  pays  où  sont  situés 
leurs  bénéfices.  Cela  d'ailleurs  a  déjà  été  dit  (part.  II,  tit.  i5).  Cer- 
taines paroisses  sont  si  riches  que,  tout  en  y  nommant  un  vicaire 
perpétuel  avec  portion  congrue,  on  pourrait  avec  le  surplus  pourvoir 
bon  nombre  d'étudiants  (tit.  /j.'^). 

L'auteur  continue,  au  cours  du  titre  44 1  la  série  de  ses  observations 
lelatives  à  l'ignorance  et  à  la  négligence,  ces  deux  aspects  de  ïacedia. 
Que  les  clercs  non  mariés  se  gardent  de  l'oisiveté,  radix  omnium  malo- 
mm;  qu'on  ne  confère  jamais  la  tonsure  à  celui  qui  ne  sait  ni  lire  ni 
chanter,  aucun  ordre  mineur  à  celui  qui  n'a  pas  poussé  plus  loin  ses 
études.  Suivent  d'excellents  avis,  mais  nous  les  connaissons;  ils  ont 
déjà  été  donnés. 

Le  dernier  remède  général  proposé  contre  la  neglujenlia  eriiditionis 
est  fort  intéressant.  Les  études  sont  trop  compliquées  et  trop  longues; 
la  masse  des  gloses  et  des  auteurs  écrase  les  écoliers,  qui  perdent 
leur  temps,  se  nourrissent  de  brocards  et  de  mots  plutôt  que  (le 
science;  il  faudrait  faire  rédiger  en  chaque  faculté  des  abrégés,  d'où 
on  éliminerait  toutes  superfluités,  répétitions  et  contradictions'*'.  Les 
étudiants  se  nourriraient  de  ces  abrégés,  approuvés  par  le  saint-siège. 
Ils  apprendraient  en  cinq  ans  plus  qu'ils  n'apprennent  aujourd'hui 
en  dix,  et  ils  ne  mèneraient  pas  une  vie  coûteuse  et  dissolue.  L'évèque 
revient,  en  finissant,  aux  canons  pénitentiaux  qui  lui  tiennent  si  fort 
à  cœur  (tit.  45). 

Neçfligentia  circa  curam  animarum.  —  Quatre  titres  sont  consacrés  à 
cet  aspect  si  important  de  Vacedia.  Très  vite  la  cour  de  Rome  est  mise 
en  cause  :  par  des  voies  diverses  elle  attire  à  elle  tous  les  procès  en 

'"  Noire  auteur  aime  les  abrégés  ou  guides  ;  cUin  an  moyen  Age  et  dans  les  derniers  siècles,  dans 

on  l'a  vu,  un  peu  plus  haut  (p.  78) ,   réclamer  Bulletin  de  la  Société  (Fagricullure  de  lu  Lozère. 

un  livre  de  ce   genre  pour  les  curés.  Cf.   ci-  l863,  t.  XJV,  p.  274).  Nous  pensons  plutôt 

dessus,  p.    112.    Un  érudit,  ayant   feuilleté  à  qu'il  s'agit  ici  tout  simplement  des /ns<ruc«ions 

Mende  deux  manuscrits  qui  contiennent  pré-  et   Constitutions    du    Specalator,    suivies   d'une 

cisémenl  un  abrégé,  la  attribué  à  notre  pré-  addition   de   notre    Guillaume;    cf.   ci-dessus, 

lat  (Charbonnel,  Quelques  notahilités  du  Gévaii-  p.  78. 


HIST.   LITTEB.   XXXV. 

1   0  ♦ 


i5 


114  GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

matière  d'élection  et  prolonge  ainsi  les  vacances  au  grand  détriment 
des  églises  (tit.  46).  Elle  accorde,  sans  nécessité,  sans  utilité,  des  dis- 
penses de  la  règle  prohU^ant  la  pluralité  des  bénéfices.  La  loi  de  la 
résidence  n'est  pas  observée  (tit.  4 7)-  Des  bénéfices  de  tout  genre, 
même  des  prélatures,  sont  donnés  à  des  hommes  qui  sont  notoire- 
ment, par  défaut  d'âge  ou  défaut  de  science,  inhabiles  ad  curam  anima- 
lum.  Ces  bénéficiers  ne  s'occupent  en  aucune  manière  des  âmes 
confiées  à  leurs  soins;  ils  se  contentent  de  percevoir  leurs  revenus,  la 
sacoche  à  la  main,  les  jours  de  pleine  lune,  c'est-à-dire  les  jours 
d'échéance  (tit.  48).  Enfin  les  pécheurs  publics  restent  impunis  ou 
insuffisamment  punis;  leurs  offrandes  sont  reçues  dans  les  temples. 
Les  fautes  les  plus  graves  des  ecclésiastiques  ne  sont  châtiées  que  par 
des  amendes,  alors  qu'elles  devraient  entraîner  la  prison  perpétuelle. 
L'auteur  propose,  en  outre,  de  décider  que  toutes  sommes  perçues 
par  l'Eglise,  à  titre  de  peine,  seront  employées  en  œuvres  pies.  Aussi 
bien,  d'après  quelques  docteurs,  cela  déjà  serait  de  droit  (tit.   49)- 

Necjligentia  circa  ojficium.  —  Les  prélats  et  autres  personnes  d'Eglise 
ne  doivent  point  s'occuper  d'affaires  séculières,  mais  assister  aux 
offices  et  au  saint  sacrifice.  Les  évêques  n'habiteront  pas  loin  de  leur 
église,  ut  divinis  comjrue  vacare  possint,  est-il  dit  dans  le  14*"  canon  du 
quatrième  concile  de  Carthage,  et  cependant  nos  évéques  se  plaisent 
à  habiter  des  manoirs  et  des  châteaux  éloignés,  qui  parfois  même  sont 
situés  dans  une  autre  province  que  la  leur.  Outre  que  la  loi  de  la 
résidence  est  très  mal  observée,  ceux  qui  assistent  aux  offiices  le 
font    rarement  avec  l'attention  et  la  dignité  requises  (tit.  5o). 

Les  chanoines  et  les  membres  des  églises  collégiales  ne  s'acquittent, 
la  plupart  du  temps,  de  ce  devoir  d'assistance  qu'en  vue  des  émolu- 
ments qui  y  sont  attachés.  Sont-ils  présents,  on  les  voit  trop  souvent 
converser  entre  eux,  s'endormir,  ou  troubler  l'office  divin.  Certains 
sortent  du  chœur,  se  promènent  dans  féghse,  causant,  riant,  plaisan- 
tant avec  les  fidèles,  hommes  et  femmes*''.  Un  concile  général*^'  a 
décidé  que  semblables  délinquants  pourraient  être  sus])endus.  Cela 
paraît  insuffisant;  il  faudrait  déclarer  que  quiconque  n'assiste  pas  à 

'"'  Le    Speculator   a   abordé    sommairement  menlarias   a   Simone    Maiolo.  .  .  éditas,  Fano, 

celte  question  de  la  tenue  à  l'église  dans  son  iTiGg,  fol.  85  v°-86  v"). 

coramenlairc  du  canon  a5  du  concile  de  Lyon  '''  Il  s'agit  du  quatrième  concUe  de  Latran, 

[In  sacrosanctum  Lagdunense  concilium. ..  com-  canon  17. 


ÉVÉQUE  DE  MENDE.  —  SES  ÉCRITS.  115 

l'office  dans  le  chœur  n'a  droit  à  aucune  distribution.  Il  faudrait  aussi 
réserver  à  ceux  qui  assistent  à  l'office  divin  les  émoluments  qui,  en 
beaucoup  de  localités,  sont  attribués  à  des  ecclésiastiques  absents  sans 
motif  légitime  (titre  5i). 

La  mauvaise  tenue  des  princes  et  des  gens  du  peuple  aux  offices  est 
une  conséquence  de  cette  négligence,  de  cette  acedia  du  clergé.  Il 
arrive  souvent  que,  durant  les  messes  solennelles  qu'ils  font  célébrer, 
les  princes  ne  cessent  guère  ou  de  donner  audience  ou  de  s'occuper 
d'alîaires  diverses,  sans  faire  attention  aux  offices  et  sans  prier.  Des 
gentilshommes,  des  gens  de  tout  état,  de  toute  condition,  n'entrent 
à  l'église  qu'au  moment  de  l'élévation  et,  aussitôt  après,  se  retirent 
hâtivement;  à  peine  ont-ils  eu  le  temps  de  réciter  un  Pater  noster. 
A  ces  abus  il  faudrait  pourvoir  :  sur  quoi  notre  auteur  invoque,  sui- 
vant son  habitude,  une  série  de  conciles;  il  y  joint  le  43*  canon  des 
Apôtres,  qui  oblige  les  fidèles  à  venir  à  l'église  pour  les  diverses  solen- 
nités. Ceux  qui  ne  resteraient  pas  jusqu'à  la  fui  de  la  messe  seraient 
privés  de  la  communion  (tit.  02). 

Les  dimanches  et  fêtes  ne  sont  pas  observés;  bien  plus,  les  tribu- 
naux, ces  jours-là,  rendent  la  justice,  les  marchés  sont  ouverts,  on 
travaille  aux  champs,  et  même  on  se  permet  plus  d'actes  répréhen- 
sibles  que  durant  la  semaine  :  jeux  divers,  danses,  chansons  déshon- 
nêtes.  L'intérieur  même  des  églises  et  les  cimetières  ne  sont  pas  à 
l'abri  de  ces  mondanités.  Suit  la  mention  des  conciles  qui  déjà  se 
sont  élevés  contre  ces  abus  (tit.  53). 

Notre  évèque,  après  avoir  énuméré  quatre  négligences  circa  ojicium, 
en  dénonce  une  cinquième  :  dans  les  paroisses  on  n'a  pas  d'heures 
régulières  pour  les  offices;  on  offense  la  langue  latine  par  des  bar- 
barismes et  par  des  solécismes.  Motets  et  chants  déshonnêtes,  can- 
tilènes  lascives  se  mêlent  souvent  à  l'office  divin,  ou  encore  le 
chant  est  déformé  par  des  modulations  recherchées  et  compliquées, 
que  déjà  saint  Jérôme  critiquait,  parce  qu'elles  étaient  dignes  du 
théâtre  et  non  de  l'Église ''^  Les  offices,  d'ailleurs,  sont  trop  longs 
(tit.  54).  Ces  observations  ne  sont  pas  déplacées  sous  la  plume  d'un 
évêque  qui  a  composé  ou  composera  pour  son  église  un  Direclorium 
chori  '^'. 

'■'  Cf.  Hist.  litt.  de  la  France,  t.  XXXI V,  p.  535.  —  '''  Cf.  ci-dessous,  p.  i34. 

i5. 


116  GIJ1LL-\UME  DURANT  LE  JEUNE, 

Revenant  sur  une  question  qu'il  a  déjà  abordée  '^  et  adoptant  cette 
lois  une  solution  beaucoup  plus  radicale  * ,  Guillaume  Durant  propose 
maintenant  d'établir,  non  plus  dans  chaque  province  ecclésiastique, 
mais  dans  toute  l'Eglise  de  Dieu ,  l'unité  liturgique ,  et  de  prendre 
pour  modèle  la  liturgie  de  l'Eglise  de  Rome,  qui  doit  semr  d'exemple 
à  tous,  d autant  plus  que  l'Italie,  la  Gaule,  l'Espagne,  l'Afrique,  la 
Sicile  et  les  îles  n'ont  été  évangébsees  que  par  des  évèques  délégués 
par  Pierre  ou  par  ses  successeurs,  et  n'ont  point  connu  d'autre  apôtre. 
!Notre  auteur  prévoit  ici  une  objection.  Cette  uniformité  n'entraine- 
rait-elle  pas  la  perte  d'un  grand  nombre  de  livres  liturgiques  en  usage 
dans  les  diverses  églises  ?Nou;  ce  grave  inconvénient  pourra  être  évité 
par  des  additions  aux  livres  existants.  L'uniformité  n'exclurait  pas 
d'ailleurs  quelques  variétés  locales  (tit.  55  et  56  .  L'auteur  fait  une 
large  concession  :  si  les  réguliers  insistent  beaucoup,  on  pourrait 
leur  laisser  leurs  liturgies  particulières  (tit.  57).  Pour  justifier  ces 
tolérances,  Guillaume  Durant  invoque  l'épitre  de  saint  Augustin  à 
Januarius  et  le  commentaire  de  Gratien^'l 

Il  v  a  souvent,  surtout  dans  les  églises  à  la  présentation  des 
monastères  exempts,  pénurie  d'ornements,  pénurie  de  vêtements  et 
de  vases  sacrés.  Les  ornements,  parfois,  sont  sordides.  Chez  certains 
rehgieux,  on  voit  des  convers  laïques  ou  des  enfants  serMr  la  messe; 
ils  tiennent  ainsi  la  place  du  prêtre  qui,  régulièrement,  doit  assister 
le  célébrant;  ils  répondent  à  ce  célébrant  qui,  avant  l Introït,  récite 
le  Confiteor  et.  par  conséquent,  ce  sont  eux  qui,  sans  pouvoir,  donnent 
en  quelque  façon.au  prêtre  l'absolution  des  péchés  dont  il  s'est  accusé 
in  (jlobo.  Il  faudrait  pourvoir  à  ces  abus  (tit.  58). 

En  dépit  des  règles  etabhes,  certains  prélats  permettent  que  les 
reliques  des  saints  soient  portées  par  les  laïques,  et  même  présentées 
par  eux  à  la  vénération  des  fidèles;  ils  autorisent  aussi  des  laïques  à 
T>orter  les  croix  et  les  encensoirs  el  tolèrent  d  autres  irrégularités'*^ 
(tit.  59). 

Les  prélats  et  les  curés  néghgent  de  faire  exécuter  dans  les  églises 


P'  Partie   II ,    tit    68;    cf.    ci-dessus  p.  98.  "'   Le     Spccnlator     s'est     préoccupé     aussi 

**'  Guillaoïne  invoque  id  le  quatrième  cou-  d^écarter  les  laïques  de  tout  contact  avec  les 

c3e  de  Tolède,  canon  3.  choses  saintes  ou  4cs  choses  d'église  ! Instrac- 

'^^  Décret  de  Gratien,  I).  lU.  c.  1  1  ;  cl.  S.  An-  tlons   el    Conslilations    de    GaiUaame    Dartuit. 

gnstin, Epifloim  (lligne,  Patr. ht., XXXIII.  aooj.  p.  ^9-54  )■ 


ÉVEQLE  DE  MENDE.  —  SES  ECRITS.  117 

les  réparations  nécessaires.  Ils  ne  s'occupent  pas  davantage  du  lu- 
minaire. Cependant  le  tiers  des  revenus  doit  être  affecté  à  cette 
catégorie  de  dépenses.  Dans  certaines  églises,  surtout  chez  les  reli- 
gieux, on  n'allume  pas  les  torches  et  on  n'agite  pas  la  sonnette  au 
moment  de  l'élévation  (tit.  60). 

C'est  sur  le  chapitre  des  intérêts  matériels  de  l'Eglise  et  des  droits 
des  pauvres  que  l'auteur  terminera  son  traité;  il  consacre  à  ces  ques- 
tions les  trois  derniers  titres.  Les  prélats  et  les  curés  négligent  de 
défendre  les  droits  de  l'Eglise  et  ceux  de  leurs  sujets  et  tenanciers  : 
canes  muti  non  valenles  /a/rare'''.' Bien  plus,  ils  chantent  les  louanges 
de  leurs  oppresseurs  :  le  haut  clergé  comble  de  faveurs  les  seigneurs 
temporels.  Quant  à  l'Eglise  de  Rome,  elle  grève  de  charges  les  églises 
et  les  ecclésiastiques  et,  par  là,  énerve  et  brise  toute  discipline 
(til.  61). 

Suivant  les  règles  canoniques,  les  revenus  et  oblalions  doivent  être 
divisés  en  quatre  parties  :  un  quart  à  l'évêque,  un  quart  aux  clercs, 
un  quart  à  la  fabrique,  un  quart  aux  pauvres.  Cette  part  qui  leur  est 
due,  les  pauvres  ne  la  reçoivent  pas. 

L'auteur,  enfin,  clôt  l'ouvrage  par  une  sortie  éloquente  contre  le 
luxe,  qu'à  la  même  époque  stigmatisait  aussi  Raimond  Lull  dans  sa 
Petitio  in  concilia  (jenerah^'^K  Les  magnifiques  revenus  des  églises  sont, 
dit-il,  dépensés  en  superfluités  de  tous  genres. 

Tel  est  le  traité  fameux  De  modo  celebrandi  concilii ,  œuvre  hâtive, 
mal  digérée,  parfois  incohérente,  mais  pleine  de  vie  et  de  vues. 

Incohérente,  avons-nous  dit.  Nulle  part,  peut-être,  cette  incohé- 
rence n'est  plus  frappante  que  dans  les  derniers  chapitres.  Ainsi,  au 
titre  60  de  la  troisième  partie,  l'auteur  nous  apj)rend  que  le  tiers  des 
revenus  doit  être  affecté  aux  réparations  et  au  luminaire  des  églises; 
au  titre  62,  il  écrit  que  le  quart  des  mêmes  revenus  appartient  à  la 
fabrique  (et,  par  conséquent,  doit  être  affecté  aux  réparations).  11  y 
a  plus  :  si  nous  nous  référons  au  premier  paragraphe  de  ce  même 
titre  62  ,  nous  tiendrons  que  le  total  des  revenus  des  églises  est  le  bien 
des  pauvres,  mais,  si  nous  lisons  le  second  paragraphe,  nous  appren- 
drons que  ce  qui  est  le  bien  des  pauvres,  ce  n'est  pas  la  totalité,  c'est  Je 
quart  des  revenus.  Un  certain  nombre  de  ces  contradictions  s'expli- 

<■'  Isaïe,  LVI.  10.  —  <«)  Cf.  Hiit.  litl.  de  la  Fr..  t.  XXIX,  p.  Uo. 


118  (ÎUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

quent  très  facilement  :  notre  auteur  a  sous  les  yeux  d'anciens  textes 
conciliaires  qui  règlent  le  partage  des  revenus  de  l'Eglise,  les  uns  en 
trois,  les  autres  en  quatre  parties'"';  il  ne  s'embarrasse  pas  pour  si  peu 
et  se  reporte  au  hasard  à  tel  ou  tel  de  ces  conciles.  Peu  soucieux 
d'être  toujours  d'accord  avec  lui-même,  il  laisse  aller  sa  plume  soit 
au  gré  de  ses  impressions,  sôit  au  gré  des  citations  disparates  qu'il  a 
amassées  ou  qu'on  a  amassées  pouâ'  lui. 

Mais,  dira-t-on,  sur  un  point  de  la  plus  haute  importance,  Guil- 
laume ne  varie  pas,  et  sa  pensée  est  solide  et  ferme  :  le  souverain  pon- 
tife ne  se  doit  pas  qualifier  iiniversalis  papa.  Cependant  la  doctrine  de 
Guillaume  est  ici  bien  mal  assise.  Il  invoque  l'autorité  de  Grégoire 
le  Grand,  qui,  en  effet,  a  rejeté  ce  titre.  Mais  qui  donc  l'avait  décerné 
aux  prédécesseurs  de  Grégoire .►•  Le  concile  même  de  Chalcédoine*^'. 
Ainsi  Guillaume,  qui  si  souvent  réclame  l'intervention  du  concile,  se 
trouve  ici  en  opposition  avec  un  concile  œcuménique.  11  a  lu  le  frag- 
ment Grégorien  dans  le  Décret  de  Gratien,  qui  ne  donne  pas  le  texte 
complet  de  la  lettre  où  le  pontife  déclare  très  nettement  professer, 
sur  ce  point,  un  sentiment  contraire  à  celui  du  synode.  Guillaume 
pouvait-il  choisir  un  plus  mauvais  terrain?  Nous  ajouterons  qu'il 
reconnaît  formellement  que  le  siège  de  Home  a  reçu  autorité  et 
pouvoir  sur  toutes  les  églises'^'. 

C'est  en  s'attacliant  à  la  question  des  droits  comparés  du  concile 
général  et  du  pape  qu'on  a  cru  pouvoir  résumer  en  quelques  lignes, 
très  précises  et  très  nettes,  la  doctrine  de  Guillaume,  et  l'opposer  à 
celle  de  saint  Thomas  d'Aquin  et  de  beaucoup  d'autres  docteurs.  Aux 
yeux  desaint  Thomas  et  de  ces  docteurs,  le  pape  n'est  lié  par  les 
décisions  conciliaires  qu'autant  qu'elles  reconnaissent  et  proclament 
des  règles  de  droit  divin;  il  n'est  pas  lié  par  le  droit  positif  établi  par 
les  conciles*'*'.  Tout  au  contraire,  poursuit-on,  Guillaume  Durant  pro- 

'"'   Sur  ces  deux  systèmes,  voir  Stutz ,    Ge-  «Patribus  hoc  decessoribusmeisoblatuniVesIr» 

schichte  des  kircidichen  Benefizialwesens  (Berlin,  «Sanctitas  novit.  Sed  tamen  nuUus  eorum  uli 

iSqS),  p.  26-39.  «hoc  unquain  vocabulo  voluiti   (Epistola  ."îo, 

'''   iNain  dixi,  nec  mihi  vos,  nec  cuiquam  ad  Eulogium,  episcopum  Aleiandriuum ,  dans 

•  alteri  laie  aliquid  scribere  debere;  et  ecce  in  Migne,  l'atrol.  lat. ,  t.  LXXVll,  col.  gSi). 
«  praEfalione  epistobe  quam  ad  me  ipsum,  qui  ''•  Part.  III,  tit.  i. 

•  prohibui,    direxistis,    superbx     appellationis  '*'    tQuod  ergo  primo, objicitor  quod  Roraa- 

•  verbum.universalem  me  papam  dicentes,  im-  inxSedis  auctoritas  non  potexl  aliquid  condere 

•  |)rimere  curastis.  .  .  Et  quidem  in  sancta  Chai-  •  vel  mutarc  contra  statuta  sanctorum  Patrum, 

•  cedonensi  synode  atque  post  a  sabsequentibus  •dicendum  quod  verum  est  in  illis  qus  statuta 


ÉVÉQUE  DE  MENDE.  —  SES  ÉCRITS.  119 

clame  que  les  règles  de  droit  positif  portées  par  les  conciles  généraux 
obligent  le  souverain  pontife,  lequel  ne  peut  les  modifier  ou  les 
abroger  qu'avec  le  concours  d'un  autre  concile  général'''.  Certains 
passages'^',  dont  Bossuet  a  tiré  grand  parti'^',  sont  favorables  à  cette 
interprétation.  Mais,  prise  dans  son  ensemble,  la  pensée  de  l'évêque 
de  Mende  nous  paraît  un  peu  différente;  elle  est,  la  plupart  du  temps, 
moins  absolue.  Certes  il  voudrait,  en  effet,  que  le  pape  ne  se  mît 
jamais  en  opposition  avec  un  concile  général  sans  le  concours  d'un 
autre  concile,  et  même  qu'il  réunît  un  concile  chaque  fois  que  l'intérêt 
de  toute  l'Église  est  en  jeu**'.  Mais  nous  ne  voyons  pas  qu'il  nie  l'exis- 
tence des  pouvoirs  du  souverain  pontife;  mésuser  de  ses  pouvoirs  et 
manquer  absolument  de  pouvoirs  sont  deux  choses  différentes.  H  ne 
nous  apparaît  pas  que  l'évêque  de  Mende  ait  jamais  méconnu  cette 
distinction  fondamentale.  Nulle  part,  sans  doute,  il  ne  la  formule; 
mais,  presque  partout,  il  l'accepte  implicitement.  Il  n'en  est  peut- 
être  que  plus  à  l'aise,  se  sentant  orthodoxe,  pour  relever,  avec  une 
constante  énergie  de  langage,  tous  les  abus  romains.  Ennemi  inlas- 
sable de  ces  abus,  Guillaume  Durant  est,  en  même  temps,  cham- 
pion convaincu  de  la  supériorité  absolue  du  pouvoir  spirituel  sur  le 
pouvoir  temporel  ;  ce  qui  donne  à  son  œuvre  une  rare  originalité  et 
une  particulière  saveur. 

On  se  demande,  après  avoir  lu  le  traité  de  Guillaume  Durant,  si 
pareil  acte  d'accusation  contre  la  cour  de  Rome  put  vraiment  être 
produit  au  concile.  La  réponse  à  cette  question  n'est  pas  douteuse  : 
oui,  Guillaume  fut  au  concile  l'intrépide  mécontent  qui  nous  appa- 
raît, si  vivant,  dans  son  œuvre;  et,  après  le  concile,  il  demeura  long- 
temps vis-à-vis  de  Rome  accusateur  ardent.  Nous  en  avons  pour 
garantie  pape  Jean  XXII  lui-même'^'. 

tsaiictorum  determinaverunt  esse  de  jure  di-  '''  Pari.  I,  tit.  5. 

«vino,  sicul  articull  fidei,  qui  determinali  sunt  '''   Cf.  ci-dessous,  p.  ia3-i34. 

c  per  concilia;sed  illa,  quae  sancti  Patresdeter-  '''  Part.  I ,  tit.  3  ;  part.  H,  tit.  ^\  ;  part.  III, 

. minaverant  esse  de  jure  positive ,  sunt  relicta  tit.  17.  Au  titre  ^  de  la  seconde  partie,  Guil- 

•  sub  disposilione  papae,  ut   possit  ea   mutare  laume  critique  vivement  une  décrétale  de  Boni- 

«  vel  dispensare,  secundum  opportunitates  tem-  face  VIII  rendue  sans  le  concours  d'un  concile; 

tporum  vel  negotiorum  »  (S.  Thomas  d'Aquin ,  il  ne  dit  pas  qu'elle  soit  nulle.  11  en  demande 

Contra   impugnantef  Dei  caltam  et   religionem.  la  révocation  par  le  concile  de  Vienne  (présidé 

dans  Opéra  omnia,  Parmae,  i864,  t.XV.p.  aà).  par  le  souverain  pontife).  On  ne  révoque  que 

<■'  Scholz,  Die  Publizistik  zar  Zeit  Philipps  ce  qui  existe;  on  ne  révoque  pas   ce  qui  est 

des Schônen und Bonifaz'  l^//7, p.  a2a-2a3  (Air-  nul. 
chenrechtliche Abhandlungen  deSiult,li\r.6-S).  '''  Voir  ci-dessus,  p.  ag. 


120  GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

Une  autre  question  se  pose.  Guillaume  Durant  eut-il,  au  sein  de 
cette  grande  assemblée,  une  influence  personnelle?  On  sera  tenté 
de  le  croire  si  on  compare  certaines  décisions  du  concile  aux  propo- 
sitions consignées  dans  le  De  modo  celehrandi  concihi.  (cependant 
Tévêque  de  Mende  devait,  sur  plusieurs  points,  se  rencontrer,  en 
dehors  de  toute  action  et  de  toute  propagande,  avec  nombre  de 
confrères  qui  constataient,  comme  lui,  de  très  graves  abus  dans  l'Eglise 
et  dans  le  monde  civil.  Il  y  aurait  donc  témérité  à  tenir  pour  certain 
que  cette  influence  se  fasse  sentir  dans  les  actes  du  concile  qui 
correspondent  aux  préoccupations  du  prélat.  A  ce  point  de  vue, 
nous  nous  contenterons  de  signaler  rapidement,  et  sans  insister  sur 
ce  problème  délicat,  les  constitutions,  émanées  à  la  fois  de  Clément  V 
et  du  concile,  qui  intéressent  la  situation  des  curés  ou  vicaires  per- 
pétuels institués  sur  la  présentation  d'une  maison  religieuse'"',  le  relè- 
vement des  établissements  charitables  en  décadence'^',  la  question  des 
dîmes'''',  les  divertissements  dans  les  églises  et  dans  les  cimetières,  la 
négligence  des  clercs  qui  n'assistent  pas  aux  olFices  ou  leur  mauvaise 
tenue'''',  l'âge  des  moines  chargés  de  prieurés  ou  de  fonctions  empor- 
tant charge  d'àmes'^',  les  abus  du  droit  de  gîte'"'  ou  procuration, 
enlin    les    entreprises  du  pouvoir  civil  attentatoires  aux   droits  de 


<■'  Guillaume  Durant,  part.  II I,  tit.  32;  Clé-  '''  Guillaume    Durant,    part.    III,    til.    -i  i  ; 

mentines,   III,  \ii,   De  jure  patronatus ,   c.   i.  Mollat,  Les  dolrances  de  la  province  de  Sens  au 

''•  Guillaume  Durant,  part.  III,  tit.  19;  Clé-  concile  de  Vienne,  dans  Revue  d'histoire  ecclé- 

mentines,  lil,  \i ,    De  relit/iosis  domibus,  c.   1.  siaslique,  t.  VI,  p.  Saô. 

Un    mouvement   de    laïcisation   des    hôpitaux  ^''  Guillaume  Durant,  part.  II,  tit.  35,  Ho, 

s'était  manifesté,  dès  le  xiii'  siècle,  sur  divers  58,  6'j;  part.  III,  tit.  5i  et  53;  Clémentines, 

points,  et  se  justifiait  par  l'incurie  et  l'esprit  Ill.xiii,  De  censibus.c.  a;  III,  %i\ ,  De  celebra- 

égoiste  d'un  trop  grand  nombre  d'ecclésiasti-  tione  missarum,  c.  1.  — -On  remarquera  que  la 

(lues.  Il  semble  que  le  concile  de  Vienne,  loin  déformation  du  chant  ecclésiastique,  riitiquée 

de  condamner  ces  transformations,  les  accepte  par  Guillaume  Durant  (ci-dessus,  p.  ii5),  a 

implicitement,  car  il  parle  du  choix  des  admi-  appelé  aussi  ratten<ion  de  Jean  .WII,  qui  re- 

nistrateurs  en  des  termes  vagues,   qui    n"ex-  commande  le  maintien  du  chant  traditioimel 

cluent   point    les    laïques.  Cf.  sur  ces  laïcisa-  et  classique  (Extrav.  comm. ,  lib.  III,  lit.  \ ,  De 

tions  précoces:    H.    d'Arbois   de  Jubainville,  vita  et  konestate  clericoram ,  c.  un.);  cf.  Hist. 

Histoire  df^s  ducs  et  des  comtes  de  Champagne,  lilt.  de  la  Fr.,l.  XXXIV,  p.  535-536. 
t.  V,  p.  71,  n"  811:  Guibert,  dans  le  Cabinet  '*'   (iuiliaume  Durant,  part,  ill,  tit.  53;  Clé- 

historiqae.  nov.-déc.  i883,  p.  618  et  6i(),  6a6-  mentines,  111,  x.  De  statu  monachoram  ,  c.  i,î  •]. 

63 1;   Leroux,    Invent.    somm.   des   arch.   dép..  Cf.  le   rapprochement  déjà   fait    par   Antoine 

Haute-Vienne,   Se'rie    H.    Supplément,   p.   xvi,  Faure  dans  son  édition,  donnée  en   1671,  de 

XVIII,  XIX;  (iilliodts  van  Severen  ,  Coutumes  des-  l'œuvre  de  Guillaume  Durant,  p.  177. 
pa)s  et  comté  de  Flandre,  Quartier  de  Bruges,  '*'  Guillaume    Durant,   part.    III,    tit.    66; 

Coutumes  des  petites  villes,  t.  II,  p.  170,  etc.  Clémentines,  III,  xiii,  De  censibus ,  c.  a. 


EVEQUE  DE  MENDE.  —  SES  ECRITS.  121 

l'Eglise  '"',  autant  de  sujets  abordés  à  la  fois  par  Guillaume  Durant 
et  par  le  concile. 

Autre  rapprochement:  notre  vindicatif  prélat  aurait  voulu  étendre, 
sinon  les  peines  proprement  dites,  du  moins  certaine  responsabilité 
aflliclive,  jusqu'aux  parents  au  troisième  degré  de  quiconque  se  serait 
rendu  coupable  d'oiî'enses  aux  églises.  11  s'agissait  donc  de  généraliser 
ce  que  (iuillaume  avait  fait  lui-même,  dèslepremier  jour,  en  son  dio- 
cèse de  Mende'->.  Divers  textes  du  droit  canonique  étaient  déjà  comme 
des  jalons  posés  dans  cette  direction;  l'évêque  ne  manquait  pas  de 
les  invoquer.  Le  concile  entra  dans  cette  voie,  mais  plus  timidement 
que  ne  le  voulait  Guillaume'^'. 

On  nous  permettra  aussi  de  rapprocher  l'énergique  Clémentine 
De  «.suns''*'  du  document  analysé  plus  haut'^',  où  Guillaume  mani- 
feste une  hostilité  violente  contre  l'usure  et  tout  ce  qui  en  approche. 
H  n'est  pas  impossible  qu'au  concile  cel  homme  entreprenant  ait  joué 
un  certain  rôle  loisque  fut  adopté  le  décret  contre  l'usure. 

On  sait  combien  la  conception  d'un  gouvernement  assisté  de  sages 
conseillers  est  chère  à  l'évêque  de  Mende;  un  très  important  témoi- 
gnage nous  prouve  qu'au  concile  de  Vienne  Clément  V  montra,  en 
certaine  rencontre,  vis-à-vis  des  Pères,  cette  déférence  souhaitée  par 
le  prélat'''';  mais  nous  le  voyons  aussi,  en  une  autre  circonstance,  leur 
tenir  tête  résolument  et  à  leurs  réclamations  instantes  opposer  son 
vetoP). 

Certains  échecs  de  notre  évêque  sont  bien  constatés.  Et  même  une 
phrase  nettement  hostile,  par  laquelle  Clément  V  et  le  concile  rejettent 
une  ])roposition  relative  à  l'élection  des  papes,  pourrait  bien  viser 
personnellement  Guillaume  Durant <**'.  Ce  prélat  était  assez  favorable, 

"'  ('.uillaumt"  Durant, part. 11,  til. 5,47, ()(),  (''Guillaume    Durant,    part.    III,    tit.    25; 

70;  Mollat,  Les  doléances  du  clergé  de  la  pro-  Ehrle,  A  us  den  Acten  desViennei  Coiicih ,  \>.  53; 

vince  de  Sens,  p.  3a3  ;  Ehrle,  Aus  den  Aclen  des  Clémentines,  V,  vin  ,  De  pœnis ,  c.   i . 

Vienncr  Conciii.p.  6  cl  suiv.  (extrait  de  i'Archiv  ''>  Clémentines,  V,  v,  De  usuris. 

fur  Litcratiir-  and  Kirchemieschichte  des  Miltel-  '''  (;f.  ci-dessus,  p.  76. 

allers,  t.  IV,  1888).  Les  doléances  des  évèques  '''  Guillaume  Durant,  part.  III,   lit.    27   et 

gascons  au  concile  de  Vienne  ont  été  traduites  passint;  Ehrle,  Aus  den  Aclen  des  Vienner  Con- 

en  français  et  lapprochées  de  textes  analogues  cils,  p.  83. 

par  Dufibur,  dans  Reoue  de  Gascogne,  nouvelle  •''  Cf.  ci-dessous,  p.  122,  note  (i. 

série,  t.  Vfigoô),  p.   244  et  suiv.  <*'   «Nos   inter  caetera  pra>cipue  attendeiites 

'''  Cf.  ci-flessus,  p.  io5  et  106.  On  se   rap-  (.  quod  lex  superioris  per  inferiorem   tolli  non 

pelle  que  ce   statut  avait    été    approuvé  pour  «  potest,  opinionem  adstruere,  sicut  accepimus, 

Mende  par  Boniface  VIII.  .«salagenlciu  quod  constitulio  felicis  recorda- 

HIST.  LITl  ÉR.  XXXV.  ,  f\ 


122  GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

nous  l'avons  remarqué,  à  un  certain  amoindrissement  du  droit  d'asile; 
on  jirojeta,  au  contraire,  de  donner  une  sanction  nouvelle  au  système 
de  l'asile,  et  Bérenger  Frédol  reçut  la  mission  de  rédiger  une  consti- 
tution dans  cet  esprit'" .  Guillaume  réclamait  la  suppression  des 
qaœstorcs,  et  aussi  des  c«/-.sorei'  et  naiilii  Romance  curiœ ,  lesquels  abusaient 
des  gens  simples.  Le  concile  reconnut,  en  effet,  que  les  quêteurs  abu- 
saient des  simples,  et  il  exigea  qu'ils  se  munissent  dorénavant  de  lettres 
de  l'évêque  ou  de  lettres  du  pape'''.  iN'était-ce  pas  là  comme  une 
sanction  de  l'alîus  critiqué .-^  Guillaume,  cej^endant,  put  ici  trouver 
dans  la  lecture  des  constitutions  de  son  oncle  quelque  adoucissement 
à  ses  regrets;  son  prédécesseur  sur  le  siège  de  Mende  se  plaignait, 
en  effet,  lui  aussi,  des  quêteurs,  mais  il  n'imaginait  d'autre  remède 
au  mal'''  que  celui-là  même  ([ue  devait  plus  tard  apporter  le  concile  de 
Vienne.  Lnlin,  l'évêque  de  Mende''*'  et  un  grand  nombre  de  ses  con- 
frères''''demandaient  l'abolition  des  exemptions.  Clément  V  combattit 
énergiquement  ce  projet  :  nnhdt  papa  conseil tire^^K  Le  concile  se  con- 
tenta d'édicté;'  quelques  mesures  propres  à  faire  mieux  respecter 
l'autorité  des  évêques'^'. 

Sur  un  point  l'hésitation  nous  paraît  jîermise.  Guillaume  sou- 
haitait l'abrogation  ae  la  décrélale  Clerici  de  Boniface  VllI.  Que  ht 
le  concile?  Le  titre  des  Clémentines,  Dr  vita  et  lioncstate  cleruorum, 
inflige  des  peines  au  clerc  qui  n'a  ni  l'habit  ecclésiastique  ni  la  ton- 
sure'*', mais  il  ne  renouvelle  pas  la  décision  de  Boniface  VIll  pro- 
nonçant, en  ce  cas,  si  le  clerc  est  marié,  la  perte  du  privilège  du 

«  tionis  Gre<;orii  papap  X,  praedecessoris  nosiri,  '''   Berttielé  et  Valmacy,  Inshactions  et  Con- 

ucirca  eleclionem  praefatam  édita   in  concilio  stiliitinns  de   Guillaume  Durant  le  Spcculatear, 

oLiigdunensi,    per    cœtuin    oardinalium    l\o-  p.  112. 
»  iiiana' Ecclesi.T,  ipsa  vacante,  nii)di(icaripossit ,  '*'   Guillaume  Durant,  part.  1,  lit.  5  ;  part.  11, 

•  corrii,'!  vel  immutari,  aut  quicquam  ei  delrahi  lit.  53  et  passiin. 

«sivcaddi,  vel   dispensari  cpiomodollbet  circa  '^'   Voyez  notamment  Mollat,   Les  doléances 

•  ipsani   seu    aliquam   ejus  parteni,  aut  eidem  de  la  province  de  Sens,  p.  3 ic^,  ^"iZ,  ^2b,  326; 

•  etiani  renunciarl   per  euni ,  tanquam  veritatl  Guillaume  Le  Maire,  édit.  Porl,  p.  48o. 
mon  ronsonam,  de  IVatrum  nostromm  consilio  '*'   Ehrle,  Aas  den  Acten  des  Vienner  Concils, 
«reprobatnus.  .  .  »    (Clémentines,   I,    m,    De  p.  80. 

etectione  et  electi  potestate,  2).  —  Rapprochez  ■''  Clémentines,  V,  x,   De  senteiitia  e.ccom- 

ce  qu'avait  dit  à  ce  sujet  l'évêque  de  Mende,  municationis ,  c.  1. 

part,  m,  lit.  27,  et  ci-dessus,  p.  108.  '"'  Clémentines,    III,    i.  De  vita  et  honestate 

'''  Guillaume  Durant,  part.  Il, tit.  45;  Ehrle,  clericontm  ,  c.  a.  Le  c.  1  parle  bien  de  la  perte 

Ans  den  Acten  des  Vienner  Concils ,  p.  86.  du  privilef,'e,  mais  il  ne  vise  pas  puren>ent  et 

<*'   Guillaume  Durant,  part.  III,  tit.  i5;Gié-  simplement  l'abandon  de  l'habit  et  de  la  ton- 

mentiiies,  V,  x,  De  pmnitentiis ,  a.  sure  :  ce  qui  est  notre  cas. 


ÉVÊOUE  DE  MENDE.  —  SES  ÉCRITS. 


123 


for.  Supposa-t-on ,  dans  les  premiers  temps,  que  cette  decrétale  était 
par  Là  implicitement  abrogée?  Nous  n'en  serions  pas  fort  surpris'"'. 
Mais,  d'antre  part,  il  nous  paraît  certain  que,  du  temps  même  de 
Guillaume,  dans  le  Gévaudan,  le  roi  suivait,  pour  déterminer  les 
limites  de  la  juridiction  temporelle  et  de  la  juridiction  spirituelle, 
les  règles  posées  par  la  decrétale  de  Boniface  Vlll,  et  qu'à  la  fin  du 
MV""  siècle,  à  Toulouse,  par  exemple,  cette  decrétale  était  en  pleine 
vigueur''^'. 

H  n'est  pas  possible  de  lire  le  traité  de  Guillaume  Durant  sans 
songer  aux  Pierre  d'Ailli  et  aux  Gerson,  qui,  au  xv'' siècle,  voulurent, 
eux  aussi,  réformer  l'Église  dans  son  cbef  et  dans  ses  membres  et  qui 
firent  décréter,  comme  le  souhaitait  Guillaume  Durant,  la  périodicité 
décennale  de  conciles.  Quelle  fut  sur  ces  grands  hommes  l'influence 
de  notre  Guillaume  ?  Bossuet,  qui  prenait  notre  évêque  pour  le  fameux 
Spcridator,  écrit  que  sa  doctrine  fut  le  flambeau  qui   dirigea  leurs 


'''  Vu  cortain  Jean  de  Senlis,  mari»'-,  sans 
liabit  ni  tonsure,  est  arrêté  pour  meurtre  par 
les.  gens  de  l'archevêque  de  Heims,  plusieurs 
années  après  la  promulgation  définitive  des 
Clémentines  :  Tarrlievéque  entend  lui  faire  son 
procès  devant  sa  cour  spirituelle.  Conilit  a\ec 
le  pouvoir  civil,  (pii  ne  seinlile  pas  avoir  invo- 
qué le  défaut  d'habit  et  de  tonsure,  mais  avoir 
utilisé  d'autres  circonstances  (Olivier  Martin, 
L'assemblée  de  Vincennes  de  1329,  p.  i>.2G). 
L'archevêque  de  Reims  estimait-il  que  le  concile 
de  Vienne  et  Clément  V  avaient  tacitement 
abrogé  la  decrétale  de  Boniface  Vlll  ?  On  serait 
tenté  de  le  croire.  .Autre  fait  :  dans  im  texte 
de  i334,  nous  voyons  le  pouvoir  civil  reven- 
diquer un  clerc  ou  prétendu  tel,  marié,  sans 
habit  ni  tonsure;  la  cour  a  soin  de  le  qualifier, 
non  pas  clerc,  mais  laïque,  et  d'ajouter  que 
ce  taicus  pro  laico  se  gerebai  (Génestal,  Le 
procès  sur  l'état  de  clerc  au j-  x 1 1 1'  et  xiv'  siècles, 
p.  33,  note  i,  dans  Ecole  pratique  des  hautes 
études.  Section  des  sciences  religieuses,  lyog). 
Le  tribunal  civil  ne  se  place  donc  pas  au  point 
de  vue  de  la  decrétale  de  Boniface  VIII;  il  ne 
prétend  pas  juger  un  clerc  qui,  étant  marié  et 
sans  habit  ni  tonsure,  aurait  perdu  par  là  le 
privilège  clérical;  il  soutient  qu'il  juge  un  laïque. 
Une  lettre  de  Philippe  le  Bel,  adressée  en  1292 
au  sénéchal  de  Toulouse,  est  conçue  dans  le 
même  esprit  :  le  roi  interdit  au  sénéchal  d'em- 


pêcher l'évêque  de  punir  les  cUics  el  écoliers 
prévenus  de  crimes,  lors  même  qu'ils  auraient 
quille  leurs  habits  (René  Gadave,  Documents  sur 
l'histoire  de  l'Université  de  Toulouse,  dans  Bi- 
bliothèque wéridionide ,  2'  série,  t.  XIII,  Tou- 
louse, 1910,  p.  79,  n°  27).  A  l'inverse,  en 
i328,  le  roi  de  I'"rance  n'admet  en  Gévaudan 
la  compétence  de  l'évêque  qu'au  regard  des 
clercs  mariés  avec  une  vierge,  et  mariés  ime 
seule  lois,  qui  ont  gardé  la  tonsure  et  l'habit 
clérical  (Arcb.  de  la  Lozère,  G  926,  lettre 
de  PiiilippeVI,  du  19  mai  i?>iH).  C'est  très  net- 
tement le  système  de  Boniface  VIII.  Toutefois 
la  decrétale  Clerici  n'est  point  invoquée  :  il  est 
dit  simplement  que  les  droits  et  coutumes 
existant  avant  le  pariage  de  i3o7  doivent  être 
maintenus;  or  il  n'est  douteux  pour  personne 
que  tel  était ,  en  effet,  le  droit  avant  le  pariage 
et  au  moment  de  la  conclusion  du  pariage. 

En  résumé ,  si  on  entrevoit  que  les  critiques 
adressées  par  Guillaume  Durant  à  la  decrétale 
Clerici  ont  peut-être  exercé  pendant  un  temps, 
par  l'intermédiaire  des  Clémentines,  quelque 
influence  pratique,  il  faut  ajouter  que  cette 
influence  a  été  nulle  dans  le  diocèse  même  de 
Guillaume,  le  pariage  de  i3o7  immobilisant 
les  droits  réciproques  de  l'évêque  et  de  la  jus- 
tice royale. 

'''     Decisiones    capelle     Tholose     (Lugduni, 
1 53 1  ) ,  qaaestio  ccxxvii ,  fol.  lxxx  v°. 
16. 


124  GlIILLAliME  DURANT  LE  JEUNE, 

pas'"',  dette  lumière  du  Gévaudan,  parfois  très  vive  assurément,  est  trop 
vacillante  pour  justifier  pleinement  le  jugement  porté  par  l'évêque  de 
Meaux.  Le  dogmatisme  scolastique  de  Pierre  d'Ailli  et  de  Gerson  n'a 
rien  de  commun  avec  la  véhémence  impulsive  de  notre  auteur,  chez 
lequel  les  théoriciens  de  combat  du  xv*"  siècle  ont  pu  trouver  des  ob- 
servations très  utiles  et  un  énergique  stimulant  plutôt  qu'une  direction 
toujours  claire  et  nettement  tracée. 

Pierre  d'Ailli  a  lu,  croyons-nous,  Guillaume  Durant,  bien  qu'à 
notre  connaissance  il  ne  le  cite  nulle  part.  Toutefois  cette  parenté 
entre  les  deux  auteurs,  sommairement  signalée  dès  le  xvi"  siècle'-',  ne 
saurait  être  reconnue  et  alïlrmée  qu'avec  beaucoup  de  ])récaution. 
Envisage-t-on  la  situation  réciproque  du  pape  et  du  concile  général, 
on  constatera  facilement  que  Pierre  d'Ailli  résun^e  ce  problème  en 
quelques  lignes  prudentes,  qui  paraissent  harmoniser  plusieurs  pas- 
sages, quelque  peu  incohérents,  de  Guillaume  Durant''''.  Dans  toutes 
les  allaires  (lilbciles  qui  intéressent  l'Eglise  luiiverselle,  le  pape,  écrit 
en  substance  Pierre  d'Ailli,  doit  consultei'  le  concile  général;  telle 
est  la  bonne  coutume  qui  s'était  établie'*'.  Se  préoccupe-t-on  de  la 
tenue  des  conciles  provinciaux  et  du  rôle  qu'ils  devraient  jouer  dans 
l'Eirlise,  des  droits  des  électeurs  et  des  collateurs  de  bénéfices  ecclé- 
siastiques,  si  souvent  violés.?  Songe-t-on  à  l'abus  criant  de  la  pluralité 
des  bénéfices?  On  constatera  que  Guillaume  Durant  et  Pierre  d'Ailli 
se  rencontrent  dans  la  même  réprobation''*'.  Mais  s'autoriser  de  ces 
seuls  rapprochements  pour  établir  le  fait  d'un  contact  immédiat  entre 
Guillaume  et  le  cardinal  de  Cambrai  serait  excessif,  car  ces  questions 
préoccupaient  tous  les  esprits  au  lenq^s  de  l'illustre  cardinal.   Pour 

'''   De/èn.çe  (/(■/«  ûec/ara/io/i.  Dissertation  pré-  aux   règles   posées  par  les  conciles  généraux, 

liminaire,  S  i.  (Amsterdam,  ly/iS),  t.  I ,  p.  G3.  et  part.  I,  lit.  3  (p.  i  G),  où  il  admet  ce  droit, 

'''   «  liane  rrformationem  etiam  in  capile  et  pourvu  que  le  pape  prenne  le  conseil  des  car- 

"  nienijjris  ecclesiœ  late  disculit  D.  Petrus  de  dinaux. 

«  .\liaco,  cardinalis  Camcracensis,  per  sex  con-  '•'  De  rcformationc  Ecclisiœ ,  c.  i ,  dans  lédi- 

•  siderationcs,   in  suo  tractalu  De  reformatione  tion  des  Œuvres   de   Jean   Gerson    el    Pierre 

'Ecclesiœ,  qua;   ab   hoc  Iractalu  exiraclae  vi-  d'Ailli  (Anvers,  i  706),  t.  11,  col.  ()o5-t)o6. 
«dentur»  (  Note  de  Probus,  reproduite  par  Ant,  '''   Guill.    Durant,    part.    11,    tit.    11,    3i; 

Faure,  dans  son  édition  du  l)c  modo  gencruUs  part.  111,  tit.  37;  Pierre   d'Ailli,  De  rcforin. , 

concilii  ceMirandi .  Paris,  1671,  p.  adA).  c.  1 ,  col.  god-goS.  —  Guill.  Durant,  part.  II, 

'''   Rapprochez  part.  I,  tit.  T)  (Paris,  1671,  tit.    7;   part.   111,   lit.   27;   Pierre    d'Ailli,    De 

p.  34,  d'i,  /!•"))  et  part.  II,   tit.  /|,  4i   (p.  fia,  reform. ,    c.    11,  col.    go8.   —    Guill.    Durant, 

i5i),  ou    Guillaume  parait   supprimer   d'une  part.  H,  tit.    21;    Pierre   d'Ailli,   De   lejorm., 

façon  absolue  le  droit  du  pape  de  contrevenir  c.  11,  col.  907. 


ÉVÈOUE  DE  MENDE.  —  SES  ÉCRITS.  125 

les  résoudre  à  la  manière   de  Guillaume,  il  n'était  nul   besoin  de 
l'avoir  lu. 

Cette  objection ,  on  se  l'opposera  peut-être  prudemment  à  soi-même, 
si  on  compare  Guillaume  Durant  et  Pierre  d'Ailli  en  leurs  vues  et 
parfois  même  en  leurs  expressions  touchant  la  réforme  de  l'Eglise, 
lani  in  capite  (fuam  m  memhris^^^  (formule  devenuf^  courante),  touchant 
l'abus  des  exemptions''^',  touchant  le  faste  scandaleux  de  la  cour  de 
Rome  et  de  beaucoup  d'ecclésiastiques'"'',  touchant  la  prétention  des 
dignitaires  romains  de  prendre  rang  avant  tous  autres  prélats'''',  touchant 
la  nécessité  de  modérer  et  de  régler  les  subventions  envoyées  à  Rome'^', 
d'arrêter  l'abus  des  cjuétes  incessantes'***,  touchant  la  nécessi[é  de  tenir 
très  grand  compte  pour  le  choix  des  évêques  de  la  moralité  et  de 
l'instruction  de  celui  qui  doit  être  promu  à  cette  dignité'^',  touchant 
l'importance  capitale  de  l'exemple  donné  par  les  ecclésiastiques'*^', 
touchant  le  devoir  de  la  résidence  si  souvent  méconnu  par  les  prélats''^'. 
Mais  on  ap])rochera  d'une  conclusion  ferme  en  signalant  chez  l'un  et 
l'autre  auteur  les  mêmes  doléances  au  sujet  de  l'absence  trop  fréquente 
des  clercs  pendant  les  offices''"',  en  relevant  chez  Pierre  d'Ailli  un 
vœu  contre  la  trop  grande  variété  des  peintures  et  des  sculptures'"', 
vœu  qui  rappelle  une  observation  fort  curieuse  de  Guillaume,  signalée 
plushaut''^';  nous  touchons  ici,  en  effet,  à  la  série  des  impressions  per- 
sonnelles. On  arrivera  enfin  à  une  conclusion,  si  on  ajoute  les  obser- 
vations suivantes  :  Guillaume  Durant  avait  demandé  qu'on  abrégeât 
les  offices  chez  certains  réguliers  et  séculiers''^';  Pierre  d'Ailly  exprime 
le  même  vœu  au  regard  de  quelques  Ordres  religieux'"''.  Guillaume 

C'  Guill.  Durant,   part.   1,   tit.    i  ;  part,   il,  <''  Guill.  Durant,  part.  II,  tit    18;  part,  llf, 

lit.    18;   Pierre    d'Ailli,    De   Ecclesiœ .   concilii  lit.  ào,  col.  911;   Pierre  d'Ailli,   De  refoiiii., 

ijcneTulu ,  Romani  pontificis  et  cardinaliam  auc-  c.  m,  v,  col.  90g,  91 3. 

loritate,  prima  pars,  cap.  iv,  nona  conclusio,  '*'  Guill.  Durant,  part.  1,  tit.  j;  part.  !II, 

ibid. ,  col.  9.^9.  tit.    1;  Pierre  d'Ailli,  De  refoiiiiatione ,  c.   vi , 

'*'  GuiU.". Durant,  part.  II,  tit.  53  ;  part.  111 ,  col.  916. 

tit.    23;    Pierre    d'Ailli,    De    reform. ,  c.    11,  <"'  Guill.   Durant,   part.   II,  tit.    16;  Pierre 

col.  908.  d'Ailli,  De  reform.,  c.  m,  col.  910. 

<''  Guill.  Durant,   part.   III,   tit.    36,    63;  "»)  Guill.  r)urant,  part.  III,  tit.  5i;  Pierre' 

Pierre  d'Ailli,  De  re/ôrm.,  c.  II,  V, col. 907,  913.  d'Ailli,  De  reform.,  c.  m,  col.  910. 

<*'  Guill.  Durant,  part.   Il,  tit.    7;   Pierre  '"'  Pierre    d'Ailli,  ite  reformatione ,   c.    m, 

d'Ailli,  De  reform.,  c.  11,  col.  908.  col.  911. 

'*'  Guill.  Durant,  part.  III,  tit.  37;  Pierre  ''*'  Ci-dessus,  p.  96. 

d'Ailli,  De  reform.,  c.  11,  col.  907.  '"'  Guill.  Durant,  part.  III,  tit.  54. 

'*'  Guill.  Durant,  part.   III,  tit.   i5;  Pierre  '"'  Pierre    d'Ailli,    De    reformatione,   c.   iv, 

d'Ailli,  c.  IV,  col.  911.  col.  91a. 


126  GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

avait  demandé  la  suppression  absolue  du  casuel'''  et  la  rédaction  d'un 
guide  ou  sommaire  à  l'usage  des  curés''';  Pierre  d'Ailli  sur  ces 
deux  points'^'  se  rencontre  avec  Guillaume.  Enfin  Guillaume  Durant, 
traitant  des  conciles  provinciaux,  avait  visé  plusieurs  conciles  relatifs 
à  celte  matière'*';  Pierre  d'Ailli,  abordant  à  son  tour  le  même  sujet, 
ne  se  réfère  pas  à  un  seul  concile  qui  n'ait  été  allégué  par  Guillaume. 
Ce  dernier  avait  cité  le  texte  même  d'un  seul  de  ces  conciles,  un  concile 
de  Tolède;  c'est  également  le  seul  texte  que  cite  Pierre  d'Ailli'"'. 
Il  nous  paraît,  par  suite,  légitime  et  même  nécessaire  de  conclure 
que  Pierre  d'Ailli  a  lu  et  utilisé  Guillaume  Durant. 

Qu'on  ne  se  méprenne  pas,  d'ailleurs,  sur  notre  pensée.  Nous  n'en- 
tendons point  que  Guillaume  Durant  soit  l'inspirateur  par  excellenc» 
et  le  guide  de  Pierre  d'Ailli.  Tant  s'en  faut  !  Mais  nous  signalons 
quelques  traits  qui  permettent  d'afiiriner  que  le  cardinal  de  Cambrai 
a  connu  le  traité  de  notre  prélat.  H  est  bien  loin  d'être  son  disciple 
fidèle;  il  nous  sutlira,  pour  le  faire  bien  sentir,  d'opposer  la  doctrine 
de  Guillaume  Durant  touchant  la  suprématie  absolue, le t/o/ni/^Hm  de 
l'Église  sur  le  temporel'"',  <à  celle  de  Pierre  d'Ailli'^',  d'opposer  l'aver- 
sion tenace  de  Guillaume  Durant  pour  le  titre  d'universalis  papa ,  ou 
toute  qualification  analogue  donnée  au  souverain  pontife  ou  prise  par 
lui'^',  à  renseignement  de  Pierre  d'Ailli  qui  se  résume  ainsi  :  «  In  Petro 
«et  suis  successoribus  duo  episcopatus  concurrunt,  videlicet  univer- 
«  salis  Ecclesia;  et  ])articularis  Ecclesi;c  Romame'^'.  » 

Si  nous  rapprochons  du  traité  de  (iuillaume  Durant  certaines  dé- 
cisions du  concile  de  Constance  et  les  projets  de  réforme  de  la  Nation 
française  au  concile  de  Sienne  en  1^23,  nous  constatons  sans  peine 
de  nombreuses  similitudes,  sans  prétendre  d'ailleurs  apercevoir  tou- 
jours l'influence  directe  de  (iuillaume.  La  réforme  de  l'Eglise  m  capite 
et  in  memhris  est  solennellement  annoncée  par  le  concile  de  Con- 
stance'"''  et  la  périodicité  décennale  des  conciles  décrétée  par  celte 

'■'  Guill.  Durant,  part.  li,  lit.  60.  secunda  pars,    ibid. ,  col.  9^4.  Cf.  Salembier, 

<''  Guill.  Durant,  part.  III,  lit.  4,  4i  et  àb.  Petriis  de  Alliaco  (Lille,  1886), p.  aSo-a.Si. 

'''  Pierre   d'Ailli,   lie   reformatione ,    c.    m,  '*•  Guill.    Durant,   part.    II,   tit.   7,    34   et 

col.  t)io  ;  c.  V,  col.  gi4.  passim. 

'*'  (luill.  Durant,  part.  Il,  tit.  1 1.  '''  Pierre  d'Ailli,  De  Ecdesiœ...  auctorilale, 

'''   Pierre  d'Ailli,  De  relorm..c.  l,  col.  904.  prima  pars,  ibid.,  col.  9Q9. 

<•'  Guill.  Durant,  part.III,  lit.  26.  ''"'  Session  IV  et  V(Labbe  et  Cossart,  5arro.!. 

''>   Pierre  d'Ailli,  De  Ecdesiœ . ..  anctoritate ,  roiic. ,  t.  XII,  col.  19  et  2a). 


EVEQLE  DE  MENDE.  —  SES  ECRITS.  127 

assemblée  (canon  I're(juens)^^K  Parmi  les  projets  de  réforme  de  1^2  3 
figurent  l'abolition  des  perce])tions  fiscales  connues  sous  le  nom  de 
ravantia,  et  de  communia  et  minuta  servitia,  fabolition  de  tout  ce  qui,  en 
cour  de  Rome,  sent  la  simonie,  la  suppression  des  grâces  expectatives 
et  des  commendes,  l'attribution  aux  cardinaux  d'un  rôle  sérieux  et 
eileclil  dans  certaines  affaires  intéressant  les  pouvoirs  temporels  du 
souverain  pontife,  la  restitution  de  l'exercice  de  leurs  pouvoirs  judi- 
ciaires aux  juges  ecclésiastiques  dans  toute  la  chrétienté,  l'amélio- 
ration des  procédures  judiciaires  en  cour  de  Rome'-*.  Une  bulle  de 
Martin  V,  du  16  moi  i4-i5,  beaucoup  moins  radicale,  mérite  encore 
dêtre  mentionnée;  elle  a  pour  objet  de  restreindre  le  luxe  de  la 
cour  de  Rome,  de  supprimer  les  taxes  indûment  perçues  en  chancel- 
lerie, de  restaurer  la  discipline  de  f  Eglise  touchant  la  résidence  des 
évêques;  elle  ordonne  encore  la  tenue  des  conciles  provinciaux  tous 
les  trois  ans;  elle  prétend  corriger  les  mauvaises  mœurs  et  la  mau- 
vaise tenue  des  ecclésiastiques.  Excellentes  mesures  qui  n'eurent  que 
le  tort  de  n'être  point  appliquées,  comme  l'a  fait  très  justement 
observer  fun  des  nôtres'^*. 

Les  décrets  du  concile  de  Dàle  nous  fourniraient  aussi  d'intéressants 
rapprochements.  Ce  concile  a  légiféré,  comme  on  sait,  sur  toutes  les 
grandes  questions  qui  déjà  préoccupaient  de  bons  esprits  au  commen- 
cement du  xiv""  siècle  et  qui,  au  xv%  agitaient  toute  la  chrétienté  :  ré- 
tablissement des  conciles  provinciaux,  des  juridictions  ecclésiastiques 
ordinaires  et  des  élections,  restauration  des  droits  des  collateurs, 
abolition  mitigée  des  réserves  pontificales,  abolition  des  annates  et  des 
grâces  expectatives.  Certains  détails  d'un  intérêt  secondaire,  qu'avait 
abordés  Guillaume  Durant,  reparaissent  dans  les  canons  de  Baie  : 
dignité  de  l'office  divin,  présence  des  ecclésiastiques  au  clueur, 
proscription  des  chants  profanes'*',  etc. 

Postérieurement  au  concile  de  Bàle,  plusieurs  papes  s'occupèrent, 
mais  mollement,  des  réformes.  Le  projet  de  réforme,  devenu  projet 

'''  Session  XXXIX.  Ce  canon  fut  lu  solennel-  <*'  Concile  de   Bàle,   session   VJll,   ran.    2; 

lement  dans  la  première  session  du  concile  de  session  X,  can.  a  ;  session  XII,  can.  Quemad- 

Bàle   (Labbe  et   Cossart,   t.  Xll,   col.  ^38  et  modum;  session  XV;  session  X.\l,  can.   i,  3, 

/(Ga).  Cr.  Guill.  Durant,  part.  111,  tit.  jy.  i,    6,    8;  session    XXIII,   can.    5   et  6  ;  ses- 

'^'   Monumenta  concilioram  geiieraliam   seeculi  sion  XXXI,  can.  a;  session  XXXVIlI,can.  2 

decimi  quinli.  Concilium  Basiliense,  t.  1  (  VVien,  (Labbe  et  Cossart,  t.  Xll,  col.  499 ,  5oo,  5oa, 

1857),  p.  32-35.  5i3,  5a5,  526,  55a,  553,554    5(J6,  601, 

'''   N.Valoii,  Le  pape  et  le  concile,  l.  l,  p.  81.  60a  ,  606,  633,  634). 


128  GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

(le  bulle,  que  Nicolas  de  Cues  rédigea,  très  probablement  à  la 
demande  de  Pie  H,  mérite  d'attirer  notie  attention,  car  ce  cardinal 
avait  lu  et  même  annoté  le  Traclatus  de  modo  celebrandi  co»cj7h'''.  Nous 
nous  garderons  d'énumérer  tous  les  textes  qui  autoriseraient  une 
comparaison  entre  ses  projets  de  réforme  et  le  traité  de  Guillaume 
Durant.  Si  Nicolas  de  (lues  étudie  et  lit ,  il  reste  maître  de  l'activité 
de  son  intelligence  et  du  mouvement  de  ses  idées  :  c'est  lui  qui 
pense,  qui  raisonne  et  qui  conclut.  Aussi  ])ien,  nous  le  répétons,  les 
observations  et  les  critiques  de  Guillaume  sont  devenues  courantes 
au  xV  siècle.  Les  nombreux  rapprochements  qui<  pour  ainsi  dire, 
s'offrent  d'eux-mêmes  ne  sauraient  donc  établir  toujours  avec  certi- 
tude une  relation  directe  entre  les  deux  auteurs.  Mais  que  de  proba- 
bilités pour  que  cette  relation  existe  en  effet  ! 

La  grande  pensée  de  réforme  de  Nicolas  de  Cues  est  celle  même  de 
Guillaume,  celle  aussi,  d'ailleurs,  de  tous  les  bons  chrétiens  du  temps, 
à  savoir  la  réforme  de  la  cour  de  Rome  et  de  l'Eglise  ;  il  y  insiste  lon- 
guement. Son  plan  se  peut  résumer  ainsi  qu'il  suit  :  trois  visiteurs, 
après  avoir  travaillé  à  épurer  la  curie,  seront  envoyés  par  le  souverain 
pontife  dans  tous  les  royaumes;  ces  hommes,  graves  et  mûrs,  fidèles 
imitateurs  du  Christ,  faisant  passer  la  vérité  avant  tout,  unissant  le 
zèle  pour  Dieu  à  la  science  et  à  la  prudence,  ne  recherchant  ni  les 
honneurs  ni  la  richesse,  entameront  et  poursuivront  à  travers  le 
monde  chrétien  une  guerre  inlassable  à  tous  les  abus'"'.  Quiconque, 
après  avoir  lu  Guillaume  Durant,  prendra  connaissance  de  la  bulh; 
projetée  par  le  cardinal  et  lira  ce  qu'elle  prescrit  au  sujet  de  ces  visi- 
teurs, songera  tout  de  suite  aux  exécuteurs  et  visiteurs  délégués  de 
Rome,  que  Guillaume,  lui  aussi,  envoyait  tous  les  trois  ans  à  travers 
les  diocèses,  afin  de  réunir  les  conciles  provinciaux  et  de  rétablir 
l'ordre  et  la  disci|)line'^'. 


'"'  On  peut  lire   les   f,'loses  t'rriles  par  lui-  .«finc;Zfi((Ralisbonne,i847),  t.  Il  ,|i.  234-23:'). 
nu'iiie  en  marge  d'un  manuscrit,    légué   avec  '''   Cf.  Nicolas  de  Cues,   Epistola  ad  Rode- 

sa  hihilotliéque  à  riiopital  Saint-INicolas,  fondé  ricuni  de  Treviiui,  dans  Opéra  (Bàle  [iSfi."!]), 

par  lui  à  Cues.  Ce  manuscrit  porte  aujourd'liui  p.  SaS-Sai)  ;  Diix,  op.  cit. ,  t.  II,  App.  II,  p.  /»5i- 

le  11'  i()8  dans  la  bibliothèque  de  cet  hôpital;  466;  l'astor,  Ilist.  des  papes ,  Irad.  Furcv  Hay- 

il  ligure  sous  la  cote  K.  48  dans  lin\entaire  des  naud ,   t.    III,   p.   aôS-aSg;   Peter  Khsel,  Der 

mss.  (le  Cues,  publié  en  i865  par  Kr.-X.  Kraus  Refonncnlwuij  de.':  Kaidinals  Nikolaiis  Ca.'aiiii.f, 

dans  le  Serapeam,  l.  XXVI,  y.  [)4.  Cf.  Dùx,  Deut-  dans  Hial.  Jahrbiich,  t.  XXXII,  p.  274-297. 
sche  Cardinal  Xicnlaus  von  Casa  und  die  Kirclie  '''    l'art.  III,   tit.   17. 


KVKQUE  DE  MENDE.  —  SES  ÉCRITS.  1:29 

r.uillaume  Durant  nous  conduit,  en  passant  par  Nicolas  de  Cues, 
jusqu'au  pape  Pie  II.  En  effet,  un  projet  de  bulle  émané  de  Pie  II 
lui-niènie,  qui  resta  tonte  sa  vie  très  dévoué  à  la  réforme,  est  appa- 
renté au  curieux  essai  de  Nicolas  de  Cues.  Cette  bulle,  qui  n'eut 
jamais  un  caractère  définitif  et  ne  fut  point  expédiée  (la  mort  du 
pontife  suspendit  cette  opération  de  chancellerie),  trahit,  sans  contes-  ■ 
tation  possible,  certains  emprunts  aux  vues  du  cardinal  Nicolas'^'. 

Nous  ne  pousserons  pas  plus  loin  ces  comparaisons  avec  les  docu- 
ments du  w"  siècle;  mais  nous  compléterons  ce  qui  vient  d'être  dit 
par  une  observation  générale.  Un  sentiment  de  prudence  doit  guider 
tout  historien  placé  en  face  (h-  ce  problème  délicat  :  quelle  a  été  l'in- 
lluence  du  De  modo  celebrandi  concihi  sur  telle  ou  telle  œuvre  publique 
ou  privée  du  xV^  siècle? Toutefois  ce  sentiment  risquerait  de  s'exagérer 
et  par  suite,  de  pousser  trop  facilement  au  sacrifice  de  telle  ou  telle 
conjecture  intéressante,  si  le  critique  oubliait  que,  déjà  au  xr  siècle, 
l'auteur  du  De  modo  rclehrandi  concilii  a  été  continuellement  confondu 
avec  Guillaume  Durant  l'ancien,  c'est-à-dire  avec  l'un  des  maîtres 
du  droit  canonique,  avec  le  fameux  Spcculator,  qui  jouissait  d'une  si 
crrande  autorité.  A  qui  était  attribué  le  De  modo  celebrandi  concdii 
dans  le  manuscrit  lu  et  annoté  par  Nicolas  de  Cues.^  Précisément  au 
Speculator.  Tous  les  manuscrits  du  \v^  siècle  conservés  dans  nos  bi- 
bliothèques et  portant  un  nom  d'auteur  sont  dans  le  même  cas.  Aussi 
bien  la  seule  existence  de  ces  copies  du  xv^  siècle  et  la  nature  des 
écrits  qui,  dans  certaines  d'entre  elles''',  sont  réunis  au  De  modo  cele- 
hrandi  concilii,  prouvent  l'importance  qu'on  attachait,  lors  de  ces 
orandes  luttes  religieuses,  à  ce  traité  fameux. 

V.  MÉMOIRE  SLR  LES  PREPARATIFS  DE  LA  CrOISADE. 

Le  manuscrit  latin  7/170  de  la  Bibliothèque  nationale,  où  un 
compilateur  soigneux  a  réuni,  vers  1  33o,  des  écrits  divers,  quil  esti- 
mait utiles  au  projet  de  croisade  caressé  en  Occident  dans  le  premier 
tiers  du  xiv^  siècle,  contient,  du  folio  117  au  folio  128,  un 
mémoire  intitulé  :  Injormacio  brevis  super  hiis  (jne  viderentur  ex  nunc 

(■)  Ehsel.  article  cité.  p.  ^79,  note  3;  .80,  note  ,  ;  396,  note  3.  -  '\Nou,  signalons  à  ce 
point  de  vue  le  ms.  786  de  la  Bibliothèque  de  Troyes  et  le  ms.  .687  de  la  Mazanne. 

IIIST.  1.ITTEB.  XXXV.  ' 


i;^0  (;UILLAUME  DURANT  LE  JELNK, 

fore  providenda  (laantum  ad  passagium,  divina  favente  (jrana,  faiien- 
Jum'*'.  Dans  la  préface  mise  en  tête  du  manuscrit,  le  compilateur 
parle  ainsi  de  ce  mémoire  :  In  hoc  presenti  vohimine  ponuntiir  decem 
libri.  .  .  Septimus  traitât  de  passacjio,  et  hahet  quatuor  traclatus.  Prunus 
est  episcopi  Mimatensis,  in  quo  ponnnltir  viçjmti  sex  capitula  dr  prepa- 
ratoriis  circa  passagium Jaciendum^'^K 

Le  manuscrit  i65^  de  la  Bibliothèque  Sainte-Geneviève,  qui  re- 
monte aussi  au  xix"  siècle,  contient,  du  folio  189  au  folio  1^3. 
un  texte  français  du  même  mémoire,  sans  attribution,  (pii  débute 
ainsi  :  Ci  commence  une  information  brie:  sus  les  choses  qui  samhlent  dès 
ore  estre  à  pourveoir  quant  au  passage  à  faire  par  la  grâce  de  Dieu  '' . 

Une  comparaison  attentive  des  deux  textes  permet  facilement  de 
constater  que  le  français  est  traduit  du  latin  et  renferme  çà  et  là 
quelques  contresens''*'.  Il  n'y  a  donc  à  tenir  compte  que  du  texte 
latin,  lequel  est  sûrement  sorti  de  la  plume  de  l'auteur  <lu  mé- 
moire'^'. 

L'attribution  à  Guillaume  Durant  est  parfaitement  justiliée,  car 
nous  retrouvons  dans  cet  écrit  quelques  observations  étrangères  à  l'idée 
de  croisade  et  émises  d'autre  part  dans  le  Tractatus  de  modo  cclehrandi 
concilii.  Ces  observations,  qui  nous  apparaissent  comme  autant  de 
marques  d'auteur,  concernent  la  passion  exagérée  de  la  chasse  chez 
les  princes*'*',  les  dots  excessives  allouées  à  leurs  fdles  par  les  genlils- 
hommes*'^  l'altération  incessante  des  monnaies,  si  dommageable  au 
peuple*^',  le  luxe  et  les  dépenses  superflues^'.  Enfin  nous  avons  vu 
l'auteur  du  Tractatus  de  modo  celehrandi  concilii ,  qui  connaît  assez  bien 
certains  documents  visigothiques,  substituer  audacieusement  le  roi 

'■'  Titre  abrégé,  dans  le  catalogue  Imprimé  latin   dit   :   non  sempei    ujijdUanl    ahi    tst   opii- 

de  l'ancien  Tonds,  t.  IV,  p.  363  (Paris,  1744,  wmh  (foi.  1  18''). 

in  fol.),  en  :  Informalio  hievh  de  passagio  fn-  '^    La  comparaison  des  deux  textes  serait  ulile 

laro.  pour  établir  une  édiiion  critique  du  mémoire, 

'''  Ms.  cité,  fol.  I  r°  et  v°.  car  le  texte  lalin  n"a  pas  toujours  été  correcle- 

'''  Cf.  Ch.   Rohler,  Cataloyae  des  manuscrit.^  menl  transcrit  par  le  scribe  du  nis.  lat.  7470. 

de  la  Bibliothèque  Sainte-Geneviève,  t.  I  (  Paris,  Ainsi,  au  folio  1  l8N  i)erditi  est  une  faute  pour 

1893),  p.  117.  parati,  que  la  traduction  française,  où  on  lit  : 

'*'  Deux  exemples  suffiront  à  établir  ce  que  appaieillie  (fol.  iSq'') ,  permet  de  corriger, 

nous  avançons.  Le  texte  français  porte  :  ef  de-  "    \t{.   9.  Cf.  Guillaume  Durant,   De  mode 

deiu  (fol.   139'),  quand  le  texte  latin  donne,  celehrandi  concilii,  part.  II,  tit.  5i. 

correctement   :   intérim   (fol.    118'').  Le    texte  '''   Art.   a3.  Cf.  liiW.,  tit.  a4. 

français  porte  :  loasjoars  n  arrivent  pas  à  armes  '*    Art.  a4.  Cf.  ilnd.,  id. 

là  où  mestier  est  (fol    i4o'),  quand  le  t"xte  ''    Art.  au.  Cf.  ibid.,  tit.  63. 


KVÉQllE  DE  \IENDE.  —  SES  ECRITS.  131 

saint  Louis  au  roi  Chintila*'^;  or  l'auteur  du  mémoire,  employant  un 
procédé  analogue,  substitue  à  une  loi  de  Chindasvinde  une  prétendue 
loi  nmiaine  qui  n'a  jamais  existé.  Nous  faisons  allusion  à  l'article  2  5 
du  mémoire,  qui  est  ainsi  conçu  : 

Item,  cum  multi  nobiles  depauperentur  propter  filias  suas  maritandas,  quia 
opoitet  fis  dare  dotem  ultra  et  supra  vires  facuitatum  eorumdem,  videretur  utile 
super  hoc  remedium  adhibere,  sicut  duduni  factuni  exslitit  Rome,  ubi  statutum 
luit  (juod  nuliius  dos  ultra  mille  aureos  transcendere  possot'^'. 

Aucune  loi  romaine  ne  fixe  le  montant  maximum  des  dots;  mais 
une  loi  de  Chindasvinde  établit  un  maximum  de  mille  sous  d'or''^'; 
c'est  évidemment  à  cette  loi  visigothique  que  songe  notre  auteur.  Le 
droit  romain  a  une  autorité  et  un  crédit  qui  manquent  au  droit 
visigothique  :  Guillaume  invoque  donc  sans  scrupule  ce  qui,  d'après 
lui,  fut  fait  à  Rome. 

Nous  savons  que  Clément  V,  lors  du  concile  de  Vienne,  invitait  les 
jirélats  à  donner  leur  avis  sur  la  question  des  Templiers,  sur  la  ré- 
forme générale  de  l'Eglise,  sur  le  projet  de  croisade  qui  lui  tenait 
fort  à  cœur.  Guillaume  Durant,  dans  le  De  modo  celebrandi  concilii ,  s'oc- 
cupe uniquement  de  la  réforme  générale  et  laisse  entièrement  de  côté 
les  deux  autres  questions.  Il  paraît  naturel  que,  dans  un  mémoire 
s])écial,  il  ait  abordé,  vers  le  même  temps,  le  projet  de  croisade. 

La  formule  finale  vi.se  directement  le  roi  de  France.  Quel  est  ce 
roi  de  France,  auquel  s'adresse  l'auteur?  C'est,  croyons-nous,  Philippe 
le  Bel.  Delaville  Le  Rotilx  penche  pour  une  date  un  peu  plus  récente  : 
il  estime  que  cette  consultation  a  pu  être  adressée  à  Charles  le  Bel'**. 
Quant  à  nous,  nous  ne  pouvons  oublier  que  Guillaume  assista  à  Paris, 
en  janvier  i  3  i  3,  à  l'assemblée  de  prélats  et  de  barons ,  où  l'on  s'occupa 
de  la  croisade^*'.  Nous  constatons,  en  outre,  que  le  mémoire  a  dû 
être  écrit  peu  de  temps  après  le  De  modo  celebrandi  concilii;  par  suite, 
nous  sommes  conduits  à  penser  qu'il  a  été  rédigé  à  l'occasion  de 
l'assemblée  de  i3i3. 


'"'  Cf.  ci-dessus,  p.  99.  '*'   La  France  en  Orient  aa  xir'  siècle,  p.  79- 

'*'  Bibl.  nat.,  lat.  7470,  fol.  1  2a  v°.  81;  cf.  une  œuvre  posthume  du  même  auteur. 

'''  Lejc  Visigothorum  Hecessvindiana ,]U  ,  i,5.  Les  Hospitaliers  à  Rhodes  (Paris,  igiS),  p.  8i- 

dans    Zeumer,   Leges  Visigothorum   antiquiores  '''  Roucaute   et  Sache,   p.    i/n  ,   n°  lïxv. 

(1894),  p.  90.  Cf.  ci-dessus,  p.  3i 


132  GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE. 

Le  mémoire  se  compose  de  vingt-six  propositions  ou  avis,  que 
nous  résumerons  brièvement. 

H  convient  qu'avant  tout  le  pape  et  le  roi  de  France  travaillent  en 
commun  à  la  suppression  de  toute  guerre  entre  princes  chrétiens  et  à 
l'établissement  de  la  concorde  et  de  la  paix.  Plusieurs  autres  mesures 
préalables  sont  indiquées  :  faire  partir  les  premiers  pour  la  Terre 
sainte  les  princes  qu'on  croit  cajjables  de  troubler  la  paiv  de  la 
chrétienté  pendant  la  croisade;  interdire  tout  commerce  avec  les 
Sarrasins;  avant  d'entreprendre  le  «gênerai  passage»,  organiser  sur 
mer  une  vaste  course,  afin  d'alfaiblir  la  ]Hiissance  des  mécréants; 
armer  un  nombre  considérable  de  navires  destinés  au  passage  gratuit, 
non  seulement  de  tous  les  gens  de  guerre  s'engageant  à  rester  pen- 
dant un  an  outre  mer,  mais  aussi  des  cardinaux,  des  archevêques, 
des  évêques,  des  abbés,  des  prieurs  et  de  toutes  au  Ires  personnes 
d'Eglise,  des  religieux,  exempts  et  non  exempts  :« licet  multe  ex 
M  dictis  personis  non  essent  ad  arma  apte,  nichilominus  tamen  vite 
«  exemplo,  predicalionis  el  exhortationis  verbo,  orationis  et  devotionis 
«studio,  consilio  et  ex  coniitiva,  quam  multi  secum  ducerent,  valde 
•(  proficere  possent,  et  multi  sequerentur  eosdeni  '''  ». 

On  se  souvient  que  l'évêque  de  Mende  attache  une  valeur  capitale 
à  l'exemple  que  donnent  les  gens  d'Église,  exemple  si  souvent  détes- 
table. Espère-t-il  ([ue  les  ecclésiastiques  croisés  seront  parmi  les  meil- 
leurs.^ Estime-t-il,  en  outre,  que  se  croiser  soi-même,  lorsque  la 
croisade  est  annoncée,  c'est  donner  l'exemple  le  plus  louable, 
l'exemple  par  excellence?  Peut-être.  Nous  remarquons  toutefois  que 
notre  auteur  insiste  longuement  sur  les  garanties  et  faveurs  diverses 
dont  devront  jouir,  suivant  lui,  les  membres  du  clergé  qui  s'engageront 
à  prendre  j)art  à  l'expédition.  Nous  reviendrons,  en  finissant  notre 
analvse,  sur  cet  as])ect  de  la  question,  qui  ji^tte  peut-être  un  jour  assez 
inattendu  sur  une  bonne  partie  du  morceau. 

Tout  chef  de  bande  devra  faire  connaître  le  notnbre  d'hommes 
d'armes  à  cheval  et  à  pied  qui  le  suivent  et  s'engager  à  les  nourrir 
pendant  un  an.  On  devra  s'entendre  avec  les  Génois,  les  Pisans,  les 
Vénitiens  et  toutes  autres  puissances  maritimes  sur  l'assistance 
qu'elles  pourront  donner.  On  devra  aussi  faire  ample  approvisionne- 

'''  Cl'.  Ilisloire  litléraiic,  t.  .WXIV,  p.  i<jÇ). 


EVÉQUE  DE  MENDE.  —  SES  ÉCRITS.  133 

inenl  de  tous  engins  nécessaires.  Suivent  des  conseils  assez  confus  sur 
l'utilité  de  la  tactique  et  les  exercices  militaires.  Il  vaudrait  mieux 
lire  Végèce  et  autres  auteurs  c[ue  perdre  son  temps  à  chasser.  La 
France  manque  d'armes  et  de  chevaux.  Elle  a  dix  fois  moins  de 
chevaux  que  lors  de  la  dernière  croisade;  il  conviendrait  d'enjoindre 
dès  à  présent  à  tous  de  se  munir  d'armes  et  de  chevaux. 

Après  ces  avis,  qui  seraient  bien  placés  sous  la  plume  d'un  conseiller 
militaire,  l'évêque,  dont  nous  connaissons  la  mobilité  d'esprit,  passe 
à  des  considérations  d'un  autre  ordre.  Il  est  nécessaire,  écrit-il,  de 
réformer  la  justice  :  les  procès  s'éternisent  au  grand  dommage  des 
sujets,  et  «ex  hoc  dominus  Rex  perdit  corda  prelatorum,  baronum 
«et  aliorum,  qui  niultipliciler  dicunt  se  aggravari*'' ».  Il  est  nécessaire 
de  réprimer  le  luxe,  qui  devient  intolérai)le  ;  les  familles  nobles 
s'épuisent  et  se  ruinent  en  donnant  aux  filles  des  dots  excessives. 

H  faut  bien  revenir,  en  finissant,  au  projet  de  croisade.  Voici  la 
conclusion.  Concurremment  à  la  vaste  course  préparatoire  dont 
notre  auteur  a  jiarlé  plus  haut,  mais  qu'il  a  peut-être  déjà  oubliée,  on 
enverra  outre  mer,  et  particulièrement  en  Grèce,  des  religieux  et  des 
séculiers  qui  évangéliseront  les  mécréants,  ce  qui,  avec  l'aide  du 
Sain t-Esp lit,  pourra  produire  de  grands  fruits.  Enfin,  dès  ce  moment, 
le  pape  ordonnera  par  toute  la  chrétienté  oraisons,  messes  et 
prières,  et  accordera  un  pardon  général  à  tous  ceux  qui  se  prépa- 
reront à  la  croisade;  le  pouvoir  temporel  et  le  pouvoir  spirituel  se 
doivent  unir  ])Our  entraîner  les  hommes  vers  le  bien  et  les  éloigner 
du  mal. 

Guillaume  Durant  termine  son  mémoire  en  reproduisant  à  l'usage 
du  roi  de  France  les  paroles  encourageantes  du  Deutéronome,  qui 
commencent  par  :  «  Si  autem  custodieritis  mandata  qua»  ego  prae- 
«  cipio  vobis  » ,  et  vont  jusqu'à  :  «  terrorem  vestrum  et  formidinem  dabit 
«  Dominus  Deus  vester  super  omnem  terram  quam  calcaturi  estis*^'  ». 
A  cette  citation  il  joint  le  vœu  suivant  :  «  Quod  régie  Majeslati  Veslre 
«prestare  dignetur  Jésus  Christus,  rex  regum  et  dominus  domi- 
«nantium,  a  quo  regnum  vestrum  confirmetur  in  secula  seculorum. 
«  Amen.  » 

Les  longs  développements  et  l'insistance  du  prélat  sur  l'élément 

'''  Mémoire  cité,  art.  ii.  —  ''*  Deutéronome,  XI,  aa-aS. 


]34  GUILLAUME  DURANT  LE  JEUNE, 

ecclésiastique  de  la  croisade  et  sur  l'évangélisation  préalable  des  mé- 
créants nous  suggèrent,  nous  l'avons  déjà  laissé  entendre,  certaines 
réflexions  de  nature  moins  édifiante.  I^ors  du  concile  de  Vienne,  le 
clergé  avait  promis  pour  la  croisade  le  versement,  pendant  six  ans, 
de  la  décime  des  revenus  de  l'Eglise'";  or  Guillaume  a  soin  d'établir 
que  tous  ceux  qui  promettront  de  se  croiser  seront  exempts  de  la 
décime.  La  perspective  de  cette  exemption  n'expliquerait- elle  pas 
les  exhortations  pieuses  de  notre  auteur.^  Plus  l'Eglise  se  croisera, 
moins  elle  paiera.  Nous  suggérons  cette  explication,  sans,  d'ailleurs, 
nous  y  arrêter. 


VI.    [^F,    DlHECTORIUM    CHORI. 

Un  livre  liturgique  de  l'église  de  Mende,  qualifié  Directoruim  ou 
Ordinarium  chori ,  est  conservé  à  la  Bibliothèque  de  \Iende'^\  L  âge  de 
cv  manuscrit  correspond  assez  bien  à  l'épiscopat  de  notre  Guillaume, 
et  une  main  moderne  lui  en  a  attribué  avec  vraisemblance  la  pater- 
nité, en  traçant  au  recto  de  la  feuille  de  garde  ce  titre:  Directoriam  de 
Gmllanme  Durant  le  neveu. 

L'examen  du  Propre  des  saints  dans  le  Directoruim  est  favorable  à 
cette  attribution.  La  fête  de  saint  Louis,  roi  de  France,  qui  fut  cano- 
nisé en  1  297,  y  est  mentionnée  au  mois  d'août'^'  ;  la  rédaction  défini- 
tive de  ce  Propre  est  donc  postérieure  à  1297;  or  Guillaume  était 
évêque  depuis  le  mois  de  décembre  1296.  La  fête  de  saint  Thomas 
d'Aquin,  qui  fut  canonisé  par  Jean  XXII  en  i323,  n'apparaît  pas; 
d'où  il  suit  que  la  rédaction  du  document  se  place  sous  le  pontificat 
de  Guillaume  avant  i323.  Nous  savons,  d'autre  part,  que  ce  prélat 
s'intéressait  vivement  au  bon  ordre  des  cérémonies'*';  if  parait  donc 
légitime  d'accepter  l'attribution  proposée. 

Un  érudit,  auquel  nous  devons  une  bonne  notice  sur  le  Directorium, 
a  fait  avant  nous  les  observations  qui  précèdent  ;  mais  il  rappelle 
que  le  Specnlatnr  a  écrit  lui-même  le  Rationaîe  divinorum  officiorum  et 

'''  Cf.  Histoire  littéraire,  t.  XXXFV,  p.  499-  perdu,  était  conservé  aux  archives  de  l'évéché. 

"'  Bihl.  de  Mende,  ms.  a  (mutile  au  com-  '''  •  Ludovic!  Francoruin[ régis]»  (fol.  8o  v*; 

mencement  ;   le   folio  ^g  est  aux  trois   quarts  cf.  fol.  71  r"  et  v°). 
déchiré);    un    autre    manuscrit,    aujourd'hui  '*'  Cf.  ci-dessus,  p.  itb. 


ÉVÈQUE  DE  MENDE.  —  SES  ÉCKITS.  135 

un  Pontifical '•',  et  il  est  tenté  en  conséquence  d'attribuer  à  ce  prélat 
le  Directorium  en  question ,  qui  correspond  à  des  préoccupations  du 
même  ordre '^'.  Nous  devrions  ajouter,  si  nous  adoptions  cette  opi- 
nion, que  le  Propre  des  saints  fut  retouché  sous  le  pontificat  de  Gud- 
laume  Durant  le  Jeune  et  qu'on  y  introduisit  à  cette  épocjue  la  fête 
de  saint  Louis,  roi  de  France,  canonisé  après  la  mort  de  Guillaume 
Durant  fAncien.  Mais  nous  ne  voyons  pas  de  raison  suffisante  pour 
nous  ranger  à  cette  opinion  '^'. 


Vil.  CoRKESPONOANCK. 

Cinq  lettres  rédigées,  croyons-nous,  par  Guillaume  lui-même'"' 
nous  sont  parvenues.  Nous  avons  déjà  utilisé  et  longuement  cité  une 
de  ces  lettres,  la  plus  curieuse  peut-être,  qui  concerne  la  parerie  de 
la  Garde-Guérin'^'.  Nous  nous  occuperons  ici  de  quatre  autres  lettres, 
conservées  elles  aussi  aux  Archives  de  la  Lozère. 

Le  9  septembre  iSog,  févêque  adresse,  de  Moret,  au  diocèse  de 
Sens,  une  lettre  d'alïaires  à  Gaston  (fArmagnac,  vicomte  de  Fezen- 
saguet,  baron  de  Roquefeuil,  et  à  \alhourg,  sa  femme,  lllle  de  feu 
Henri,  comte  de  Rodez.  11  les  salue  en  ces  termes  :  Salutem  cniictis 
Jelicitatibus  opulentam,  et  entre  en  matière.  Il  a  obtenu  de  Gaston, 
agissant  en  son  nom  personnel  et  au  nom  de  sa  femme,  recon- 
naissance, foi  et  hommage  pour  toutes  leurs  terres  du  Gévaudan, 
tenues  en  fief  de  l'évêque  et  de  l'église  de  Mende,  à  raison  du  comté 
de  Rodez  et  de  la  baronnie  de  Roquefeuil  ;  cet  hommage  lui  a  été 
rendu  à  Paris'»*'.  Guillaume  a  fait  approuver  et  ratifier  cet  acte  im- 

''1   Voir  sur  ce  Pontilical   M«'  Batiffol,  dans  (Arch.de  Je  Lozère,  G  63a,  (ol.  i  y°);  d'après 

le  Balletin  d'ancienne  UttéTalure  et  tt archéologie  l'Inventaire,  série  G,  l.  I,  p.  loi,  il  existe  un 

chrelienne,  i'  année,  n°  4 .  1 5  cet.  1912.  règlement  relatif  à  l'office  divin  dans  la  cathé- 

(•'  AbbéRemize,  Le  ,  Directorium  chori .  de  drale,   daté  de    1299   et   coté  G    i55  ;    nous 

GttiUuame  Durand,  dans  Bulletin  de  ta  Société  n'avons  pu  retrouver  ce  document. 

d'agriculture  de  la  Lozère  (1908),  p.  353. '^79.  <**  Nous  laissons  de  côté  ici  les  lettres  d'un 

'''  Il  peut  être  utile  de  noter,  comme  se  rat-  caractère  politique,  citées  plus  haut,  p.  64  el 

tachant  vraisemblablement  à  la  rédaction  du  suiv.,  sur  la  mission  de  Guillaume  en  Italie. 

Directorium.  les  deux  faits  suivants  :  le  pro-  '''  Voir  ci-dessus,  p.  5o  et  suiv. 

cès-verbal   à   demi    effacé   d'une    réunion    du  <*'  Dans  l'église  des  Augustins,  le  18  février 

chapitre  de  Mende,  tenue  en  1398,  s'occupe  iSog,  d'après  le  texte  original  de  l'hommage 

de  la  réforme   d'abus    intérieurs   de    l'église  (Arch.  de  la  Loière,G7i). 


l.-^e  (]LILI,AUMK  DURWT  LE  JEUNE, 

portant  par  le  chapitre  de  Mende.  Il  transmet  cette  ratification  à  Gaston 
d'\rmagnac,  auquel  il  demande  en  échange  la  ratification  de  Val- 
bourg.  Il  enveloppe  cette  lettre  d'envoi  des  tours  de  langage  les  plus 
aimables  et  en  même  temps  les  mieux  choisis  pour  garantir  les  droits 
de  Téglise  de  Mende.  En  finissant,  Guillaume  se  met  au  service  de 
Gaston  d'Armagnac  et  de  sa  femme  pour  tout  ce  qui  pourrait  leur 
être  agréable  :  qu'ils  s'adressent  à  lui  avec  confiance'*'. 

Une  lettre  un  peu  postérieure,  du  i  .5  septembre  i3og,  datée  éga- 
lement de  Moret,  est  adressée  au  chapitre  et  au  clergé  du  fliocèse  de 
Mende.  L'évêque  vise  ici  à  la  haute  éloquence  et  n'aboutit  le  pins 
so\ivent  qu'à  un  obscur  pathos.  Il  demande  à  son  clergé  la  ])roroga- 
tion  pour  six  ans  du  subside,  avec  droit  aux  annates,  qui  antérieure- 
ment lui  a  été  accordé.  Il  résume,  en  un  style  enflammé,  les  souf- 
frances de  l'église  de  Mende,  souffrances  cjue  le  traité  de  pariage, 
conclu  par  ses  soins,  est  venu  enfin  apaiser.  Mais  ce  traité  de  paix, 
cette  compositio,  on  la  combat,  on  la  veut  abolir.  Ici  Guillaume, 
emporté  par  sa  passion  des  citations,  ose  se  comparer  au  Christ 
et  s'approprie  les  paroles  du  Psalmiste  :  Fremuernnt  etemm  (fenles  et 
medhatœ  siiiU  inania,  et  convcnernnt  m  tiiuim  adversns  Dominum  et  adversus 
Cliristiini  ejus''-^;  il  emprunte,  dans  la  même  lettre,  le  langage  d'Isaïe, 
de  Jérémie,  de  saint  Grégoire,  efforts  d'éloquence  qui  ont  pour 
objet  de  persuader  le  clergé  de  l'énormité  des  frais  nécessaires 
pour  défendre  le  traité  de  pariage,  violemment,  savamment  attaqué. 
L'église  de  Mende  ne  peut  laisser  j)érir  le  pariage  :  Non  Jims  per  princi- 
puim,  sed  per  finem  pnnapiiim  comniendatur,  a  dit  Sénèque.  La  tête 
et  les  membres  sont  solidaires  :  de  capite  memhrorum  descendit  gloria.  Si 
l'œil,  l'oreille,  la  main  ou  le  pied  vient  à  dire  :  «Je  ne  fais  pas  partie 
du  corps»,  en  résulte-t-il  que  chacun  d'eux  n'en  fasse  pas  partie? 
Que  le  chapitre  de  Mende  et  tout  le  clergé  du  Gévaudan  s'unissent 
donc  à  leur  évêque  et  lui  accordent  le  subside  qu'il  demande,  car 
ses  seules  ressources  sont  cruellement  insuffisantes'^'.  Fie  secours 
réclamé  fut  accordé;  en  effet,  six  ans  plus  tard,  l'évêque  sollicitait,  par 
une  seconde  lettre,  le  renouvellement  de  ce  subside  pour  six  ans 
encore. 

Celte  lettre,  datée  du  manoir  d'Argenteuil,  28  septembre  i3i5, 

-''  Arch.  de  la  l.o^^re,  G  71.  —  ''•   Psaumes,  II,  la.  —   '''  Arch.  de  la  Lor^re,  G  33. 


lAKOlK  DE  MKNDE.  —  SES  ECKITS.  137 

est  moins  amphigourique  que  la  précédente.  L'évéque  invite  son  clergé 
à  prier  pour  l'élection  du  souverain  pontife,  le  Saint-Siège  étant  vacant 
par  la  mort  <le  Clément  V,  et  aussi  à  j)rier,  à  la  messe,  poui-  le  roi  et 
la  reine,  pour  levêque  de  Mende  et  pour  son  troupeau.  H  l'entretient 
ensuite  de  ses  incessants  efforts  et  travaux  pour  la  défense  des  droits 
et  des  libertés  de  l'église  de  Mende.  Il  insiste  sur  les  énormes  dépenses 
(in'il  a  dû  faire  et  déclare  que,  depuis  son  élévation  à  l'épiscopat,  il  a 
prélevé  sur  sa  fortune  personnelle  plus  de  20,000  florins  d'or.  Pour 
conclure,  il  demande  instamment,  humblement  même,  la  con- 
tiinialion  pour  six  ans  du  subside  et  des  annates  ])récédemment 
accordés.  11  observe,  en  linissani,  que  les  divers  droits  dus  à  l'évéque, 
d'après  les  canons,  ne  lui  sont  pas  régulièrement  payés.  H  invoque 
cette  fois,  en  fait  d'autorités  anciennes,  saint  Paul,  saint  Léon,  saint 
Bonilace,  les  conciles  d'Antioche  et  de  Tolède.  Ajoutons  cpie  le  sub- 
side caritatif  et  les  annates  demandés  furent  accordés''^. 

Dans  les  deux  lettres  que  nous  venons  d'analyser,  lettres  adressées 
au  chapitre  et  aux  prieurs,  recteurs,  curés  et  bénéficiers,  la  saluta- 
tion initiale  est  ainsi  libellée  :  Salutem  cl  /ehcttatcm  ctcriialiiiin  (juu- 
(lioruin.  Le  7  novembre  i32<,  l'évéque,  écrivant  de  son  manoir  d'Ar- 
gentenil  et  s'adressant  cette  fois  au  seul  chapitre,  emploie  une  autre 
formide  :  Salutem  et  sincère  (hleclKinis  ajfeclum. 

Cette  dernière  missive  est  de  nature  fort  délicate.  La  charge  de 
préchantre  est  vacante  en  l'église  de  Mende,  et  le  chapitre  a  décidé 
de  procéder  à  l'élection  du  successeur  le  19  décembre  et  jours  sui- 
vants. L'évéque  prend,  à  cette  occasion,  les  plus  grandes  précautions 
])Our  éviter  querelles  et  dissentiments,  tout  en  sauvegardant  ses  droits. 
Le  chapitre,  écrit-il,  n'a  eu  que  de  bonnes  intentions  en  prenant  cette 
décision,  il  n'a  nullement  songé  à  attenter  aux  droits  de  l'évéque,  il 
a  voulu  simplement  obvier  aux  inconvénients  d'une  vacance  pro- 
longée. Guillaume  Durant  envoie  donc  sa  ratification,  mais  pour 
cette  fois  seulement  et  sans  préjudice  pour  l'avenir,  car  pareille  nomi- 
nation ne  compète  pas  aux  seuls  chanoines  :  le  droit  de  nommer  le 
préchantre  appartient  en  commun  à  l'évéque  et  aux  chanoines. 
Guillaume  prend  la  précaution  de  convoquer  lui-même  le  chapitre 
pour  la  date  du  )  9  décembre.  Il  veut  qu'il  soit  procédé  à  l'élection 

'''  Arch.  de  Ja  Lozère,  G  GSg. 

HIST.   LITTÉH.   XXXV.  l8 


138  GUILLAUME  DLIUNT  LE  JKLNE. 

comme  si  la  date  en  avait  été  fixée,  suivant  l'usage,  par  l'accord  de 
l'évêque  et  du  chapitre,  sans  que  par  suite  du  présent  arrangement 
H  aucun  droit  nouveau  vous  soit  acquis,  écrit-il  aux  chanoines,  à  vous 
ou  à  vos  successeurs,  et  sans  qu'il  soit  dérogé  en  quoi  que  ce  soit  à 
nos  droits  et  à  ceux  de  nos  successeurs  ». 

A  ces  cautèles  le  chapitre  répondit  par  des  cautèles  correspon- 
dantes :  par-devant  notaire  et  témoins,  les  chanoines,  chacun  person- 
nellement et  tous  en  corj)s,  dirent  et  protestèrent  ne  consentir,  ni 
tacitement,  ni  expressément,  soit  à  renseni])le,  soit  au  détail  de  la 
missive  épiscopale.  Ils  refusent,  déclarent-ils,  leur  assentiment,  pour 
le  cas  où  il  se  trouverait  dans  cette  lettre  quoi  que  ce  soit  cjui  fût  ou 
qui  pût  ])araître  préjudiciahle,  présentement  ou  dans  l'avenir,  aux 
droits,  usages,  coutumes  et  statuts  du  chapitre'"'. 

Ces  réserves  réciproques  n'impli([uent  pas,  nécessairement,  un 
véritable  dissentiment.  Ce  sont  surtout  précautions  de  gens  très  |)ru- 
dentsqui,  en  présence  d'un  fait  nouveau,  ne  veulent  rien  engager, 
rien  compronictlie,  et  entendent  demeurer  dans  le  slalii  (fiii). 


VllI.  — Écrits  attribués  par  erreur  à  Guillaume  Durwi. 

1.  Le  LiheUus  de  rébus  in  coiicilio  defimendis  a  parfois  été  attribué  a 
(luillaunie  Durant  le  Jeune.  Il  aurait  été  rédigé  par  lui  en  réponse 
à  une  demande  adressée  par  le  pape  aux  mem])res  du  concile  de 
Vienne  lors  de  la  première  session  de  cette  assend^lée.  Comme  l'ont 
fait  remaixpier  nos  devanciers,  cette  attribution  a  été  contestée  dès 
le  début  du  XMii"  siècle;  de  nos  jours,  il  a  été  éta])li  péremptoirement 
que  le  mémoire  en  question  doit  être  attribué  à  un  autre  membre  du 
concile  de  Vienne,  (luillaunie  Le  Maire,  évèque  d'Angers'-'.  Nous 
n'éprouvons  aucune  hésitation  à  rayer  cet  ouvrage  de  la  liste  des 
écrits  de  Guillaume  Durant'*'. 

2.  On  a   aussi  attribué  cà   (Tiiillaume    un    office  ancien   de   saint 


'''  Arch.  de  la  I.o/i'ii",  G  GSg.  Kliile,    lus  dfii  Aiten  itcs  \  icnitoi  Coiuils ,  dans 

'''   Histoire  liltrniire,  \.  XW! , p.  87  et  suiv. ,  Archii   fur   Litteralur-   und  Kirclienrfeschicltte , 

p.  210  et  suiv.  1888,  t.  IV,  p.  437.  et  la  a'  édition  de  l'His 

'''  Les  critiques  inocU-rnes  n'éprouvent   pas  loire   des   conciles  de   Helele   (liadiulion  fran- 

sur  ce   point  plus   d'Iiésitalion   que   nous;  cl.  (aise),  I.  VI,  p.  6\-,  noie  (i. 


BERNARD  GlI,  FRÈRE  PRÉCHEliR.  139 

Privât'''.  Nous  constaterons  simplement  que  l'office  de  saint  Privât, 
qui  ne  parait  pas  avoir  été  composé  au  temps  de  Guillaume  Durant, 
figure  dans  son  Directorinm^'^K 

3.  On  conserve  dans  la  bibliothèque  de  Dresde  un  manuscrit  qui 
contient  un  calendrier  précédé  de  cette  mention  :  GiUelmus,  presbiter 
Mimatensis,  mirifice  composuit  hns  versus^^K..  Il  n'y  a  aucune  raison  de 
suivre  l'auteur  du  catalogue  imprimé  dans  l'attribution  de  ces  vers 
à  Guillaume  Durant,  évêque  de  Mende. 

P.  V.'*). 


BER>ARD  GDI,  FRÈRE  PRÊCHEUR. 

Dès  le  siècle  même  qui  a  vu  la  fondation  de  fOrdre  des  Frères 
Prêcheurs,  quelques-uns  de  ses  membres,  par  la  plume  et  par  la 
parole,  se  sont  acquis  une  réputation  éclatante.  Le  religieux  dont 
nous  allons  parler  n'appartient  pas  à  cette  phalange  glorieuse,  mais 
ses  écrits,  qui  forment  une  masse  imposante  et  sont  une  mine  d'in- 
formations sur  l'histoire  de  son  temps,  le  recommandent  particu- 
lièrement à  l'estime  et  à  la  reconnaissance  de  la  postérité.  Un  de 
nos  devanciers,  qui  les  a  minutieusement  étudiés,  n'hésite  pas  à 
déclarer  qu'il  en  considère  l'auteur  comme  «  fun  des  pins  remar- 
«  quables  historiens  du  commencement  du  xiv*"  siècle'^'  ». 

Ce  religieux  n'a  écrit  qu'en  latin.  Il  se  nomme  lui-même  liemardus 
Gwdoiiis,  et  telle  est,  en  latin,  la  seule  forme  autorisée  de  son  nom 
de  famille.  Plusieurs  de  ses  biographes  français  disent  «Bernard 
Guidonis '•■'»,  comme    si    ce   nom    était    irréductible    à    une    forme 

'''   Voir     nolammenl    ÏOido    divini    ojficii  '■')   L.  Delisle,   Ao/iVe   mr   les  manuscrits  de 

(Mimali,  1902),  p.  ()7.  lieinaid  Gui,  dans  Ao(iV«  et  cxliails  des  uia- 

'■'  Cf.  Ulysse   Chevalier,    Reperlorium   hym-  nuscrits ,  t.  XXMI,  2*  partie  (i87(j),  p.   iGy- 

nologicain ,    n"'   7778,    ii45o,    i54()9;    ^"^''^  ''^i- 

Reinize,  Snin(  Privai,  martyr,  évêqae  da  Gévaa-  l';   Notamment  le  P.  Touron , //i.v/.  Jej /lommes 

(fan  (Mende,  1910),  p.  347-36i  et  371-374.  illustres   de   l'Ordre   de  Saint-Dominique,  t.    Il 

'''  Fr.  Schnorr  von  Carolsfeid,  Cataloy  der  (  1745),  p.  94,  el  le  chanoine  Arbellot,  Étude 

Handsckriften    ...zu    Dresden.    t.   I  (Leipzig,  biographique  et  biblioqrapbiqae  sur  Bernard  Gui- 

1882),  p.  387.  donis.  évéque  de  Lodèie,  dans  Bull,  de  la  Soc. 

'''  .\vec  additions  et   retouches  de  la  Com-  archéol.  et  hist.   du  Limousin,    1896,   t.  XLV, 

mission.  p.  6  et  suiv.  C'esl  aussi  sous  Gvidonis  que  le  rha 

18. 


140  BERNARD  GLI,  FRÈRE  PRÉCHEl  R. 

vulgaire  assurée.  Mais  il  est  permis  de  secouer  la  tyrannie  du  latin 
quand  il  s'agit  d'un  personnage  né  dans  la  seconde  moitié  du 
Kiir  siècle  :  à  cette  date,  les  noms  de  famille,  comme  les  noms 
de  baptême,  peuvent  s'énoncer  en  langue  vulgaire.  8'appuvant  sur 
l'exemple  donné  par  deux  traducteurs  des  œuvres  de  frère  Bernard, 
dont  l'un  écrivait  en  langue  d'oïl  et  l'autre  en  langue  d'oc,  Léopold 
Delisle  a  adopté  la  forme  du  cas  sujet,  Gui,  de  préférence  à  la 
forme  du  cas  régime,  Gnioii,  comme  étant  celle  qui  correspond 
le  mieux  au  nom  de  famille  énoncé  Giiidonls  en  latin.  Tel  est, 
en  fait,  l'usage  le  plus  généralement  suivi  en  Linu)usin  flès  le 
xiii"  siècle.  Le  chroniqueur  Bernard  Itier  mentionne  à  plusieurs 
reprises  un  moine  de  Saint-Martial  de  Limoges  du  nom  de  «Ilelias 
'iGtm<  '*;  il  enregistre,  en  outre,  sous  1219,  la  mort  d'un  certain 
"  lliimbert  Gtii  »'-'  et,  sous  1  2  <  ■>  ,  celle  de  «  P.  Gai  «  '  ' .  Nous  avons  donc 
de  bonnes  raisons  pour  suivre  l'exemple  de  Delisle;  nous  dirons  «  Ber- 
nard (lui  »"''. 

S  V    V  I E. 

Une  ancienne  biographie,  rédigée  par  un  anonyme,  peu  de  temps 
après  la  mort  de  notre  auteur'^',  nous  apprend  c[u'il  était  originaiie 
du  diocèse  de  Limoges,  «  ex  vico  vocato  lioeria,  prope  lUipem  Apis  '"'  ". 
11  s'agit  de  Royère,  paroisse  à  laquelle  la  Révolution  conféra  le  titre 
de  chef-lieu  de  commune,  qu'elle  a  perdu  en  1829,  date  de  son  in- 
corporation à  une  commune  voisine,  celle  de  La  Roche-l'Abeille^'. 

ndine  L'ivsse  Chevalier  a  j)lacé  le  long  arlicle  '"'   IVlisIe,  p.  427. 

bibliographique  qu'il  a  inséré  dans  son  Ilépei-  '"'  Cant.    de    Nexon,  arr.    de    Saint-^rieix. 

loire  (les  siiiirces  Infloiiques  du  moyen  âge.  11  \aiit  mieux  écrire  Royerc,  conibrmément  à 

''     l)u|)lés-Aj;ier,   Chroniques  de  Saint-Mur-  la    tradition,  fidèlement    suivie   par  les  cartes 

liai  de  Limoijcs   (Paris,    1874),   p.    249,    a5i,  de  Cassini    et    de  l'Ltat-Major,    que   Royéres , 

374,  a8i  et  28^^  comme  le  l'ait  une  pratique  récente,  à  laquelle 

"    Ihid.p.  10.").  le    Dictionnaire  des  Postes    prête    sa  publicité. 

'''   Ibid.,p.  "'.73.  Deux    autres   paroisses  homonymes  existaient 

''  (]eu\  (jui  l'appellent  «  Bernard  de  La  (iitin  dans  le  diocèse  de  Limoges  :  l'une  est  devenue 

«  nie  «[Histoire  littéraire  ,1.  X\\ ,  p.  433)  antici-  chef-lieu   de    canton    de   l'arrondissement    de 

()cnt  sur  les  événements;  voir  ci-dessous,  p.  1  43.  Bourganeuf;   l'autre,  à  laquelle  I  orthographe 

'*'  Le  texte  en  a  été  publié  en  dernier  lieu  oflicielle  attribue  un  ;  final,  est  un  chef-lieu  de 

par  Delisle,  p.    'n7-43i.  Echard    en   attribue  commune  du  canton  de  Saint-Léonard,  arron- 

ronjecturalement    la    paternité  à   Pierre  Gui,  dissemeni   de  Limoges.    C'est   par  erreur  que 

neveu  de   Bernard  I^Seript.  Ord.  Prtedic. ,  l.  I,  (Charles  Molinier  place  le  lieu  de  naissance  de 

p.  fiaô  .  Bernard  Gui  dans  cette  dernière  commune'^//»- 


SA  VIE.  141 

Le  biographe  ne  nous  fait  connaître  ni  le  nom,  ni  la  condition  des 
parents  de  Bernard  Gui.  Nous  apprenons  par  d'autres  sources  domi- 
nicaines qu'il  avait  un  frère  nommé  Laurent,  qui  vivait  encore  en 
i32  7  et  fut  recommande  aux  prières  de  fOrdre,  dans  le  chapitre 
provincial  tenu  à  Limofi^es  en  cette  année'",  et  un  neveu  du  côté 
paternel,  Pierre,  qui  suivit  la  même  carrière  que  son  oncle  et  mourut, 
probablement  en  iS/iy,  à  Saint-Girons '-\  après  avoir  été  prieur  des 
couvents  de  Périgueux  et  de  Carcassonne,  provincial  de  Toulouse 
et,  vers  la  fin  de  sa  vie,  inquisiteur  dans  cette  dernière  ville '■**. 

Les  registres  pontilicaux,  récemment  mis  à  la  portée  du  public, 
nous  apprennent  que  deux  autres  neveux  de  liernard  Gui,  non 
reconnus  jusqu'ici  comme  tels,  bénéficièrent,  au  début  de  leur  car- 
rière, de  sa  haute  situation  dans  l'Église,  où  eux-mêmes  obtinrent 
à  leur  tour  des  fonctions  importantes.  Par  une  bulle  du  ■>.  i  septembre 
1 3 18,  le  pape  Jean  AXll  conféra  l'église  paroissiale  deTliurageau''', 
au  diocèse  de  Poitiers,  vacante  par  démission,  à  Aimeri  l[a<}onis,  dont 
la  parenté  avec  Bernard  Gui  est  expressément  mentionnée '■''.  Le  même 
jour,  un  autre  neveu,  non  encore  pourvu  de  bénéhce,  (\niGmdonis, 
obtenait  un  canonicat,  avec  expectative  de  prébende  et  de  dignité, 
dans  l'église  de  Saint-Paul  de  Fenouillèdesf^),  au  diocèse  d'Alet<"'.  On 
ne  peut  hésiter  à  idenlilier  Aimeri  avec  le  prélat  qui  occupa,  long- 
temps après  Bernard  Gui,  le  siège  épiscopal  de  Lodève,  de  i36i 
à  1370,  après  avoir  été  chanoine  de  Poitiers,  officiai  de  Bourges, 
prieur  de  la  collégiale  de  Vatan '*'  et  auditeur  des  causes  du  Sacre 
Palais*^'.  Quant  à  Gui,  nommé  par  le  même  pape  chanoine  et  archi- 
diacre de  Tuy,  le   \l\  mai  iSa/i*'"),  il  devint  préchantre  de  Lodève, 

quisitiou  dans  le  Midi  de  In  France .  Paris ,  1 880 ,  '*'   Gant,  de  Mireheau ,  arr.  de  Poitiers. 

p.    206,  noie  S).  La  traduction  de  /Joe/m  par  <■'■   Mollal,    Jenn    XXII.    Letlics    commiwo . 

«La  Roère»,   adoptée  par  les   nouveaux    édi-  n"  843''i. 

teurs  de  V  Histoire  de  Lnngaedoc.  t.  IV,  p.  292,  ("'Saint-Paul,  ch.-l.    de  canl.  de  lari.    de 

ne   correspond  à   aucune  réalité.  Perpignan. 

(')  Pelisle,  p.  173  et  ^\o.  '"   Mollal,  ouv.  cité,  n"  8436. 

(')  Et  non    à    Géronce    (Basses -Pyrénées),  (»'  Gh.  1.  de  cant.  de  l'arr.  d'Issoudun. 
comme  disent  quelques  l)iographe3,"  trompés  '"   H  faut  l'appeler  H„>joj,.  et  non  Hii;i,,e.< 
par   la  façon  dont  Échard   a  rendu   en   latin  ou  lïHmjaes:  cl.   Ahbé  .loseph    Nadaua,  .Vo- 
le nom  de\Saint-Girons  ( Crerunliifamim ).  hiHaire  de  In  ,fémhahtc  de  Limoijes.  t.  Il ,  P-  3o8. 

(')  Quétif  et  Échard,  Script.,  t.  1,  p.   625:  La  notice  que  lui  avait  consacrée  1  abbé  .^adaud, 

Delisle,  p.  173-17/i;  Ch.  Molinier,  ouvr.  cité,  et  à  laquelle  il  renvoie,  ne  nous  est  pas  par- 

p.  ao8,  note;  Douais,  Les  Frères  Prêcheurs  en  venue. 
Gascogne.  i885,  p.  453-'',r)4.  '"'  MoUat,  ouv.  cité,  n-  19658  et  igSag. 


]'V2  BERNARD  (iUl,  FRKRK  PRKCHKl  IL 

et  il  assista  aux  derniers  moments  de  son  oncle  ".  L'un  et  l'autre 
furent  professeurs  utriiisfjiicjuns. 

Nous  pouvons  jusqu'à  un  certain  point  suppléer  an  silence  de 
l'ancien  biographe  en  ce  qui  concerne  la  condition  sociale  de  la  famille 
de  Bernard  Gui  et  sortir  de  la  prudente  réserve  que  s'est  imposée 
Delisle  à  ce  sujet*"^.  Cette  famille  appartenait  à  la  petite  noblesse 
limousine.  Elle  possédait,  dans  la  paroisse  de  Uoyère,  un  manoir 
dont  le  nom  primitif,  aujourd'hui  inconnu,  fut  remplacé,  dès  le 
XV*  siècle,  sinon  plus  tôt,  par  celui  de  La  (jnionie^^K  dérivé  du 
nom  même  de  ses  possesseurs.  Bientôt  les  leprésentants  de  la  famille 
abandonnèrent  leur  nom  patronymique  pour  prendre  celui  de  leur 
manoir,  à  la  sonorité  plus  avantageuse.  Ce  n'était,  après  tout,  qu'un 
prêté  rendu.  Il  n'en  était  certainement  pas  ainsi  au  temps  de  Bernard 
Gui'*"';  on  ne  saurait  même  affirmer  que  le  manoir  existât  au  moment 
de  sa  naissance*''.  Le  plus  ancien  membre  de  la  famille  qui  nous  soit 
connu  par  les  documents  d'archives  est  appelé  simplement  «  Ber- 
nardus  Guidonis,  miles,  de  Roheria  »  dans  deux  actes  de  iSôS'*"'.  Ce 
Bernard,  mort  au  plus  tard  en  ]36>  '',  pouvait  être  neveu  et  fdleul 
du  célèbre  Dominicain'*. 

La  fréquence  du  nom  patronymique  Gui,  en  latin  G»ff/o/H5,  peut  faci- 


'"  A  oir ci-dessous,  p.i  SB.note-»:  Benoit  XII  le 
nomma  doyen  de  la  collégiale  de  Montréal,  au 
(liorèsp  de  (^arrassonne ,  le  2.1  déceinl)iv  i3j() 
A  idal ,  liciiod  Xll ,  Lellre<:  rniiiiiiiiiies ,  n"  G^gd}. 

*  Notice  citée,  p.  l'y.^  :  «La  condition  des 
•  parents  de  Bernard  nest  pas  connue.  Des  au- 
«  teurs  modernes  le  rattachent  à  une  noble  fa- 
Miiiile  du  Limousin;  d'autres  allirmcnt  qu'il 
"  était  d'une  liumblc  extraction.  A  cet  égard  les 
"anciens  témoignages  font  délaut.» 

''  Orthographe  de  Cassini  ;  on  écrit  le  plus 
souvent  aujourd'hui  l.a  (iiiYonie.  Les  premiers 
tirages  de  la  carte  de  l'Etat- Major  portent, 
par  suite  d'une  faute  de  gravure,  la  (iulonie.  Le 
manoir  a  dispai-u,  mais,  dans  le  voisinage,  un 
domaine  agricole  perpétue  ce  nom ,  que  les 
derniers  tirages  de  la  carte  de  l'Elat-.Major  ont 
supprimé  indûment.  Dans  une  rex  ue  des  nobles 
du  Haut-Limousin,  passée  le  4  janvier  1471. 
figure  «  Helyot  Guy,  escuier.  seigneur  de 
t  Guiomero  (G.  Clémenl-Simon,  Arch.  Iiist.  de 
la  Cnrrèze,  Paris,  igoS,  t.  I ,  p.  Sa);  Gaiomer 
doit  être  corrigé  en  :  [/>«]  Gtiionie. 


''  Dans  les  analyses  d'anciens  actes  que 
nous  a  laissées  dom  \iilevieillc,  on  trouve  des 
•■(le  La  Guyonie»  dès  1378  (Bibl.  nat.,  franc. 
."îiÇjsS,  loi.  i5()  et  suiv.  );  mais  les  textes  latins 
qui!  avait  sous  les  yeuy,  et  qu'il  a  traduits, 
(levaient  porter  Guidonii. 

'  11  est  donc  très  hasardeux  de  placer  le 
berceau  de  Bernard  Gui  à  La  Guionie,  comme 
le  fait  le  chanoine  Arbellot  (p.  9).  Les  bio- 
graphes qui  le  font  naître  à  Juvé,  château 
encore  debout  dans  la  partie  nord  de  l'ancienne 
paroisse  de  Royère,  sont  encore  plus  mal 
inspirés,  car  Juve  est  entré  par  mariage  dans 
la   famille  Gui  à  la  lin  du  xv'  siècle. 

'  \'oir  les  analyses  de  dom  \'illevieille  (Bibl. 
nat.,  ms.  cité,  fol.  i25  v°),  où  il  est  appelé  : 
«  Messire  Bernard  Guidon ,  chevalier  de  Bo- 
«  heria  «. 

'  D'après  le  Nobiliaire  de  la  gcne'ralite  île 
Limoges  de  l'abbe  Joseph  Nadaud,  t.  Il ,  p.  333. 

'■  Le  Aobiliaire  le  dit  fils  d'un  certain  Gui 
Guidonis,  mais  ne  cite  aucun  document  à  l'ap- 
pui de  ce  «lire. 


SA  VIE.  143 

leinent  induire  en  erreur.  Il  est  bon  de  rappeler  que  notre  auteur 
a  lui-même  pris  soin  de  nous  avertir  qu'on  ne  devait  pas  le  confondre 
avec  un  de  ses  homonymes,  frère  Bernard  Guidonis,  religieux  du 
même  Ordre  que  lui,  originaire  du  diocèse  de  Béziers'''.  Il  n'est  pas 
moins  certain,  bien  qu'il  ne  nous  ait  pas  fait  de  confidences  à  ce  sujet, 
que  sa  famille  est  tout  à  fait  distincte  d'une  famille  de  haute  noblesse 
établie  dans  le  nord-ouest  du  diocèse  de  Limoges,  où  elle  posséda 
notamment  les  seigneuries  de  Brillac'-'  et  de  Chabannes*-'',  et  dont 
deux  mend)res,  probablement  frères,  occu])èrent  des  situations  en 
vue  durant  le  premier  quart  du  xiV  siècle  :  Guiard  Gui,  mort 
sénéchal  de  Toulouse,  le  4  février  i32i'*^  et  Hélie  Gui,  abbé  de 
Nouaillé  jusqu'en  i3o8,  mort  évêque  d'Autun  en  i322^^'. 

Bernard  Gui  naquit  en  1261  ou  en  1262,  puisque,  d'après  un 
témoignage  autorisé*'^',  il  était  dans  sa  soixante-dixième  ou  dans  sa 
soixante-onzième  année  au  moment  de  sa  mort,  le  3o  décembre  1 33  1 . 
Tonsuré  dans  le  couvent  des  Dominicains  de  Limoges  par  l'évêque 
de  Périgueux,  Pierre  de  Saint-Astier,  ([ui  s'y  était  retiré  en  1265  et 
qui  y  mourut  en  1276,  il  prit  l'habit  de  l'Ordre  le  16  septembre 
1279'^^  et  fit  sa  profession  solennelle,  le  16  septeiidire  1280''^^ 
entre  les  mains  du  frère  Etienne  de  Salagnac,  religieux  éminenl 
dont  il  devait  plus  tard  publier,  en  la  complétant,  une  importante 
compilation    historique.    Selon    l'usage,   il   se    consacra    d'abord   à 

•''   Delisle,  |).  171.  \ous  ne  savons  rien  sur  sénéchal  de  Toulouse ,  mais ,  sur  la  loi  do  doni 

les  attaches  d'un  frère  Guillaume  (^uiWoni.s  (|ui  Estiennot,    il   lattaclie  l'évcque   d'Autun   à   la 

se  trouvait  au  couvent  de  Paris  en   i,îo3  (Du  i'aniille  de  Bernard  (iui  (Etude  citée, p.  8).  Les 

puy,   Hist.   du  différend...,  p.    iJi).    Quant  à  armes   ligurées  sur  le  sceai-  de  l'évêque  d'Au- 

Irèie  Arnaud  Ciiidonis,  mailre  en  théologie  en  tun  prouvent  qu'il  était  apparenté  au  sénéchal 

i358,  il  est  établi  qu'il  était  Limousin,  mais  de  Toulouse  (voir  Douët  d'Arcq,   Catal.  de  la 

non  qu'il  fût  parent  de  notre  Bernard,  comme  coll.    des    sceaux    des    Archh'es    de    l'Empire. 

l'attirme  Ecliard.  n°    1)47  i  ;  Aug.   Coulon,    linent.  des  sceaux  de 

<-'  Canl.  sud  etarr.de  (lonl'olens.  '"   bourgogne,   n"  910;  cl'.    Bibl.  nat.,    l'ranç. 

<')  (^omni.  de  Saint  Plerre-deFursac,  cant.  ^TD-î?'   dossier   t.uy,   n°   StqOIj,  p.  3i).Ces 

du  Grand-Bourg,  arr.  de  Guéret.  armes  consistent  en   trois  Heurs  de  lis;  celles 

'    Delisle  n  groupé  de  nombreux,  documents  des  Gui, de  Bo\ere,  comportent,  au  contraire, 

sur  Guiard  (iui  considéré  comme  sénéchal  de  d'après  le  NobiUinre  de  l'abbé  Nadaud,  trois 

Toulouse,  mais   il   n'a   rien  dit  de  sa  famille  créneaux    ou,    d'après    dom    Estiennot,   trois 

(  Historiens  de  la  France .  I.  \XI\  ,  p.  ■•j()/i-'j()5  ).  guignes. 

Il  est  curieux  de  constater  (pie  le  sénéchal  de  '*'   Ancienne     biographie    anonyme,     d:ins 

Toulouse  Guiard  Gui  prêta  serment,   en  sep-  Delisle,  p.  429. 

lenibre  iSig,  entre  les  mains  de  l'inquisiteur  '''  Quétif  et   Echard,  Script.   Ord.  Prœdic., 

Bernard  Gui.  t.  I,  p.  57!);  cf.  Arbellot,  p.   10. 

'■   Le  chanoine   Vrhellot    ne   parle    pas    du  '*'   Delisle,  p.  \'j^\. 


144  BERNARD  r.LI.  FRERE  1>RECHEI  R. 

Tétude  de  la  logique,  puis  de  la  physique;  en  laNo,  on  le  trouve 
inscrit  comme  étudiant  en  cette  dernière  matière  ;ui  couvent  de 
Limoges,  qu'il  n'avait  probablement  ])as  quitté  dejîuis  sa  profession; 
en  1  284 1  le  chapitre  provincial,  tenu  à  Perpignan,  le  désigne  comme 
lecteur  de  logique  alîecté  au  couvent  de  Brive.  Il  passe  ensuite  aux 
études  théologiques,  qu'il  poursuit  à  Narbonne,  en  i285''',  et  à 
Limoges,  de  12 86  à  1  2 88, pour  les  terminer  à  Montpellier,  en  12  8() 
et  1290'"'.  Dès  lors,  il  est  en  état  d'enseigner  lui-même  en  cette 
matière.  Sous-lecteur  de  théologie  à  Limoges,  en  i2()i,  lecteur  à 
Albi,  en  1292  et  1298,  à  Castres,  en  i2()4,  il  n'abandonne  pas  l'en- 
seignement, qu'il  cumule  avec  l'administration,  (|uand  on  le  charge 
des  fonctions  de  prieur  dans  divers  couvents  de  l'Ordre,  à  Albi 
(juillet  1294),  à  Carcassonne  (octobre  1  297  ),à  Castres  (16  août  i3oi). 
En  i3o5,  il  quitte  momentanément  l'administration;  mais,  à  peine 
installé  comme  lecteur  de  théologie  à  (Carcassonne,  il  doit  descendre 
fie  sa  chaire  de  professeur  pour  n'y  plus  remonter''  :  pendant  un  an 
et  demi  (août  i3o5— janvier  1807),  il  exerce  exclusivement  les  fonc- 
tions de  prieur  du  couvent  de  Limoges.  Quand  il  en  fut  relevé  par 
ses  supérieurs,  il  était  destiné  à  servir  l'fCglise  dans  un  champ  plus 
vaste,  avec  le  titre  d'inquisiteur  de  l'hérésie. 

Sur  cette  ])remière  ])artie  de  sa  carrière,  Bernard  Gui  lui-même 
nous  a  conservé  maints  détails  dont  il  sulïlra  de  rapporter  les  plus 
intéressants  :  1(>  5  juillet  1298,  il  assista  à  la  pose  de  la  première 
pierre  de  l'église  du  couvent  d'Albi,  faite  solennellement  par  l'évêque 
de  cette  ville,  Bernard  de  Castanet;  pendant  son  premier  séjour  à 
Carcassonne  (1  297-1  ^^0'  ^P'^ès  avoir  été,  comme  ses  compagnons, 
en  butte  aux  sentiments  hostiles  de  la  population,  dont  il  nous  a  tracé 
un  tableau  saisissant,  il  eut  la  satisfaction  de  voir  les  magistrats  de 
la  ville  faire  amende  honorable  et  se  réconcilier  avec  l'Inquisition; 

'''  Pvaclicu  Inquisilioiùi . . . ,  aactore  llernardo  l'rêcliciiis .  Paris  el  Toulouse,  i884,  |>.  i05. 
GttifioHii ,  éd.  Douais  (Paris,  i88(j),p.  vi.  '^i  D'après  Chartes  Molinier  {L'Inquisition  , 

'"'   Douais    nomme    comme    professeurs  de  p.   aïo,  noie    i)  ei   Douais  (Practica  Inqaisi- 

Bernard  Gui,   «  Huj;ues  de  Creyssel,  Bernard  lionis .  p.   \i),  il  aurait,  rempli,   en   i3i8,  les 

"  Lamollie,  ltier(le(^i)mpiiliac  (/(Ve;  Oimpnhac)  ronctiqns  de   jirincipal  lecteur  en  théologie  à 

■  et   (iuillaume    de   Quinsac  ».    11  y    a    erreur  .Saint-Etienne  de  Toulouse;  mais  le  lait  est  dou- 

pour  ce  dernier,  car  il   mourut  à  Montpellier  (eux,   irétani   a[>puyé  que  sur  la  compilation 

le   24    juin    l'.ji,  comme  l'auteur  lui-même  pertiue  du   frère  Antonin  Règinald,   mort  en 

nous    l'aj)prend    dans    son    Essai    sur    l'oiga-  i()7G,  citée  ])ar  Percin,  Monu;«.  roni<.  7'o/osani, 

nisiilidii    des    <Hudes    (hins     l'Ordre     des   Frères  j'oulouse,   iG()S,  p.  68,  n"  10. 


SA  VIE.  145 

;i  Castres,  il  assista  à  l'érection,  dans  l'église  de  Saint-Vincent,  de 
deux  chapelles,  sur  la  construction  desquelles  il  nous  a  transmis  des 
renseignements  de  la  plus  grande  précision,  et  qui  furent  terminées 
peu  de  temps  avant  son  départ,  le  jB  mai  i3o5;  à  Limoges,  où  il 
hébergea  le  pape  Clément  V  (23-2^  avril  i3o6),  qui  lui  concéda 
quelques  menus  privilèges,  il  s'occupa  d'une  œuvre  particulièrement 
méritoire  à  nos  yeux,  à  savoir  de  la  construction  d'une  bibliothèque, 
terminée  en  cette  même  année  i3o6*'*. 

Il  est  naturel  (pie,  dès  lors,  les  livres  aient  tenu  une  grande  place 
dans  ses  préoccupations  :  s'il  les  avait  aimés  comme  étudiant  et  comme 
professeur,  son  amour  avait  dû  encore  augment(>r  depuis  qu'il  avait 
conçu  le  projet  de  marcher  sur  les  traces  d'Etienne  de  Salagnac  et  de 
se  constituer,  pour  ainsi  dire,  at-chiviste  de  son  Ordre.  Son  activité 
dans  cette  direction  remonte  au  moins  à  1297;  c'est  ce  que  nous 
devions  indiquer  ici  d'un  mot,  sans  anticiper  sur  la  partie  de  cette 
notice  ((ui  sera  consacrée  à  ses  écrits. 

L'année  i3o7  est  une  date  importante  dans  la  carrière  de  Bernard 
Gui  :  le  16  janvier,  il  reçut  sa  nomination  d'inquisiteur  dans  le 
royaume  de  France  au  siège  de  Toulouse,  fonctions  dont  il  ne  fut  relevé 
([ue  le  18  décembre  i323.  Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de  rechercher,  en 
utilisant  tous  les  documents  qui  se  sont  conservés'^',  comment  il  s'en 
est  acquitté.  Notons  seulement  que  parmi  ses  œuvres  Hgure  une 
volumineuse  Practica  In(]iiisitionis,  qui  sera  étudiée  plus  loin. 

Plus  d'une  fois  il  dut  se  faire  suppléer  comme  inquisiteur,  car  il  ne 
put  toujours  se  soustraire  aux  obligations  passagères  que  lui  impo- 
sèrent la  confiance  du  Saint-Siège  et  celle  de  ses  confrères ''l  On 
constate,  par  exemple,  que  le  tribunal  de  l'Inquisition  de  Toulouse 
fonctionna  en  son  absence  en  septembre   1 3 1 3 1'*',  et  il  est  probable 

(')  Delisk,  p.    178-179.  Cette  biblioltièque  ''  Nous  ignorons  s'il  se  rendit  réeUement  à 

était  encore  flonssanle  sous  Charles  VII;   en  Strasbourg,  en  litoy.età  Padoue,  en  i3o8, 

.429,    un    aventurier    normand    dont    on    a  pour  prendre   part  aux  chapitres  généraux  de 

esquissé    récemment     la    biographie,    maître  l'Ordre  qui  s'y  tinrent  et  où  il  lut  délègue  par 

I\oberl  Masselin,  l'ut  admis  à  ^j  travailler  [An-  son  chapitre  provincial;  mais  nous  savons  qu  il 

nnks  du  Midi.  191a,  t.  XXIV," p.  5o6).  assista  aux  chapitres  provinciaux  de  Condom 

'->  Le  principal  est  le  registre  tenu  par  les  no-  (juillet   i3o7)  et  de  Bordeaux  (août    i3ii), 

laires  Pierre  de  Clavières  et  Guillaume  Julien,  dont  il  fut  un  des  déiiniteurs,  et  qu'il  présida, 

de  i3o8  à  i3a3,  lequel  a  été  publié  par  Phi-  quelques    années   plus   tard,   celui  d'AuviUar 

lippe  de  Limborch  en  appendice  à  son  Histoiia  (juillet  i3i4)- 

Inquisitionis  (Amsterdam,  1692), p.  281  etsuiv.  '*'  Delisle,  p.  181. 


HIST.  I.ITTER. 


>9 


1^16  BEHNARI)  GUI,  FRÈRK  PHtlCHËlR. 

que,  pendant  la  période  d'environ  quatre  ans  (  i3  i  7-1320  !')  ou  il  lui 
procureur  des  Dominicains  à  la  cour  pontificale''',  il  dut  le  plus  souvent 
déléguer  à  d'autres  le  soin  de  poursuivre  les  hérétiques  du  Languedoc. 
Nous  le  trouvons  à  Avignon  le  26  mars  i3i  1,  écrivant  un  prologue 
pour  ses  Flores  clironicoiuin,  qui  étaient  sur  le  chantier  depuis  cinq 
ans''*,  et  à  Lyon  le  1  1  septembre  i3i6,  peu  de  temps  après  l'élection 
du  pape  Jean  XXll  (7  août),  prenant  des  mesures  pour  que  la  mort 
de  son  collègue  Jofroi  d'Ablis,  inquisiteur  de  Garcassonne,  survenue 
la  veille,  n'interrompe  pas  rolTice  inquisitorial  pendant  la  vacance  de 
ce  poste '^'. 

Bientôt  la  confiance  du  nouveau  pape  vint  ouvrir  à  l'activité  de 
Bernard  Gui  une  carrière  imprévue,  qui  n'était  en  rapport  direct  ni 
avec  ses  fonctions  officielles,  ni  avec  ses  goûts,  et  qui  devait  le  tenir 
éloigné  pendant  quelque  temps  et  du  Languedoc  et  de  la  France  elle- 
même.  Dès  le  29  janvier  i3i7'*',  Jean  X\ll  avait  fixé  son  choix  sur 
f  inquisiteur  de  Toulouse  ])our  lui  confier  la  lourde  mission  de  rétablir 
la  paix  dans  le  nord  de  f  Italie,  mission  que  partagea  avec  lui  un 
membre  de  l'Ordre  des  frères  Mineurs,  Bertrand  de  La  Tour,  ministre 
provincial  d'Aquitaine,  et  qui  fut  plus  tard  étendue  à  la  Ligurie  et  à  la 
Toscane.  Il  serait  hors  de  propos  d'analyser  ici  et  même  d'indiquer 
une  à  une  les  nombreuses  bulles  pontificales  qui  se  rapportent  à  cette 

'"'   Delisle,  p.  182-183,  s'insdil  un  l'aut  con-  p.  i5,  n°  3i  ;  MoUat,   Jean  XXII .  Lettres  com- 

tre  les  auteurs  qui  rapportent  à  l'année  i3i2  la  munei,  n'Sotjg).  Une  analyse  inexacte,  commu- 

nomination  de  Bernard  (iui  à  i-es  fonctions,  et  niquée  à   Montfaucon    (Bibl.    bibl.    mss. .   t.    I, 

établit  qu'il  les  exerçait  en  i3i-et  i3i8.  Quant  col.  160),  a  fait  dire  à  Delisle  (p.  179,  n.  3 

à  l'affirmation  d'Echard  (Script.  Oïd.  Prwdic. ,  que  lune  de  ces  bulles  contenait  des  instructions 

I.  I ,  p.  376),  d'après  laquelle  Bernard  aurait  du  pape  sur  la  conduite  à  tenir  envei's  les  heré 

remplacé  Simon  SnftareWi ,  en  i3i7,  et  étérem-  tiques.  Si  l'on  ajoutait  foi  à  Wilhehn  Preger 

placé  lui-même  par  Guillaume  Dulcini,  en  i32i,  [tJber  die  An  fange  des  kirclLenpolitisclien  Kompfès 

ellen'est  pas  exacte,  car  nous  savons  que  la  nomi-  unier   Lndwig    dem    Bcier,    dans   le    t.    XM  , 

nation  de  Guillaume  Du/fini  est  de  i324(Mar-  1'  partie,   1882,  des  Abhandlungen  de   l'Aca- 

tene  et  Durand,  Amptiss.  coll. ,  t.  \  I ,  col.  43 1  ;  demie  de  Munich ,  p.    1  ôg- 1 60) ,  Bernard  Gui 

cf.  Douais,  Les  Frères  Prêcheurs  en  Gascogne,  et   Bertrand  de  La  Tour  auraient    reçu    cette 

p.  417).  mission  dès  le    i4  octobre  i3i(),  date   attri- 

<*'  Delisle,  p.  190  et  393.  buée   à  une   bulle  transcrite  dans  le    même 

'''  Ibid.,  p.  397.  registre  sous  le  n°  87;  mais  l'exactitude  de  la 

C  Date  de  deux  bulles  de  même  substance,  date  adoptée  par  Preger  est  sujette  à  caution , 

transcrites,  sous  le  n°  58  des  curiales,  dans  le  car  W  adding  a  publié  la  bulle  en  question  avec 

registre  109  des  Archives  du\'atican  (voir  An-  la  date  du  1"  mars  i3i7  (Ann.  Minorum,  t.  \  I , 

toine  Thomas,  Les  lettres  à  la  cour  des  papes,  p.   2()  1-364),  et,    depuis,  on  a  remarqué  que 

dans  les  Me7anjfes  publiés  par  l'Ecole  française  le  registre  du  Vatican  qù  elle  est  transcrite, 

de  Rome,  188a,  l.  II,  p.  455;  Sigmund  Riez-  sous  le    n*  87,  en   a   omis  la   date  [Mèlan<ie> 

er,  Vatikanbche  Akteii...,  iiinsbruck,  1801,  cités). 


SA  VIK.  147 

mission.  Mais  comme  une  singulière  bonne  lorluue  nous  a  conservé 
cinq  lettres,  échelonnées  du  18  avril  au  20  août,  où  les  deux  repré- 
sentants du  Saint-Siè},^e  rendent  compte  de  leur  voyage  à  Jean  XXII''', 
nous  nous  attacherons  à  leurs  pas  sur  la  foi  de  leur  propre  témoi- 
gnage. 

Ils  avaient  attendu  le  printemps  pour  franchir  les  Alpes.  Le  len- 
demain de  Pâques  ( l\  avril  1 3 1  7) ,  ils  vont  trouver  Philippe  de  Savoie 
dans  son  château  de  Vigone*^',  puis  le  marquis  de  Saluées  à  Saluées, 
et,  accompagnés  de  ces  deux  princes,  ils  se  rendent  à  l'abbaye  de 
Stafl'arde*^'(8  avril),  où  ils  publient  les  trêves  imposées  par  le  pape. 
Le  11,  ils  sont  à  Avigliana'*',  d'où  ils  donnent  des  ordres  ponr  la 
pubhcation  des  trêves  dans  la  vallée  de  Suse''^  le  12,  à  Turin,  ils 
procèdent  eux-mêmes  à  cette  publication.  A  Asti,  où  ils  avaient  con- 
voqué deux  agents  de  Robert,  roi  de  Sicile,  Giovanni  Conterio  et 
Galvagno  Buxamantica,  ils  se  mettent  en  rapport  avec  les  magistrats 
de  la  ville,  qui  leur  font  le  meilleur  accueil  à  la  maison  commune'"' 
et  qui  édictent  des  peines  contre  ceux  qui  n'obéiraient  pas  aux  ordres 
du  pape.  Le  dimanche  17  avril,  dans  une  assemblée  populaire  tenue 
(levant  la  cathédrale,  ils  prêchent  et  ils  font  lire,  en  latin  et  en  vulgaire 
piémontais,  deux  bulles  pontilicales  relatives  aux  trêves  et  aux  projets 
de  paix  .La  foule  applaudit  à  leur  mission  pacificatrice. 

Philippe  de  Savoie  et  son  allié  le  marquis  de  Saluées,  représentants 
en  Piémont  du  parti  gibelin ,  avaient  promis  d'envoyer  une  ambassade 
au  pape  pour  traiter,  sous  ses  auspices,  avec  le  roi  Robert,  chef  du 
parti  guelfe.  Tout  semblait  donc  aller  pour  le  mieux;  mais  les  ambas- 
sadeurs pontificaux  ne  se  leurraient  pas  de  vaines  espérances  sur  le 
résultat  final,  malgré  les  égards  dont  ils  étaient  l'objet,  car  ils  écrivaient 
au  souverain  pontife,  au  moment  de  quitter  le  Piémont  :  «Nous 
«craignons  plus  les  astuces  du  renard  que  l'orgueil  du  lion.  » 

La  suite  de  leur  voyage  allait  les  convaincre  de  plus  en  plus  de 

'''  Ces  lettres  ont  été  analysées  et  publiées  '"'  Arr.  de  Pignerol ,  prov.  de  Turin, 

partiellement  par  Preger,  en  1882  (ouvr.  cité,  "'   Comm.  de  Revello,  arr.  de  Saluées,  prov. 

n°  23) ,  d'après  les  archives  du  Vatican.  Une  édi-  de  Cuneo. 

tien  intégrale,  que  déparent  d'assez  nombreuses  '*'  Arr.  de  Suse,  prov.  de  Turin. 

fautes  de  lecture ,  a  été  donnée  plus  récemment  '''  Riezler  imprime  :  vallis  Fecusie ,  au  lieu 

par  Riezler  (ouvr.  cité,  n°  5o,p.  aa-Sg).  Elles  de  :  vallis  Secasie  (ouvr.  cité,  p.  a3). 

sont  respectivement  datées  d'Asti  (18  avril),  de  '*'  Riezler  imprime  :  ad  dominam  commnnem , 

Côme  (23  mai),  de  Crémone  (i5  juillet),   de  au  lieu  de  :  ad  domtim  communem. 
Parme  (i8  juillet)  et  de  Bologne  (20  août). 

«a- 


148  BERNARD  (iLI,  FRERE  PRECHElll. 

la  difficulté  de  leur  tâche.  D'ailleurs,  ils  ne  devaient  pas  toujours 
trouver  des  égards  ou  des  simulacres  d'obéissance;  presque  partout, 
d'un  bout  à  l'autre  de  la  Lombardie  et  de  l'Eniilie,  où  ils  visitènMit 
successivement  Verceil,  Novare,  Milan  (du  26  avril  au  1  4  mai) ,  Côme, 
Bergame,  Brescia,  Vérone  (du  i4  au  22  juin),  Mantoue,  Crémone 
(pendant  douze  jours),  Parme,  Beggio  et  Modène,  éclatèrent  sous 
leurs  yeux  les  manifestations  atroces  des  passions  politiques  qu  ils 
avaient  mission  de  calmer  et  devant  lesquelles  ils  se  sentaient  trop 
souvent  impuissants.  Les  (iibelins  dominaient  des  Alpes  à  l'Adria- 
tique, organisés  en  une  puissante  ligue,  dont  le  chef,  reconnu  de 
tous,  était  le  vieux  Matteo  \  isconli,  seigneuj  de  Milan,  où  il  avait  ter- 
rassé les  Délia  l'orre,  représentants  du  parti  guelfe,  et  que  secondaient 
deux  autres  vicaires  impériaux,  Beginaldo  Passerino  de'  Bonacossi, 
de  Mantoue,  et  le  jeune  et  ardent  Can  Grande  Délia  Scala,  de  Vérone. 
Au  cours  d'une  réunion  nombreuse  et  solennelle  tenue  le  9  mai  dans 
la  cathédrale,  en  prc'sence  de  Matteo  Visconti,  dont  un  porte-parole 
complaisant  exalte  les  vertus  et  la  justice,  les  représentants  du  pa]ie 
ont  beau  parler  de  concorde,  de  ra])pel  d'exilés,  de  délixrance  de 
prisonniers,  voici  que  des  voix  s'élèvent  pour  s'écrier  :  «Il  y  a  cin- 
(iquante  nobles  à  Milan  qui  mangeraient  plutôt  leurs  propres  enfants 
M  que  de  voir  les  Torriani  revenir  d'exil  ou  sortir  de  prison.  »  Puis  c'en 
est  une  autre,  ({ui  ajoute  cyniquement  :  «  Si  on  avait  décapité  les 
M  prisonniers,  il  n'en  serait  plus  question  aujourd'hui''*.  » 

Les  trêves,  publiées  partout  au  nom  du  j)ape,  restent  lettre  morte. 
La  présence  même  de  ses  envoyés  n'arrête  pas  les  hostilités  :  le 
9  mai,  les  Guelfes  expulsent  les  Gibelins  de  (Crémone;  le  8  juin,  les 
Gibelins  donnent  l'assaut  à  Brescia;  le  4  août,  les  habitants  de  Ferrare 
chassent  les  représentants  du  parti  guelfe,  démolissent  le  château 
et  écartèlenl  le  châtelain  Bostan.  Impuissants,  épuisés  par  leurs 
efforts  stériles,  les  j^acificateurs  séjournent  du  3  au  20  août  à 
Bologne,  où  Bernard  Gui,  particulièrement  éprouvé  par  la  fièvre 

'''  «El  ibidem  in  fine  lupiunl  inulla  gran-  «  rianos,  vel  eos  vel  alios  de  carcere  liberarenl; 

»  dia  et  cnorm[i]a  proj(osil;i  et  explicata  contra  •  et   addidit  ibidem  quidam   quod,  si    fuissent 

"illos  de  Tune,  projjter  quod   dixerunt  iilos  i  decapitati ,    verbum    amplius   non    lierel    de 

«  nunquam  esse  admiltcndosad  civitattun  Mcdio-  «  eisdem  »  (  Hie/ier,  ouvr.  cile ,  p.  26  ;  cf.  Robert 

«  lanensem.addentes  quod  in  Mediolano  erant  Michel,   Le  procès  de  Matteo   et  de   Galeuzzo 

«quinquaginta    nobiles  qui    ante  comederent  l ïjcon/i,  dans  les  Mf/dni^w  publiés  par  l'Ecole 

«  lUios  suos  quam  illuc  redire  permitterent  Tur-  française  de  Home,  1909,  t.  XXIX,  p.  "il'x)- 


SA  VIE.  I'i9 

tierce,  doit  garder  le  lit.  Mais  leur  clairvoyance  n'est  pas  en  défaut  : 
ils  se  rendent  compte  que  les  cliels  qui  prétendent  servir  l'Eglise 
commettent  souvent  des  excès  qui  la  déconsidèrent;  ils  pressent 
le  pape  de  faire  de  meilleurs  choix,  surtout  en  ce  qui  concerne  la 
Marche  d'Ancône  et  la  Romagne,  pour  éviter  que  ce  qui  s'est  jwssé 
à  Ferrare  ne  se  renouvelle  ailleurs.  Elevant  même  plus  haut  leurs 
regards,  ils  avaient  déjà  écrit  de  Parme  dès  le  18  juillet  :  «  Beaucoup 
«  disent  que  la  Lombardie  n'aura  jamais  la  paix  tant  qu'elle  n'aura 
M  pas  un  roi  propre,  qui  ne  soit  pas  de  nation  barbare'"'.  »  11  est  bon 
de  remarquer  qu'au  moment  même  où  ces  deux  Français  faisaient 
part  au  souverain  pontife.  Français  lui  aussi,  de  cette  vue  profonde 
sur  la  politique  italienne,  un  illustre  proscrit  de  Florence,  qu'ils 
purent  coudoyer  à  Vérone,  à  la  cour  de  Can  Grande  Délia  Scala, 
Dante  Alighieri,  tournait  toujours  obstinément  ses  regards  du  côté 
de  la  «nation  barbare»  qui  s'attribuait,  pour  le  malheur  de  l'Italie, 
la  mission  de  perpétuer  le  «  saint  Enqiire  romain  ». 

Aucun  renseignement  direct  ne  nous  est  parvenu  sur  la  ftiçon  dont 
Bernard  Gui  et  Bertrand  de  La  Tour  poursuivirent  leur  mission  en 
Italie  a])rès  le  jo  août  iSiy,  et  nous  ne  pouvons  les  suivre  ni  en 
Toscane  ni  en  Ligurie.  Une  seule  chose  est  hors  de  doute,  c'est  que 
leurs  ellorts  en  faveur  de  la  paix  ne  lurent  pas  couronnés  de  succès. 
Jean  XXII  se  décida,  en  iSic),  à  laire  une  nouvelle  tentative  ])our 
pacilier  l'Italie,  et  il  s'adressa  alors  à  un  légat  dont  le  rôle  politique 
devait  s'affirmer  avec  éclat,  le  célèbre  cardinal  Bertrand  Du  Pougel. 
Dans  la  bulle  qui  investit  le  nouveau  légat,  le  pape  rappelle  la  mission 
de  Bernard  Gui  et  de  Bertrand  de  La  Tour;  il  rend  justice  à  leur 
zèle,  mais  il  ne  dissimule  pas  leur  échec  :  «  Et  licet  iidem  inquisitor  et 
t(  minister,  ad  partes  accedenles  easdem,  pro  reformanda  pace  multo 
M  labore  sudaverint,  nichil  tamen  prolecerunt''^'.  » 

Bernard  Gui  trouva  du  moins  en  Italie  un  genre  de  protlt  dont  il 
n'eut  garde  de  faire  part  oITiciellement  à  Jean  XXII,  qui  l'eût  sans 
doute  peu  apprécié.  H  y  put  satisfaire,  en  elfet,  au  milieu  du  fracas 
des  armes,  quelques-unes  de  ses  curiosités  d'historien  du  passé,  satis- 

'''  iDIcunt  plurimi,  clerici  et  laici  et  pei-  •  naluralein    dominuin    qui    non    sit   barbare 

>  sone  ecclesiasticc  et  regulares,  quod  vix  aut  "nationis»    (Riezler,  p.    87;    cf.    H.    Michel, 

•  nunquam  patria  Lombardie  pacem  habebit,  p.  3o5). 
«  nisi    habnerint    regem   unum    propriuin    et  '"'   Riezler,  n°  lai,  p.  73. 


150  BERNARD  011.  FRERE  PRECMEl  15. 

faction  dont  ses  œuvres  nous  ont  conservé  de  touchants  témoignages  : 
à  Vérone,  il  lui  fut  donné  de  feuilleter  un  très  ancien  lecueil  des 
actes  des  conciles,  f[ui  était  conservé  dans  la  bibliothèque  de  la  cathé- 
drale'"'; à  Reggio,  il  apprit  des  détails  intéressants  sur  les  reliques  de 
l'évêque  saint  Prosper,  qu'il  identifiait  naïvement  avec  saint  Prosper 
d'Aquitaine  et  dont  il  faisait  arbitrairement  une  gloire  de  son  cher 
Limousin'^';  à  Bologne,  enfin,  il  constata  l'existence,  rlans  la  biblio- 
thèque du  célèbre  couvent  de  son  Ordre,  des  actes  du  sixième  concile 
de  Constantinople'''.  Il  n'avait  pas  complètement  perdu  son  temps  et 
sa  peine  outre  monts. 

I/année  suivante,  au  mois  d'août,  nous  retrouvons  Bernard  Gui 
cà  la  cour  pontificab^  d'Avignon,  comme  procureur  de  son  Ordre''''. 
Une  nouvelle  mission  politique  l'atlpudait,  ainsi  que  frère  Bertrand 
do  La  Tour,  son  compagnon  d'Italie.  Gette  fois  il  s'agissait  d'un 
vovage  moins  long  et  moins  pénible;  peut-être  est-ce  le  seul  qui  l'ait 
conduit  dans  cette  Ile-de-France  où  tant  de  méridionaux  comme  lui 
avaient  eu,  depuis  un  siècle,  l'occasion  de  déployer  leur  activité 
au  service  direct  de  la  royauté'^'. 

Une  bulle,  datée  du  17  septembre  i3i8,  conféra  à  Bernard  Gui  et 
à  Bertrand  de  La  Tour  le  titre  de  nonces  apostoliques,  avec  la  charge 
spéciale  de  décider  le  comte  de  Flandre,  Robert  de  Béthune,  et  ses 
sujets  à  accepter  les  garanties  fixées  par  le  pape,  à  la  demande  des 
parties,  pour  assurer  l'exécution  du  traité  de  paix  signé  à  Paris,  le 
i3  septembre  i3i6,  entre  le  régent  de  France,  devenu,  depuis  lors, 
le  roi  Philippe  V,  et  le  comte  de  Flandre  '•"'.  Le  but  était  précis, 
mais  difficile  à  atteindre,  car  les  Flamands  cherchaient  sans  cesse  à 
gagner  du  temps.  L'archevêque  de  Bourges,  Rainaud  de  La  Porte, 
et  le  maître  de  l'Ordre  des  Don)inicains,  Bérenger  de  Landorre, 
désignés  antérieurement  par  le  pape  pour  s'y  employer,  venaient 
d'y  voir  échouer  leurs  efforts  diplomatiques,  échec  qui  ne  faisait 
que  souligner  celui  de  leur  prédécesseur,  le  célèbre  théologien  frère 

'■'  Voir  ci-dessons,  p.  172.  tenu   à   Paris    en  mai    1 3o6   (Doussot,    dans 

'''   lbid.,p.  2a'î-3a4.  les   Mélanges  de  litl.  et  (thist.   reliijienses ,  pu- 

'''   Ibid.,p.  172.  bliés     à    l'occîsion    du     jubilé     episcopal    de 

''1  Delisle,  p.  18.1.  M''  de  Cabrières,  Paris,  "1899,  t.  1,  p.  35 1). 
'''  C'est  par  erreur  qu'on  a  dit  que  Bernard  '*'   BuHe  publiée  par   Aug.  Cou  Ion  .  Lettres 

avait  été  désigné  comme  compagnon  de  son  secrètes  et  curinles  du  pape  Jean  XXII,  n°  71O; 

prieur  provincial  au  chapitre  général  de  l'Ordre  cf.  les  n"  7 1 1  à  7 1 9 ,  72^,  etc. 


SA  VIE.  151 

Pierre  de  La  Palu,  et  qui  était  de  mauvais  augure  pour  leurs  suc- 
cesseurs'"'. 

Les  trêves  ayant  été  prolongées  d'un  coniniun  accord  et  rendez- 
vous  pris  pour  négocier,  à  Compiègne,  le  dimanche  8  octobre,  les 
délégués  des  deux  parties  s'abouchèrent  dans  cette  ville.  Un  procès- 
verbal  détaillé  nous  est  parvenu  de  la  séance  solennelle  du  i  i  oc- 
tobre'^^  tenue  au  prieuré  de  Uoyallieu,  dans  laquelle  intervinrent  les 
deux  nouveaux  nonces"^'.  Sans  entrer  dans  tous  les  détails,  nous  nous 
attacherons  à  laire  connaître  la  façon  dont  Bernard  Gui  et  son  col- 
lègue préludèrent  à  ces  dilhciles  négociations. 

Dès  l'ouverture  de  la  séance,  ils  ])rirent  la  jjaiolc,  non  en  lalin, 
comme  on  serait  porté  à  le  croire,  mais  en  langue  vulgaire'*'.  Ils 
parlèrent  d'abord  de  l'amour  paternel  du  souverain  pontife  pour  tous 
les  chrétiens,  et  spécialement  pour  le  roi  «  très  chrétien  »  et  les  sujets  du 
rovaume  de  France;  puis  ils  rappelèrent  les  malheurs  dus  à  la  guerre 
de  Flandre  et  l'obstacle  qu'elle  apportait  au  projet  toujours  caressé 
d'une  croisade  en  Terre  sainte  contre  les  inlidéles;  enfin  ils  expo- 
sèrent le  but  de  leur  mission.  Pour  préciser  ce  dernier  point,  ils  firent 
lire  une  cédule,  rédigée  en  latin ,  dans  laquelle  les  déléguésidu  comte 
et  des  villes  de  Flandre  étaient  nommément  requis  d'accepter  les 
garanties  de  la  paix,  telles  que  le  pape  les  avait  lixées,  le  8  mars  pré- 
cédent, et  de  les  faire  accepter  par  leurs  mandants,  sous  peine  d'en- 
courir l'indignation  du  Saint-Siège.  Le  plus  qualifié  des  délégués 
français,  Guillaume  Durant,  évèque  de  Mende*^',  ht  alors  un  discours 
latin  en  forme,  sur  un  thème  approprié,  mais  sans  sortir  des  géné- 
ralités; puis  il  céda  la  parole  au  bouteiller  de  France,  Henri  de  SuUi, 
plus  compétent  que  lui  sur  les  affaires  de  Flandre.  Ce  grand  seigneur 
s'exprima  en  français.  Il  lit  un  long  exposé  historique  des  négocia - 

'"'  Paul  Lebogeur,  Hisl.  de  Philippe  le  Long ,  c'est-à-dire    le  jiroveiiçal ,    au    sens  large   du 

Paris,   1897,   p.    i/ia;  cf.    Histoire  littéraire,  mol;  toulelois,     l'idée  de  se  servir  du  pro- 

t.  XXXIV,  p.   a4o.  M.  Leliugeur  a  confondu  vencal  en  pareille  circonstance  nous  parait  si 

«  le  mestre  des  Pre»clieur»»  ,  Bérenger  de  Lan-  étrange   que  nous    hésitons   à    l'attribuer  au\ 

dorre,  avec  Bernard  Gui.  représentants  du  pape.  Nous  sommes  portés  à 

'*'  Du  II   octobre  i3i8,  bien  entendu,  et  croire  qu'ils  parlèrent  Irançais,  au  moins  d'in- 

non  iSig,  comme  il  est  dit  dans  les  Historiens  tention,  mai»  que  leur  français,  se  ressentant 

de  la  France ,  t.  XXI,  p.  780,  note  3.  trop    de  leur  origine   méridionale,  fit   sur  le 

''*  Arch.  nat. ,  J  56  a  b,  n°  3o.  notaire  à   qui  nous  devons  le  procès-verbal  le 

'*'   In  eorum   lingaa  valgari,  dit    le  procès-  même  effet  que  s'ils  avaient  employé  la  langue 

verbal,   expression  qui,   prise  au    (lied    de  la  vulgaire  du  Limousin  et  du  Querci. 
lettre,  désigne  la  langue  au  Midi  de  la  France,  •''  Cf.  ci-dessus,  p.  56. 


152  RKRNAUD  CU,  FRKRE  PRECHEIR. 

lions  en  cours,  véritable  réquisitoire  contre  les  Flamands,  qui  ne 
souillèrent  mot.  Quand  il  eut  fini,  les  nonces  rappelèrent  qu'il  leur 
fallait  une  réponse  précise  sur  le  point  suivant  :  les  garanties  fixées 
par  le  pape  étaient-elles  acceptées  de  part  et  d'autre?  Les  délégués 
français  dirent  oui,  mais  à  condition  que  les  Flamands  en  fissent 
autant  avant  de  quitter  Gompiègne.  Mis  en  demeure  de  se  prononcer 
catégoriquement,  ceux-ci  remercièrent  le  pape  de  sa  sollicitude, 
demandèrent  copie  de  la  cédule,  puis  déclarèrent  que  leurs  pouvoirs 
ne  leur  conféraient  pas  le  droit  de  décider  eux-mêmes,  mais  simple- 
ment de  faire  part  à  leurs  mandants  de  ce  qu'ils  avaient  entendu. 
La  séance  continua,  en  présence  des  nonces,  par  une  discussion 
entre  les  délégués  sur  la  forme  des  saul-conduits  à  donner  aux  Fla- 
mands. Elle  se  termina  par  la  lecture  d'un  long  mémoire,  présenté 
par  les  Français,  sur  les  attentats  commis  à  l'encontre  des  trêves, 
mémoire  dont  les  Flamands  demandèrent  et  obtinrent  copie.  Quand 
on  se  sépara,  la  question  des  garanties  de  la  paix  n'avait  pas  avancé 
dun  pas. 

Nous  ignorons  ce  que  purent  laire  par  la  suite  Bernard  Gui  et 
Bertrand  de  La  Tour.  Toujours  est-il  que  leur  diplomatie  échoua  en 
France  comme  elle  avait  échoué  en  Italie.  Il  était  réservé  à  un  autre 
nonce,  plus  habile  ou  plus  heureux,  d'en  finir  avec  la  temporisation 
cauteleuse  des  Flamands,  (compatriote,  sinon  parent  de  Jean  \XII, 
depuis  ])eu  cardinal-prêtre  du  titre  des  saints  Marcellin  et  Pierre, 
Gaucelm  Dejean  fut  chargé,  le  20  mars  i3i9,  de  reprendre  l'affaire. 
Il  fit  si  bien  que  le  22  aoiit  suivant,  à  Saint-Léger  près  de  Tournai, 
Robert  de  Béthune  fléchissait  le  genou  devant  le  représentant  du 
Saint-Siège.  Les  premiers  serments  requis  pour  que  le  traité  de  paix 
eût  son  plein  effet  furent  échangés  séance  tenante;  les  dernières  for- 
malités s'accomplirent  solennellement  à  Paris  les  4  et  5  mai  i32o'''. 
Get  heureux  résultat,  qui  justifiait  la  confiance  du  pape  dans  le 
nonce,  réjouit  à  la  fois  la  Flandre,  la  France  et  la  chrétienté.  Bernard 
Gui  ne  fut  pas  le  dernier  à  y  applaudir.  Il  prit  la  plume  pour  ajouter 
à  ses  Flores  clironicorum  un  chapitre  sur  la  paix  de  mai  i320  :  soit 
modestie,  comme  on  l'a  dit,  soit  par  un  juste  sentiment  de  l'ineffica- 
cité de  son  intervention  en  cette  affaire,  il  passa  sous  silence  la  confé- 

''   I.ehiigeui-,  ouvr.  cité,  p.  145-153. 


SA  VIE.  153 

rence  de  Royallieu,  mais  se  complut  à  exalter  les  mérites  de  son  suc- 
cesseur, le  cardinal  Gaucelm  "'. 

Instruit  par  l'expérience,  Jean  XXII  comprit  enfin  que  les  membres 
des  Ordres  religieux  n'étaient  pas  particulièrement  indiqués,  comme  il 
semblait  l'avoir  cru  d'abord,  pour  mener  à  bien  des  négociations  diplo- 
matiques. On  peut  présumer  que  Bernard  Gui  avait,  dès  la  première 
lieure,  senti  que  la  politique  n'était  pas  sa  véritable  vocation,  et  qu'il 
s'était  prêté  aux  intentions  du  Saint-Siège  par  obéissance  plutôt  que 
par  goût.  11  regagna  sans  doute  avec  plaisir  le  Midi  de  la  France  pour  y 
reprendre  le  fardeau  de  ses  obligations  professionnelles  et  le  cours  de 
ses  travaux  personnels.  Mais  le  souverain  pontife,  reconnaissant  de  sa 
bonne  volonté,  ne  devait  pas  le  perdre  de  vue;  il  lui  réservait  un 
autre  genre  d'bonneur,  l'épiscopat,  qui  sembla  d'abord  devoir 
l'obliger  de  nouveau  à  (juitter  le  Languedoc  et  à  franchir  les  Pyré- 
nées, comme  il  avait  naguère  franchi  les  Alpes. 

Bernard  Gui  fut  en  effet  promu  à  la  dignité  épiscopale  le  i6  août 
i3ii3.  Pour  des  raisons  qui  nous  échappent,  c'est  le  siège  de  Tuy,  en 
Galice,  qui  lui  fut  attribué'-';  mais  quehpies  jours  après,  le  i"  sep- 
tembre, le  pape  lui  enjoignait  de  continuer  provisoirement  à  résider 
dans  le  Midi  de  la  i'^rauce  et  à  y  exercer  son  office  d'inquisiteur <^'. 
Le  18  décembre  suivant,  ayant  été  consacré  solennellement,  à  Avi- 
gnon, par  le  cardinal  Rainaud  de  La  Porte,  évêque  d'Ostie,  Bernard 
reçut  l'ordre  de  se  rendre  dans  son  diocèse'''^.  Obéit-il .3  Nous  n'oserions 
rafTirmer.  L'auteur  de  YEspana  safjrada,  Ilenrique  Florez,  a  vu  un  acte 
d'où  il  résulte  que  le  nouvel  évêque  de  Tuy,  retenu  à  la  cour  pontificale, 
avait  nommé  des  vicaires  généraux  chargés  d'administrer  le  diocèse 
en  son  absence;  ceux-ci  prêtèrent  le  serment  d'observer  les  privilèges 
et  coutumes  de  l'église,  le  i3  février  i334.  Vu  acte  postérieur,  du 
27  mars,  est  un  accord  passé  entre  ces  mêmes  vicaires  et  le  chapitre 
de  Tuy,  relativement  au  monastère  de  Pesegueiro.  Florez  déclare, 
d'après  la  teneur  de  cet  acte,  que  le  nouvel  évêque  n'était  pas  encore 

<•)   llislorieus  delà  France,  t.  XXI,  p.  y.io.  sous    le     litre    suivant   :    „De   passione    sanc- 

U  est  probable  que,  en  se  rendant  à  Royallieu,  .  torutn  martyrum  Dionysii,   Rustiti  et  Eleu- 

BernardGui  lit  un  court  séjour  à  Paris,  et  que  .therii,  ex  gestis  ipsoruni  que  Parisius  hahen- 

la,  comme  en  Italie,  il  mit  à  profit  les  doru-  «tur». 

ments  qu'il  eut  loccasion  de   voir.  Une  note  '^)    Mélanges  publiés  par  l'École  française  de 

de  lui.  renfermant  des  extraits  de  la  passion  de  Rome,  1882,  t.  11,  p.  4,56-467. 

saint  Denis  et  de  ses  compagnons,  est  transcrite  O  Ibid. ,  p.  457-458. 

dans  le  ms.  Vatic.  Palat.  lat.  965,   fol.    161,  <')  Ibid.,  p.  458. 

HIST.  LITTÉn.  XXW.  „_ 


15'i  BEUNAllD  (iUl,  FREKK  PlŒCUEl  K, 

venu  flans  son  diocèse".  Il  est  vrai  que  le  pape  assure,  un  peu  ])lus 
lard,  au  moment  même  où  il  relève  Bernard  Gui  de  ses  fonctions 
(l'évoque  de  Tuy,  que  le  prélat  s'y  est  rendu  «  loiiablenient  utile'-'»; 
mais  on  peut  se  rendre  utile  de  loin.  Toujours  est-il  que,  par  bulle 
du  lio  juillet  i324,  Bernard  Gui  fut  nommé  à  l'évêché  de  Lodève 
en  remplacement  de  Jean  de  La  Tessenderie,  lransf(''ré  à  Rieux''^'. 
Comme  nous  savt)ns  que,  le  jour  même  de  sa  nomination,  il  était  à 
Avignon  et  offrait  au  paj)e  les  deux  premières  parties  de  son  Spéculum 
sanctoralc  '',  nous  supposons  qu'il  sollicita  lui-même  la  faveur  d'être 
déc  hargé  d'un  évêché  dontl'éloignement  ressemblait  à  un  exil  déguisé, 
et  d'obtenir  un  poste  é([uivalent  dans  ce  Languedoc  qui  était  pour  lui 
comme  une  seconde  patrie,  (l'est  sur  le  siège  de  Lodève  que  s'écou- 
lèrent ses  dernières  années.  Il  fit  son  entrée  solennelle  dans  sa  nouvelle 
ville  épiscopale  le  7  octobre  1 32  4  ,  niais  ce  n'est  que  le  21  mars  suivant 
(|u'il  reçut,  comme  seigneui'  féodal,  le  serment  des  vassaux  de  l'évè- 
clié'''.  Nous  n'avons  pas  à  donner  le  détail  de  son  administration; 
([u'il  nous  suffise  de  dire  que  l'âge  ne  parait  pas  avoir  affaibli  sensi- 
blement son  activité,  et  que,  jusqu'à  ses  derniers  moments,  l'évèque  de 
Lodève  fit  preuve  de  beaucoup  d'énergie  pour  la  défense  des  intérêts 
spirituels  et  temporels  qui  lui  étaient  confiés''''.  La  lourde  tàclie  de 
l'épiscopat  ne  le  détourna  pas  complètement,  tant  s'en  faut,  des  tra- 
vaux liistori(jues  qui  avaient  tenu  jusqu'alors  une  si  grande  place  dans 
sa  vie.  C'est  pendant  qu'il  était  évêque  de  Lodève  qu  il  termina  les  deux 
dernières  parties  de  son  Spéculum  sanctoralc  et  qu'il  fit  des  additions 
à  ses  Flores  chronicoruin  et  aux  divers  abrégés  qu'il  en  avait  tirés.  Enfin, 
il  lit  bénéficier  son  diocèse  des  restes  d'une  ardeur  que  seule  la 
mort  pouvait  éteindre,  et,  grâce  à  lui,  Lodève  s'enrichit  d'un  groupe 
d'œuvres  historiques  et  géographiqui  s  dont  le  détail  sera  donné  plus 
loin,  mais  dont  la  mention  doit  trouver  place  ici. 

'''   Espnna  sayrada  [Madrid,  ï-jG"]),  t.  Wll,  celle  de  l'entrée   solennelle   de   Bernard   (iui 

p.  i63-i64-  dans  la  ville  de  Lodève;  M"'  L.  Guiraud  a  lait 

'*'   «Regimini  ejusdem  Tudensis  ecclesie  lau-  justice  de  cette  erreur  dans  une  note  jointe  à 

•  dabiliter  profuistii  [Mélanges  cités,  p.  459).  17/is/oi/e  i/e /a  Di7/e  (/e  Loi/eie,  œuvre  posthume 

'■''  Texte  de    la   bulle   dans  Mélanges  cités,  d'Ernest  Martin,  publiée  par  ses  soins  en  1900, 

p.  458-459.  t.  Il,  p.  353-334. 

"'  Voir  ci-dessous,  p.  167.  "    Galtia    christiana .    t.   VI,    col.   554;    cf. 

''   Plantavit  de  La  Pause,  suivi  par  la  plu-  Douais,  Bernard  Gui,  cvéqae  de  Lodève,  et  le 

part  des  anciens  biographes  de  notre  auteur.  caré  de  Xébian ,  dans  Annales  du  Midi,  1891», 

indique  la  date  du  3  I  mars  i3t5  comme  étant  t.  X,  p.  197-203. 


SES  ECRITS.  -  155 

Bernard  Gui  mourut  dans  le  château  épiscopal  de  l>aurou\'", 
le  3o  décembre  i33  i,  à  l'aulne ''^',  âgé  de  70  à  7  i  ans,  et  laissant  une 
grande  réputation,  non  seulement  de  science,  mais  de  sainteté'^'.  Ses 
obsèques  furent  célébrées  solennellement  dans  la  cathédrale  de  Lo- 
dève;  puis,  selon  le  désir  qu'il  avait  exprimé,  son  corps  fut  transporté 
à  Limoges  et  inhumé  dans  l'église  des  Frères  Prêcheurs,  à  gauche  de 
l'autel.  î) ne  tombe  de  cuivre  jaune,  élevée  au-dessus  du  sol ,  fut  placée 
sur  sa  dépouille  peu  de  temps  après  sa  mort;  elle  ne  nous  a  pas  été 
conservée.  Nous  ignorons  à  quelle  date  lut  gravée  une  épitaphe  que 
Plantavit  de  La  Pause  a  imprimée  le  premier'**,  et  comment  le  texte 
en  est  parvenu  à  sa  connaissance.  Va\  tout  cas,  le  style  de  ce  document 
n'autorise  pas  à  le  faire  remonter  au  xiv'  siècle;  c'est  pourquoi  nous 
nous  abstenons  de  le  reproduire. 


SES   ÉCRITS. 

flnumérer,  analvser  et  critiquer,  (Tapns  les  imprimés  ou  les  manu- 
scrits, les  ou\ rages  de  Rernard  Gui,  est  une  tâche  très  longue  et  très 
compliquée.  Delisle  y  a  consacré  1  77  pages  in-quarto,  sans  prétendre 
épuiser  la  matière.  Sur  bien  des  points,  ses  recherches  ont  abouti  à 
des  résultats  déhnitifs,  et  il  nous  suffira  de  les  résumer.  D'une  manière 
générale,  nous  renverrons  à  son  mémoire  ])Our  les  menus  détails  de 
bibliographie,  nous  contentant  de  compléter  ses  indications  quand  il 
y  aura  lieu.  Parfois  cependant  il  nous  faudra  entrer  dans  des  dévelop- 
pements nouveaux  et  examiner   certaines  questions   qui   n'ont   ])as 

'''  Commune  du  canton  de  Lodévp.  Mirnaturols  avant  d'y  élic  coiinup  aiilh<iiti(|iie- 

'-'   Dès  le  jour  même  de  son  décès,  le  cha-  mont  (  Delisle ,  p.  'i'i(.)-f\'6\). 

pitre  de  Lodève  nomma  des  vicaires  ca|)itulaires  **'   Chrunol.  prœsiiliim  Lodovensium,  \i.  "i^S. 

chaigcs  de  l'administration  du  diocèse  (Douais,  Cette  épitaphe  a  été  plusieurs  fois  republiée. 

Travaux  pratiques  et  une  conjérence  de  pnléogra-  en  dernier  lieu  par  Delisle  (p.  1 85),  par  le  cha- 

phie  à  rinstilulcalholique  de  Tou/ouie ,  Toulouse  noine  Arbellot  (p.  l'i)  et  par  le  R.  P.  Poussot 

et  Paris,  iSgu,  n°  XXXI,  p.  75-76).  Le  premier  {Mélanges   publiés   à    l'occasion   du   jubilé    de 

chanoine  mentionné  dans  cet  acte  est  le  pré-  M*' de  Cabrières,  t.  1,  p.  354).  On  notera  que 

chantre  «  Guido  Guidonisi,  neveu  de  Bernard  iesMemoraliapro  conventu  Lemovicensi.réâ'igéi. 

Gui,  dont  il  a  été  question  ci-dessus,  p.  i4i-  peu  après  1693,  au  couvent  même  de  Limoges, 

'''  D'après  son  ancienne  biographie,  il  aurait  parlent  du  tombeau  de  Bernard  Gui,  mais  ne 

fait  deux  miracles  pendant  son  séjour  à  Avi-  disent  rien  de  son  épitaphe;  cl.  Bail,  de  la  Soc. 

gnon,  en  août  i3i 8,  et  la  nouvelle  de  sa  mort  arch.   et    histor.    du    Limousin,    1893,   t.   XL, 

aurait  été  annoncée  à  Limoges  par  des  signes  p.  3oi-3o3. 


156  BERNARD  GUI,  FRERE  PRECHEUR. 

attiré  son  attention  ou  pour  l'étude  desquelles  il  n'a  pas   eu    à  sa 
portée  les  documents  nécessaires. 

L'ordre  dans  lequel  doivent  être  passées  en  revue  les  productions 
de  notre  auteur  peut  prêter  à  discussion.  Delisle  en  a  adopté  un  qui 
n'est  ni  chronologique  ni  méthodique,  et  qu'il  ne  s'est  pas  cru  tenu 
de  justifier.  Notre  préférence  est  allée  à  un  ordre  méthodique,  fondé 
sur  la  nature  des  matières  traitées''',  et  nous  avons  établi  dix  sections  : 
I,  théologie;  11,  liturgie;  111,  hagiographie;  IV,  histoire  des  conciles; 
V,  histoire  des  papes;  VI,  histoire  des  empereurs;  VII,  histoire  des 
rois  de  France  et  géographie  de  la  Craule;  Vlll,  histoire  des  Domini- 
cains; IX  ,  histoire  de  l'Inquisition;  \,  histoire  locale.  La  numérotation 
des  ouvrages  sera  poursuivie  à  travers  les  dilFérentes  sections,  et,  dans 
chaque  section,  nous  suivrons,  autant  que  possible,  l'ordre  chrono- 
logique de  conq)osition. 

I.  —  Théologie. 

1.  De  articulis  fidei'''^K 

C'est  un  abrégé  de  la  doctrine  chrétienne,  une  sorte  de  caté- 
chisme. L'auteur  en  a  donné  deux  éditions,  faciles  à  distinguer. 

Première  édition.  —  Insérée  à  la  suite  des  plus  anciens  exemplaires 
des  Flores  chroniconim,  elle  a  dû  être  rédigée,  au  plus  tard,  en  i3i5. 
L'opuscule  n'a  ni  titre  général  ni  préambule;  il  est  divisé  en  cinq 
parties:  1,  Dr  preceptis  Dccalogi;  2,  De  arlicnhs  fidei  ;  3,  De  tnplici 
symholo  fidei;  4,  De  seplein  sacrainentis  Ecclesie;  5,  De  dotibus  glorie 
bealoram.  Onze  manuscrits  nous  en  ont  conservé  le  texte,  resté  inédit'^^ 

Inc.  :  Preceptorum  divine  legis  Decalogus .  .  . 

Des.  :  .  .  .quam  preparavit  diligentibus  se  Dominus  Jhesus  Christus  qui  est 
Deus  benediclus  in  secula. 

'"  C'est  ce  qu'a  fait  aussi  le  chanoine  Arbel-  '''  Delisle  en  cite  neuf,  auxquels  il  faut  en- 
lot,  p.  17  et  siiiv.  lia  établi  huit  sections:  his-  core  ajouter  deux  manuscrits  du  Vatican,  le 
toire  générale ,  histoire  provinciale  ou  locale,  Palal.  lai.  965  et  le  Regin.  lat.  jof)'  [Mélanges 
nagiographie,  liistoire  monastique,  théMogie,  publiés  par  rEcole  française  de  Rome,  1881, 
droit  canon,  liturgie,  mélanges.  t.  I,  p.  261,  note). 

'''  Article   xxiii    de    Delisle,   p.   363-363, 
$$  2  1 0-2  1 1 . 


SES  ECRITS.  157 

Deuxième  édition.  —  Lorsque  Bernard  Gui  fut  devenu  évêque  de 
Lodève  (1824),  il  remania  son  premier  texte  et  le  répartit  en  huit 
divisions,  précédées  d'un  titre  développé  :  \  ,  De  articulis  fidei ;  2,  De 
triplici  synibolo;  ^,  De  septem  sacramentis;  k  ,  De  decem  preceptis ;  5,  De 
scptem  openbus  misrncordie  corporalibus;  (),  De  scx  opcribiis  misericordie 
spiritnahbiis  ;  7,  J)e  septem  peccatis  principalibas;  8,  De  dotibus  qlorie 
beat  or  uni. 

Inc.  :  Quoniam,  ut  ait  Apostolus,  Hebr.  XI,  sine  fide  impossibile  est.  .  . 
Des   :  .  .  ,  nec  alimonto  pgebit.  Hec  ex  predicta  glosa. 

A  la  (in,  l'auteur  plaça  un  résumé  [recollectio)  destiné  à  soulager  la 
mémoire  des  curés  de  son  diocèse,  résumé  qui  est  mentionné  expres- 
sément dans  le  titre  de  l'ouvrage,  lequel  esl  ainsi  conçu:  Libellas  brevis 
et  utilis  de  articulis  fidei  et  sncrarnentis  Ecclesie  et  precrptis  Decalogi,  cum 
(jiiibusdam  aliis  annexis  in  fine  pro  rectoribus  et  ciiratis  ecclesiarum  nostre 
Lodovensis  dyocesis  ad  eriidiendum  plèbes  sibi  commissas  '''. 

Inc.  :  Aiticuli  fidei  christiane  sunt  ([uatuordeciin .  .  . 
Des.  :   .  .  .  repetenda  ea  altiiis  duximus  conscribendum. 

Sept  manuscrits  représentent  aujourd'hui  cette  deuxième  édition''^'. 
Elle  a  été  publiée,  en  189^,  par  le  chanoine  Douais,  qui  s'est  contenté 
de  reproduire  le  manuscrit  1 18  de  Toulouse,  sans  s'apercevoir  que 
le  Libellas  et  la  Recollectio  y  ont  été  maladroitement  enchevêtrés,  et 
sans  saisir  clairement  le  plan  de  l'auteur*''^. 

Parmi  les  œuvres  de  Bernard  Gui  traduites  en  français,  en  1869, 
à  la  demande  du  roi  Charles  V,  par  frère  Jean  Golein,  de  l'Ordre  des 
Carmes,  figurait  un  article  dont  le  traducteur  nous  parle  en  ces 
termes,  dans  une  table  en  prose  rimée  dont  il  a  fait  précéder  sa  tra- 
duction :  M  La  XVI*  partie  sera  des  commandemens  de  la  loy  divine 
«par  manière  polie.  »  H  s'agit  manifestement  du  De  articulis  fidei  ;  mais 

'''  Texte  du  ms.  Bihl.  nat. ,  lat.  nouv.  acq.  '''   Un  nouvel  écrit  de  Bernard  Gui.  Le  Syno- 

779,  Col.  294'.  dal  de  Lodeve.  .  .    (Paris,  1894),  p.  61-76.  L'é- 

'''  Delisle  en  cite  quatre,  auxquels  il  faut  diteur  a  fait  remarquer  (p.  ix)  que  la  Somme 

ajouter  Bibl.  nat. ,  lat.  nouv.  acq.   779  (jadis  de  la   foi  chrétienne  copiée  dans  le  manv.jcrit 


collectioii  de  Sir  Thomas  Philiipps  965a),  ma-  191  de  Toulouse,  et  attribuée  à  Bernard  Gui 

nuscrit  sur  lequel  il  était  insuiïisaminent  ren-  par  l'a 

saigné,   Montpellier  29  et  Toulouse   118;  ces  l'opusc 

deux  derniers  ont  été  signalés  par  le  chanoine  saurai) 

Douais  dans  la  brochure  mentionnée  plus  loin.  p.  a3i 


nuscrit  sur  lequel  il  était  insuiïisaminent  ren-  par  l'auteur  du  catalogue,  n'est  pas  en  réalité 
seigné,  Montpellier  29  et  Toulouse  118;  ces  l'opuscule  dont  nous  nous  occupons  et  ne 
deux  derniers  ont  été  signalés  par  le  chanoine         saurait  émaner  de  notre  auteur;  cf.  ci-dessous. 


158  BERNARD  GLU,  FRERE  PRECHEIR. 

le  manuscrit  offert  au  roi  de  France  par  Jean  Golein  ne  contient  pas 
la  copie  de  cette  seizième  partie,  et  nous  ne  saurions  dire  si  le  tra- 
ducteur avait  suivi  la  première  ou  la  deuxième  èdilion'"'. 

2.  De  peccato  origi'\ali''^\ 

Bernard  Gui  indique  lui-même,  dans  un  titre  dillus,  cpii  est  un  avis 
au  lecteur  plutôt  qu'un  simple  titre,  le  caractère  d(>  cet  opuscule. 
Voici  ses  propres  termes  : 

Hec  sunt  dicta  sanctorum  atquc  doctoruni  Ecciesie  locjuentium  de  peccato  origi- 
iiali  quod,  a  transgressione  peccati  primorum  |jarentum  Ade  et  Eve  citra,  omnes 
humilies  utriusque  sexus,  qui  j)er  coucubituin  \iri  et  inuiieris  generantur,  contra- 
xeruut  et  contrahuiit  in  conceptu,  ixcepta  luiica  persuna  Doniini  Nostri  Jesu  Christi, 
(]ui  soius  sine  peccato  ronceptus  est  de  Spiritu  Sancio  ex  Maria  Virgine"'. 

11  n'a  donc  pas  voulu  écrire  un  livre,  mais  réunir  un  dossier  sur  la 
(Uiestion  du  péché  originel  et  de  la  conception  de  la  Vierge  Marie, 
question  passionnément  débattue  de  son  temps'**.  On  n'y  trouve  que 
des  extraits  mis  bout  à  bout,  et  où  l'ordre  chronologique  n'est  pas 
strictement  observé.  Nous  voyons  successivement  dédier  saint  Paul, 
saint  Augustin,  saint  Anselme  (avec  une  courte  note  biographique, 
analogue  à  celle  qui  ligure  dans  les  hlores  clironicnrum) ,  saint  Jérôme, 
saint  Ambroise,  saint  Grégoire  le  Grand,  Origène,  Rémi  d'Auxerre, 
Bède,  le  Décret,  saint  Bernard  et  Hugues  de  Saint- Victor.  En  dernier 
lieu  se  lit  le  texte  intégral  de  la  lettre  adressée,  à  ce  sujet,  par  saint 
Bernard  aux  chanoines  de  Lyon'^'. 

Six  manuscrits  nous  ont  conservé  la  compilation  de  Bernard  Gui '^'. 
Elle  a  été  signalée  pour  la  première  fois  par  le  Père  Pedro  de  Alva 
y  Aslorga,  sans  inthcation  du  nom  de  l'auteur '''.  ï^e  mérite  d'v  avoir 
reconnu  la  main  de  Bernard  Gui  revient  à  Echard***'. 

'"'  Cl.    Antoine    Thomas,    Un    manuscrit   de  '*'   Réimprimée  par  Migne,  Pafro/o'/ia /a<i/i(i, 

Charles  V  au  Vatican,  dans  le.s  Mélanges  publiés  t.  CLXXXII,  col.  33a-336. 
par  l'Rcole    Crançaise    de    Rome,   i88i,    t.   I,  '*'   Deiisie  n'en  a  cité  que  quatre;  les  deux 

p.  268.  autres  sont  au  Vatican ,  Palat.  lat.  ()6fS  et  Regin. 

'''   Article    XXV    de    Deiisie,     p.     365-366,  lat.  ^oS' (  WcVnni/w  publiés  par  l'Ecole  française 

$S   ai4-2i.S.  de  Rome, /or.  ri(.). 

'''  Deiisie,  p.  365.  '''  .So/ l'enVn/i*  (Madrid,  1660),  radius  366, 

'*'  C(.  Histoire  littéraire,  t.  \\\\V,f.  fjn  et  col.  aa-îg. 
543.  '"'  .SVri>r  Ord.  Prœdic.  t.  I ,  p.  578. 


SES  ECRITS.  159 

Le  De  peccato  oriyinah  est  encore  inédit,  et  il  n'y  a  pas  apparence 
qu'on  songe  jamais  à  le  publier. 

Inc.  :  Paiilus  apostolus  in  epistola  ad  llomanos.  .  . 

Des.  ....  ipsius,  si  quid  aiitei'  sapio.  i)aratus  jiidicio  eiufiidaie. 

II.   LiTUtKilE. 

3.   De  0HDi\4Tiu\h:  offic.u    missk'^I 

Opuscule  divisé  en  deu.v  parties.  La  |)rennère  porte  ce  titre  expli- 
cite :  De  orduiatioue  officu  misse  facta  a  Dumiiiu  Jesti  Christo  et  sanctis 
ejiis  apostoUs  ac  dernurn  per  siimmos  llomanos  ponti/ices  successive.  Elle 
consiste  essentiellement  en  extraits  des  livres  saints  et  des  constitutions 
pontificales,  auxquels  le  compilateur  a  joint  quelques  remarques  inci- 
dentes '-'.  La  deuxième  est  intitulée  :  Casus  qui  contingere  possunt  in 
celehrando,  et  débute  par  ces  mots  :  «  Periculis  seu  defectibus.  .  .  » 
Ce  n'est  qu'un  abrégé  de  la  question  83  de  la  dernière  partie  de  la 
Summajidei  contra  (jentiles  de  Thomas  d'Aquin,  ce  dont  Bernard  Gui 
prévient  loyalement  le  lecteur  dès  les  premiers  mots.  Comme  il  qua- 
lifie simplement  le  célèbre  Dominicain  de  «  venerabilis  doctor  » ,  la 
composition  de  cet  opuscule  doit  être  antérieure  à  la  canonisation  de 
saint  Thomas  (i8  juillet  i323). 

liu.  :  Jhesus  Christus  primiis  et  summus  pontilex  et  sacerdos.  .  . 
Des.  ....  sicut  de  rasura  tabule  dictum  est  supra. 

Les  manuscrits  sont  nombreux  :  Delisle  en  a  décrit  seize,  et  nous 
en  connaissons  six  autres'^'. 

Echard  avait  vu  une  édition  gothique  de  la  seconde  partie  dans  la 

'''  Art.  XXIV  de  Delisle,  p.  .^64-363,  SS  3  12  "    Paris,  Sainte-Geneviève  1267  (Hauréau, 

y  i-^.  dans  Journal  des  Savants ,  iSgS,  p.  3o6)  ;  Gain  • 

'■'•   Delisle  a  signalé  dans  It-  maiiusciit.  Bibl.  bridge,  Pembruko  Collège  98,  loi.  71    (.Mon- 

nat.,    lat.  â^^b   un   paragraphe   sur  la   forme  tague  lihodes  James,  .4  afescn'p/ii'e  C'o^//o^«('..., 

delà   consécration    dans   la   liturgie  grecque,  p.  91-92)  ;  Escorial  P.  i.  5,  art.  i3  et  i4  (Guill. 

placé  à  la  fin  de  la  première  partie;  comme  le  Antoliii,  Cutâlogo  de  los  côdices  latinos  de  la  real 

chanoine   Douais  l'a   aussi  rencontré  dans  un  Bibl.  del  Escorial,  t.  III,  19 13,   p.   Sai-S-ia); 

manuscrit  inconnu  à    Delisle   et  conservé  au  Merville  (Mém.  de  la  Soc.  aichéol.  du  Midi  de 

château    de    Merville    (canton     de    Grenade,  /a  i'rance,  1889,  t.  XIV,  p.  44 1 -44a);  Rome, 

arrondissement    de    Toulouse),    on    peut    ad-  Vatic.  Palat.  lat.  965  et  Regin.  lat.  706'  {Mé- 

mettre  que  cette  addition  remonte  à  l'auteur  /a;i./e.<  de  l'Ecole  française   de  Rome,   i88i, 

lui-même.  t.   j,   p.   261,  note). 


160  BERNARD  (iUl,  FRERE  PRECHEUR. 

Bibliothèque  de  la  Sorbonne'"';  cet  exemplaire  a  disparu,  et  l'on  n'en 
connaît  pas  d'autre.  Une  édition  intégrale  a  été  publiée,  en  1899, 
d'après  un  manuscrit  du  château  de  Merville,  parle  R.  P.  Doussot'^l 
Jean  Golein  a  traduit  l'opuscule  de  Bernard  Gui  en  français,  à  la 
demande  de  Charles  V.  Cette  traduction  est  restée  inédite;  le  seul 
exemplaire  qui  en  soit  connu  fait  partie  d'un  manuscrit  présenté  au 
roi  de  France,  en  1869,  ^lont  nous  avons  déjà  parlé '^'. 

111.  —  Hagiographie. 

Bernard  Gui  s'est  appliqué  avec  une  ferveur  soutenue  à  l'hagio- 
graphie, et  il  a  rendu  de  grands  services  à  cette  branche  de  l'histoire, 
soit  comme  simple  compilateur,  soit  comme  metteur  en  œuvre.  Aux 
saints  du  diocèse  de  Limoges  il  a  consacré  un  opuscule  spécial  que 
nous  étudierons  plus  loin,  dans  la  section  X,  réservée  à  l'histoire 
locale.  Il  a  dressé  un  catalogue  des  apôtres  et  compilé  des  documents 
biographiques  sur  cinq  saints  de  la  région  toulousaine  (saint  Saturnin, 
saint  Exupère  et  saint  Germier,  évêques  de  Toulouse;  saint  Papoul 
et  saint  Bérengcr,  honorés  à  Saint-Papoul),  catalogue''*'  et  compila- 
tion*^' qui  ne  méritent  qu'une  simple  mention.  Mais  il  convient  de 
s'arrêter  plus  longtemps  à  son  traité  sur  les  soixante-douze  disciples 
du  (-hrist,  à  sa  Legenda  de  saint  Thomas  d'Aquin,  enfin  et  surtout  à 
son  monumental  Specnlnm  sanctorale. 

h.    NOMINA    DLSCIPULORUM    DOMIM    JhESV    ChRISTI^^K 

Inc.  :  Designavit  Dominus  et  alios  septuaginta  duos  discipulos .  .  . 
Des.  (abstraction    faite    des   appendices)  :    .  .  .  quem    in    Actibus   Apostoloruui 
beatus  Ijuchas  commémorât. 

Cet  opuscule,  qui  a  eu  une  très  large  diffusion  et  dont  le  sujet  est 
lié  à  la  question  de  l'apostolicité  des  Gaules,  n'est,  à  vrai  dire,  que  la 
suite  du  catalogue  des  apôtres  dont  il  vient  d'être  question  :  la  forme 

'"'  Script.  Ord.  Prifdic. ,  t.  I,  p.  578.  tmina  duodecim  aposloiorutn    Domini  Jhesu 

'  *'  Mélanges  de  litl.  et  d'hist.  relig.,  publiés  à  «  Christi  scripta  sont  in  Evangeliis.  .  .  •  ;  des.  : 

roccasion  du  jubilé  de  M*'  do  Cabrières,  t.  I,  •  .  .  .cnin  Barnaba    assumpto    Thito»    (Bibl. 

p.  SGa-Syy.  Le  texte  est  précédé  d'une  analyse.  nat. ,  lat.  nouv.  acq.  779,  fol.  ^•jo'-i'jl''). 

'''  Voir  ci-dessus,  p.  i57-i58.  '''  Ibid.,    p.  39^-395,  S  lib. 

'*'  Delisie,  p.  299-300,  S  i5i.  Inc.  :  «No  '*'  Art. xix  de  I)elisle, p.  397-399, SS  i47'i5i. 


SES  KCRITS.  l()l 

du  début  en  témoigne  et  dlfiFérents  renvois  le  prouvent,  [/auteur  en  a 
donné  deux  éditions. 

La  première  édition,  rédigée  en  i3i3,  nous  a  été  conservée  par 
«ne  vingtaine  de  manuscrits'*',  dont  quatre  ont  été  exécutés  sous 
les  yeux  de  Bernard  Gui  lui-même,  qui  y  a  fait  des  corrections  et  des 
additions. 

La  deuxième  édition  ne  se  laisse  pas  dater  avec  autant  de  précision, 
mais  elle  doit  être  antérieure  au  2  5  juin  iSiy,  date  de  la  création  du 
diocèse  de  Montauban  :  on  remarque,  en  effet,  que  Bernard  Gui, 
ayant  à  parler  de  (^astelsarrasin,  à  propos  de  saint  Alpinien,  place 
encore  cette  localité  dans  le  diocèse  de  Toulouse,  et  non  dans  le 
nouveau  diocèse  de  Montauban,  auquel  elle  fut  attribuée  en  i3i7. 
Le  texte  a  été  rléveloppé  dans  certaines  de  ses  parties  (notamment  en 
ce  qui  concerne  les  saints  Eu'.rope,  Gatien  et  Maximin);  en  outre, 
on  y  trouve  deux  notices  nouvelles  (sur  saint  Georges  du  Puy  et 
sur  saint  Luc),  et  deux  appendices  :  une  liste  récapitulative  [Nomina 
discipulorum  sub  compendio),  et  une  messe  en  l'iionneur  des  soixante- 
douze  disciples.  Treize  exemplaires  nous  en  sont  parvenus'^',  dont 
plusieurs  sont  constitués  par  des  manuscrits  de  la  première  édition,  qui 
ont  reçu  après  coup  les  modifications  et  additions  faites  par  l'auteur 
à  sa  rédaction  de  i3i.H;  mais  la  liste  récapitulative  linale  et  la  messe 
ne  se  trouvent  pas  dans  tous  ces  exemplaires. 

L'ouvrage  a  été  traduit  en  français,  à  la  demande  du  roi  Charles  V, 
par  Jean  Golein,  en  1369;  la  traduction  repose  sur  la  première  édi- 
tion. Nous  n'en  connaissons  qu'un  manuscrit,  celui  qui  lut  offert  au 
roi  de  France  par  le  traducteur  lui  même;  il  est  conservé  à  Rome, 
dans  la  Bibliothèque  du  Vatican*^'. 

Texte  et  traduction  sont  restés  inédits.  On  doit  le  regretter,  car 
l'œuvre  n'est  pas  sans  intérêt.  Dehsle  l'a  fort  bien  montré,  et  nous 
ne  saurions  mieux  faire  que  de  reproduire  ses  paroles  (p.  299)  : 
«  Le  traité  sur  les  disciples  de  Jésus-Christ  mérite  d'être  étudié  avec 

''  Delisle  en  a  mentionné  vingl-et-un,  parmi  nuscrit  de  Lisbonne,  Vlcobaça  agS,  que  Delisle 

lesquels  figure  à  fort  un  manuscrit  de  Cam-  n'a  pu  classer,  le  manusciit  de  Cambridge  cité 

bridge,  Corpus  Christi  Collège   4^.  qui   con-  et  un  manuscrit  de  Rorrie,  Vatic.  Palal.  588. 
tient  la  deuxième  édition.    Il   faut   ajouter   le  '''   Vatic.  Regin.  lat.  697  [Mélanges  publiés 

Vatic.  Palat.  lat.  965;  cf.  ci  dessus,  p.    i56,  par  l'Ecole  françaisede Rome,  1881, t.I, p.  a68 

note  3.  et  270,  art.  vin). 

'''   Parmi  eux  doivent  prendre  place  un  ma- 

HIST.   LITTÉB.  XXXV.  21 


I(j2  BERNARD  (]ll,  FRERK  PRECItiail. 

«soin,  parce  qu'on  y  peut  saisir  le  point  auquel  les  traditions  rela- 
«  tives  à  l'origine  des  principales  églises  de  l'rance  étaient  arrivées 
«  au  commencement  du  \iv*  siècle.  Bernard  Gui  range  résolument 
«parmi  les  disciples  de  Noire-Seigneur  :  saint  Martial  de  Limoges  et 
«ses  compagnons  Austriclinien  et  Alpinien,  saint  Saturnin  de  Tou- 
«louse,  saint  Georges  du  Puy,  saint  l'ront  de  Périgueu\.  saint  Julien 
«du  Mans,  saint  Ursin  de  Bourges,  sainl  Trophime  d'\rles,  saint 
«  Maximin  d'Aix,  sainl  Lazare  de  Marseille,  saint  Clément  de  Melz, 
«saint  Eucaire,  saint  Valère  et  saint  Materne  de  Trêves,  saint  Sixte 
«deBeims,  sainl  Mansuet  de  Toul,  saint  Savinien,  saint  Potencien 
«  et  saint  \ltin  de  Sens  et  d'Orléans.  Mais  il  n'inscrit  sur  son  cata- 
a  logue  qu'avec  des  réserves  les  noms  de  saint  Eutrope  de  Saintes,  de 
«  saint  Gatien  de  Tours  et  de  saint  Menge  de  Chàlons.  » 

T).   Legem).\  SA\GTi   Thome  de   -lg(//vo''. 

Inc.  :  Saiicliis  Thomas  de  \quin(),  Ordiiiis  Predicaioruni ,  doclof  .'gni^ius.  .  . 
Des.  :   .  .  .coiilidenfian»  majoreni  concipiani  ad  puindeiii. 

En  désignant  par  le  titre  qu'on  vient  de  lire  l'importante  mono- 
graphie consacrée  par  Bernard  Gui  à  saint  Thomas  d'Aquin,  nous 
nous  servons  de  ses  propres  termes.  Voici,  en  elfet,  la  dédicace  qui 
ligure  en  tèle  de  l'exemplaire  offert  par  l'auteur  à  Pierre  Roger,  le 
futur  pape  Clément  VL''  : 

Venerabiii  viro  domino  Petro  Roggerii,  magistro  in  theologia  Parisius,  f'ratcr 
B[iTnardus],  episcopu.s  Iiodo\ensis,  prcsentem  legcndam  saiicti  Thome  de  Aquino 
liansinittit'^'. 

Pierre  Roger  obtint  l'abbaye  de  Fécamp  le  2 3  juin  i326;  puisque 
Bernard  Gui,  évèque  de  Lodcve  depuis  le  20  juillet  1824 ,  ne  lui 
donne  pas  le  titre  d'abbé,  la  dédicace  est  antérieure  au  2  3  juin  iSafi 
et  postérieure  au  20  juillet  i324.0n  peut  s'arrêter,  avec  le  R.  P.  Man- 
donnet**',  à  la  moyenne  de  i325  comme  date  de  celle  dédicace.  Cette 
date  doit  être  très  voisine  de  celle  où  la  Legenda  reçut  de  l'auteur  sa 

'''   Art.  XVIII  de  Deiisle,  p.  396,  S  \i(').  manuscrit,     non      mentionne     pai-     t)eiisle  ; 

'*'   Vatic.  lat.  3847:  le  texte  de  ia  Leyeiido  cf.  Arcliiv  fur  Litlciatni-  and  Kirchengeschiclilf 

commence  au  folio  37.  des  Mittelallers.  1886,  t.  II.  u.   180,  note  i. 

'''   Nous  empruntons  le  texte  au  P.  Denifle,  '    Des  écrits  antlienliqiief   de   sainl    Tliomiis 

qui    a    le    premier    attiré    I  attention    sui'    ce  d'Aquin,  1910,  p.  55. 


SES  KCRirS.  103 

forme  delinitive,  laquelle  est  postérieure  à  la  canonisation  de  saint 
TlioTuas  (18  juillet  i323),  comme  cela  résulte  de  son  propre  ténioi- 
gnaj^e.  On  lit  en  elTet  dans  le  prologue  qui  ouvre  le  livre  11  de  la 
Legeiula,  consacré  au  récit  des  miracles  de  saint  Thomas  : 

.  .  .  taiTi  (le  prima  (juam  secundà  iin[uisitione   usque  ad   ejus  canonizationem, 
()u;f  facta  luit  postea,  quadriennio  jain  elapso,  sub  aimo  Domini  inillcsimo  triceii 
tHsinio  \icrsiiiio  tertio.   In  fine  vito  pracedi  iitiuin  niiraculorum  addita  sunt  non- 
nuUa  alia,  (|uae  relatione  hI  assertione  pluriFnnrnni  approbata  sunt  et  comperta,  et 
addi  etiani  alia  poterunt  in  futnrum  '". 

La  Leqenda  est  divisée  en  deux  livres  :  dans  le  premier  on  trouve  la 
vie  du  saini,  dans  le  deuxième,  ses  miracles.  La  vie  a  été  écrite  par 
Bernard  Gui  non  seulement  avant  la  canonisation,  mais  avant  les 
deux  encjuètes  préliminaires.  C'est  ce  qu'il  déclare  nettement  dans  la 
quatrième  partie  de  son  Spéculum  sam  torale,  terminée  en  iSag  : 

Quamplura  coHe^mus  sub  compendio,  tam  de  prima  quam  de  secunda  inquisi- 
tionc  sdlltiupiii .  .  .,  ([ue  conscripsimns  in  line  libeUi  (|uem  piius  scripseramus  de 
(irlii,  \ila  et  (ibitu  ejus<lim  '-'. 

Il  est  possible  que  l'auteur,  rédigeant  les  miracles  cpii  constituent  le 
fond  du  deuxième  livre,  ait  fait  quelques  additions  au  texte  du 
premier  tel  qu'il  l'avait  d'abord  établi.  Comme  ce  premier  livre  n'a 
pas  encore  été  publié  intégralement,  il  y  a  là  un  point  qui  reste  à 
éclaircir. 

Mais  une  question  beaucoup  plus  importante,  sur  laquelle  ne  s'est 
pas  portée  la  critique  de  Delisle,  attend  aussi  une  solution  déiinitive. 
LesBollandistes  ont  publié  in  extenso  une  Vie  de  saint  Thomas  qui  a 
pour  aulenr  frère  Guillaume  de  Tocco,  prieur  de  Bénévent,  lequel, 
dans  sa  jeimesse,  s'est  trouvé  en  relation^  personnelles  avec  le  saint. 
Des  deux  biographes,  fpiel  est  celui  à  qui  revient  la  priorité?  De  part 
et  d'autre,  même  cadre  et  même  fond  ;  Guillaume  de  Tocco  est  plus 
dilfus,  Bernard  Gui  plus  concis.  Les  Bollandistes  en  ont  conclu  que 
le  texte  du  second  n'est  qu'un  abrégé  du  texte  du  premier,  et  ils  ont 
donné  le  pas  à  Guillaume  de  Tocco,  en  le  publiant  intégralement '^\ 

''•  Acta  Saiictornm ,  Mars,  l.  I,  p.  716-717;  "'*  Delisle,  p.  296,  d'après  le  manuscrit  48i 

voir  une  déclaration  analogue  à  la   fin  de  l'ar-  de  Toulouse. 

ticle  consacré  à  saint  Thomas  par  Bernard  Gui  '*   Dans   les  Acta   Sanctoram,    Mprs,    t.   I, 

dans  son  Specalum  sanr'ornie  (Delisle,  p.  296).  p.  667  et  suiv. 


164  BFlRWRD  gui,  FRERR  PRECHEUR. 

tandis  qu'ils  se  sont  contentés  de  faire  connaître  la  table  des  matières 
(le  Bernard  Gui  et  de  ])ublier  les  chapitres  qui  ne  se  retrouvent  pas 
dans  la  Vie  qui  a  pour  auteur  Guillaume  de  Tocco'''.  Tout  autre  est 
la  manière  de  voir  d'un  critique  contemporain,  le  D'  .1.  A.  Endres  : 
d'après  lui,  ce  n'est  pas  Bernard  Gui  qui  aurait  abrégé  le  texte  de 
Guillaume  de  Tocco ,  mais  Guillaume  de  Tocco  qui  aurait  délayé  le 
texte  de  Bernard  Gui;  donc  la  Lccjenda  de  ce  dernier  devrait  être 
considérée  comme  le  texte  fondamental  de  la  première  Vie  de  saint 
Thomas  d'Aquin  qui  ait  été  rédigée  en  forme*""'.  Echard  a  accepté  les 
conclusions  des  BoUandistes'''';  mais  voici  que  le  R.P.  Mandonnet  fait 
bon  accueil  à  la  thèse  opposée  soutenue  par  le  D'  Endres,  du  moins 
dans  ses  données  essentielles'*'.  Nous  devons  déclarer  que  l'argumen- 
tation du  D"^  Endres  nous  a  paru  peu  concluante  et  que  les  habitudes 
de  travail  de  Bernard  Gui  parlent  plutôt  en  faveur  de  l'opinion  des 
Bollandisles.  En  tout  cas,  la  question  ne  pourra  recevoir  de  solution 
définitive  que  quand  nous  posséderons  des  deux  Vies  de  saint  Thomas 
un  texte  non  seulement  intégral,  mais  établi  d'après  les  procédés  de 
la  critique  liislori(|ue  et  fondé  sur  un  classement  rigoureux  des  manu- 
scrits*'^'. En  ce  qui  concerne  particulièrement  la  Lecjcuda  de  Bernard 
Gui,  bien  que  les  Bollandisles  déclarent  avoir  eu  sous  les  yeux  quatre 
manuscrits,  un  exe;nj)le  suffira  à  montrer  ce  (pi'il  reste  à  laire  pour 
en  établir  correctement  le  texte. 

Le  chapitre  86  de  la  troisième  partie  du  livre  II,  publié  intégrale- 
ment dans  les  Acta  Sai\clonim^^\  contient  le  récit  d'un  miracle  opéré 
au  profit  de  Marie,  femme  d'Arnaud  de  Trian,  neveu  du  pape 
Jean  XXIl*''.  Deux  évêqnes,  membres  de  fOrdre  de  Saint-Dominique, 
y  figurent  successivement  :  l'un  est  appelé  par  les  manuscrits  ej)i- 
scopus  Lodunensis  ou  Luqdiinfnsis,  Y  autre,  episcopus  Canturiensis.  Pour  le 

'''   Alla  Sniulonim, Mdti,  t.  I,  p.  716  et  suiv.  «  lieure  à  celle  de  Guillaume  de  Tocco.  ...  et 

'''  Studicn    ziir   Biographie   des  lil.    Thonias  i  non  inversement ,  mais  la  question  me  parait 

von  Aqiiiii ,  dans  Historisches  Jahrbucli ,    1908,  «pluscomplexe»  ( Mandonnet, ouvr. cité,  p.  54  . 

p.  53^   et  suiv.  {7('st  ])ar  erreur  (pie  le  l\.  P.  '''   Le  D'  Kndres  n'a  connu  le  texte  de  Ber- 

Mandonnet   (oii\i;if;e  citi-,   |).    54)   dit  que  le  nard  Gui  que  par  les  extraits  qui  figurent  dans 

mémoire  du  D'  l'.iidrcs  a  paru   dans  la   Tiihin-  les  Actii  Sdintnrum  et  dans  le  Sdiiclinirium  de 

ger  Qiiiiitnlschi ifl.  Mombritlus. 

'''   Script.  Onl.  l'rtedii. ,  t.  1,  p.  579.  '''    Mars,  I.  I,  p.  721. 

*''   «Le  docteiu- .1.  A.  Endres  a  le  premier  t'ait  •''  Cette  dame  mourut  en  ii2)i(Albe,  Autour 

«observer  et  établi ,  croyons-nous,  que  la  com-  de  Jean  XXII.  Lesfdinillet  du  Quercy,  i"  partie, 

«position  de  la  \'ic  par  Iiernard  Gui  est  anté-  Home,  iqoa,  p.  76). 


SES  KCRITS.  165 

premier,  les  BoUandistes  ont  corrigé  avec  raison  les  leçons  erronées 
des  manuscrits  en  Lodovensis ,  sans  dire  toutefois  qu'il  ne  s'agit  pas 
de  Bernard  Gui,  mais  de  Jacques  de  Concots,  évêque  de  Lodève  de 
■i3i8à  i3'i2.  Pour  le  deuxième,  ils  ont  supposé  qu'il  s'agissait  d'un 
évèque  de  lile  de  Candie,  et  proposé  de  lire  Cantanensis ;  il  s'agit  en 
réalité  d'un  évéque  de  Caliors  [Caturcensis),  Guillaume  de  La  Broue, 
qui  occupa  ce  siège,  après  le  célèbre  Hugues  Géraud,  de  iSiy 
à  i324- 

Les  manuscrits  de  la  Lecjenda  sont  relativement  rares.  Nous  avons 
déjà  mentionné  le  Vatic.  lat.  3847,  4"^^  ^^^^  ^^^^  considéré  comme 
le  plus  ancien,  peut-être  même  comme  un  original;  ajoutons-y  un 
manuscrit  de  Barcelone'"',  un  manuscrit  de  Charleville  (n°  88), 
un  manuscrit  de  Poitiers  (n°  255)  et  un  autre  manuscrit  de  Rome, 
Vatic.  lat.  i2i8'''.  Le  manuscrit  de  Saint-Victor  de  Paris  (n°  64  i), 
signalé  par  les  BoUandistes,  et  d'après  lequel  le  biblit>tliécaire  de 
l'abbaye,  Jacques  Bouet  de  La  Noue,  devait  donner  une  édition, 
s'est  ])erdu,  ainsi  que  le  manuscrit  des  Dominicaines  de  Poissi,  men- 
tionné par  Ecbard'^'.  11  n'est  pas  sur  que  la  bibliotbèque  du  chapitre 
de  Prague  ait  possédé  un  manuscrit  de  la  Lcçjenda,  quoi  qu'en  disent 
les  BoUandistes  :  le  D'  Endres  pense  qu'ils  ont  confondu  notre  texte 
avec  l'abrégé  qui  figure  dans  la  quatrième  partie  du  Spéculum  sancto- 
rale,  dont  un  exemplaire  est  encore  aujourd'hui  conservé  à  Prague'*'. 

Rappelons  en  terminant  que,  si  des  fragments  de  la  Legenda  ont  vu 
le  jour  dans  le  Sanctuariuin  de  Mombritius  et  dans  les  Acta  Sanctorum, 
le  public  en  attend  toujours  une  édition  intégrale. 

6.  Spkcvlvm  sanctorale^^K 

C'est  à  la  requête  du  maître  général  de  l'Ordre  des  Dominicains, 
Bérenger  de  Landorre  (i3i2-i3i8),  que  Bernard  Gui  se  mit  à 
lœuvre  pour  remplir  une  tâche  analogue  à  celle  qu'avait  assumée, 
à  la  fin   du  xiii^  siècle,  frère  Jacques  de  Varazze,  dont  la  Leyenda 

'''  Delisle,  p.  437-438;  ce  manuscrit  a  passé  *    Hiitorisches    Jahrhuch ,    iqo8,     p.    55o; 

de  San  Juan  à  l'Université.  d.  ci-dessous,  p.   i68. 

'''  Alb.  Poncelet,  Cataloyui  codicum  hagiogi.  '    Art.  wii  de  Delisle,  p.  273-29^,  SS  i3i- 

latin.  Bibl.  Vaticanœ  [Rraielies,  1910),  p.  80.  i45. 

''   Quétif  et  Échard ,  Script.  Ord.  Prtedic. ,  1. 1, 
P-  579- 


IhO  BERNAUI)  Gl;l,   FRKRK  PRFXJIKLR. 

aurea  a  eu  tant  de  succès.  H  ne  nomme  pis  ses  devanciers  dans  sa 
préface, 'mais  il  leur  fait  collectivement  un  double  reproche  :  ils  sont 
si  brefs,  dit-il,  que  les  vies  des  saints,  telles  qu'ils  les  racontent,  font 
l'efTet  d'être  tronquées;  d'autre  part,  beaucoup  de  saints  manquent' 
dans  leurs  recueils*''.  Toutefois  l'auteur  du  Spéculum  sanclorale  ne 
s'est  pas  résigné  à  faire  office  de  simple  compilateur.  S'il  s'interdit 
d'inventer,  il  se  réserve  de  choisir,  de  laisser  de  côté  les  traits  apo- 
cryphes et  d'élaguer  les  détails  superflus,  (l'est  jusqu'à  un  certain 
point  une  œuvre  de  ciitique  qu'il  a  l'ambition  de  présenter  au 
lecteur. 

Il  a  divisé  son  immense  matière  en  quatre  parties,  dont  chacune 
peut  former  un  volume  séparé  ayant  son  individualité  propre.  La  pre- 
mière est  consacrée  aux  fêtes  de  Jésus-Christ,  de  la  Vierge  Marie,  de 
la  Croix,  des  \nges,  de  la  Toussaint,  des  Morts,  de  la  Dédicace  des 
églises;  la  deuxième,  à  saint  lean-Daptiste,  aux  apôtres,  aux  évangé- 
listes  et  à  quelques-uns  des  soixante-douze  disciples  de  Jésus-Christ; 
la  troisième,  aux  martyrs;  la  quatrième,  aux  confesseurs  et  aux 
vierges.  Dans  les  deux  dernières  parties, l'ordre  suivi  doit  être,  comme 
dans  la  Legenda  auren  et  autres  recueils  analogues,  celui  dans  lequel 
les  fêtes  des  saints  et  saintes  figurent  dans  le  calendrier'^';  saint  Etienne 
ouvre  la  troisième,  et  saint  Sylvestre,  la  quatrième. 

Delisle  a  donné  le  détail  complet  du  contenu  de  chaque  partie;  il 
n'y  a  pas  lieu  de  le  reproduire  ici.  Bornons-nous  à  quelques  indi- 
cations. Dans  la  seconde  partie,  les  saints  admis  comme  disciples 
du  Christ  sont  les  suivants:  Saturnin,  Martial,  Front,  Georges, 
Maximin,  Joseph  dit  Barsabas,  Nathanael,  Thadée,  Jude,  Silas, 
Céphas,  Gléophas,  Simon  ou  Slméon.  L'auteur  dit  expressément  que 
ce  sont  ceux  dont  il  a  pu  trouver  les  actes,  et  il  semble  inviter  les 
lecteurs  mieux  informés  que  lui  à  y  faire  des  additions  en  rapport 
avec  leurs  découvertes.  Les  notices  de  la  troisième  partie  sont  au 
nombre  de  cent  cinquante,  chiffre  qu'il  faut  un  peu  réduire  si  l'on 
remarque  que  quelques  récits  de  translation  forment  des  articles 
séparés  et  que  la  notice  sur  saint  Ruf  est  restée  vide  faute  de  rensei- 

■''   Delisle,  p.  Vi3.  liigni,  honoré  le   ij  octobre,  n'est  pas   traité 

'''   Quelques  interversions  ont  des  causes  par-  .i  sa  date,  mais  renvoyé  à  la  suite  d'un  autre 

ticulières  qu'il  n'y  a  pas  lieu  d'exposer  ici  dans  saint  Léonard,  ermite  honoré  à  Saint-Léonard 

le  détail;  c'est  ainsi  que  saint  Léonard  de  Cor-  près  de  Limoges,  le  6  novembre. 


SES  ÉCRITS.  167 

"^nements'''.  Celles  de  la  quatrième  ne  montent  qu'au  chiflPre  de 
quatre-vingt-un,  en  y  comptant  les  extraits  des  Vitœ  Patrum  de  sainl 
Jérôme  et  d'Héraciide,  qui  terminent  le  recueil.  Quand  Bernard  Gui 
faisait  allusion,  dans  sa  prélace,  aux  lacunes  des  recueils  antérieurs 
qu'il  voulait  combler,  il  songeait  surtout  aux  saints  honorés  dans  cer- 
taines régions  de  la  France,  saints  d'une  autorité  relativement  peu 
étendue,  mais  que  nous  devons  lui  savoir  gré  d'avoir  accueillis.  Sou 
Spéculum  sanctorale,  à  coté  des  |)ages  générales  qui  intéressent  toute 
la  chrétienté,  a  un  petit  coin  «gallican»  qui  nous  le  rend  particu- 
lièrement précieux. 

Bernard  Gui  dut  consacrer  un  temps  considérable  à  l'exécution  du 
Spéculum  sanctorale,  entreprise  entre  1 3 1 2  et  i3i8,  comme  nous 
l'avons  dit.  Les  deux  premières  parties  étaient  prêtes  avant  le  20  juil- 
let i32/i,  date  du  jour  où  il  les  présenta  au  pape  et  où  il  fut  trans- 
féré à  l'évêché  de  Lodève'^'.  Il  lui  oflrit  en  deux  fois,  par  la  suite, 
la  troisième  et  la  quatrième;  de  ce  dernier  hommage  Jean  XXII  le 
remercia  le  2  1  juillet  1329'^',  ce  qui  précise  la  date  à  laquelle  l'œuvre 
fut  achevée.  Nous  possédons  aussi  une  lettre  de  remerciement  du 
même  pontife  pour  l'envoi  de  la  troisième  partie,  lettre  datée  du 
17  juin,  qu'on  a  cru  pouvoir  rapporter  à  l'année  1330'*'.  11  est  à 
croire  que  cet  envoi  supplémentaire  correspond  à  quelque  rema- 
niement opéré  par  l'auteur  dans  cette  troisième  partie,  bien  que 
Delisle  n'en  ait  pas  retrouvé  les  traces  dans  les  manuscrits  qui  ont 
passé  sous  ses  yeux  '^'.  , 

Les  dimensions  énormes  du  Spéculum  sanctorale  étaient  peu  favo- 
rables à  sa  large  diffusion''''.  Des  copies  qui  en  furent  faites,  une  seule 
nous  est  parvenue  dans  son  intégrité  :  elle  se  trouve  à  la  bibliothèque 
de  Lisbonne,  fonds  d'Alcobaça,  n"*  29^,  296  et  297;  Delisle  a  décrit 
sommairement  les  trois  volumes  dont  elle  est  composée'^'.  Le  manu- 
scrit 64  de  la  bibliothèque  de  Tours  contient   la  première  partie  et 

'''    «Istius  sancti  Ruphi  gesta  nondiiiii  iii\e-  plaires  de  celte  tioisièine  partie  (Oelisle,  p.  37 1  ; 

a  iiimus.  .  .  •  (Delisle,  p.  a8a).  cf.    Maurice    Fnucon,    La    librairie    de.r  pape> 

*''   Voir  ci-dessus,  p.  1 53.  d'Avignon,    Paris,    1886-1887,   t.    Il,   p.    if\?t 

'''  Delisle,  p.  274  et  tiib.  \Mi]. 

'*'   Voir    les    Mélanges    publiés    par    l'FxoU'  '*'   Cf.  Alb.  Poncelet,  Anal.  Bolland.,  ujk), 

française  de  Rome ,  1881,  t.  I,  p.  459-A60.  t.  XXIX,    p.  2628.    Paul    Meyer  a  remarqué 

'''   En  fait,  dan»  l'inventaire  de  la  bibliothè-  ici-même  (t.  XXXIII,  p.  libo)  que  le  Speculnm 

que  pontificale,  fait  à   Peniscola  au  conimen-  •■   ne  parait  pas  avoir  été  mis  en  français  h. 
cernent  du  xv*  siècle,  on  trouve  deux  exem-  ''   P.  ài^-fi?)']. 


168  BERWRD  Gl'I.  FRKRE  PRECHEl  R. 

le  commencement  de  la  deuxième;  c'était  le  premier  volume  d'une 
édition  qui  en  comprenait  trois  :  le  deuxième  a  disparu  et  le 
troisième  est  conservé  à  la  Bibliothèque  nationale,  lat.  S/ioy.  De 
la  deuxième  partie  il  nous  reste  trois  manuscrits  :  deux  à  Paris  (Bibl. 
nat.,  lat.  5^o6  et  9781  ),  et  un  à  Vienne  (Bibl.  imp.,  lat.  439^). 
Enfin ,  trois  manuscrits  de  la  troisième  et  de  la  quatrième  partie  réunies 
ont  été  signalés,  à  Avifi^non  (Musée  Calvet,  n°^  296  et  297),  à  Prague 
(Bibl.  de  la  cathédrale,  G.  23.  i  '")  et  à  Toulouse  (n"  .^H  i  ). 

Au  xV  siècle,  le  recueil  de  Bernard  (îui  retenait  encore  l'attention 
d'un  moine  de  la  chartreuse  de  Val-Dieu,  près  de  Mortagne,  lequel 
en  a  parlé  en  termes  élogieux''^';  mais  les  imprimeurs  ont  reculé  de- 
vant uneédilion  intégrale.  Seuls,  quelques  érudits  l'ont  utilisé  d'après 
les  manuscrits  et  en  ont  publié  des  extraits  relatifs  à  tel  ou  tel  saint. 

Delisle  a  donné  une  liste  de  ces  publications  isolées;  elle  demande 
(iiielques  suppressions  et  quelques  additions.  On  s'est  eilorcé  d'être 
plus  précis  et  phis  complet  dans  la  liste  suivante,  où  les  noms,  énoncés 
en  latin,  sont  rangés  dans  l'ordre  alphabétique  et  suivis  de  l'indi- 
cation du  jour  où  on  honore  le  saint  : 

Amandis,  évèqiie  de  Mapstricht  (6  février).  —  Texte  publié  par  les  BoHandistes, 
Acin  Sanctorum,  Févr. ,  t.  I,  p.  85/i-85j,  d'après  une  copie  d'André  Du  Cliesne; 
cf.  krusclî  et  Levison,  Passiones .  .  .,  t.  V  (Hanovie  et  l^eipzig,   1910),  p.  626- 

437'^'. 

Amandds  et  son  disciple  JuniANrs  (  16  octobre).  —  Texte  publié  par  Benoit  Gonon, 
Yntp  et  sententiœ  Patrum  Occidenlis  [Lyon ,  1625),  livre  IV,  p.  208-209,  d'après 
le  nis.  297  du  Musée  Calvet  d'Avignon;  nouvelle  édition  des  trois  premiers  para- 
graphes, collation  née  sur  le  manuscrit  de  Prague,  Acta  Sanctomni ,  Oct. ,  t.  VII, 
2°  partie,  p.  889. 

Antomus  de  Padla  (  i3  juin).  —  Le  texte  des  passages  empruntés  par  Bernard  Gui 
h  la  Vie  du  saint  composée  par  frère  Rigaud  a  été  publié  par  le  chanoine 
\rbellot.  Saint  Antoine  de  Padoae  en  Limousin  (2'  éd. ,  Limoges,  1 898) ,  p.  65-68  ; 
cf.   Histoire  littiToire ,  t.  XXXIV,  p.  282,  note  1. 

DoMiNiccs  (4  août).  —  Texte  publié  par  le  P.  Percin,  Monumenta  conventiu  Tobsani, 
p.  3o,  d'après  le  ms.  A81  de  Toulouse. 

''  Sur  ce  manuscrit ,  voir  Historisches  Jahr-  pliquer  à  saint  yliain,  patron  de  Lavaur.  Bernard 

hach,  1908,  p.  55o.  Gui  est  étranger  à  cette  supercherie,  mais  déjà 

')  Delisle,  p.  agi.  dans  son  texte,  quelle  qu'en  soit  la  cause,  te 

''  Dans  le  ms.  481  de  Toulouse ,  un  laussaire  nom  de  lieu  Nanto,  fourni  par  la  plus  ancienne 

achangéle  nom  d' A  mandas  en  Alaniu  pourl'ap-  vie  de  saint  Amand,  est  remplacé  par  Vaaro 


SES  ECRITS.  1()9 

Ftohis  (  i"  novembre).  —  Texte  publié  par  les  Bollandistes,  AcUi  Sanclorum,  Nov., 
t.  II,  i"  part.,  p.  268-269,  d'après  trois  iiianuscrits  (Bibl.  nat. ,  lat.  5/io6  et 
5 'j  G  7  ;  Toulouse  /i8i);  cf.  Analecta  Bollandiana,  t.  XIV,  p.  3i9-32i,  et  Ernest 
Martin,  Hist.  de  la  ville  de  Lodhe  (Montpellier,  1900),  t.  II,  p.  32i-33i,  note 
due  à  M""  Guiraud. 

FuLCRANNUs  (  1  3  février).  —  Texte  publié  par  les  Bollandistes,  Acta  Sanctorum,  Févr., 
t.  Il,  p.  711-717,  d'après  le  manuscrit  de  Prague;  extraits  et  étude  critique  dans 
Ernest  Martin,  ou\r.  cité,  t.  II,  p.  382-397,  note  due  à  M"' Guiraud. 

Germehivs  (16  mai).  —  Texte  publié  par  le  chanoine  Douais,  Mém.  de  la  Soc. 
des  Anti(juaires  de  b'ratxce ,  1890,  t.  L,  ]).  95-99  ,  d'après  les  mss.  k^o  et  ^Si  de 
Toulouse. 

Jdmanus.  Voir  Amandus. 

Leonardds  Corbiniacensis  (i5  octobre).  —  Texte  publié  par  Gonon,  ouvr.  cité, 
p.  2(>g-2  10,  d'après  le  ms.  297  du  Musée  Calvet  d'Avignon. 

Leonardus  Lemovicensjs  (6  novembre).  —  Texte  publié  par  Gonon,  ouvr.  cité, 
p.  2  1  0-2  1  3 ,  d'après  le  ms.  297  du  Musée  Calvet  d'Avignon. 

LuDOVicus  rex  (25  août).  —  Texte  de  l'appendice,  intitulé  :  Brevis  chronica  de 
progressa  temporis  sancti  Ludovici ,  publié  dans  les  Historiens  de  la  France,  t.  XXIII 
(1876),  p.  176-177,  d'après  le  ms.  lat.  5oZi6  de  la  Bibliothèque  nationale. 

Pardi LKHs  (6  octobre).  —  Texte  publié  fragmentairement  par  (îonon  ,  ouvr.  cité, 
p.  2  1  0-2  1  1  ,  d'après  le  ms.  297  du  Musée  Calvet  d'Avignon. 

Pbivatus  MiMATENsis  (2  1  août).  —  Texte  utilisé  par  les  Bollandistes,  Acta  Sancto- 
ram,  Aoijt,  t.  IV,  p.  à^g-lxlio. 

Sacerdos  (5  mai).  —  Texte  publié  par  Baluze,  Discjuisitio  sœculi  <^uo  vixil  sanUlus 
Sacerdos .  .  .  (Tulle,  i655),  p.  i3-i8,  d'après  le  ms.  Ii8i  de  Toulouse;  repro- 
duit d'après  Baluze,  et  collationné  sur  une  autre  copie  du  manuscrit,  par  Labbe, 
A'wa  bibl.  mss.  libr.  (1657).  t.  II,  p.  66i-665. 

Thomas  de  Aquino  (7  mars).  —  Texte  de  i'Epilogus  brevis  publié  par  le  D''  Endres 
dans  Hislorisches  Jahrbuch,  1908,  p.  55i-552,  d'après  le  ms.  lai.  hi^li  de  la 
Bibl.  imp.  de  Vienne. 

Delisle  a  groupé  un  certain  nombre  de  faits  pour  mettre  en  reliel 
la  méthode  de  travail  de  notre  auteur  au  cours  de  son  immense  com- 
pilation et  montrer  le  profit  que  la  critique  historique  peut  tirer  des 
matériaux  qu'il  a  réunis  et  des  observations  dont  il  les  a  souvent 
accompagnés.  Il  nous  paraît  inutile  de  reproduire  tout  ce  que  notre 
devancier  a  écrit  à  ce  sujet;  mais  il  est  bon  de  faire  connaître 
quelques-unes  de  ses  constatations:  «Bernard,  dans  son  Sanctoral, 


HIST.  LITTEB. 


170  BERNARD  CUl,  FRERE  PREClIEl  H. 

«  ne  se  contente  pas  de  copier  ou  d'abréger  les  anciennes  légendes  : 
Il  il  y  enregistre  çà  et  là  des  événements  relativement  modernes  et 
«  des  indications  topographiqnes  fort  curieuses  '".  ...  Il  cite  ses 
«autorités,  et  renvoie  souvent  à  des  relations  qui  n'ont  jamais  reçu 
«  une  grande  publicité'^'.  .  .  Plus  d'une  fois,  Bernard  s'est  trouvé  en 
a  présence  de  récits  contradictoires  et  de  prétentions  rivales.  De  tels 
«embarras  ne  le  déconcertent  jamais.  Parfois  il  propose  des  solu- 
«tions;  le  plus  souvent  il  résume  avec  impartialité  les  faits  allégués 
«  de  part  et  d'autre'^'.  » 

Delisle  n'a  examiné  que  la  troisième  partie  du  Spccalnin  sauctorate, 
consacrée  aux  martyrs,  et  les  extraits  textuels  qu'd  publie  viennent 
du  manuscrit  48 1  de  Toulouse.  A  notre  tour,  nous  avons  par- 
couru la  quatrième  partie,  consacrée  aux  confesseurs  et  aux  vierges, 
telle  que  la  donne  le  manuscrit  latin  5o46  de  la  Bibliothèque  natio- 
nale. La  place  nous  manquerait  si  nous  voulions  relever  tous  les 
passages  de  Bernard  Gui  qui  olFrent  quelque  intérêt.  Il  nous  sulTira, 
pour  faire  connaître  la  portée  de  sa  critique,  de  prendre  un  exemjde 
caractéristique''''.  Nous  l'empruntons  à  l'article  qu'il  a  consacré  à 
saint  Ililaire  de  Poitiers  (i3  janvier). 

Bernard  Gui  donne  en  premier  lieu  un  abrégé  de  la  Vie  attribuée 
à  Fortunat,  et  termine  l'abrégé  par  cette  indication  :  «  Hec  ex  gestis 
«  sancti  Hylarii  verioribus  et  antiquis.  »  Puis  viennent  des  extraits 
textuels  de  la  Chronique  de  saint  Jérôme  et  du  De  vins  illuslnhas  du 
même  auteur.  Enlln  il  prend  lui-même  la  parole  et  expose  au  lecteur 
sa  manière  de  voir  au  sujet  de  récits  dont  le  caractère  historique  ne 
lui  parait  pas  solidement  établi  : 

Quod  autem  de  saricto  Ilyiario  sulel  dici  el  ab  aliquil)Us  compilatoribus  scribi. 
quod  Léo  papa,  Arriana  heresi  depravalus,  sedens  in  consilio  prelatorum,  tardiu> 

'''   P.   aSy  ;   suivent   des    extraits  relatils   a  d'Auguste    Muliniei    sur  ce   point:   «Bien  de* 

sainte  Valérie  et  à  saint  Pons.  tfois,  il  fait  pieuve  de  ce  qu'on  appelle  aujoui- 

'''   P.  289  ;  suivent  des  indications  relatives  ■  d'hui  l'esprit  critique;  il  pèse  et  apprécie  les 

à  saint  Privât  et  à  saint  Pons.  •  témoignages,  et  au  lieu  de  chercher    à  les 

'^'  Delisle  appuie  ses  dires  en  publiant  •concilier  tant  bien  que  mal,  comme  beau- 
quelques  extraits  relatifs  à  saint  Georges,  à  •  coup  d'écrivains  de  son  temps,  il  s'attache 
saint  Cyr  et  à  sainte  Julitte,  à  saint  Pons,  «à  faire  un  choix  raisonné  entre  deuv  ver 
à  saint  Baudile,  p.  289-191.  «sions  contradictoires  d'un   même   fait.  Cette 

'''  Cet   exemple   permettra   au   lecteur   de  «qualité  se  montre  notamment  dans  le  5a«(- 

reconnaitre  ce  qu'il  y  a  de  juste  et  de  corriger  ttornle.  .  .  •   (Source.*   de   thifloiie   de    linnte, 

ce  qu'il  y  a  d'un  peu  excessif  dans  le  jugement  l' t.  \,  introd.  gén.,  S  172). 


SEJ  ECRITS.  171 

vfnipnti  llvlai'io  dixPi'it  :  «  Tu  ps  Gallus,  sed  non  do  g<THina  »,  et  ipse  Hylarius  lespon- 
(lerit  ei  :  «  Tu  es  Léo,  sed  non  de  tribu  Juda  »;  et  quod,  in  consilio  nutio  sibi  assur- 
gente  vcl  locum  dante,  ipse  in  terra  sedere  volens  dixerit  :  •  Doniini  est  terra  «,  et 
ipsa  tellus  se  erexerit  et  excrev[er]it  ;  (|uod  eciam  papa  sibi  comminando ,  sicut  Hyla- 
rius predixerat,  subito  expiraverit,  non  \idetur  habcre  consonanciam  cum  hystorie 
verilate,  quoniani  in  gestis  ejus  verioribusetantiquis,  nec  eciam  in  aliquibus  antiquis 
cronicis  Ensebii,  Jeronimi,  Prosperi  et  Ysodori  [sic),  de  hoc  nulla  niencio  invenitur; 
nulla  eciam  hystoria  dicit ,  nec  in  gestis  pontificum  Romanorum  invenitur  aliquem  no- 
mine  Leonem  tempore  Hylarii  sedi  apostolice  prefuisse;  nisi  forte  Liberius  papa,  qui 
Cunstancio  et  suis  iabe  Arriana  iiifectis  [postquam  ab  cxilio  Romam  rediit]  favebat, 
Léo  alio  oomine  vocaretur,  vcl  forsitan  illo  tempore  fuerit  aliquis  falsus  pseudo- 
antipapa  [sic)  Léo  vocatus.  Et  ideo  predicta,  tanquam  ambigua  et  incerta,  suntpenitus 
relinquenda^^'. 

IV.  —  Histoire  HKs  CONCILES. 

7.     J)h:  TEMIOHK  CELEBfiATIONIS  CONCIUORUM^'^I 

Le  titre  complet  et  le  début  sont  ainsi  donnés  par  les  manuA^rils  : 

Incipit  Iractatus  hrevis  de  lemporihiis  cl  nnnis  (jeiieralium  et  particalarinm  concilionuu. 
t)c    sacrosanlis    synodis    seu    «onciliis    generalibus    seu    universalibus    trartans 
(îracianus .  .  . 

Il  existe  deux  rédactions  de  cet  oiivra«^e.  La  première,  terminée 
entre  la  mort  du  pape  Clément  V  (2.3  avril  i3i/i)  et  l'élection  du 
pape  .lean  XXII  (y  août  i3i6),  sans  qu'on  en  puisse  préciser  davan- 
tage la  date,  a  pour  derniers  mots:  «  sede  Romana  vacante  hodie 
«  qiio  hoc  scripsi».  Elle  nous  est  parvenue  dans  huit  manuscrits  au 
moins,  dont    un  original. 

La  deuxième  est  beaucoup  plus  abondamment  représentée  dans 
les  bibliothèques.  Delisle  en  a  énuméré  dix-neuf  manuscrits,  dont 


'"'   Bibl.  nat..  lat.  54oH,fol.  i3°.  —  Sur  res  |ias  ignoré  romplétement ,  car  on  lit  dans  les 

récits  légendaires,   échos   des  relations    diffi-  F/or«  (/ironiVornni ,  sous  Léon  I"  :«  (llanieiiinl 

ciles   de  saint   Hilaire  d'Arles   avec  le   pape  «hoc    tempore    Genovefa    virgo    Parisiensis, 

Léon    I",   qui    ont  fini  par  s'attacher  à   saint  t  Euckeriiis,  Lagdunensis  archiepiscopus,  it  lly- 

Hilaire  de    Poitiers,    beaucoup    plus   célèbre  larius  Arelatensis..  .  t   (Bibl.   nat.,  lat.   4()83 

que  son  homonyme,  voir  les  indications  réu-  fol.  35;  les  mots  soulignés  ont  été  ajoutés  en 

nies  par   M.   Paul  Fournier,   Mélange.^  Julien  marge  par  l'auteur;  de  même  dans  Bibl.  nat., 

Havet   (Paris,   1895),  p.  271,  note  à.  Saint  lat.  nouv.  acq.  1171,  fol.  a6). 
Hilaire  d'Arles,  honoré  le  5  mai,  ne  ligure  pas  '''  Art.  xx  de  Delisle,  p.  3oo-.3o3,  SS  i5a- 

dans  le    Spernlum ,  mais   Bernard   Gui   ne   l'a  i55. 


172  BERNARD  GUI,  FRKRE  PRECHEUR. 

quatre  originaux,  auxquels  de  récentes  découvertes  permettent  d'en 
joindre  au  moins  cinq  autres'"'. 

Cette  rédaction  est  postérieure,  probablement  de  peu,  au  mois 
de  novembre  iSiy,  cai-  elle  mentionne  la  bulle  de  lean  XXII,  qui 
promulgua  les  Clémentines,  dans  la  dernière  plirase,  ainsi  terminée  : 
M  constitutiones  que  usquc  tune  steteranl  in  suspenso  ».  Elle  ne  ditFère 
guère  de  la  première,  en  dehors  de  l'addition  finale,  que  j)ar  des 
indications  bibliographiques  recueillies  par  Bernard  Gui  dans  le 
voyage  qu'il  fit  en  Italie,  pendant  cette  même  année  i3i  7,  en  com- 
pagnie de  Bertrand  de  La  Tour'"'';  ces  indications  se  réfèrent  toutes  à 
un  manuscrit  «in  littera  anticpia  dlft(jngala  " ,  qu'il  déclare  avoir  lu 
dans  la  bibliothèque  do  la  cathédrale  de  \érone'^'.  Des  notes  plus 
détaillées,  sur  ce  manuscrit  et  sur  d'autres  analogues,  nous  ont  aussi 
été  conservées,  l^ernard  Cui  y  mentionne  des  manuscrits  de  l'abbaye 
de  Saint-(TaU,  de  l'Hôpital  de  Saint-Jean  d'Acre,  des  Dominicains 
d'Orvieto,  et  enfin  un  manuscrit  des  Dominicains  de  Bologne,  qu'il 
déclare  avoir  eu  à  sa  disposition'*';  toutefois,  dans  le  remaniement 
de  sa  première  rédaction,  il  n'a  fait  état  que  du  manuscrit  de  Vérone. 

Frère  Jean  Golein  traduisit  l'opuscule  de  Bernard  Gui  sur  les 
conciles,  en  iSGg,  à  la  demande  du  roi  Charles  V;  nous  avons  déjà 
eu  occasion  de  signaler  le  seul  manusciit  qui  renterme  l'ensemble  de 
ses  traductions'^'.  Ajoutons  que  Jean  Golein  a  eu  sous  les  yeux  la  pre- 
mière rédaction  de  l'auteur'^''. 

Texte  et  traduction  sont  restés  inédits,  et  la  nature  de  l'opuscule 
ne  le  fait  guère  regretter,  car  c'est  un  sommaire  très  sec  et  cjui  n'offre, 

''*   l'aris,  Bibl.   nat.,  lai.    nou\.   acq.  779;  autre  de  Bernard  Gui  ;  cl.  C'nf'//.  co(/ir.  /a<.  BiTi/. 

Gaiiibridf^'e,  Corpus  Christi  Collège  45  (Mon-  reg.  Monac,  t.  Il,  a'  partie,  p.  1/17,  n°  i4333. 

iague  Whttdes  Jantes,  A  descriptive  catalogue ... ,  '"'   Voir  ci-dessus,  p.  i5o. 

Cambridge,  1909,  p.  91);   Merville  (Mém.  de  '''  Delisle,  p.  3os. 

(a  Soc.  iiiclwol.  du  Midi  de  lu  France,   i886-  -''  Cf.  Delisle,  p.  3o2-3o3  :  •  Gesta  Galce- 

1889,    t.    XIV,    p.    445-4'i7);    Rome,   Vatir.  «donensis    synodi   et    librum   sancti    Secnndi 

Regin.   lat.  (Jgc)  (Bibl.  de  l'Ecole  des  chartes,  «contra  Macedonium,  item  gesta  sexte  synodi 

1876,  t.  XXXVll,  p.    517),   et   Valic.   Palat.  «  apud  Constantinopolim   inveni   Bononie,   in 

lat.  588  (communie,  de  M.  Jassemiii,  membre  «annario     Fratruin     Predicatorum.  »     Delisle 

de  l'Ecole  Irançaise  de  Rome).  Les  renseigne-  public  ces  notes  d'après  un   manuscrit  de  la 

ments  tournis  sur  le  nis.  lat.  'I973  de  la  Bibl.  comtesse  Le  Gonidec  de  Traissan  ;  nous  pou- 

iuipér.    de   Vienne    par    le    catalogue    ofTiciel  vons  certifier  qu'elles  se  trouvent  aussi  dans  un 

[Tabulée  codiciiw ,  I.  III,  p.  458)  ne  sullisenl  manuscrit  du  Vatican,  Palat.  lat.  965,  fol.  355. 

pas  pour  le  classer.  —  Un   manuscrit  de  Mu-  ''   Ci-dessus,  p.  157-1 58. 

nich,  mentionné  par  Delisle  sur  la  foi  de  Pot-  '"'   Voir  les  Mélanges  de  l'Ecole  française  de 

tha.st,  ne  contient  ni  cet   opuscule  ni  aucun  Rome,  1881,  t.  I,  p.  a65  et  370,  art.  vi. 


SES  ECRITS.  173 

pour  le  fond,  qu'un  intérêt  assez  restreint'''.  Mais  il  est  heureux  que 
l'infatigable  curiosité  de  Bernard  Gui  se  soit  portée  dans  cette  direc- 
tion, car  nous  lui  devons,  sur  le  concile  de  Lyon,  réuni  en  i  274.  la 
rédaction  d'un  épitomé  qui  ne  manque  pas  d'intérêt,  et  auquel  il 
nous  paraît  bon  de  consacrer  un  article  spécial,  bien  que  Delisle  se 
soit  contenté  de  le  mentionner  en  appendice  de  son  article  xx,  et  que 
le  mémoire  résumé  par  notre  auteur  ne  soit  pas  perdu  sous  sa  forme 
primitive,  comme  on  l'a  cru  longtemps. 

8.  EXTRACTIONES  DE  LIBRO  QUEM  FECIT  FRATER  HyMBERTUS  DE  RoMi^lS 
DE  HIIS  QUE  TRACTANDA  IIDEBANTVR  /A'  CONCILIO  GE\ERAU  LuGDUM 
CELEBRANDO  SUB  AN/\0  DoMlNl  M"  C(f  LXX"  HW^'^^ 

Martene  et  Durand  ont  publié,  d'après  les  papiers  de  Mabillon  et 
sous  le  titre  que  nous  venons  de  reproduire  en  l'abrégeant  un  peu, 
des  extraits  faits  par  Bernard  Gui  d'un  important  traité  de  frère 
Humbert  de  Romans,  maître  général  des  Dominicains,  composé  en 
vue  de  la  réunion  du  concile  général  convoqué  à  Lyon,  pour  le 
1"  mai  1274,  par  le  pape  Grégoire  X*"**.  La  copie  de  Mabillon  a 
certainement  été  exécutée  sur  le  manuscrit  du  Vatican  qui  porte 
aujourd'hui  le  n"  880  dans  le  fonds  de  la  reine  Christine,  et 
que  Delisle  a  décrit  en  1876''''.  C'est  d'après  cette  copie  qu'il  est 
parlé  de  ce  traité  de  frère  Humbert  dans  le  recueil  de  Quétif  et 
Echard'^'.  Delisle  a  signalé  un  autre  exemplaire  des  Extractiones 
de  Bernard  Gui  dans  un  manuscrit  de  la  comtesse  Le  Gonidec  de 
Traissan.  Le  même  texte  se  lit  dans  deux  autres  manuscrits,  con- 
servés au  Vatican  (Palat.  lat.  588,  fol.  96,  et  966,  fol.  209),  bien 
que  la  table  placée  en  tête  du  second  de  ces  manuscrits  puisse  don- 
ner le  change  et  faire  croire  qu'il  s'agit  du  traité  même  de  Humbert 
de  Romans,  puisqu'elle  porte  :  «  xxi.  Item,  liber  fratris  Hymberti  de 
Romanis.  .  .  » 

Inc.  :  Ad  omnes  siquidem  prelatos  pertinet  vigUare    .  . 
Des.  :  .  .  .  ante  concilium  vel  post ,  illa  expédiât  sine  ipsis. 

'"'  Remarquons  cependant  qu'un  fragment ,  '''   Veleram  scriptoruni   ampUssima   collectio , 

relatifà  la  promulgation  des  Clémentines  et  qui  t.  VII  (1733),  col.  ly^-igS. 
termine  l'opuscule,  a  été  publié  en  1 855  dans  '''  Bibl.     de     l'École     des    chartes,     1876, 

les  Historiens  de  la  France ,i.  XXI,  p.  733,  n.  5.  t.  XXXVII,  p.  5 16. 

'"  Art.  XX  de  Delisle,  p.  3o3,  S  i55.  C'  Script.  Ord.  Prœdic.  t.  I,  p.   lAGi/i?. 

1    4 


17'l  BKRNARD  GUI.   FRERE  PRECHEUR. 

Nos  prédécesseurs,  dans  l'article  qu'ils  ont  consacré  à  Humbert 
de  Romans'"',  ont  cru  que  le  manuscrit  du  Vatican,  mis  à  la  dispo- 
sition de  Mabillon,  contenait  le  texte  même  de  frère  Humbert,  dont 
Mabillon  n'aurait  pris  qu'une  copie  imparfaite  et  dont  Martene  et 
Durand  n'auraient  inséré  que  «quelques  extraits»  dans  leur  AmpUs- 
sima  collectio.  La  vérité  est  différente  :  Mabillon  a  copié  intégralement 
ce  que  contient  le  manuscrit  de  la  reine  (Christine  (les  trois  autres 
manuscrits  que  nous  avons  mentionnés  ne  contiennent  rien  de  plus), 
et  Martene  et  Durand  ont  publié  intégralement  la  copie  de  Mabillon, 
c'est-à-dire  les  E.rtractiones  de  Bernard  Gui.  Une  intéressante  consta- 
tation a  été  faite  n-cemmentà  ce  sujet.  M.  Max  Hueber  a  identifié  le 
texte  original  du  traité  de  Humbert  de  Romans,  qu'aucun  manu- 
scrit ne  nous  a  conservé,  avec  VOpiis  tnpartitnm  imprimé  à  Londres, 
en  1690,  par  Edward  Brown,dans  VAppendi.r  du  célèbre  Fascicalus 
jvnim  cxpetendarnm ,  dont  le  premier  tome,  paru  sous  le  nom  de  Gra- 
tins, remonte  à  i535''^'.  L'identification  est  tout  à  fait  sûre.  Bernard 
Gui  a  résumé,  livre  ])ar  livre,  cbapitre  par  chapitre,  le  traité  com- 
posé par  Humbert  de  Romans.  Dans  un  chapitre,  le  rapport  indiqué 
se  trouve  interverti.  H  s'agit  du  chapitre  xi  du  troisième  livre,  intitulé 
dans  Brown  :  «Circa  Imperium  »  et  dans  \Amphss.ima  collectio  :  «De 
'<  corrigendis  circa  Imperium  »;  le  texte  de  Bernard  Gui  est  beaucoup 
plus  étendu  que  celui  de  Humbert  de  Romans.  Comme  ce  chapitre 
offre  de  l'intérêt  pour  l'histoire  générale,  nous  croyons  utile  de 
mettre  les  deux  rédactions  sous  Ips  veux  du  lecteur.  Connaissant  le 
manuscrit  de  la  reine  Christine  par  une  reproduction  photogra- 
phique, nous  sommes  en  mesure  de  donner  un  texte  plus  exact  que 
celui  de  Martene  et  Durand. 

Bernard  Gui.  HrMBERT  de  Romans. 

(' M'vr  M.  —  De  corritjendis  circa  Imperiam.  Capvt  xi.  —   Circa  Imperium. 

Ciica    Imperium    vacans,    videretur  In  muitis  nationibus,  quae  subjacent 

constitueiidiis   vicarius  ad  quem  habe-  Imperio,  ut  sunt  itltT  nationes,  in  quibus 

retur  n-ciirsus  propter  gueiras  et  casus  olim  fuit  legnum  Arelatense  et  siniiies, 

varios    émergentes,    vel    addendo   quod  fiunt  ex  defectu  domini  generaiis,  cujus 

statueretur,  cuni   pace  comnmnitatum ,  non  habent  copiam,    ad  quem   possint 

'''   Jlisloire  littéraire,  t.  XIX,  p.  342.  Vienner  Generalconcil  (Leipzig,  1896),  p.  46, 

'''   Gntnchten    nnd   Rejormrorschlàne  fur  das         note  2. 


SES  ECRITS.  175 

quod  lex  The-utonie  fient  non  per  elec-  habere  recursuin,  innumeialulia  niala. 
tionem,  sed  per  sucressionem ,  et  esset  Unde  bonum  viderotur,  qiiod  vel  aiiquis 
contentus  d<Mncepb  regno  illo;  et  magis  generalis  dominas  in  illis  nationibus 
timeretur,  et  jnsticia  in  regno  Theutonie  crearetur,  vel  quud  saltem  imperator, 
nielius  servaretur.  [teni,  quod  in  Italia  quando  esset,  vel  papa,  quando  vacaret 
provideretur  de  rege  uno  vei  duobus,  luiperiuni,  provideret  illis  nationibus  de 
sub  ceitis  legibus  et  st;itutis,  habito  con  aliquo  vicario,  ad  queni  recursiis  in  ni- 
sensu  conimunitatuni  et  preiatoruin,  et  cessitalibus  urgentibus  haberetur"'. 
per    sucressionem    regnarent    in    poste 

rum,  et  in  certis  casibus  possent  deponi  per  Apostolicam  Sedem  (aliquando  enim 
Lombardi  regem  habuerunt);  vel  quod  rex  in  Lombardia  institutus  esset  vicarius 
Imperii  in  Tuscia,  vaccante  Impei  io,  et  impeiatori  conliimato  et  coronato  per  Apo- 
stolicam Sedem,  et  non  alitei-,  regnum  recognoscerel  ut  vassallus.  Iniperiutn  enim 
quasi  ad  nichilum  est  redactum,  et  a  pluribus  [annis]  citra,  cjuotquot  fuerunt  electi 
ad  [mperium  sen  promoti,  plura  mala  sub  eorum  dnnn'nio  sequta  sunt,  et  pax  et 
unitas  turbata,  et  strages  hominum  facte  et  pauca  bona  sequta.  Et  alla  multa  sunt 
que  racionabiliter  persuadent  ut  queratur  niodus  aiiquis  conveniens  ad  providen- 
dura  circa  hoc,  si  valeat  inveniri ''^'. 

Etant  donné  la  conscience  ordinaire  avec  laquelle  Bernard  Gui  se 
comporte  vis-à-vis  de  ses  sources,  nous  ne  pouvons,  semble-t-il, 
admettre  qu'il  ait  à  ce  point  transformé  et  allongé  le  texte  de  Hum- 
bert  de  Romans.  Il  nous  faut  supposer  qu'il  a  utilisé,  pour  ce  cha- 
pitre, soit  une  rédaction  de  l'auteur,  tout  autre  (jue  celle  dont  le 
manuscrit  a  servi  de  base  à  l'édition  de  Brown,  soit  un  manuscrit 
où  un  interpolateur  n'a  pas  craint  d'exposer  ses  propres  idées  sous  le 
nom  de  Humbert  de  Romans.  Et  ainsi,  en  tout  état  de  cause,  s'il  n'a 
pas  le  mérite  exclusif  de  nous  faire  connaître,  dans  ses  éléments 
essentiels,  l'œuvre  du  maître  général  des  Dominicains,  puisque  le 
texte  nous  en  est  parvenu  indépendamment  de  ses  Extractiones ,  Ber- 
nard Gui  nous  révèle,  sur  la  politique  pontificale  en  Italie,  des 
considérations  bonnes  à  méditer,  quelle  qu'en  soit  l'origine.  Rien 
ne  permet  de  déterminer  l'époque  précise  où  il  en  a  eu  connais- 
sance. On  aimerait  à  penser  que  ce  curieux  morceau  a  été  son  vadf- 
inecum  au  cours  de  la  mission  politique  qu'il  remplit  en  Italie  pendant 
l'année  1817. 

'''  Brown,  AppenJu    ud   t'asciculum  lerum  '*'  Ms.  Vatic.  Regin.  lat.  880,  fol.  73';  tl. 

crpetendaram .  p.  ■îa8.  AmpHss.  coll..  t.  VII,  col.  198. 


176  BERNARD  GUI,  FRERE  PRECHEUR. 

V.  —  Histoire  des  papes. 

C'est  à  i'histoire,  ou  plutôt,  comme  il  le  déclare  lui-même,  à  la 
chronographie ^''  des  papes,  que  Bernard  Gui  a  consacré  celle  de  ses 
œuvres  qui  a  obtenu  le  plus  large  succès.  Il  lui  a  donné  le  double 
titre  de  Flores  chronicorum  ou  de  Catalocjus  pontificum  Rotnanoriim,  en 
laissant  au  lecteur  la  faculté  de  choisii'  celui  qui  lui  agréerait  davan- 
tage'^'. Nous  userons  de  cette  faculté  et  nous  opterons  pour  Flores 
chronicorum.  Ce  titre  a  l'avantage  de  distinguer  nettement  l'œuvre 
en  question  d'une  chronique  abrégée  des  papes,  rédigée  concurrem- 
ment par  notre  auteur,  et  dont  nous  parlerons  après  nous  être 
occupés  d'abord  des  Flores  chronicorum. 

9.   Flores  chroi\icorum''^\ 

Dans  un  premier  prologue,  daté  d'Avignon, le  lendemain  de  l'An- 
nonciation (26  mars)  i3i  1  *'*',  Bernard  Gui  déclare  qu'il  a  passé  plus 
de  cinq  années  à  réunir  les  matériaux  d'un  livre  qui  doit  s'étendre 
de  la  naissance  de  Jésus-Christ  jusqu'au  pontificat  de  Clément  V  '*'; 
dans  un  second  prologue,  il  annonce  un  abrégé  ayant  les  mêmes 
limites  chronologiques  que  le  livre  complet'^'.  Mais  il  renonça  bientôt 
à  publier  ces  deux  compilations  sous  la  forme  première  qu'il  leur 
avait  donnée  dès  1 3 1 1  ;  remettant  la  publication  à  plus  tard ,  il  s'oc- 

'''  »  Cronographiam  igitur,  non  liystoriogra-  de  dater  dkprès  le  style  de  Pâques:  c'est  ainsi 

(iphiam,  in    sequentibus  prosequendoi  (prolo-  qu'il  place  la  mort  du  pape  Honorius  IV,  »ur- 

gue    des    Flores   chronicoram ,    dans    Delisle,  venue    le    3    avril  1287,   à   la    fin   de   1286 

p.  393) .  [Hùloriens  de  la  France,  t.  XXI,  p.  708). 

'*'  «  Quod  quideni ,  ex  ratione  jam  prelacta,  '''   «Usque   ad    tempera  domini  démentis 

»  potest  non  inconvenienter  intitulari  :  Flores  «pape  quinti,quihodie,  scilicet  in  crastino  An- 

•  a-onicorum ,  vel ,  si  cui  magis  placuerit ,  Catha-  •  nunciacionis  dominice ,  quo  hoc  scripsi ,  sedet 

clogus  pontificum  Romanorumn  (prologue  cité  •  in  cathedra  sanrti  Pétri,   cujus  pontificatns 

par  Delisle,  p.  394;  texte  d'après  une  des  va-  «anno  sexto,  Avinioni  consistens,  in  Romana 

riantes  indiquées  dans  la  noie  1).  «curia,    sine    curis,   anno   Domini    m°ccc*xi°, 

'''  Article  II  de  Delisle,  p.  i88-a35,SS  14-72.  «hoc  conscripsl  opus,    a  me  jam   antea  plus 

'*'   Bernard  Gui  s'est  fait  une  loi,  et  il   en  «quam  quinquennio,  cum  labore  scripture  et 

prévient  le  lecteur,  de  suivre  le  style  méridio-  «studii,    premedilalum    et    in  nienbranis   ac 

nal  de  son  temps,  qui  changeait  le  millésime  «memorialibus  prenotatum   ex  libris  origina- 

del'année  au  25  mars  (Delisle,  p.  372  ,  fin  de  la  «libus  plurium  cronicorum.  »  (Delisle,  p.  190 

note  5  de  la  page  précédente).  Il  lui  est  cepen-  et  393-394). 

dant  arrivé,  au  moins  une  fois,  de  la  violer  et  '*'  Delisle,  p.  190. 


SES  ECRITS.  177 

cupa,  pendant  quelques  années  encore,  de  remanier  son  texte  et  d'en 
poursuivre  la  rédaction  jusqu'au  moment  où  son  travail  de  remanie- 
ment serait  terminé.  Ses  deux  prologues  devinrent  ainsi  caducs; 
il  les  modifia  lét^èrement  pour  annoncer  qu'il  irait  jusqu'au  début  du 
pontificat  de  Jean  XXII '"'.  En  fait,  il  semble  avoir  offert,  dès  i3i5, 
au  maître  général  des  Dominicains,  Bérenger  de  Landorre,  un 
texte  des  Flores  chronicornin ;  mais  ce  n'était  qu'une  ébauche,  puisqu'il 
lui  offrit  un  nouveau  texte  le  i"  mai  i3i6'^'.  C'est  donc  la  date 
de  i3i6  qu'il  convient  d'attribuer  à  la  première  édition  réelle  de 
cette  célèbre  compilation,  qui  descend,  selon  les  manuscrits  où  elle 
nous  est  parvenue,  jusqu'à  i3i5,  i3i9,  i32o,  i32i,  i327,  i33o 
ou  i33i. 

Delisle  a  étudié  directement  et  classé  trente-sept  exemplaires  des 
Flores  chromcorum;  il  en  a  mentionné,  en  outre,  dix-sept  autres,  quel- 
ques-uns perdus,  plusieurs  sans  intérêt  particulier,  ou  insuffisamment 
connus.  Nous  renvoyons  à  son  mémoire  le  lecteur  qui  voudra  avoir  le 
menu  détail  de  cette  magistrale  enquête  bibliographique  et  saisir  en 
(luelque  sorte  sur  le  vif  l'activité  soutenue  de  Bernard  Gui  et  ses 
efforts,  prolongés  jusqu'à  la  veille  de  sa  mort,  pour  tenir  au  courant 
l'œuvre  immense  qu'il  avait  entreprise  et  qu'il  ne  perdit  pas  de  vue, 
malgré  tant  d'autres  travaux  absorbants,  pendant  un  cpiart  de  siècle '^'. 
11  suffira,  pour  le  but  que  nous  nous  proposons  ici,  de  résumer  les 
résultats  des  recherches  de  Delisle,  résultats  que  l'on  peut  considérer 
comme  définitifs,  du  moins  dans  leurs  grandes  lignes,  et  qu'il  a 
consignés  lui-même  dans  un  tableau  récapitulatif'''.  Nous  nous  con- 
tenterons de  signaler,  chemin  faisant,  les  manuscrits  les  plus  impor- 
tants, et  ceux  que  l'illustre  savant  n'a  pu  connaître  ou  étudier  à  fond. 

Inc.  (après  les  deux  prol()j;nes)  :  Jhesiis  Ctiristus,  filius  Dei  ab  eterno  genitus... 

Première  édilion,  dédiée  à  frère  Bérenger  de  Landorre.  —  Le  texte  se 
termine,  à  la  fin  de  l'année  i3i4,  par  la  mention  de  l'avènement  du 
roi  de  France  Louis  X,  avec  ces  mots  :  "  filius  ejus  primogenitus  Lu- 
dovicus».  Il  est  contenu  en  original  dans  le  ms.  Bibl.  nat.,  lat.  nouv. 

'''   Delisle,  p.  190-191.  ne  fit  pas  de  remaniements  internes,  mais  se 

'''   Ibid.,  p.  191-192.  contenta  d'ajouter  à  ia  fin  de  chaque  nouvelle 

'''    Il  semble  cependant  que,  une  fois  les  pre-  édition  un  court  supplément  chronologique, 

mières  assises  établies ,  de  1 3o6  à  1 3 1  fi ,  l'auteur  •''   Ibid., p.  2i5-ai6. 

HIST.    LITTÉll.   XXXV.  33 


i78  BhlKNAim  (lUI,  FRI^RK  PlU':(;ilt:i  II. 

acq.  1171,  où  Bernard  Gui  lui-mènie  a  elTectutî  des  corrections  el 
des  changements  intéressant  le  fond  et  la  forme'''.  On  y  a  ajouté 
après  coup  une  continuation  qui  pousse  le  récit  jusqu'au  com- 
mencement de  i3i6  et  se  termine  par  quelques  détails  sur  une 
comète;  les  derniers  mots  sont  :  «  minor  quam  alia  videbatur  ».  La 
première  dédicace  à  Irère  HiM'erger  de  i.aiidorre  avait  été  inscrite 
sur  cet  exemplaire  avec  la  date  de  Tannée  et  du  mois;  la  date  a  été 
modilléepar  la  suite  de  façon  à  être  lue  :  »  in  kalendis  maii,  anno  Verbi 
«  incarnali  m''(:cc"xvi°  ».  La  modification  ayant  élé  faite  par  addition 
pour  le  chiffre  de  l'année,  il  est  facile  de  se  rendre  compte  qu  il  y  avait 
d'abord  «xv"»;  mais  le  nom  du  mois  ayant  été  récrit  sur  un  grattage, 
on  ne  peut  restituer  sûrement  la  leçon  primitive. 

Deuxième  édition ,  dcdiée  au  pape  Jean  XXII  (7  août  i3i9).  —  Texte 
s'arrêtant  à  l'institution  des  chevaliers  du  Christ  en  Portugal,  le 
i4  tnai's  i3i9,  avec  ces  mots  :  «aclum  Avinioni,  ad  perpetuam  rei 
«memoriam».  Le  ms.  Bibl.  nal.,  lat.  4976,  (pii  le  contient,  est 
contemporain  de  la  dédicace;  jieut-être  faut-il  le  considérer  comme 
un  original. 

Troisième  édition,  dédiée  au  pape  Jean  XXII  (7  août  i32o).  —  Texte 
s'arrêtant  à  la  canonisation  de  saint  Thomas  de  Canteloup,  évêque  de 
Hereford  (17  avril  i32o),  avec  ces  mots  :  «et  colendum  exhibuit 
«universis».  Le  plus  ancien  manuscrit  est  le  lat.  49^3  delà  Biblio- 
thèque nationale,  sur  lequel  Bernard  Gui  lui-même  a  consigné 
maintes  corrections  et  additions,  et  dont  l'importance  n'est  pas 
moins  grande  que  celle  du  manuscrit  oiiginal  de  la  première  édition 
(pir  nous  avons  signalé  ci-dessus'-'. 

Quatrième  cdilion'^^ .  —  Texte  s'arrêtant  au  traité  conclu  entre  le 
roi  Philippe  V  et  les  Flamands,  en  mai   i320,  avec  ces  mots  :  «  hac 

'-''   Il  faut  remarquer  que  le  texte  imprimé  nait  la  troisième  édition.  L'étude  directe  de  ce 

sous  le  titre  de  Preclara  h'ruiirnnim  facinora  re-  manuscrit,  entré  depuis  lors  à  la  Bibliothèque 

pose  sur  un  manuscrit  perdu  de   la  première  nationale   (cf.  ci-dessus,  p.  157,  note    3),   ne 

édition,   où  le  texte  de  Bernard  (>ui   n'avait  conlirme  pas  cette  conjecture;  c'est  en  réalité  la 

pas  subi   tous  les   remaniements  qui    ont  élé  dixième  édition  qui  s'y  trouve, 
effectués  dans  le  ms.  Bibl.  nat. ,  lat.  nouv.  acq.  '    Peut-être  s'agit-il  plutôt  d'une  copie  tron- 

I  171  ;  cf.  ci-dessous,  p.  i83.  quée  de  l'édition  suivante;  Delisle  ne  tranche 

'*'   Delisle  avait  conjecture  que  le  ms.  9662  pas   la    question,    qui    nous    parait    insoluble 

«le  la  collection  de  sir  Thomas  Phillipps  conte-  connue  à  lui. 


SES   ECRITS.  17<J 

«de  causa  specialiter  destinai!.  Deo  gratias».  Le  seul  exemplaire 
connu  est  le  ms.  Bibl.  nat.,  lat.  ^982,  exécuté  par  une  main  Italienne 
vers  la  lin  du  xiv'  siècle.  Notons  cpie  cette  édition  a  servi  de  base  à  la 
traduction  provençale  mentionnée  plus  loin'''. 

Cinquième  édition.  —  Texte  s'arrêtant  à  la  oréation  de  cardinaux 
qui  eut  lieu  le  19  décembre  1820,  avec  ces  mots  :  «  tltulus  dyaconi 
cardinalis  Sancte  Marie  in  (^osmidin  ».  Le  manuscrit  original,  décrit 
minutieusement  par  Delisle,  est  conservé  à  la  bibliothèque  de  Tou- 
louse sous  le  n°  /|.5o  (72  de  Delisle).  Dans  cette  édition  figure  pour  la 
première  fois  le  récit  consacré  par  notre  auteur  à  l'émeute  des  Pastou- 
reaux, récit  souvent  cité  par  les  historiens  modernes. 

Sixième  édition.  —  Texte  s'arrêtant  au  châtiment  des  lépreux  en 
i3  2  1,  avec  ces  mots  :  «  viris  a  mulieribus  penitus  separatis  ».  L'exem- 
plaire le  plus  ancien  est  le  ms.  liibl.  nat.,  lat.  4 976  A,  peut-ètie 
exécuté  sous  les  yeux  de  l'auteur'^'. 

Septième  édition.  —  Te.xte  s'arrêtant  .1  la  caucuisation  de  saint 
Thomas  d' Aquin  (  18  juillet  i.'ia^),  avec  ces  mots  :  «  aliis  miraculis 
«  in  vita  claruit  et  post  morteni  ».  Delisle  n'en  signale  c^u'un  manuscrit, 
conservé  à  la  bibliothèque  de  Besanc'on  sous  le  n°854,et  il  se  demande 
s'il  s'agit  d'une  édition  réelle,  ou  d'une  copie  tronquée  de  l'édition  sui- 
vante, tout  en  inclinant  vers  la  première  manière  de  voir. 

Huitième  édition.  —  Texte  s'arrêtant  aux  ellorts  de  Louis  de  Bavièi-e 
et  de  l'antipape  Nicolas  (Pierre  de  Corvara)  pour  troubler  la  paix  de 
l'Eglise  (1.327),  ^^^^  ^^^  mots  :  «  suo  post  tem])ore  scribendoium  ». 
Delisle  en  énumère  dix  manuscrits.  Il  faut  v  ajouter  un  manuscrit  de 
la  bibliothèque  de  Leyde  (n"  79  de  l'ancienne  série  des  nianuscrits 
latins),  décrit  et  classé  par  lui  un  peu  plus  tard''',  et  un  manuscrit 
de  la  bibliothèque  privée  du  roi  d'Espagne,  à  Madrid,  coté  2  G  1, 
sur  lequel  des  renseignements  ont  été  publiés  depuis  par  un  savant 

'''   Ci-dessous,  p.   i8i.  temenls ,  I.  XX,  i8i)3,  p.  167-168),  et  Taulie 

'''   Deux    manuscrits    de   cette    édition    ont  à  Madrid,  Bibl.  nacionai,  X  29  (iVeues  ,4rt7iir , 

été  décrits  depuis   la  publiration  du  mémoire  1881,  t.  VI,  p.  .Si 5). 

de  Delisle  :  l'un   est  au    Mans,   n°   235  [Cat.  •''   Dans  ses   Mélnnges  de  paléographie  et  de 

ge'n.  des  manuscrits  i/cv  hihi.  de  France,  Dépar-  bibliographie  (Paris,  1880),  p.  a33-234. 

23. 


180  BERNARD  GUI,  FRERE  PRECHEUR. 

allemand  qui  ne  l'a  pas  sainement  jugé'*'.  Cette  édition  a  servi  fie 
base  à  une  des  traductions  fraïKjaises  mentionnées  plus  loin  <^^ 

Neuvième  édition.  —  Texte  s'arrétant  à  l'abjuration  de  l'antipape 
Nicolas  (août  i33o),  dont  la  formule,  y  reproduite,  se  termine  par 
ces  mots  :  «facere  queVestra  Sanctitas  duxerit  ordinandum  ».  Un  seul 
manuscrit  nous  est  connu  :  Bibl.  nat.,  lat.  '^975.  Cette  édition  a  servi 
de  base  à  une  des  traductions  Irançaises  mentionnées  plus  loin '^*. 

Dixième  édition.  —  Les  exemj)laires  de  cette  édition  ne  contiennent 
pas  la  formule  de  l'abjuration  de  l'antipape,  qui  a  pris  place  dans  la 
neuvième;  ils  ajoutent  directement  au  texte  de  la  huitième  soit  une 
note  sur  un  voyage  de  Louis  de  lîavière  en  Allemagne,  effectué  un 
peu  avant  Pâques  iS'^g  [dcsimt  :  «in  Theutoniam  est  reversus»),  soit 
îa  mention  de  la  promotion  au  cardinalat  de  févêque  d'Auxerre, 
Talleyrand  de  Périgord,  le  'j4  niai  i33i  [desmil  :  «et  nullum  alium 
«  ista  vice»),  soit  les  deux  compléments  à  la  fois**'. 

Le  succès  des  Flores  clironicoruni  n  est  pas  seulement  attesté  par  le 
nombre  considérable  des  copies  qui  s'en  répandirent  dans  tout  l'Oc- 
cident*^', mais  aussi  par  quelques  autres  faits  plus  significatifs.  Non 
seulement,  dans  six  des  manuscrits  qui  nous  sont  parvenus,  l'œuvi'e 
de  Bernard  Gui  a  servi  de  point  de  dé])art  à  des  continuations  plus 
ou  moins  considérables'"'',  mais  plusieurs  chroniqueurs  en  ont  fait 

'"'  Ce  manuscrit  a  éti'  di'ciit  par  P.  Ewald,  lat.  465  {Tabulée  coilictiiii ,  I.  I,  iSfi/i,  p.  yfi), 

qui  y  a  vu  à  tort  l'œuvre  de  Martin  le  Polonais  deux  à  l'Escorial,  0.  ii.  6  pI  P.  i.  i5,  dont  le 

pourvue    d'une    continuation    (!\eiies  Archiv ,  texte  a  été  tronqué  dans  le  récit  de  la  prise  de 

1 88 1,  t.  VI ,  p.  344-345)  ;  l'erreui  a  été  corrigée,  Ferrare  en  août  i3o9   {Neaes  Archiv,   i88i, 

peu  de  temps  après,  pai-  Holder-Egger  [ibid.,  t.  VI,  p.  aSç)  et  a6o-a6i;  cf.  Guill.  Antolin, 

p.  C53-654).  Catàlogo  ci[é,  l.  Ul,  igiS.p.  197-198  et  267- 

'"'   Ci-dessous,  p.  182.  268),  et  un  dans  la  coDection  Hamilton,n°527 

<"   Ibidem.  (A'eues  /l rc/iic,  1 883  ,  t.  VIII,  p.  339).  Ajoutons 

*'   Aux  cinq  manuscrits  signalés  par  Helisle,  que  le  premier  feuillet  d'un  exemplaire  détruit 

il  faut  ajouter  :  Madrid,  Bibl.  nacional,  I  i  93,  forme  la  reliure  du  registre  des  Archives  de  la 

exemplaire  offert  par  Bernard  Gui  à  Philippe  VI  Haute-Vienne  coté  D  20  [Iitventaire  sommaire, 

en  i33i    {Bibl.  de  l'Ecole  des   chartes,   1896,  Limoges,  188a,  p.  9). 

t.  LVII,  p.  637-639)  et  Merville  {Mém.  de  la  '*'  Le  détail  est  donné  par  Delisle,  p.   321- 

Soc.  anhcol.  du  Midi  de  1(1  Friiiue .  1886-1889,  22a;  cf.    MoUat,    Etude  critique  sur   les  Vitaf 

1.  XIV,  p.  42()-43i)j.  paparum     Avenionensium    d'Etienne     Baluze, 

'''   Jlelisle  a  mentionné  cinquante-quatre  ma-  Paris,  1917  ,  p.  33  et  suiv.  Sur  la  continuation 

nuscrits  des  Flores.   Bien  que  nous  en  ayons  annexée  à  la  traduction  française   des    Flores 

nous-mêmes  cité  (juelques  autres,  en  les  répar-  chronicoram  contenue  dans  le  ms.   Bibl.  nat., 

tissant  entre  les  différentes  éditions,  il  en  reste  franc,  nouv.acq.  1409,  voie,  ci-dessous,  p.  182, 

encore   à   énumérer   quatre    :    un    à    Vienne,  note  2. 


SES  ECRITS.  181 

jjasser  la  substance,  et  parfois  les  termes  mêmes,  dans  leurs  propres 
ouvrages,  notamment  Henri  de  Hervord''*,  Amauri  Augier,  Fran- 
çois Pippino'"'  et  Pierre  de  Herenthals  *"''.  La  dernière  édition  du 
Liber  pont ificali s  reproduit  textuellement  la  fin  des  Flores,  âe  Martin  IV 
à  Jean  WII''"'.  Rappelons  aussi  que  Raoul  de  Prrsles  et  Guillebert 
De  Mets  ont  fait  appel  à  l'autorité  de  Bernard  Gui  dans  les  passages 
oîi  ils  traitent  des  l'Vancs  et  des  origines  tle  la  ville  de  Paris '^'. 

l'ne  autre  forme  de  succès,  et  plus  intéressante  peut-être,  n'a 
pas  manqué  à  l'œuvre  de  Bernard  dui  :  dès  le  xiv^  siècle,  des 
traducteurs  ont  mis  les  Flores  chronicoram  en  provençal  et  en  fran- 
çais. 

Le  seul  manuscrit  conservé  de  la  traduction  provençale  se  trouve 
à  la  Bibliothèque  nationale,  où  il  porte  le  n°  i/iQ^o  du  fonds  français. 
11  n'a  pas  échappé  à  Raynouard,  qui  lui  a  fait  quelques  emprunts 
pour  son  Lexiane  roman  '•"'.  Le  premier  et  le  dernier  feuillet  ayant  été 
mutilés,  on  ne  peut  affirmer  que  le  traducteur  ait  gardé  l'anonyme, 
mais  le  fait  est  probable.  En  tout  cas,  l'écriture  est  antérieure  au 
xv^  siècle,  et  la  langue,  où  les  lois  de  la  déclinaison  sont  assez  bien 
observées,  prouve  que  cette  traduction  a  été  exécutée  peu  de  temps 
après  la  mort  de  Bernard  Gui.  Le  système  phonétique  et  le  lexique 
paraissent  indiquer  comme  lieu  d'origine  l'Albigeois  ou  le  Querci. 
Le  traducteur  a  eu  sous  les  yeux  un  exemplaire  de  la  quatrième 
édition.  Il  a  rendu  très  fidèlement  ce  texte  et  n'a  pas  cherché  à 
dissimuler  le  nom  de  l'auteur,  qu'il  énonce  sous  la  forme  «  fraire 
BernartCîui  «  *'. 

Nous    possédons    des     Flores    chronicoram    deux    anciennes    tra- 

'''  Liber  de  rébus  memorabilibus ,  publié  par  '''   Mollat,  ouvr.  cité,  p.  107. 

Potthast  (GoUingue,  1859).  '''  Voir  l'édition  L.Duchesne,  l.  II,  p.  xxxix, 

'''  Les  rapports  d' Augier  et  de  Pippino  avec  xlv,  xlvii,  xlix,  449-485. 
Bernard  Gui  ont  été  étudiés  par  Dietrich  Ko-  '''  Le  Roux  de  Lincy  et  Tisserand,  Paris  et 

nig,  Plolemdcus  von  Lncca  und  die  Flores  chro-  ses  historiens.  ...  p.  99,  106,  i.'^i  et  137. 
nicorum  des  Beniardus  Gaidonis  (Wurzbourg,  '*'   Ces    emprunts    ne     sont     pas     exempts 

1875),  p.  43  et  46,  et  pari'abbé  Mollat,  oum'.  de  fautes  de  lecture  :  c'est  ainsi;  par  exemple, 

cité,  p.  ioi-io5.  Il  ne  semble  pas,  malgré  ce  qu'un    mot    bien    clair,     badabec     ■bàilloni 

qu'on  en  a  dit,  que  Bernard  Gui  doive  grand  (fol.  128"),  a  été  transformé,  dans  le  Lexiqae 

chose  à  Ptolémée  de  Lucques;  cf.  ci-dessous,  roman,  en  badahec. 

p.  i85,  notes  4  et  5.  D'autre  part,  la  chronique  ''*  Une  chronique  provençale  qui  a  péri,  en 

française  de  Simon  de  Montfort,  que  contient  1871,  dans  l'incendie  de  la  bibliothèque    de 

le  ms.  Bibl.  nat.,  franc.  6733,  n'est  pas  traduite  l'Ordre   des  avocats   à    Paris,   était  peut-être 

du    texte   de    Bernard    Gui,    mais    de    celui  traduite     de»     Flores     chronicoram    (Delisle, 

d'Amauri  Auger.  ,  p.  î35). 


182  lîKRNAHI)  (ILI,   Pr.KMK  PRF.r.IlKLR. 

(luctions  trançaisos  bien  disliiirtes  el  pour  la  forme  et  pour 
l'esprit''^ 

F>'nne  nous  est  parvenue  en  trois  exemplaires  :  Hihl.  nat.,  franc.;. 
17180  et  franc,  nouv.  acq.  1^09  (jadis  bihl.  fie  la  (Ihambre  des 
députés,  E  169  rt);  Rome,  Valic.  Refi^in.  lat.  700.  l^e  traducteur  a 
fait  précédei'  l'œuvre  propre  de  hernard  Cui  d'un  abrégé  d'bistoire 
ancienne,  qu'il  a  tiré  du  Manuel  rédigé  par  un  anonynie  pour  Pbilippe 
de  Valois  en  1 3 'i 6.  S'il  a  conservé  les  prologues  ;le  Bernard  Gui,  plus 
on  moins  intelligemment  rendus,  il  a  eu  soin  d'en  retrancher  son 
nom  et  ses  qualités.  Sa  traduction  repose  sur  la  neuvième  édition; 
mais  il  résume  souvent  au  lieu  de  traduire,  et  il  interpole  parfois 
dans  le  texte  des  pas.sages  enq^runtés  soit  au  Manuel  de  Philippe  de 
Valois,  soit  à  d'autres  sources.  Comme  le  manuscrit,  qui  a  passé  de  la 
(ihambie  des  députés  à  la  Bibliothèque  nationale,  porte  une  note 
autographe  signée  de  Charles  \  ,  où  le  roi  déclare  qu'il  l'a  fait  copier 
en  1.H68,  nous  avons  là  un  terminus  ml  rjurni  pour  la  date  de  cette 
traduction  peu  fidèle,  mais  c'est  tout  ce  que  nous  en  pouvons  dire*"^'. 

L'autre  n'a  été  signalée  que  dans  le  manuscrit  T^.  iv.  •.?-  (autrefois 
107  du  fonds  français]  de  la  bibliothèque  de  Turin,  lequel  paraît 
avoir  été  écrit  au  milieu  du  w*^  siècle*^'.  Nous  ne  savons  rien  de  l'au- 
teur de  cette  traduction,  mais  son  stvle  indique  qu'il  est  sensible- 
ment plus  récent  que  l'auteur  de  la  traduction  précédente.  Il  est  aussi 
plus  consciencieux.  Non  seulement  il  traduit  plus  fidèlement,  mais  il 
met  en  vedette  le  nom  de  «  l'acteur  »  dès  le  début  de  sa  traduction, 
après  la  rubrique  qui  sert  de  titre  :  "  Cy  commence  le  pwlogue  du  livre 
"  nui  est  intitulé  :  l^es  Fleurs  des  croniques,  ou  la  Description  de  tous 
■1  les  evesques  romains.  Et  commence  T acteur  :  Je,  frère  Bernard  Guy, 
1  de  l'Ordre  (lesPrescheurs,de  l'auctoritédu  siège  de  Rome  enquerreur 
«  de  l'eresie  es  parties  de  Tholouse.  ..«Ha  eu  sous  les  yeux  le  texte 
de  la  huitième  édition. 

•''  Ce  qui  a  été  dit  à   ce  sujet  par  Delisle,  '''   Le    manuscrit    de    la    Bibl.    nat.,    franc, 

i).    aa'j-'ilii,  el   même  dans  ses   Hech.  sur  In  nouv.  arq.   1409,  a  reçu  une  cotitinuation  qui 

librairie  de  Charles    V,  partiel,  p.  96  et  a8i,  pousse  le  récit  des  événements  jusqu'en  1.343; 

est   devenu   caduc;  voir   les    Mélanrjes  publiés  cette  addition  est  aussi  étrangère  à  l'œuvre  du 

par    lEcole    (rançaise   de    Rome,    1881,   t.  1,  traducteur  primitif  qu'à  celle  de  Bernard  Gui. 

p.  259  el  sulv.,et  Camille  Couderc,  Le  \fiinael  Delisle,  qui  la  croyait  de  frère  Jean  (îoiein.l'a 

d'histoire  de  Philippe  VI  de  Valois,  dans  Etndes  publiée  fp.  4.3<-i-35). 

d'histoire  da  moyen  âije  dédiées  à  Gain iel  Monod  ''    Détruit   dans  l'incendie   du    ■>.()    janvier 

(Paris,  i8()6),  p.  4i  5-'i'i'l.  '9"'i- 


SES    ÉCRITS.  l«3 

Les  Flores  clirouicorum  n'ont  pas  été  imprimés  anciennement  dans 
leur  intégrité  et  avec  le  nom  de  leur  auteur  sur  le  litre ,  mais  il  a  paru , 
proliablement  au  début  du  xvi^  siècle,  un  petit  livre  anonyme  de 
56  feuillets  in-8",  intitulé  :  l'reclaia  Fraiworum  Jacinora,  qui  repro- 
duit l'œuvre  de  Bernard  Gui  pour  la  période  comprise  entre  les  années 
1-202  et  i3i  i"'.  L'éditeur  a  eu  à  sa  disposition  la  première  lédac- 
tiou  des  Flores  chroulcoruin,  et,  pour  le  récit  de  la  condamnation  des 
Templiers,  il  nous  ofTie  un  le\le  plus  concis,  dont  la  (orm<^  lalim 
ne  nous  a  pas  été  transmise  par  les  uuirmscrils  qui  nous  sont  |)ai- 
venus,  et  qui  doit  être  le  premier  jet  sorti  de  la  plume  de  Bernard 
Gui'"^'.  Les  Preclara  Frumoruin  fac'iiionnn\\  été  réimprimés,  en  iGi3, 
par  Gudlaume  Gatel'^',  et,  en  iG^g,  par  François  Du  Ghesne'*'.  Une 
traduction   française,  peu   lidèle,   a   vu  le   jour,  en    iSôi,  sous  ce 

titre  :  L'Histoire  des  (jucrres  /aiclcs  en  i)l(isieurs  lieux  de  la  France 

(Toulouse,  Jacques  Golomiès).  Le  traducteur,  J.  Fornier,  qui  a  dédié 
son  œuvre  à  «  Mons.  J.  Goignard,  conseiller  pour  le  roy  en  son  par- 
*  lement  en  Tolose  ",  a  cru  que  la  chronique  qu'il  mettait  en  français 
était  de  Guillaume  de  Puilaurens'^'.  Une  nouvelle  traduction  a  été 
insérée,  en  182^,  dans  la  collection  Guizot,  sous  ce  litre  :  Des  (jesles 
ijlorieux  des  Français,  de  l'an  1202  à  l'an  ISll^^K 

il  nous  reste  encore  à  signaler  d'autres  éditions  partielles  de  l  œuvre 
de  Bernard  Gui,  dues  à  dilTérenls  érudits,  et  indépendantes  du  livre 
paru  au  début  du  xvi^  siècle  dont  nous  venons  de  suivre  la  singulière 
fortune. 

Les  dernières  pages,  à  paitir  de  l'année  i3o5,  ont  été  mises  au 
jour,  en  1698,  par  Baluze,  d'après  la  dernière  rédaction  de  l'auteui  ; 
l'éditeur  les  a  scindées  en  deux  sections,  sous  les  titres  respectifs  de  : 
Quarta  Vila  démentis  V,  et  Terlia  Vita  Joannis  XXIF^K  En  1716,  dans 
ses  Miscellanea,  le  même  savant  a  publié  la  vie  du  pape  Innocent  IV'"'. 

''   b^ieniplaire  au  déparleuient  des  Iniprlinés  '^'   Exemplaire  au  dépailemeiil  des  Impriincs 

de   la    Bibliothèque    nationale    sous    la     cote  de  la  Bibliothèque  nationale  sous  la  cote  La'"  4. 

La'"  i.  B.  Hauréau,  dans  les  Comptes  rendus  de  '"'   Coll.  des  mémoires  relatifs  à  l'histoire   de 

tAcad.  des  Insvr.,  1871,  p.  sG^-a^S,  a  montré  France,  t.  XV,  p.  333-4io. 

que  Pierre  de  Lodève,  prétendu  auteui    de  ce  '''    Vitœ  paparam  Avenionensiuni ,  l.  l.tol.Gl- 

livre,  était  un  auteur  imaginaire.  84  et   1 5 1-170.   Une  nouvelle  édition  de  ces 

'"'   Delisle,  p.  323-325.  textes,  faite  d'après  tous  les  manuscrits,  a  été 

''   Hist.  des  comtes  de  Tolose.  app.  ,  p.  111-  donnée  par  M.  l'abbé  Moliat  (Paris,  nji6). 

1 55.  <•'   Miicellnnea.  t.  VII,  p.  4o5-/|o6  ;  éd.  Mansi 

'*'   Hist.  Franc.  Scriptores ,  t.  V,  p.  7G4-792.  (Lucques,  1761),  t.  I,  p.  206. 


18'l  BERWRl)  (ill.  FRKUE  PRECHEIH. 

La  première  partie,  jusqu'à  Grégoire  VII  inclus,  a  fié  édi- 
tée, en  i84i,  d'après  le  manuscrit  2of\3  du  Vatican,  par  le 
cardinal  Mai  ''',  mais  avec  des  arrangements,  des  interpolations 
et  des  suppressions  arbitraires  qui  rendent  peu  sur  l'usage  de  cette 
édition. 

La  seconde  partie,  de  Victor  III  inclus  à  Jean  XXII,  a  été  fidèle- 
ment reproduite,  en  1723,  par  Muratori  ''^',  d'après  le  manuscrit  A 
inf.  267  de  l'Ambroslenne. 

Enfin,  des  extraits  relatifs  aux  xiii^et  xiv"  siècles  ont  été  imprimés, 
en  i855,  par  Natalis  de  Wailly,  d'après  les  manuscrits  latins  497^, 
4976  et  4977  de  la  Bibliothèque  nationale'^'. 

Ce  long  exposé  de  l'exécution  et  de  la  diffusion  des  Flores  clironi- 
cnrum  ne  doit  pas  ^aire  perdre  de  vue  le  caractère  de  l'œuvre  et  la 
place  qui  lui  revient  dans  l'historiographie  du  moyeu  âge.  L'idée 
d'écrire  un  pareil  livre  n'avait  rien  de  nouveau  :  l'auteur  a  marché 
dans  la  voie  où  un  autre  Dominicain,  Martin  dit  le  l'olonais,  avait 
obtenu,  quelque  trente  ans  auparavant,  un  succès  considérable  avec 
son  Clironicon  pontificiim  et  imperatoram ,  et  Martin  lui-même  avait  de 
nombreux  devanciers.  Mais,  comme  un  bon  juge  l'a  reconnu,  la 
chronique  de  Bernard  (lui  est  conçue  «sur  un  plan  beaucoup  plus 
«  vaste  et  exécutée  avec  un  souci  bien  supérieur  de  la  précision  et  de 
«  l'exactitude  ''''  ».  Mérite  relatif  sans  doute,  Martin  le  Polonais,  malgré 
son  succès,  étant  très  médiocre;  mérite  réel  pourtant,  à  l'époque  où 
vivait  notre  auteur.  L'information  et  l'élaboration  n'y  sont  pas  moins 
remarquables  que  la  largeur  du  plan.  Delisle  a  montré  en  détail 
([uelle  conscience  Bernard  Gui  apporte  à  indiquer  ses  sources,  écrites 
ou  orales,  quels  efforts  il  fait  pour  dégager  la  vérité  quand  les 
sources  sont  contradictoires'^'.  Sa  critique  est  toujours  en  éveil. 
Qu'elle  soit  toujours  judicieuse,  il  serait  excessif  de  le  prétendre. 
Le  plus  souvent,  il   faut    l'avouer,  elle  porte  sur  des  minuties  de 

'"'  Spicilegium  Romanam,  i.Vl,p.  1-373.  l'Ordre   des    Frères    Prêcheurs,   ainsi  que  les 

'"'   Rernmitalicnrum  Scriptores,t.lll,[>.  3bi-  deux  prologues.   Il  a  fondu  les  Flores   chroni- 

G84.    Muratori   a  pourtant  omis  les   Vies  des  coram  avec  les   Reges   t'rancorum.  Le  premier 

papes  Pascal  II  et  Gélase  II.  extrait  des   Flores   (p.    6\)i)   est    relatif  à  la 

'"   Hisioriens  de  la  France,  t.  .\XI,   p.  691-  mort  du  pape  Honorius  III  (18  mars  1327). 
734.    L'éditeur    a    mis   en   tète    les    dédicaces  ''   Auguste  Molinier,  Sources  de  l'histoire  de 

adressées   par  l'auteur   au   pape  Jean  XXII  et  France,  t.  V,  inlrod.  génér. ,  S  17a. 
il  Bérenger  de   Landorre,   maître  générai  de  '*'  Delisle,  p.  367-375,  SS  ai7--!a6. 


SRS   ECRITS.  185 

chronologie.  L'auteur  nous  fatigue  par  son  souci  continuel  de 
reproduire  les  contradictions  de  ses  devanciers,  et  il  nous  déçoit 
plus  d'une  fois  par  la  naïveté  dont  il  fait  preuve  quand  il  veut  les 
résoudre.  On  sent  bien  qu'on  a  affaire  à  un  chronographe,  non  à  un 
historien.  Sachons  lui  gré,  du  moins,  de  nous  en  avoir  prévenus 
lui-même. 

Il  va  de  soi,  d'ailleurs,  que  la  partie  ancienne  des  Flores,  simple 
compilation ,  n'offre  pas  le  même  intérêt  que  celle  où  l'auteur  parle  en 
contemporain.  C'est  dans  cette  dernière  qu'il  nous  louche  le  plus,  et 
c'est  surtout  d'après  elle  qu'il  doit  s'attendre  à  être  jugé.  On  aimerait  à 
y  trouver,  non  seulement  plus  d'ampleur,  mais  plus  d'abandon,  plus 
de  couleur,  plus  de  vie.  Il  serait  injuste  cependant  de  prétendre  qu'il 
est  toujours  sec  et  terne,  sans  élévation  dans  le  ton  ni  dans  les  idées. 
Il  lui  arrive  parfois  de  s'émouvoir  et  de  penser  fortement,  comme 
lorsqu'il  raconte  la  désastreuse  expédition  du  roi  Louis  X  en  Flandre*''. 
Il  n'en  reste  pas  moins  que  ses  deux  principaux  mérites  sont  la  ])ré- 
cision  et  l'exactitude'^';  il  est  rare  qu'on  puisse  le  prendre  en  défaut 
sur  les  questions  de  dates  ou  de  noms'^'.  On  a  contesté  que  la  fin  des 
F/oms,  consacrée  aux  pontificats  de  Clément  V  et  de  Jean  XXII,  soit 
entièrement  originale.  M.  l'abbé  Mollat,  non  content  d'affirmer  que 
Bernard  Gui  a  souvent  copié  Plolémée  de  Lucques  jusqu'en  1 3 1 1 ,  ce 
qui  est  une  manière  de  voir  admissible,  sinon  assurée,  pour  expliquer 
la  concordance  fréquente  des  deux  auteurs,  prétend  que,  pour  les 
dernières  années,  il  a  utihsé  quelque  chronique  ])erdue'*',  ce  qui  est 
une  supposition  gratuite.  Une  critique  plus  pénétrante  a  remis  les 
choses  au  point  '^'. 

Quelque  hasardeux  qu'il  soit  de  porter  un  jugement  d'ensemble 
tant  qu'on  n'aura  pas  une  édition  intégrale  des  Flores  établie  sur  les 
manuscrits  originaux  et  munie  de  toutes  les  références  nécessaires, 
nous  estimons  que  l'œuvre  de  Bernard  Gui  mérite  mieux  que  l'apprécia- 
tion peu  bienveillante  qui  en  a  été  récemment  présentée  au  pubhc  '^'. 

'•'  Historiens  de  la  France,  t  X\l,  p.  -j 2b.  '*'  Voir   Maurice    Prou,    dans   Journal   det. 

<*'  Cf.  ihid.,yi.  xvi  et  xlvi-XLVIII.  Savants,  1918,  p.  a35-242. 

'''  Quelques  légères  erreurs  ont  été  signalées  <"'   «Si  le  début  des  Hores  chronicoram  té- 

par  M.  l'alibé  Mollat ,  Étude  critique  sur  les  Vitae  .  moigne  d'une  crédulité  aveugle ,  d'une  absence 

paparum  Avenionensium  d'Etienne  Baluze  (  Pa-  «  complète  d'esprit  scientifique ,  la  fin . . .  dénote 

ris,  1917),  p.  3o.  .de  bonnes  lectures  »  (Mollat,  Étude  critique. 

'*'  Etude  critique,  p.  a4-25.  p.  aa-aS). 

mST.  LITTÉB.   XXXV*  3^ 


180  BFRNARI)  (lUI,  FRERE  PRECHEUR 

10.   PoyriFicES  RoMAyi  ''*. 

Apres  avoir  terminé  la  première  rédaction  de  ses  Flores  clironi- 
corum,  Bernard  Gui  y  avait  placé  en  appendice  un  abrégé  comprenant 
un  texte  encadré  dans  des  gloses  marginales'^*.  Cet  abrégé  qui  s  appli- 
quait à  la  fois  à  l'Iiistoire  des  papes,  des  empereurs  et  des  lois  de 
France,  ne  paraît  pas  nous  être  parvenu  sous  cette  forme  primitive. 
C'est  que  bientôt  l'auteur  eut  l'idée  de  scinder  son  abrégé  en  trois,  et 
{[ue  cette  idée  donna  nais.sance  à  trois  opuscules  traitant  respective- 
ment des  papes,  des  empereurs  et  des  rois  de  France. 

liernard  Gui  lui-même  ne  reconnaît  à  ces  opuscules  que  le  ca- 
ractère de  «  manuels»,  et  il  n'y  a  pas  lieu  d'en  parler  longuement. 
Renvoyant  au  mémoire  de  Delisle  pour  le  détail  minutieux,  nous 
nous  contenterons  de  résumer  à  grands  traits  le  résultat  de  ses  re- 
cherches. Parlons  d'abord  de  l'opuscule  consacré  aux  papes. 

Les  deux  premières  éditions,  rédigées  à  peu  de  distance  l'une  de 
l'autre  (i3i4-i3i6),  ollrent  un  texte  encadré  de  gloses:  il  nous  en 
est  parvenu  au  moins  quinze  manuscrits'^'. 

Inc.  (texte)  :  Jhcsus  Cliristus,  riUu.s  Dei,  Deus  et  Doiuinus  noster. .  . 
—  (glose)  :  Jhesus  Ctiristus,  qui  est  verus  sacerdos.  .  . 

Dans  les  deux  dernières  éditions,  qui  se  suivent  aussi  de  très  près 
(i329-i33o),  l'auteur  a  fondu  les  gloses  avec  le  texte  et  a  fait  de 
son  opuscule  un  appendice  de  son  Spéculum  sanctorale. 

Inc.  :  Primus  omnium  poutilicuui  Romaiiorum,  Symon  Petrus.  .  . 

Cette  dernière  forme  des  Pontijices  Romani  a  été  beaucoup  moins 
répandue  que  la  première.  Delisle  en  a  cité  expressément  sept  ma- 
nuscrits, auxquels  il  a  supposé  qu'on  pouvait  en  joindre  deux 
autres  sur  lesquels  il  n'avait  pas  de  renseignements  très  précis,  le 
n"  1206  de  la  bibliothèque  de  Trêves  et  le  n°  9662  de  la  collec- 
tion de  sir  Thomas  Phillipj)s.  Ce  dernier  (aujourd'hui  Bibl.  nat., 
lat.   nouv.  acq.   778-779)   ne  contient   pas  réellement  notre  opus- 

'''  Art.  m  de  Delisle,  p.  a35-24o,  SS  73-77.         on  peut  ajouter  Bihl.  nat.,  iat.  9C71,  inanu- 
'*'   Ihid.,  p.  394.  sent    de   la    seconde   édition    (Neaes    Archir , 

'''   Delisle  en   énmnrre  quatorze,   au\(|uei3  1881,  t.  VI ,  p.  48i). 


SES   ECRITS.  187 

cule.  En  invanche,  on  le  trouve,  datf'  de  la  quinzième  année  de 
Jean  XXII  (i33o-i33i),  dans  le  manuscrit  I  i  g3  de  la  Biblioteca 
nacional  de  Madrid,  offert  par  Bernard  Gui  au  roi  de  France  Phi- 
lippe VI  '»'. 

Une  traduction  française  faite,  en  iSôg,  par  frère  Jean  Golein, 
n'a  été  signalée  que  dans  le  ms.  Vatic.  Regin.  lat.  697;  elle  repose 
sur  la  première  édition  '^'. 

La  fin  de  l'opuscule,  relative  aux  pontificats  de  (ilément  V  et 
de  Jean  XXII,  a  été  imprimée  deux  fois  au  xvii*  siècle,  d'abord 
par  Bosquet  qui  a  emprunté  son  texte  à  un  manuscrit  du  Collège 
de  Foix,  à  Toulouse'^',  puis  par  Baluze,  qui  n'a  pas  indiqué  sa 
source'*';  les  deux  éditions  reproduisent  la  dernière  rédaction  de 
Bernard  Gui. 


VI.   —  Histoire  des  empereurs. 
11.   Imi'Eratohes   HomA'M^^K 

Les  manuscrits  qui  nous  ont  transmis  cet  opuscule  sont  encore 
plus  nombreux  que  ceux  qui  contiennent  le  précédent;  il  y  en  a  plus 
de  quarante,  dont  quelques-uns  insuffisamment  décrits  jusqu'ici. 

Inc.  :  Juiius  Cesai ,  (|ui  l't  (îiiyiis  Julius  dicitiir.  .  . 

La  première  édition  s'arrête  au  couronnement  de  l'empereur  Henri 
de  liUxembourg  (2g  juin  i3i  2), avec  ces  mots  :  «  annoDomini  m°cc(:° 
xii"".  Elle  est  représentée  par  quatre  manuscrits,  dont  trois  ont  reçu 
après  coup  des  additions  incorporées  plus  tard  dans  les  éditions 
subséquentes. 

La  deuxième  édition  va  jusqu'à  la  mort  de  l'empereur  (Buoncon- 
vento,  24  août  i3i3),  dont  la  mention,  suivie  de  celle  du  transport 
de  son  corps  à  Pise,  se  termine  par  ces  mots  :    «corpus  ejus  apud 

'"'  Bibl.detEcote  des  chaiief,  i8g6, t. L\l\ ,  in  ea   sederunl ,  historia   (Paris,  i632),   p.   9 

p.  638.  et  18. 

'''   Voir    les    Mélanges   publiés    par   l'Ecole  '*'     Vitm    paparam     Avenionensiam ,     t.      I, 

française  de  Rome,  1881  ,  J.  I,  p.  267  et  268-  p.  i33-i52  ;  nouvelle  édition   par   M.  l'abbé 

269.  MoUat  (Paris,  1916). 

'''  Pontijicum  Roininoruiu,(iai e  Gallia oriundi  '''  Art.iv  de  Delisle,  p.  a4o-245,  SS78  85. 


188  BERNARD  GUI,  FRERE  PRECHEUR. 

Pisas».  Delisle  la  signale,  en  connaissance  de  cause,  dans  trois  nou- 
veaux manuscrits,  et  il  conjecture  (ju'elle  figure  dans  deux  autres. 

Aux  derniers  mots  de  cette  édition,  «  apud  Pisas  »,  Bernard  Gui  a 
ajouté  après  coup  :  «et  sepultum».  Delà  une  troisième  édition, dont 
Delisle  cite  onze  nouveaux  manuscrits'"';  quelques-uns  ont  reçu  des 
notes  plus  développées,  mais  toujours  relatives  au  même  empereur. 

La  quatrième  et  dernière  édition,  destinée  à  former  un  appendice 
du  Spéculum  sanctorale,  est  précédée  d'une  courte  préface;  elle  s'étend 
jusqu'au  moment  où  l'empereur  Louis  de  Bavière  quitta  l'Italie  pour 
regagner  l'Allemagne,  un  peu  avant  Pâques  1329.  On  en  compte 
au  moins  dix-huit  manuscrits,  qui  se  divisent  en  deux  classes,  selon 
qu'ils  se  terminent  par:  «  nondum  eniravenit  finis  ipsorum  malorum  », 
ou  par  :  «  rediit  in  Teutoniam  »'-'. 

On  a  signalé  deux  anciennes  traductions  françaises  bien  distinctes 
des  Imperalores  Romani  :  celle  de  frère  Jean  Golein,  exécutée  en  1869, 
et  celle  d'un  anonyme,  qui  paraît  avoir  vécu  à  la  fin  du  xiV  ou  au 
début  du  xv'^  siècle.  La  première  repose  sur  le  texte  latin  de  la  troi- 
sième édition,  dont  la  fin  est  ainsi  rendue  ;  «et  fu  son  corps  porté 
à  «  Pise  et  là  lut  mis  en  sépulture»  ;  elle  n'est  conservée  que  par  le 
ms.  Vatic.  Regin.  lat.  697'''.  L'autre  dérive  de  la  deuxième  édition, 
et  se  termine  ainsi  :  «  et  après  fut  pourtés  le  corps  de  luy  en  Pise  »  ; 
elle  était  contenue  dans  le  manuscrit  L.iv.  27  de  la  bibliothèque 
de  Turin,  aujourd'hui  détruit'*'. 

Vil.  —  Histoire  des  rois  de  France  et  géographie  de  la  Gaule. 

12.  Reges  Francorum^^K 

La  première  édition  de  cet  opuscule  a  été  achevée  le  a  1  octobre 

''  Ajouter  Bibl.  naf.,  lat.  »)67i  {Xeaes  Ar-  t.    LVII ,   p.    638),    et    bibl.    privée   du    roi 

chiv,  1881,  t.  VI.  p.  481)  et  Escorial,  P.  i.  i5  d'Espagne,  3  G  1  [Neuei  Archiv ,  1881,  t.  M 

(ibid.,  p.  a6o-?.f)i  ;  cf.  Guill.  Antolin,  Calàlorjo  p.  3^4-345);  Merville  [Mém.  de  la  Soc.  arch 

cité,  t.  III,  p.  t68).  da    Midi  de  la  France.    i886-i88(),   t.    XIV 

'''  Aux  manuscrits  cités    par  Delisle  ajou-  p.  à^^-iii)- 
1er    Camhridgf,    Corpus   Christi   Colle;,'e    45  ''    Mélanges  c'iléi,  1881  ,  t.  1,  p.  267  et  269 

(M.  R.  James,  CuUilogae   cité,  p.  91;  Delisle  *    Ibid.,  p.  381  et  38.I;  cf.  Delisle,  p.  i'\fi 

avait  conjecturé  à  tort  que  ce  manuscrit  conte-  S  85. 

nait  la  a*  édition)  ;  Madrid,  Biblioteca  nacional,  '^    .\rlicle  V  de  Delisle,  p.  345-353,  S86 

I  i  93    [IVM.    (le    l'Ecole    des    chartes,   1896,  95615. 


SES  ÉCRITS.  189 

i3i  2;  la  deuxième  est  datée  du  jour  de  la  Toussaint  i3i3'''.  Par  la 
suite,  l'auteur  s'appliqua  à  le  tenir  à  jour;  les  nombreux  manuscrits 
que  nous  en  possédons  s'arrêtent  respectivement  à  i3i4,  à  i3i5, 
à  i3i6,  à  i32o,  et  à  i33o.  D'autre  part,  en  i320,  il  procéda  à 
une  refonte  en  donnant  plus  de  développement  au  récit  et  en  plaçant 
en  tête  une  introduction,  où  sont  exposées  l'origine  des  Francs,  la 
géographie  de  la  Gaule,  l'histoire  des  premiers  rhefs  des  Francs  et 
la  distinction  des  trois  races  qui  ont  régné  sur  la  France.  Cette  lorme 
amplifiée  a  été  tenue  à  jour,  comme  la  forme  primitive;  elle  descend, 
selon  les  exemplaires,  jusqu'à  i322,  i328  et  i33i.  De  l'une  ou 
de  l'autre  forme  nous  ne  possédons  pas  moins  d'une  cinquantaine  de 
manuscrits"^'. 

Inc.  (forme  primitive)  :    Hec  >uiit  iiomina  regum  l'ranconim,  qui  a  principio. . . 
—  (forme  amplifiée)  :  Franci  origine  Trojani,  pagano  ritui  dediti. . . 

Des  fragments  des  Reges  Francoriim  ont  été  publiés  dans  trois 
volumes  des  Historiens  de  la  Frauce^^\ 

Deux  traductions  françaises  distinctes  nous  sont  connues.  La 
première,  celle  de  frère  Jean  Golein,  exécutée  en  1369,  a  comme 
base  la  forme  primitive  poussée  jusqu'au  mariage  de  Louis  X  avec 
Clémence  de  Hongrie    en    1 3  1  5  '*'. 

La  deuxième ,  anonyme,  contenu  e  dans  le  manuscrit  L.  iv.  2  7  de  la 
bibliothèque  de  Turin  aujourd'hui  détruit,  repose  aussi  sur  la  forme 
primitive,  mais  poussée  jusqu'au  traité  conclu,  en  mai  i320,  entre 
Philippe  le  Long  et  le  comte  de  Flandre  ^^l 

'■'   Cette    deuxième    édition,    inconnue    à  Madrid,  bibl.  privée  du  roi  d'Espagne,  2G1 

Delisle,  a  été   signalée  dans  leins.  gSi   delà  (Neues  Archiv ,  1881,  p.  345);  Madrid,  Biblio- 

Bibliolhèque  de   l'Université,  à  la  Sorbonne;  teca  narional,  I  i  cjS,  exemplaire  offert  à  Phi- 

voir  une  publication  pernozze, due  à  M.  Emile  lippe   VI    (Bibl.  de  l'Ecole  des  chartes,    1896, 

Châtelain ,  .intitulée  :  Mariage  Monod-StapJ'er .  t.    LVII,p.   638);   Merville  (Afem.  de   la  Soc. 

2i juillet  1896  (Pani,Dela\a\n{rèrei).  archéol.  du   Midi   de  la   France.    1886-1889, 

'''  Quarante-cinq  sont  énumérés par  Oelisle ,  t.  XIV,  p.  443). 

maison  en  connaît  aujourd'hui  quelques-uns  de  '''  Tomes    XI,   p.    385;   XJI,   p.  a3o-233; 

plus,  notamment  Bibl.  nat.,  lat.  9671  (A^eiiej  XXI,    p.    691-734    (cf.    ci-dessus,    p.    i83, 

Archiv,  1881,   t.  VI,  p.  48i);  Rome,  Vatic.  note  7). 

Palat.  iat.  965  [Archiv  de  Pertz,  1874,  t.  XII,  '"  Manuscrit  unique,  Vatic.  Regin.  lat.  697; 

348);  Escorial,  P.  l.  i5  [Neues  Archiv.  1881,  cf.  Mélanges  publiés   par   l'Ecole  française  de 

t.  VI,  p.  260-261;  cf.  Guill.  Antolin,    Catà-  Rome,  1881,  t.  I,  p.  367  et  269-270. 

logo  cité,  t.  III,  p.  263,  où  l'auteur  amalgame  '''  Ibid..  p.  281  et  283;  cf.  Delisle,  p.  262 , 

les  Reges  Francorum  et  les  Comités  Tholosani);  S  95  bis. 


190  BERNARD  GLl,  FRERE  PRÉCIIEIR. 

13.  NOMINA    REGUM     FràNCORUM^^I 

Simple  catalogue  sur  lequel  il  n'y  a  pas  lieu  de  s'arrêter  longtemps. 
Delisle  en  a  signalé  treize  manuscrits.  Depuis,  on  en  a  lait  connaître 
un  quatorzième,  qui  porte  le  n"  981  dans  la  bibliothèque  de  l'Uni- 
versité de  Paris,  à  la  Sorbonne'^'.  Par  suite,  les  conclusions  dcDelisle 
doivent  être  légèrement  modifiées.  Il  faut  distinguer  trois,  et  non  deux 
éditions  :  la  première,  que  le  manuscrit  de  la  Sorbonne  nous  a  seul 
transmise,  a  été  rédigée  en  octobre  1 3  1 3;  la  deuxième,  en  décembre 
i3i4;  la  troisième,  en  mai  i33o. 

Inc.  :  In  seqiientibus  brevius  colliguntur  Pt  suh  compendio  repetuntur  nomina 
regiim  Francorum.  .  . 

14.  AbBOR  GENEALOGIE  RECUM    FràNCORUM^^K 

Cet  opuscule  a  eu  plus  de  vogue  que  le  simple  catalogue  dont  nous 
venons  de  parler,  jiuisque  Delisle  en  a  signalé  trente-deux  exem- 
plaires**'. 11  est  établi  que  Bernard  Gui  en  avait  donné  au  moins  cinq 
éditions,  sur  chacune  desquelles,  à  la  lin  du  préambule,  est  inscrite 
une  date  différente  :  i3i3,  i3i4,  1817,  i32O0u  i33i. 

Inc.  :  Franci  ex  sua  prima  origine  fuere  Trojani. . . 

Ce  succès  s'expli(|ue  fort  bien.  On  connaît  le  goût  du  moyen  âge 
pour  les  représentations  figurées;  ce  goût  trouvait  une  large  satisfac- 
liou  dansVArbor  (jenealogie ,  qui  est  une  manière  d'histoire  de  France 
illustrée.  Le  texte  débute  par  un  préambule  sur  l'origine  des  Francs 
•4  sur  l'histoire  de  la  cité  de  Sicambre.  L'illustration  est  formée  par 
une  suite  de  tableaux  enluminés,  sur  lesquels  se  déroule  la  succession, 
la  filiation  et  la  chronologie  des  rois  de  France.  Chaque  roi  est  repré- 
senté en  pied,  dans  un  grand  médaillon  contenant  son  nom  et  la 
durée  de  son  règne.  A  coté  sont  groupés  des  médaillons  plus  petits, 

"'  Article  VI  de  Delisle,  p.  a52-253,S96-()7.  von  Carolsléld,  Katalog  der  Hanischr.  der  kô- 

'•'   Publication  per  nozze  intitulée  :  Mariage  nùjl.  ôffenti  Bibl.  za  Dresden ,  1 882  ,  t.  I ,  p.  392  ; 

Monod-Stapfer ,  2à  juitlet  1896.  p.  6  et   10-11.  Madrid,  Biblioteca  nacional  I,  i  (j3, exemplaire 

'''  Article  vu  de  Delisle,  p.  254-a58  ,  S  98-  offert  à  Philippe  VI  [Bihl  de  l'Ecoledes  chartes. 

io3;  cf.  p.  ib2.  1896,   I.  LVII,   p.  638);  Madrid,  bibl.  privée 

'*'  .\ux  manuscrits  signalés  par  Delisle  ajou-  du  roi  d'Espagne,  2  G  i  (Neues  Archiv,  1881 , 

ter  les  suivants  :  Dresde,   F  106  (F.  Schnorr  t.  VF,  p.  3.4.5). 


SES   ECRITS.  lyi 

qui  renferment  les  bustes  des  reines  et  des  enfants  royaux,  ceux  des 
princes  et  des  saints  les  plus  illustres,  avec  des  légendes  et  des  signes 
distinctifs,  tels  que  couronnes  peuples  rois  et  les  reines,  nimbes  pour 
les  saints.  Les  médaillons  sont  supportés  par  des  tiges  d'arbre  ,  qu'en- 
toure un  texte  explicatif,  tiré  des  llcges  Framorum. 

11  est  tout  naturel  qu'un  ouvrage  de  ce  genre  ait  provoqué  des  tra- 
ductions en  langue  vulgaire;  aussi  a-l-il  été  mis  au  moins  trois  lois  en 
français'"'. 

La  traduction  de  frère  Jean  Golein,  exécutée  en  i^ôg,  est  la  plus 
ancienne  qui  nous  soit  parvenue  :  elle  se  trouve  dans  le  ms.  Vatic. 
Regin.  lat.  697.  Bien  que  le  début  ait  disparu,  par  suite  d'une 
mutilation  récente  du  manuscrit,  on  peut  facilement  constater,  gràre 
kXexplicit  publié'-',  qu'elle  repose  sur  la  deuxième  édition  (i3i4). 

Le  ms.'677  de  la  bibliothèque  de  Besançon,  qui  paraît  de  la  fin  du 
xiv'  siècle*'',  et  un  manuscrit  du  xv'  siècle,  qui  a  appartenu  à  Anne 
de  Polignac  et  qui  est  aujourd'hui  conservé  à  la  Bibliotlièque  natio- 
nale, franc,  nouv.  ac({.  iiSg''',  contiennent  une  traduction  toute 
dillerente,  assez  libre,  deY/irhor  (jenealogie,  dont  on  a  pubhé  le  début 
et  la  fin*''';  le  traducteur  a  eu  sous  les  yeux  la  dernière  édition  (i33i). 

Enfin,  le  ms.  L.  iv.  27  de  la  bibliothèque  de  Turin,  aujourd'hui 
détruit,  renfermait  un  texte  français  de  VArbor  genealocfie,  texte  dis- 
tinct des  deux  précédents,  car  il  reposait  sur  la  quatrième  édition 
(i3qo)<«>. 

15.  Descriptio  Galliahum^''^ 

Opuscule  très  court,  où  fauteur  a  surtout  en  vue  la  Gaule  romaine; 
l'intérêt  en  est  fort  mince.  Bernard  Gui  a  eu  conscience  de  cette  insuf- 
fisance, pïiisqu'il  a  placé,  en  tête  de  l'édition  refondue  de  ses  Reges 

<''  Delisle  ne  cite  qu'une  de  ces  Ira-  '''  Décrit  dans  le  Calalogae  ijénérat  ilrs 
ductions,  celle  du  manuscrit  l.abitle.  C'est  manuscrits  'jles  bibliothèques  de  France, 
par  erreur  qu'il  a  été  dit,  dans  les  Mélanges  Départements,  t.  XXXI  (  «897),  p.  dis- 
publiés par  l'Ecole  française  de  Rome,  i88i,  di3. 

t.  I,  p.  a83,  qu'on  ne  possédait  que  deux  tra-  '*'   Delisle,  Mél.  de  paléogr. ,  p.  343-346. 

ductions  française»  distinctes  de  V Arbor  genea-  '^'   Delisle,  p.  452. 

logie.  '*'  Mélanges  publiés  par  l'Ecole  française  df 

<''   Dans   les    Mélanges    publiés    par    l'Ecole  Rome,   i88i,  t.  1,  p.  281-282. 

française  de  lîome ,   1881,  I.   I,  p.    269;  cf.  '''   Article    viii    de    Delisle,    p.     258-259, 

Delisle,  Cabinet  des  manuscrits,  t.  III,  p.  33i.  S  io4. 


192  BERNARD  GUI,  FRKRE  PRÊCHEUR. 

Francorum,  une  introduction  où  se  trouve  une  partie  géographique 
pius  développée  que  l'opuscule  en  question  '". 

Inc.  :  Galliarum  divisio  per  suos  terminos. .  . 

Des.  :  Aqiiitania  quoque  avitum  et  antiquum  nomen  suum  non  est  dignata 
mutare. 

Delisle  ne  signale  que  quatre  manuscrits  de  la  Descriptio  Gallia- 
rum :  Bibl.  nat.,  lat.  4976,  4977^  5o29  et  5o36  a.  On  peut  y  joindre 
deux  manuscrits  du  Vatican  :  Regin.  lat.  yoô'  et  Palat.  lat.  966. 

Vlll.  —  Histoire  DES  Dominicains. 

Les  premières  traces  de  l'activité  historique  de  Bernard  Gui  sont 
relatives  à  l'Ordre  auquel  il  appartenait.  Âous  constatons  que  dès 
1  297.  au  plu?^  tard,  il  recueillait  les  actes  des  chapitres  généraux  et 
provinciaux*^'.  Mis  au  courant  de  ses  travaux,  le  maître  de  l'Ordre, 
Aimeri  de  Plaisance,  élu  à  Toulouse  en  i3o4,  ne  se  contenta  pas  de 
les  approuver;  il  lui  enjoignit  de  les  poursuivre  et  de  les  mener  à 
bonne  fin.  Il  ne  devait  pas  attendre  longtemps  pour  avoir  pleine  satis- 
faction. Le  22  décembre  delà  même  année,  notre  auteur,  alors  prieur 
de  Castres,  offrait  à  son  supérieur  une  vaste  compilation  historique, 
dont  il  continua  par  la  suite  l'élaboration  et  le  perfectionnement, 
mais  dont  les  assises  étaient  dès  lors  solidement  jetées'^'.  Cette  compi- 
lation se  subdivise  en  sept  parties  bien  distinctes  :  1,  Edition  augmentée 
d'un  traité  de  frère  Etienne  de  Salagiiac;  II,  Catalogue  des  maîtres 
généraux;  III,  Catalogue  des  prieurs  provinciaux;  IV,  Notices  parti- 
culières sur  certains  couvents;  V,  Catalogue  de  tous  les  couvents; 
VI,  Actes  des  chapit  res  généraux;  VII,  Actes  des  chapitres  provinciaux'*'. 

'''  C'est  celte  partie  de  l'introduction  qui  a  à  Âimeri  de  Plaisance  (22  déc.  i3o4),  l'auteur 

été  publiée  par  André  Du   Chesne  en   i636  distingue  seulement  cinq   parties   :    i.  Traité 

[Ilisl.  Franc.  Script.,  t.  I,  p.  22),  et  non  la  d'Etienne  de  Salagnac;    2,  Traité  tde   tribus 

Descriptio  Galliarum  proprement  dite.  grndibus  prelatorum  in  Ordine  Predicatoium», 

'*'  Delisle,  p.  32g.  comprenant  le  catalogue  des  maîtres  généraux 

'''  Voir   la   dédicace  de   l'auteur   (  Delisle ,  et  celui  des  prieurs  provinciaux  des  provinces 

app.  I,   p.  377-379)  et  la  lettre  de  remercie-  de  Provence   et   de    Toulouse;  3,    Catalogue 

mentset  de  félicitations  que  lui  adressa  Aimeri  des  prieurs  conventuels  des  vingt-sept  couvents 

de  Plaisance,  datée  de  Gênes,  le  2 4 juin  i3o5  d'hommes  et  des  trois  couvents  de  femmes  de 

[ibid. ,  app.  Il,  p.  379.)  la  province  de  Toulouse;  à,  Catalogue  de  tous 

'*'  Cette  division,  que  nous  empruntons  à  les  couvents  de  l'Ordre;  5,  Actes  des  chapitres 

Delisle ,  correspond  au  dernier  état  de  la  com-  généraux   et  des  chapitres  provinciaux   de  la 

pilation  de  Bernard  Gui.  Dans  sa  lettre  d'envoi  province  de  l'auteur  (Provence ,  puis  Toulouse). 


SES  ECRITS.  1<)3 

Pour  la  clarté  de  l'exposition ,  il  nous  paraît  indispensable  de  con- 
sacrer à  chacune  de  ces  subdivisions  une  notice  séparée.  Mais,  aupa- 
ravant, il  convient  de  noter  ici  que  l'exemple  donné  ])ar  Bernard  Gui 
a  porté  ses  fruits,  même  en  dehors  de  l'Ordre  des  Frères  Prêcheurs; 
en  eilet,  une  compilation  analogue,  quoique  moins  étendue,  ([ui  con- 
cerne l'Ordre  des  (iarines,  celle  du  frère  Jean  Trisse,  exécutée  en 
i36o"*,  s'inspire  manifcstenjent  de  celle  de  notre  auteur. 

16.   Edition  AUGMKNrÉE  ne  traité  d'Etienne  de  Sai.agnac'"^'. 

On  sait  que  Bernard  Gui  avait  fait  profession  entre  les  mains  de  frère 
Etienne  de  Salagnac,  originaire  comme  lui  du  diocèse  de  Limoges. 
Par  là  s'explique  probablement  l'intérêt  qu'il  prit  à  un  ouvrage  que 
frère  Etienne  avait  entrepris  sous  ce  litre:  De  (jualiwrdotibns  (jiuhns  Deiis 
Predicatorum  Ordinem  insi(jnivit,  et  dont  la  minute  inachevée  lui  tomba 
entre  les  mains.  Le  frère  Etienne  ne  mourut  qu'en  1290,  mais,  dès 
1278,  il  avait  posé  la  plume.  On  ignore  à  quelle  date  Bernard  Gui 
acheva  la  rédaction  ([ui  nous  a  été  conservée  par  le  manuscrit  488  de 
Toulouse,  où  ses  additions,  relativement  peu  nombreuses,  ne  sont 
pas  distinguées  du  texte  du  premier  auteur.  Plus  tard,  et  sans  doute  à 
plusieurs  reprises,  notamment  en  1  .S  1  1  et  1  3  1  2  ,  il  remania  et  com- 
pléta son  travail  et  donna  une  nouvelle  édition,  où  il  marqua  minu- 
tieusement tout  ce  qui  était  de  son  cru.  L'étendue  de  l'œuvre  primitive 
s'en  trouva  plus  que  doublée,  mais  le  cadre  resta  le  même.  C'est  en 
cet  état  que  le  De  (juatuor  dotibiis  nous  est  parvenu  dans  quatre  manu- 
scrits, exécutés  sous  les  yeux  mêmes  de  Bernard  Gui,  que  Delisle  a 
minutieusement  décrits  et  classés  (ms.  3  d'Agen,  mss.  489  et  ^90 
de  Toulouse,  ms.  780  de  Bordeaux^,  et  dans  quelques  autres'^'. 

Inc.  :  Omnipotens  et  misericors  Deus.  . . 

Des.  :  :  .  .  obiit  in  conventu  I^emovicensi,  sexto  idus  januarii,  anno  Doinini  mille- 
simo  (lucentesimo  nunagesimo. 

Le  traité  d'Etienne  de  Salagnac  comporte  quatre  sections  :  I,  De 

'■'  Voir  l'article   du    P.    Denifle,  intitulé:  '''  Delisle,  p.  3o4-'>  '  i ,  SS  157-161. 

Qaellen  ziir  Gelehrtengeschichte  des  Cnrineliten-  '''  Cf.  Denifle  daiis  Irc/iiu  cité,  t.  II,  p.  168- 

ordens. .  . ,  dam  Archivjûr  Littcratiir-  iind  Kir-  16g.  Outre  quelques  manuscrits  perdus,  Delisle 

chengeschichte,  t.  V,  p.  368  et  suiv.  a  signalé  (p.  /i44  et  445)  un  manuscrit  appar- 

HIST.   LITTÉR.  XXXV.  a5 


194  BERNARD  rJUI,  FRERE  PRECIIEIR. 

hono  et  streniio  duce,  éloge  de  saint  Dominique,  où  se  trouvent  insères 
des  détails  précis  sur  l'origine  des  couvents  de  Limoges  et  de  Castres; 
II,  De  glorioso  nomme  Predicatorani ,  on  l'on  remarque  le  récit  de  la 
condamnation  d'une  hérétique  de  Toulouse,  en  i233  ou  i'i3/i;  IH, 
De  illnstri  proie ,  énumération  méthodique,  province  par  province,  des 
religieux  qui  ont  illustré  l'Ordre  à  des  titres  divers,  martyrs,  savants, 
papes,  cardinaux,  évêques,  maîtres  en  théologie,  etc.;  IV,  De  securl- 
tatc  professionis  el  vile ,  éloge  de  la  règle  dominicaine,  avec  des  détails 
curieux  sur  les  déhuts  et  les  règles  d'autres  Ordres  leligieux. 

La  section  la  plus  intéressante  pour  nous  est  naturellement  la 
troisième  :  la  plupart  des  noms  qui  y  sont  inscrits  sont  accompagnés 
de  notices  substantielles  fort  utiles,  surtout  pour  l'histoire  ecclésias- 
tique et  pour  l'histoire  littéraire,  et  dont  les  éléments  seraient  au- 
jourd'hui fort  difficiles  à  réunir  si  nous  ne  possédions  pas  l'œuvre 
collective  d'Etienne  de  Salagnac  et  de  Bernard  (îui. 

Il  est  regrettable  que  cette  œuvre  n'ait  pas  été  publiée  intégrale- 
ment; quelques  extraits  seuls  en  ont  paru,  par  les  soins  de  Natalis 
de  Wailly,  en  i855''',  et  par  ceux  du  P.  Denifle,en  1886'^'. 

17.  Catalogue  des  maîtres  généraux'^'. 

La  première  rédaction  s'arrête  à  l'élection  d'Aimeri  de  Plaisance, 
en  i3o4  (mss.  488  et  ligo  de  Toulouse  dans  leur  état  primitif);  \a 
deuxième,  à  la  démission  du  même  maître,  (jui  fut  acceptée  au  cha- 
pitre général  de  Naples,  en  i3i  1  (ms.  489  de  Toulouse  dans  son  étal 


tenant  à  la  Bibliothèque  San  Juan  de  Barcelone,  bonne  source.  Mentionnons  encore  le  ans.  i5i/i 

nasse  depuis  dans  ia  Bibliothèque  de  l'Univer-  de    la  bibliothèque    municipale  de  Francfort- 

sité  de  cette  ville,  el  un  manuscrit  conservé  sur-le-Mein,  qui  a  été  étudié  par  Pregei(Zpi/- 

jadis  au  couvent  de  Rodez,  qui  se  trouve  au-  sclirift  fur  (jcscliiclitliclie  Theoloyie ,  1869,  p.  f\ 

jourd'hui  à  Rome  dans  les  Archives  générales  et  sulv.)  et  par  Rollie  [Neiies   Archiv,    i885, 

de  l'Ordre,  sous  la  cote  A  3.  Ce  dernier,  que  t.  X,p.  Sgô-Syy). 

l'auteur  de  cet  article  a  pu  étudier  directement  '''   Fracfmentd  lihelli  de  Ordine  l'rœdicatorum  , 

en   1880,  est  original  et  contient  beaucoup  de  d&asie.i  Historiens  de  la  France ,  t.  \.\],  p. -jib. 
notes  autographes  de  Bernard  Gui.  Il  en  est  de  ''■  Archivfûr  Liileratur-  und  Kirchem/.,  1886, 

même  du  ms.  i54o  de  la  Bibliothèque  de  l'Uni-  t.   Il,    p.  aoSaaS.  Le  P.  Denifle  a  donné  une 

versité  de    Bologne,  dont   Delisle  n'a  pas   eu  édition  critique  de  la  liste  des  niaitres  en  théo 

connaissance.  Les  Archives  générales  de  l'Ordre  logie,   d'après    tous    les   manuscrits,  et   il  y  a 

possèdent  en  outre  un  manuscrit,  coté  A  2,  joint  les  diverses  continuations  dont  cette  liste 

qui  était  jadis  conservé  au  couvent  de  Cracovie;  a  été  pourvue, 
il  est  de  date [dns récente ,  mais  remonte  à  une  '^    Delisle,  p.  Si  i-3i3,  SS  162-163. 


SES  ECRITS.  195 

primitif)  ;  la  troisième,  à  l'élection  de  Bérenger  de  Landorre,  en 
mai  1 3 1  2  (mss.  488  do  Toulouse  et  780  de  Bordeaux)'''.  Le  catalogue 
a  et'  poussé  plus  loin  dans  certains  manuscrits,  mais  Bernard  (lui 
est  étranger  à  ces  différents  suppléments. 

Inc.  :  Quoniam  funiculus  triplex  diflicile  ri^mpitur.  . . 

De,v.  (  1"  éd.)  :  ...  tam  in  theologia  quam  in  philosophia  xxiiii  annis,  fueratque 
prior  Bononie. 

Des.  (2'  éd.)  :   .  .  .   apud  Neapolim  celebrato,  anno  Domini  mcccxi. 
—  (3'  éd.)  :   ...  in  festo  Gordiani  et  Epiinaclii  martiruin. 

Martene  et  Durand  ont  publié,  en  1729,  le  catalogue  des  maîtres 
généraux  d'après  le  ms.  lat.  5486  de  la  Bibliothèque  nationale,  copie 
faite,  au  xvii*  siècle,  du  ms.  490  de  Toulouse,  à  laquelle  est  jointe  la 
copie  d'un  manuscrit  de  Carcassonne,  aujourd'hui  peixlu,  où  le  texte 
de  Bernard  (lui  était  suivi  d'une  continuation  pousséejusqu'en  i368'"'. 

18.    CvTAl.OGUK  DES  PRIEURS  PROVINriAUX '^'. 

Un  catalogue  historique  des  prieurs  provinciaux  demandait  une 
largeur  d'information  que  Bernard  Gui  ne  pouvait  avoir  la  prétention 
de  jamais  atteindre,  le  nombre  des  provinces  de  l'Ordre,  répandues 
dans  toute  la  chrétienté,  étant  fort  considérable.  Son  recueil,  tel  qu'il 
l'offrit  au  maître  général  Aimeri  de  Plaisance  ,  en  1  3o4,  était  limité  à 
la  province  de  Provence  et  à  la  province  de  Toulouse, qui  en  avait  été 
démembrée  en  i3o3. 

11  eut  soin ,  plus  tard  ,  de  tenir  à  jour  le  catalogue  de  la  province  de 
Toulouse,  et  le  poussa  d'abord  jusqu'à  i3o6,  puis  jusqu'à  i3o8 
et  1  3  10;  certaines  additions  vont  ju.squ'à  i  3  1  •.< ,  i3i7,  1  334  et  i328, 
mais  elle  n'émanent  pas  de  lui.  Pour  la  province  de  Provence,  il  arrêta 
primitivement  son  catalogue  à  l'élection  de  Guillaume  de  Laudun,  en 
i3o5;  par  deux  continuations  successives,  il  l'étendit  plus  tard  jusqu'à 
i3  1  2,  puis  jusqu'à  i3i5.  U  s'occupa  aussi  de  la  province  de  Dane- 
mark et  en  catalogua  les  prieurs  jusqu'en  i3o8;  les  renseignements 
lui  manquèrent    pour    poursuivre,   et   nous  n'avons  aucune    conti- 

'"'  À   ces  manuscrits,  étudiés  par  Delisle,  il  viennent  les  quelques  lignes  qui  se   trouvent 

faut  ajouter  ceux  dont  il  a  été  question  ci-des-  dans   les   Historiens   de   la    France,    t.    XXI, 

sus,  p.  193.  p.  739. 

'''   Ampliss.  coll. ,  t.   V,   col.    097/117;  de  là  '''  Delisle,  p.  3l3-3i6,  $S  164-169, 

35. 


196  BERNARD  GUI,  FRERE  PRECHEIR. 

nualion  de  la  première  liste  qu'il  avait  dressée.  Enfin,  en  iSog,  il 
mit  au  jour  le  catalogue  des  prieurs  de  la  province  de  France,  qui 
fut  poussé  plus  tard,  par  lui  ou  par  d'autres,  jusqu'à  l'élection  de 
Jacques  de  Lausanne,  en  i3i8. 

Ces  brèves  indications  suffisent  pour  faire  connaître  le  Catalogue 
des  prieurs  provinciaux,  son  contenu  et  ses  lacunes*''. 

Inc.  (après  ie  pn-anihiilr)  :  IMmus  prior  proviiicialis  in  provincia  Proxincie. . . 

De  la  même  ])lunie  est  sortie,  il  n'en  faut  pas  douter,  une  liste  de 
tous  les  prieurs  provinciaux,  suivant  leur  ordre  de  séance  aux  cha- 
pitres généraux,  d'où  toute  indication  historique  est  exclue;  cette 
liste  a  été  pubhée  en  lyiç)'^'. 

19.  Notices  particulières  sur  certains  couvents'^'. 

Dans  sa  première  ébauche,  en  i  ^ol^,  lU-rnardOui  ne  s'était  occup<'' 
que  de  deux  couvents,  ceux  de  ProuiUe  et  de  Toulouse,  à  chacun 
desquels  il  avait  consacré  une  notice  historique  abrégée ,  qu'il  déve- 
loppa phis  tard.  Peu  à  peu,  il  étendit  ses  recherches  à  Ihistoire  de 
tous  les  couvents  sur  lesquels  il  put  se  procurer  des  renseignements, 
soit  par  lui-même,  soit  par  des  intermédiaires.  Son  activité  histo- 
rique, par  suite  des  circonstances,  se  limita  forcément  aux  provinces 
de  Provence  et  de  Toulouse;  à  vrai  dire,  ce  n'est  guère  que  pour  cette 
dernière  province,  au  milieu  de  laquelle  s'écoula  la  plus  grande  par- 
tie de  sa  carrière,  qu'il  a  laissé  à  la  postérité  une  riche  niolsson  de 
documents''''.  Dès  i  .^07,  la  plupart  de  ses  notices  étaient  rédigées,  et 
il  procédait  à  la  mise  au  net  de  son  recueil  (ms.  490  de  Toulouse). 
Il  eut  l'occasion  d'y  faire  quelques  additions  plus  tard,  notamment  en 
1 3 1  2  et  en  1 3 1 5.  Une  mise  au  net  postérieure ,  exécutée  vers  1 3 1  2  , 
offre  des  parties  plus  développées  et  des  additions  qui  ne  concordent 
pas  toujours  avec  celles  qui  se  lisent  dans  le  premier  manuscrit.  Les 

'')  Mornes     maniisrrits     que     pour     noire  iaume  de  l.auduD,  prieur  provincial  de  Pro- 

articlo  iB.  vence,    Bernard    Gui    reconnaissait  lui-même 

•''  Quétif  rt  Kchard ,  Scriplores  Ord.  Prœdic. ,  combien  son  œuvre  était  insuffisante  en  ce  qui 

t.  1,  p.  XV.  concerne  celte  province,  et  il  exprimait  l'espoir 

<''  Delisle,  p.  316-327,  SS  170-179.  que  le  prieur  et  d'autre»  frères  mieux  informés 

'*'   Le  1"  août   i3i  1,  en   adressant  de  Tou-  y  feraient  des  additions,  espoir  qui  ne  parait 

louse  ua  exemplaire  de  son  recueil  à  frère  (juil-  pas  s'être  réalisé  (Delisle,   app.  XF,  p.  39.^). 


SES  ECRITS.  197 

dernières  additions  dues  à  Bernard  Gui  ne  paraissent  pas  dépasser  la 
date  de  1 3 1 5  ;  mais  les  cadres  qu'il  avait  tracés  pour  chaque  couvent 
ont  parfois  suscité  des  continuations,  voire  des  interpolations''',  aux- 
quelles il  est  resté  étranger  et  dont  nous  n'avons  pas  à  tenir  compte 
ici<^-). 

Voici  la  liste  alphabétique  des  couvents  sur  lesquels  Bernard  Gui  a 
rédigé  des  notices:  Agen,  Aix  (hommes) ,  \ix  (femmes) ,  Mais,  Albi, 
Arles,  Aubenas,  Auvillars,  Avignon,  Bayonne,  Bergerac,  Béziers, 
Bordeaux,  Brive,  LeBuesc,  Cahors,  Carcassonne,  (Jastres,  Collioure, 
Condom,  Die,  Draguignan,  Pigeac,  Genouillac  ,  Grasse,  Lectoure, 
Limoges,  Marseille,  Marvejols,  Millau,  Montauban,  Montpellier 
(hommes),  Montpellier  (femmes),  Morlaàs,  Narbonne,  Nice,  Nimes, 
Orange,  Orthez,  Pa m iers,  Périgueux,  Perpignan,  Pontvert,  Propille, 
Le  Puy,  Puycerda,  Ilieux,  Rodez,  Saint-Lmihon,  Saint-Gaudens, 
Saint-Girons,  Saint-Junien,  Saint-Maximin,  Saint-Pardoux-la-Uivière, 
Saint-Sever,Sisteron,  Farascon, Toulon,  Toulouse,  Valence.  Donc,  en 
tout,  soixante  notices,  de  dimension  et  d'intérêt  très  variables,  comme 
bien  on  peut  penser.  Chaque  notice  est  suivie  du  catalogue  des  prieurs 
qui  ont  administré  la  maison  depuis  l'origine.  Les  mieux  fournies 
concernent  Agen,  Albi,  Bordeaux,  Brive,  Cahors,  Carcassonne, 
Castres,  Limoges,  Périgueux,  Prouille,  Saint-Junien  et  Toulouse. 
Dans  la  notice  sur  Albi  se  trouve  un  long  et  dramatique  récit  du 
soulèvement  des  populations  de  la  région  contre  l'évéque  Bernard 
de  Castanet  et  les  inquisiteurs,  en  i3o'i  et  années  suivantes'*',  récit 
que  Delisle  considère  comme  «  f  un  des  meilleurs  morceaux  d'histoire 
«  générale  que  Bernard  Gui  nous  ait  laissés'*'  ».  Dans  la  notice  sur  Tou- 
louse, édition  amplihée,  a  été  inséré  intégralement  un  mémoire  sur 
l'origine  des  terrains  occupés  par  le  couvent,  mémoire  rédigé,  en 
octobre  i  263,  par  frère  Guillaume  Pelisson  '^'.  Parfois  l'auteur,  s'écar- 
tant  du  sujet  strict  de  sa  notice,  nous  fait  part  de  tel  ou  tel  événement 

''*  L'une  des  plus  curieuses  de  ces  interpo-  Sgo),  qui  semble  avoir  perdu  de  vue  que  ce 

lations  est  relative  a  une  trouvaille  de  reliques  «  morceau  d'histoire  générale  »  figure  intégra- 

de  saint  Denis  faite  dans  l'église  de  Saint-Mar-  lement  dans  l'Ampliss.  coll.,  t.  VI,  coi.  5i  i   et 

tin ,  hors  les  murs  de  Périgueux ,  où  les  Domi-  suiv. ,  et  dans  les  Historiens  de  la  France,  t.  XXI , 

nicains  s'installèrent  vers  ia4i  ;  Delisle  l'a  pu-  p.  747-749. 
bliée  intégralement  (p.  3a5).  <''  Ibid.,  p.  3i8. 

*''  Mêmes  manuscrits  que  pour  notre  art.  16.  ''    L'Wij^oiVe /iVleVaire  a  consacré  une  notice 

''»  Publié  par  Delisle  (app.  VIII,  p.    386-  à  ce  personnage ,  t.  XIX, p.  ioimo3. 


198  BERNARD  C.ll,  FRKRE  PRKCHKIR. 

mémorable  qu'il  a  appris  au  cours  de  sa  carrière  :  c'est  ainsi  que, 
dans  la  notice  sur  Carcassonne,  ajirès  avoir  enregistré  la  mort  du 
prieur  Pons  de  Tourreilles,  survenue  à  Limoux  en  iSog,  il  revient 
sur  ses  pas  pour  noter  que,  le  39  novembre  i3o4,  on  pendit  à  Car- 
cassonne quarante  habitants  de  f.imoux  déclarés  coupables  de  tra- 
hison vis-à-vis  du  roi  de  France,  et  il  s'étend  avec  complaisance  sur 
les  dramatiques  incidents  survenus  à  Carcassonne,  l'année  suivante, 
et  sur  la  terrible  répression  du  complot  ourdi  contre  la  royauté  par 
l'iie  Patrice,  complot  dans  lequel  trempa,  comnip  on  sait,  le  célèbre 
Bernard  Délicieux*''. 

Que  dans  cette  série  de  monogiaphics  éparses,  il  y  ait  quelques 
manques  de  coordination,  quelqu(>s  lacunes  et  quelques  erreurs,  il  se 
j)eut,  et  l'on  n'en  saurait  être  surpris;  mais  pour  rompre  en  visière  à 
Bernard  Gui,  il  faut  être  bien  armé.  C'est  ce  que  n'a  pas  compris  le 
B.  P.  Beichert,  lorsqu'il  a  proposé  de  corriger  le  témoignage  de  notre 
auteur  au  sujet  de  Irère  Géraud  de  Frachet,  ce  Dominicain  éminent 
auquel  VHistoirc  littéraire  a  consacré  deux  notices  distinctes'^',  et  sur 
la  biographie  duquel  le  souci  de  la  vérité  nous  oblige  à  revenir  ime 
troisième  fois  Dans  sa  notice  sur  le  couvent  de  Limoges,  Bernard 
Gui  déclare  que  Géraud  de  Frachet  y  exerça  les  fonctions  de  prieur 
de  1233  à  1245,  sans  indiquer  qu'aucune  circonstance  l'en  ait  éloi- 
gné jiendant  son  priorat'^'.  El  pourtant,  d'après  le  B.  P.  Beich(M't,  le 
témoignage  de  Géraud  de  I' racliet  lui-même  établirait  que,  en  1  24  1,  il 
fut  prieur  de  Lisbonne  et  fit  construire  le  couvent  de  cette  ville,  k  la 
suite  d'une  apparition  miraculeuse'*'.  Cette  assertion,  admise  sans 
défiance  par  \  Histoire  littéraire '^^  doit  être  considérée  comme  fausse. 
Le  B.  P.  Beichert  a  mal  classé  les  manuscrits  des  Vita'  Fratrum  de 
Géraud  de  Frachet:  le  texte  qui  contient  le  récit  de  l'apparition  de 
Lisbonne  ne  représente  pas  réellement  une  seconde  édition,  émanée 
de  l'auteur  même  du  livre;  il  est  interpolé,  comme  il  est  facile  de 

'''   Ampliss.  cull.,l.  VI,  col.  479;  Historiens  >''   Monuinenio     Ord.     Fratr.     Prneilir.     his- 

de la  France ,  i.  .\XI,p.  744:  cl.  Hauréan,  /ier-  toricu,   t.    I,  Fratiis   (ier.    de    Fraclieto    Vitae 

nnrd    Délicicur,    cliap.    VI!    et    viil;     Delisle,  Fratrum...    [Louvain,    1896),    p.   xii  :    «  As- 

p.  3i7-3i8;  Lavisse,   Hist.  de  France,  t.   Ill,  «serlio  Bernardi  corrigenda  est  serundum  ea 

3'  i)artie,  p.  2o4-3o5.  •  quae  de  se  ipso   fr.   (ierardus   scribil,   li.    I, 

'''  Tomes   XIX,    p.    174-176,    et   XXXII,  »  cap.V,  S  ix*,  p.  23,  nam  anno  ia4i  fungens 

p.  550-567.  «ollifio  piioratiis  conslruxit  conventum  Uiyssi- 

'''   Bull,  de  la  Soc.  arch.  et  hist.  du  Limousin,  •  ponensem.  » 

1893,  t.  XL,  p.  267-268.  "'  Tome  XXXII,  p.  55i  et  555. 


SES  ECRITS. 


199 


s'en  rendre  compte"',  et  la  biof^raphie  de  Géraud  de  Frachet  n'a  rien 
à  voir  avec  Lisbonne  ''^'. 

Martene  et  Durand  ont  publié  une  édition  générale  des  notices 
consacrées  par  Bernard  Gui  aux  couvents  de  son  Ordre  *^',  mais  cette 
édition  est  très  incomplàr'e  :  di.v-sept  maisons  y  ont  été  laissées  de 
côté,  et  les  notices  des  autres  y  sont  presque  toujours  tronquées. 
Depuis  lors,  plusieurs  de  ces  notices  ont  été  publiées  intégralement 
d'après  les  manuscrits  originaux.  \  oici  la  liste,  par  ordre  alj)liabé- 
tique,  des  éditions  dont  nous  avons  eu  connaissance  : 


Agcii  ( Douais,    Les  Frères  l^rècheurs   en 

Gascogne,  i885,  p.  282). 
Auvillar  (Douais,  p.  32  1). 
Bayonne  (Douais,  p.  a55). 
Béziers  (Granier,  dans  Mélanges  publiés 

pour  le  jubilé  de    M*^'  de  Gabrières, 

I.  I,  p.  /ji8). 
Bordeaux  (Dt)uais,  |).  263). 
Golliuure    (Douais,    dans    Congrès    ar- 

cliéolo(ji(jue  de    France,    5i'    session, 

1884,  p.  5o5). 
Gondom  (Douais,  Les  Frèrex  Prêcheurs , 

p.  3oi). 
Lectoure  (Douais,  p.  328). 
Limoges  (Douais,  dans  Bull,  de  la  Suc. 

archéol.  el   hist.  du  Limousin,  1893, 

t.  XL,  p.  266-280). 
Montauban  (De  Rivière,   dans  Bull,   de 
la  Soc.  archéol.  de  Tarn-et-Garonne , 

1899.  t.  XXVII,  p.  218). 


Moiit|'elliei',     botunies     (Poujoi,     dans 

Mélanges  cités,  t.  1,  p.  563). 
Montpellier,  femmes  (Poujol,  loc.  laud. , 

p.  569). 
Morlaàs  (Douais,  Les  Frères   Prêcheurs, 

p.  3.5). 
Narbonne   (Douais,    L'Albigéisnie  et   les 

Frères   Prêcheurs  à  ISnrhonne,  189^, 

p.  .,3). 
Ortbez  (Douais,  Les   Frères   Prêcheurs, 

p.  293). 
Panuers  (Douais,  dans  Congrès  archéol. 

de     France,     5i'     session,      i883, 

p.  297). 
Pontvert  (Douais,  Les  Frères  Prêcheurs, 

p.  337). 
Saint  Gaudens  (Douais,  p.  3^2). 
Saint-Girons  (Douais,  p.  3/i6). 
Saint-Sever  (Douais,  p.  332). 


20.  Catalogue  de  tous  les  couvents'*'. 

Dans  la  préface  de  sa  compilation,  Bernard  Gui  annonce  qu'il  don- 
nera le  «  nombre  et  les  noms  des  couvents  de  frères  et  des  monastères 


'''  Cf.  lib.    III,   cap.    17,  p.    li4:   «Et  ego, 

•  fraler     Lambertus ,  audivi    ab    ore    domini 
«Pelri,   senescaili    Lausanensis,    qui    et   ipse 

•  interfuit.  » 

•''  Par  suite,  il  n'y  aurait  pas  lieu  non  plus, 
cmble-t-il,  d'admettre  que  (îéraudde  Frachet 


ait  été  à  ^aples  en  i254  (Histoiiv  littéraire. 
t.  XXXII,  p.  552). 

'''  Ampliss.  coll. .  t.  VI .  col.  437-540.  Elle  dé- 
rive du  ms.  Bibl.  nat.,  lat.  5486,  copie  récente 
du  ms.  490  de  Toulouse  (voir  ci-dessus, p.  195). 

'*'  Uelisle,  p.  328-."? 29. 


200  BERNARD  (,l  I.  FRERE  PRECllEl  R. 

«  (le  sœurs  dans  chacune  des  provinces  ».  Echard  a  cru  pouvoir  lui  attri- 
buer un  état  de  l'Ordre  en  1277-1.278,  dans  lequel  on  trouve  sim- 
plement l'indication  du  nomljre  des  maisons  de  chaque  province, 
sauf  pour  la  province  de  Provence,  dont  les  maisons  sont  nominati- 
vement énumérées,  parfois  avec  quelques  (f  tails  historiques'*'.  L'attri- 
bution n'est  rien  moins  que  certaine.  En  revanche,  aucun  doute  n'est 
permis  au  sujet  de  deux  catalogues  distincts,  rangés  par  provinces, 
l'un  pour  les  couvents  d'hommes,  l'autre  pour  les  couvents  de  femmes, 
qui  nous  sont  parvenus  dans  plusieurs  manuscrits  originaux:  ils  sont 
sûrement  de  notre  auteur.  Echard  les  a  publiés,  mais  en  les  abré- 
geant et  en  les  arrangeant,  sous  le  tilre  de  Notitm  altcra  totiiis  Ordi- 
«ji'^'.  Martene  et  Durand  ont  donné  Intégralement  le  catalogue  des 
couvents  de  femmes '*'.  Le  chanoine  Douais  en  a  lait  autant,  d'après 
deux  manuscrits  de  Toulouse  (n"  489  el  ^f)o),  pour  le  catalogue 
des  couvents  des  provinces  do  Toulouse  et  de  Provence'"'. 

21.   Actes  hes  chapitres  généraux''''. 

Bernard  Gui  avait  d'abord  réuni  dans  une  seule  et  même  série 
chronologique  les  actes  des  chapitres  généraux  et  ceux  des  chapitres 
provinciniix,  de  sorte  que  le  procès-verbal  du  chapitre  général  était 
immédiatement  suivi  du  procès-verbal  du  chapitre  provincial  de  la 
même  année  '*'.  Il  comprit  bientôt  qu'il  valait  mieux  faire  deux  collec- 
tions distinctes,  l'une  pour  les  chapitres  généraux,  l'autre  pour  les 
chapitres  provinciaux  Parlons  donc  d'abord  de  la  première  de  ces 
collections. 

C'est  en  i3  1  3  qu'elle  fut  tirée  du  recueil  primitif,  formé  en  1 3o4 , 
où  elle  était  confondue  avec  les  actes  des  chapitres  provinciaux,  et 
qu'elle  fut  transcrite  à  part  dans  le  ms.  490  de  Toulouse.  L'ouvrage 
fut  revu  et  complété  en  i3i5.  Cette  revision  fut  incorporée  dans  la 
partie  correspondante  du  ms.  780  de  Bordeaux,  qui  contenait  d'abord, 

'•  .Scriy)/.  Ord.  Prœdic.  l.   I,  p.   i-lil,  d'où  (|uelques  fragments  ont  passé  dans  les  Histo- 

ie  texte    .1    passé    dans    les    Historiens    de    la  riens  de  la  France ,  l-  ^^Hi .  f-  187-199. 
France,   t.   XXIII,    p.    183-187.    Remanjuons  '*'  Essai    sar   l'organisation    de^    études   dans 

(|ue  Delisle    n'en    connaît    pas   de   manuscrit  l'Ordre  des  Frères  Prêchears.  p.    iFi^i-iSg. 
ancien.  '''  Delisle,  p.  3a9-33.^,SS  iSaigo. 

*''  Script.  Ord.  Prœdic.  t.  !,  p.  iv-xv.  '*'  C'est  ainsi  que  le  recueil  se  présente  dans 

'''  Aiiipliss.  coll..  t.  VI,  col.   r>39-.'J48,  d'où  le  manuscrit  780  de  Bordeaux. 


SES  ÉCRITS.  201 

comme  il  a  été  dit,  les  deux  collections  non  encore  séparées;  malheu- 
reusement, les  feuillets  consacrés  aux  chajjitres  généraux  postérieurs 
à  l'année   i3o/i  ont  aujourd'hui  disparu'"'. 

11  ne  semble  pas  avoir  existé  de  collection  oITicielle  des  procès- 
verbaux  des  chapitres  généraux.  Les  résolutions  prises  dans  chaque 
chapitre  étaient  consignées  sur  des  rouleaux  de  parchemin  ou  des 
feuilles  volantes  dont  chaque  couvent  était  invité  à  se  procurer  une 
copie,  pour  la  transcrire  dans  un  registre  spécial,  avec  les  réso- 
lutions du  chapitre  provincial  de  la  province'^*.  Malheureusement, 
bien  peu  de  maisons  avaient  leur  registre,  et  bien  peu  de  ces  regis- 
tres étaient  complets.  Bernard  Gui  eut  fort  à  faire  pour  mettre  sur 
pied  sa  collection,  dont  il  s'occupait  dès  1297  au  moins.  Il  rap- 
pelle lui-même  qu'il  fa  constituée  «ex  diversis  antiquis  rotuhs 
et  quaternis  coUigens  cum  multiplici  tedio  et  labore  <'*  ».  Parmi 
ses  sources,  il  ne  cite  expressément  que  le  registre  de  Figeac,  re- 
montant à  ii55,  et  un  rouleau  annoté  au  dos  par  frère  Etienne  de 
Salagnac'**. 

La  mise  eu  œuvre  a  dû  être  d'autant  plus  longue  que  l'auteur  n'a 
pas  voulu  se  contenter  de  transcrire  fidèlement  les  procès-verbaux 
dont  il  pouvait  rassembler  les  copies  '^',  mais  qu'il  y  a  annexé  diffé- 
rents documents  qui  en  sont  comme  le  complément  naturel  (circu- 
laires des  maîtres  généraux,  bulles  des  papes,  lettres  des  rois,  etc.), 
et  qu'il  y  a  intercalé  de  nombreuses  notes  d'un  intérêt  historique  plus 
ou  moins  considérable  :  biographies  sommaires  des  Dominicains  illus- 
tres qui  ont  pris  part  à  tel  ou  tel  chapitre,  comme  Pierre  de  Parentaise, 
pape  sous  le  nom  d'Innocent  V,  ou  Albert  le  Grand;  pèlerinage  de 

'■'  A  ces  manuscrits  il  faut  ajouter,  outre  publiée  par  Delisie,  p.  879. 

quelques-uns  de  ceux  qui  ont  été  mentionnés  '*)  Delisie,  p.    333,  notes    1    et    a.    Ber- 

ci  dessus,  p.   193,  deux  manuscrits  conservés  nard    Gui    n'a     pas    connu    une    collection 

jadis  dans  les  couvents  de  Langres  et  de  Car-  des  actes  des   chapitres   généraux   antérieure 

cassonne,  aujourd'hui  disparus,  mais  qui  ont  à   la   sienne,  et    formée,  à    ce    qu'il    semhle, 

servi  à  Echard  à  établir  un  texte  des  Acla  dont  en  Italie,  collection  sur  laquelle  on  peut  voir 

l'exemplaire  autographe,  conservé  aux  Archives  une  courte  note  du  P.  Denifle  dans  Archiv  fur 

nationales,  sousles  cotes  LLi5a8  A  et  1 5 a8B,  Litteratur-  tnd  Kirchengeickichle .  i885,   t.  I, 

n'a  pas  été  mentionné    par  Delisie,   mais  a  p.  i4g. 

attiré  l'attenUon  du  R.  P.  Reichert.  W  Pour  les  premiers  chapitres    généraux, 

'*'    Voir   noUmment   les    prescriptions    du  de  laio  à  ia38,  il  ne  donne  que  des  »om- 

chapitre  général  de  Cologne,  en  ia45  (Delisie,  maire»;  à  partir  de  laSg,  ce  sont  les  procès- 

P- ^^' •"*''* ')•  verbaux  eux-mêmes  qu'il  reproduit,  presque 

Lettre  d'envoi   à  Aimeri  de  Plaisance,  sans  lacunes. 

HIST.  LITTÉR.  XXXV  -fi 


202  BERNARD  GUI,  FRERE  PRECHEUR. 

Philippe  III  à  Castres,  en  1272;  tremblement  de  terre  à  Rieti,  eu 
1298,  etc.'". 

Notons  que,  malgré  son  zèle,  Bernard  Gui  semble  s'être  arrêté  à 
l'année  1 3  1 5  ;  mais  son  initiative  a  porté  ses  fruits ,  et  son  recueil  a  été 
continué  dans  différents  manuscrits  avec  plus  ou  moins  de  sollicitude. 

La  compilation  de  Bernard  Gui  et  de  ses  continuateurs,  dont  Mar- 
tene  et  Durand  avaient  donné  une  édition  très  incomplète''^',  a  pris 
place  intégralement  dans  les  tomes  111  et  IV  du  recueil  publié  à  Borne 
sous  ce  titre  :  Monamenta  Ordinis  Fratrum  Praedicatoram  liistnrica  '•^K 
L'éditeur,  le  R.  P.  Reichert,  a  pris  pour  base  le  manuscrit  780  de 
Bordeaux,  mais  il  a  eu  soin  de  faire  appel,  pour  le  corriger  ou  le 
compléter,  aux  autres  manuscrits  originaux. 

Il  est  juste  de  rappeler  que,  dès  i885,  le  chanoine  Douais  avait 
fidèlement  publié,  d'après  le  manuscrit  489  de  Toulouse,  les  actes 
des  chapitres  généraux  tenus  à  Bordeaux  en  1^77  et  en  1287  ''''. 

22.   Actes  des  chm'IThks  provinciaux'"  . 

Démembré  du  recueil  général  des  chapitres  dont  il  a  été  parlé  ci- 
dessus,  le  recueil  des  actes  des  chapitres  provinciaux  a  été  transcrit  à 
part  dans  les  mss.  488  et49o  de  Toulouse,  dans  le  ms.  229  d'Avignon, 
et,  fragmentairement,  dans  un  manuscrit  de  la  Bibliothèque  de  l'Uni- 
versité de  Barcelone.  11  ne  faut  pas  perdre  de  vue  qu'il  est  limité  à  la  pro- 
vince de  Provence,  laquelle  fut  divisée  en  i3o3  et  constitua  dès  lors 
deux  provinces  distinctes  :  la  nouvelle  province  de  Provence  et  la  pro- 
vince de  Toulouse.  A  partir  de  1 3o3,  il  y  a  donc  deux  séries  distinctes 
de  chapitres  provinciaux,  ceux  de  Provence  et  ceux  de  Toulouse. 

Ce  n'est  qu'à  partir  de  i  2^0  que  la  série  des  actes  des  chapitres  de 
Provence  est  à  peu  près  complète,  comme  Bernard  Gui  le  reconnaît 
lui-même,  sans  dissimuler  que,  même  dans  ces  limites,  il  n'a  pu 

'''  Deiisle,  p.  33a-333,  S  187.  '*'   Les  Frères  Prêcheurs  eu  Gascogne,  p.  a3- 

'*'   Thesauras  novas,  t.  IV,  col.  1669-1963.  43. 

''  Acta  capitaloram  generalium,i.l(iSg8)et  '^'  Deiisle,    p.    335-35o,   $$    191-aoo.   — 

Il  (1899).  Le  premier  volume  finit  avec  le  cha-  Ajoulons  que  le  recueil  de  Bernard  (iui  est 

pitre  général  de  Besançon  (i3o3).    11  est  dilTi-  beaucoup  pins  ample  que  celui  du  frère  Rai 

cile  de  dire  quel  est  le  dernier  chapitre  dont  le»  mond  Masqaerie,  rédigé  à  la  demande  de  Bé- 

actes  ont  été  recueillis  par  Bernard  Gui  lui-  renger  de  Landorre ,  alors  prieur  de  la  province 

même,  question  que  ne  semble  pas  s'être  posée  de  Toulouse,  et  poussé  Jusqu'en  i3o8  (Douais, 

l'éditeur;  c'est  probablement  celui  de  i3rj.  ouvr.  cité,  p.  i5). 


SES  KCRITS.  203 

combler  toutes  les  lacunes  ''l  Mise  au  net  pour  la  première  fois  en 
i3o5,  elle  a  été  tenue  à  jour  par  l'auteur  lui-même  à  plusieurs 
reprises,  notamment  en  i3i5;  mais  il  est  difficile  de  dire  à  quelle 
date  il  a  cessé  définitivement  de  s'en  occuper  et  quand  la  tache 
a  été  reprise  par  des  continuateurs  :  le  ms.  229  d'Avignon  va  jus- 
qu'en iSqB,  le  ms.  488  de  Toulouse  jusqu'en  1828,  le  ms.  490 
jusqu'en  1  3^f2. 

Les  actes  des  chapitres  provinciaux  recueillis  par  Bernard  Gui  et 
ses  continuateurs  sont  encore  en  partie  inédits.  Ceux  des  chapitres 
qui  se  sont  tenus  en  Gascogne,  de  1246  (Bordeaux)  à  i34o 
(Condom),  ont  été  publiés,  en  i885,  par  le  chanoine  Douais, 
d'après  le  manuscrit  490  de  Toulouse'^*.  Le  même  savant  avait  en- 
trepris une  édition  intégrale  que  la  mort  ne  lui  a  pas  permis  de 
terminer  ;  le  tome  I*'des  Acta  capitniorum  provinnaliuin  Ordinis  Fratnnn 
Praedicatonim,  publié  en  1894,  ne  dépasse  pas  l'année  i3o2  :  c'est 
le  seul  qui  ait  paru. 

Plusieurs  manuscrits  nous  ont  conservé,  à  côté  ou  à  défaut  des 
actes  mêmes  des  chapitres  provinciaux,  un  catalogue  chronologique 
des  sessions  de  ces  chapitres,  catalogue  qui  est  manifestement  dû 
à  la  plume  de  Bernard  Gui;  il  suffît  d'en  signaler  l'existence'"*'. 


IX.  —  Histoire  de  l'Inquisition. 

23.    Phactica  officii  F!\QUISIT10NIS  **'. 

L'histoire  littéraire  n'a  rien  à  voir  avec  les  .procès-verbaux  des  pro- 
cédures officielles  dirigées  par  Bernard  Gui  contre  les  hérétiques  du 
Midi  de  la  France  au  cours  de  sa  longue  carrière  d'inquisiteur  à  Tou- 
louse (i  307-1  32  3).  Mais  on  ne  saurait  passer  sous  silence  ici  le  recueil 

'''    •  Ab    exordio   quo    Predicaloruin    Ordo  «  ceptis  quibusdam  «jue    nondum   potui ,  sicul 

«cepit  capilola  provincialia  celebrare,  quod  es-  «vomi,    reperire,   que  ab    hiis  qiiibus    fuerit 

•  timo  fuisse   faclutn    anno   Domini    mccxx,  loportunum    suppleri    poterunt    locis    suis» 
«nsque  ad  annuni  Domini  m  ce  xl,  panca  valde  (Delisle,  p.  336). 

«que  reperi  de  capitulis  provincialibus  in  pro-  '*'   Ouvr.  cité,  p.  ôg-aSS. 

•  vincia  Provincie  celebratis  inferius  recoUegi;  '''  Delisle,  p.  34i-3d3;  Douais,  ouvr.  cité, 
«  ab    anno    vero     Domini   m  ce  XL   nsque    ad         p.  35a  et  suiv. 

«annum    Domini    mcccv,    quo    hec    scripsi,  '*'  Article    xiii    de    Delisle,   p.    35i-362, 

•  complecius  ponnntnr  inferius  recollecta,  ei-        S$  aoi-aoo. 

26. 


20'i  BERNARD  GUI,  FRERE  PRECHEUR. 

qu'il  a  composé  sous  le  titre  modeste  de  Practica,  et  qu'une  édition 
récente  a  mis  à  la  portée  du  public  *''. 

Ce  recueil  nous  a  été  conservé  par  quatre  manuscrits  du  \iv*  siècle  : 
Toidouse  387  et  388;  Londres,  Musée  britannique,  Egerton  1897  '^'; 
Rome,  Vatic.  lat.  4o32'^*.  Une  copie,  exécutée  en  1669  d'après  un 
ancien  exemplaire  des  arcliives  des  Dominicains  de  Carcassonne, 
se  trouve  à  la  Bibliolbèque  nationale,  où  elle  forme  les  volumes  29 
et  3o  de  la  collection  Doat  ''*'.  Echard  signale  un  autre  exemplaire, 
que  les  Dominicains  de  Rouen  avaient  cédé  au  couvent  de  la  rue 
Saint-Honoré,  à  Paris;  il  a  disparu  sans  laisser  de  traces.  L'édition 
donnée  par  le  chanoine  Douais  repose  essentiellement  sur  le  ms.  387 
de  Toulouse,  le  meilleur  de  tous,  coUationné  à  l'occasion  avec  le 
ms.  388  de  la  même  bibliothèque. 

La  Practica  a  une  étendue  considérable  '""l  Indiquons-en  tout  de 
suite  l'économie  générale. 

Le  livre  n'a  pas  de  prologue.  11  est  divisé  en  cinq  parties,  suivies 
d'un  Appendice. 

Première  partie.  —  Série  de  trente-huit  formules,  au  nom  de  lin- 
quisiteur  Bernard  Gui,  pour  faire  citer  ou  incarcérer  les  personnes 
accusées  ou  suspectes  d'hérésie,  et  pour  inviter  à  l'audience  tous 
ceux  qui,  comme  témoins  ou  comme  conseillers,  peuvent  être  néces- 
saires au  bon  fonctionnement  de  la  justice  inquisitoriale. 

Deuxième  partie.  —  Série  de  cinquante-six  formules,  la  plupart  au 
nom  de  Bernard  Gui ,  ou  de  l'inquisiteur  non  désigné  nominativement , 
quelques-unes  aux  noms.de  cardinaux  ou  d'évêques  agissant  sur  l'ordre 
direct  du  pape.  Ces  actes  embrassent  les  affaires  les  plus  diverses  au 
sujet  desquelles  l'autorité  ecclésiastique  doit  rendre  des  jugements 
ou  intervenir  pour  sauvegarder  les  intérêts  de  la  foi  :  élargissement 

'■'   Practica    Inqnisilionis   heretice  prnvitatis ,  connu  à  Delisle  et  à  Douais,  signalé  en   1886 

auctorc  Bernnrdo  Gnirfowii...., document  publié  par  le  P.    Denifle  (Arckiv  fiir   Litteratur-  und 

pour  la  première  fois  par  le  chanoine  C.  Douais,  kirchengeschichle ,  1886,  t.  II,  p.  189). 
Paris,  1886,  in-4°-  '*'  Celte  copie  ne  reproduit  pas  l'Appendice 

'*'    Ce  manuscrit,  acquis  en    1860  par   le  de  la  Practica.  qu'on  trouve  dans  le»  exem- 

Musée  britannique,  porte  des  notes  qui  témoi-  plaires  du  xiv'  siècle, 
gnent  qu'il  a  séjourné  longtemps  en  Espagne.  '''  Le  texte  occupe  355  pages  dans  l'édition 

'''    Nianuscrit   provenant  de  Narbonne,  in-  Douais. 


SES  ECRITS.  203 

d'hérétiques  emprisonnés,  imposition,  atténuation,  commutation  et 
remise  de  pénitences,  telles  que  port  de  croix  ou  pèlerinages;  récon- 
ciliation et  absolution  de  Grecs  schismatiques;  concession  de  grâces 
aux  personnes  qui  dénoncent  les  hérétiques  ou  contribuent  à  leur 
capture;  destruction  de  maisons  souillées  par  les  pratiques  héréti- 
(jues;  nomination  de  notaires  et  de  geôliers  de  l'Inquisition;  authen- 
iication  d'extraits  des  registres  de  l'Inquisition;  attestation  du  style  de 
l'Inquisition  en  ce  qui  concerne  les  biens  des  hérétiques  condamnés; 
quittance  des  gages  de  l'inquisiteur;  nomination  de  lieutenants  <'l 
d'inquisiteurs  intérimaires;  conliscation  de  livres  trouvés  entre  les 
mains  des  Jnils  expulsés  par  ordre  du  roi;  absolution  des  frères  de 
l'Ordre  du  Temple  reconnus  innocents,  et  assignation  de  revenus, 
pour  pourvoir  à  leur  entretien,  sur  les  biens  attribués  à  l'Ordre  de 
Saint-Jean  de  Jérusalem. 

Troisième  partie.  —  Pres([ue  aussi  étendue  que  les  deux  premières 
parties  réunies,  la  troisième  partie  est  spécialement  consacrée  aux 
actes  solennels,  rédigés  par  les  notaires  de  l'Inquisition.  Ces  actes  for- 
maient pour  ainsi  dire  l'ordre  du  jour  des  sermons  généraux  ou  actes 
de  foi  célébrés  périodiquement  dans  quelque  notable  édifice  du  culte, 
le  plus  ordinairement  dans  l'église  cathédrale  de  Saint-Etienne  de 
Toulouse  :  prestation  de  serment  par  les  sénéchaux  royaux  et  par  les 
consuls  des  communes;  excommunication  des  personnes  qui  entra- 
vaient l'exercice  de  l'Inquisition;  exposé  des  fautes  des  accusés; 
condamnation  des  coupables;  absolutions,  abjurations  et  réconci- 
liations, etc.  Mais  ici  nous  n'avons  pas  seulement  une  série  de  formules  : 
un  texte  didactique,  souvent  très  développé,  les  précède  ou  les  suit, 
de  manière  à  constituer  un  commentaire  perpétuel  et  à  mettre  en 
lumière  les  différents  aspects  de  la  justice  inquisitoriale.  En  tête, 
l'auteur  a  placé  une  soi  te  de  cérémonial  des  sermons  généraux  '"',  et 
il  nous  donne,  chemin  faisant,  de  minutieux  détails  sur  la  liturgie 
catholique,  notamment  en  ce  qui  concerne  la  dégradation  des  prê- 
tres <^'.  À  propos  des  pèlerinages,  qui  jouent  un  grand  rôle  dans  les 
f)énitences  imposées,  Bernard  Gui  ne  se  contente  pas  d'énumérer 
es  églises  vers  lesquelles  on  acheminait  ordinairement  les  coupables, 

'■'  Édit.  Douais,  p.  83-86.  — '''   Ibid.,  p.  117-119, 


206  BERNARD  GlI,  FRKRE  PRECHEUR. 

il  les  répartit  en  deux  classes  :  percgrinationes  majores,  à  l'étranger,  et 
pereqrinadones  médiocres  seu  minores,  dans  le  royaume  de  France 
et  sur  les  bords  du  Rhône  '".  U  faut  noter  surtout  deux  exposés 
faits  incidemment,  et  comme  pour  donner  au  lecteur  un  avant- 
goiît  des  matières  qui  seront  traitées  plus  au  long  dans  la  cin- 
quième partie  :  l'un  sur  la  hiérarchie  des  ministres  du  culte  chez 
les  Vaudois  <^',  l'autre  sur  les  opinions  des  Pauvres  du  Christ 
ou   Béguins  '^l 

Quatrième  partie,  —  La  quatrième  partie  peut  être  considérée 
comme  un  traité  distinct,  consacré  à  l'autorité  et  au  pouvoir  des  inqui- 
siteurs et  de  l'Inquisition,  traité  que  Bernard  Gui  qualifie  lui-même 
(Vutilis  et  compcndiosa  informatio  inriuisitoram.  Bien  que  l'institution 
s'étende  à  l'ensemble  des  pays  où  règne  la  foi  catholique,  l'au- 
tour vise  plus  particulièrement  la  France  et  l'Italie.  L'office  de  l'Inqui- 
sition a  pour  base  essentielle  les  bulles  et  constitutions  des  papes,  de 
Grégoire  IX  à  Clément  V,  les  décisions  des  conciles,  les  lois  promul- 
guées par  l'empereur  Frédéric  II,  les  privilèges  accordés  par  les  rois 
de  France.  Des  extraits  textuels  de  ces  documents  constitutifs  sont 
reproduits  et  répartis  entre  les  différentes  divisions  du  traité,  lequel 
est  construit  à  la  manière  scolastique.  Un  rapide  coup  d'oeil  suffira 
pour  en  faire  saisir  l'économie. 

L'auteur  indique  ainsi,  dès  le  début,  sa  manière  dé  procéder  : 
(jrca  ojjicium  liniuisitionis  et  inqnisitorum,  tria  principaliter  in  presenti 
opusciilo  siint  nolanda  :  primo  videndiim  est  de  ipsius  ojficii  Tn(jaisitionis 
commissione  ;  secundo  de  ejus  potestate  et  jurisdictione;  tercio  de  ejus 
executione. 

Trois  courts  paragraphes  suffisent  à  traiter  le  premier  point  '*'. 
Pour  nous  faire  comprendre  l'importance  du  second,  l'auteur  croit 
devoir  décompo.ser  la  «  grandeur  »  de  l'Inquisition  en  hauteur,  en  lon- 
gueur, en  profondeur  ou  solidité,  et  en  largeur.  La  hauteur  et  la 
longueur  sont  expédiées  en  quelques  lignes  '^';  la  profondeur  ou  soli- 
dité demande  quelques  pages  '^';  la  largeur  donne  lieu  à  un  long  déve- 
loppement, divisé  en  deux  sections,  dont  la  première  comprend  vingt 

'■'   Édit.  Douais,  p.  94-97;  cf.  p.  166.  ''•  Édil.  Douais,  p.  174-175. 

")  Ibid..  p.  1 36-1 38.  '"  /W.,|i.  .7(). 

"1  îhid..  p.  i45-i5o.  '"  Ihid.,  p.  176-185. 


SES  ÉCRITS  207 

articles  et  la  seconde  douze"'.  Le  troisième  point  comporte  deux  divi- 
sions :  Libertas  expedita  execfuendi  officium,  et  Forma  débita  procedendi 
ad  actiim  et  exercitium  ;  la  première  comprend  cinq  articles,  et  la 
seconde,  trois '^'.  Les  deux  derniers  de  ces  articles  sont  courts,  mais 
offrent  un  intérêt  particulier,  parce  qu'ils  touchent  à  la  personne 
même  de  celui  qui  doit  exercer  le  redoutable  office  d'inquisiteur. 
L'auteur  les  a  ainsi  résumés  :  Secandus  est  modus  ipsius  ugentis,  at 
sit  fonnatus  et  regulalus  in  bunuiii  ;  tertius  est  species  seu  forma  ipsitis 
judicantis  et  punientis ,  ut  apparent  ejus  animas  non  solumjastas  intenus 
(juantum  ad  habitum,  sed  modestus  et  pius  (juantum  ad  exlerioivm  actum  '^^. 
Étant  donné  le  but  de  l'Inquisition  et  les  mœurs  du  temps,  rien  de 
plus  humain  ne  pouvait  sortir  de  la  plume  de  Bernard  Gui. 

Cinquième  partie.  —  Elle  est  intitulée  :  De  modo,  arte  et  mgenio 
incjuirendi  et  examinandi  fiereticos,  credentes  et  complices  eorumdem.  ^près 
quelques  considérations  sur  les  hérétiques  en  général  [Instructio  seu 
informalio  generalis) ,  l'auteur  traite  successivement  des  Manichéens, 
des  Vaudois,  des  Pseudo-Apôtres,  des  Béguins,  des  Juifs  convertis 
qui  reviennent  au  judaïsme,  des  sorciers**'.  Pour  les  quatre  premières 
catégories,  quahfiées  de  sectes,  un  historique  très  développé  précède 
le  détail  de  l'interrogatoire  qu'il  convient  de  faire  subir  aux  accusés. 
En  ce  qui  concerne  les  Juifs,  l'auteur  analyse  quelques-uns  de  leurs 
livres.  Pour  les  sorciers,  il  se  contente  de  tracer  le  cadre  de  l'interro- 
gatoire. Viennent  ensuite  des  formules  applicables  aux  différentes 
sectes  d'hérétiques. 

L'Appen(Hce,  que  l'édition  Douais  ne  sépare  pas  de  \aPractica  pro- 
prement dite,  comprend:  i°  le  texte  intégral  de  quelques  bulles  et 
constitutions  relatives  à  l'Inquisition^*;  2"  une  formule  d'abjuration  '*'; 
3°  un  long  mémoire  sur  la  secte  des  Pseudo-Apôtres,  au  cours  duquel 
nous  trouvons  un  certain  nombre  de  bulles  de  papes,  une  correspon- 
dance entre  Bernard  Gui  et  Rodrigue,  archevêque  de  Saint-Jacques 
de  Compostelle  (i3i6),  des  manuels  d'interrogatoire  et  des  formules 
d'abjuration  '^'. 

'■'  Édit.  Douai»,  [j.  iSS-îog.  "'  Édit.  Douais,  p.  3o4-3a5. 

"'  /61W.,  p.  209-333.  '"  /fciW..  p.  3a5-327. 

1')  /6i(/.,  p.  217.  '''  /ftiii.  p.  337-355. 

(♦)  Ibid.,p.  a35-3o4. 


208  BEHNAliD  GUI,  FRÈRE  PRÈCHEl  H. 

Tel  est,  dans  son  ensemble,  le  volumineux  recueil  fie  rofTice  de 
l'Inquisition  auquel  Bernard  Gui  a  donné  le  nom  de  Practica.  À  quelle 
date  l'auteur  en  a-l-il  eu  la  première  idée  ?  Il  est  difficile  de  le  dire. 
Presque  toute  sa  carrière  inquisitoriale  s'y  trouve  reflétée.  Les  actes 
qui  y  sont  reproduits,  à  titre  de  formules,  sont  pour  la  plupart  des 
actes  réels,  dont  les  dates  précises  ont  quelquefois  été  conservées  :  ces 
dates  vont  de  1809  à  1 821.  La  date  de  182 5  y  est  énoncée  comme 
n'étant  pas  encore  échue  '*',  ce  qui  prouve  que  l'auteur  avait  mis  la 
dernière  main  à  son  recueil  avant  (fclre  relevé  déiinilivement  de 
ses  fonctions  d'incjuisiteur  (décembre  i323).  Delisle  a  justement 
remarqué  que  le  traité  sur  la  secte  des  Pseudo-Apôtres,  qui  figure 
dans  fAppendice,  date  de  l'année  iSiG  et  a  été  inséré  sous  sa  forme 
primitive  dans  la  Practica.  La  quatrième  partie  paraît  aussi  avoir 
formé  un  traité  distinct;  la  rédaction,  postérieure  à  la  mort  de  Clé- 
ment V  (i4  avril  1.8 1  4) ,  peut  avoir  précédé  l'élection  de  Jean  XXll 
(7  août  i3i6). 

La  Practica  de  Bernard  Gui  est  une  mine  extrêmement  riche  où 
l'historien  curieux  de  connaître  les  manifestations  de  la  vie  religieuse 
au  xiii"  siècle  et  au  commencement  du  xiv*  a  beaucoup  à  prendre'-'; 
mais  il  ne  faut  pas  lui  demander  les  qualités  d'ordre  et  de  symétrie  qui 
donnent  du  prix  à  une  œuvre  d'art  longuement  méditée  et  parfaitement 
élaborée.  Débordé  par  une  matière  dont  il  était  pour  ainsi  dire  le 
centre  et  qui  s'amplifiait  au  jour  le  jour  sous  ses  yeux  par  sa  propre 
contribution,  au  furet  à  mesure  que  se  déroulait  sa  carrière  inquisi- 
toriale, l'auteur  n'a  pas  réussi  à  établir  un  cadre  rigoureux  où  chaque 
chose  se  trouve  à  sa  place  naturelle.  La  quatrième  partie,  consacrée  aux 
sources  mêmes  de  l'autorité  de  l'Inquisition,  aurait  dû,  semble-t-il, 
ouvrir  le  recueil.  Les  formules,  qui  forment  le  fond  unique  des  deux 
premières  parties,  débordent  sur  les  autres  et  envahissent  jusqu'à 
l'Appendice  ;  il  aurait  fallu  les  reléguer  tout  à  la  fin  et  les  classer  d'après 
un  système  méthodique.  On  saisit  mal  le  principe  même  de  la  divi- 
sion en  cinq  parties,  dont  la  juxtaposition  n'obéit  à  aucun  enchaîne- 
ment logique.  Et  dans  chaque  partie,  considérée  en  elle-même,  que 
de  disparates  et  de  bigarrures  !  Assurément,  la  Practica  est  mal  com- 

'''  Édit.  Douais,  p.  a^ô.  Beniardus  Guidonis  Inquisilor  and  die  Aposlel- 

'*'  Elle  a  été  particulièrement  utilisée  pour  brader,  ein  Beitrag  zar  EntstehvJigigeschichte  der 
l'histoire  des  Pseudo-Apôtres;  cf.  HugoSachsse,         Practica,  Rostock  ,  189a  ,'^0-4*,  58  pages. 


SES  ÉCRITS.  209 

posée.  À  ce  point  de  vue,  elle  ne  peut  rivaliser  avec  le  D'uectonnm 
imjmsilomm  rédigé,  vers  la  fin  du  xiv*  siècle,  par  un  Dominicain 
catalan,  frère  Nicolas  Eynieric,  et  qui  jouit  d'un  succès  prolongé 
jusqu'à  la  fin  du  xvi*  siècle,  tandis  que  le  recueil  de  Bernard  Gui  fut 
assez  vite  relégué  dans  l'oubli.  Et  pourtant  notre  auteur  n'a  pas 
seulement  le  mérite  d'avoir  ouvert  la  voie  à  son  émule.  Malgré  ses 
défauts,  la  Practica  conserve  une  supériorité  historique  et  morale 
;5ur  le  Dircctorium  :  la  vie  y  circule  sous  le  réseau  enchevêtré  d'un 
organisme  encore  mal  équilibré.  L'érudit  qui  l'a  étudiée  avec  le  plus 
de  pénétration,  et  qu'on  ne  saurait  accuser  d'un  parti  pris  de  bien- 
veillance, Charles  Molinier,  a  conclu  son  étude  par  cette  remarque, 
où  l'on  ne  peut  voir  qu'un  éloge  pour  Bernard  (iui  :  «  Ce  n'est  plus 
•  seulement  l'Inquisition  qui  se  révèle  à  nous  dans  son  exercice, 
(  c'est  l'inquisiteur  lui-même  qui  nous  livre  jusqu'à  un  certain  point 
"  les  secrets  de  sa  pensée  et  de  sa  conscience'''.  " 

X.  —  Histoire  locale. 

L'origine  limousine  de  Bernard  Gui,  son  long  séjour  à  Toulouse, 
ses  dernières  années  passées  sur  le  siège  épiscopal  de  Lodève  nous 
offrent  naturellement  les  trois  cadres  dans  lesquels  nous  allons 
grouper,  pour  les  passer  en  revue,  ses  opuscules  relatifs  à  l'histoire 
locale,  selon  les  diocèses  qu'ils  concernent  :  Limoges,  Toulouse, 
Lodève. 

A.  —  Limocfes. 

24.  Priores  Ordinis  Artigie'^'^K 

Opuscule  de  peu  d'étendue,  sans  préambule,  qui  commence  par 
ces  mots  :  «  Primas  prior  et  fundator  Ordinis  Artigie.  »  L'auteur  en  a 
donné  deux  éditions  et  un  abrégé. 

La  première  édition  est  datée  de  Toulouse,  le  2  5  novembre  i3ii, 
par  ces  derniers  mots  du  texte  :  «  Tholose,  in  festo  sancte  Katherine 
«  virginis  et  martiris,  anno  Domini  M°  ccc"  x°  11°.  »  Nous  en  possédons 

f   L'Inquisition   dans  te  Midi  de  la  Fiance.  S   il 5- 116.  L'Artige    est    un    hameau    de    la 

p.  a36.  commune  de  Saint-Léonard,  arrondissement 

<''  Article    XIII    de    Delisle,    p.    a65-266,  de  Limoges. 

HisT.  iiiTÉn. —  XXXV.  37 


■■rullBut 


210  BERNARD  GLI,  FRERK   PKECIltXU. 

trois  exemplaires  originaux,  où  Ion  a  transcrit  après  coup  les 
additions  qui  caractérisent  la  seconde  édition  :  Bibl.  nat.,  nouv. 
acq.  lat,  1171;  Toulouse  45o  ;  Rome,  Vatic.  Regin.  lat.  70S' 
(inconnu  à  Delisle). 

La  seconde  édition  contient  deux  indications  complémentaires,  la 
mort  du  douzième  prieur,  Pierre  de  Pralis,  (;n  août  i3i3,  et  l'élec- 
tion de  son  successeur,  frère  Gui,  de  la  paroisse  de  Cliamberet^''. 
Elle  se  termine  par  ces  mots  :  «  Successif  memorato  Petro  de  Pratis 
«  anno  Domini  m"  ccr,"  xiii".  »  Outre  les  trois  manuscrits  cités,  elle 
se  trouve  dans  131bl.  nat.,  lat.  ^977  et  5929,  ainsi  que  dans  le  manu- 
scrit de  Trinity  Collège,  coté  R.  4-  28  '. 

L'abrégé  ne  comprend  que  la  vie  du  vénitien  Marc,  fondateur  de 
la  maison.  Il  se  termine  par  cette  mention  complémentaire  :  «  Fuerunt 
«autem,  usque  adannum  Domini  m  ccc  xii,  pri  ores  Ordinis  Artigie 
«  numéro  xiii.  »  On  le  trouve  dans  trois  manuscrits  :  Bibl.  nat., 
lat.  4988,  ^1989  et  4990. 

Lablie  a  publié  (|U('l([ues  extraits  de  notrr  opuscule  daprès  un 
manuscrit  de  Paul  P^tau,  qui  n'est  autre  ([ue  le  manuscrit  du  Vatican 
cité  ci-dessus  '^'. 

Une  traduction  française  en  a  été  laite  par  frère  Jean  Golein, 
en  1369;  le  seul  manuscrit  qui  nous  l'ait  conservée  (Vatic.  Regin. 
lat.  697)  étant  mutilé,  nous  ne  savons  quelle  édition  le  traducteur 
a  eue  sous  les  yeux  ''*'. 

Des  copies  modernes  du  texte  latin  des  Pr tores  Artigie  ont  été  signa- 
lées par  G.  de  Senneville'^'  darjs  la  collection  Baluze  (Bibliothèque 
nationale),  à  la  Bibliothèque  Sainte-Geneviève  et  dans  les  archives 
du  château  de  Nexon**''.  Différents  érudits  ont  utilisé  la  notice  de 
Bernard  Gui,  quand  ils  ont  eu  à  parler  du  prieuré  de  L'Arlige; 
toutefois  aucun  d'eux  ne  s'est  soucié  d'en  donner  une  édition  d'après 
les  manuscrits  originaux.  Le  cartulaire  de  cette  maison  a  été  publié 


"1   Gant,  de  Treiguac  ,  air.  de  Tuile.  j).(ii/i;  reimpr.  parFI.Cornelio,  Venelœ ecclefia; 

'"'   M.  R.James,  Tke  western  iiiss.  in  the  libr.  illustratte  (Venise,  1749),  '■  II,  P.  374-276. 
of  Trinity  Collège,  t.  I[  (içjoi),  p.  i5a.  Delisle  ''    Mélange:'  publiés  |)ar  l'Ecole  française  de 

a  inenlioiiné  ce  manuscrit,  mais  sans  pouNoii-  Uonie,  1 881,  t.  1,  p.  a68  et  371. 
dii-e  quelle  édition  il  contenait.  "     liull.  de  la  Soc.  arch.  et  hisl.  du  Limousin 

''  iVoDO    bibl.   mss.  libr..   t.   Il,  p.   -^78,    et  1900,  t.  \LVIII,  p.  ài\.  n.  2. 
Abrégé  royal  de  l'Alliance  chronologique,  t.  I,  ''     Ait.  de  Saint-Vrieii. 


SES  ECRITS.  211 

eu  iQoo''';  la  comparaison  du  texte  de  Bernard  Gui  avec  les  données 
qu'il  fournit  montre  que  les  informations  de  notre  auteur  ont  été 
j^énéralenient  puisées  à  bonne  source. 

25.   Priores  Ordinis  Grandimontis^^\ 

L'état  le  plus  ancien  de  cet  opuscule  nous  est  conservé  par  un 
manuscrit  original  ^Bibl.  nal.,  lat.  nouv.  acq.  1171),  où  le  texte  s'ar- 
rêtait primitivement  0  la  mort  du  vingt-et-unième  prieur,  Guillaume 
de  Puimoreau  (10  mars  i3i3),  avec  ces  mots  :  "  Obiit  vi  ydus 
«  martii,  anno  Domini  m°  (.cc°  x"  m".  » 

Inc.  :  Prinius  prior,  institutor  Pt  lundîitor  Ordinis  tirandimontensis.  .  . 

L'auteur  a  ajouté  après  coup  la  mention  de  l'élection  du  vingt- 
deuxième  prieur,  Jourdain  de  Robastens,  ce  qui  constitue  une 
deuxième  édition,  finissant  par  ces  mots  :  "  tertia  vel  quarta  die  maii, 
u  anno  Domini  m"  ccc"  xiii°».  On  la  trouve,  transcrite  d'une  seule 
teneur,  dans  le  ms.  Vatic.Regin.  lat.  7o5';  elle  a  été  traduite  en  fran- 
(;ais,  en  1869,  par  frère  Jean  Golein,  et  cette  traduction  est  conser- 
vée dans  le  ms.  Vatic.  Regin.  lat.  Ogy''''. 

La  deuxième  édition  a  servi  de  base  à  un  abrégé,  qui  ne  ren- 
ferme que  la  vie  du  fondateur  de  l'Qj'dre,  saint  Etienne  de  Muret  II 
se  termine  par  cette  mention  complémentaire:  «  Fuerunt  autem 
«  usque  ad  annum  Domini  m  ccc  xiii,  priores  Ordinis  Grandimontis 
i<  numéro  xxii.  »  Gel  abrégé  se  trouve  dans  trois  manuscrits  :  Ribl. 
nat.,  lat.  4y88,  4989  et  4990. 

Une  troisième  et  dernière  édition  a  reçu  un  assez  long  supplément, 
où  sont  racontés  les  troubles  survenus  dans  l'Ordre  de  Grandmont, 
l'intervention  du  pape  Jean  XXII  pour  les  faire  cesser,  et  l'érection 
du  prieuré  en  abbaye;  le  récit  s'arrête  avec  ces  mots,  relatifs  à  la 
bénédiction  du  premier  abbé,  Guillaume  Pelicier,  à  Avignon  :  <i  id- 
«  tima  die  aprilis,  sub  anno  Domini  m"  ccc"  x"  vni°  ».  Nous  en  possé- 
dons trois  exemplaires  originaux  (Bibl.  nat.,  lat.  5929  ;  Toulouse  4 5o; 

'"'  Par  G.  de  Senneville,  Bulletin  rite,  vestre,  canton  d'Ambazac,  arr.  de  Limoges, 
t.  XLVIII.p.  293  ft  suiv.  '''  Mélanges  publiés  par  l'Ecole  française  de 

'''  Article    XII    de    Delisle,     p.     363-265,  Rome,    1881,  t.  I,   p.    368  el  271.  Delisle  a 

$$   iia-i)/|.   Grandmont   est   aujourd'liui   un  ignoré  l'existence  de  ces  deux  manuscrits  du 

hameau     de     la     commune     de     Saint -Svl-  Vatican. 


212  BERNARD  GUI,  FRÈRE  PRECHEl  R. 

Vatic.  Regin.  lat.  7o5',tjui  contenait  d'abord  la  deuxième  édition), 
et  deux  exemplaires  anciens  (Bibl.  nal.,  lat.  4977,  et  Cambridge, 
Trinity  (Collège,  11.  /|.  ^3),  plus  une  co])ie  de  la  main  de  Baluzc, 
prise  vraisemblablement  sur  le  inanusciit  de  Toulouse  (Bibl.  nat., 
coll.  Baluze  92). 

Labbe  a  impriini'deux  fois,  identi(pieinent,  lesPriores  Grandimuntis, 
en  i65  i'''et  en  i()57'"',  d'après  le  manuscrit  038  de  Pelau,aujourd'bui 
Vatic.  Bcgin.  lai.  705';  malb(.'ureusement,  il  a  fait  beaucoup  de 
couj)ures  dans  le  texte  de  Bernard  Gui  que  lui  louruissait  ce  manu- 
scrit. En  1  729,  Mai  Icuc  cl  Durand  ont  publié  fidèlement,  d'après  le 
manuscrit  de  Toulouse,  le  récit  linal  de  la  ({(M'uière  édition'"*'.  En  1  8r)5, 
Natalis  de  Wailly  a  mis  au  jour,  d'ajjrès  les  manuscrits  4977  et  ^929 
intégralement  rejjioduits,  les  derniers  articles,  à  partir  de  Foucber 
Grinu)ard,  dix-scplieuje  prieur''*'.  En  somme,  nous  ne  ])ossédons 
pas  une  b(jnne  édition  de  cet  opuscule,  lait  d'autant  plus  regrettable 
que  rim])orlance  de  l'Ordre  de  Grandmont,  au  point  de  vue  littéraire 
aussi  bien  qu'au  point  de  vue  religieux'"'',  mérite  (pi'on  étudie  avec 
soin  les  monuments  anciens  de  son  bistoire. 

11  ne  faut  pas  cependant  surfaire  le  mérite  des /Vfo/'<?5  Grandunontis 
de  Bernard  Gui,  ni  s'attendre  à  y  trouver  plus  que  l'auteur  n'a  voulu 
y  mettre'*^',  d'est  un  précis,  non  une  bistoire,  qu'il  a  entendu  rédiger, 
et  il  a  rarement  dépassé  son  iutention.  H  s'étend,  il  est  vrai,  avec 
quelque  complaisance  sur  la  biograpbie  du  fondateur  de  l'Ordre, 
saint  Etienne  de  Muret,  et  sur  les  détails  de  la  réforme  accomplie 
par  Jean  XXII,  détails  qui  se  retrouvent  textuellement  dans  ses 
Flores  chronicoram.  Mais,  pour  le  reste,  ce  ne  sont  que  de  courtes 
notes  qu'il  oifre  au  lecteur,  sans  lui   en  dissimuler  l'état  précaire: 

'"'   Abie(jé  royal  de  t'AUuiiice   chronolo(jique ,  l'abbaye  de  Grandmont  (Paiis,    1877),  p.  111, 

j).  608-61  ■>,.  noie  ;  Camille  Couderc,  Les  manuscrits  de  iab- 

'■'   Nova  bibl.  mss.  libr..  Il,  276-277.  baye  de  Grandmont ,  dans  Bibl.  de  l'Ecole  des 

'''  A  m  plbis.  coU.,  l.W,  col    i46-i48.  chartes,   1901,  t.  LXIl,  p.  363  373. 

'*'    Historiens  de  la  France,  t.  XXI,  p.  76 1-  "'   liappelons   le  jugement  de    Marlene    et 

762.  Durand,  qui  anrait  été  sans  doute  plus  équi- 

'"   Voir  surtoul  un   article  de  D.  Hauréau,  tabli;  envers  Bernard  Gui   si  les  savants  Béné- 

qui  constitue  un  supplément  important  à  VFlis-  dictins   s'étaient    rendu    compte  que  le  texte 

loirc  liltcraire,  <lans  Notices  et  extr.,  t.  XXIV,  publié  par  Labhe  n'était  qu'un  texte  tronqué: 

2*  partie  (1876),  p.  247-267  ;  cet  article  tst  «De  prioribus  Grandimontis  scripsit  Bernardus 

intitulé:  .Sur  quelques  écrivains  de   l'Ordre  de  «Guidonis...,    sed   leviora  sunt,  immo    levis- 

Grandmont,  d'après  le  n"  iliSl  de  la  Bibl.  nat.  •  sinia    qu;e    refert  •    (  Ampliss.    coll.,    t.    VI, 

CI'.  Louis  Guiberl,   Destruclii>n  de  l'Ordre  et  de  col.  i  i,'<). 


SES  ECRITS. 


213 


ici  il  laisse  une  date  en  blanc'";  là,  ajjres  avoir  affirmé  un  fait, 
il  remarque  qu'il  est  contredit  par  un  autre  témoignage'^*;  ailleurs  il 
se  plaint  de  manquer  d'informations  '*'.  11  s'est  pourtant  donné  de  la 
peine  pour  se  documenter:  il  est  allé  à  Graudmont-niême,  car  on 
constate  qu'il  a  fait  des  emprunts  au  iamoAW Spéculum  constitué  parle 
septième  prieur,  (jérard  Itier'''';  il  a  mis  aussi  à  profit,  d'après  un 
manuscrit  de  Saint-Martial  de  Limoges,  la  chronique  du  prieur  de 
\igt'ois'''\  On  ne  peut  sans  injustice  lui  reprocher  d'avoir  ignoré  les 
curieuses  notes  du  chroniqueur  Bt'rnard  Itler,  bibliothécaire  de  Saint- 
Martial  un  siècle  au|)aravant,  le([uel  j)()itait  «î  Grandinont  un  intérêt 
particulier"'':  (Mifuui(!s  dans  quehpies-uns  des  manuscrits  conliés  à  sa 
garde  et  où  il  les  avait  jetées  pêle-mêle,  cc^  notes  semblaient  défier 
toute  recherche  suivie.  A  ])lus  forte  laison  n'a-t-il  pu  connaître  ni 
une  verbeuse  chronique  rédigée  à  Grandmont  même,  ni  l'abrégé  qui 
en  a  été  fait  peu  après:  ces  deux  documents,  qui  s'arrêtent,  comme 
l'opuscule  de  Bernard  (îui,  à  la  nomination  du  premier  abbé,  sont 
certainement  postéiieurs  de  (juelques  années  à  fépoque  où  notre 
auteur  s'est  mis  à  l'œuvie'^'.  H  est  indispensable,  toutefois,  pour  se 
formtM-  une  opinion  définitive  sur  la  valeur  piopre  des  l'nores  Graïuh- 
monlis,  de  comparer  cet  opuscule  aux  écrits  similaires  do'it  nous  ve- 
nons de  rappeler  f  existence  et  avec  lesquels  il  offre  d'assez  nombreuses 
divergences  de  détail.  C'est  une  tâche  qui  incombe  à  la  criticjue  his- 
torique et  que  nous  ne  pouvons  aborder  ici'"'.  Nous  nous  contenterons 


'■'  Par  excin|)le,  au  sujel  de  la  inorl  du  i4* 
prieur,  et  de  la  résignation  des  19.',  i3',  i5' 
el  i6*  (jrieurs. 

'*'  A  proi)os  du  troisième  prieur,  il  écril  : 
u  In  Grandiiuonte  diem  clausit  extremum  sujj 

•  anno  Doiuini,  ul  eslimo,  m°  c°  xl°  i°  ; 
u  alicubi  vero  scribitur  quod  ipse  prioralui  resi- 
«gnavit»  (Bibl.  nat.,  lat.  âgag,  fol.  y^)- 

'''  •  De  quo  notatuni  amplius  non  inveni  <> 
(8*  et  lo"  prieurs);   «de  quo    scriptum   aliud 

•  non  inveni»  (9'  prieur),  etc. 

'*'  Voici  une  citation  à  joindre  à  celle  qu'a 
faite  Delisle  :  iSicut  habetur  et  scribitur,  e\ 
«  quodam  miracuio  tune  patrato,  in  libro  qui 

•  ibidem  Spéculum  nominatur»  (Bibi.  nat., 
lat  6929,  loi.  7^'). 

'''  •  In  quodam  libro  aniiquo  Sancti  Mar- 

•  cialis  scribitur  qnod  iste  Petrus  Bernard!  luit 
«  frater  Bernard!  Aymerici,  militis  de  Ere ...» 


[Ibid.).  Il  s'agit  du  5*  prieur;  Bernard  Gui  a 
conigé  et  modifié,  d'après  ce  manuscrit  (cf. 
Labl)c,  Aoi'n  bibl.,  t.  11,  p.  317),  ce  qu'il  en 
avait  dit  dans  sa  première  édition. 

'*'  Voir  l'édition  de  Duplès-Agier,  Chroniques 
de  Saint-Mui  liai  de  liiiiioges .  p.  48,  49,  52  ,  53, 
54.  57,  94,  95,  98. 

'''  Ils  ont  étépiJjliés  par  Marteneet  Durand, 
sous  les  titres  de  :  Hisloiia  prolixior  el  Historia 
brevis  piiorum  Grandimonleiisium ,  dans  Am- 
pliss.  coll.,  t.  \1,  col.  ii3-i46. 

"'  Quelques  efforts  ont  été  faits  dans  cette 
direction,  mais  sans  esprit  de  suite,  par  le 
chanoine  A.  Lecler  au  couis  de  sa  volumineuse 
Histoire  de  l'abbaye  de  Grandnwnt,  publiée, 
de  1907  à  1910.  par  le  Bail,  de  la  Soc. 
arch.  et  liist.  du  Limousin,  t.  LVll,  p.  129-171, 
413-478;  LVllI,  p.  44-94,  431-497;  LIX, 
p.  i4-C6,  etc. 


2U  BEH.WRD  GLl.   FRÈRE  PRÊCHEUR. 

(le  remarquer  que ,  dans  le  cadre  étroit  qu'il  s'était  assigné ,  Bernard  Gui 
a  porté  son  attention  sur  quelques  points  dont  ses  prédécesseurs  ou 
ses  émules  ne  paraissent  point  s'être  souciés,  et  a  seul  transmis  à  la 
postérité  quelques  faits  qui  ne  manquent  pas  d'intérêt  :  presque 
toujours,  par  exemple,  il  nous  informe  du  lieu  d'orif^nne  de  chaque 
prieur  ",  et  nous  lui  devons  un  curieux  renseignement  sur  l'éducation 
du  futur  pape  Clément  V  dans  la  maison  grandmonlaine  de  Defès'^'. 
Dans  les  Prions  Giundimontis,  comme  dans  la  plupart  de  ses  œuvres, 
l'histoire  recueille  les  bénéllces  de  son  inépuisable  ruriosité. 

26.     NOMINA  EPISCOPORUM  LEMOVICEySlUM  '^'. 

Inc.  :  l^rimus  omnium  episcoporum  sedis  Ijemovicensis  tuit  bealissimns  Mar- 
lialis.  .  . 

Comme  l'a  remarqué  Delisle,  nous  ne  possédons  pas  cet  opuscule 
sous  sa  première  forme.  La  rédaction  la  plus  ancienne  (jui  nous  soit 
parvenue  est  datée,  dans  le  litre,  de  Toidouse  i  3i6,  et  porte  déjà  la 
trace  de  certains  remaniements.  Par  un  heureux  hasard ,  la  forme  primi- 
tive, dont  le  texte  latin  a  disparu,  est  celle  qu'avait  sous  les  yeux  frère 
Jean  (iolein,  et  qu'il  a  traduite  en  français  en  i36r);  nous  savons, 
grâce  au  traducteur,  que  Bernard  Gui  en  avait  terminé  la  rédaction 
le  r'  mai  i  3  i  5  '*'. 

L'édition,  datée  de  i3i6,  vingt-deuxième  année  de  l'épiscopat  de 
iiainaud  de  La  Porte,  se  termine  par  ces  mots  :  «  Lemovicenseni  ec- 
..  clesiam  ornât  et  gubernat  hodie  quo  hec  scripsi.  »  Elle  nous  a  été 
conservée  par  le  manuscrit  Bibl.  nat.,  nouv.  acq.  lat.  1171  et  par  le 

''   11  nous  apprend  notamment  qae  Bernard  >  postmodum  papa  Clemens»  (Bibl.  nat.,   lat. 

de  GaiididiiKir  clail  du   diotésc  de   l'érigueux  ;  -^g^;).  fol-  74).  Le  séjour  de  Clément  \   entant 

cela  nous  permet  dalTiriner  que  son  nom  de  à   Defès  n'a    pas   été  mentionné    dans    la   no- 

l'amille.  (lue  i'WiVioriVi  /ireri'i  altère  en  firriHfiu/-  tire    que    lui  a    consacrée   Y  Histoire    littéraire, 

niar  et  \  llistoria  piolLxior  en   (iaudalinar,   est  t.  XXVllI,  p.  a^a-il'i. 

emprunté    au  village  de  Gnndiimnt ,  romm.  de  "'   Article  ix  de  Oolisle,  p.   iSç)  tGo.SS  i0.5- 

I^nssac,  cant.  de  Lanouaille,  arr.  de  Nonlron.  107. 

'*'  Conim.  de  Ferrensac,  cant.  de  Casfdlon-  ''  •  Cestuy  régnant  gouvermiit  l'église  de 
nés,  arr.  de  Villeneuve-sur- l.ol.  Delisle  a  «  l.ymoges  au  temps  que  reste  cronique  fu  or- 
relevé  le  fait ,  mais  en  tronquant  fâcheusement  "denee.es  kalendes  de  may  l'an  de  Nostre 
le  début  du  texte  de  Bernard  Gui,  (|ue  voici  «Seigneur  mil  c.r.r.  et  xv,  et  l'an  xxi*  de  son 
aucomiilet  :  •>  l'etnis  de  Causaco...  Hic  in  domo  «eveschié,  vacant  le  saint  siège  de  Rommei 
•  de  I>lenso,  OrdinisGrandimontis,  ind\ocesi  (  ms.  Vatic.  Regin.  lat.  697,  fol.  iib ,  dans 
.  .\gennensi ,  aliquo  tempore  educavit  dominum  Mél/injef  publiés  par  l'Ecole  française  de  Borne, 
■  Bertrandum  de  Gotlio  in    puericia,  qui   fuit  1881,  t.  I,  p.  ^71). 


SES  ECRITS.  2ir) 

ms.  Oltobon.  lai.  loaS  du  Vatican'".  Elle  se  trouvait  probableuienl 
(à  moins  que  ce  fût  la  première)  dans  le  ms.  Vatic.  Regin  lat.  706', 
qui  est  malheureusement  incomplet,  et  où  la  lin  de  la  dernière 
édition  a  été  transcrite  par  une  main  postérieure.  On  l'a  reconnue 
avec  certitude  dans  le  premier  état  du  manuscrit  45o  de  Toulouse, 
où  elle  a  été  de  même  allongée  après  coup. 

La  dernière  édition  est  datée  de  Toulouse,  i  3'io  ;  elle  va  jusqu'au 
sacre  de  l'évèque  (jéraud  Roger  (i3  février  i3i7),  et  ses  derniers 
mots  sont  :  «in  vigilia  sancii  Valenlini».  Nous  en  connaissons  huit 
manuscrits  anciens  :  trois  à  la  Bibliothèque  nationale  (lat.  /4()77,  5o^3 
et  5929),  un  à  la  Bibliothèque  de  Toulouse  (n"  4>^H)],  un  à  laBiblio- 
thequedu  Vatican  (Regin.  lat.  700'),  un  à  la  Bibliolhècjue  \allicellano 
de  Rome  (B  29,  dont  une  copie  moderne  se  trouve  à  Bruxelles  sous 
le  n"  860  i),  un  à  la  Bibliothèque  de  l'Escorial  (P.  i.  i5,  décrit  dans 
Aiitolîn,  Catàlofjo  cité,  t.  lll,  j).  2(37)  et  un  à  la  Bibliothèque  de  I^is- 
bonne  (Alcobaça  295).  Delisle  a  noté  en  outre  l'existence  d'une 
copie  dans  le  tome  92,  p.  48-73,  de  la  collection  Baluze,  à  la  Biblio- 
thè([ue  nationale.  Cette  copie  est  de  la  main  même  de  Baluze;  elle 
doit  provenir  du  ms.  45o  de  Toulouse,  dont  elle  reproduit  le  litre. 
Deux  autres  copies,  non  signalées  par  Delisle,  se  trouvent  dans  le 
volume  44  de  la  même  collection,  toutes  deux  de  la  main  d'André 
Du  (Ihesne,  aux  folios  io5-i  it  et  1  i3-i20.  L'une  et  l'autre  oflrent, 
dans  le  litre,  la  date  de  iSig,  et  non  i320,  comme  les  manuscrits 
anciens  que  nous  connaissons  directement  ''^'.  Celle  qui  s'étend  du  folio 

''  Ce  nianuscril  u'esl  pas  nienliuiiiie  par  réteà  Eusiorgius,  44'évêque  ;  c'est  l'u;uvre<J'un 
Delisle.  A  la  suite  ciu  texte  de  Bernard  Gui ,  il  érudit  du  xvii'  siècle,  qui  critique  Bernard  Gui 
contient  une  continuation ,  œuvre  de  différents  et  cite  Surius.  A  la  suite  se  trouve  un  catalogue 
auteurs,  dont  la  Un,  rédigée  en  français,  >a  sommaire  des  évéques  de  Limoges,  provenant 
de  Charles  de  \  illiers  (  1 52  1  )  n  l'avènement  de  d'un  manuscrit  de  l'ahbaye  de  (îrandmont. 
Jean  de  L'Aubespine  (i58a  ).  Une  continuation  qui  se  termine  par  la  mention  de  l'évèque  Rai- 
analogue,  mais  différente  sur  cerlains  points,  mond  de  La  Marthonie,  nommé  en  1618,  iqui 
a  été  publiée  par  M.  Alfred  Leroux,  d'après  «  hodie  vivit  et  diu  vivat  •.  En  revanche,  on 
une  copie  du  xvii'  siècle,  dans  le  tome  I,  trouve  dans  un  recueil  de  Gaignieres  (IMbl. 
p.  ■i'jo-2-j'ô,  des  Archives  hisl.  de  la  Marche  cl  nat. ,  lat.  17118,  p.  ai^-ai'j)  une  copie 
du  Limousin  (Limoges,  1887).  L'éditeur  dit  à  identique  à  celle  qu'a  publiée  M.  Alfred 
tort  qu'il  en   existe    une  seconde  copie    dans  Leroux. 

le  tome  44  de  la  collection  Baluze  à  la  Biblio-  '''   Notons  pourtant  que  la   leçon  primitive 

tlieque  nationale.   Le  texte  copié  dans  ce  vo-  du  ms.  de  la  Bibliothèque  nationale,  lat.  ba'>,^ 

lume  par  André   Du   Chesne  (fol.   i3i-i35),  parait  avoir  été  «anno  millesimo  ccc'x'ix"»; 

et  que  son  fds  François  a  intitulé  :  Gesia  alia  il    y    a    des    traces     de    grattage    entre     les 

Lemovicensium  episcoporuni ,  iiicerlo  authore,  s'ar-  deu\  x. 


1 


21G  BERNARD  GUI,  FRKRE  PRÈCIIEl  R. 

1 13  au  folio  1  2  G,  prise  sur  un  manuscrit  perdu  de  Jean,  abbéfle  (oyen- 
val'*',  est  sans  intérêt  particulier.  L'autre,  transcrite  du  folio  io5  au 
folio  112,  d'après  un  manuscrit  du  Spéculum  sanctorale  qui  se  trouvait 
à  Limoges  et  qui  a  disparu,  est  un  remaniement  très  libre  du  texte  de 
Bernard  Gui  :  corrections  de  style,  interpolations,  suppressions  et 
transpositions  arliitraires  y  foisonnent,  mais  rien  ne  permet  de  préciser 
la  date  i  laquelle  vivait  le  remanieur.  Le  texte  s'arrête  après  la  notice 
consacrée  à  l'évêque  Aimeri  de  La  Serre,  mort  en  1272. 

Labbe  a  publié,  en  1 6^7,  l'opuscule  de  Bernard  Gui  surles  évèques 
de  Limoges,  d'ajirès  une  copie  qu'il  avait  trouvée  dans  les  papiers  de 
Besly  et  qui  ])rovenait  du  même  exemplaire  du  Spéculum  sanctorale 
ue  la  copie  de  Du  Cliesne  dont  nous  venons  de  parler'^'.  La  copie 
e  Besly  est  plus  abrégée  que  celle  de  Du  Chesne,  de  sorte  que 
l'édition  de  Labbe,  où  abondent  d'ailleurs  des  fautes  de  tout  genre, 
n'a  pour  ainsi  dire  aucune  valeur ''^  Il  en  va  autrement  de  celle  (pi'a 
donnée  Natalisde  V\'ailly,  en  i855,  dans  les  Historiens  de  la  France^'^\ 
d'après  deux  bons  manuscrits  de  la  Bibliotbèque  nationale  (lat.  4977 
et  5929);  mais  elle  laisse  intentionnellement  de  côté  tout  ce  qui  est 
antérieur  à  l'avènement  de  l'évêque  Gui  de  Glausel  (1226). 

La  traduction  française  de  frère  Jean  Golein,  signalée  plus  baut'''*, 
est  inédite;  on  n'en  connaît  pas  d'autre  manuscrit  que  celui  qui  a 
été  indiqué. 

Bernard  Gui  a  été  là,  comme  toujours,  un  compilateur  diligent; 
mais  il  ne  faut  pas  exagérer  la  valeur  bistorique  de  cet  opuscule.  Jus- 
qu'au commencement  du  xiii"  siècle,  la  suite  des  évêques  de  Limoges 
est  identique  à  celle  de  Bernard  Itier.  De  beaucoup,  parmi  les  plus 
anciens,  il  ne  connaît  et  ne  donne  que  les  noms;  seuls,  ceux  qui  sont 
morts  en  odeur  de  sainteté,  ou  dont  mention  est  faite  dans  quelque 
vie  de  saint,  sont  l'objet  de  notices  développées  ou  de  remarques 
détacbées.  A  partir  du  x^  siècle,  il  utilise  ordinairement,  sans  le  dire 

'''   Au   diocèse    de  Chartres  (Gnllia  christ.,  texte  ■ainpiius,muItisquepartibuslocnpleliusi. 
t.   VIII,   col.  i333).  Plusieurs  abbés  ont  porté  '''   M*' Louis  Ducbesne  s'en  est  rapporte  à 

le  nom  il  ^  Jean,  et  il  n'est  pas  facile  de  découvrir  celte  édition  pour  parler  de  l'œuvre  de  Bernard 

parmi  eux  le  possesseur  du  manuscrit.  Gui  dans  ses  Fastes  épiscopaux   de   la   Gaule, 

•''  Nova  bibl.  mss.  libr.,  t.   II,  p.   265-271;  a"  éd.,  t.  II  (1910),  p.  igbo. 
cf.   le  Syllabas  scriptorum,  sectio  prima,  VllI,  '*'   Tome  XXI,  p.  75/1-756. 

en  tète  du  volume,  où   l'éditeur  déclare  qu'il  ''  Page3i4;cf.  Histoire  littéraire,  t.  XXIX, 

publiera   plus  tard  (ce  qu'il   n'a  pas   fait)   un  p.  399. 


SES  ÉCRITS.  :^I7 

toujours,  les  chroniques  d'Adémar  de  (ihabannes  et  du  pruMir  de 
Vigeois,  et  celles  qui  ont  été  compilées,  au  xiii"  siècle,  à  Saint-Martial 
el  à  Saint-Martin  de  Limoges.  H  renvoie  expressément  aux  «livres 
..antiques»  delà  cathédrale  Saint-Etienne;  il  résume  des  «  mémo- 
.(fiauxii  rédigés  dans  l'abbaye  de  Saint-Augustin,  dont  il  ne  s'avisera 
que  plus  tard  de  suspecter  la  véracité*".  Sur  le  jour  de  la  mort  de 
saint  Xuréiicn,  deuxième  évêque,  il  fait  appel  au  témoignage  écrit 
d'Étiemie  de  Salagnac,  sans  songer  qu'il  aurait  dû  en  contrôler  la 
valeur'^^  de  Dali\us,  huitième  évêque,  il  alTirrue  avoir  lu  «  in  (|uodam 
ilibro..  qu'il  fui  déposé,  sans  nous  dire  dans  quel  livre,  ni  si  ce  livre 
mérite  créance.  Sur  les  derniers  évèques,  les  renseignements  qu'il 
i'ournii  sont  de  ])remière  main  et  très  précis,  mais  on  regrette  qu'ds 
ne  concernent  que  des  faits  externes.  Ses  notices  sur  les  préiats  dont 
il  a  été  lec  ontemporain  sont  décharnées  et  incolores.  En  somme, 
Bernard  Gui  tient  plus  de  Bernard  Itier  que  du  prieur  de  Vigeois, 
l't  c'est  dommage. 

27.     De    FUI^DAIIOME     ET    PliOOIiESSU    MONASTERII    SaiSCTI    AudUSTHSl 

Lemovicensis^'^K 

Inc.:  Sicul  poslerilati  sue  fideiis  tradidil  ciiai ratio.  .  . 

Opuscule  dont  on  connaît  sept  manuscrits,  dont  trois  originaux  et 
un  qui  ne  contient  que  le  début  :Bibl.nat.,lat./i97  7, 4988  (incomplet), 
5o43,  lat.  nouv.  acq.  1171  (original)  ;  Toulouse  45o  (original)'"'; 
Cambridge,  Trinity  Collège  R.  4-  2.V');  Rome,  Vatic.  Regin.  tat.  705^ 
(original)'*'.  Les  manuscrits  complets  se  terminent  par  cette  phrase  : 
«Primus  igitur  abbas  monasterii  Sancti  Augustini  fuit  dompnus  Mar- 
ie tinus  superius  memoratus.  »  On  serait  porté  à  voir  là  l'amorce  d'un 

'"'  Voir  plus  loin  ,  p.  21 9.  d'Orléans  (Acia  Sanctomm .  Mai ,  t.  II ,  p.  386). 

'''   tCujus  leslum  in  antiquis  kalendariis  et  <''  Art.xi  de  Delisle,  p.a6i-263,  S  1  10  1 1 1 . 

.missalibus  olim  nolatura  inveniebatur,  sicut  '*'  La  copie  faite  par  Baluze,  et  oui  nous  est 

«ego  scriptum  reperi  de  manu  religiosi  et  an-  parvenue  dan»  le  tome  93  de  la  rollection  qui 

..  tiqui  viri  fratris  Stefani  de  Salanhaco,  qui  porte  son  nom ,  à  la  Bibliothèque  nationale ,  doit 

«viderati    (Bibl.    nat. ,   lat.   nouv.  acq.  1171,  provenir  de  ce  manuscrit, 

toi,    2o4').  Les  Bollandistes  prouvent  que  la  <"  M.  R.  James,  ouvr.  cité,  t.  Il,  p.  i5a. 

fête  de  saint  Aurélien  se  célébrait  à  Limoges  <*'  Dom  Joseph  Afril  a  copié  notre  opuscule 

le  8  mai,  et  non  le  17  novembre,  comme  le  dans  ce  manuscrit, à  Rome,  le  19  février  1736; 

dit  Bernard  Gui,  induit  en  erreur  par  un  mar-  il  a  exécuté  deux  exemplaires  de  sa  copie ,  tous 

tyrologe  qui  attribue  à  »aint  Aurelianus  une  les    deux  conservés    (Bibl.   nat.,  lat.    i3io8, 

mention    relative    à    saint    Anianas.    évêque  fol.  3o4,  et  lat.  171 91,  fol.  3). 


HIST.   LITTÉR. 


38 


21H  BERNARD  (ill,  FRKKI.  PRKCIIKl  IV 

cafalogue  des  abbés  de  Saint-Augustin  projeté  par  l'auteur.  Dans  le 
manuscrit  du  Vatican,  que  Delisle  n'a  pas  connu,  l'opuscule  est  suivi 
(fol.  2 4'')  d'une  note  contemporaine  ainsi  conçue  :  vacat  in  islo  loco 
(iiiia  magis  complète  est  saperins,  note  confirmée  par  la  manchette  sui- 
vante :  magis  complète  est  supirias,  in  loco  suo.  Malheureusement,  la 
partie  antérieure  du  manuscrit,  où  devait  se  trouver  l'opuscule 
mngis  complète,  a  disparu.  Dans  un  autre  manuscrit,  qui  provient  de 
Gaignieres*'',  nous  est  conservée  la  copie,  due  au  chanoine  Léonard 
Bandel*-',  d'un  manuscrit  perdu  de  Saint-Augustin  de  Limoges,  où 
le  texte  de  Bernard  Gui,  tantôt  abrégé,  tantôt  interpolé,  était  suivi 
d'un  catalogue  d'abbés  de  Saint- Augustin  s'arrèlant  à  Ameil  de 
Montcouyou  [Amelius  Montecuculi),  vers  la  fin  du  xiii*  siècle.  Le  pre- 
mier article  est  ainsi  conçu  :  «  Primus  igitur  monasterii  Sancti 
«Augustini  abbas  fuit  domnus  Martinus  in  diebus  Turpionis  epi- 
«scopi;  requiescit  vero  Pictavis  in  ecclesia  Sancti  Cipriani.  •>  (.e  cata- 
logue, rédigé  dans  l'abbaye  même,  par  additions  successives,  n'est 
certainement  pas  l'œuvre  de  Bernard  Gui.  Le  texte  en  a  été  imprimé, 
en  1739,  dans  les  Annales  Ordinis  S.  Benedicti  de  Mabillon,  t.  VI, 
p.  693-695,  probablement  d'après  une  copie  de  dom  Estiennot^'', 
plus  complète  que  celle  que  possédait  Gaignieres''''. 

Le  De  fundatione  a  été  mis  au  jour  par  Labbe  en  i65i,  d'après  le 
ms.  638  de  Petau,  auquel  l'éditeur  a  fait  subir,  sans  le  dire,  des  cou- 
pures considérables''''. 

Comme  l'a  ren)arqué  Delisle,  cet  opuscule  traite  sutout  de  la  fon- 
dation ou  restauration  de  l'abbaye  de  Saint-Augustin  par  l'évêque  de 
Limoges  Turpion,  mort  en  944  *'''•  Bernard  Gui  a  tort  de  croire  qu'il  y 
avait  des  chanoines  réguliers  au  vi''  siècle,  et  les  auteurs  de  la  Galha 
cliristiana  le  lui  ont  reproché  sans  ménagement*^';  reconnaissons-lui 

'     Bibl.  liai. ,  lat.  171  lO,]).  a/iy.  |i.  ()  1  .!■(> i .> ;  tuxle  reproduit  en  i()57,  dans  sa 

■''   Sur  Léonard  Bandel,   mort  vers    1695,  Nova  inhl.  inss.  lihr.,  II,  277-378.  —  Le   ms. 

voir  Allrt'd  Leronx,  Ball.de  la  Sor.  arch.ethisl.  fi38  de  Petau  est  le  Vatic.  Regin.  lat.  706'. 
,lu  Limousin  (1888),  t.  XXXVl.  p.  279-.!8i.  '    CI".  Cailla  r/iris/. .  t.  Il,  col.  57')  ,et  Instr. , 

'■  (^opie  conservée  à  la  Bibl.  nal.,  lat.  i274'>.  col.  i()7.  Mabillon,  dans  ses  ,4nH.  On/.  ^S.  Bene- 

p.  loi  et  suiv.  dirti .  lil).  \LIII,  cap.  67,  renvoie  à  l'opuscule 

'''   (îaignieres  s'était  aussi  procuré  la  copie  de  Bernard   (iui,   tel  que  Labbe  l'a  imprimé, 

■  l'un  manuscrit  d'André  DuChesne,  qui  n'olFre  mais  sans  nommer  l'auteur, 
pas  cette  continuation  postiche;  voir  Bibl.  nat.,  '    •  Canonicos  regulares  hac  In  ecclesia  po- 

lat.  171  16,  p.  407/108,  t-sitos  soniniavit  Bernardus  Guidonis.  .  .  •  {loc. 

'*'   Abrégé  royal  de  l'Alliance  chronologique,  laud.  . 


SES  KCRITS.  •2\^> 

flu  moins  le  mérite  d'avoir  fouillé  les  archives.  Non  seulement  il 
donne  des  extraits  de  la  charte  de  fondation  et  du  testament  do 
l'évêque  Turpion,  s'efforçant  de  préciser  la  date  de  ces  documents 
authentiques  par  rapport  à  la  chronologie  des  rois  de  France,  mais 
il  prend  à  partie  un  opuscule  sorti  de  la  plume  d'un  moine  de  l'abbaye, 
qui  prétendait  que  Turpion  était  allé  en  Italie  et  avait  assisté  à  la 
translation  des  reliques  de  saint  Augustin  à  Pavie,  faite  par  le  roi  des 
Lombards  Luitprand  ;  il  montre  facilement  que  deux  siècles  séparent 
l'évêque  de  Limoges  du  roi  des  Lombards,  et  que  l'afTirmation  du 
moine  de  Saint-Augustin  est  sans  valeur. 

Dans  son  opuscule  sur  les  évèques  de  Limoges,  notre  auteur  donne 
créance  à  la  légende  même  qu'il  combat  dans  son  opuscule  sur  Sainl- 
Au"-ustin.  C'est  une  raison  sérieuse  de  croire  que  ce  dernier  est  posté- 
rieur à  l'autre.  Sa  critique  est  en  progrés,  et  il  faut  l'en  féliciter, 
en  regrettant  qu'il  n'ait  pas  saisi  cette  occasion  pour  corriger  ce 
qu'il  avait  dit  antérieurement. 

28.     N0.MI\A    SANCTOHIM    QVORIM    COIll'OUA    I.F.MO\l<:E\Sh:\f    /)/O^^.S/^f 


()HNA\'T 


(1) 


Dix  manuscrits  anciens  nons  sont  parvenus,  parmi  lesquels  (juatrc 
ont  été  revus  par  l'auteur  et  surchargés  de  corrections  et  d'additions 
diverses:  BihI.  nat.,  lat.  4977,  -^o/iS,  5929  (original)  et  lat.  nouv. 
acq.  1171  (original)  ;  Toulouse,  nV4  5o( original);  Rome,  Vatic.  Regin. 
lat.  7o5'  (original,  dont  plusieurs  feuillets  ont  été  arrachés),  Valic. 
Ottobon.  lat.  iSqS  (copie  du  xv'  siècle,  provenant  de  la  cathédrale  de 
Limoges,  avec  des  notes  marginales  intéressantes,  et  où  la  biographie 
de  Bernard  Gui  lui-même  est  transcrite  à  la  fin,  comme  un  hommage 
à  la  sainteté  de  sa  vie)  et  Vallicellane,  B  29;  Escorial  P.  1.  1  5;  Lis 
bonne,  Alcobaça  295'-).  Nous  possédons  également  une  copie  de  la 
main  d'André  Du  Chesne  (  Bibl.  nat. ,  collect.  Baluze  44)>  deprovehance 
inconnue'^',  et  une  copie  de  la  main  de  Baluze  [ibid.,  collect.  Baluze 
93),  vraisemblablement  prise  sur  le  ms.  45o  de  Toulouse.  Le  ms. 
Vatic.   Regin.  lat.  697   nous   a  conservé  une  traduction   française, 

">  Artide  x  de  Deiisle,  p.  a6o-a6i,  S  loH-         ces  manuscrits,  Vatic.  Regin.  lat.  7o5',  Valic. 
,Q.  Ottobon.  lat.  1 3a 3,  Escorial  et  Lisbonne. 

">  Delisle   a  ignoré  l'existence  de  quatre  de  "'  Copie  non  signalée  pw  Delisle. 

aS. 


220  lîEHWRI)  Cil,  FRKUE  PRÈCIIEIK. 

fjiite  en   i  36(j  par  frère  Jean  Golein,  traduction  inédile  et  donJ    la 
publication  ne  semble  pas  désirable*''. 

///(■.  •  Ainplectiinui  ila(|iu'  oiiino  et  preripuc .  .  . 

Des.  :    .  .   ideo  dixit  :  liciirvcnlnin  ,  id  rst  liens  i  ven ,  appelli'tiir  hic  lociis. 

Labbe  a  publié  l'œuvre  de  Bernard  Gui  en  i()57  ^';  nudlieii- 
rcuscinent,  il  n'a  eu  à  sa  disposition  que  le  manuscrit  ()38  de 
Paul  Pelau  (aujourd'bui  \alic.  Rej^in.  lat.  706'),  rpii  olïre  une  lacune 
considérable. 

L'ouvrage  propremeni  dit ,  ([ui  n'pond  exactement  au  titre,  est  siii\i 
de  deuy  ])arties  accessoires  ayant  des  titres  jiarticuliers.  lin  tête  de  la 
première,  on  lit  :  lier  simt  nomma  saiiclorum  (jni  de  Lcmoviccnsi  dyoccsi 
nali  /iKinnt  aut  ma.rimc  amvrrsali ,  (juoram  vorpora  extra  vandein  dyocestni 
(imcsciint  et  vcncrantiir  m  loas  sibi  a  Domino  depiilalis;  en  tête  d<'  la  se- 
conde :  I sli  qui  se<iiiuntar  sancti  vin  jacenl  m  dyoccsi  Lemovicensi  in  locts 
SUIS,  (jni ,  licet  miraciilis  et  virtutibus  daiaerunl.  .  .,  lumen  in  locis  suis 
limniluer  sanclam  lesurrectionem  expectant .  .  .  Sous  cette  dernière  ru- 
briqne,  Bernard  (îiii  a  placé  de  courtes  notices  consacrées  à  quatre 
religieux  éminents,  mais  non  canonisés  ofliciellement  :  Etienne, 
fondateur  d'Obazine'*',  mort  en  1  169;  .lofroi,  fondatenr  du  Cbalard  *', 
mort  en  1  \>.b\  Roger,  fondateur  de  Dalon'''^  mort  en  1  1^7;  Aubert, 
fondatenr  de  Bénévenf*',  en  io:?8.  Sous  la  précédente,  il  traite 
somipairement  des  saints  suivants,  dont  quelques-uns  sont  très 
célèbres  :  Eloi,  Vast,  Amand  (honoré  en  Périgord),  Basle,  Goar, 
Prosper,  Odon  (abbé  de  Cluni),  Remacle,  Sacerdos  (patron  de  Sarlal) 
et  Alpinien  '^'. 

Laissons  provisoiiement  de  côté  ces  deux  parties  accessoires  pour 
parler  du  corj)s  même  de  l'œuvre,  qui  débute,  sans  préambule,  par 
une  longue  notice  sur  saint  Martial.  Plus  d'un  siècle  avant  Bernard 
Gui,  un  chroniqueur  bien  connn,  Jofroi,  prieur  de  Vigeois,  avait  eu 

"'  (!o  [iianusci'it,  inconnu  de  Dolisie,  a  l'-lt-  iiiie  fautive,  AiiLa/ines,  c.iiil.  de    Beynat,  aiT. 

signalé  dans  tes   MclaïKjes   publias  par  I'FaoIo  do  Brive. 

rriii)rai!.p  (h-   lîonie,    18H1,   t.  I,    p.    •>()•!.   On  *'  Caiil.  et  arr.  de  Saint-Yrieix. 

il('\in(»  que  Golein  eslmpie  la  plupart  des  noms  ^'  Comni.  de  Sainte-Trie,  caiil.  d  pAidenil, 

rie  lien,  dont  prestjue  aiinin  n'est  ronnu  de  lui  arr.  de  Noniron. 

''    .\().(i  hllil.   nis.t.   lihr.  ,  t.    I.rol.   ()9,()-(),'ÎH.  *'    Bénévent-!' Vbhaye,  arr.  de  Bourganeut. 

Lalilie  a  considéré  les  trois  pai  ties  de  l'ouvrage  '    Notons  que  c'est  par  erreur  que  Bernard 

connue  trois  ouvrages  difl'érents.  (iui  rattache  nu  diocèse  de  Limoges  les  saints 

'''   Ou,  d'après  l'orthographe  usuelle,  cpioi-  Hasie,  Goar,  Odon  et  Prosper. 


SES  ECRITS.  221 

l'idée  de  dénombrer  rapidement  les  saints  du  diocèse  de  Limoges''*. 
Notre  auteur  lui  doit  beaucoup,  et  l'on  s'étonne  qu'il  ne  se  soit  pas 
cru  obligé  de  le  déclarer.  Il  en  a  reproduit  littéralement  bon  nombre 
de  passages,  même  de  ceux  où  son  devancier  parle  à  la  première 
personne.  Tel  est  le  cas,  par  exemple,  pour  saint  Domnolet,  où 
Jofroi  dit,  et  où  Bernard  Gui  répète:  «de  quo  nichil  ajiud  reperi, 
«  nisi  quod  fama  testatur  illum  principeni  fuisse  Lemovicorum'^'». 
Avec  moins  de  sans  gène  encore,  Bernard  Gui  s'ap])roprie,  en  l'allon- 
geant un  peu,  une  prière  à  saint  Martial  placée  par  le  prieur  de 
Vigeois  à  la  lin  de  son  énumération  :  «  Ilec  de  tuis  sufîraganeis 
M  sanctis,  magne  Martialis,  me  scripsisse  delector  '•''.  » 

Cela  dit,  et  nous  étions  tenus  de  le  dire,  il  est  juste  de  reconnaître 
que  notre  auteur  a  fait  d'importantes  additions  à  l'œuvre  de  son  pré- 
décesseur, et  qu'il  a  fourni  à  l'hagiograpliie  du  diocèse  de  Limoges 
une  base  précieuse,  telle  qu'on  souhaiterait  d'en  avoir  pour  tous  les 
diocèses  de  France.  Les  notices  les  plus  longues,  il  est  vrai,  ne  sont 
pas  les  ])lus  neuves,  car  l'auteur  a  su  tirer,  à  l'occasion,  plusieurs 
moutures  du  même  sac  :  une  partie  de  ce  qu'il  dit  de  saint  Martial  se 
retrouve  dans  ses  Flores  chronicomm ,  une  autre  partie  dans  ses  Nomina 
episcoponim  Lemovicciisium;  les  notices  sur  les  saints  Marc  et  Sébastien 
ne  dillèrent  pas  de  celles  qu'on  lit  en  tète  de  ses  Priores  Ordinis 
Artigie.  La  valeur  propre  des  Nomina  sanctoram  reste  cependant  consi- 
dérable, parce  que  l'auteur  y  a  inséré  par-ci  par-là  des  renseigne- 
ments personnels  qu'on  chercherait  en  vain  ailleurs.  On  peut  citer 
sa  notice  sur  saint  Just  comme  un  bon  spécimen  de  sa  manière'*': 

Sanctum  Justum,  magni  Hylarii  Pictavensis  presntis  discipulum,  habere  se  gau- 
dent  monactii  de  Sancto  M;irtino  in  subuibio  castri  Lemovicis,  ul)i  consnevit  anti- 
(|uitiis  Ad  lîasilicam  ap[p]ellari,  quamvis  olim  dicerent  clerici  sanctum  Justum 
ecdesio  non  déesse  in  qua  primo  rondilus  fuit,  longiusab  urbe  miliario  .sexto,  sicut 
memiiiit  jn  k;iiendario  Usuardus.  Domini  aulem  caiionici  Sancti  Stephani  ec(  lesie 

'■'  Voir  Labbe,  Nova   bibl.  mss.  libr.,  t.  H,  Vigeois    (d'après  Labbe,   f.  II,  p.    286)  pour 

p.  284-287;  le  dénombrement  occu|)e  la  fin  du  que  le  lecteur  puisse  juger  de  ce  que  Bernard 

chap.  i4  et  tout  le  chap.  i5  de  la  Chronique  Gui    a   ajouté  à   l'œuvre    de    son    devancier  : 

da  prieur  de  Vigeois.  iMonachi  de  S.   Martino,  quod  monasterium 

'*'  Labbe,  t.   II,  p.  28G  ;   cf.   Bernard  Gui  «Ad  Basilicam  appellatur,  habere  se  gaudent 

dans  le  ms.  Bibl.  nat. ,  lat.  5(j2(j,  fol  60''.  «Justum  illum  discipulum  magni  Hiiarii  Pic- 

'  '  Labbe,  t.  II,  p.  287  ;  cf.  Bernard  Gui  «  tavensis  praesulis,  quamvis  ipsum  dicant  de- 
dans le  ms.  Bibl.  nat.,  lat.  5(p(),  loi.  6d*.  irici  non  déesse  ecclesiae  in  qoa  primum  con- 

'*'  Nous  plaçons  ici  le  texte  du  prieur  de  idilusfuit.  » 

1   7 


■222  HEMWUl)  fUI,  FHKl^K  PUIX-IlKLlî. 

cHthedralis  ipsuin  Jiistum  habere  se  diciinl,  et  fuisse  ab  iHa  eccle«ia  ad  suam  cathc- 
dralem  ecclcsiam  deportatiim.  Vidi  ej^oparitor  et  audivi  capeilanum  antiq[u]urn,  qui 
se  asserebat  audivisse  seriose  referri  a  fratre  (i^raldo  de  Fracheto  ,  Ordinis  Predicato- 
rum,  viro  religioso  pariter  et  famoso,  quod  in  processione,  qua  corpus  sancti  Justi 
aliatum  fuit  et  receptuni  ad  ecclesiam  Sancti  Ste|)hani  cathedndem ,  ipse  fraler 
<kral<lus  presens  aiïuerat  et,  sicut  juveiiis  clcricus,  ofTiciurn  acoliti  in  processione 
peregerat,  sicut  moris  est,  candelabrum  deferfiido'".  Hune  heatum  Justum,  cuin 
esset  annoium  circiter  deoem,  irigruente  teiupestate  niniia  super  arboien),  angélus 
Domini  adbuc  oathecuminuiTi  custodivit.  A  beato  Hyiario  piomotus  est  in  sacer- 
dotem.  Asinum,  super  (|uem  Hylarius  seder*^  consueverat,  lupus,  ipso  obdormiente, 
in  silvaiii  duxit,  sed,  Justo  orante,  ipsum  inculumeni  lupus  ipse  reduxit.  Cecum 
illuminavit.  Dexteram  manum  cojusdam  curavit.  .Manus  aruerunt  illorum  qui  cap- 
tives  reincarceraro  voluerunl.  Hujus  meminit  l'suardus   vi  kalendas  derembris'^. 

l'ernard  Gui  ne  nous  a  pas  f'ail  connaître  expressément  la  date 
à  laquelle  il  a  composé  ses  Nominn  sanrloruni.  Essayons  de  suppléer  à 
son  silence.  Il  place  Tulle  dans  le  diocèse  de  Limoges*^',  Sarlat  dans 
le  diocèse  de  Périgueux'*',  Castelsarrasin  dans  le  diocèse  de  Tou- 
louse'*' :  donc  il  ignore  la  création  des  évôchés  de  Montauban  (  26  juin 
1.317),  de  Tulle  et  de  Sarlat  (i3  août  i3i7).  Comme  on  sait  qu'il 
se  mit  en  route  pour  l'Italie  à  la  fin  de  mars  de  cette  même  année 
i3i7,  la  première  rédaction  des  Nomina  sanctorum  a  dû  être  arrêtée 
au  plus  tard  à  la  fin  de  i3i6,ou  tout  au  début  de  1317.  Nous 
disons  :  la  première  rédaction,  bien  que  Delisle  n'ait  pas  signalé 
expressément  l'existence  de  rédactions  successives.  Il  a  noté  du 
moins  que  deux  manuscrits,  à  sa  connaissance  (Ribl.  nat.,  lat.  ^77 
et  5929),  contenaient  des  détads  complénentaires  relatifs  à  saint 
Prosper.  11  importe  de  préciser  davantage.  Dans  la  première  rédac- 
tion, représentée  parle  ms.  Bibl.  nat.,  lat.  nouv.  acq.  1171,  fol.  216% 
Bernard  Gui  dit  siinplemenl  : 

Sanctus  Prosper,  doctor,  cujus  sentencieexlant,  de  Aquilania  natus  luit.  Hic  apud 
hegiuui ,  civilatem  Lombardie,  ubi  fuit  episcopus  ,  requiescit.  Hic  iuit  notarius 
sancti  l^eonis  pape. 

'■'  Cet  inléres<iant  tômoigaage  biof);raphiqiie  c(.  ibid..  l.  XXI,  p.  7<j4),  el  Delisle  l"a  cru  sur 

sur  la  jeunesse  de  Géraud  de  Frachet  a  été  si-  parole  (  Histoire  littéraire,  t.  XXXII,  p.  55i  ). 

gnalé    pour  la  première   lois    par   Nalalis  de  '''  Bibl.  nat.,  ms.  Int.  5()2i),  fol.  Si)"*. 

Wai%  (Hiitoriens  de  la  France,  t.  XXI,  p.  a);  "    A  propos  de  saint  Odon,  abbé  de  Cluni 

■nais  l'éminent  auteur  s'est  trompé  de  dix  ans  Bibl   nat. ,  lat.  .'J92C),  fol.  6^4*). 

sur  la  date  de  la   tr.inslatlon  des  reliques  de  "'  À  propos  de  saint  Sacerdos(ifci(i.). 

saint   Just,  qui  est  de    I2i5   el  non  de  112b  '*'  À  propos  de  saint  Alpinien  (iôiU,  fol.  65*). 


SES  KCRIIS.  22:i 

Dans  le  ins.  Bihl.  nat.,  lat.  4977,  fol.  179''',  la  notice  est  beau- 
coup plus  ample: 

Sanctus  Prosper,  doctor,  cujus  seulencie  et  libri  muUi  extant,  de  Aqiiitaiiia  nalus 
fuit.  Hic apudRegium.civitatem  Lomhardie,  ubi  i.t// afinii  luit  episcopus,  requiescit. 
Hic  fuit  iiotarius  sancli  Loonis  pape  pnmi.  Sepaltus  fuit  in  basilica  non  longe  ah  ipsa 
ctvitale  constracta,  ubi  nunc  c[s]l  uobilis  abbacia,  vu  kalendas  julii;  cujus  corpus  post 
mulla  annuruni  curricula  levalumfnU,  cam  mira  odoris  frugmncia ,  et  m  eadeni  busilicd 
snb  allari  decenter  locatnmper  episcopuni  Thoniam  noniine,  viriini  sanctum,  vin  kalendas 
decembris,  sub  anno  Domini  dcc'iii',  tempare  Johanms  pape  qainli.  Postmodiun  vero,  snb 
anno  Domini  M°c  XL°viii°,  sancte  lelufuic  corparis  fueniiil  ibidem  iterum  divinalile(iat'>^' 
cuni  niallis  episcopis. 

Dans  le  ms.  Vatlc.  Regin.  lat.  706',  fol.  9%  Bernard  Gui  a  inscrit 
de  sa  main,  en  marge  de  la  rédaction  piimitive,  la  note  complémen- 
taire suivante,  retouche  manifeste  de  celle  que  l'on  vient'de  lire  : 

Anno  vero  Domini  ccrc°LXxT,  paulo  plus  minusve,  sicut  ostimo  e\  liiis  que  rirca 
hoc  studui  et  collpgi,  beatus  Prosper,  memoratus  Régine  uibis  aniistes,  féliciter 
ibidem  obdormivit  in  Christo,  vu"  kalendas  niensis  julii,  in  bonis  et  opliuiis  con- 
sumpiiialus.  Anno  vero  Domini  Dcc°in°,  vm"  kalendas  decembris,  fuit  translaluni 
corpus  sancti  Prosper!  de  primo  tumulo  ad  secundum  per  veneraliilem  viruni  Tho- 
mam,  tune  episcopum  Regiensem,  in  Romana  sede  présidente  Johanne  papa 
soxto,  et  Luprando  christiaiiissiino  genlis  Longobardorum  rege.  Anno  vero  Domini 
M°c°XL°nii°,  luit  revelatum  et  maiiilestatum  pariter  et  ostensum  verum  corpus  bcati 
Prosperi  esse  in  basilica  et  monasterio  ipsius  nomine  nuncupato,  contra  ligmentum 
cujusdam  alterius  corporis  simulati  in  ecclesia  de  Castello^'. 

Le  lecteur  estimera  sans  doute,  comme  nous,  qu'on  doit  voir,  dans 
les  additions  faites,  sous  deux  formes  différentes,  à  la  noiice  de  saint 
Prosper  par  l'auteur  des  N omina  mnctorum,\ èc\\o  des  renseignements 
qu'il  avait  recueillis  pcrsonnellemeni  lors  de  son  court  passage  dans 
la  ville  épiscopale  de  Reggio,  en  juillet  1  3  1  7 '''.  Après  avoir  rendu 
hommage  à  sa  diligence,  il  faut  bien  constater  que  sa  critique  n'a  pas 
grande  portée.  L'Aquitaine  n'est  pas  le  Limousin,  et  Prosper  d'Aqui- 
taine,   théologien  et    chroniqueur   du  v'   siècle,   doit  être  soigneu- 


srn 


'"'    Passage    mani lestement    altéré     par    le         de   la    main    île    Bernard  Gui,   sauf  peutèlre 
ibe.  trois  mois  ajoutés  après  Castello  pour  plus  de 


'■'  Cl. Labbe,  A'oua  6i7i/.m5j./i7ir. ,  1. 1, p.  63y.  précision  lopographique  :  infia  enndem  urhen 

Dans  le  ms.  Bihl.  nat  ,  lat.  5()3g,  fol.  64%  il  y  Dans  la  première  phrase,  après  niensis  julii ,  on 

a  une  addition    identique,  à  quelques  menus  lit  :  eiiscopalas  sni  anno  xx'ti'. 
détails  près,  mais  il  n'est  pas  sûr  qu'elle  soit  ''■'  Cf.  ci^les'us,  p.  i5r). 


224  BERNARD  GL7,  FRÈRE  PRÈCHEl  R. 

sèment  distingué  de   son  homonyme  et  contemporain,  l'évêque  de 
Reggio  ''*. 

B.  —   Toulouse. 
29.  NoMiNA  EPiscopoRUM  Tholosane  SEDIS^'^K 

Cet  opuscule,  daté  par  l'auteur  du  i4  novembre  i3i3,  débute 
par  ces  mots  :  «Primus  omnium  episcoporurn  Tholose .  .  .  »  Il  a  été 
transcrit  en  sa  première  forme  dans  le  ms.  Bibl.  nat. ,  lat.  nouv. 
acq.  iiyi,  mais  pour  certains  passages,  qui  ont  été  modifiés  par 
la  suite,  le  texte  original  est  difficile  à  retrouver  sous  les  surcharges 
et  les  grattages.  Il  a  été  continué  à  quatre  reprises  différentes  :  en 
i3i5  (Bibl.  nat.,  lat.  5o36a),  en  i3i6  (Bibl.  nat.,  lat.  nouv.  acq. 
1171,  qui  contenait  d'abord  le  texte  primitif),  en  i3i7  (Bibl.  nat., 
lat.  4977  et  5929;  Toulouse  4«'io;  Vatic.  Regin.  lat.  706^,  qui  con- 
tenait d'abord  le  texte  d'une  édition  antérieure;  Escorlal  P.  i.  i5) 
et  en   1327  (Bibl.  nat.,  lat.  4985;  Toulouse  45o). 

En  i3i7,  l'auteur  ne  se  contenta  pas  d'enregistrer  la  canonisation 
de  l'évêque  Louis  d'Anjou  (26  mars),  il  transcrivit  l'office  du  nou- 
veau saint. 

I^e  ms.  Bibl.  nat.,  lat.  ^929  a  reçu,  à  la  fin  du  xv*  siècle,  une  con- 
tinuation qui  va  jusqu'à  l'archevêque  Bernard  de  Rosergue. 

Frère  Jean  Colein,  en  i36g,  mit  en  français  notre  opuscule 
d'après  le  texte  latin  de   1 3 1 5  '^'. 

En  i855,  Natalis  de  Wailly  a  publié  la  dernière  partie  du  texte 
arrêté  en  i3)7,  d'après  les  mss.  Bibl.  nat.,  lat.  4977^  5o36  a  et 
5929 '*',  mais  en  laissant  de  côlé  l'office  de  l'évêque  saint  Louis. 

Bernard  Gui  a  remarqué  lui-même  que  son  catalogue  ne  devenait 
exact  et  complet  qu'à  partir  de  l'épiscopat  de  Fulcrand'*'.  H  ne  semble 
pas  avoir  trouvé  pour  Toulouse,  comme  il  l'avait  fait  pour  Limoges, 
un  catalogue  antérieur  qui  lui  ait  servi  de  base  ;  sa  compilation  n'en 

'■'  Sur  saint  Prosper  de  Reggio,   voir  Acta  *'  Historiens  de  la  France,  t.  XXI,  p.  753- 

Sancloram ,  Juin,  t.  V,  p.  53  et  suiv.  Le  témoi-  754.  Le  texte  commence   avec   la   notice   de 

gnage  de  Bernard  Gui  n'y  est  pas  cité.  Tévêquc  Bertr.ind  de  L'Isle,  élu  en  1370. 

'''  Article  XV  de  Delisle,  p.  270-273,  S  1  23-  '*'    tEstimo    plures  alios    a  predictis   fuisse 

lag;  cf.  Histoire  lilléraiie,  t.  XXIX,  p.  4o6.  «Tliolose   episcopos  0   protopresule  Salumino 

''*   Mélanges  publiés  par  l'Ecole  française  de  «nsque  ad  Fulcrandum  episcopum,  qui  imme- 

Rome.  1881,  t.  I,  p.  a 68  et  271.  adiale  tequitur.  quorum  nomina  minime potai 


SES  ECRITS.  225 

est  que  plus  précieuse,  et  il  est  à  souliaiter  qu'elle  soit  l'objet  d'une 
étude  critique,  étude  que  nous  ne  saurions  entreprendre  ici''\ 

30.   Comités  Tiiolosi.\i^'^\ 

Inc.  :  I^egilur  in  Gestis  Franconim  et  in  chronicis  antiqnis.  .  . 
Des.  :   .  .  .ad  inannm  illustris  régis  Francie  davolutum. 

Le  résumé  consacré  à  l'histoire  des  comtes  de  Toulouse  a  joui 
d'une  vogue  considérable  et  a  fait  autorité  jusqu'au  wn"  siècle,  où 
Catel  a  repris  le  sujet  sur  des  fondements  plus  larges  et  plus  solides. 
Delisle  en  a  cité  vingt-quatie  manuscrits*^',  et  il  en  a  été  fait,  au 
moyen  âge,  deux  traductions  françaises  indépendantes  l'une  de  l'autre. 
Rien  ne  permet  de  préciser  la  date  à  laquelle  Bernard  Gui  l'a 
rédigé  de  premier  jet.  L'examen  minutieux  auquel  Delisle  a  soumis 
un  grand  nombre  de  manuscrits  montre  que  le  texte  primitif  a  été 
plus  d'une  fois  complété  ou  modifié  par  l'auteur,  sans  qu'il  soit 
possible  de  distinguer  rigoureusement  des  ('ditions  dilférant  les 
unes  des  autres  par  des  caractères  fixes.  Si  peu  importantes  que 
soient  les  variantes  signalées  par  Delisle,  elles  mettent  en  lumière, 
une  fois  de  plus,  la  conscience  avec  laquelle  Bernard  Gui  s'efforce  de 
rapprocher  de  la  perfection  tout  écrit  sorti  de  sa  plume;  on  y  remar- 
quera particulièrement  l'emploi   qu'il  fait  de   chartes  trouvées   par 

«reperire;  a  Fulcrando  vero  deincrps   omnes  d'Espagne,  2  G  1  [Neiies  Archiv ,  1881,  t.  VI, 

«quisuccessemnt  episropiordinate  et  coiiiplele  p.  34)-345),et  Bil)liole'.a  narional,]  i  ()3  (  Bibl. 

«  inferius  descrihuntur»  (Delisle,  p.  Q70).  de  f Ecole  îles  eluiilcs,  i8c)G,  f.  LVll,  p.  638). 

'''   Dans  ses   Fastes  épiscopaii.v  de   lu  Gaule,  Une  copie,  ili;  la  main  de  Du  Chcsne,  est  à  la 

M*'  Louis  Duchesne  n'a  pas  fait  allusion  au  ca-  Bibliolhrquo  nationale,  coll.  Balu^e ,  lih,   fol. 

talogue  de  Bernard  Gui.  loi-io'i  ;  elle  est  conforme  aux  manuscrits  les 

'''  Article  XIV de  Delisle,  p.  266-270,  S  1  aS-  plus  complets.  Mentionnons  enfin  r<>xemp!aire 

129.  de  la  Bil)liothè(|iii'  de  l'Université  de  Giesseii , 

'''  Quatorze   à   la    Bibliothèque    nationale,  n'-.iyo  (  Valent.  Aihian  ,('a<a/.  rorfi'r.  BiW.   Icat/. 

dont  trois  originaux  ,  un  à  Toulouse  (original),  Giessensis,  i84o,  p.  8()-87),  sur  lequel  l'atlcn- 

un  à  Montpellier,  quatre  à  Rome,  un  à  Milan,  tion  a  été  attirée  par  le  chanoine  U.  Chevalier 

un  à  Londres,  un  à  Cambridge,   un  dans   la  [Le:  Lettres  chrétiennes ,  1880,  t.  I,  p.  161)  et 

collection   de   sir  Thomas    Phillipps  (aujour-  qui  offre  de  l'intérêt  pour  l'histoire  de  l'art.  Il  a 

d'hui  Bibl.  uat.,  lat.   nouv.  acq.  77(j).  H  laut  été  exilcuté   à  Toulouse,  en  1625,  et  illustré 

ajouter:   Merville  [Mém.  de  In  Soc.  archcol.  da  par   la   reproduction,  due   an  célèbre  peintie 

Midi  de  la  France,  1886-  1889,  t.  XIV,  p.  443-  municipal  Jean   Clialelle,  d'une  miniature  du 

445);  Home,  Vatic.  Palat.  lat.  965 ;  Escorial,  w*  siècle,  aujourd'hui  disparue,  qui  contenait 

P.  I.  i5  (Neiies  Archiv,  1881,  t.  VI,  p.  260-261  ;  les  portraits  des  anciens  comtes  ;  sur  cette  an- 

cf.  Antolin,  Catàlogo  cité,  t.  III,  p.  268,  où  cienne  miniature,  voir  E.  Roschach,  Lei  (/oHic 

l'auteur  a  amalgamé  les /{ejes /"V((«cor«m  et  les  livres    de    l'Histoire    de    Toulouse    (Toulouse, 

Comités  Tholosaiii) ;  Madrid,  bibl.  privée  du  roi  1887),  p.  273-375. 


HIST.   LITTER.  XXXV. 


'9 


226  BERNARD  (iUI,  FRERF.  PRECHEUR. 

lui,  après  la  mise  au  net  de  son  opuscule,  pour  préciser  la 
clironologie  des  comtes  de  Toulouse  des  xi'  et  xii^  siècles.  11  va 
d(  soi  que  les  résultats  auxquels  il  est  parvenu  ne  sont  pas  le 
dernier  mot  de  l'érudition,  mais  il  a  vu  la  bonne  méthode,  et  on  ne 
saurait  trojj  l'en  louer.  La  dernière  partie,  si  dramatique  par  le  sujet, 
est  un  abrégé  lionnéle,  sans  grand  relief,  de  la  chronique  de  Guil- 
laume de  Pnilaurens  et  des  (icsla  de  Simon  de  Montfort  dus  à 
Pierre  des  Vaux-de-Cernai. 

Le  texte  des  Comités  Tliolosani  a  été  publié  intégralement,  en  1620, 
par  Guillaume  (^atel'*'.  Depuis,  il  a  ])ris  place,  par  fragments,  dans 
les  Historiens  de  la  l'rance^'K  Les  deux  traductions  françaises  qui  en  ont 
été  faites  au  moyen  âge  sont  restées  inédites.  La  plus  ancienne, 
œuvre  de  frère  Jean  Golein,  remonte  à  i^ôg;  elle  nous  a  été  con- 
servée par  le  ms.  Vatic.  Regin.  lat.  697'''.  La  plus  récente,  proba- 
blement du  début  du  xv^  siècle,  est  anonyme;  elle  se  trouvait  dans 
le  ms.  L.  IV.  27  de  Turin,  aujourd'hui  détruit'*'. 

C.  _  Lodève^'>l 

On  savait  depuis  longtemps  que  Bernard  Gui,  pendant  les  der- 
nières années  de  sa  vie,  qu'il  passa  sur  le  siège  de  Lodève,  avait  con- 
sacré une  partie  de  son  activité  à  réunir  et  à  élaborer  un  recueil 
volumineux  sur  le  diocèse  confié  à  ses  soins.  Mais  on  ne  possédait 
sur  cette  œuvre  que  les  données  fournies  par  son  successeur  éloigné, 
l'iantavit  de  La  Pause,  dont  voici  les  propres  termes  : 

Docuinenta  oninia  vêlera  et  nova,  Ijiillas  suinmoruin  pontificum,  privilégia  et 
diploniata  regum,  lioiuagia,  recogniliones,  cpiscoporuni  Lodovensium  nomen- 
cialuram,  corunicleiii  acijuisitiones  et  gesta  celehriora,  et  in  universum  instrumenta 
omnia  arl  jura  episcopi  et  erclesia^  I.odovensis  speclantia  in  quinque  magnae  molis 
volumina  asserilius  ligata  per  notarios  piiblicos  compilari  jussit ,  quorum  vix  unum 
iiitegrum  et  aiiorum  epilonien  nobis  Calviniana  rabies  reliquit'"'. 

Des  cinq  volumes  qui  contenaient  l'œuvre  de  Bernard  Gui,  il  n'en 
subsistait  donc  qu'un  au  moment  où  écrivait  Plantavil  de  La  Pause 

"'  Hht.  des  comtes   de  Tolose,  ap|i. ,   p.  S-j-  Home,    i88i,   t.   I,    p.   267,   270,  arl.   \,  et 

/|6.  281-282. 

"    T.  XII,  p.  372-373,  et  t.  XIX,  p.  22.^-  O  Ibid..  p.  281-282. 

328.  '''  Article  XVI  de  Delislc,  p.  273,$  i3o. 

'■'  Mélanges  publiés  par  l'Elcolc  française  de  '*'  CItronologiaprœsiiliim  Lodovensium,  p.i6g. 


SES  ECRITS.  227 

(i63/j).  Aujourd'hui,  nous  ne  possédons  même  plus  celui  qui  avait 
échappé  à  la  fureur  des  Huguenots;  en  revanche,  nous  avons  heu- 
reusement conservé  un  inventaire  très  détaillé  de  ces  cinq  volumes, 
rédigé  en  1^98,  sous  l'éjjiscopat  de  Guillaume  Briçonnet'''.  Grâce  à 
cet  inventaire,  M"'' Louise  Guiraud,  dans  un  récent  mémoire,  a  pu 
reconstituer  «sinon  dans  l'intégrité  du  texte,  du  moins  dans  l'inté- 
«  gralitéde  sa  portée  documentaire,  l'fcuvre  entière  de  Bernard  Gui'""'  ». 
Cette  œuvre  comprend  quatre  parties,  cpie  l'on  peut  considérer 
comme  quatre  ouvrages  dillerents  :  un  (Jartulaire,  un  Catalogue  des 
évêques,  un  Synodal,  un  Etat  des  églises  du  diocèse'"''.  A  chacun  de 
ces  ouvrages  il  convient  de  consacrer  une  notice  distincte. 

31.   Cartulahium  ecci.hsie  Lodoi  Ei\sis. 

En  tête,  un  court  préamhule  ainsi  conçu  : 

Quoniam  liUrre  et  instrumenta  publica  de  faciii  perduntur,  ideo  frafer  Bernar- 
dus,  episcopus  Lodovensis,  jiissit  scrit)i  cartas,  Incta  diligent!  collationc  cuin  origi- 
nalibus  et  per  manus  notaiiormii.  Nos  enim  ac  predecossores  nostri  episcopi  in  tola 
civitate  et  dyocesi  Ijodovensi  possunius  faccre  ol  creare  notarios  publicos,  ulpoto 
(|ui  plénum  et  menim  imperium  cum  jure  regaliuni  in  eadem  dyocesi  in  solidiini 
hatieinus. 

Le  Cartulaire  comprenait  cinq  livres  :  les  quatre  premiers,  consa- 
crés aux  Recognitiones ,  portaient  simplement  le  litre  de  :  Liher  pnmus 
recognitionum,  Liber  seciindus  recogmtionum,  etc.  Le  cinquième  avait 
un  ohjet  spécial,  clairement  défini  dans  le  titre  :  Liber  pnvilegioruin  el 
concessionam  summorum  pontificum  el  Francoriim  regum  atcjne  alionim. 
L'ensemble  des  documents  reproduits,  dont  plusieurs  étaient  relatifs 
à  l'épiscopat  même  de  Bernard  Gui,  et  où  l'on  inséra  par  la  suite 
quelques   pièces    concernant   son    successeur   immédiat,   Bertrand 

'■'  Arch.  dép.  de  l'Hérault,  série  G.  L'in-  fait  un  tirage  à  pari  :  Les  ouvrages  lodevois  de 

ventaire  occupe    les    fol.  65  v°-i58  r°  du  vo-  Bernard  Gui  reconstitués.  Etude  sur  leurs  sources 

lume.  Il  en  a  été  fait,  au  xvil' siècle ,  une  copie  el  leur  portée,  par  L.  Guiraud  (Paris,  iç)oo). 
textuelle,  page   pour  page,  qui   est  conservée  ''*   Notons  que    Bernard  Gui   avait  pris   la 

dans  le  même  dépôt,  et  dont  le  meilleur  état  peine  de  faire  lui-même  et  de  transcrire,  soit 

matériel  permet  de  lire  quelques  passages  de-  au  commencement,  soit  à   la  fin  de  ces  cinq 

venus  illisibles  dans  l'inventaire  original.  volumes,  des    tables  destinées    h    en    facililer 

'''   Ce  mémoire  forme  la  note  v  de  l'ouvrage  l'usage  :  «  Quos  libres  omncs  ipse  per  se  ipsurn 

posthume  d'Ernest  Martin  intitulé  :  //isioire  (fe  «  cum  diligentia   labulavit»  (l.i.  Guiraud,   p.  S 

la  ville  de  Lodève,  t.  II,  p.  398-435.  II  en  a  été  du  tirage  à  part). 


228  BERNARD  GUI,  FRERE  PRÊCHEUR. 

Du  Mas,  et  l'évêque  Aimeri  Hugon,  qui  siégea  de   i36i    à    iSyo, 
atteignait  presque  le  cliilïre  énorme  de  700. 

L'analyse  détaillée  de  ce  recueil  ne  saurait  trouver  place  ici.  Remar- 
(|uons  seulement,  instruits  par  M"' L.  Guiraud,  qu'il  existait,  avant 
Bernard  Gui,  un  carlulaire  de  l'église  de  Lodéve,  aujourd'hui  perdu. 
Notre  auteur  a  dû  l'avoir  sous  les  yeux  et  en  tirer  parti,  mais  il  ne 
la  pas  suivi  aveuglément.  Non  seulement  il  a  préféré,  quand  il  le 
pouvait,  recourir  aux  actes  originaux,  mais  il  semble  avoir  écarté 
de  parti  pris  quelques  documents  suspects. 

32.    StATUTA,   ORDINATIONES,  CO\STITUTIONES  SYNODI  LoDOVENSlS. 

Bernard  Gui  a  tenu  à  conserver  à  la  postérité  les  statuts  pro- 
mulgués dans  ses  synodes  diocésains  de  la  Saint-Luc  (18  octobre) 
en  1 325  et  en  i3i6.  Pour  loaÔ,  Iç  texte  nous  est  parvenu  au  complet. 
Pour  iSaô,  nous  ne  possédons  que  deux  onUnaùones,  l'une  sur  la 
préparation  du  saint  chrême,  l'autre  relative  à  la  condamnation  de 
Jean  de  Pouilli,  et  dans  laquelle  est  notifiée  aux  fidèles  et  reproduite 
la  célèbre  bulle  du  pape  Jean  XXll,  du  2/1  juillet  i32  i  <";  mais  nous 
savons,  par  une  analyse  rédigée  à  la  fin  du  xv^  siècle,  que,  dans  ce 
dernier  synode,  fut  promulguée  une  ordonnance  sur  l'organisation 
intérieure  du  chapitre  de  la  cathédrale.  Nous  possédons  aussi  une  sorte 
de  constitution  du  synode  lui-même,  intitulée  :  Forma  synodi,  dont  on 
a  proposé,  avec  quelque  hésitation,  de  lui  attribuer  la  paternité.  Il  est 
très  probable,  comme  M"^  L.  Guiraud  est  portée  à  l'admettre'^',  que 
cette  constitution  remonte,  en  réalité,  à  f évêque  Guillaume  de  Cazouls 
(1240-1259);  Bernard  Gui  a  du  moins  le  mérite,  l'ayant  rééditée,  de 
nous  en  avoir  conservé  le  texte.  Nous  serions  assez  enclins  à  lui  attri- 
buer un  mérite  analogue  vis-à-vis  de  statuts  synodaux  fragmentaires, 
antérieurs  à  son  épiscopat,  et  dont  nous  ne  connaissons  pas  la  date 
exacte,  statuts  qui  se  trouvent,  comme  tout  ce  que  nous  venons  d'énu- 
mérer,  dans  le  ms.  29  de  la  Bibhothèque  de  la  ville  de  Montpellier. 

Les  Statata  de  i325,  les  Ordinationes  de  i326,  et  la  Forma  synodi 
ont  été  publiés,  en  1894,  par  le  chanoine  Douais,  qui  en  a,  le  pre- 
mier, fait  connaître  fexistence*^'. 

'•'  Voir  histoire  littéraire,  t.  XXXIV,  p.  a55.—  '*>  Ouvr.  cité,  p.  3i.  —  '*'   Vu  iiouitl  écrit  de 
Bernard  Gui  (Paris,  1894). 


SES  ÉCRITS.  229 

33.   Catalogus  episcoporvm  Lodovenswm. 

Ayant  consacré  des  opuscules  aux  évêques  de  Limoges  et  de  Tou- 
louse, Bernard  Gui  ne  pouvait  faire  moins  pour  les  évêques  de  Lodève, 
ses  prédécesseurs.  Nous  serons  brefs  sur  son  Catalogus  episcoporum 
Lodovensium ,  yiarce  que  nous  n'en  possédons  pas  le  texte  dans  son  in- 
tégrité, et  qu'il  est  hasardeux  de  fonder  un  jugentent  sur  les  fragments 
qui  en  ont  passé, plusou  moins  exactement  transcrits,  dans  un  inventaire 
manuscrit  fait  sous  l'épiscopat  de  Briçonnet  et  dans  le  livre  imprimé 
de  Plantavil  de  La  Pause.  M""  L.  Guiraud,  grâce  à  une  critique 
très  pénétrante,  nous  paraît  avoir  prouvé  l'existence  d'une  nomen- 
clature des  évêques  de  Lodève  antérieure  à  Bernard  Gui;  ce  dernier 
a  dfi  la  j)ren(lre  pour  base  de  son  Catalogus,  mais  en  ayant  soin  de  la 
rectifier  et  de  la  compléter  selon  ses  moyens  d'information.  11  nous 
])araît  moins  sûr,  en  revanche,  que  cette  nomenclature  puisse  être 
attribuée  à  l'évêque  Guillaume  de  Cazouls.  On  notera  en  outre 
que  deux  évêques  de  Lodève,  saint  Flour  et  saint  Fulcrand,  llgurent 
à  la  fois  dans  le  Catalogus  et  dans  le  Spéculum  sanctorale.  D'après 
M"'  L.  Guiraud,  il  n'y  a  pas  de  diflerence  essentielle  entre  les  deux 
ouvrages  en  ce  qui  concerne  le  premier;  au  contraire,  en  ce  qui 
concerne  le  second,  le  Spéculum  sanctorale  s'est  affranchi  de  deux 
erreurs  qui  se  trouvent  dans  le  Catalogus  et  dont  il  faut  peut-être  faire 
remonter  la  responsabilité  première  à  l'ancienne  nomenclature  utili- 
sée par  Bernard  Gui. 

34.  Registrum  ecclesiarum  diocesis  Lodovensis. 

Le  moyen  âge  nous  a  laissé  un  assez  grand  nombre  de  pouillés 
diocésains.  Il  serait  excessif  de  considérer  la  rédaction  d'un  document 
administratif  de  ce  genre  comme  une  œuvre  littéraire,  et  d'en  faire 
un  titre  pour  le  fonctionnaire  qui  l'a  couché  par  écrit  et  pour  l'évoque 
qui  en  a  ordonné  l'exécution.  Mais  le  Registrum  de  Lodève  sort  de 
l'ordinaire;  on  y  sent  vraiment  la  griffe  de  Bernard  Gui,  non  seule- 
ment comme  évêque,  mais  comme  écrivain,  historien  et  archéologue. 
Qu'on  en  juge  par  les  premières  lignes,  début  d'une  introduction  de 
large  envergure,  qui  ne  nous  a  malheureusement  pas  été  conservée 
en  entier  : 

Lodova  civitas,  que  anliquitus  vocabatur  Luteva,  sita  in  convalle,  a  duobus 


230  BKRNARD  Gif,  FRERE  PRECHELIR. 

latoribus  suis  cingitiir  et  claudiliir  duobus  (liiviis  non  inagnis  :  unus  ortum  habtt 
in  parochia  Sancti  Salvatoris  de  Rippa.in  eadeni  diocesi,  et  vocatur  Lirga"*;  secun- 
diis,  niinor  alio,  qui  Solondrus''^'dicilur,  cresrit  et  decrescit  infra  eandeni  diocesiin. 

Beaucoup  d'articles  sont  remarquables,  non  seulement  par  l'exacte 
description  des  lieux  et  l'indication  des  moyens  propres  à  y  réorga- 
niser le  service  religieux,  quand  le  besoin  s'en  fait  sentir,  mais  par 
les  données  liistoriques  qui  s'y  rencontrent.  Trois  exemples  suffiront 
à  édifier  le  lecteur  : 

Ecclesia  Sancti  Martini  de  Saivasargues'^'.  —  Facta  est  ruralis  et  sine  cura.  Epi- 
scopus  visitans  non  vadit  ad  locuni  vetercni  dicte  ecclesie  jam  deserluni,  sed  venit 
ad  capeiiani  de  l^odio  Augerii'"'  ioeo  ejus.  Oiini  Iratres  de  Nebiano'^'  edilicaverunt 
capeilani  in  bonore  Sancli  Martini  in  loco  vocato  de  Po(Uo  Aiigerii,  in  territoiio 
ecclesie  de  Salvasargues,  scd  nuiic  déserta  est. 

Ecclesia  Sancti  l^rivati  de  Fontccassio'^'.  —  Ibi  olini  fuit  rapella  Sancti  Vin- 
centii,  cujus  caput  et  parietes  veteres  adbuc  sunt. 

Ecclesia  Béate  Marie  de  Roviniaco '''.  ^ — -  Facta  fuit  ruralis  et  sine  cura,  \ide- 
retur  tamen  bonum  quod  dicta  ecclesia  iterato  (ieret  parrocbialis  et  baberet  curam 
animarum  ([uatuor  aut  quin(|ue  niansorum  exislentiuni  in  locis  proximioribus. 

Il  serait  utile  que  ce  Rc(jislrum  fût  publié  intégralement.  La 
pid)lication  en  serait  sans  doute  à  l'honneur  de  Bernard  Gui,  et  ajou- 
terait encore  à  la  reconnaissance  de  la  postérité  pour  l'infatigable  ou- 
vrier de  plume  qu'il  fut.  M"''  L.  Guiraud,  qui  a  lu  d'un  bout  à  l'autre 
cette  composition  si  originale,  manifeste  à  son  endroit  une  véritable 
admiration. 


XI.  —  Ecrits  attribués  par  erreur  à  Bernard  Gui. 

I.  Percin  et  Echard  ont  affirmé  que  des  sermons  de  Bernard  Gui 
étaient  conservés  dans  le  couvenl  des  Dominicains  de  Toulouse.  Il 
existe  eflectivement  un  recueil ,  copié  au  xiv^  siècle, dans  le  ms.  3 13  de 
Toulouse,  autrefois  chez  les  Dominicains,  en  tête  duquel  une  main 

'*'  La  Lergue,  affluent  de  l'Hérault.  '''Nébian,     cant.    de    Clermont-iHérault, 

'''  La  Soalondre,  affluent  dç  la  Lergue.  arr.  de  Lodève. 

'''  Lieu  disparu,  près  du  Pucch-Aiigë  men-  '*'  Fouscaïs,   coiniuune   de    Clcrmont-1'Hé- 

tionné  ri-après.  raull. 

'*' Le  Paech-Augé,émincnce  près  deNébian  <''   Rouvignac,  commune  d'Octon,  cant.  de 

où  il  n'y  a  plus  trace  aujourd'hui  de  chapelle  Lunas,  arr.  de  Lodève. 
ni  d'habitation. 


SES  ECRITS.  231 

plus  moderne  a  écril  :  Sermoiies  Bemardi  Gaidunis,  episcopi  Lodovensis , 
de  Ordine  Predicaloram  et  diocesi  Lemovicensi.  Mais  celle  note  est  sans 
valeur:  les  sermons  sont  ceux  du  célèbre  prédicateur  Gui  d'Evreux'"', 
comme  Casimir  Oudin  en  a   depuis  longtemps  fait  la   remarque'^'. 

2.  En  1894,  le  chanoine  Douais,  sur  la  foi  du  R.  P.  Ligier,  a  cru 
devoir  signaler,  aux  Archives  centrales  de  l'Ordre,  dans  le  codex  Ru- 
thcnensis  qui  contient  la  compilation  de  notre  auteur  sur  l'histoire  de 
son  Ordre'^',  «un  nouvel  écrit,  jusqu'ici  inconnu,  du  célèbre  Domi- 
«  nicain  »,  sans  pouvoir  préciser  davantage''*'.  Il  s'agit  incontestable- 
ment de  l'opuscule  qui  se  trouve  à  la  fin  de  ce  manuscrit,  p.  439- 
45o,  et  dont  voici,  d'après  le  manuscrit  lui-même,  le  titre,  le  début 
et  la  fin  : 

Queslioncs  circa  slaluta  Ordinis  Prediculorain.  Quesilum  est  primo  utruiii  profes- 

sionc  siiiuis  obligati  ad  rcgulain  et  coiistitutiones  soluni  ad  obedii'iitiam — 

Illud  tameri  sciât  vestra  dilortio  qiiod  nos ,  cum  vacat ,  iihcnlcr  studcmus  circa  quedam 
que  ad  nostram  religionom  pertinent,  el  jain  circa  regiilani  et  constitutiones  nostras 
quedam  expedivimus,  etc.  {sic).  Expliciunt  Queslioncs  circa  statiila  Ordinis  Fratrnni 
Predicaloram. 

Nous  ne  savons  quel  en  est  l'auteiu';  mais  l'altribulion  à  Bernard  Gui 
ne  saurait  être  acceptée. 

3.  Le  dernier  cahier  du  manuscrit  191  de  'J'oulouse  contient 
une  Somme  de  la  foi  chrétienne,  qui  a  été  attribuée  formellement  à 
Bernard  Gui  par  l'auteur  du  catalogue'^',  bien  qu'elle  soit  anonyme 
dans  le  manuscrit.  Cette  erreur  d'attribution  a  été  corrigée,  dès  1894, 
par  le  chanoine  Douais,  comme  nous  favons  déjà  fait  remarquer''''; 
il  peut  être  utile  de  le  rappeler  à  cette  place. 

II.  Casimir  Oudin'*  a  supposé  que  Bernard  Gui  était  l'auteur  d'urt 
ouvrage  auquel  il  donne  le  litre  de  Compeiidinm  fidei  cathoUcœ  et  qu'il 
signale  dans  le  ms.  5687  de  la  Bibliothèque  du  roi,  fol.  20  et  suiv. 
Ce  manuscrit  est  celui  qui  porte  actuellement  le  n"  2  338  du  fonds 

'"'  Histoire  littéraire ,  t.  XXI,  p.  i-j^-iSo.  '''  Ci-dessus,  p.  ig^,  suite  de  la  note  3  de 

'"'   Comm.  de  scriploribus  Ecclesiœ   antiquis ,  la  page   précédente. 
I.   III   (1722),  col.   800;   cf.  Delisle,  p.  36C,  '*'   Acia  capitaloram  provincialiam,  p.  civ. 

S  a  16,  et  Auguste  Molinier,  Catalogue  des  mss.  '''  Catalogue  cité,  t.  VII,  p.  120. 

lies  bibl.  des  départements ,  in  4°,  t.  Vil,  i883,  '*'   Ci-dessus,  p.  167,  note  3. 

p.  181-182.  (')  Ouvr.  cité,  t.  III,  col.  81!. 


232  BERNARD  GUI,  FRERE  PRECHEUR. 

latin,  à  la  Bibliothèque  nationale.  L'écriture  est  du  xv°  siècle,  d'une 
main  italienne.  L'ouvrage  y  est  intitulé  :  Liher  de  cxcmplis  natiiralibtis. 
L'auteur,  dont  le  nom  nous  est  inconnu,  est  un  religieux  (jui  parait 
avoir  écrit  dans  la  seconde  moitié  du  xiii*  siècle,  et  dont  la  patrie  doit 
être  cherchée  en  Italie:  c'est  ce  que  prouvent  maintes  allusions  au  Vo, 
à  l'Arno,à  l'Adriatique,  aux  villes  de  Ferrare  el  de  Morence,au  tyran 
Ezzelino  (mort  en  isSq),  etc.,  que  nous  avons  remarquées  sous  sa 
plume.  Bernard  Gui  est  hors  de  cause,  et  encore  plus  (est-il  besoin 
de  le  dire?)  Julien  de  Tolède,  mort  en  690,  sous  le  nom  du(piel 
l'ouvrage  est  mentionné  dans  le  catalogue  des  manuscrits  latins, 
imprimé  en  1744  (t.  111,  p.  266). 

\.  T. 


MAUCO   POLO. 


Voici  im  des  plus  grands  noms  de  l'histoire  littéraire  du  moyen 
âge.  —  Un  homme,  né  au  temps  de  saint  Louis,  s'est  rencontré  en 
(Jccident,  intelligent,  clairvoyant  et  aventureux,  que  les  hasards  de 
la  vie  ont  transplanté  dès  sa  jeunesse  dans  les  contrées,  inconnues  à 
presque  tous  ses  contemporains,  de  l'Extrême-Orient.  H  y  a  fait,  au 
service  et  par  la  protection  particulière  de  l'Empereur  de  Chine,  une 
brillante  carrière  de  courtisan,  d'agent  confidentiel  et  d'administra- 
teur. Il  a  parcouru  ainsi,  pendant  dix-sept  ans,  dans  des  conditions 
éminemment  favorables,  les  chemins  de  l'Asie  mongole.  De  retour  dans 
sa  patrie  vers  l'âge  de  (juarante  ans,  il  vécut  encore  plus  de  jours 
qu'il  n'en  avait  passé  à  l'étranger.  Occupé  à  réunir  et  à  rédiger  ses 
souvenirs.^  L'ambition  littéraire  n'était  pas  commune,  en  ce  tenqjs-là, 
chez  les  honimes  d'action,  el  notamment  chez  les  explorateurs.  C'est, 
send)le-t-il ,  un  autre  hasard,  presque  aussi  singulier  que  celui  qui 
leur  avait  fait  courir  le  monde,  qui  décida  à  écrire,  ou  à  dicter,  les  voya- 
geurs de  cet  âge  dont  on  a  conservé  des  récits  :  Marco  Polo  comme 
Odoric  de  Pordenone,  Nicolô  Conli  et  Ibn  Batouta.  Mais  enfin  l'ancien 
favori  du  "  grant  Kaan  »  qui,  comme  nous  le  verrons,  avait  ia])porté 


MARCO  POLO.  233 

(le  ses  voyages  non  seulement  des  souvenirs,  mais  des  memoranda 
par  écrit,  a  laissé  un  livre,  fait,  à  ce  que  l'on  croit,  pendant  des  loisirs 
lorcés  comme  prisonnier  de  guerre.  —  Ce  livre  fut  une  révélation.  Il 
y  avait  des  siècles  que,  dans  nos  pays,  le  public  lisant  était  sevré  de 
renseignements  sincères  et  directs  sur  les  contrées  lointaines;  on  vivait 
sur  d'antiques  traditions,  appauvries,  «  eni])ellies  »  et  défigurées  pour 
avoir  trop  longtemps  circulé  de  compilation  en  compilation.  Le  livre 
de  «  Marc  Pol  »,  entièrement  original,  sincère,  raisonnable  et  presque 
sans  fables  (c'est  à  peine  s'il  y  en  est  rapporté  quelques-unes,  par 
oui-dire),  a  ouvert  des  horizons  immenses.  Il  n'est  analogue  qu'à 
celui  d'Hérodote ,  puisque  Christophe  Colomb ,  à  qui  Marco  fut  comparé 
dès  le  xvi"  siècle,  n'a  pas  écrit. 

Une  littérature  énorme  s'est  développée,  naturellement,  depuis  la 
renaissance  des  éludes  historiques,  à  proj)os  du  livre  de  «  Marc  Pol  ». 
Le  dernier  manuel  qui  la  fait  connaître  et  la  résume,  en  y  ajoutant 
beaucoup,  est  de  1908  (  The  liuok  0/  Scr  Marco  Polo. . .,  par  Sir  Henry 
Yule  et  Henri  (^ordier.  Londres,  1908,  2  vol.  in-8")  '''. 

Il  ne  saurait  èlre  question  de  reprendre  ici,  une  fois  de  i^lns,  en 
sous-œuvre,  la  biographie  de  l'auteur;  il  sulïira  d'indiquer  ce  qui  est 
acquis  maintenant  à  ce  sujet,  qui  est,  selon  toute  vraisemblance, 
tout  ce  qu'il  est  possible  d'en  connaître.  Il  ne  saurait  être  question  non 
plus  de  présenter  une  analyse  étendue  de  l'œuvre,  avec  un  nouveau 
commentaire  qui  supposerait  des  découvertes  complémentaires,  dé- 
sormais improbables,  et  en  tout  cas  inespérables  pour  nous,  dans 
l'ancienne  littérature  chinoise.  —  L'intention  de  cet  article  est  simple- 
ment, en  marquant  la  place  du  livre  de  «  Marc  Pol  »  dans  l'histoire  de  la 
littérature  française  du  moyen  âge,  dont  il  est  un  des  joyaux,  d'exa 
miner  ce  qui  reste  encore  indistinct  après  tant  d'études  approfondies*^'  : 
comment  ce  livre,  qui  nous  est  parvenu  sous  des  formes  assez  dillé- 
rentes,  a-l-il  été  composé.^  Comment  faut-il  déhnir,  sinon  résoudre, 
les  problèmes  encore  pendants  de  l'histoire  de  ce  texte  incomparable? 

'"'  Cf.  un  coranle  rendu  de  E.  II.  Parker,  qui  col.  SiyS.  —  Le  dernier  ouvrage  paru  sur  ce 

conlienl  des  additions  :  Some  newfacls  ahoiil  sujet  est  une  traduction  du  «  Livre  »  en  suédois, 

Marco  Volo's  liook,  dans  The  Impérial  and  Asia-  avec  introduction  et  notes,  par  B.  Tliordeman  : 

tic  quarterly  Review,  janvier  1904,  p.  125.  —  Vcnetianarcn  MarcoPolos  resor.  .  .  (Stockholm, 

Pour  la  bibliographie  de  l'œuvre  de  Marco  Polo  '  9 «  7)-  H  est  s;ins  valeur  originale, 
jusqu'à   1907,  voir  H.  Cordier,  Bibliotlteca  si-  '''  C'était  le  sentiment  de  G.  Paris  (La  litté- 

Hica, 1. 111(1906), coL  i964-i997;t.IV(»907),  ralure  française  au  moyen  âye.i  91). 

HIST.  I.ITTKR.  XXXV.  3o 


234  M\RC()  POLO. 

I.  Sa  vie.  —  Andréa  Polo,  de  la  paroisse  de  San  Felice,  à 
Venise,  eut  trois  fils  :  Marco,  Nicolô  et  MalTco.  L'aîné,  Marco,  établi 
à  Constantinople,  avait  un  comptoir  à  Soldaia  en  Crimée;  ses  deux 
frères  étaient  intéressés  dans  ses  affaires.  Vers  1 255,  Nicolô  et  Maffeo 
partirent  de  Soldaia  dans  la  direction  de  la  Volga  et,  après  un  long 
séjour  chez  les  Tatars  du  Kipkiiak,  gagnèrent  Boukhara;  ils  v  ren- 
contrèrent des  gens  du  (Irand  Khan  Koublaï  qui,  retournant  dans 
leur  pays,  les  engagèrent  à  les  suivre.  Ils  restèrent  assez  longtemps  à  la 
cour  de  koublaï  pour  être  en  état  de  parler  la  langue  ou  les  langues 
qui  y  étaient  en  usage  et  de  s'entretenir  avec  ce  prince,  qui  n'avait 
jamais  vu  auparavant  d'Occidentaux,  des  choses  du  pavs  des  Latins, 
dont  il  était  curieux.  Le  Khan  les  chargea  llnalenient  d'une  ambassade 
auprèsdu  Saint-Siège  (i  266].  A  leur  arrivée  sur  les  bords  de  la  Médi- 
terranée, en  avril  12G9  —  car  ils  avaient  été  trois  ans  en  route,  — 
le  Saint-Siège  étant  vacant  depuis  la  mort  de  Clément  IV  (t  29  novem- 
bre 1268),  ils  allèrent  attendre  chez  eux,  à  Venise,  l'élection  d'un 
nouveau  pape.  Mais  l'interrègne  n'en  finissait  pas  ;  après  deux  années 
écoulées,  ils  décidèrent  de  se  procurer  à  Jérusalem  de  l'huile  de  la 
lampe  du  Saint-Sépulcre,  dont  Koublaï  avait  marqué  le  désir  d'avoir 
un  échantillon,  et  de  lui  rapporter  cette  preuve  de  l'accomplissement 
de  leur  mission.  Sur  ces  entrefaites,  le  légat  pontifical  en  Terre  Sainte, 
Tedaldo,  des  Visconti  de  Plaisance,  fut  choisi  par  le  Sacré  Collège 
(i''  septembre  1271)  et  prit  le  nom  de  Grégoire  X.  Mos  Vénitiens  en 
furent  informés  à  l'Aias,  en  Petite  Arménie,  où  ils  étaient  déjà  parve- 
nus, première  étape  de  leur  seconde  grande  expédition  vers  l'Est.  Us 
revinrent  aussitôt  à  Acre  afin  de  présenter  leurs  lettres  de  créance  au 
pape  élu  et  de  recevoir  ses  réponses  '  .  Cela  fait,  ils  s'enfoncèrent  de 
nouveau  (novendjre  1271)  dans  les  profondeurs  de  fAsie,  pour  re- 
joindre Koublaï.  Par  Sivas,  Mossoul,  Bagdad'-  (ou,  peut-être,  par 
Tau  ris ,  Sultanieh ,  Ye/.d*'' ,  Ormouz ,  le  Kerman ,  le  Khorassan  et  la  vallée 

<''   La  chronologie  de  ces  événeinenls,  telle  rédiges  enjiaiiçah  nu.r  ai',  mi'  el  mu'  siècles, 

qu'elle    est   dans   le   Li\re   de   Marco   Polo   et  publ.  par  II.  Michelantel G. l\aynaud  (Genève, 

qu'elle  a  été  acceptée  par  tous  les  niotlcrnes,  188 a),  p.  xxix. 

jusques  et  y  compris  \u\e  el  Cordier,  ne  va  pas  '*'  Cet  itinéraire  est  celui  qu'indiquent  Yule 

sans  difTicultés.  Mais  le  dernier  séjour  des  Polo  et  Cordier,  op.  cil.,  t.  I ,  p.  19. 

à  Acre  se  place  nécessairement  avant  le  18  no-  '^'   P.   M.   Svkes,   .1   /ii.v'orj  «/  Persia ,  t.   II 

vembrc  1271,  date  du  départ  de  Grégoire  X  (London,  191.')),  p.   181.  (^f.  II.  Cordier,  Ser 

pour  l'Occident.  Voir,  sur  ce  jioint,  Iliiiriiiiies  Marco    Polo.    \'ote$    and     \ddeiida    (London, 

à  Jérusalem   et  descriptions  de  In    Terre  Sainte  1930),  p.  5. 


SA  VIE.  235 

supérieure  de  l'Oxas,  ils  atteignirent  lentement  les  hauts  plateaux  du 
Pamir,  qu'aucun  Européen  ne  devait  revoir  après  eux  pendant  des 
siècles.  Leur  itinéraire  fut  ensuite  par  Kachgar,  Yarkand  et  le  Kho- 
tan,  à  travers  le  grand  désert  de  Gobi,  jusqu'au  Tangout  (ou  Chine 
du  Nord-Ouest),  et,  en  dernier  lieu,  jusqu'à  la  résidence  estivale  du 
grand  Klian  à  Kaï-p'ing-fou,  à  cent  milles  au  Nord  de  la  Grande  Mu- 
raille. 

Dans  cet  immense  voyage,  sans  précédent  connu,  qui  lut  achevé 
au  milieu  de  l'été  de  l'i"]^^,  Ser  Nicole  avaif  emmené  son  fils  Marco, 
âgé  de  quinze  ans  environ  en  1269,  et,  par  conséquent,  majeur  à 
l'arrivée. 

Le  jeune  Marco  s'appliqua,  comme  l'avaient  lait  auparavant  son 
père  el  son  oncle,  à  l'acquisition  des  langues,  des  écritures  et  des 
coutumes  usitées  à  la  cour  et  dans  l'Empire  du  Grand  Khan.  Il  fut 
bientôt  employé  lui-même  parKoublaï,  à  qui  sa  vivacité  et  sa  curio- 
sité avaient  plu.  La  ])remière  grande  mission  à  laquelle  on  l'adjoignit 
olTiciellement  fut,  <lil-il,  «en  une  teri-e  ou  bien  avoit  six  mois  de 
chemin  ».  M.  Pauthier  a  cru  jadis  établir  qu'il  s'agit  ici  de  l'Vnnam  ou 
duTonkin,  où  une  ambassade  impériale  lut  envoyée  entre  i'<77  et 
iq8o;  et  il  a  signalé  vers  ce  temps-là,  dans  les  Annales  chinoises  de 
la  dynastie  mongole,  la  nomination  comme  «commissaire  ou  envoyé 
en  second  du  Conseil  privé»  d'un  certain  Po-lo,  cpn,  à  son  avis, 
n'est  autre  que  notre  homme.  Cette  dernière  identification,  si  frap- 
pante, est,  malheureusement,  illusoire:  le  nom  de  Po/i-lo  ou  Pouh-Jo 
paraît  avoir  été  assez  commun  à  cette  époque  en  Chine  parmi  les 
indigènes,  même  dans  la  famille  impériale  ;  et  il  est  certain  que  le  per- 
sonnage de  ce  nom  qui  fut  alors  attaché  comme  «  commissaire  en  se- 
cond »  à  l'expédition  dans  les  régions  du  Sud  a  reçu  d'autres  faveurs 
de  Koublaï  avant  l'arrivée  des  Vénitiens  en  127. S  et  après  leur  départ 
en  1292*''. —  Cependant,  le  «livre»  de  Marco  raconte  que  Koublaï 
fut  très  satisfait  du  compte  qui  lui  fut  rendu  de  son  voyage  par  le  fils 
de  Ser  Nicolô;  car  il  s'intéressait  aux  «manières  des  diverses  con- 
trées»; il  se  délectait  à  «entendre  estranges  choses»;  et  ses  ambassa- 

"'   K.  H.  Parker,  oji.  cit.,  p.  128.  M.  Parker  iiiourlre  du  ministre  Ahmed  dans  la  troisième 

estime  encore,   toutefois,  que  le   Voh-lo  qui,  lune  de  iiH'!,  peut  «4re  identifié  avec  Marco; 

d'après  les  Annales  chinoises ,  était  avec  Koublaï  ce  qui  est  contesté  (  H.  Cordicr,  Ser  Marco  Polo, 

à  Chagan  Nor  quand  on  y  apprit  la  nouvelle  du  p.  8).  Cf.  la  note  suivante. 

3o. 


230  M\RCO  POLO. 

deurs  l'agaçaient  d'habitude  par  leur  sottise,  qui  ne  savaient  lui  parler, 
au  retour,  que  «  de  ce  pour  quoy  il  estoient  aie  ». 

Marco,  le  «joene  bacheler»,  servit  Koublaï  pendant  longtemps; 
mais  il  s'est  abstenu  de  faire  connaître  en  détail  son  cursus  hononun. 
C'est  incidemment  qu'on  apprend,  en  lisant  son  ouvrage,  qu'il  lut 
employé  trois  ans  au  gouvernement  de  la  grande  ville  de  ^  ang- 
tcheou  *'';  qu'il  passa  un  an,  avec  son  oncle  Malîeo  à  Kan-lcheou, 
dans  le  Tangout  '-';  qu'il  eut  communication  des  archives  de  la  dynas- 
tie des  Soung '^';  qu'il  visita,  en  mission,  peut-être  la  Birmanie  ''*', 
certainement  le  Yun-nan,  la  Cochinchine,  l'Inde,  etc. 

Les  trois  Vénitiens,  enrichis  durant  ce  long  séjour,  auraient  volon- 
tiers repris  la  direction  du  pays  natal.  Mais  il  fallait  attendre  une 
occasion.  Elle  se  présenta  lorsqu'Argoun,  le  souverain  mongol  de  la 
Perse,  devenu  veuf,  lit  demander  au  Grand  khan  une  autre  épouse 
de  son  sang.  Les  ambassadeurs  d'Argoun,  sur  le  point  d'emmener  en 
Perse  la  fiancée  désignée,  préférèrent  la  voie  maritime  à  la  route  de 
terre,  si  longue  et  si  fatigante  pour  une  princesse.  Or  on  leur  parla 
de  la  grande  expérience  que  Ser  Nicole,  Ser  Malleo  et  Ser  Marco,  et 
spécialement  le  derniei-,  ([ui  revenait  à  cette  époque  de  finde  '\ 
avaient  des  mers  du  Sud  ;  ils  prièrent  Koublaï  de  les  leur  accorder 
comme  guides  et  compagnons.  C'est  ainsi  que  les  Polo  s'embarquèrent, 
avec  (les  lettres  du  Grand  Khan  pour  les  rois  de  la  chrétienté  occiden- 
tale, sur  la  flotte  destinée  à  la  Perse,  qui  relâcha  d'abord  à  Sumatra. 
Mais  Argoun  était  mort  (lo  mars  1291)  lorsque  les  vaisseaux  mon- 
gols jjarvinrent  à  destination.  Nos  Latins  ayant  conduit  heureusement, 
jusqu'au  bout,  la  princesse  dont  ils  avaient  été,  pour  ainsi  dire,  les 
chaperons  au  cours  d'un  périple  difllcile,  continuèrent  ensuite,  j)ar 
terre,  leur  voyage  personnel,  iwaTauris,  Trébizonde,  Constantinople 
et  Négrepont.  C'est  en  i  igô  (s'il  faut  en  croire  Marco,  dont  toutes  les 
dates  sont  un  peu  sujettes  à  caution)  qu'ils  regagnèrent  enfin,  et  défi- 
nitivement, Venise.  Le  savant  vénitien  G.  B.  Ramusio  (t  lob-j)  rap- 
porte (jue,  de  son  temps,  le  souvenir  traditionnel  persistait  encore 

''■   Yule  et  Corilier,  t.  H,  p.  iSy. —  E.  H.  tondant   des    salines»    à    Vani;-tflieoii. 
l'urker  se  demande  s'il  lut,  à  proprement  parler,  ''   ^iilc  et  Cordier,  t.  I",  p.  aao. 

<■  jjouverneur ",  chose  très  peu  vraisemblable;  '•  /6i(/.,  t.  Il,  p.  i85. 

cl  il  remanjue,  sans  conclure,  (]u'un  Vok-lo  '''  En  laSi.  Ih'ul.,  t.  II,  p.  i\\. 

fut,  peu  après  1281,  appointé  comme  «surin-  '^'   Ibid.,  I.  I",  p.  ?>l. 


SA  VIE.  237 

dans  cette  ville  de  leur  aspect  étrange  lorsqu'ils  rentrèrent  dans  leurs 
foyers  de  la  paroisse  San  Giovanni  Grisostomo,  qu'ils  n'avaient  pas 
vus  depuis  vingt-six  ans  :  ils  ressemblaient  à  des  Tatars  par  le  costume, 
la  figure  et  même  le  langage,  car  ils  ne  parlaient  plus  leur  dialecte 
maternel  qu'avec  difficulté,  un  accent  étranger,  et  en  l'entremêlant 
de  mots  bizarres  :  mongols,  ouïgours,  chinois  ou  persans. 

On  ne  sait  rien  de  Ser  Marco  depuis  sa  rentrée  à  la  «  Cà  Polo  "jusqu'à 
la  fin  de  l'année  1298.  A  cette  date  il  est  à  Gênes,  en  prison.  Pour- 
quoi? Comme,  le  7  septembre  1298,  à  la  bataille  navale  de  Curzola, 
les  Génois  firent  sept  mille  prisonniers  aux  Vénitiens,  qu'ils  transpor- 
tèrent aussitôt  à  Gènes,  il  est  sans  doute  légitime  de  conjecturer  que 
Ser  Marco,  encore  d'âge  militaire,  avait  été  pris  dans  cette  rafle.  Il  est 
probable  aussi,  par  suite,  qu'il  fut  relâché  peu  de  temps  après  la  paix 
conclue,  le  18  juillet  1  299,  entre  Gênes  et  Venise. 

Ser  Marco  vécut  encore  un  quart  de  siècle  après  Curzola;  mais  les 
érudits  n'ont  rien  relevé  d'important  dans  les  archives  de  Venise  qui 
ait  trait  à  cette  période  de  sa  carrière.  Le  10  avril  i3o5,  «  nobilis 
Marchus  Paulo  Milioni  »  *''  est  cité  dans  les  registres  du  Grand  Conseil 
comme  garant  d'une  amende  infligée  à  un  certain  Bonocio  de  Mestre 
pour  contrebande  de  vin  '"^'.  En  1 3 1 1 ,  le  même  personnage  gagne  un 
procès  contre  un  commissionnaire  en  marchandises  qui  l'avait  fraudé 
dans  une  petite  affaire  de  musc'"*'.  En  mai  1 32  3,  il  est  partie  dans  une 
contestation  de  mur  mitoyen'*'.  Le  9  janvier  i324,  il  fait  son  testa- 
ment, car,  quoiqu'il  soit  sain  d'esprit,  sa  santé  baisse  de  jour  en  jour  ; 
il  partage  ses  biens  entre  ses  trois  filles,  fait  divers  legs  à  sa  femme 
Donata,  à  des  corporations  pieuses  et  à  son  domestique  Pierre  le  Tatar, 
qu'il  affranchit  '^'.  On  a  la  preuve  qu'il  était  mort  depuis  quelque 
temps  en  1 326.  Il  fut  enterré  dans  le  cimetière  de  l'église  San  Lorenzo, 
oiî  il  avait  marqué  sa  sépulture;  sa  pierre  tombale  a  disparu  depuis 
longtemps. 

<"'  Il  semble  que  les  Polo  de  San  Giovanni  '''  Ibid.,  t.  I",  p.  70;  cf.  t.  H,  p.  5i  i. 

Grisostomo  aient  été  désignés  depuis  leur  retour  '*'  Ibid.;c{.t  II,  p.  5 12. 

par  le  sobriquet  //  Mitione,  pour  les  distinguer  '*'  Ibid.,  t.  I",  p.  7i;  cf.'t.  II,  p.  5i3.  —  Ce 

(le  leurs  homonymes.  testament  n'accuse  pas  une  fortune  considé- 

'*'  YuleetCordier,  t. l",p. 67;cf.  t.  II.p. 5ii.  rable. 


238  ^L\RCO  POLO. 

II.  Le  «  LiVKE».  —  Le  «Livre»  de  Marco  Polo  nous  est  parvenu 
sous  des  formes  diverses,  qui  seront  définies  plus  loin.  Mais 
il  faut  en  indiquer  d'abord  le  plan ,  uniforme  dans  toutes  les  rédactions. 

Il  se  compose  de  deux  parties,  dont  le  raccord  est  marqué  en  ces 
termes  dans  les  rédactions  en  français  : 

A.  Or  puis  que  je  voz  ai  contez  tôt  le  fat  dou  prolej^ue  onsi  ron  voz  avés  oï, 
adonc  romecorau  le  Livre  '". 

l^.  Or  j)uis  que  je  vous  ai  conté  tout  le  fait  du  prolegue  ainsi  comme  \ous  avez 
ouy,  si  commenceiay  le  I^ivir  du  dexisement  des  diversités  que  me-isiic  Marc  trova  - . 

Dans  le  Prologue  l'auteur  esquisse,  trop  brièvement  à  notre  gré, 
l'historique  des  aventures  personnelles  des  Polo  depuis  le  départ  des 
deux  frères  établis  à  Constantinople  jusqu'au  retonr  délinitifdc  Marco, 
de  son  père  et  de  son  oncle  à  Venise,  (l'est  dans  ce  Prologue  que  l'on 
a  pufsé  ])resque  tout  ce  que  l'on  sait  des  trois  vovagenrs  et  de  leurs 
randonnées. 

Le  «Livre"  proprement  dit  est  formé  d'un  nombre,  variable 
suivant  les  mannscrits,  de  chapitres  dont  la  innnérolntion  continue 
d'ordinaire  celle  des  paragraphes  du  Prologii(\  Il  n'a  été  snlidivisc 
en  trois  parties,  pour  plus  de  clarté,  que  dans  une  des  anciennes 
rédactions''  ;  il  l'a  été  en  quatre,  avec  raison,  par  la  pluj)art  des 
modernes  (Pauthier,  Yule,  etc.). 

La  première  jiartie  (ch.  \x-lxxv  de  l'édition  de  la  Société  de 
Géographie;  xix-lxxiv  de  Pauthier)  est  consacrée  à  la  description  des 
régions  visitées  par  l'auteur  et  les  siens,  ou  dont  ils  ont  entendu 
])arler,  depuis  la  Petite  Arménie,  point  de  départ  de  leur  dernier 
voyage  d'aller,  jusqn'à  la  résidence  du  Grand  Khan.  11  n'est  pasdontcux 
que  le  narrateur  s'est  proposé  de  rapporter  là  ce  qu'il  avait  appris  an 
cours  de  son  voyage  d'aller**',  et  c'est  ce  qu'il  a  fait  le  plus  souvent; 

'''   Bibl.   liai.,   nis.  fr.  1116,   fol.  l)   \°  (Ekli-  Or  >'lio   roiilatd   il   |ii-(  lo;;n  de!  I.ibro  di  niC'-M-r 

lion  (le  la  Société  dp  Céogmphic,  cil.  XIX ).  Marco  Polo,  clic  roiiiinria  qui  a  divisare  délie  pio- 

'-'  Édition  (;.  Pauthier,  ch.  xvin,  p.  33.  —  ''"''<"  ''  I''«^'  '"•'  ''^'''  f"  (^''"'™  ''"'°'  im,li«nr. 

Le  passajuc  correspundanl  est  ainsi  conçu  dans  '■•*•  I^""'''  "''"^^'-  ""' •  '9'^-  '''•  *■"•  P-  '•>;• 

le  texte  latin  et  dans  le  texte  italien  :  '''   ^ule  et  Cordier,  1. 1",  p.  90;  t. Il,  p.  55t. 

_,...,,,  .  ■     •  •.  T -1        1      •   •  »«  '*'   I^ans  le  chapitre  du  r.achemire,  on  lit  : 

hxplicil  l'rolo"us  cl  incipit  Lilior  domiiii  Marci  ,,  i-  .  .       ■  11 

l>a,,li   de   descniitionc  prorii.riarum   el   (crraru.n  •  Se  nous  allons  avant,  nous  enlror.ons  en  Inde, 

n.rmeni.',  IVrsidis.  Turrbi.'  c)  ulriusque  Iiidic  et  '  «"*  je  ny  vueil  ps   oie  entrer,  parce  que,  « 

inMil,.niin  que  sunl  111  Yndia  (Ivdilion  delà  Sociélc  »  noslre   relnur.   vous   conterai   d  Inde  tout  par 

de  (iio^rapiiie,  ch.  \,  p.  3ic)).  «ordre»  (Kd.  Pauthier,  p.  128) 


SES  ECRITS.  239 

mais  il  ne  s'en  est  pas  tenu  rigoureusement  à  cette  résolution,  car  il 
a  certainement  fondu  les  souvenirs  de  son  premier  voyage  avec  ceux 
(le  ses  excursions  ultérieures,  soit  comme  chargé  de  missions  par  le 
khan,  soit,  au  retour,  dans  les  contrées  qu'il  avait  traversées  d'abord: 
c'est  ainsi  qu'il  parle  évidemment  de  Kan-tcheou  moins  d'après  ses 
impressions  de  voyageur  nouveau  venu  que  d'après  le  séjour  d'un  an 
qu'il  y  fit  plus  tard,  à  une  date  incertaine,  avec  son  oncle  Mafi'eo '''. 
11  y  a,  dans  le  Livre,  d'autres  épisodes,  comme  celui  du  danger 
couru  par  l'auteur  dans  le  Kerman,  pays  de  métis  indo-tatars,  lors- 
qu'il échappa  à  des  tribus  pillardes  en  se  réfugiant  dans  un  fortin  '-', 
et  comme  celui  de  sa  conversation  avec  l'ingénieur  turc  Zulficar, 
chargé  de  diriger  l'exploitation  des  mines  d'amiante  pour  le  Grand 
Khan  '',  dont  on  ne  saurait  dire  davantage  où  ils  doiventètre  situésau 
juste,  chronologiquement,  dans  la  carrière  de  l'auteur.  La  distinction 
est,  d'ailleurs,  toujours  assez  aisée  entre  ce  qu'il  a  vu  et  ce  qu'il  a 
entendu  dire,  même  lorsqu'il  ne  prend  pas  soin  —  comme,  dans  sa 
préface,  il  avait  promis  de  le  faire'*'  et  comme  il  le  fait  souvent'''  — 
de  spécifier  qu'il  parle  de  visu  ou  d'après  autrui.  On  trouve,  dans 
cette  première  partie,  mêlées  à  la  description  des  lieux,  d'assez  longues 
digressions  d'un  caractère  historique,  notamment  sur  la  conquête  de 
Bagdad  (ch.  xxiv  de  Pauthier),  sur  le  Vieux  de  la  Montagne  (ch.  \l) 
et  sur  Gengiskhan  (ch.  lxiv  etsuiv.).  Snr  la  dernière  de  ces  digressions 
s'en  greffe  une  autre'''',  fort  étendue  et  du  plus  vif  intérêt,  touchant 
les  «  faiz»,  c'est-à-dire  les  mœurs  et  les  coutumes  ties  Tatars. 

La  seconde  partie  (ch.  lxxvi-clviii;  lxxv-clvi)  traite  d'abord 
des  «faiz  et  merveilles»  du  Grand  Khan  «qui  ore  règne»,  le  patron 
des  trois  Vénitiens,  Koublaï.  Son  histoire,  son  portrait,  ses  habitudes, 
son  palais,  ses  chasses,  sa  cour,  son  gouvernement,  sa  monnaie,  sa 
capitale  :  Cambaluc  (Pékin).  —  Le  narrateur  s'exprime  ensuite 
comme  il  suit  :  «  Si  nous  partirons  de  la  cité  de  Cambaluc  et  enterrons 
"  dedens  le  Cathai  pour  conter  vous  des. .  .  choses  qui  y  sont. .  .  »  11 
ajoute  que  «  Marc  Pol  »  fut  chargé  d'une  mission  dans  la  direction  de 

''■  Ed.  Paulhier,  p.  169.  «  nostie  livre  soit  droit  et  \eiitable.  • 

(-  IbiiL,  ]).  83;  cf.  Yule  et  Cordier,   t.  I",  '*'  Éd.  Paulhier,  p.  65,  97. 

\>.  100.  <")  76.,  1. 1",  p.  188:  «Or,  puisque  nous  avons 

''■  Ed.  Pauthier,  p.  161.  «  commencié  des  Tatars,  si  vous  en  dirai  autre 

'''   «Nous   nieltrons  les   choses  venes  pour  «chose 

(1 1  eues  et  les  entendues  pour  entendues,  afin  que 


240  MARCO  POLO. 

l'Ouest  :  •  El  vous  conterai  tout  ce  que  il  vit  en  ceste  voie,  n  Cette  sec- 
tion de  la  seconde  partie  (ch.  cix-cxxix  de  Pautliier)  est  donc,  par 
définition,  le  récit  d'une  exploration  faite  en  service  commandé  dans 
les  provinces  occidentales  de  la  Chine;  elle  conduit  le  narrateur  à 
fournir  des  renseignements,  historiques  et  géographiques,  sur  le 
T'aï-youan,  le  Sse-tch'ouen,  le  Tibet,  la  Birmanie,  le  Bengale, 
l'Annam  et  des  pays  si  difficiles  qu'ils  n'ont  été  retraversés  que  de  nos 
jours  par  des  Européens  (Laos).  Les  meilleurs  commentateurs 
s'accordent,  du  reste,  à  croire  que,  comme  d'habitude,  Marc  a  con- 
signé ici ,  sans  toujours  les  distinguer  expressément,  des  choses  vues  et 
d'autres  dont  il  n'avait  qu'entendu  parler'''.  —  Parti  de  Tcho-tcheou, 
ville  à  4o  milles  de  Pékin,  située  à  la  bifurcation  des  routes  de  fOuest 
et  du  Sud-Est  (ch.  cv),  notre  auteur'se  retrouve  au  même  endroit 
(ch.  cxxix),  après  avoir  bouclé  ce  premier  itinéraire.  Mais  il  en 
repart  aussitôt  par  la  route  du  Ho-nan  pour  une  seconde  tournée, 
cette  fois  dans  la  région  du  Sud-Est,  qu'il  appelle  «Mangy»,  par 
opposition  au  «  Cathay  »  :  à  savoir  la  Chine  du  Sud  depuis  le  cours  du 
Houang-ho,  fancien  Empire  des  Soung,  récemment  conquis  par  les 
Mongols  (ch.  cxxx-ci.vi).  Cette  dernière  section  de  la  seconde  partie 
est  sensiblement  plus  sèche  et  plus  monotone  que  tout  ce  qui  précède. 
Pourtant,  c'est  dans  cette  région  qu'il  avait  été  fonctionnaire  pendant 
trois  ans,  à  \ang-tcheou.  C'est  dans  cette  section  qu'il  raconte 
(ch.  cxLv)  comment  la  grande  ville  de  Siang-Yang  avait  été  prise 
naguère  pour  le  Grand  Khan  grâce  à  de  fartillerie  fabriquée  à  l'euro- 
péenne par  «  un  crestien  nestorien  et  un  alemant  de  Alemaigne  »  qui 
étaient  de  la  «  maisnie  »  de  Ser  Nicole  el  de  Ser  Maffeo.  C'est  là  qu'il 
se  sert  (ch.  cia),  pour  la  description  de  «Quinsay»  (Ilang-tcheou), 
d'une  pièce  oflicielle  des  archives  des  Soung,  qu'il  avait  vue.  Il  y 
allègue  aussi  des  (kinnées  numériques  qui  lui  avaient  été  commu- 
niquées, (Ht-il,  par  le  percepteur  impérial  des  péages  du  Yang-tse 
(ch.  cxLVi),  et  d'autres  qu'il  devait,  sans  doute,  au  receveur  des 
douanes  de  Ts'iouen-tcheou,  le  grand  port  marchand  de  la  Chine, 
dans  le  Fou-kien  (ch.  clvi);  on  y  apprend  d'ailleurs  qu'il  fut,  lui- 
même,  «  envoie  plusieurs  fois  par  le  grant  Kaan  pour  veoir  le  compte 
«  de  ce  que  montent  les  drois  et  les  rentes  »  de  "  Quinsay  »,  une  des  neuf 

'■'  Yule  elCordier,  t.  H,  j».  i3i. 


SES  ÉCRITS.  241 

circonscriptions  du  Mangy  (cli.  cui).  C'est  là,  enfin,  qu'il  a  si  bien 
caractérisé  la  Chine  propre  (ch.  tl),  immuable  jusqu'à  nos  jours  : 
«  Et  se  ceuk  de  la  contrée  de  Mangy  feussent  gens  d'armes,  ilz  con- 
,.  questeroientl'aultre  monde;  malsilx  ne  sont  point  hommes  d'armes, 
«ainssontmarchansetgensmonltsouhtilzdetousmestiers.Etsiamoult 
Mie  philosophes  et  moult  de  mires..  .  »  Mais  il  est  clair  que,  arrivé 
à  ce  point,  le  rédacteur,  sinon  Marco  lui-même,  a  le  sentiment  que 
l'attention  du  lecteur  est  mise  à  rude  épreuve.  Des  neuf  circonscrip- 
tions, ou  royaumes,  du  Mangy,  il  n'en  décrit  que;  trois  et  ajoute  bon- 
nement :  «  Des  autres  six  royauujes  vous  en  sarions  nous  bien  conter , 
«  mais  trop  seroit  longue  la  matière;  si  nous  en  tairons  atant.  »  Rrel , 
il  se  hâte;  on  dirait  (ju'il  est  fatigué. 

Le  sujet  delà  troisième  partie  est  annoncé  à  la  lin  de  la  seconde, 
en  ces  termes  : 

Vous  avés  bien  tout  entendu  h-  l'ail  du  Catai  et  du  Mangy  r[  ;,ntics  contrées 
maintes,  et  des  manières  de  gens  et  de  niarcliandises.  .  .  Kt  poiu-  ce  le  livre  n'est 
pas  encore  acompli  de  ce  que  nous  y  voulons  mettre,  car  il  y  fault  tout  le  fait  des 
Yndiens,  et  des  grans  choses  de  l'Inde,  qui.  .  .  moult  sont  merveilleuses.  Or  nous 
les  meUrons  en  escript  ainsi  connue  messire  Pol  le  raconta,  c[ui  bien  le  sçot,  car  d 
demeura  tant  en  Ynde,  et  tant  encercha  et  demanda  de  leur  manières  et  de  leur  con- 
dicions  que  je  vous  di  que  onccjues  un  homme  seul  ne  sçot  tant  ne  ne  vit  tant  comme 
il  fist. 

Un  des  manuscrits  de  la  rédaction  pid)liée  par  Pauthier  donne  un 
titre  spécial  à  cette  troisième  partie  :  (W  commence  le  f.ivre  d'Inde  et 
devisera  de  toutes  les  merveilles  rjui  y  sont,  et  des  çjens  aussi  '  . 

La  troisième  partie  (jusqu'au  ch.  c.xcii  dans  les  deux  rédactions) 
est  proprement  la  description  des  pays  maritimes  visités  par  les 
jonques  chinoises  de  haute  mer  :  ><  Sypangu  »  (le  .lapon),  ou  «  messire 
..  Marc  Pol. . .  ne  fu  point  «;  la  Cochinchine,  qu'il  visita;  Java,  Sumatra 
(où  «  messire  Marc  Pol'demoura  cinq  mois  «  chez  les  anthropophages, 
en  attendant  les  vents  favorables);  les  îles  Nicobar  et  Andaman, 
Ceylan,  la  côte  du  Coromanrlel,  le  royaume  de  Masulipatam,  le 
Malabar,  et  les  autres  «provinces  et  cités»  do  la  Grande  Inde  qui 
«sont  sur  la  mer»  (car  «de  celles  qui  sont  en  terre  ferme  ne  vous 
«  avons  riens  dit,  pour  ce  que  ce  seroit  trop  longue  matière  »)'-'.  Suivent 

(')  Éd.  Pauthier,  p.  534-  —  '"  Ch.  (.lx\xii. 

3i 


lUST.    I.ITTF.R.   XXXV. 


2'r2  MARCO  POIX). 

(les  chapitres  sur  des  îles  du  ponent  qui,  selon  le  narrateur,  dépendent 
de  l'Inde  :  Socolora,  Madagascar  (où  le  Grand  Khan  envoya  plusieurs 
fois  des  émissaires),  Zanzibar;  il  y  a,  dit-il ,  douze  mille  sept  cents  îles 
reconnues  dans  la  mer  océane  par  les  navigateurs  de  ces  parages, 
sans  compter  celles  qui  sont  inhabitées  et  inaccessibles.  Aussi  n'a-t-il 
indiqué  que  les  principales  :  «,1e  vous  ai  conté  de  toutes  les  jneil- 
"  leures  choses  et  la  flour  »  (ch.  clxxxvi).  — Ayant  ainsi  expédié 
l'Inde  «mineure»  (Indo-Chine),  la  Grande  Inde  continentale  et  les 
îles,  il  traite  ensuite  de  l'Abyssinie,  qu'il  appelle  «Inde  moyenne"; 
d'Aden  et  d'autres  Étals  de  l'AraJ^ie,  à  propos  de  <(uoi  il  recoupe,  à 
Ormouz,  comme  il  ne  manque  pas  de  l'observer  (ch.  cxci-cxcii), 
son  itinéraire  d'aller.  Il  ne  resterait  donc  plus  à  parler,  pour  achever 
l'esquisse  des  côtes  d'Asie,  que  du  Kerman  et  de  l'embouchure  d»; 
l'Euphrate  dans  «  la  mer  d'Inde  »,  a  Ois  (près  de  Bassora) ,  mais 
l'auteur  du  «  Livre  »  l'a  déjà  fait,  en  racontant  son  premier  voyage; 
([u'il  n'en  soit  donc  plus  question.  —  Cependant,  le  «Livre»  n'est  pas 
Uni.  11  convient  de  «retourner  a  nostre  matière"  en  traitant  de  la 
«  Grande  Turquie  »,  c'est-à-dire  du  Turkestan  et  des  autres  domaines 
de  la  race  turque  ou  tatare.  La  troisième  partie  tout  entière  est  ainsi 
présentée  presque  comme  un  hors  d'œuvrc;  dans  un  ouvrage  princi- 
palement consacré  au  monde  latar. 

La  (piatrième  partie  (ch.  cxciii  et  suiv.)  dilfère  très  notablement 
(les  autres.  Elle  a  désappointé  les  modernes,  au  point  que  MM.  Yule 
et  Cordier,  dans  le  monument  qu'ils  ont  élevé  à  la  gloire  de 
Marco  Polo,  où  ils  ont  recueilli  avec  soin  tout  ce  qui  concerne  leur 
héros,  se  sont  décidés,  eux-mêmes,  à  l'«  abréger  »,  comme  l'avaient 
fait,  du  reste,  et  plus  radicalement  encore,  dès  le  moyen  âge,  les 
copistes  de  presque  tous  les  manuscrits  conservés*''.  A  lire,  en  eflet, 
les  premiers  chapitres  de  la  quatrième  partie  il  semble  qu'il  s'agisse, 
non  plus  des  merveilles  du  monde  inconnu,  mais  de  récits  histo- 
riques, ou  prétendus  tels,  sur  le  règne  et  les  guerres  de  Kaïdou*"-', 
khan  du  Turkestan  et  de  Transoxiane,  parent  et  rival  de  Koublaï. 
Tous  les  manuscrits  en  français,  saul  un,  s'arrêtent  brusquement  à 
la  troisième  phrase  du  huitième  chapitre  de  cet  historique.  Mais  il  y  a 


'    Yule  et  Cordier,  t.  I",  |).  81.  —  '''  Déjà  nommé  au  ch.  i.i.  Cf.  t.  II,  p.  ''|56  :  iThe  merest 
verbiage.  » 


SES  KCRns. 


243 


encore  vingt-huit  chapitres  dans  le  ms.  fr.  1116;  et  on  voit 
très  hien,  dans  cet  exemplaire,  senl  complet,  le  plan  de  la  quatrième 
partie,  lequel  n'est  point  aussi  différent  de  celui  des  autres  qu'on  l'a 
dit*').  Ce  ]>lan,  dans  la  pensée  du  rédacteur,  comportait  :  1°  un  long 
exposé  sous  la  rubrique  «Grande  Turquie»,  où  la  géographie  est 
remplacée  par  de  l'histoire  (ch.  rxcviiT-ccw  de  l'édition  procurée 
par  la  Société  de  Géographie  de  Paris),  parce  que  Marco  Polo  n'avait 
jamais  été  dans  cette  région;  "i"  des  notices  sur  les  autres  Etats  tatars, 
nés  du  démembrement  de  l'Empire  de  Gengis  Khan,  et  situés  au 
Nord  ou  au  Nord-Ouest  du  Turkeslan  :  royaume  de  «  Canci  » 
(Sibérie),  Tatarie  de  la  nuit  ([uasi  perpétuelle,  Russie  et  Valachie 
(ch.  ccxviii)'",  royaumes  tatars  d'Occident  (ch.  ccxx).  \n  sujet 
de  ces  derniers,  le  rédacteur  n'a  à  fournir,  comme  à  propos  de  la 
«Grande  Turquie»,  que  dos  renseignements  historiques,  sur  les 
o-uerres  récentes  des  hordes.  N'ayant  vu  ni  l'une  ni  les  autres,  Marco 
dit  simplement  ce  (pi'il  en  sait;  et  ce  (pi'il  en  sait  n'est  que  ce  qu'il 
avait  ap])ris  des  querelles  de  leurs  princes,  soit  par  son  père  et  son 
oncle,  (pii  avaient  eu  personnellement  à  en  souffrir  au  début  de  leur 
première  expédition,  soit  à  la  cour  du  Grand  Khan,  chef  de  la  grande 
famille  tatare.  —  Le  «Livre»  finit,  du  reste,  dans  le  ms.  fr.  1  116, 
d'une  manière  presque  aussi  abrupte  que  dans  l'autre  rédaction,  au 
treizième  des  chapitres  sur  les  Tatars  du  ponent  (ch.  ccx\-C(.xxxii)''^>. 
La  rédaction  en  toscan  offre  seule  une  conclusion  "',  d'adleurs  essouflée 
et  banale,  en  forme  de  résumé,  et  telle  que,  quoi(iue  ancienne,  elle 
pourrait  avoir  été  écrite  à  n'importe  quelle  époque,  par  n'importe 
quel  lecteur. 


(')  Ce  que  dit  Pauthier  à  ce  sujet  (p.  71'') 
est  tout  à  fait  inexact  :  «  Marc  Pol  se  rappelle 
«que,  s'il  n'a  j'his  de  pays  nouveaux  à  J'uire 
«connaître,  il  reste  encore  dans  ses  souvenirs 
«beaucoup  d'anecdotes  qui  pourraient  inté- 
«  resser .  .  .  • 

')  Dans  le  ch.  ccwm,  l'auteur  annonce 
que,  après  la  Uussie,  il  parlera  des  pays  de  la 
«Mer  Gregnor»  (Mer  Noire),  et  preinièrciuent 
de  Constantinople.  Il  sait  que  bien  des  gens, 
marchands  et  autres,  connaissent  ces  contrées, 
mais  il  y  en  a  encore  davantage  qui  ne  les 
connaissent  pas;  on  peut  donc  en  traiter  tout 
de  même.    Il    intitule    en    conséquence    son 


th.  (.cxix  :  «Ci  devise  de  la  boche  do  Mei 
«  Gregnor.  »  Mais  il  se  ravise  aussitôt  :  «Depuis 
«  qe  nos  avouâmes  commenciés  dou  Mer  Grei- 
<■  gnor  si  nos  en  penlimes  de  mettre  le  en  scril , 
«  porce  que  maintes  jens  le  seivent  apertemenl. 
«  Et  por  ce  en  laron  alant.  « 

■''  Pauthier  a  réimprimé,  en  appendice,  le 
texte  des  chapitres  qui  n)an(]uent  dans  la 
famille  de  manuscrits  qu'il  a  suivie,  d'après 
l'édition  de  la  Société  de  Géographie,  mais 
sans  commentaires. 

Cl  Yule  et  Cordier,  I.  Il,  p.  5oo;  //  Milione 
(éd.  Dante  Olivier!) ,  p.  170. 


244  MARCO  POLO. 

III.  HisToiiŒ  DU  TEXTE.  —  Le  «  Livie  »  de  Marco  Polo  a  existé  dès 
le  premier  quart  du  xw"  siècle  en  français  (c'est  pourquoi  il  nous 
appartient  don  parler  dans  cet  ouvrage),  en  toscan  et  en  latin.  Mais, 
de  toutes  ces  formes,  quelle  est  la  plus  ancienne.?  Et,  d'abord,  dans 
quelles  conditions  la  plus  ancienne  a-t-elle  été  rédigée  ?  Questions 
depuis  longtemps  débattues.  Rappelons,  maisen  les  disposant  dans  un 
ordre  nouveau,  qui  leur  conférera  peut-être  plus  de  sens,  les  indices 
jecueillis  à  ce  sujet  depuis  le  xyi*"  siècle  jusqu'à  présent. 

On  lit  au  commencement  du  Prologue,  dans  les  anciennes  rédac- 
tions en  français  : 

A.  Seiiignors  enperaor,  et  rois,  dux  et  marquois,  ciiens,  clievaliers  et  bargions, 
et  toutes  gens  qe  volés  savoir  tes  déverses  jenerasioiis  des  Iiomes  et  les  deversités 
des  déverses  région  dou  monde,  si  prennes  cestui  livre  et  le  faites  lire;  et  ciii 
troverés  toutes  les  grandismes  mervoilles  et  les  grant  diversités  de  la  grande  Har- 
niinie  el  de  Peisie  et  des  Talars  et  Indie,  et  des  maintes  autres  provinces,  si  con 
noire  livre  voz  contera  par  oi'dre  aperlomant,  si  coinc  messer  Mardi  Pol,  sajes  et 
noble  citaiens  de  Venece,  raconte,  por  ce  que  a  sez  iaus  meissme  il  le  voit.  .  .  Et 
por  ce  dit  il  a  soi  meisme  que  trop  seroit  grant  maus  se  il  ne  feist  mètre  en  écri- 
ture toutes  les  granz  mervoilles  qu'il  vit  et  qu'il  hoi.  .  .  Et  si  voz  di  qu'il  demora  a 
ce  savoir  en  celles  déverses  parties.  .  .  bien  vint  et  sis  anz.  Lequel,  puis,  demou- 
rant  en  le  cliarthre  de  Jene,  fist  retraire  toutes  cestes  chouses  a  messire  Ruslacians 
de  Pise ,  que  en  celle  meissme  cluutre  estout ,  au  tens  qu'il  avoit  MCCLXXXXV III  anz 
([ue  Jezu  eut  ves(|ui. 

B.  Pour  savoir  la  pure  vérité  des  diverses  régions  du  monde,  si  prenez  ce  livre 
et  le  faites  lire...  Et  si  vous  di  que  messires  Marc  I^ol  demoura...  en  ces 
diverses  parties  bien  .xxvi.  ans.  Lequel  livre,  puis,  demourant  en  la  carsere  de 
Jenes,  fist  rctraire  par  ordre  a  messire  Rusta'",  pisan,  qui  en  celle  meisme  prison 
estoit,  au  temps  qu'il  couroit  de  Crist  MCCLXXXXVIII  ans  de  l'Incarnation. 

Ce  préambule  ligure ,  sous  la  forme  qu'il  a  dans  la  première  rédac- 
tion française  (c'est-à-dire  précédé  de  l'interpellation  aux  seigneurs, 
princes  et  autres),  dans  une  ancienne  rédaction  en  latin  :  le  com- 
pagnon de  «Marc  Pol»  qui,  pendant  leur  séjour  commun  dans  les 

'"'  Leçon  adoptée  par  l'aulhier,  éditeur  de  ont  «  Rusia  • ,  sans  abréviation  ;  preuve  que  le 

la  rédaction  B,  qui  n'a  pas  relevé  ici  les  va-  rédacteur  de  B  a  en  sous  les  yeux  un  mana- 

riantcs  des  manuscrits.  Mais  elles  avaient  été  scritde/loù,  comme  dans  l'exemplaire  aujour- 

relevées  dés  182^  dans  l'édition  de  la  première  d'hui  uni([ue  de  celte  rédaction,  le  nom  de 

rédaction  procurée  par  la  Société  de  Géogra-  Rusticien  de  Pise  était  écrit  Rustacians  et  où 

phie,    p.    534;   elles  ne  portent  que  sur   la  la  fin  de  ce  mot  était  abrégée  ou  peu  lisible, 
l'orme  du   mot  >  pisan»;   tous  les  manuscrits 


SES  ÉCRITS.  2/j5 

prisons  de;  Gênes,  lui  aurait  servi  de  secrétaire,  y  est  appelé  «  Ser 
Ruslichehis,  civis  pisanus»  *''.  —  Il  figure  aussi  dans  quelques  rédac- 
tions italiennes,  dont  les  exemplaires  désignent  le  prisonnier  pisan 
par  des  noms  fort  divers  :  Ristazo,  Restazio,  Slazio,  Reustregielo'^', 
Rustico'^'.  —  Il  manque  complètement  dans  la  rédaction  en  latin  de 
fra  Francesco  Pipino  et  dans  la  plus  célèbre  des  rédactions  en  toscan, 
dite  de  la  Crusca. 

Ce  n'est  pas  tout.  Il  est  remplacé  par  un  autre  dans  l'édition  du 
M  Livre  »  d(;  Marco  Polo  (jue  G.  B.  Ramusio  donna  à  Venise  au  milieu 
du  xvi"  siècle.  Ramusio  qui,  comme  on  le  verra  plus  loin,  a  puisé, 
au  sujet  du  «Livre»,  des  renseignements  très  précieux  et  très  sûrs 
à  des  sources  qui  ont  disparu  depuis  son  temps,  déclare  qu'il  a  eu 
entre  les  mains  deux  rédactions  latines  :  celle  de  fra  Francesco 
Pipino  (dont  il  reproduit  la  préface,  sans  rapport  avec  le  préambule 
précité),  et  celle  d'«  un  gentilhomme  génois,  grand  ami  de  Ser  Marco, 
qui  faida  à  écrire  et  à  composer  son  ouvrage  en  latin  pendant  qu'il 
était  en  prison»*'''.  Celle-ci  était,  d'après  Ramusio,  précédée  d'un 
avant-propos  dont  il  donne  la  traduction  en  ces  termes  : 

Signori,  principi,  duchi,  marchesi,  coiiti,  cavaHieri  e  geiitilhuomini,  et  ciascuna 
persona  che  ha  piacere  et  desidera  di  conoscer  varie  generalioni  de  luiomini  et 
diverse  regioni  et  paesi  del  mondo,  et  saper  li  costumi  et  usanze  di  queUi,  leggete 
questo  iibro  perche  in  esso  troverete  tutte  le  grandi  et  maravigliose  cose  che  si  con- 
tengono  nelie  Arménie  maggiore  et  minore,.  .  .  lequaH  tuUe  per  ordine  in  questo 
Iibro  si  narrano  seconde  quel  nobii  messer  Marco  Polo,  gentilhuomo  venetiano,  le 
ha  dettate ,  havendole  con  occhi  proprii  vedute .  .  . 

Jusque-là,  cet  avant-propos  est  identique  à  celui  de  la  première 
rédaction  française;  mais  la  suite  est  différente  : 

Et  hora  messer  Marco,  ritrovandosi  prigione  per  causa  délia  guerra  nella  città 
diGenova,  non  volendo  star'  otioso,  gli  è  parso  a  consolation  de'  leUori  di  voler 
melter'  insieme  le  cose  contenute  in  questo  Iibro,  lequali  son  poche  rispelto  aile 
molle,  et  quasi  infinité,  ch'  egli  averia  poluto  scrivere,  s'egli  havesse- crednto  di 
poter  ritornar'  in  queste  nostre  parti.  Ma,  pensando  esser  quasi  impossibile  di 
partirsi  mai  dall'  obedienza  del  gran  Can ,  re  de'  ïartari ,  non  scrisse  sopra  i  suoi 

'■'  Bibl.nat.,ms.lat.3i95,fol.a7.Dansrédi-  l'ont  appelé  cRnstigieiloi   {Histoire  liltéraiie, 

lion  de  la  Société  de  Géographie  :  «S.  Rusli-  t.  XXV,  p.  482). 
•  chelus».  *''  Bibl.  nat. ,  ins.  italien  434- 

'''  Marco  Polo,  //  Milione  (éd.  Danle  OU-  '''  Seconda  Volume  délie  Navigationi  et  Viaggi 

vieri.  Bari,  191a),  p.  2. —  Nos  prédécesseurs  (InVenetia,  i583).  Préface  datée  de  i553. 


■l'\(î  MARCO  JH)LO. 

inenioriali  se  non  alciine  poclic  cose,  lequali  ancliora  gli  pareva  grancio  incon\i'- 
nionte  che  andasseio  in  oMivione,  essendo  cosi  niirabili,  cl  che  mai  da  alcun'  altru 
crano  state  scritle,  acciô  che  quelli,  che  mai  le  sono  per  \edere,  al  picstiitc 
col  mezo  di  qucsto  libro  le  conoschino  et  inlendino;  (jual  fu  fatlo  l'anno 
del  MCCXCVlil. 

Coni nient  clioisir  entre  ces  textes  divergents?  Tous  les  commen- 
tateurs sans  exception  ont  préféré  le  pisan,  dont  le  nom  est  si  diver- 
seiuenl  rapporté,  au  «gentilhomme  génois»  anonyme,  parce  que 
■(  Rusticien  de  Pise»  est  connu  par  ailleurs. 

Mal  connu,  à  la  vérilé,  quoique  lameux.  ''.  Nos  ])rédécesseurs, 
fiui  i  ont  lait  vivre  au  xii''  siècle'"',  n'ont  rien  dit  d'exact  sur  son 
compte.  Au  fond,  tout  ce  que  l'on  sait  de  lui  provient,  en  dernière 
analyse,  d'une  préface  placée  en  tête  d'une  compilation  en  prose 
française  de  romans  de  la  Table  Ronde  [Meliadiis,  Tristan  et  Lancelol)^ 
dont  il  existe  un  assez  grand  nombre  de  manuscrits.  Le  plus  ancien  (>t 
le  ])his  intéressant  de  ces  manuscrits  —  mais  non  pas  le  plus  beau,  de 
sorte  que  la  valeur  n'en  a  pas  été  généralement  reconnue  —  est  le 
manuscrit  français  i463  (anc.  7.) 4 4)  d<'  la  Bibliothèque  nationale, 
(jui  a  été  certainement  écrit  et  décoré  en  Italie  à  la  lin  du  xiiT  siècle. 
On  y  lit  (fol.  1)  : 

Seingneur  onperaor  cl  rois,  et  j)iinci's  cl  dii\,  et  ([iienz  et  baronz,  cevalierel  va\- 
vassor  et  Jjorgiois  et  tout  le  preudome  de  ce  monde  que  avés  talenz  de  deliticr  voz 
en  roinainz,  si  prenés  cesle  et  le  feitcs  lire  de  chief  en  chief;  si  i  troverés  toutes  les 
granz  aventures  qui  avinrent  entre  li  chevaliers  heirant  don  tenz  le  roi  Huter  Pan- 
dragon  jusque  au  tens  le  roi  Artur,  son  fils,  et  des  compain  de  la  Table  Ronde.  Et 
sachiez  lot  voiremenl  que  cestui  romanz  lu  treslailés  dou  livre  monseingneur 
Odoard,  li  roi  d'Englelerre,  a  celui  tenz  qu'il  passe  outre  la  mer  en  service  Nostre 
Sire  Daniedeu  |>our  conquester  le  Saint  Sepoucrc.  El  maistre  Rusticians  de  Pise, 
li  (juelz  est  imaginés  desovre  ■'',  compile  celle  romainz,  car  il  en  Ireslaite  toutes  les 
1res  merveillieuse  novelles  qu'il  trueve  en  celui  livre.  .  .  '*'. 

'''   L'article  qui  iiil  est  consacré  par  R.  Rôh-  à  deux  pointes,  figure  en  cITel  au  haut  de  la 

richt  dans  sa liibliollwdi  ijcoijrnphira  Palaestinae  l'âge.  —  Dans  dos  exemplaires  moins  anciens, 

(Berlin,    1890),    p.    55,  et    donl    les    biblio-  ce  passage  a  été  conservé,  (juoiquc  le  portrait 

graphes   se   transmettent   depuis    l'indication,  manque. 

n'est  pas  instructif.  Il  ne  contient  qo'une  liste  ''    Passage    cité    dans    Vllisloire    Ullérnirc 

de    manuscrits  des    rédactions  en   français  du  (t.  XV,  p.  '198,  note),  mais  d'après  un  texte 

Livre  de  Marc  Pol.  rajeuni,  celui  du  ms.  fr.  34o.  (^f  P.  Paris,  Lrs 

■*'   Histoire  lilléraire.  t.  XV,  p.  /197.  miinnscrils  frnnçois  de  la   Dihliolliètjiie  du  roi, 

'''  Le  portrait  de  •  Rusticians»,  en  costume  t.  Il,  p.  356;  et  H.  L.  D.  VVard,  Catalogue  of 

vert ,  avec  un  caraail  rouge ,  coiffé  d'un  bonnet  romances . . .  in  ihe  Dritish  I/hjc «m ,  t.  I",  p.  .'^67. 


SES  ÉCRITS.  247 

Ce  n'est  assurément  pas  par  hasard  que  ce  préambule  ressemble, 
jusqu'à  l'identité  partielle,  cà  celui  du  «  Livre»  de  Marco  dans  la  rédac- 
lion  française  1.  On  a  donc  admis  sans  difllculté  que  «  Ruslicien  de 
Pise»  est  l'auteur  des  deux.  —  Celui-ci  prétend,  comme  on  voit, 
que  ce  personnage,  qui  semble  avoir  été  un  littérateur  de  prolession, 
à  l'allût  de  travaux  littéraires,  eut  communication  d'un  «  livre  »  que  le 
prince  Edouard  d'Angleterre,  le  futur  Edouard  ^',  avait  apporté  en 
Italie  lorsqu'il  entreprit  sa  croisade  en  Terre  Sainte  (1270-1272). 
Ce  livre,  il  l'aurait  «  treslaité  »  en  français,  alors  une  des  grandes 
langues  littéraires  de  son  pays.  Mais  faul-il,  sur  ce  point,  l'en  croire? 
A-t-il,  vraiment,  «traduit»,  un  texte  latin?  ou  na-l-il  fait  qu'arranger 
des  textes  préexistants  en  français,  et  déguisé  ce  travail  par  l'addition 
d'un  explicit  postiche,  analogue  à  celui  de  la  Qiiestc  du  Saint  Grnal,  qui . 
lui  non  plus,  ne  mérite  certes  pas  une  conliance  aveugle  ''?  — -  H  est 
à  remarquer,  en  passant,  que  Rusticien,  ici  qualifié  de  «maistre», 
l'est  de  «  messire  »  dans  le  texte  de  1  298. 

Tandis  cpe  cette  circonstance  vient,  si  formellement,  à  l'appui 
de  l'opinion  qui  voit  en  Rusticien  de  Pise  le  collaborateur  de  Marco 
Polo  dans  la  prison  de  Gênes,  le  récit  de  Ramusio,  qui  lui  substitut- 
un  «  gentdhomme  génois  »,  a  soulfert  de  plusieurs  constatations.  — 
D'abord,  il  est  singulier  qu'aucun  manuscrit  n'ait  été  découvert  du 
texte  latin  que  le  savant  vénitien  prétend  avoir  traduit.  En  second 
lieu,  il  est  suspect  que  le  soi-disant  préambule  du  Génois  commence 
exactement  comme  le  préambule  typique  de  Rusticien  dans  les  deux 
livres  que  celui-ci  a,  pour  ainsi  dire,  signés  :  par  cette  apostrophe 
au  pubUc  qui  n'était,  au  moyen  âge,  dans  les  habitudes  que  des  écri- 
vains de  métier.  Enfin,  et  surtout,  Ramusio  fait  écrire  «en  latin»  le 
gentilhomme  génois,  eton  croit  pouvoir  démontrer  que  le  «Livre»  de 
«  Marc  Pol  1)  fut  composé  d'emblée  en  français;  or,  si  Ramusio  a  su  que 
le  «  Livre  »  avait  été  écrit  d'abord  en  français,  il  a  pu  vouloir  le  dissi- 
muler, car  il  vivait  en  un  temps  où  tous  les  Vénitiens  ne  se  souciaient 
pas  d'associer  les  Français  à  leurs  gloires  nationales. 

Ramusio  a  toute  une  histoire  relativement  à  la  collaboration  de 

'''  A  la  fin  de  la  Qaesle.  il  est  aussi  question  Sommer,  Tlic  Viilgata  version  of  the  Arlhiiriaii 

d'un    «livre,   de   l'abbaye  de  Salisbury  donl  romancer,  t.  VI ,  Washington,   igiS,  p.  1,98); 

(iantier  Map  aurait  fait  de»  extraits  «por  l'amor  cf.  Romnnia,   1907,  p.  Sgi,   et  F.  Lot,  Etude 

•  del  roi  Henri,  son   signor,  qui  fist  l'estoire  sur  le  Lancelol  en  prose  (Paris,  1918),  p.  137. 
«translater  du  latin  en  franchois»  (H.  Oslar 


248  MARCO  POLO. 

Marco  et  du  Génois.  Lorsque  Ser  Marco,  dit-il,  se  fut  décidé  à 
écrire  pour  charmer  ses  loisirs  de  prisonnier,  et  sur  les  instances 
de  son  entourage,  il  trouva  moyen  de  faire  prier  son  père,  à 
Venise,  de  lui  envoyer  ses  «notes  et  memoranda»,  qu'il  avait  rap- 
portés naguère  d'Extrême-Orient  et  qui  étaient  dans  leur  maison 
de  San  Giovanni  Grisostomo.  Nicolô  les  lui  fit  tenir.  Marco,  assisté 
par  cet  ami  génois  qui  s'intéressait  si  vivement  à  ses  aventures 
et  qui  venait  passer  chaque  jour  plusieurs  heures  avec  hii  dans 
son  cachot,  composa  alors  son  livre,  «en  latin».  En  latin  phitot 
([u'en  génois,  «parce  que  le  patois  de  Gènes  ne  peut  pas  s'écrire  »''l 
Celte  explication,  apparemment  dérisoire,  a  fait  du  tort  au  reste  de 
l'anecdote.  On  connaît  d'ailleurs  deux  textes  anciens  du  «  Livre  »  en 
latin;  or  l'un  d'eux,  que  fra  Erancesco  Pipino,  de  Bologne,  rédigea 
du  vivant  même  de  Marco '^',  se  présente  comme  traduit  c.v  vulcjavi 
idiomale,  voire  (dans  un  exemplaire  digne  de  foi)  c.v  rnigari  idinmate 
Ivmhardico^^'.  Quant  à  fautre  (Bihl.  nat. ,  ms.  lat.  3190,  publié  |)ar  la 
Société  de  Géographie  en  1 82/4,  à  la  suite  de  la  première  rédaction 
en  français],  il  n'est  pas  non  plus  original  :  il  a  été  traduit,  lui  aussi, 
de  l'italien,  comme  le  prouvent  certains  non-sens  et  certaines  parti- 
cularités qu'il  contient '''^  Bref,  si  la  source  commune  de  toutes  les 
rédactions  était  en  latin,  il  n'y  en  a  plus  trace '^*. 

il  convient  d'intercaler  ici  une  hypothèse,  évidemment  sédui- 
sante a  prwri ,  et,  de  plus,  suggérée  [)ar  la  discussion  qui  précède 
du  récit  de  Ramusio  :  le  «  Livre»  n'aurait-il  pas  été  rédigé  d'abord  en 
un  dialecte  italien,  vénitien  ou  toscan  ?  L'ancienneté  d'un  texte  de  ce 
genre  est  attestée,  non  seulement  par  celle  des  traductions  latines 
qui  en  dérivent,  mais  directement,  puisqu'un  célèbre  exemplaire  de 

'''  Au  lomc  II  de  ses  Aidiiyd/io/ii  et  1  w'I^i ,  boror,  dans  une  certaine  mesure,  l'aiïlrni.ilion 

|).    "i  :  'iSi  rome   accosluniano   li   Genovpsi    in  de  Uaiiitisio.   I, "inventaire   des   olijels  trouvés, 

»  mair^'ior  parle  fino  hoggi  di  srrivere  le  loro  en  i.'^f)!,   dans  le   palais  du  dnge  Marino   Fa- 

II  fazende,  non  ])ossendocon  la  penna  esprlmere  licro  indi(|Uo  (|ue  les  Falieri  possédaient  plu- 

"  la  loro  pronuncia  naturale.  »  sieurs  son\enlrs    personnels   de    Marco    Polo, 

''   Kn    \?)'\o,  d'après   Hamusio.    Peut-être  entre  autres   un   anneau  donné    par    Koublaï 

dès  i3i.'j,  comme  les  érudils  modernes  l'ont  Khan,  un  collier  tatar,  une  épee  à  trois  lames  , 

montré.  une  tenture  de  l'Inde,  et  un  livre  auloj,'riphe 

*''   Yulc  et  Cordier,  t.  I,  p.  8i.  («sciipluni   manu   predicli   Marci»),  intitulé   : 

"'   Noir  les  relevés  de  ^'nlo  el  Cordicr,  I.  1",  /)c  loch  mirnhililiiK  inrtarortim.  —  l'uMlé  dans 

p.  9i.  le  Biilleliiw  di  nrli,  iiidiistiie e  cminsilà  vciwzinne, 

''•  Voici,  cependant,  un  texte  qui  n'a  jamais  I.  III   (1880-81),  p.  101.   Reproduit  par  Yule 

été,  mais  (|ui  pourrait  être  allégué  pour  corro-  et  Cordier,  I.  I",  p.  19. 


SES  ECRITS.  249 

la  Biblioteca  nazionale  de  Florence,  qui  est  en  pur  toscan,  et  dont 
l'écriture  est  des  premières  années  du  xiv*  siècle,  est  muni  d'une 
sorte  de  certificat,  du  xv%  qui  le  date  de  iSog.  —  Mais  le  comte 
G.  B.  Baldelli,  en  préparant  pour  l'Académie  de  la  Crusca  l'édition 
princeps  de  ce  texte,  a  établi,  dès  1827,  par  des  constatations  irréfu- 
tables'', largement  confirmées  depuis'^*,  qu'il  est,  lui-même,  traduit 
du  français.  Il  foisonne  en  effet  d'absurdités  qui  s'expliquent  toutes, 
sans  difficulté,  et  ne  peuvent  s'expliquer,  que  par  des  erreurs  qu'un 
Toscan,  qui  savait  mal  la  langue  d'oïl,  a  commises  en  décbiffrant 
péniblement,  pour  la  transposer  dans  la  sienne,  une  rédaction  en 
cette  langue. 

Ainsi  le  «Livre»  existait,  en  français,  avant  1809,  el  c'est  de  ce 
texte  français  que  dérivent  directement  le  texte  toscan  de  la  Crusca, 
indirectement  les  textes  lalins  de  fra  Pipino  et  du  manuscrit 
latin  3195.  11  existait  même  avant  1807,  puisque  la  seconde  ré- 
daction française,  faite  sur  la  première,  est,  comme  cela  sera 
indiqué  bientôt,  de  cette  année.  On  est  amené  de  la  sorte  à  la  con- 
jecture qu'il  a  existé  dès  1298,  c'est-à-dire  que  Rusticien  a  rédigé 
immédiatement  en  français  ce  qu'il  avait  recueilli  dans  ses  entrevues, 
pour  ne  pas  dire  dans  ses  interviews,  avec  Marco.  — Marco  qui, 
outre  son  vénitien  natal,  savait  tant  de  langues  d'Asie,  ne  savait  sans 
doute  pas  le  français  :  où  et  quand  l'eût-il  appris  ?  Mais  cela  ne  tire 
pas  à  conséquence.  Il  aura  parlé,  avec  ou  sans  notes.  Rusticien,  à 
qui  son  toscan  permettait  assurément  d'enlendre  le  vénitien,  aura 
cueilli  ses  paroles  au  vol.  Il  se  sera  livré  ensuite  à  un  travail  ana- 
logue à  celui  des  journalistes  de  nos  jours  qui  rédigent  pour  le 
public  les  «  Mémoires  »  des  personnes  mêlées  à  des  événements  inté- 
ressants, mais  qui  sont  incapables  de  les  raconter  en  style  suffisam- 
ment littéraire'^'.  De  son  cru,  il  n'y  a,  dans  le  «  Livre  »  —  avec  le  com- 

'■'  Il  Milione  di  Marco  Polo,...  publicalo  ed  ainsi  que  le  fond,  de  l'ouvrage.  C'est  lui  qui 

illustrato  dal  conte  G.    B.  Baldelli  Boni  (Fi-  a,  non  seulement  raoonté,  maii  tretruit  par 

renze,  1837,  a  vol.).  «ordre».   Le  pauvre   Rusticien  n'était  pas  en 

'''  Ed.  G.  Pauthier,  p.  lkxxiii.  —  Sur  le  cas  état  de  coordonner,  lui  qui,  dans  sa  compila- 

analogue  d'un  texte   en   dialecte  vénitien,  ré-  lion  de  la  Table  Ronde,  avait  raconté  l'histoire 

cemment  découvert,   voir  R/nuania.  t.  XLIll,  de  Tristan  avant  celle  de  Meliadus  son   père, 

iqi/i,  p.  6i3.  et  qui  s'en  est  excusé  piteusement  comme  il 

''>  Comme  Marco  était  beaucoup  plut  intel-  suit  :    <  Car  je   ne  puu   ps   sçavoir  tout   ne 

ligent  que  son  collaborateur,  il  est  certain  tou-  •  mettre  toutes  mes  parolez  par  ordre.  Et  ains 

tefois  que  c'est   à  lui   qu'appartient  le  plan,  «  fme  mon  conte. •   (Bibl.  nat.,  ms.   fr.  3Ô5, 


HIST.   LITTER.    XXXV. 


il 


250  MARCO  P<)I,(). 

mencement  du  «  prologue  »,  les  formules  de  transition  (si  monotones) 
et  les  descriptions  de  combats,  qui  ne  sont  que  trop  conformes,  dans 
leur  banalité,  à  l'idéal  d'un  airanj^enr  de  romans  de  la  Table  Ronde  '' 
—  il  n'y  a  rien  que  la  langue ''^'. 

Il  faut  considérer  maintenant  que,  du  livre  de  Marco  Polo,  il  n'y  a 
pas  qu'un  seul  texte  français  ancien;  il  y  a,  en  français,  deux  états  de 
rédaction  diilerents,  dont  la  langue  n'est  pas  pareille,  ce  qui  pose 
de  nouveaux  problèmes. 

Le  premier  état  (1)  n'est  représenté  ([ue  par  un  manuscrit  (liii)l. 
nat.,  ms.  fr.  1116),  qui  provient  de  la  librairie  royale  de  Blois  et  pri- 
mitivement d'Italie.  C'est  un  manuscrit  sur  vélin,  simple,  mais  1res 
soigné,  écrit  d'une  belle  main  italienne,  par  un  copiste  de  métier. 
Il  a  été  publié  par  Roux  et  Méon  pour  la  Société  de  Géographie  de 
Paris  au  lome  1""  (1824)  de  son  Ixccueil  de  Voya(jes  cl  de  Méinoires'^'^K  -- 
Le  texte  toscan  de  la  Crusca,  le  texte  du  manuscrit  latin  3 196  de 
la  Bibliothèque  nationale  (publié  aussi  par  la  Société  de  Géographie 
en  i8'i4)  et  le  texte  italien  de  fra  Pipino  dérivent,  indépendamment 
les  uns  des  autres,  de  cette  première  rédaction,  qu'ils  abrègent  ou 
modifient  légèrement  de  diverses  manières'' .  —  Nous  avons  déjà  eu 
l'occasion  d'indiquer  qu'elle  est  la  seule  complète  (dans  la  quatrième 
partie).  C'est  aussi  la  plus  abondante  à  tous  égards  :  le  style  en  est  très 
diflus;  on  a  l'impression  d'un  premier  jet  et  de  la  parole  parlée.  Les 
noms  mongols  s'y  présentent  souvent  sous  plusieurs  formes,  alors 

fui.    4i3    \";    d'.    P.    Palis,    op.    cil.,    l.    III.  Celle   tentative  assez,   gauche  de    remarque 

p.  5q.]  lacétieuse  est    développée  avec  plus  d'aisance 

''    Voir  uotaniinenl  les  ch.  Lxxviil  (p.  244)  dans  la  rédaction  /{  . 

fl  f.xxi  (p.  /lO")  de  l'édition  Pauthier;  et,  en  Bieu  y  de\rolent  aler  [au  Tibetj  les  jeuni-s  l)a- 

général ,  la  quatriènic  partie.  clielers  poor  avoir  de  ces  puceles  a  leur  vouloir  tant 

-     Très  rares  sont  les  passages  dont  on  peut  comme  il  (leman<I.Toienl,  et  seroient  priei  sans  nul 

se  demander  s'ils  sont  des  réllexions  du  voya-  '^<'"=''  (Pauthier,  |>.  .Î75). 

geur  lui-même  ou  de  celui  (|ui  tient  la  plume  Elle  a  été  supprimée  tout  à  fait  dans  les  ré- 

à  sa   place.    Le   principal   est  au   chapitre   du  daction»  en  latin  et  en  italien. 

Tibet.  Le  Livie    raconte  là    que   les  filles  du  '     Il  existe  de  ce  nianustrit  une  reproduction 

Tibet  ne    trouxent    d'épouseur   qu'après  avoir  en    phototypie  :    /-c  dirisimcnl   don    monde  de 

connu  plusieurs  hommes.  Suit  celte  remarque,  messer  March  Pol  de   Vcnece  (p.  p.  A.   Steiner. 

qui  tranche  sur  le  ton  d'un  ouvrage  dont  l'au-  Karlsruhe,    Hof- Buchdruckerei     Fr.    Gutsch, 

leur  ne  sourit  jamais  :  '  9"  '  )■ 

En  celé  contrée  auront  bien  aler  les  jeune  de  '*    Voir  l'édition  citée  de  Dante  Olivieri  sur 

sei^e  ani  en  vingt  quatre  (Édition  de  la  Société  de  les  manuscrits  du  texte  italien,  p.  276. 
Géographie,  p.  >ï7). 


SES  ÉCRITS.  251 

que,  ailleurs  (notai)) ment  dans  l'étal  de  rédaction  C) ,  une  seule  de  Ces 
formes  a  été  adoptée  :  c'est  ainsi  que  la  princesse  Koukatchin,  fiancée 
d'Ar«-oun  Khan,  y  est  appelée  tantôt  Cocacin  (forme  correcte),  tantôt 
(jtgalra,  tandis  (ju'elle  est  toujours  appelée  Gxjatra  dans  la  rédac- 
tion fi.  —  Enfin  une  particularité  très  remarquable  du  manuscrit 
français  1116  est  qu'il  est  rédigé,  non  pas  en  français  de  France, 
mais  en  une  sorte  de  jargon,  aussi  inconect  en  son  genre  que  ce 
qu'on  appelait  au  moyen  âge,  en  Angleterre,  «le  français  de  Strat- 
ford-atte-Bow»,  et  chargé  non  seulement  d'ilahanisnies'" ,  mais  de 
mots  vénitiens'"-'  et  orient*iu\ '^',  à  peine  francisés. 

Un  autreétat  (/î)  du  texte  français  est  représenté  parles  manuscrits 
dont  Cl.  Pauthier  s'est  servi  pour  son  édition  de  iHGf),  et  par 
quelques  autres.  Deux  exemplaires  de  cette  rédaction  qui,  elle,  est  en 
français  de  France  très  pur,  en  français  de  la  cour,  sont  précédés 
d'une  sorte  de  préface,  qui  a  été  souvent  imprimée,  mais  (ju'il  con- 
vient, pourtant,  de  leproduire  ici  in  rxtcnso^''^  : 

Veés  cy  le  livif  (jne  monseigneur  Ttiiebault,  dievalier,  seigneur  de.  Cepoy,  que 
Dieu  al)soille,  requist  que  en  eust  la  roppie  a  sire  Marc  1\)1.  bourgeois  et  habi- 
lans  en  la  cité  de  Venise.  Et  ledit  sire  Marc  Pol,  comme  très  honnourable  et  bien 
accoustumé  en  plusieurs  régions  et  bien  morigéné,  et  lui  desirans  que  ce  qu'il  avoit 
veu  fust  sceu  par  l'univers  monde,  et  pour  l'onneur  et  révérence  de  très  excellent  et 
puissant  prince  monseigneur  Charles,  filz  du  roy  de  PVance  et  conte  de  Valois,  bailla 
et  donna  au  dessus  dit  seigneur  de  Cepoy  la  première  coppie  de  son  dist  li\  re  puis  qu'il 
l'eut  fait;  et  moult  lui  estoit  agréables  quant  par  si  preudomme  estoit  aimnciez  et 
portez  es  nobles  parties  de  France.  De  laquelle  coppie  que  messire  'l'biebauit,  sire  de 
Cepoy,  ci-dessus  nommé,  apporta  en  Fiance,  messire  Jehan ,  qui  fust  son  ainsnez  lilz, 
et  qui  est  sires  de  Cepoy  après  son  décès,  bailla  la  première  coppie  de  ce  livre,  qui 
oncques  fut  faite  puis  que  il  fut  apporté  ou  loyaume  de  France ,  a  son  très  chier  et 
très  redoublé  seigneur.  Monseigneur  de  Valois.  Et  depuis  en  a  il  donné  coppie  a  ses 
amys  qui  l'en  ont  requis. 

Et  lu  celle  coppie  baillée  dudit  sire  Marc  Pol  audit  seigneur  de  Cepoy  quanl 
il  ala  a  Venise  pour  Monseigneur  de  Valois  et  pour  Madame  l'Empereris,  sa 
famé,  vicaire  gênerai  pour  euk  deux  en  toutes  les  parties  de  l'Empire  de  Cons- 
tantinople. 

Cl  Voir  les  exemples  relevés  par  Yule  et  Cor-  second  de  ces  manuscrits  nVst  qu'une  copie  du 

dier,  t.  I",  p.  83  :  •  El  ont  del  olio  de  la  lanpe  premier;  mais  la  préface  placée  au  commen- 

dou  sepolchro  de  Crisl»;  etc.  ccmenl  du    manuscrit  de   Paris  l'est  à  la  fin 

'*'  Yule  et  Cordier,  ibid.  (d'après  Bianconi).  dans  celui  de  Berne.  Ed.  Pauthier,   p.   i,  avec 


'*'  Ihid.,  p.  8i,  note.  «ne  très  mauvaise  ponctuation. 

Bibl.   nat.,  fr.    5649;    Berne,    laS.  Le 


S-?. 


252  MARCO  POLO. 

Ce  fil  fait  l'an  de  l'incarnacion  Nostre  Seigneur  Jhesu  Crist  mil  trois  cent  et  sept , 
ou  mois  d'aoust. 

Thibaut  de  Chepoix,  nommé  dans  cette  préface,  est  un  personnage 
dont  la  biographie  est  bien  étabhe  dans  ses  grandes  lignes'*'.  Ce  petit 
seigneur  de  Picardie'"^*,  en  relations  avec  la  maison  d'Artois  et  les  rois 
angevins  de  Naples,  fut  un  des  principaux  capitaines  du  temps  de 
Philippe  le  Bel.  Passé  au  service  de  (iharles  de  Valois  et  de  sa  femme 
(Catherine  de  Courtenai,  l'u  Impératrice  »  de  Constantinople ,  il  quitta 
Paris  le  9  septembre  1 3o6  pour  négocier  en  Italie  avec  Venise  et  la 
Compagnie  catalane  dans  l'intérêt  de  ses  maîtres,  prétendants  à 
l'Empire  d'Orient.  Il  traversa  Venise  (où  il  vit  sans  doute  Marco  Polo), 
lirindisi  et  Négrepont,  en  négociant  ou  en  combattant.  Il  était  de 
retour  en  avril  1  3  i  o,  pour  rendre  compte  de  sa  mission  en  «  Romanie  », 
qui  s'était  terminée,  en  somme,  par  un  échec.  Il  est  mort  entre  mai 
1 3 1 1  et  mars  1 3 1  2  '^'.  Son  lils  Jean  l'avait  rejoint  à  Brindisi  en  1 3o7  ; 
on  sait  que,  sous  Philippe  VI,  en  1 334,  il  devait  recommencer  l'aven- 
ture paternelle  dans  les  mêmes  conditions'*'. 

H  résulte  de  la  préface  précitée,  assez  confuse,  que  Thibaut  de 
(ihepoix,  ayant  entendu  parler,  à  Venise,  du  livre  de  Marco  Polo 
—  rédigé,  nous  le  savons,  depuis  1 298  —  en  fit  demander  une  copie 
pour  ses  princes  à  l'auteur  qui  habitait  alors,  de  nouveau,  dans  sa 
maison  patrimoniale  des  lagunes.  S'il  faut  en  croire  la  |)réface  (mais 
on  n'est  pas  forcé  de  l'en  croire) ,  la  copie  que  Marco  remit,  avec  plaisir, 
à  Thibaut  aurait  été  «  la  première  de  son  livre  puis  que  il  l'eut  fait  ». 
Il  la  lui  aurait  remise,  en  août  i3o7,  pour  monseigneur  de  Valois  et 
l'Impératrice.  Mais  Thibaut  l'aurait,  semble-t-il,  gardée  par  devers 
lui,  et  c'est  son  fils  Jean  qui  l'aurait  fait  reproduire  à  plusieurs  exem- 
plaires. Le  premier  de  ces  exemplaires,  Jean  de  Chepoix  l'offrit, 
au  nom  de  son  père  vivant  ou  après  le  décès  de  celui-ci,  à  Charles 
de  Valois;  il  en  distribua  d'autres  à  ses  amis.  —  Les  noms  de 
quelques-uns  de  ces  «  amis  »  peuvent  être,  soit  dit  en  passant,  désignés 
avec  certitude,  car  les  scribes  et  les  enlumineurs  d'Ilesdin  et  d'Arras 
s'employaient  déjà,  en   i3i2  et  en   i3i5,  à  multiplier  ou  à  orner, 

'    Jose{)h  Petit,  Tlnbaut  de  f  Vie/joy,  dans  Le  [Regestum  démentis  papœ   V",  n"  71 15  et  s.). 

Moyen  dje.  1897,  p.  3u4.  ■'    Cli.  de  La  Roncière  et  L.  Dorez,   Lettres 

'*'   Chepoix,  canton  de  Breleuil  (Oise).  inédites  et  Mémoires  de  Marino  Sanudo  l'ancien, 

'''  J.  Petit  n'a  pas  connu  plusieurs  bulles  de  dans  In  Bibliothèque  de  l'Ecole  des  ihartes,  iSyJ, 

(^léu)ent  \  qui  le  concernent,  du  9  avril  i3i  i  p.  aS. 


SES  ÉCRITS.  253 

pour  Mahaut  d'Artois  et  son  favori  Thierri  dHirson,  le  «  Romant  du 
grant  Kan  »  ^''. 

C'est  de  l'exemplaire  rapporté  par  Thibaut  de  Chepoixque  dérivent 
évidemment  tous  les  manuscrits  connus  du  texte  français  (à  l'excep- 
tion du  ms.  fr.  i  n6).  G.  Raynaud  les  a  répartis,  du  reste,  en  deux 
familles  <^',  dont  chacune  est  subdivisée  en  deux  branches  '^*  : 

I.    1.   Bibl.  nat.,  fr.  bdh^  (xv's.); 

Berne,  i  25  (copie  du  précédent). 

2.  Brit.  Mus.,  Regius  19  D  1  (xiv'  s.); 

Oxford,  Bodl.  264  (xiv'  s.). 
[Bibl.  nat.,  nouv.  acq.   lat.    1629,    pièce    ti  (xiv'  s.).  —  Fragment  de 
quatre  pages  (ch.  lxv-lxx).] 
!I.    I.  Bibl.  nat.,  fr.  563 1  (xiv's.). 
—        fr.  a8io(xv's.)(»'. 
a.   Stockholm,  fr.  Sy  (xiv's.)"». 

Bibl.  nat.,  nouv.  acq.  fr.  1880  (copie  du  pi-écédent). 
[Fragment  de  Vevey,  xiv"  s.  {Romania,  t.  XXX,  1901 ,  p.  4  l 'i)-] 

3.  Bruxelles,  9309  (siv*  s.);  combinaison  des  deux  branches  de  la  seconde  famille. 

Le  manuscrit  de  Stockholm  a  fait  partie  de  la  librairie  de  Charles  V, 
qui  possédait,  en  outre,  quatre  autres  exemplaires  de  «Marc  Paul»; 
et  le  manuscrit  français  28 10,  de  la  librairie  du  duc  de  Berry,  qui  en 
renfermait  trois  en  tout'"'. 

La  question  se  pose  maintenant  des  rapports  que  les  rédac- 
tions en  franco-italien  [A)  et  en  français  de  France  [B)  soutiennent 

'"'  J.-M.  Richard,  Mahaut,  comtesse  d'Artois  la  première  famille  de  celle  des  Chepoix   est 

et  de  Bourgogne  (Paris,  1887),  o.  101  (d'après  moins  abrégée  que  la  seconde, 

les  comptes  d'Artois).  —  Dans  l'inventaire  des  '''  G.  Raynaud  n'a  pas  eu,  dans  son  édition 

biens  meubles  do  la  comtesse  Mahaut,  pillés  très  partielle,  à  considérer  les  fragments  indi- 

par  les  partisans  de  son  neveu  en  i3i3,  figure  quésici  entre  crochets. 

a  un  rommant  du  grant  Kan  »  (  Bihlinlhèqae  de  '''   Les  miniatures  de  ce  magnifique  manu- 

l'École  des  ekartes,  ?>'  série,  t.  III,  p.  63).  sent  ont  été  reproduites  en  phototypie  :  fasci- 

<*>  Romania  A. \l,  i88a,  p.  't3o.  Cf.  Yule  et  cule  XII  (1907)  des  «  Reproductions  de  manu- 

Cordier,  t.  I",  p.  9i.  —  Pauthiir  s'est  complè-  .scrits  et  miniatures  de  la  Bibliothèque  natio- 

tement  fourvoyé  en  préférant,  pour  établir  le  <<nale>. 

texte  de  son    édition ,    les    manuscrits   de   la  '*'  Ce  manuscrit  a  été  reproduit  en  photo- 
seconde famille  à  ceux  de  la  première.  typie  par  les  soins  de  A.  E.  Nordenskiôld ,  Le 

Les  manuscrits  de  la  première  famille  con-  Livre    de    Marco    Polo    (Stockholm,     1882). 

tiennent  plus  de  trente  passages  qui  manquent  Cf.  Bibliothèque  de  l'Ecole  des  chartes,  1881, 

dans  ceux  de  la  seconde ,  mais  dont  l'équivalent  p.  226. 

ûgure   dans  la  rédaction  franco-italienne  (A).  '''   L.  Delisle,  Recherches  sur  la  librairie  de 

C'est-à-dire  que,  par  rapport  à  cette  rédaction,  Charles  V,  t.  I ,  p.  '1^1  et  p.  *'j54- 

1   9 


254  MARCO  POLO. 

entre  elles  el  avec  l'archétype  écrit  dans  la  prison  de  Gênes.  À  c<i 
pro])Os  des  hypothèses  se  sont  présentées  à  l'esprit  de  quelques  érudils 
qui  ne  résistent  pas  à  l'examen. 

Le  jargon  du  manuscrit  français  1 1  16  est  si  bizarre  et,  en  mêm(î 
temps,  la  rédaction  qu'il  représente  est  si  verbeuse,  si  encombrée  de 
(■édites,  que  l'on  a  cru  voir  dans  ce  manuscrit  une  sorte  de  repro- 
duction phonographique  des  jwroles  prononcées  à  Gênes  par  Marco, 
vénitien  orientalisé,  et  notées,  soussa  dictée,  par  le  toscan  Ruslicien'''. 
—  D'autre  part,  on  a  soupçonné  que  le  manuscrit  français  1116, 
dont  le  texte  est  antérieur  à  celui  de  tous  les  exemplaires  dérivés  du 
volume  remis  par  Marco  à  Thibaut  de  Che|)oix ,  pouvait  être  ce  volume 
même  :  les  copistes  au  service  des  Chepoix  en  auraient  remanié  le 
texte  en  le  transposant,  pour  ainsi  dire,  en  français  de  France,  et  en 
l'abrégeant;  telles  seraient  l'origine  et  toute  l'explication  des  différences 
entre  les  deux  rédactions.  —  Mais  comment  Marco  aurait-il  «dicté» 
en  français,  même  de  la  ])lus  basse  qualité,  si,  comme  il  y  a  lieu  de  le 
croire,  il  ne  savait  pas  le  français  du  tout?  Aussi  bien  le  manuscrit 
français  1116  n'est  pas  une  minute;  c'est  une  copie,  qui  contient  des 
fautes  de  transcription  manifestes  et  (pii  suppose  un  prototy])e.  — 
L'identification  de  ce  manuscrit  avec  celui  des  Chepoix  est  d'ailleurs 
insoutenable,  puisque  celui  des  Chepoix,  tel  que  l'on  peut  le  restituer 
d'après  tous  .ses  dérivés,  contenait  un  assez  grand  nombre  de  ])assages 
d'authenticité  non  douteuse  c'est-à-dire  dont  la  substance  n(>  peut 
avoir  été  fournie  que  par  Marco  hii-inême),  (jni  font  absolumenl  défaut 
dans  la  première  rédaction,  c'est-à-dire  dans  le  ms.  fr.  1116.  H  y  a  ainsi 
preuve  certaine  qu'une  revision ,  une  au  moins,  fut  opérée,  ])ar  Marco 
en  personne,  de  1298  à  iSoy'^*.  Le  manuscrit  perdu  de  Jean  de 
Chepoix,  source  de  la  rédaction  Vi,  était  un  manuscrit  abrégé  sur 
certains  points,  augmenté  sur  d'autres,  probaldement  mutilé  à  la  fin, 
avec  quelques  fautes  nouvelles,  bref  revu,  mais  sans  soin ,  par  rapport 
à  la  première  rédaction  (i4),  celle  du  manuscrit  français  1116. 

Est-ce  donc  avec  raison  que  (î.  Pauthier  a  attribué  une  suprême 
importance  à  la  rédaction  revisée  de  1807?  —  G.  Pauthier  ne  s'est 
])as  contenté  de  dire,  comme  il  est  vrai,  qu'il  y  avait  eu  revision;  il  a 
pris  au  pied  de  la  lettre  le  certificat  des  Chepoix,  d'après  lequel  leur 

•''  Yiile  et  Cordier,  t.  l",  p.  85.  —  "'  G.  Pauthier,  op.  cit..  p.  lxxxix  et  ».;  cf.  Vule  et  Cordier, 
t.  I-,  p.  93. 


SES  ÉCRITS.  255 

manuscrit  aurait  été  le  «premier»  que  Ser  Marco  eût  communiqué. 
Mais,  avant  1807,  Ser  Marco  avait  dû  faire  à  bien  des  gens  seni- 
l)lable  politesse,  peut-être  avec  des  protestations  analogues  qu'il  la 
taisait  pour  la  première  fois,  puisque  sa  rédaction  primitive,  dont  les 
exemplaires  en  diverses  langues  sont  aujourd'hui  plus  nombreux  que 
ceux  de  la  rédaction  révisée'^  avait  dès  lors,  selon  toute  apparence, 
|)ris  son  vol. 

Ce  qui  a  conduit  Pauthier,  sur  les  traces  de  Paulin  Paris,  à  préférer 
si  hautement  l'état  de  rédaction  D  à  l'état  de  rédaction  A,  c'est,  eu 
réalité,  la  langue  barbare  du  manuscrit  français  1  1 16  et  le  fait  que 
tous  les  manuscrits  de  la  rédaction  B  ollrent  au  contraire  «  le  mérite 
«  d'une  forme  élégante  »  '^'.  Il  reste  à  rendre  compte  ici,  dans  la  mesure 

'''   La  rédaction  re\iiée[B)  n'est  pas, tout  mis  d'aulres,  dans  la  fameuse  édition  de  G.  B.  l\a- 

(11  balance,  supérieure  à  la   rédaction  primi-  musio,  préparée  en  i553.  —  Il  est  établi  depuis 

tlve;  mais  le  lait  d'une  revision  intervenue  do  longtemps  (pie   Hamnsio  a  connu,  outre  des 

I  !()8  à  i3o7  est,  par  lui-niême,  très  intéres-  exemplaires  semblables  au  nis.Cicogna,  d'autres 

saut.  Ajoutons  (pi'il  n'est  pas  isolé.  En  effet  un  manuscrits,  en  latin  ou  en  italien,  maintenant 

manuscrit  du  «Livren  en  latin  (Venise,  Musco  disparus,  (\u'\  contenaient  aussi  des  additions 

civico.  Coll.  (^icogna),  exécuté  en    i4oi,  ijui,  attribuables  à   Marco,  et  à  Marco  seul'".   — 

comme  les  autres  tratluctious  en  latin  connues.  Tout  se  présente  donc  comme  si  Marco,  depuis 

remonte  à    un   prototype  perdu,   contient  un  sa  prison   de  Gènes  jusqu'.i  la  fin   de  sa  vie, 

certain  nombre  de  détails  qui    ne   sont  dans  avait    relu  à    plusieurs    reprises  ses  souvenirs 

aucune  des  rédactions  antérieures  (en  quelque  rédigés  par  Ruslicien,  en  les  annotant  cliaque 

langue  que  ce  soit)  et  qui  ont,  comme   celles  l'ois   de    détails    {|ui  lui  revenaient  à  l'esprit, 

du   manuscrit   remis  à   Cliepoix,    le   caractère  qu'il  retrouvait  dans  ses  menwrandu  ou    qu'il 

iWidilenda  dont  Marc  seul  a  pu,  en  relisant  son  avait  d'abord  omis  h  dessein,  et  qu'on  faisait 

livre,    rc'connaitie  l'utilité,    désirer  l'inserlioii  entrer  au  fur  et  à  mesure  dans  les  copies  nou- 

et   formuler  l'énoncé'".  De  plus,  ces  addenda  velles  de  l'œuvre '''. 
du  ms.  Cicogna  se  retrouvent,  avec  beaucoup  <^'   C'est  aussi  une  considération  de  cet  ordre 

''     Relevé  de  ces  nddciuht  dans  Yule  et  Cordiir,  I.  1",  p.  i02. 

''  Rplevé  (les  principales  additions  qui  ne  se  lisent  que  dans  ledilion  de  Ramusin,  par  Yule  el  Gordien, 
I.  I",  p.  98-99.  On  y  remarque  notamment  un  long  paragraphe  sur  la  salubrité  des  hauts  plateau»  de 
Badakchan,  où  se  riHablit  la  sanlé  de  Ser  Marco  |)endant  le  voyage  d'aller  (t.  1",  p.  i58),  et  l'histoire 
de  la  grandeur  et  de  la  chute  du  ministre  mahomélan  de  Koublai,  Ahmed,  tué  par  les  gens  du  Cathai 
à  l'époque  où  Ser  Marco  était  dans  le  pays  (t.  I",  p.  4i5),  récit  confirmé  de  tous  points  par  des  Annales 
chinoises  qui  n'ont  été  connues  en  Occident  que  de  nos  jours;  cf.  plus  haut,  p.  235,  note  i. 

L&  forme  des  additions  du  Icjte  de  Ramusio  est  littérairement  développée  el  rajeunie,  mais,  au  senti- 
ment des  meilleurs  juges,  l'authenticité  de  la  provenance  du  /onii  ne  saurait  (''Ire,  dans  la  phqiart  des  cas, 
raisonnablement  contestée,  encore  qu'elle  l'ait  été  (Yule  et  Cordier,  t.  1",  p.  97). 

(''  Le  célèbre  médecin  padouan  Pierre  d'Ahano  (t  i3i6)  a  rapporté  une  conversation  qu'il  eut  à  Venise 
avec  Ser  Marco  au  sujet  de  l'aspect  des  constellations  dans  les  régions  lointaines.  Sei  Marco  Ct  mention 
oralement,  ce  jour-là,  de  certaines  particularités  des  îles  indonésiques  qui  ne  sont  dans  aucune  des  «édi- 
tions •  successives  de  son  Livre  (Yule  et  Cordier,  t.  1",  p.  120).  Voir,  sur  les  rapports  personnels  de  Pierre 
d'Abano  avec  Marco  Polo,  Santé  Ferrari.  Per  la  h'ioçjiajin  e  per  gli  scritli  di  P.  d'Ahano,  dans  Mem.  d.  Accad. 
(Ici  Lincei,  Se.  moi:,  stnr.  efilolcn/..  série  5',  t.  XV  (igi8),  p.  653,  679. 

Il  est  clair  que  Marco  Polo  en  savait  beaucoup  plus  qu'il  n'en  avait  dit  à  Rusticien  et  qu'il  devait  être 
tenté,  chaque  fois  qu'il  relisait  ou  qu'on  lui  relisait  la  rédaction  de  celui-ci,  d'y  intercaler  des  additions. 


256  MARCO  POLO. 

où  c'est  possible,  de  celte  différence  de  style,  si  marquée,  entre  les 
deux  rédactions  françaises. 

De  la  première,  il  n'y  a  qu'un  exemplaire  en  jargon.  Il  est  naturel 
de  voir,  par  hypothèse,  dans  ce  jargon,  la  manière  qu'avait  lo  pisan 
Rusticien  de  s'exprimer  en  français.  Mais  l'autre  ouvrage  de  Rusticien , 
sur  les  romans  de  la  Table  Ronde,  est-il  écrit  de  la  sorte?  Il  ne  l'est 
pas  dans  les  nombreuses  éditions  qui  en  ont  été  données  en  France 
au  XV*  et  au  xvi'  siècle.  Cependant,  d'après  G.  Pauthier,  «les éditions 
Il  imprimées  (de  Giron  le  Courtois  et  de  Meliadas)  ne  sont  pas  conformes 
«  aux  copies  manuscrites  que  l'on  en  possède  :  dans  celles-ci  le  style 
«  est  beaucoup  plus  barbare  et  d'un  français  inculte,  comme  celui  du 
«  Livre  de  Marc  Pol  publié  par  la  Société  de  Géographie  »*''.  MM.  Yule 
etCordieront  déclaré,  de  leur  côté,  que  cette  allirmation  de  Pauthier 
était  gratuite'-'.  Or  MM.  Yule  et  Cordier  ont  raison  s'ils  veulent  dire 
seulement  que  la  plupart  des  manuscrits  de  la  compilation  sur  les 
romans  arturiens  qui  porte  le  nom  de  Rusticien  sont  en  français 
ordinaire,  comme  le  manuscrit  français  34o,  par  exemple;  mrîis  le 
manuscrit  français  i463,  exécuté  en  Italie,  dont  quelques  lignes  ont 
été  reproduites  plus  haut,  ne  laisse  pas  d'autoriser,  jusqu'à  un  certain 
point,  le  sentiment  de  Pauthier.  Il  paraît  difficile,  du  reste,  de  dis- 
cerner, eu  pareil  cas,  l'auteur  des  copistes:  il  est  possible  que  les 
copistes  aient  aggravé,  ou  atténué,  suivant  la  connaissance  qu'ils 
avaient  eux-mêmes  du  français,  le  langage  de  leur  auteur,  déjà  mala- 
droit et  incertain  comme  celui  de  quiconque  s'exprime  en  une  langue 
après  tout  étrangère'^'.  —  Quant  à  la  rédaction  B,  dont  la  grammaire 
elle  vocabulaire  sont  tout  à  fait  normaux,  elle  a  été  pour  ainsi  dire 
traduite  de  la  rédaction  en  jargon.  Il  est  bien  certain  que  l'exem- 
plaire donné  par  Marco  à  Thibaut  de  Chepoix  n'était  pas  en  ce  fran- 
çais-là. Thibaut  l'aura  fait  «adapter»  par  quelqu'un  à  lui,  soit  à 
Venise  même,  soit,  plus  probablement,  en  P'rance,  après  son  retour. 
C'est  même,  sans  doute,  à  cause  de  cette  nécessité  d'une  adaptation, 

(|ui  l'a  persuadé  de  préférer,  pour  l'établisse-  '''   Comparer  au  manuscrit  de  Ruslicien  en 

ment  de  son  édition  de  la  rédaction  li,  les  ma-  franco-italien  les  manuscrits  des  romans  ori- 

nuscrits  de  la  seconde  famille   à  ceux  de  la  ginaux  de  la  Table  Ronde  exécutés  en  Italie 

première  (p.   xciii),    malgré   leur    inférioiité  (  Bibl.  nat.,  inss.    fr.   343,   767,   771,    773, 

manifeste.  '6998;  Bibl.  de  Ravenne,  454).  La  langue 

'■'  Op.  cil.,  p.  Lxxxvi,  note.  en  est  aussi,  généralement,  très  incorrecte,  et 

'''   Yule  et  Cordier,  t.  I",  p.  6i.  de  la  même  manière. 


SES  ECRITS.  257 

qui  demandait  du  temps,  que  Thibaut  n'a  pas  remis  immédiatement 
à  Charles  de  Valois  le  manuscrit  qu'il  avait  rapporté  pour  lui;  ce 
manuscrit  il  l'a  même,  finalement,  gardé  :  son  lils  Jean  n'en  a  fait 
délivrer  au  maître  et  aux  patrons  des  (^hepoix  en  cour  de  France  que 
des  copies  rhabillées  à  la  française,  en  un  langage  plus  plaisant  et 
plus  intelligible  pour  eux. 

Ce  qui  reste  à  dire,  très  brièvement,  de  l'histoire,  en  quelque 
sorte  moderne,  du  texte  français  de  Marco  l'olo  ne  laisse  pas  d'être 
encore  instructif. 

Ce  livre,  écrit  presque  immédiatement,  sinon  tout  de  suite,  en 
français;  que  Ser  Marco  avait  eu  pour  si  «agréable»,  dès  iSoy,  de 
voir  «  annunciez  et  portez  es  nobles  parties  de  France»''*;  sans  con- 
tredit un  des  plus  intéressants  de  la  littérature  médiévale,  et  qui  fut 
dévoré  chez  nous  en  sa  nouveauté;  —  ce  livre  n'a  été  imprimé  en 
France  qu'assez  tard,  dans  des  conditions  déplorables,  et  il  n'en  existe 
pas  encore  aujourd'hui  d'édition  satisfaisante''^'.  C'est  en  aUemand  que 
le  livre  de  Marco  Polo  a  été  imprimé  pour  la  première  fois  (1477);  il 
l'a  été  ensuite  en  latin  (vers  1^90),  en  vénitien  (  1496),  en  portugais 
(i5oq),  en  espagnol  (i5o3);  il  ne  fa  été  en  français  qu'en  i556. 
Et  comment?  non  pas  d'après  un  manuscrit  de  la  rédaction  française 
originale,  mais  en  une  traduction  hâtive  faite  d'après  le  texte  latin  de 
l'édition  du  Noviis  Orbis  de  Grynaeus  (Bâie,  i532),  lequel  est,  croit- 
on,  traduit  du  texte  portugais  de  i5o2,  dont  la  source  était  certai- 
nement le  latin  de  ce  fra  Pipino  qui,  nous  l'avons  vu,  avait  travaillé 
lui-même  sur  un  texte  italien'^*.  C'est  en  1824  seulement  que  la 
première  rédaction  française  a  vu  le  jour  par  les  soins  de  la  Société 
de  Géographie;  mais  sans  confrontation  avec  les  manuscrits  de  la 
seconde  rédaction  et  sans  notes.  En  i865,  G.  Pauthier  publia  sa 
grande  édition  de  la  rédaction  rapportée  en  France  par  Thibaut  de 
Chepoix;  mais  cette  édition,  magnifique  au  point  de  vue  typogra- 
phique et  savamment  annotée  par  un  sinologue  fort  versé  dans  les 
choses  de  fAsie,  est  malheureusement  fondée  sur  trois  manuscrits 

*''  Certificat   précité    de   Jean   de    Chepoix.  '^'  Il  existe  d'autres  traductions  françaises  , 

''•  Voir      l'excellente      bibliographie      des  antérieures     et    inédites,    d'après    la    version 

éditions    dans    toutes     les    langues,    Appen-  latine   de  fra  Pipino   (Br.    Muséum,   Egerton 

dice  H  du  manuel  do  Yule  et  Cordier,  t.  II,  2176,  etc.),  qui  n'ont  pas  encore  été,  semble- 

p.  553.  t-il ,  étudiées. 

HIST.  LIITBR.  WXV.  33 


'2:)8  VI\RC()  POLO. 

seulemeni,  dont  l'édileur  n'a  pas  su  apprécier  la  \aleur  relative; 
Pauthier  n'avait  d  ailleurs  qu'une  connaissance  tout  à  fait  insuffisante 
de  l'ancien  français:  de  là  des  erreurs  énormes  '.  Il  n'existe  encore 
d  édition  vraiment  critique  du  texte  français  de  Marco  Polo  que  pour 
les  fragments  (douze  chapitres)  publiés  en  1882  par  G.  Haynaud 
dans  un  recueil  (Y Itinéraires  à  Jérusalem  aux  \i',  xiT  et  Mil'  siècles, 
paru  sous  les  auspices  de  la  Société  de  l'Orient  latin'-. 

C'est  à  un  autre  point  de  vue  que  l'œuvre  du  Vénitien  a  été,  de  nos 
jours,  excellemment  restaurée  et  mise  en  valeur.  —  Il  est  bizarre, 
mais  certain,  que  la  relation  de  Marco  Polo,  pourtant  si  sensée  et  qui 
semble  devoir  inspirer  confiance  à  première  vue,  a  trouvé,  jadis, 
beaucoup  d'incrédules.  Bien  des  contemporains  ont  hoché  la  tête  en 
la  lisant,  et  soupçonné  que  l'auteur  avait  voulu  abuser  de  leur  naï- 
veté; qu'il  avait  inventé  ces  noms  barbares,  soi-disant  mongols;  et 
qu'il  se  pouvait  fort  bien  qu'il  ne  fût  jamais  allé  si  loin.  Fra  Francesco 
Pipino,  dans  la  préface  de  son  édition  latine  (de  i3i5  à  i32o),  se 
sent  obligé  d'attester  l'honorabilité  du  narrateur  et  le  fait  que  son 
père  et  son  oncle,  Nicolô  et  MalTeo  Polo,  hommes  sages  et  pieux, 
avaient  coutume  de  raconter  oralement  leurs  aventures  de  la  même 
façon  que  lui;  Ser  Malïeo  avait,  en  outre,  à  son  lil  de  mort,  affirmé 
à  son  confesseur  que  «tout  était  vrai".  Un  autre  contemj)orain,  fra 
Jacopo  d'Acqui,  dans  son  Imaçjo  mundi,  rapporte  que  Marco  lui-même 
fut  conjuré,  à  l'instant  suprême,  de  déclarer  s'il  avait  mystifié  le 
public;  à  quoi  il  aurait  répondu:  «  Je  n'ai  pas  dit  la  moitié  de  la 
Il  vérité.  )i  Or  ces  méfiances  d'autrefois,  que  la  malveillance  naturelle 
de  l'homme  ignorant  explique  assez,  sont  maintenant  dissipées  à  fond. 
Si  Ramusio  pou\ail  déjà  proclamer,  au  wT  siècle,  que  les  voyageurs 
de  cet  âge  avaient  confirmé  le  «Livre"  de  son  compatriote,  Abel 
Rémusat  écrivait  en  1818:  «Loin  que  la  réputation  de  Marco  Polo 
Il  diminue  par  les  progrès  de  la  géographie  positive,  on  trouve  de 
I  nouvelles  raisons  d'admirer  son  exactitude  et  d'être  persuadé  de  sa 
«sincérité  à  mesure  qu'on  ap])rend  à  mieux  connaître  les  pays  ([u'il 
«  a  décrits'''.  »  Le  colonel  Yule,  de  la  première  (  1  870)  à  la  seconde 

'1  Par  exemple,  au  cli.  cxxv,  où  il  esl  qitos-  (p.  4a2),  «dans  le  .-cns  de  l'anglais  scliotnrs» 

lion  des    «escoilliez.  dont  le  Benfçale   iburnil  (p   83a). 
les   harems   des  grands  seigneurs  de  l'Inde.  ''   ".  aoi-aao. 

(i.  Paulhier   croit  qu'il  s  agit   là  d'«  écoliers  •  '''  Cité  par  G.  Pauthier,  p.  1. 


SES  KCRITS.  2r)<» 

édition  (1874)  de  son  grand  ouvrage  :  The  Book  ofSer  Marco  Polo,  fut 
obligé  par  les  découvertes  accomplies  pendant  cette  période  dans  le 
Pamir,  le  Tangout  et  le  Yun-nan,  de  remanier  profondément  le  com- 
mentaire qu'il  avait  donné  des  chapitres  du  »  Livn-  »  sur  ces  régions; 
car  c'était  comme  si  les  originaux  de  très  vieilles  photographies  avaient 
été  tout  à  coup  retrouvées:  à  la  réalité  présente  se  superposait  parfai- 
tement la  description  ancienne  de  choses  qui  n'avaient  point  changé. 
Mais  c'est  de  nos  jours  seulement  que  les  confirmations  les  plus  écla- 
tantes de  la  clairvovance  et  d(^  la  véracité  de  l'illustre  voyageur  ont  été 
acquises.  Il  a  été  démontré  que  (iharles  de  Valois  avait  été  informé, 
dès  iSoy,  de  faits  dont  nos  contemporains  n'ont  entendu  parler  de 
nouveau  que  par  les  ouvrages  de  l'explorateur  Aurel  Stein  et  de  ses 
émules  à  partir  de  1912  '*.  E.Huntington  et  Sir  Aurel  ont  voyagé,  au 
commencement  du  xx"  siècle,  dans  les  districts  les  plus  inaccessibles 
de  l'Asie  centrale,  avec  deux  guides  dans  leurs  bagages:  le  livre  du 
pèlerin  chinois  lliourn  Tsang  (vii^  siècle)  et  celui  de  Marco  Polo;  ils 
en  ont  constaté  la  minutieuse  précision  dans  l'indication  des  étapes'- , 
des  paysages'^',  des  circonstances  locales'*'. 

JNos  prédécesseurs  ont  eu  roccasi(m  dès  1 869  de  signaler  des  traces 
de  l'influence  exercée  par  l'état  de  rédaction  H  du  «  f  Jvre  »  de  Marc 
Pol  en  français  sur  des  écrits  contemporains  des  derniers  (lapétiens 
directs  :  le  Flos  Instorianim  terrae  Orientis  d'Haylon ,  prince  d'Arménie '''*, 
et  le  roman  anonyme  de  Baudouin  de  Sel)oar(j^''\  Nous  parlerons  plus 
tard  de  Jean  Le  Long,  moine  de  Saint-Bertin  à  Saint-Omer,  qui 
possédait  les  œuvres  de  «  Marc  Pol  »  et  qui  s'en  est  servi  ''\ 

C.  L. 

'''   Voir  aussi  les  ouvrages  du  voyageur  sué-  «  Pein  »  (Lllsworth    Huntington,    The  puise  o/ 

dois  Sven  Hedin,  souvent  rapprochés  du  texte  Asia.  London,  1907,  p.  387);  etc. 
de  Marco  Polo   dans  la  traduction  précitée  de  '*'   Histoire  littéraire,  t.  X.\V,  p.  48  1 . 

B.  Thordeman.  '*'   Ibid. ,  p.  56(5.  CI.   ^  ule  et  Cordier,  1. 1' , 

'''   M.   Aurel  Stein,  Raiim  of  désert  Cathay  p.  i2/ et  suiv. 
(London,  1912),  t.  1",  p.  337  '"'  •'"J-  ''*  ^^  ''^''  sli-cio,  on  s'est  amusé,  en  Italii-, 

'''   Les    champs    de    rhubarbe    sauvage    du  à  composer,  sous  le  nom  de  «  Marc  Paul  »,  une 

Nan-chan  (t.  II,  p.  3o5).  petite  géographie  de  la  péninsule,  en  français, 

'*'   I-es  falaises  des  Mille  Bouddhas  au  Tan-  (jue  le  sage  Vénitien  aurait  laite  après  son  rc- 

gout  (t.  Il,  p.  37);  les  plantes,  enivrantes  pour  tour  d'Orient  (Bibl.  nat. ,  nouv.  acq.  fr.  5oonj  ; 

les  bétes  de  somme,  des  pâturages  du  «Suk-  mais  celte  énorme  supercherie  n'a  Jamais  dû 

•  chur»  (t.  Il,  p.  3o3);  les  mœurs  du  pays   de  tromper  personne. 

33. 


260  JORDAN  C\TALA,  MISSIONNAIRE. 


JORDAA  CATALA,  MISSIONNAIRE. 


Le  livre  de  Marco  Polo  n'est  que  l'anneau  le  plus  brillant  dans  une 
chaîne  d'écrits  sur  les  choses  de  l'Orient  et  de  l'Extrême-Orient  qui 
commence  au  milieu  du  xiii'  siècle  avec  les  relations  de  Jean  du 
Plan  de  Carpin  et  de  Guillaume  de  Rubrouck.  Au  xiv*  siècle,  l'éveil 
étant  donné  dans  cette  direction,  le  Saint-Siège  encourage  en  Asie 
les  sondages  et  les  établissements  des  missionnaires  ]K)ur  la  conquête 
des  mondes  nouveaux  dont  l'existence  a  été  révélée.  El,  de  ces  mis- 
sionnaires, quelques-uns,  comme  ceux  du  temps  d'Innocent  IV,  écri- 
vent au  refour  la  description  des  merveilles  qu'ils  ont  vues,  avec  le 
récit  de  leurs  aventures  personnelles.  Tel  le  franciscain  Odoric  de 
Pordenone  qui,  à  partir  de  i3i8,  parcourut  l'Asie  jusqu'à  la  Chine, 
et  dont  le  livre,  dans  la  littérature  des  voyages,  se  classe,  à  tous  les 
points  de  vue,  immédiatement  après  celui  de  Ser  Marco'"'.  Ainsi  la 
chai-nc  s'allonge,  jusqu'à  ce  qu'elle  aboutisse,  plus  tard,  aux  compi- 
lations du  prétendu  Mandeville,  dont  nous  aurons  à  parler,  et  d'autres 
géographes  en  chambre. 

Ces  évangélisateurs  en  Extrême-Orient  ont  été,  dès  l'origine,  des 
Dominicains  (surtout  en  Perse)  et  des  Franciscains  (surtout  en 
Chine),  pour  la  plupart  Italiens  ou  Français.  Tous  ceux  qui  ont  écrit 
ou  dicté  l'ont  fait,  naturellement,  en  latin.  Mais,  dans  ces  conditions, 
les  originaires  de  France  sont  seuls  à  considérer  ici,  vu  le  plan  du 
présent  ouvrage. 

La  France  a  toujours  été  un  pays  de  pionniers  et,  en  particulier, 
de  missionnaires.  Au  xiii*  siècle,  Simon  de  Saint-Quentin,  André  de 
Longjumeau,lant  d'autres.  Lorsque, le  i"  mai  i3i8,.Iean  XXII  orga- 
nisa l'Eglise  de  Perse,  avec  Sultanieh  pour  métropole,  trois  au  moins 
des  suilragants  du  nouveau  siège  métropolitain,  et  sans  doute  tous 
les  quatre,  étaient  des  Dominicains  français  :  Gérard  Calvet  de  Mont- 

•''   H.  Cordier,  Les  Vovayes  en  Asie  du  bien-         hio-bibliogiajica  delta  Terra  Santa  e  dell  Oriente 
heureux  frère    Odoric    Je    Pordenone    (Paris,         /rance.<rano,  t.  III  (Quaracchi,  i9i{)). 
1891).    Cf.   Girolatno     (iolubovich,  BibUoteca 


SA  VIE.  261 

pellier,  Bernard  Moret,  Guillaume  Adam,  dont  la  nolice  suit  celle-ci, 
et  Barthélemi  de  Podio  (du  Puy) '''.  —  Or,  c'est  à  cette  mission  de 
Perse  qu'appartint  d'abord  un  autre  Français  du  Midi, ce  frère  Jordan 
Catala,  de  l'Ordre  de  saint  Dominique,  qui  fut  le  premier  évêque 
catholique  de  l'Inde  majeure,  et  dont  on  a  quelques  reliques  litté- 
raires. 

SA   VIE. 

Il  était  de  Sévérac  en  Rouergue*"^)  (le  titre  de  son  livre  porte  :  oriun- 
dus  de  Severaco).  Il  dit  que  le  grand  chef  des  Tatars  est  suzerain  de 
quatre  royaumes  dont  chacun  est  grand  comme  le  royaume  de  France, 
et  que  ce  prince  a  dans  ses  domaines  deux  cents  villes  «  plus  grandes 
M  que  Toulouse»  '^'.  A  la  fin  de  ses  MirabiUa  descripta,  il  déclare  brus- 
quement, après  le  rappel  des  souffrances  qu'il  a  endurées,  en  guise 
de  conclusion  :  «Credo  insuper  quod  rex  Francie  posset  totum 
«  mundum  sibi  subjicere  et  fidei  christiane,  sine  aliquo  alio  eum 
«juvante'*^  »  Assurément  il  n'était  pas  Portugais,  ni  d'Evora,  comme 
le  bruit  en  a  couru,  sans  l'ombre  d'un  motif,  parmi  les  érudits,  avant 
que  son  principal  ouvrage  eût  été  mis  au  jour'^'. 

Le  premier  renseignement  certain  que  l'on  ait  sur  sa  carrière, 
c'est  que,  en  iSao,  il  faisait  partie  de  l'Ordre  de  saint  Dominique 
et  de  la  mission  de  Perse,  et  qu'il  était  là  depuis  assez  longtemps  pour 
avoir  appris  à  parler  couramment  la  langue  persane.  A  quelle  époque 
y  était-il  venu?  On  l'ignore  et  il  est  inutile  de  conjecturer,  pour 
combler  cette  lacune,  qu'il  avait  quitté  son  pays  soit  «en  i3j2, 
«  lorsque  le  maître  des  Dominicains,  Bérenger  de  Landore,  promulgua 
«  ses  magnifiques  règlements  pour  la  Congrégation  des  Frères  péré- 
«  grinants»  '*',  soit  dès  i3o2,  quand  Thomas  de  Tolentino  «  emmena 

'''  Voir  la  balle   dn  i"  mai  i3i8  dans   la  '*'  Quétif    et    E^hard,     Scriptores    Ordinis 

Revae  de  f  Orient  /afin,  t.  X,  p.  ao.  Cf.  Histoire  Prœdicatoruin,  t.  I",  p.  55o.  —  H   y  a  encore 

Kttéraire.  t.  XXXIV,  p.  5 1  a.  dans  la  Bio- Bibliographie  de  M.  Ulysse  Chevalier 

'*'  Sévérac-le-Châleau,  arr.  de  Millau,  Avey-  un  article  Jordan  d'Evora  et  un  article  Jordan 

ron.  ((^ATALANi)    DE    SÉVBRAC,   distincts,    et    sans 

<*'  Mirahilia    descripta   (éd.   Coquebert   de  renvoi  de  l'un  à  l'autre. 
Montbret),  p.  69.  '''  A.  Brou,  L'Eoangélisation    de  l'Inde   aa 

'*'  Ibid.,    p.  63.  Cf.  J.  Gay,  Le   pape  Clé-  moyen  âge,    dans   let  Éludes   pahliées  par   les 

ment  VI  et  les  affaires  ^Orient  (Paris,   1904),  Pères   de  la  Compagnie  de  Jésus,  t.  LXXXVll 

p.  61.  (1901),  p.  590. 


262  lOHDW  (;\T\L\.   VIISSIONWIUE. 

«eu  Asie  douze  Krères,  dont  il  est  rapporté  incidemment  qu'ils 
«passèrent,  dans  leur  voyage  d'allei",  par  Négrepont  et  par  Thèbes, 
«en  Grèce,  ce  qui,  d'après  les  Mirahiha,  lut  aussi  l'itinéraire  de 
<<  Jordan  »  '''. 

Krère  Jordan  partit  donc,  à  une  date  indéterminée,  de  la  b'rance 
pour  la  Perse.  Il  passa,  suivant  l'usage,  par  le  détroit  de  Messine  et 
Xégrepont,  fit  une  pointe  en  Béotie,  traversa  la  Grande  Arménie,  ou 
plutôt  la  parcourut  prestpie  tout  entière'^',  attentif  aux  traces  des 
saijits  martyrisés  jadis  d;ins  ces  contrées.  Il  arriva  à  Tauris,  «qui  esl 
«  une  très  grande  ville  avec  deux  cent  mille  maisons».  ■!  Nous  avons  là 
«  tine  église  assez  helle  el  un  millier  de  catéchumènes,  schismaliques 
«  convertis  ;  il  y  en  a  autant  à  Ur  et  cinq  ou  six  cents  à  Sultanieh,  où 
(I  l'église  est  fort  belle.  »  Sidtanieh,  de  fondation  récente,  était  alors  la 
résidence  d'été  de  l'Empereur  tatar;  près  de  là,  «la  charmante 
«Maroga,  qui  devait  sa  renommée  à  des  institutions  scientifiques, 
«observatoires  et  autres»  '"*',  et,  entre  Tauris  et  Maroga,  ce  lieu  de 
«  Diagorgana  »  (Dihkargan)  dont  le  montpelliérain  Gérard  Calvet  fut  fait 
évéqne  en  1.3  18.  ('/est  dans  ces  chrétientés  relativement  florissantes 
<jue  frère  Jordan  travailla  fl'ahord.  Mais  le  séjour  qu'il  y  fit  ne  lui 
laissa  pas  une  haute  idée  des  habitants  :  «  Le  pays,  dit-il,  est  peuplé 
«de  Sarrasins,  de  Tatars  qui  sont  de  la  religion  des  Sarrasins,  et  de 
«  chrétiens  scbismaticpies  :  Nestoriens,  Jacobites,  Grecs,  Géorgiens, 
«  Arméniens,  avec  quelques  Juifs.  »  Au  reste,  tous  ces  gens  ne  savent 
pas  se  servir  des  ressources  naturelles  du  pays,  qui  sont  la  soie, 
l'or  et  le  lapis-lazuli,  et  ils  ntangent  salement.  Ce  qui  l'a  le  plus 
frappé,  d'ailleurs,  ce  sont  ces  petits  ânes  rapides  qu'on  appelle 
M  onagres  »  et  les  sources  naturelles  de  poix  :  de  la  poix  dont  on  se  sert 
pour  enduire  les  outres  à  conserver  le  vin. 

A  l'automne  de  iSqo,  des  Franciscains  envoyés  par  le  Saint-Siège, 
sous  la  direction  de  ce  vétéran  des  missions  lointaines,  frère  Thomas 
de  Tolentino,  passèrent  par  Tauris,  en  route  pour  la  Chine.  Frère 
Jordan,  qui  ne  se  plaisait  guère  en  Perse,  obtint,  malgré  sa  robt;, 
d'être  adjoint  à  cette  mission,  laquelle,  après  avoir  gagné  à  pied 
Ormouz,  le  grand  port  de  la  mer  d'Arabie,  s'embarqua  de  là,  en  mars 

'''  Sir  Henry  Vulo,  Calhny  and  ihc  way  ihi-  '*'   A.  Brou,    loc.  cil.   Cl'.  P.   M.   Sykcs,     I 

/Aec  (éd.Cordier),  l.  m  (Londoti,  191 4)  ,p.  îi().         hi$lnry    nf   Peina,     t.     Il     (London,     igif)*, 
"'  Mirabitia ,   p.  .'ig.  p.  ii-j. 


SA  \IE.  263 

<le  l'année  suivante,  pour  les  échelles  de  l'Inde'".  Contrarié  par  les 
vents,  le  navire  qui  la  portait  aborda  d'abord  à  Tana,  dans  l'ile  de 
Salsette,  près  du  site  actuel  de  Bombay. 

11  y  a,  dans  les  Annales  Minonim  de  V\  adding,  une  relation  étendue 
de  ce  qui  se  passa  presque  aussitôt  après  l'arrivée  de  la  mission  à 
Tana'^'.  L'historien  des  Mineurs  a  composé,  dit-il,  ce  récit  célèbre 
eii  coordonnant  les  renseignements  contenus  dans  un  assez  grand 
nombre  de  lettres,  émanées  de  nioines  dominicains  et  Iranciscains  des 
missions  d'Orient,  dont  il  nomme  les  auteurs,  mais  sans  citer  les  textes 
originaux  et  sans  indiquer  l'endroit  où  il  les  a  puisés '*).  Cependant 
ces  sources  ont  été  déterminées  de  nos  jours,  et  il  est  loisible  désor- 
mais de  les  consulter  directement.  La  principale  est  la  Cluonica 
.XXIV.  (jeneralium  Orduns  Minoium,  que  le  franciscain  IVère  Arnaud  de 
Scrano,  provincial  d'Aquitaine,  a  composée  dans  le  troisième  quart  du 
W  siècle''';  et  il  yen  a  encore  d'antres  que  Wadding  n'a  pas  connues''! 
H  ressort  de  l'ensemble  que  plusieurs  chroni([ueurs  Iranciscains  du 
xiV  siècle  ont  eu  connaissance  de  lettres  et  d»;  rapports,  conservés 
alors  dans  les  archives  de  l'Ordre,  sur  les  événements  de  Tana.  Infor- 
mées de  ces  événements  par  frère  Jordan  lui-même,  par  ses  messagers 
et  par  d'autres  témoins'*"',  les  Missions  de  Perse  s'étaient  empressées 
d'en  transmettre  la   nouvelle  à  leurs  correspondants   d'Occident'^', 

'''   Les  balcaux  qui  font   \v  trajet  d'Ormoui  «  mullis  moicatoiihus   latinis  qui   fuciunt  pre- 

cn  Chine  sont   décrits  d'après  nature  dans  les  a  sentes  nrgocio.  >  (G.  Golubovich,  t.  Il,  p.  69  ; 

Mirabilia  (p.  6a).  cf.  ibid. ,  p.  i  10, 1.  letsuiv.).  Voir  aussi  un  frag- 

=1   Annales  Minoriim ,  2'  éd. ,  t.  \  I ,  p.  353  ;  ment  de  lettre  du  gardien  des  Mineurs  de  Tau- 
ci'.  Acia  Sanctoriim  ^  Avril,  t.  1",  p.  5o.  ris,  inséré  dans  la  Chrimica  .XXIV.  (jericialiuin , 
<^'   t  E\  omnium    narrationihus  plenam  nos  p.    607  :   ■  Reluiit    nolùs   quidam  juvenis   Ja- 
..  roncinnamus  loliu!.  marl)rii  historiam.»  «nuensi.s,    qui   vocatur    LaCranchinus,  qui  fuit 

*'    Chronicn  .XXIV.    geneialium  Onlinis   Mi-  .  sorius    fratris  Jordani,  quod  .  . .  •  ;  et  p.  61  a  : 

iiDiiim.    au  t.    111    (Ad   Claras    Aquas.    1897)  «IWlulit   nobis  quidam  juvenis  Januensi»   de 

des  Analecla  framiscana ,  p.  ^']!^  et  suiv.,  5((7  «parente   Ciatucci,  qui    vocatur  Lalranchinus, 

,.|   suiv.  «qui,  credo,   fuit  socius    fratris  .lordani    pre- 

''   G.    Golubovich,    Biblioleca   bio-biblioyra-  c,  dicti.  ..«  Pierre  Je  T'iirri,  vicaire  des  Mineurs 

jua    délia    Terra    Santa   c   dell'    Oriente  fran-  en   Orient,   invoque    aussi    le    témoignage   de 

rpcano,   t.   Il   ( QuaiaCL-hi ,    1913);   cf.   t.   III,  ..  quidam  chrislianus  lalinus  Januensis,  nomine 

p.  a  1 1 .  .1  Jacobinus ,  mercalor,  ([ui  cutn  sanctis  fratribu» 

''  Lettre  d'un  dominicain  de  Tauris  au  lec-  «simul  in  Indiam  proiéctus  est,  et  ab  eis  rece- 
leur du  couvent  de  Bologne  :  •  Vobis  illa  bre-  «dens,  dum  illi  Tanam  iverunt ,  in  quadam  in- 
«  viler  significare  curavi  prout  ccrtissime  sunt  «  sula  morabatur. . .  »  (/iirf. ,  p.  609). 
«  visa,  scripta,  narrata  et  divulgata  a  fratre  Jor-  '''  Même  lettre  du  dominicain  anonyme  de 
"  dano  nostri  Ordinis,  et  a  quodam  vlro  dcvoto  Tauris ,  ibidem  :  •  I\ogo  ergo  vos  amore  Christi, 
•  et  fide  digno  qui  in  civitale  Tana  diligentis-  «in  quo  omnes  fratres  suinus  Ordinis  cujus- 
«sime   verilalem  de  prediclis   inquisivil,   et    a  «cumque,  ut  hec  publicare  velitis  el  publicari 


264  JORDAN  CATALA,  MlSSIONNAmE. 

jusqu'à  la  cour  pontificale'''.  On  est  donc  très  bien  informé  des 
faits,  dont  voici  la  substance. 

Les  missionnaires  ayant  débarqué  par  iiasard  à  Tana,  qui  n'était 
pas  dans  leur  itinéraire,  y  furent  hospitalisés  chez  des  Nestoriens, 
dont  il  y  avait  quinze  familles  dans  la  ville.  Huit  jours  après  le  débar- 
quement, ses  hôtes  persuadèrent  frère  Jordan  de  se  séparer  pour  un 
temps  de  ses  compagnons  afin  d'aller  visiter  la  communauté  de 
«  Parocco  »  (aujourd'hui  Broach,  dans  le  Guzerate) ,  où  il  y  avait  aussi 
des  chrétiens,  mais  des  chrétiens  de  n(Mii  plutôt  que  de  lait,  et  fort 
ignorants.  Frère  Jordan  fut  choisi,  entre  tous  ses  confrères,  pour 
cette  petite  expédition  latérale  à  cause  de  la  connaissance  qu'il  avait 
du  persan.  H  s'embarqua  donc  pour  «  Supera  »  (ville  aujourd'hui 
détruite,  aux  environs  de  Surate),  où,  en  quinze  jours,  il  baplisa  et 
confessa  vingt  personnes.  C'est  là,  et  à  la  veille  de  gagner  «  Parocco  », 
que  la  nouvelle  lui  parvint  de  l'arrestation  des  quatre  Franciscains, 
Thomas  de  Tolentino  et  ses  acolytes,  qu'il  avait  laissés  à  Tana.  On  le 
faisait  supplier  de  les  rejoindre,  pour  les  assister  en  qualité  d'inter- 
prète. Mais,  quand  il  arriva,  tout  était  fini  :  leur  martyre  avait  été 
consommé  dans  la  première  quinzaine  d'avril.  Il  ne  put  qu'ensevelir 
les  corps,  avec  l'aide  d'un  jeune  Génois  qui  était  là,  et  plus  tard,  en 
déposer  honorablement  les  restes  dans  TégUse  de  «  Supera  »,  celle  (jui 
passait  pour  avoir  été  rebâtie  sur  l'emplacement  de  la  basilique  fon- 
dée jadis  par  saint  Thomas,  apôtre  des  Indes. 

Le  plus  ancien  document  de  la  main  de  frère  Jordan,  dont  on 
ait  intégralement  conservé  le  texte,  est  du  i  j  octobn;  i3'-«), 
six  mois  après  la  catastrophe.  Il  manda  ce  jour-là,  de  Gogha  '^',  «à  ses 
«frères,  Dominicains  et  Franciscains,  de  Tauris,  de  Diagorgana  et 
M  de  Maroga»,  l'expression  de  ses  regrets  d'avoir  survécu  aux  martyrs 
de  Tana,  l'exposé  de  sa  conduite  après  leur  mort  et  ses  intentions  pour 
l'avenir  :  «Je  suis  seul,  pauvre  pèlerin  dans  l'Inde.  .  .  Depuis  ce  qui 
«s'est  passé  à  lana,  j'ai  baptisé  à  Parocco,  qui  est  à  dix  journées 
«de  là,  quatre-vingt-dix  personnes,  et  j'en  baptiserai  encore,  avec  là 
«permission  de  Dieu,  vingt  autres,  sans  compter  trente-cinq  que  j'ai 

«  faceie  in  populo  et  in  clero,  sirut  vobis  ad  «nostros,  atquc  Iranscripta  priori  Venetiaruin 

«  edilicationein  eorum  videhilur  cxpedire.  Que  •  et  aliis.  . .  • 

«scribo  vohis  jain  pulilicata  siint  in  populo  et  '''  VA',  plus  loin,  p.  -',67,  note  \. 

•  in   terris    pluribus ,    ubi    noslri   fralres  siint.  '''   District  d'Ahmedabail,   sur   le   golfe    de 

«  tam   per    ipsos    l'ratres    Minores    <|uam   per  Cambayc. 


SA  VIE.  265 

«baptisées  aussi  entre  Tana  et  Supera.  Si  j'avais  un  compagnon,  je 
«  resterais  encore  quelque  temps.  Mais  maintenant  je  vais  préparer 
«une  église  pour  les  frères  qui  viendront;  je  leur  laisserai  mes 
«  affaires,  celles  des  martyrs,  et  tous  nos  livres.  »  Lui-même  désirait 
évidemment  s'en  aller  (en  Occident.?)  pour  procurer,  dit-il,  la  cano- 
nisation de  ses  compagnons,  et  aussi  pour  d'autres  raisons  dont  il 
parle  à  mots  couverts  [propter  fidei  negotia  et  alia  satis  ardua  et  dijfi- 
cilia)  '''.11  affirmait  d'ailleurs  que  la  côte  de  l'Inde  promettait  d'être  un 
terrain  assez  fertile  pour  la  prédication.  «  Il  y  a  place  pour  deux  frères 
«  à  Supera,  pour  deux  ou  trois  à  Parocco<^>,  et  je  sais  en  outre  un  bon 
«endroit  qui  s'appelle  Columbus'^.  »  Et,  au  delà  de  l'Inde,  il  y  a 
encore  fEthiopie,  dont  «nos  marchands  latins  affirment  que  la  voie 
»  est  ouverte  -,  Dieu  veuille  que  je  vive  assez  longtemps  pour  y  porter 
«  sa  parole,  sur  les  traces  de  saint  Mathieu.  .  .  »  '*'. 

Les  vœux  du  bon  missionnaire  ne  furent  pas  entièrement  exaucés. 
11  est  liors  de  doute  que  ses  premières  lettres,  dont  la  forme  originale 
est  perdue,  avaient  provoqué  le  départ  pour  l'Inde,  à  sa  rescousse  et 
pour  enquête,  d'au  moins  un  moine  de  Tauris  :  le  gardien  des 
Mineurs  de  cette  ville  fait  savoir,  en  effet,  le  lendemain  de  l'Ascension 
(29  mai  iSsi),  au  vicaire  général  de  son  Ordre,  que  frère  Nicolas 
de  Rome,  vicaire  des  Frères  Prêcheurs,  vient  de  partir  pour  l'Inde, 
au  reçu  des  nouvelles  expédiées  par  frère  Jordan'^'.  H  y  a  trace,  en 
outre,  d'une  enquête  conduite  à  Tana  par  un  homme  «  pieux  et  digne 
«  de  foi  »,  connu  des  missions  de  Tauris,  pour  vérifier  les  faits  notifiés 
par  frère  Jordan'*^'.  Odoric  de  Pordenone  déclare,  d'autre  part,  dans 
ses  Mémoires,  qu'il  passa,  quelques  années  après  l'événement,  dans 

J''  •  Veniam  tum  propter  sanclorum  supra-  dire  :  la  mission  do  Qnilon  existait  depuis  la  fin 

•  dictoium  Fratrum canonizationem ,  tumprop-  du  xm' siècle;  cf.  |)lus  loin,  p.  2()8,  note  8. 

•  ter Gdei  negotia  et  alia  sali»  ardua  et  diflicHia.  '''  Voir  plus  loin  (p.  271)  l'indication  des 
«Lator  poterit  oinnia,que  scribere  nequeo  pre  éditions    de   cette  lettre.  —  «Ubi    quondam 

•  temporis  brentate,  exponere.»  Il  y  a  quelques  sanctus  Matheus  predicavit»  ne  se  trouve  que 
variantes ,  suivant  les  manuscrits  :.  propter  alia  dans  le  ms.  lat.  5oo6  de  la  Bibliothèque 
«fidei  négocia  satis  ardua  et  utilia  •  (Ed.  Golu-  nationale. 

bovich.p.  69,  ii3).  (')   «Vicarius    vero   Fralrum    Predicalomm, 

'''   «In  contrada  de  Parocco.t  .frater  Nicolaus  Romanus,  videns  litteram  sui 

•''  Sir  Henry  Yule  (Cathay  and  the  way  thi-  «  fratris  testimonium  perhibentis,  iter  arripuit 

ther.  éd.  Cordier,  p.  ag)   s'est  appuyé  sur  ce  «et  versus  Yndiam  properavit.  »  (Lettre  insérée 

passage  pour  conjecturer  que,  en   i3ai,  frère  dans  les  Chroniques  de  frère  Jean  Elemosyna; 

Jordan  était  déjà  allé  à  Quilon( Co/um6uî).  Mais  éd.  G.  Golubovich,  op.  cit.,  p.  113). 

il  est  clair  que  le  missionnaire  parie  ici  par  ouï-  '•>  Plus  haut,  p.  a63,  note  6. 

HIST.  LITTÉR.  XXXV.  34 


266  JORDAN  CATALA,  MISSIONNAIRE. 

le  pays  où  ses  quatre  confrères  avaient  été  martyrisés,  et  qu'il  emporta 
de  leurs  ossements  au  couvent  franciscain  de  Tsiouen-tcheou  en 
Chine  '"'.  H  ne  semble  donc  pas  que  Jordan  soit  resté  continuellement 
dans  la  solitude.  Mais  il  ne  lui  fut  pas  donné  de  quitter  l'Inde  aussitôt 
qu'il  en  avait  exprimé  le  désir;  le  voyage  d'Ethiopie  resta  pour  lui  à 
l'état  de  rêve;  et  si  des  compagnons  lui  arrivèrent,  ils  ne  firent  que 
])asser  ''^*.  On  a  de  lui  une  seconde  lettre ,  plus  éplorée  que  la  première, 
en  date  de  Tana,  le  20  janvier  i3i4-  H  est  toujours  seul.  Ses  occu- 

i «lions  n'ont  pas  varié;  ses  sentiments  sont  toujours  les  mêmes;  mais 
a  situation  s'est  aggravée  :  '  Je  suis  resté  à  Tana  et  dans  le  pays  avoi- 
«  sinant  pendant  plus  de  deux  ans  et  demi,  circulant  çà  et  là.  Hélas! 
«  mes  Pères,  je  n'ai  pas  été  jugé  digne  de  partager  la  couronne  des 
«  martyrs.  Mais  je  suis  toujours  orphelin  et  vagabond  dans  ces  terri- 
«  blés  déserls,  poui-  mon  malheur.  Que  la  terre  ne  m'a-t-elle  englouti.^ 
«  Comment  dire  tout  ce  que  j'ai  enduré.^  Pris  par  les  pirates,  mis  en 
«prison  par  les  Sarrasins,  accusé,  maudit,  bafoué,  réduit  à  circuler 
«  en  chemise,  sans  le  saint  habit  de  mon  Ordre '^'.  La  soif,  la  faim,  le 
«  climat,  les  maladies,  les  calomnies  des  faux  chrétiens.  .  .  H  y  a  des 
«  schismes  affreux  à  mon  sujet  :  un  jour  les  gens  sont  bien  disposés 
«pour  moi;  un  autre  jour,  c'est  l'inverse,  à  cause  de  ceux  qui  les 
«trompent.  J'ai  été  assez  heureux,  cependant,  pour  baptiser  cent 
"  trente  personnes  des  deux  sexes,  et  il  y  a  ici  en  perspective  une 
«moisson  glorieuse  pour  les  frères  qui  viendraient,  pourvu  qu'ils 
«fussent  prêts  à  tout  souffrir.  Mais  qu'ils  viennent  !  Chers  frères,  je 
«  vous  implore  avec  des  larmes  d'octroyer  cette  consolation  à  un 
«  malheureux  pèlerin  privé  de  ses  saints  compagnons.  Et  puis,  il  v 
«a  encore  le  voyage  d'Ethiopie.  Quelque  frère  devrait  l'entreprendre. 
«  De  l'endroit  où  je  suis,  il  ne  serait  pas  bien  coûteux  et,  d'après  ce 
«que  j'ai  oui  dire,  ce  serait  une  entreprise  glorieuse  pour  la  propa- 
«gation  de  la  foi'*'.  »  Quoicpie  personnellement  dégoûté  du  poste  où 

'"'  M.  Cordier,  p.  82.  une  lettre  de  i3a6,  le  massacre,  dans  le  Sud 

'''   On     lit   dans     les     Mirabilia     (p.  63)   :  de  l'Inde,  de  plusieurs  évanpelistes  (  Wadding, 

• 'JuiiHpu'  Predicatores  el  quatuor  Minores  fue-  Annales  Minoruni ,  t.  VII,  p.  53;  cf.  G.  Golubo- 

•  lunl  illuc,  meo  tempore,  pro  (ide   catholica  vich,  t.  Il,  p.  137). 

■  crudeliter  trucidati.  •  Les  quatre  Mineurs  sont  '''  CI.  Mirabilia,  p.  63. 

les  martyrs  de  Tana;   mais  il  n'est   question  '*'  Cf.  le  chapitre  (ie  £(/u'o/)ia  dans  les  il/ira- 

nulle  part,  ailleurs  que  dans  ce  texte,  des  cinq  bilia ,  p.  67   :   «Multos  vidi  et  hahui  notes  de 

Prêcheurs.   Toutefois,   le  frère  André  de    Pé-  •  |>arlibus  illis. .  .  Non  fui  ihi.  • 

muse,   missionnaire  en  Chine,    signale,  dans 


SA  VIE.  267 

il  est,  comme  son  cri  de  détresse  l'indique  assez,  frère  Jordan  n'en 
est  pas  moins  confiant  dans  l'avenir  des  missions  de  l'Inde,  surtout, 
peut-être,  si  elles  étaient  politiquement  appuyées  par  la  force  :  «  Les 
«  peuples  de  l'Inde,  dit-il,  ont  une  plus  haute  idée  des  Latins  que  les 
«Latins  eux-mêmes.  Ils  sont  dans  l'attente  de  leur  venue,  qu'ils  pré- 
«  tendent  annoncée  dans  leurs  livres,  et  qu'ils  désirent'".  Si  notre 
«seigneur  le  pape  voulait  entretenir  une  couple  de  galères  sur  cette 
.1  mer,  quel  profit  pour  lui,  quel  dommage  pour  le  soudan  d'Alexan- 
«drie  !  Ah!  qui  fera  savoir  cela  au  Saint  Père.'»  Ce  n'est  pas  affaire  à 
«  moi,  pauvre  voyageur.  Je  vous  en  remets  le  soin,  mes  Pères.  .  .'^'.  » 
Mais  un  jour  vint  où  l'activité  épistolairo  de  frère  Jordan  porta 
coup  et  fut  récompensée.  Les  Ordres  de  saint  Dominique  et  de  saint 
François,  en  puhliant  partout  des  récils  du  massacre  deTana,  avaient 
fait  connaître  son  nom;  le  pape  lui-même,  de  qui  Ton  avait  tout  de 
suite  —  mais  sans  succès,  à  cause  de  la  concurrence  et  de  la  jalousie 
des  autres  Ordres  —  sollicité  la  canonisation  des  martyrs,  en  avait 
été  personnellement  informé  '^'.  Il  fut  cnhn  autorisé  à  quitter  l'Inde 
et  appelé  en  Occident.  Une  tradition  veut  que,  après  plusieurs  années 
d'apostolat  dans  la  contrée,  le  seul  survivant  du  massacre  de  Tana  ail 
déposé  dans  le  trésor  de  l'église  des  Dominicains,  à  Sultanieh,  une 
partie  de  la  mâchoire  de  f  un  des  quatre  martyrs  Iranciscains  '*'.  Cela 
semble  indiquer  qu'il  reparut  d'abord  en  Perse  ;  c'était  d'ailleurs  son 
chemin'^*.  Quoi  qu'il  en  soit,  l'itinéraire  ultérieur  du  retour  en  France 

l'i   (>r.   Mirabilia,  |>.  i"]   :    «  l'agani  Minoiis  «  malurius    delibeianduin  »    (Chrouiqut;    allii- 

«Indie  habrnt  prophetias  suas  quod  nos  Latini  buée  à  frère  Jean  Elemosyna.  dans  G.  Golubo- 

«  debemus  subjugare  tolum  mundum.  •  vich,  t.  II,  p.  ii3,   i3fa).  —  L'auteur  de  la 

'■'   •  O  quis  hoc  pape  sanclissimo  nunciabit  ?  Satyrica  yestarum  rerum  dit  positivement  que 

«Peregrinus    ego    penitus   nequeo,    sed   vobis  Jean    XXII  lut  en    coasisloire,  en   i3ai,  des 

•  Patribus  sanctis  totum  commilto.  »  —  Pour  lettres  relatives  aux  événements  de  Tana  (/6iW, 
les  éditions  de  cette  lettre,  voir  plus  loin,  f.  81  ;  ci  Recueil  de  Voyages  el  de  Mémoires  [>u 
p.  271.  blié  par  la  Société  de  Géographie,  f.IV  [iSSg], 

''>  «  Et  cum  fama  bec  devota  sanctornin  fra-  p.  66). 

«trum    martiruni    ab    Oriente   in  Occidentem  '*'   Quétil  et  Ecbard,  1. 1",  p.  55i  a. 

•  transmissa  resonaret,  ubique  corda  fratrum  '*'  11  est  à  remarquer  que  Guillaume 
«  ad  lervorem  S.  Spirilus  renovavil  ;  et ,  in  Ro-  Adam,  l'un  des  évéques  dominicains  de  Perse 

•  mana  Ecclesia  nuntiata,  Summus  Pontilcx  dès  i3l8,  fut  nommé  archevêque  de  Sulta- 
«lacrimas  devotionis  effudit.  Et  cum  ro^aretur  nieh  en  i332.  C'est  peut-être  grâce  à  ce 
«dominus  papa  ut  istos  martyres  canonizaret,  personnage,  de  retour  en  Avignon,  qui  con- 

•  preventus  a  fratribus  aliorum  Ordinum  qui  naissait  assurément  frère  Jordan  de  longue 
«fralr^s  etiam  offerebanl  suos  ad  canoni-  date,  que  celui-ci  se  vit  faciliter  le  voyage  en 
«  zandum ,  supersedit  papa  in  negocio  super  his  cour  de  Rome. 

3.4. 


208  JORDAN  CATALA,  iMISSlONNAIRE. 

est  assez  clairement  jalonné  dans  le  livre  qu'on  a  de  lui  :  par  l'Arabie  '"' 
et  la  Chaldée '^',  il  gagna  l'Asie -Mineu re  <^'  et  l'Archipel.  En  Arabie, 
pays  de  l'encens  et  de  la  myrrhe,  les  hommes  sont  noirs,  troglo- 
dytes et  parlent  avec  des  voix  d'enfant.  La  Chaldée  est  le  pays  des 
animaux  monstrueux  et  des  démons;  on  y  est  troublé  par  des  cla- 
meurs nocturnes  :  c'est  l'enfer;  frère  Jordan  y  vit  une  tortue  qui 
])ortait  cinq  hommes  sur  son  dos.  Sur  la  côte  de  la  Turquie  d'Asie, 
il  visita  avec  intérêt  l'exploitation  d'un  noble  Génois,  Andreolo  Catani, 
défendue  par  quatre  cents  soldats  à  pied  et  cinquante-deux  cavaliers; 
ou  y  préparait  en  grand  l'alun  pour  la  teinture'*'.  A  Chio,  l'île  du 
mastic,  il  entendit  parler  d'un  autre  Génois  de  marque,  «Martin 
«  Zacharie  » ,  un  vaillant  amiral,  qui  passait  pour  avoir  pris  ou  tué 
dix  mille  Turcs;  malheureusement,  l'empereur  grec  [Andronic] 
venait  de  lui  enlever  l'ile  par  traîtrise  et  de  le  faire  emprisonner'-''. 

En  août  iS'jg,  frère  Jordan  était  déjà  depuis  quelque  temps  en 
Avignon,  auprès  du  pape '^\  puisque  c'est  le  9  de  ce  mois  queJean  XXII, 
évidemment  d'après  ses  avis,  érigea  en  évêché,  suffragant  de  Sulla- 
nieh,  cette  localité  de  Columbiis,  en  Travancore,  dont  il  est  question 
dans  la  lettre  précitée  de  notre  missionnaire,  datée  de  Gogha 
(12  octobre  1821),  comme  d'un  endroit  qui  promet'^'.  Columbiis  est 
(}uilon,  ou  Coulam,  sur  la  côte  de  Malabar,  une  des  échelles  tradition- 
nelles de  l'Inde  pour  les  vaisseaux  qui  circulaient  entre  l'Arabie  et  la 
Clhlne'"'.  Le  2  1  août,  le  pape  recommanda  frère  Jordan  Catala,  titulaire 
du  nouvel  évêché,  en  même  temps  que  Guillaume  Zigio,  évêque  de 
Tauris,  aux  chrétientés  de  la  Perse  et  des  Indes '^*.  Frère  Jordan  n'en 

'''  «De  Majoi'i  Arabia,  ubi  lui.  .  .  »  ( /V/i'ra-  '''  Le  franciscain  Jean  de  Montecorviiio  avait 

4i7io ,  p.  57).  fondé  une  égiiie  en  cet  endroit  dés  laga. 

'''   tDe  Caldpa...lbi  cum  esseni (Ibid.,  '"'  La  confusion  avec  Colombo  (Cejlan)    a 

().  60).  été    depuis    longtemps  dénoncée.   Cependant 

'''   •  In  Turquia  etiam  fui ...»  (  Ihid. ,  p.  63  ) .  C.  Eubel  (  Ilierarchia  cathotica  medii  mvi.  Monas- 

'*'  Ibidem.  lerii,  igiS)  la  commet  encore  (p.  i(j8). 

'''   Martin  était  encore  captif  de  l'empereur  '*'  Tous    les    documents    des    registres    de 

grec  en  1.338  (Yule,  op.  cit.,  t.  III,  p.  43).  Jean  XXII  pour  le»  années  iSag  et  i33(),  qui 

'*'  On  a  émis  l'Iiypothèse,  gratuite,  qu'il  y  concernent  frère  Jordan  ont  été  cités  ou  publiés 

était  déjà  en   i3a8et  qu  il   fut  pour  quelque  d'alwrd    par     Le    Quien    [Orirns    ihii^liiinns, 

chose  dans  l'extraordinaire  levée  de  mission-  t.  III,   1740,  p.    i373),  ensuite  par  C.  Kultcl 

naires  que  fit  Jean  XXII  cette  année-là,  lors-  (/oc.  c<<.,  et  au  t.  V  du  Hullnriuinfrancisinnum), 

(ju'il  imposa  au  chapitre  général  de  l'Ordre  de  analysés  et  réunis  enfm  en  iQnj  au  I.  III  de  la 

saint  Dominique,  tenu  à  Toulouse,  d'envoyer  Biblioteca    bio-bibliograficn    délia    Terra    Santa 

en     Orient    cinquante     frères    bien    instruits  (p,  356). 
(A.  Brou,  op.  ci7.,p.  598). 


SA  VIE.  269 

resta  pas  moins  à  la  Curie  pendant  quelques  mois  encore.  On  y 
constate,  en  effet,  sa  présence  le  i3  mars  i33o''\  et  11  est  certain 
qu'il  attendit,  pour  la  quitter,  que  la  chancellerie  pontificale  eût 
expédié,  selon  ses  indications,  toutes  les  lettres  qui  devaient  faciliter 
son  voyage  de  retour  et  ultérieurement  sa  tâche  auprès  des  princes  et 
des  communautés  nestoriennes  des  pays  de  sa  mission  ;  or,  les  lettres 
de  Jean  XXII  aux  princes  de  Quilon  et  de  Delhi  sont  du  1 1  sep- 
tembre 1329*^',  celles  aux  princes  de  f Inde  Mineure  et  à  «  fEmpereur 
«  d'Ethiopie  »  du  1"  décembre  suivant,  celles  aux  chrétiens  de  «  Mole- 
(I  phatam  »  du  3i  mars  i33o'^',  et  enfin  celles  aux  communautés 
nestoriennes  de  Quilon  du  8  avril  suivant.  C'est  donc  seulement  après 
le  8  avril  i33o  que  févêque  a  pu  prendre  congé.  Ajoutons  qu'il  ne 
(juitta  pas  Avignon  ce  jour-là  même,  car  Jean  XXII  lui  accorda, 
le  9,  cent  florins  en  aumône,  et  lui-même  y  concéda,  le  lo,  des 
indulgences. 

H  partit,  non  pas  seul,  mais  en  compagnie  de  confrères  destinés 
au  Kiplchak,  à  la  Perse  et  au  delà.  Parmi  les  lettres  de  recomman- 
dation qu'il  emportait,  il  en  est  une  qui  montre  qu'il  devait  passer 
parles  montagnes  «d'Albors»  (Elbrouz);  une  autre  le  charge  con- 
jointement avec  son  compagnon  de  route,  frère  Thomas  Mançasole, 
évêquede  Samarkande,  de  remettre,  en  passant,  le  palliam  au  nouvel 
archevêque  de  Sultanieh,  leur  commun  métropolitain. 

On  perd  ensuite  les  traces  du  premier  évêque  de  Quilon,  qui 
paraît,  du  reste,  n'avoir  pas  eu  de  successeur.  Jean  de  Réchac  dit 
qu'il  mourut  martyr  à  Tana  en  i336'*';  et  ce  millésime  a  figuré 
depuis  dans  la  plupart  des  répertoires  bio-bibliographiques*^'.  La 
source  de  cette  affirmation  ne  nous  est  pas  connue. 

'''   JVfathaei,  Sardinia  sacra,  p.  297.  de  saint  Dominique ,  t.  III  (i65o),  p.  327.  Cité 

'''  Il  s'agit  ici  du  prince  de  Delhi  en  iVIala-  ici  de  seconde  main,  car  nous  n'avons  pu  nous 

bar,  dont  d"épendait  Tana.  procurer,  à    Paris ,    aucun    exemplaire   de   cet 

'''  a  Molephatam  n  est  Malifatan,  sur  la  côte  ouvrage, 
du  Malabar. Cette  l'orme  ne  se  trouve  que  dans  '''  En  dernier  lieu,  dans  la  Bibliographie  du 

la  bulle  de  Jean  XXll  et  dans  les  Mirabilia  de  Rouergue,  par  C.  Couderc,  en  cours  de  publi- 

Irère  Jordan,  preuve  certaine,  s'il  en  était  be-  cation  (1918),  p.  167.  —  Le  Répertoire  de 

soin,  que  l'rère  Jordan  lui-même  a  fourni  le  M.  Ulysse  Chevalier  porte  :  i333  ;  l'article  du 

canevas  de  la  bulle  aux  employés  de  lachancel-  P.  Balme  dans  l'Année  dominicaine  :  i366.  Ce 

lerie  pontificale.  sont  des  fautes  d'impression. 

'*'  Jean  de  Réchac,  Vie  des  sainis  de  F  Ordre 


iîTO  JORDAN  CATALA,  MISSIONNAIRE. 


SES  ECRITS. 


Aucun  problème  diflicile  ne  se  pose  au  sujet  des  écrits  de  frère 
Jordan.  On  n'a  de  lui  que  des  lettres  missives  et  un  opuscule,  les 
Mirabiha  descripta,  qui  est  aussi  une  sorte  de  rapport  '''. 

On  a  vu  plus  haut  que,  dès  le  lendemain  des  événements  de  Tana, 
c'est-à-dire  en  avril  1 3  2  i ,  frère  Jordan  écrivit  à  ses  confrères  de  Perse 
des  lettres  sur  la  catastrophe.  Ces  lettres  sont  maintenant  perdues, 
en  leur  forme  primitive.  Cependant  le  compilateur  de  la  Chroniai 
.XXIV.  generahum,  d'après  des  compilations  antérieures  où  elles 
avaient  été  utilisées,  en  a  inséré  de  longs  extraits  textuels '*'.  Ainsi 
Jordan  n'est  pas  l'auteur  de  la  lettre-circulaire  la  plus  connue  sur  la 
Passion  de  Thomas  de  Tolentino  et  de  ses  compagnons;  l'auteur  de 
cette  Passion  est  un  certain  François  de  Pise,  des  Dominicains 
fie  Sultanieh,  qui  l'adressa  au  vicaire  des  Frères  Mineurs  en  Orieiil , 
en  résidence  à  Constantinople '''\  Il  n'est  pas  non  plus  l'auteur  du 
morceau  du  même  genre  qui  nous  est  parvenu  sous  le  nom  d'un 
autre  «vicaire»  des  Mineurs,  frère  Pierre  de  Turn^'^\  Mais  la  substance 
de  ces  deux  récits  est,  en  grande  partie,  de  lui. 

'''  Coquebert  de    Moiitbiel   s  l'ht  demandé  l.c   IVère  Ugolino  de  Siiltaiiicli  cite  ailleiiis 

[liecueil  de    Voyages   et    de    Mémoires,    I.    IV,  des    passages   de   lettres  de  l'réie  Jordan   que 

p.   65  fis )  si   IVère   Jurdaii  n'est  pas  en  outre  François  de  Pise  n'avait   pas   utilisés   pour  sa 

l'auteur  de  la  Chronique  franciscaine  :  Sa(j/ica  composition   :   «In    quihusdam    litteris   l'ralris 

(jcslmum    reniin.    Mais   son  argumentation    ne  «  Joidani   cnntinebantur  aliqua   aiia  de  sanriis 

mérite   même  pas  d'èlre  réi'ulée  (cl'.  G.  Golu-  n   marlMisatis    in    Tana    l'ratribus,    que    non 

bovich  ,  t.  Il,  p.  81,  note  3).  «  suni  scripta  in  litlera  [ fralris  Francisci  Pisani  ] 

'''   Analecla  franc'iscana ,  t.  III,  p.  5r)8  et  suiv.  «  incpia  eoruin  martyrium  continelur. . .  •(CAco- 

'''   On  lit  dans  la  r'/i;onira  ..\.¥/K.jenera/ium  nicn  .XXIV.  rirneialiuin ,  p.  606I. 

(p.  611):  <  Littera  explicans  passionem  illorum  Le  récit  de  François  de  Pise  a  été  souvent 

«  qui  fuerunt  martiriuati  in  India,  quam  nobis  leproduit,   traduit,   abrégé   ou    analysé.    Voir 

•1  iniserunt  fratres  de  Taurisio,  non  fuit  scripta  (i.    (iolubovich,    t.     Il,     p.    70.    —    Il  a  été 

«  manu  Iratris  Jordanis,  Ordinis  Predicaloriim.  tiaduit   en    fiançais   par   le  P.  Balme,    Le   lé- 

«  sed,  ut  scripsit  frater  Hugolinus  de  Soldania  iiérable  frère    Jourdain    Cathala,    de    Sévérac 

Il  fralribus  existentibus  Taurisii ,  fuit  scripta  et  (Lyon,    1886;   extr.   de    V.inne'e  dominicaine), 

<i  rerollecta  per  mnnus  fratris  Francisci  Pisani,  p.  i8-i(). 

•I  Ordinis    Prediratoruni ,    existcntis    Soldanie,  ''   On  a  conjecturé  que  ce  Pierre  de  Turri 

«  ex  niullis  litteris  ipias  habuit  a  fratre  Jordano  était  français  parce  qu'il  dit  qu'un  des  marl\rs 

«ejusdem  Ordinis,  qui   fuit  socius    sanctorum  fut  supplicié  « eo  modo  quo  suspenduntur  ma- 

«inartyi'um    predirloium  »      (cf.    G.    GoIuIkh  «  lefaclores  in  Francia  •  ((J.  Gi>lul)ovicli,  I.  III  , 

«  vich,  o/).  cit.,  t.  Il,  p.  65).  p.  a  i4)-  Mais  ce  passage  est  sans  doute  de  ceux 


SES  ÉCRITS.  271 

I.a  première  lettre  de  Jordan  dont  le  texte  original  ait  été  conservé 
h'I  quel,  celle  du  12  octobre  182  1,  existe  encore  sous  cette  forme 
i)arcc  qu'elle  fut  transcrite  ainsi  dans  des  Chroniques  franciscaines  du 
\iv'  siècle  dont  les  exemplaires  manuscrits  ont  été  récemment  étu- 
diés par  le  P.  Girolamo  Golubovich.  Échard  l'a  publiée  pour  la  pre- 
mière fois  au  tome  l"  des  Scriptores  Ordinis  Prœdicatoram  (p.  55o)'" 
d'après  l'exemplaire  de  la  Chronique  du  frère  Jean  Eleinosyna,  qui  se 
trouve  dans  le  ms.  lat.  5oo6  (anc.  Colbert  S/igô)  de  la  Bibliothèque 
nationale.  Le  P.  Golubovich  l'a  réimprimée  récemment,  par  deux 
fois,  d'après  un  ms.  du  Musée  britannique  et  d'après  le  ms.  'Mil 
d'Assise'^'. 

La  seconde  lettre,  celle  du  20  janvier  i32/i,  a  paru  pour  la  pre- 
mière fois  dans  les  Annales  Minomm  de  Wadding  (lequel,  chose 
curieuse,  n'a  pas  cité  la  précédente).  Wadding,  comme  d'habitude, 
ne  donne  à  ce  propos  aucune  référence.  Mais  il  est  certain  qu'il  a 
puisé  dans  la  Chronica  .XXIV.  (jeneraliuni  Ordinis  Minorum  de  frère 
Arnaud  ou  dans  un  recueil  analogue'^'. 

Quant  au  principal  ouvrage  de  Jordan  Catala,  il  est  intitulé,  dans 
le  manuscrit  unique,  Mirabilia  descripta.  Ce  manuscrit  sur  parchemin 
à  deux  colonnes,  exécuté  au  xiv"  siècle  par  une  main  italienne,  pro- 
bablement à  Avignon,  a  appartenu  au  baron  Walckenaer'"'.  Coquebert 
de  Montbret  s'en   est  servi  en  iSSg  pour  préparer  la  seule  édition 

,.,.1  axaient  été  textuellement  empruntés  par  la  seconde  dans  les  Annales  Minorant   —  Mais- 
Pierre  aux  lettres  de  Jordan.  cela  tient  certainement  à  ce  que  U  adding  s  est 

'1    Traduction  en  anglais,  d'après  cette  édi-  servi    de   la    Chronica   .XXIV.  (icneraham,   ou 

lion,  dans  Sir  Henr)  Yule,C«//ifl/ ai»/  //iPionv  d'une   compilation   analogue   à  celle-là,   dont 

thither    t.  111,  p.  75.  l'auteur  a  transcrit  (p.  609)  une  lettre  de  Pierre 

'•'   G.  Golubovich,  t.  II,  p.  69  et  1 1 3.  de  Turri.  le  vicaire  des  Mineurs  en  Orient,  où 

''  Wadding,   Annales    Minorum.    1.   c.    Cf.  ledit  vicaire,  cherchant  à  convaincre  ses  cor- 

Analcctafrancùcana.i.  III,  p.  609.  —  Traduc-  respondanls   de  la    vérité  des  événements    de 

tion  en  anglais,  d'après  l'édition  de  Wadding,  Tana,  cite  :  1"  le   préambule   de   la  première 

par  Sir  Henry  Yule,  op.  cit..  p.  78.  leUre  de  Jordan;   et   a"  quelques  lignes  plu» 

Sir   Henry  n'a  pas  manqué   de   remarquer  bas,  le  texte  de  la  seconde,  sans  préambule. 

(p.  75,  note  4)  cette  circonstance  singulière  Wadding,  par  inadvertance,  a  rajusté  le  corps 

et  suspecte  que  le  préambule  de  la  lettre  du  de  celle-ci  à  la  tête  de  celle-là.  Le  P.  lihrle 

12   octobre   iSai   est  reproduit  textuellement  [Archiv  fàr  Literatur-  and  Kirchengeschtchte  des 

dans  celle  du  20  janvier  iSa^,  telle  que  Wad-  Mittelalters .   t.   I",    i885,  p.   5oi,  note   1)  ne 

tling  l'a  publiée,  à  laquelle  il  ne  convient  pas.  s'en  est  ps  rendu  compte. 

Kt  il  a  pensé  que  c'est  par  suite  de  quelque  '''  Le  baron  Walckenaer   l'avait  acquis  en 

erreur  que  ce  préambule,  qui  appartient  certai-  i8o5  de  son  ami  M.  Roullet,  comme  l'atteste 

iieuient  à  la  première  lettre,  a  été  aflixe  aussi  à  une  lettre  reliée  au  commencement  du  volume. 


272  JORDAN  CATALA,  MISSIONNAIRE. 

qu'on  ait  de  ce  petit  livre,  au  tome  IV  du  Recueil  de  Voyages  et  de  Mémoires 
publié  par  la  Société  de  Géographie'"'.  Il  porte  aujourd'hui,  et 
depuis  i853,  le  n°  1961 3  dans  le  fonds  additionnel  au  Musée  Bri- 
tannique*^'. 

Les  Mirabiha  commencent,  d'une  manière  abrupte,  par  les  mots  : 
«  Inter  Giciliam  autem  et  Calabriam  ...  »,  si  bien  que  l'on  a  pu  croire 
qu'il  y  manque  un  préambule  et  que  le  texte  du  manuscrit  unique 
est  abrégé,  au  moins  de  ce  chef. 

L'auteur,  après  avoir  couché  par  écrit  quelques  remarques  qu'il 
avait  faites,  avant  1820,  au  cours  de  son  voyage  d'aller,  et  pendant 
son  séjour  en  Perse,  parle  d'abord  du  pays  de  la  manne,  qui  s'étend 
entre  la  Perse  et  l'Inde  Mineure,  et  de  l'Inde  Mineure.  Jusque-là, les 
régions  qu'il  avait  traversées  l'avaient  à  peine  dépaysé  :  «Ce  sont, 
dit-il,  des  terres  comme  les  nôtres,  encore  que  moins  peuplées'^'.» 
Mais  aux  frontières  de  l'Inde  s'ouvre,  en  vérité,  un  monde  nouveau  : 
In  hac  prima  India  incipit  (juasi  aller  miindiis  ^''' .  Des  hommes  noirs, 
presque  nus.  Du  riz  et  du  millet  au  heu  de  pain.  Pour  les  transports, 
des  bœufs  au  lieu  de  chevaux.  Des  arbres  et  des  fruits  qu'on  ne  voit 
pas  ailleurs,  comme  le  cocotier,  le  banian  et  la  mangue,  que  l'auteur 
décrit  avec  exactitude  en  les  désignant  par  leurs  noms  persans.  Ceux 
de  nos  régions,  comme  le  grenadier  et  la  vigne,  et  à  l'exception  des 
limons,  y  sont  plutôt  misérables.  Mais  il  faut  renoncer  à  donner 
l'idée  d'une  flore  si  différente  :  De  arhorihns  aliis  scribere  nimis  esset 
longnm  aKjiie  m  excessu  tediosum,  cum  siiit  multe  et  diverse,  nec  homo 
posset  inteUigere  '^'.  Quant  aux  animaux  :  lynx,  rhinocéros,  crocodiles, 
etc.  Parmi  les  oiseaux,  il  n'y  a  que  les  corbeaux  et  les  moineaux  qui 

'"Le  colonel  (depois  Sir  Henry)   Yule   a  igSiS.   les    folio»  3-i2.  Cf.  H.  L.  D.  Wnrd, 

publié  pour    «Tlie  Ilakluyt  Society  •,  à  Lon-  Catalogue  of  romancet. ..  in  the  British  Maseam . 

dres,  en  i86.'i,  d'après  lédilion  Coquebert  de  t.  I",  p.  b'jH. 

Montbret,  une  traduction  en  angli.is  des  Af ira-  '''   •  He    terre   «npradicte,  ftciiicct    Persida, 

bilia  descripla,  sou»  ce  titre  :    The  Wonders  of  •  Armenia   major,    Chaldeia    et   etiam   Cappa- 

the  East,  bjfriar  Jordanas,  accompagnée  d'un  idocia,  atque  Asia  Minor  et  Grecia,  in  bonis 

commentab-e.   Il  a  inséré  des  additions  audit  «abundant,  fmctibus,  ctrnibus  et  aliis,  sicut 

commentaire  au  tome  HI  (p.  39-/i4)de   son  •  nostre(A'(ii<ion  .  nostra).Verumlamen  non  sunt 

ouvrage  ultérieur:  Cathay  and  tlie  way  thither  «terre  ita  habitate,  etiam  in  decuplo,  Grecia 

(éd.  Cordier,  1914)  ;  mais  il  n'a  jamais  colla-  t  exceptai   (Mirabilia,  p.  Ai). 

tionné  le  manuscrit,  dont  il  ne  s'est  même  pas  '*'   Ibid.;   cf.  p.  53  :  «In  isU  India  est  vere 

préoccupé  de  connaître  le  soii  depuis  la  disper-  •  unus  aller  mundu».  • 

sion  de  la  collection  Walckenner.  '»)  Cf.  p.   44  :   ■  Non  potest   bene    hoc   vel 

'''  Les  Mirabilia  occupent,  dans  le  ms.  add.  •  lingua  exprimi  quod  vidi  ocuiis  meis.» 


SES  ECRITS.  273 

soient  semblables  à  ceux  que  nous  connaissons''';  mais  quantité  de 
perroquets  ;  et  il  y  a  d'énormes  cbauves-souris  qui  volent  au  cou- 
cher du  soleil,  \bondance  de  pierres  précieuses,  diamants  et  autres, 
dont  la  récolte  est  libre.  Frère  Jordan  n'a  pas  une  haute  idée  de  la 
valeur  militaire  des  hommes  du  pays  :  Rectc  videlur  bellum  eoriim 
paerorani  liidiis.  Les  femmes  se  font  brûler  vives  aux  funérailles  de 
leurs  maris.  H  y  a  une  espèce  de  païens  qui  adorent  le  feu,  affrontent 
les  deux  principes  du  Bien  et  du  Mal  et  exposent  leurs  morts  sur  des 
tours'-'.  —  Suivent,  dans  le  plus  grand  désordre,  des  notules  rela- 
tives aux  productions  naturelles  (gingembre,  canne  à  sucre,  etc.), 
aux  tnœurs  du  pays  (les  gens  sont  probes,  justes  et  véridiques,  scru- 
puleux observateurs  des  ^  libertés  "  traditionnelles,  chacun  selon  son 
état),  au  climat  [calores  horrihilissimi) ,  à  ce  qui  manque  (pas  de  mé- 
taux, sauf  l'or,  le  fer  et  l'électrum  ;  point  de  poivre).  Les  peuples  sont 
idolâtres,  mais  les  musulmans  ont  fait  récemment,  parmi  eux,  de 
grands  progrès;  çà  et  là,  des  individus  qui  se  disent  chrétiens,  mais 
qui  ne  savent  rien  de  la  foi,  au  point  qu'ils  croient  que  saint  Thomas 
est  un  plus  grand  personnage  que  le  Christ.  L'auteur  n'a  pas  baptisé 
dans  ce  pays  moins  de  trois  cents  âmes,  tant  idolâtres  que  Sarrasins; 
la  propagande  est  libre.  Croyances  et  coutumes  religieuses  des  ido- 
lâtres; leur  vénération  pour  les  vaches. 

L'Inde  Mineure  ainsi  expédiée,  il  est  question  de  l'Inde  Majeure. 
IVlalgré  sa  totale  inexpérience  littéraire,  frère  Jordan  sent  vaguement 
que  son  plan,  pour  autant  qu'il  en  a  un,  va  l'obliger  à  des  redites.  Il 
annonce  donc,  d'abord,  que  les  deux  Indes  se  ressemblent  sur  bien 
des  points.  Mais  la  principale  particularité  de  la  Majeure,  c'est  l'abon- 
dance des  éléphants,  qui  manquent  dans  la  Mineure;  aspect  et  ca- 
ractère de  ces  animaux.  H  y  a  aussi  du  poivre  et  d'autres  épices  dans 
la  Majeure  tandis  qu'il  n'y  en  a  pas  dans  la  Mineure.  On  dit  qu'il  y  a 
dix  mille  îles  dans  cette  partie  des  Indes,  dont  l'une,  Ceylan,  abonde 
en  pierres  précieuses,  et  le  détroit  qui  la  sépare  de  la  terre  ferme  en 
pêcheries  de  perles.  Puis,  les  notes  recommencent,  chacune  de  quel- 
ques lignes,  sur  les  sujets  les  plus  divers  :  magnificence  des  oiseaux, 

'''   L'auteur    cite   pourtant,    plus    loin,    les  «  çuoatZprwe/is,  disputare  minime  volo»  (p.  46). 

paons  et  les  poules  d'Inde  (  jnWine  indiane).  11  n'y  a   aucun    indice  que  Jordan  ait  donné 

'''    «  llli  ponunt  duo  principia ,  scilicel  Boni  suite  à  celte  promesse  tacite. 
•  et  Mali,   tenebranim   et   lucis  ;  de  quibus. 


HIST.   LITTER. 


35 


274  JORDAN  CATALA,  MISSIONNAIRE. 

qui,  dans  ce  pays,  blancs  de  neige  ou  verts  comme  l'herbe,  sont  de 
vraies  créatures  du  paradis;  vampires;  feuilles  du  talipot,  si  grandes 
que  cinq  ou  six  hommes  peuvent  s'abriter  à  leur  ombre  ;les  rubis  du 
roi  de  Ceylan  ;  les  pygniées  velus  de  Java  ;  îles  aux  épices  et  des  an- 
thropophages ;  costumes  des  princes;  suicides  religieux;  égalité  des 
jours  et  des  nuits;  aspect  des  constellations  et  clarté  extraordinaire 
des  nuits,  ita  ijiiod  de  iiocle  resj)icere  est  gaudiosum;  dans  les  deux 
Indes,  les  hommes  qui  vivent,  non  sur  la  côte,  mais  à  l'intérieur  et 
dans  les  bois,  sont  de  véritables  dénions  ;  serpents  sans  nombre,  de 
toutes  les  couleurs,  mais  qui  n'attaquent  jamais  si  l'on  les  laisse  tian- 
quilles  ;  guêpes  qui  font  des  provisions  d'araignées  dans  leuis  trous; 
fourmis  blanches  qui,  dans  l'obscurité,  dévorent  tout.  Et  puis,  quoi  ? 
Les  nuits  sont  pleines  de  cris;  cris  d'oiseaux  (on  dirait  des  plaintes 
humaines),  cris  du  diable  [Quid  dicuin  ?  Diabolus  ibi  etiain  locjuilw, 
sepe  et  sepius,  liomiiiibus,  nocliirnis  temporibus,  siciil  ego  audivi^'^].  — 
Pour  finir,  retour  sur  les  éléphants,  à  propos  du  pays  de  Chamba 
(Cambodge),  et  notions  sur  la  géographie  pohtique  ;  les  rois  de 
Quilon  et  de  «  Molephalam  >■  sont  mentionnés  parmi  les  plus  puis- 
sants. 

11  est  traité  enlin  de  l'Inde  troisième  (c'est-à-dire  de  l'Afrique 
orientale,  avec  Madagascar),  mais  seulement  par  ouï-dire,  car 
l'auteur  n'v  fut  pas.  Ce  chapitre,  assez  court,  est  plein  de  fables 
absurdes. 

Il  est  suivi  de  paragraphes,  tiès  brefs,  sur  l'Arabie  Majeure,  que 
frère  Jordan  connaissait  de  visu  (voir  plus  haut,  p.  268)  et  sur 
ri^thiopie,  où  il  aurait  si  vivement  souhaité  de  .s'établir;  mais  il  n'en 
savait  rien  d'exact,  pourtant,  par  les  gens,  soi-disant  bien  informés, 
qui  lui  en  avaient  parlé''^,  si  ce  n'est  que  les  peuples  y  étaient  chré- 
tiens, cpioiqn'"  hérétitjues  ».  Le  pays  lui  apparaissait  d'ailleurs  comme 
fourmillant  de  griHons,  de  serpents,  de  pierres  et  de  métaux  précieux: 
(I  Sunt  duo  montes  ignci,  et,  in  medio,  nions  aureus  unus,  ,  .  '^*.  » 

'■'  P.  53.  Chriitianitaf  nostra,  c'est  la  Clirélienté  occideii- 

'''   .  Multos  vidi  et  habui  notos  de  partibus  laie,  l'Europe.  —  I.e  P.  Gcilul)0¥ich(  o/(.  cil., 

iilis.(p.  58).  t.  II,   p.  554;   cf.   t.  III,   i).   a. m)  croit  que 

''    P.  57  ;  cf.  p.  61  :   •  Ethiopie  vero  domi-  VEthiopla  de  frère  Jordan  doit  être  identifiée, 

«  niuni  in  excessu  est  magnum  ;  et  credo  sine  non  pas  avec  l'Abyssinie,  comme  il  semble  évi- 

•  mendacio  qiiod  durai  populus  in  liiplo  plus  dent,  mais  a>ec  les  régions  centrales  de  l'Ilin- 

.  quam   tota  Christianilas  nostra,  ad    minus. •  doustan,  du  Gange  au  Goda>cri. 


SES  ECRITS.  275 

Le  livre  s'achève  par  une  série  de  petits  chapitres  complémentaires 
sur  l'Enipire  du  Grand  Tatar'"',  dont  il  est  fait  le  plus  vif  éloge,  sur 
la  Chaldée,  sur  les  plaines  au  pied  du  Caucase  le  long  de  la  Caspienne 
(d'où  vinrent  jadis  les  trois  rois  mages  et  où  se  trouvent,  en  un  lieu 
appelé  .(  Racu  »,des  puits  de  naphte)'"^',  sur  la  (Géorgie  (qui  ressemble 
à  nos  pays  à  tous  les  points  de  vue),  sur  les  dislances  cl  les  dimen- 
sions des  Etals  d'Asie  (^Terranun  spatiay^K 

La  conclusion  est  intercalée  entre  ces  chapitres  ol  deu\  autres,  qui 
sont  comme  des  pnst-scriptfim  ou  des  addenda,  sur  l'île  de  Chio  et 
l'Asie  Mineure  turque,  laquelle  n'a  pas  beaucoii])  changé  depuis  le 
\iv'  siècle:  «Terra  hec  fertilis  est  valde,  sed  iiiculfa,  quia  Turci  non 
«  mnltum  curant.  » 

F^a  conclusion  elle-même  a  trait  aux  missions  de  flnde,  aux  aven- 
tures personnelles  de  l'auteur,  et  n'est  pas  sans  analogie  avec  ses 
lettres  d'octobre  i3.m  et  de  janvier  i3-<3.  I']|le  mérite,  semble-t-il, 
d'êtn>  citée  tout  entière  : 

Lnum  per  oninia  coiicludo  :  (|U0(1  non  est  nielior  teiia,  pulchrior  populus  nec 
hic  prohus,  \\w  res  coniestibilfs  ila  bone  nec  ita  sapide,  habitus  ita  pulcher  nec 
mores  ita  nobiles  sirut  hic ,  in  nostra  Christianilate.  Est  super  oinnia,  ({uod  plus  est , 
bona  fuies,  licet  ita  niale  servata  quod,  sicut  testis  Deiis  est,  nieliores  in  decuplo 
sunt  illi  qui  convertunlur  per  fratres  Predicatores  et  Minores  ad  fidem  nostrani 
(|uam  sint  isti  qui  hic  sunt,  sicut  expérimente  didici,  et  magis  caritativi. 

De  conversione  vero  illaruui  geiitium  Indie,  dico  quod  si  essent  .ce.  vel  .ccc. 
boni  fraties  qui  lideliter  et  lerventer  velienl  lidem  catholicani  predicare,  non  esset 
;innus  quin  ultra  quam  .x.  niillia  personarum  convei  terent  ad  veram  fidem  nostram. 
Nam,  postquam  ultra  inter  illos  scisinaticos  et  infidèles  fui,  credo  quod'''  .x. 
millia ,  vel  circa ,  fuerunt  ad  fidem  nostram  conversi  ;  et  quia  non  poteramus ,  pauci , 
multas  regiones  teiiere  nec  etiani  visitare,  milite  anime,  proh  dolor,  perierunt  et  in 
excessu  multe  pereunt  propter  delecturn  predicantium  verbum  Domini.  Sed  et 
dolorosum  est  et  penosum  audire  quod  per  Sarracenoium  perlidissimorum  atque 
maledicorum  predicatores  pervertunlur  tota  die  secte  infidelium  ille,  qui  discurrunt 
sicut  nos  bine  inde,  et  plus,  per  totum  Orientem,  ut  possint  oumes  reducere  ad 
perfidiam  suain.  Plii  sunt  qui  nos  accusant,  nos  percutiuiit ,  nos  in  carcerem  poni 

'''  P.  58  :  «  Quod  audivi  afidedignis  narro.  »  ''*  CI'.  M.  P.  Svkes,  op.  cit.,  p.  182. 

Ce  que   frère  Jordan    avait    entendu   dire   de  '''   0  Et  sciatis  quod  de  loco  isto  usque  Cous- 

l'Empire    tatar    (organisation    de     l'assistance  «  lantinopolini  sunt  l'eie  tria  niiUia  miliaria,  vel 

publique,  monnaie  de  papier,   splendeur   des  «plus»  (p.  61).  Ce  lociis  isle,  d'où  les  Mirabilia 

cérémonies    religieuses,    céramique,  etc.)    est  sont  ainsi  datés ,  est-ce  la  côte  du  Malabar,  ou 

évidemment  le  résumé  des  conversations  qu'il  Avignon  ?  C'est  certainement  Avignon;  et.   la 

avait  pu  avoir  avec  ses  confrères  lianciscains,  conclusion  de  lopuscule,  reproduite  au  texte, 

les  missionnaires  en  Chine.  '*'  Ed.  :  qaam. 

35. 


276  JORDAN  CATALA,  MISSIONNAIRE. 

faciunt  et  lapidant,  .sicut  de  facto  probavi ,  et  quater  per  eos,  scilicet  Sarracenos, 
inCarcenilus  fui.  Quoticns  autem  depilatus,  verberalus  et  iapidatus  Deus  ipse  novit, 
et  ego  qui  sustinui,  ])C(catis  meis  exigentibus,  eo  quod  nonduni  potui  vitam  pro 
lide,  sustinendo  marlyrium,  finira,  sicut  fecerunt  quatuor  socii  mei.  De  cetero  de 
me  fiat  voluntas  Dei .  .  . 

Le  traité  Mirahilia  descnpta,  où  frère  Jordan  a  inséré  non  seule- 
ment son  itinéraire  d'aller  (d'Europe  en  Asie),  mais  son  itinéraire  de 
retour  (d'Asie  en  Europe)  ,a  été  écrit  certainement  pendant  le  séjour 
(le  l'auteur  à  Avignon,  c'est-à-dire  en  1829  ou  i33o.  Très  probable- 
ment avant  le  mois  d'août  iSag,  puisque  la  conduite  peu  charitable 
des  gens  lui  fit  parfois  regretter,  dit-il,  ici,  c'est-à-dire  en  cour  de 
Rome,  la  simplicité  et  la  droiture  de  ses  lointains  catéchumènes;  or 
tous  ses  déplaisirs  durent  s'évanouir  ou  s'atténuer  beaucoup  lorsque 
ses  vœux  se  trouvèrent  comblés,  le  9  août,  par  l'érection  de  Quilon 
en  un  évèché  qui  lui  était  destiné.  —  L'assertion  que  les  Mirahilia 
auraient  été  composés  dans  l'Inde,  plusieurs  années  auparavant,  a  été 
émise;  mais  elle  ne  se  fonde  que  sur  un  passage  (p.  61-62)  relatif 
aux  royaumes  tatars  :  «  Alia  duo  imperia  Tartarorum,  ut  audivi , 
«  scilicet    .  .  inqierium  de  Dua  et  de  Caydo,  quondam  de  Capac,  et 

"  modo  de  Elchigaday L'«  Elchigaday  »  de  frère  Jordan  est,  dit-on, 

Iltchigataï,  successeur  de  Dua,  de  Kaïdou  et  de  Kapak  comme 
khan  du  Turkestan,  mort  à  une  date  indéterminée,  mais  vers  1822; 
en  1  829,  le  khan,  successeur  d'Iltchigataï,  aurait  porté  un  tout  autre 
nom'"'.  Nous  n'avons  guère  le  moyen,  quant  à  nous,  de  résoudre 
cette  difficulté;  mais  nous  ne  la  croyons  pas  sérieuse;  car,  le  2  no- 
vembre 1829,  Jean  XXII  recommanda  frère  Thomas  Mancasole, 
évêque  de   Samarkande,    «  magnifico  viro    Elchigadan,    imperatori 

«Tartarorum '''' :  en  1329,  Iltchigataï  était  donc,  en  Avignon, 

considéré  comme  vivant. 

Jordan  Catala,  qui  paraît  avoir  été  d'un  caractère  un  peu  chagrin 
(car  il  s'est  plaint,  plus  ou  moins,  partout  où  il  a  passé),  n'avait  ni 
le  très  agréable  talent  naturel,  pour  conter,  de  frère  Guillaume  de 
Rubrouck,  ni  l'ampleur  et  la  précision  de  Marco  Polo;  et  l'art  lui 

'■'  Sir  Henry  Yule,  op.  cit.,   t.  III,  p.  3o  ;         n°  818.  —  Sur  Elchigaday,  khan  de  la  Grande 

cl.  p.  43.  Boukarie,  voir  la    Bibliolheca    bio-b'MKxjrajHn 

'*'    BuUariam  Jranciscanum ,   t.   V,   p.    4o6,         rfe//a  Tenn  San/a...,  t.  III,  p.  199,  et  à  la  table. 


SES  ÉCRITS.  277 

manquait  absolument.  Il  aurait  été  dommage,  pourtant,  que  son 
petit  livre  —  le  premier  livre  d'un  Français  sur  l'Inde  et  les  tro- 
piques —  fût  perdu.  Quand  il  parle  de  ce  qu'il  a  vu,  on  a  le  plaisir 
d'observer  par  ses  yeux  l'Inde  du  xiV  siècle,  telle  que  l'a  pu  connaître 
un  pauvre  missionnaire  de  la  côte,  qui  n'avait  affaire  qu'aux  petites 
gens,  en  proie  à  la  concurrence  des  propagandistes  musulmans,  à 
l'intolérance  des  princes  leurs  protecteurs,  et  à  la  méfiance  des  vieux 
cbrétiens  (nestoriens)  du  pays;  on  lui  sait  gré,  surtout,  de  ses  émer- 
veillements, naïfs  et  sincères,  en  présence  des  phénomènes  naturels. 
Quand  il  j)arle  d'après  autrui,  il  contribue  à  faire  connaître  le  fonds 
de  légendes  populaires  dont  se  nourrissait  l'imagination  des  voya- 
geurs européens,  clercs  et  marchands,  qui  fréquentaient  alors  les 
ports  d'Asie. 

II  faut  constater,  pour  finir,  que  son  ouvrage  —  rédigé,  sans 
doute,  plutôt  comme  un  Mémoire  à  consulter,  pour  le  pape  et  les 
cardinaux,  que  pour  le  public  proprement  dit'''  —  n'a  pas  eu,  en 
son  temps,  de  succès.  Un  seul  manuscrit.  Il  n'a  jamais  été  aussi  lu 
que  de  nos  jours;  ce  qui  n'est  pas,  du  reste,  beaucoup  dire. 

CL. 


GUILLAUME    ADAM,    MISSIONNAIRE. 


Dominicain  comme  Jordan   Catala,  sans  doute  aussi  originaire 
du  Languedoc,  Guillaume  Adam  a  été  comme  lui  un  des  premiers 

f)ionniers  de  la  mission  de  Perse  dès  l'établissement  de  celle-ci  par 
e  pape  Jean  XXII,  au  début  du  xiv*  siècle'^'. 
La  plupart  des  biographes   de  son  Ordre  s'accordent  à  le  dire 

'''  Il    semble   que  la  rédaction  en   ait  été  neraient   à  penser    qu'il   avait    l'intention   de 

hâtive  ;  l'auteur  se  plaint  d'être  contraint  d'aller  reprendre,  plu»  tard,  ce  travail  à  loisir:  «  Hec 

vite  :  ■  Mira  valde  possum  dicere  de  ista  India,  «ce  Tertia  India  suCBciant  et  de  insulis,  quoad 

« sed  describere  minime  valeo  propter  temporis  .presens»  (p.  67)  ;  cf.  ci-dessus,  p.  373,  n.  a. 
«brevitatemi  (p.  46).  Quelques  passages  don-  '*'  Voir  plus  haut,  p.  260-261. 


278  (UII.LAIMK    VIUM,   \llSSION\  \IUK. 

français"',  sans  appuyer,  du  reste,  leur  assertion  d'aucune  preuve 
précise;  quelques-uns  hésitent  même  sur  son  prénom,  qu'ils  ont 
lu  Gérard,  Georges  et  Gaspard'"^',  aussi  bien  que  Guillaunie.  Ils  ne 
donnent,  et  l'on  n'a  d'ailleurs,  aucun  renseignement  sur  le  lieu  de 
sa  naissance.  Quant  à  la  flate  de  celle-ci,  elle  semble  pouvoir  être 
fixée,  par  conjecture,  aux  environs  de  i  îyS.  Si  on  le  trouve  étudiani 
en  théologie  à  Condom  en  i.Hoa''*^  aucun  document,  cependant,  ne 
permet  de  fixer  l'époque  de  son  entrée  dans  l'Ordre  de  saint  Domi- 
ni(|ue,  ni  celle  de  son  premier  départ  pour  les  missions  d'Orient, 
qui  eut  lieu  sans  doute  vers  i3o5''". 

Nous  savons,  par  l'œuvre  qui  lui  mérite  une  place  ici,  que  Guil- 
laume Adam,  après  un  séjour  à  Constantinople,  parcourut  en  mission- 
naire 1' \sie  Mineure,  la  Svrie.  la  Palestine;en  i  3  i  3-i  3  i 'j ,  au  temps 
où  s'organisait  le  "  passage  général  »,  il  était  en  Perse,  et,  après  avoir 
parcouru  l'empire  des  Mongols  et  prêché  l'Kvangile  en  diverses  ré- 
gions de  l'Inde,  il  traversait  le  golfe  Persique,  et  pénétrait  par  Aden 
jusqu'en  Ethiopie  ■"*'. 

De  retour  en  France,  vers  i3i6-i3i7,  il  ne  devait  y  séjourner 
que  peu  de  temps.  Le  i"  avril  i3i8,  en  ell'et,  le  pape  Jean  WII, 
pour  assurer  l'organisation  de  la  mission  de  Perse,  avait  décidé 
l'érection  en  archevêché  de  la  ville  de  Sulfanieh  et  désigné  comme 
premier  titulaire  du  nouveau  siège  le  dominicain  Franco  de  Pérouse, 
alors  missionnaire  dans  la  même  région".  A  quelques  jours  de  là, 
une  bulle,  datée  du  i"  mai,  instituait  auprès  de  Franco  de  Pérouse, 
comme  sullragants,  six  autres  dominicains,  revêtus  en  même  temps 

"   FernanJez.tlans sa roHfer/aJio pi WiVa/oiirt  '    On   voit   par  diflerents   passages   du   De 

(Salanianque,  1678  ,  regarde Gaill.iume  Adam*  modo  Snrracenos  e.rlirpandi  (dans  le  Rec.  des 

comme  français,  vivant  en  laSo  ;  p.  363  »,  puis  histor.  des  Crohades.  Doiuments  nrméniem,  I.  Il , 

ailleurs  fait  de  lui  un  italien  et  reporte  sa  dal<>  p.  J2  i  553     que  (iuillaume  Adam  avait  par- 

à  i38o(p.  45i);  de  même  Quélif  et  Éch.ird,  couru   l'Orient   grec   et  asiatique  des   les  pre- 

après  l'«\oir  cité   en    i3i8    et    i323   (t.  I",  mi.res  années  du  xiv' siècle, 
p.  337),  le  considèrent  plus  loin  comme  riv.int  ''  Voir  p.  r,\ci-c\ciii  de  l'introduction  citée 

en  137001  1379  [ibid.,  p.  --ii).  de  Ch.  Robler. 

'''   VoirQuétifet  Échard,  t.  1",  p.  73^,  et  '    La    bulle  déreclion,   qui   est   en   nième 

le   Recued  des  hisloiienf  des   Croifodes.   Docn-  temps  la  bulle  déleclion  de  Franco  de  Perouv, 

menis  arméniens  (19^6).   t.    Il,   introduction,  a   été  publiée,  dapres   le   registre  lwii  ,    fol. 

f.     CLXXXI.     Celte     longue    inlrodaclion     est  3i8  3i9,  des  Archives  du  Vatican ,  par  le  P. 

œuvre  du  regretté  Charles   Kohier.  Conrad  Eubel,  dans  la  Festschift  ziini  eljhnn- 

"'   G.    Douais,       icin     cnpitaloram     prorin-  deriji'ihriijen  Jubilâum  des  dentsclien  Cnmpo  sanio 

cinlinmOrdinis  fratriim  Prœdicatoi  nmÇToiûoase,  in  Ront .  publié  par  le  IV  Stephan  Ehses  (Frci 

iSgS),  p.  i7i.  burg  i.  B.,  1897,  in-iM,  p.   iÇi-igS. 


SA  VIE.  27» 

(le  la  dignité  cpiscopale'".  (iuillaume  Adam  était  l'un  d'eux,  et  c'est 
le  premier  document  où  l'on  trouve  mention  de  son  nom.  Le  nouvel 
élu  ne  tardait  pas  à  recevoir  la  consécration  des  mains  de  l'évêque 
d'Albano,  le  cardinal  Arnaud  d'Aux'^',  et  par  deux  autres  bulles,  des 
8  août  et  1"  septembre  i3i8'^,  il  était  cbar-é,  avec  un  de  ses  con- 
frères, Jean  de  Florence,  de  porter  le  pallium,  en  même  temps  que 
ses  bulles  de  nomination,  à  l'archevêque  de  Sultanieh. 

Guillaume  Adam  se  mit  en  route  avec  son  compagnon,  proba- 
blement dans  les  derniers  mois  de  1.H18;  son  séjour  en  Perse  paraît 
avoir  été  cette  fois  de  courte  durée.  En  1822,  il  était  de  retour 
en  France,  à  la  cour  d'Avignon,  et,  le  6  octobre,  le  pape,  qui  lui 
avait  précédemment  conféré  l'évèché  de  Smyrne,  le  transférait  sur 
le  siège  métropolitain  de  Sultanieh,  vacant  ])ar  la  résignation  de 
Franco  de  Pérouse,  son  premier  titulaire'*',  et  lui  faisait  remettre 
en  même  temps  le  palliam  par  trois  cardinaux'*'.  Quelques  nmis  plus 
tard,  Guillaume  \dam  recevait  une  nouvelle  marque  de  la  faveur  de 
Jean  XXll,  (|ui  lui  conliait  la  mission  de  porter  à  son  tour  ]e  palhnm 
a  Raimond  Etienne,  archevêque  élu  d'Kphèse  (6  janvier  i3'j3)''",  et 
l'envoyait  auprès  du  roi  d'Arménie,  Léon  IV  (3  1  mai  i323)'\  pour 
ramener  à  la  foi  catholique  les  Arméniens  dissidents.  On  ne  possède 
aucun  détail  sur  cette  dernière  mission,  si  toutefois  Guillaume  Adam 
se  rendit  en  Arménie;  on  peut  en  douter,  car  il  était  sans  doute  à 
Avignon  lorsque,  le  26  octobre  i324,  il  fut  transféré  de  l'archevêché 
de  Sultanieh  à  celui  d'AntivariC*',  et  encore  le  i8  janvier  i325, 
quand  le  pape  lui  conférait  à  nouveau  le  pallium'^^^  à  l'occasion  de  sa 
nomination  à  ce  dernier  siège. 

S'il  avait  rejoint,  après  sa  nomination,  son  nouvel  archevêché,  il 
ne  tarda  pas,  semble-t-il,  à  s'en  éloigner;  dès  avant  iSag,  en  effet, 
et  pendant  les  années  suivantes,  après  avoir  quitté  Antivari,  il  séjour- 

("   Publiée  par  Charles  Kohlei   dans  la   fie-  siasiique   (Avignon,   4  juin  et  6  août   i3i8), 

vue  de  [Orient  latin,  t.  X  (igoS-igod ),  p.   17-  publiées  .■6i(/.,  p.  ai-a3.  Cf.  la  note  relative  a 

•j  1 .  —  Les  bulles  de  Guillaume  Adam  et  de  ses  retle  double  date, 
compagnons  ne  désignent  les  sièges  d'aucun  '    Publiées  ibià. .  p.  26-29.» 

des  sulTragants  du  nouvel  archevêque,  à  qui,  '*'   Ibid.,  p.  29-32. 

senible-t-il ,    il    était     réservé    de    les     déter-  '*'   Ibid. ,  p.  3o. 

miner.  '*    ''*«'•■  P-  32-33. 

'   BuUesdeJeanXXll.mandantàGuillaume  '"  Ibid.,  p.  35-36;  cf.  p.  38-4o. 

Adum  et  à  Barthélémy  du  Puy ,  suffragants  de  '*    Ibid. .  p.  42-44. 

Sultanieh,   de  rejoindre   leur   province  ecdt-  '''    Ihid. ,  p.  46-47- 


280  GUILLAUME  ADAM.  MISSIONNAIRE. 

nait  à  Avignon,  puis  à  Narbonne,  où  vint  le  trouver,  le  2  5  janvier 
1337,  un  ordre  du  nouveau  pape,  lui  rappelant  l'obligation  de  la 
résidence.  Benoît  XII  lui  enjoignait  de  regagner  sans  délai  son  dio- 
cèse, qu'il  avait,  suivant  les  termes  de  la  lettre  pontificale,  aban- 
donné huit  ans  auparavant,  après  avoir  emporté  les  privilèges  de 
son  église,  sous  le  prétexte  de  les  faire  confirmer  par  le  souverain 
pontife'". 

Guillaume  Adam  déféra  à  celte  invitation  impérative  et  revint 
occuper  le  siège  d'Antivari  juscju'à  sa  mort,  survenue  sans  doute  en 
i34i.  Cette  même  année,  en  elfet,  les  chanoines  de  sa  cathédrale 
lui  avaient  donné  un  successeur  en  élisant  Jean  Zaulini,  dont 
Benoît  Xll  confirmait  f élection  le  17  décembre  i34i'^'.  C'était  ce 
même  chanoine  sur  les  réclamations  duquel,  quatre  ans  auparavant, 
le  pape  avait  rappelé  Guillaume  Adam  à  Antivari. 


SES    ECRITS. 

Les  anciens  bibliographes  de  l'Ordre  des  Frères  Prêcheurs  ont  été 
aussi  imparfaitement  renseignés  sur  les  écrits  de  Guillaume  Adam 
que  sur  les  événements  de  sa  vie.  Vucun  d'eux  n'a  mentionné  son 
traité  Dr  modo  Sarracenos  extirpandi,  assurément  la  plus  importante 
de  ses  œuvres,  sinon  son  œuvre  unique. 

Le  traité  De  modo  Sarracenos  extirpandi  ne  paraît  pas  avoir  joui  de 
la  célébrité  qu'ont  eue  d'autres  compositions  du  même  genre. 
On  n'en  connaît  en  elfet  jusqu'ici  que  trois  exemplaires,  tous 
copiés  au  temps  du  concile  de  Bàle  et  postérieurs  ainsi  d'un  siècle 
à  Guillaume  Adam  :  deux  sont  aujourd'hui  conservés  dans  la  bibho- 
thèque  de  fUniversité  de  Bàle,  sous  les  cotes  A.  L  28  et  A.  I.  32,  et 
le  troisième  au  Vatican,  ms.  Palat.  lat.  6o3'^'.  Le  comte  Paul  Riant 
signala  le  premier  les  manuscrits  de  Bàle  à  J.  Delaville  Le  Roulx , 
qui,  en  i885,  dans  la  France  en  Orient  au  xi\'  siècle,  en  donna  une 
analyse'*';  mais  c'est  seulement  en  1906  que  l'œuvre  de  Guillaume 

l''  Publiées  ibid. ,  p.  5o-5i.  rxvii  et  ci.xvii-clxviii.  — Une  copie  faite  pour 

'*'   /iiW.,  p.  5i-5i  le  comte  Riant  du  ms.  A.  I.  a8  de  Bàle  est  con- 

'''  Voir  la  description    de   ces    manuscrits  servée  à  la  Bibliothèque  nationale  (n.  a.  lat. 

dans  le  ftecneil  des  historiens  des  Croisades.  Do  ^'J•Jb). 

ctiincnli  armcniens ,   t.   Il,   p.  r,r.\iv-ci.xv,  cci\-  '''   Pages  6t-G'i,  70-77  et  91-97. 


SES  ECRITS.  281 

Adam,  dont  le  texte  avait  été  imprimé,  dans  l'intervalle,  d'après 
les  deux  premiers  manuscrits,  |jar  le  comte  Louis  de  Mas-Latrie, 
mais  non  publié,  vit  enfin  le  jour,  précédée  d'une  longue  et  savante 
notice  de  Charles  Kohler,  dans  le  Recueil  des  liistoneus  des  Croisades, 
au  tome  H  des  Documents  arniéniens^^-. 

Le  traité  débute  par  une  dédicace  à  Raimond  de  Farges,  créé  en 
i3io  par  Clément  V^  cardinal-diacre  du  titre  de  Sainte-Marie-Nou- 
velle, après  avoir  été  trésorier  de  l'église  d'Âgen,  puis  archidiacre 
de  l'église  d'Angers  el  chanoine  de  Saint-Seurin  de  Bordeaux '""l  La 
date  de  sa  composition  est  certainement  postérieure  à  la  mort  de 
Clément  V  (20  avril  i3i4)'^*;  diverses  allusions  à  la  mort  de  l'em 
pereur  Andronic  H  et  à  son  ])etit-fds  Andronic  semblent,  d'autre  part, 
antérieures  à  l'époque  où  ce  dernier  s'empara  du  pouvoir  (mal  1  328)''"'. 
Mais  il  est  possible  de  la  préciser  encore  plus.  Guillaume  Adam,  en 
se  nommant  au  début  de  la  dédicace,  ne  lait  suivre  son  nom  d'aucun 
titre*'*',  d'où  l'on  est  amené  à  conclure  (pi'il  a  écrit  son  traité  avant 
son  élévation  à  l'éplscopat  (1"  n)ai  i3i(Sj;  d'un  autre  côté,  s'il  men- 
tionne la  vacance  du  Saint-Siège  après  la  mort  de  Clément  V,  il  senfble 
bien  que  l'élection  de  .lean  XXII  avait  eu  lieu  lorsqu'il  écrivait'''. 
La  composition  du  traité  De  modo  Sarracenos  extirpandi  se  placerait  ainsi 
entre  le  7  août  i3i6  et  le  i"mai  i3i8,  vraisemblablement  en  1317. 

Quelques  qualités  de  style  qu'il  y  ail  lieu  de  reconnaître  au  Dr 
modo  Sarracenos  extirpandi,  il  est  dilficile  de  le  considérer  comme 
une  œuvre  littéraire  ;  c'est  un  mémoire  politique  où  l'on  trouve 
développées  et  groupées  les  raisons  qui  justiliaient  la  lutte  de  la  chré- 
tienté occidentale  contre  l'Islam.  Presque  tous  les  projets  de  croi- 
sade, au  début  du  xiv*  siècle,  supposaient  une  entente  préalable  des 
princes  chrétiens;  Guillaume  Adam,  dès  les  ])remiers  mots  de  son 
traité,  reconnaît  les  empêchements  que  les  intérêts  particuliers  appor- 
taient déjà  à  la  constitution  d'une  pareille  société  des  nations,  tout 
en  attendant  du  secours  divin  la  réalisation  de  cette  entente  préalable. 
Après  ce  préambule,  quatre  conditions  lui   paraissent   nécessaires 

<■'  Docaments  arméniens,  t.  II,  p.  52  1-555.  '''   «Venerabili   in    Christo    patri...     R.    di' 

'^'  Sur  ce  cardinal,  voir  l'introduction  de  Fargis,  tituli  Sancte  Marie  Nove  diacono  cardi- 

Ch.  Kohler,  p.  cl\xvii.  nali,   frater  G.   Ade,  Ordinis  fralrum   Predi- 

'*'  «  Tempore  felicis  recordacionis  Clemen-  catorum ,  ejus  servus  huiiiiiis. . .  >  ( p.  52 1). 
tis  pape  quinti  •  (p.  533).  '"'  Docaments   arméniens,  t.  11,   p.   52a  el 

^  '  Documents  arméniens ,  t.  Il,  p.  545  et  547.  536. 

HlSr.  LITTÉR.  XXXV.  36 


'2H2  (JUILLALMh  ADAM,    MISSIONN  yUK. 

pour  assurer  la  victoire  contre  les  Sarrasins'') :iépriiner  les  agisse- 
ments (les  Jiiauvais  chrétiens  d'Orient,  qui  se  font  les  pourvoyeurs  du 
Sultan;  —  s'(!in parer  avant  tout  de  Clonslantinople  et  \  substituer  la 
domination  des  Latins  à  celle  des  Grecs,  dont  l'empereui'  est  en  rela- 
tions étroites  avec  le  sultan  d'Egypte;  —  empêcher  le  khan  des  Tar- 
tares  du  Nord  de  porter  secours  au  même  sultan,  avec  lequel  il  a 
conclu  alliance  par  crainte  du  khan  des  Mongols  de  Perse;  —  enlin, 
tandis  (lu'une  Hotte  chrétienne  aurait  à  assurer  le  blocus  des  posses- 
sions musuhnanes  dans  la  Méditerranée,  envoyer  une  autre  flotte, 
construite  dans  la  mer  des  Indes,  croiser  à  l'entrée  du  golfe  d'Aden 
et  du  golfe  Persique  pour  empêcher  le  ravitaillement  de  l'Egypte  par 
des  convois  venant  des  Indes.  A  toutes  ces  mesures  il  était  encore 
nécessaire  d'ajouter  l'interdiclion  absolue  des  pèlerinages  aux  Lieux 
Saints,  le  trésor  du  sultan  se  trouvant  alimenté  par  la  ledevance  de 
trente  gros  tournois  imposée  à  chaque  pèlerin.  Quant  aux  frais 
de  l'entreprise,  il  était  réservé  au  pape  d'y  pourvoii-  en  puisant  dans 
le  trésor  des  indulgences. 

A  chaque  page  de  ce  mémoire  se  manifestent  le  hens  pratique  de 
Guillaume  Adam,  sa  connaissance  et  son  expérience  des  hommes  et 
des  choses  de  l'Orient;  partout  y  éclate  aussi  son  zèle  ardent  de 
missionnaire.  Mais  on  chercherait  vainement  dans  le  De  modo  Saria- 
cenos  exlirpandi  ces  observations  personnelles,  ces  descriptions  des 
contrées  et  des  choses  mei'veilleuses  de  l'Orient  qui  ont  assuré  à 
d'autres  relations  de  missionnaires  ou  projets  de  croisade  contem- 
porains un  intérêt  et  un  succès  plus  durables. 

Parmi  ces  projets  il  en  est  un,  le  Directorium  ad  passagiun  Jacien- 
diim,  qu'aucun  des  bibliographes  de  l'Ordre  des  Frères  Prêcheurs  n'a 
mis  sous  le  nom  de  fiuillaume  Adam,  mais  que  son  dernier  éditeur 
a  cru  pouvoir  lui  attribuer'"-'. 

Composé  une  quinzaine  d'années  plus  tard,  et  aux  mêmes  lins 
que  le  De  modo  Sarraceiios  exlirpandi,  avec  lequel  on  le  trouve 
copié  dans  les  manuscrits,  le  Directorium  ad  passa(jium  faciendam  a  été 
redressé,  en  li^iSa,  au  roi  de  France  Philippe  VI,  par  un  religieux 
dominicain,   qui,   comme  Guillaume   Adam,  séjournait  à  Avignon 

f  Page  533.  —  ''    Introduction,  p.  cliv-clxiii  ;  d.  Histoire  lilléraiie,  t.  XXX1\ ,  p.  Jog. 


SKS  KCUITS.  2H3 

et  avait  été  précédemment  missionn;nre  dans  l'Empire  Grec  et  en 
Orient"',  \ucun  des  huit  manuscrits  aiijourd'Jiui  connus  du  texte 
original  de  ce  projet  de  croisade  ne  porte  un  nom  d'auteur"'. 
Dès  i333,  il  en  était  fait  une  traduction  française,  par  un  religieux 
de  Saint-Jacques  du  Haut-Pas,  Jean  du  Vignai'^.  Un  siècle  plus  tard, 
en  i4-^^>^i  un  chanoine  de  Lille,  Jean  Miélot,  en  donnait  une  nou- 
velle traduction,  qji'il  présentait  l'année  suivante,  au  milieu  d'un  re- 
cueil de  traités  analogues,  au  duc  de  Boui"gogne  Pliili])])e  le  Bon'', 
après  l'avoir  mis,  sans  preuve  aucune,  sous  le  nom  d'un  dominicain 
de  la  lin  du  xiii'  siècle,  frère  Brocard  ou  Burchard  du  Monl-Sion, 
dont  nos  prédécesseurs  ont  ])arlé'' . 

Si  cette  attribution  à  frère  lirocard  du  Direcloriuin  ad  passagiiun 
Jacicndnm  est  tout  à  fait  invraisemblable,  il  paraît  également  dillicile 
d'admettre  que  Guillaume  \dam  en  soit  l'auteur.  Certes  les  analogies 
sont  nombreuses,  comme  l'a  remarqué  Charles  Kohler,  entre  le 
De  modo  et  le  Directonam^''^ \  l'auteur  du  Direcloriuin  est  assurément 
contemporain  de  Guillaume  Adam,  comme  lui  il  appailient  à  l'Ordre 
de  saint  Dominicpieet,  en  même  temps  que  lui  sans  doute,  il  a  été  mis- 
sionnaire en  Orient;  il  a  pu  aussi,  à  A\ignon,  s'inspirer  du  projet  de 
croisade  dont  le^  détails  sont  exposés  par  Guillaume  Adam  avec  tant 
de  netteté  et  de  précision.  Mais  de  la  comparaison  niinutieuse  faite 
par  Charles  Kohler  entre  la  composition  et  le  style  des  deux  traités, 
et  de  la  concordance  de  certaines  dos  données  chronologiques  qu'on  y 
relève,  il  ne  ressort,  à  notre  avis,  aucune  preuve  évidente  qui  per- 
mette de  conclure  à  l'identité  certaine  de  l'auteur  de  l'un  et  de  l'autre 
opuscule'^'.  Jusqu'à  plus  ample  informé,  il  faut  se  résoudre  à  ignorer 
le  nom  du  rédacteur  du  Directorium  ad  passafjium  facienduni. 


Les  anciens  historiens  de  l'Ordre  de  saint  Dominique  ne   men- 
tionnent sous  le  nom  de  Guillaume  Adam  que  quatre  opuscules  litur- 

'■'   Ibid.,  p.  CLXiin.i, XVIII;  le  texle  de  l'édi-  '''   Introduction,  p.  CLXViii-f.i.xix. 

tion  a  été  établi  à  l'aide  de  trois  seulement  de»  '*'    Ibid. .  a.  ci.xix-ci.xxvi. 

huit  manuscrits  signalés  depuis  et  décrits  par  '*'   Histoire  littéraire  ,  t.  XXI,  p.  i8o-ai5. — 

Charles  Kohler.  L'opuscule    a    été    atlribuc    aussi   à    ftaimond 

'*'  Voir  Quélif  et  Echard,  t.  I,  p.  573-57'i,  Etienne,  évèque  de  Smyrne,   puis  archevêque 

et  Lequien,  Oriens  chrislianus  ,1.  III,  p.   i363-  d'Ephèsc. 

i364;  cl.  Ch.  Kohler,  Introduction,  p.  clv,  et  ''•   Introduction,  p.  ci.iv  et  suiv. 

fî.  Golubovich,  au  t.  lit  de  son  ouvrage  pré-  ''  Telles    sont    aussi    tes     conclusions   du 

•  ité,  p.  io.'J.  P.    Girolamo    Golubovich  , /or.  cif. 

.36. 


284  PIERRE  GENCIEN. 

giqiies,  dont  Quélif  et  Ecliard,  sur  le  témoignage  de  leurs  prédé- 
cesseurs et  sans  en  avoir  reconnu  le  texte  dans  aucun  manuscrit, 
énumèrent  ainsi  les  titres"'  : 

OJficium  profeslo  S.  Thomœ  de  Aqiiiuu. 
Aliud  profcslo  Sunclifitalionis  li.  Viifjiins. 
iliud  piv  Jesto  S.  Gcnrqii  niarlyris. 
\liud  dcniqne  pro  festo  S.  Ursulœ  et  XI  milliam  virginnm. 

Quétii  et  Ecliard,  qui  estimaient  f[ue  (luillaunie  Adam  avait  vécu 
dans  la  seconde  moitié  du  xm*  siècle,  n'ont  pas  hésité  à  déclarer 
f|ue  les  dates  mêmes  auxquelles  la  célébration  de  ces  fêtes  avait 
commencé  dans  l'Ordre  de  saint  Dominique  ne  pouvaient  per- 
mettre de  lui  attribuer  la  composition  d'aucun  de  ces  ofTices^^'. 
Ilien  ne  s'oppose  cependant,  à  ce  que  Guillaume  Adam  ail 
composé  les  olfices  propres  des  lêtes  de  saint  Thomas  et  de  sainte 
Ursule,  célébrées  dans  l'Ordre  des  Dominicains  dès  i>vi8  et 
i33o.  S'il  en  est  réellement  l'auteur,  à  défaut  de  preuv(;  écrite, 
la  tradition  a  pu  conserver  son  nom,  et  nous  savons  par  ailleurs 
(jue  notre  prélat  était  à  Avignon  lors  d(>  la  canonisation  de  saint 
rhomas  ])ar  Jean  XXII,  le  18  juillet  iSaS'^'.  Quant  aux  fêtes 
de  saint  Georges  et  de  la  Sanctilication  de  la  Vierge,  l'une  n'eut 
jamais,  disent  Quétif  et  Ecliard,  qu'un  ollice  simple  de  trois  leçons, 
et  l'autre  ne  fut  admise  dans  les  bréviaires  dominicains  qu'en  i388'''-, 
longtemps  après  la  mort  de  (iuillaume  Adam. 

H.  O. 


PIEIUIK  GENCIEN. 

AUTEUR  D'UN  i»OÈME  EN  FRANÇAIS. 

I.   Le    manuscrit  Regin.    i5'2:i    de   la   Bibliothèque  du    Vatican, 
que  M.  Ernest  Langlois  attribue  au  commencement  du  xw''  siècle''*', 

<■'  Quélif  el   Échard,  t.  1",  p.  ■]i\.  partein,p.68o;cf.  QuélilctÉchard,  Il ,  p.  637. 
(')   Ibid.  '*'   Quélif  et  Écharil.  t.  1.  p.  7-!/!. 

''    Wnc.M.Fonlana,  Sacrnmtheatnim  Doiiii-  '''    Notices      et      extraits      rfc*      nmniisiritf , 

niVnfiHHi  (I\ome,  1G66,  info!.),  Ap|X!n(lii  adi'"  t.  XXXIII,  a*  p.,  1889,  p.  186. 


SON  POEME.  285 

contient,  entre  autres  choses,  un  poème  intitulé  Le  Tornoiement 
as  (lames  de  Paris,  d'environ  1800  vers  (iNC.  :  «Qui  veult  oïr  ne 
escouter»),  dont  on  ne  connaît  pas  d'autre  exemplaire  el  dont 
l'auteur  se  nomme  lui-même  dans  les  derniers  vers  :  «Pierres 
Gencien  ". 

Ce  manuscrit  a  appartenu,  au  xvi"  siècle,  à  Claude  Fauchet,  qui, 
dans  le  dernier  chapitre  de  son  liecueil  de  l'origine  delà  langue  el  poésie 
française,  a  consacré  une  notice  .> l'auteur  du  Tornoiement. 

Pierre  Gencien,  dit-il,  amoureux  d'une  dame  de  Paris,  a  composé 
ce  poème  où  il  est  (juestion  de  quarante  ou  cinquante  dames  de  cette 
ville  en  son  temps.  Comme  il  a  pris  «  occasion  sus  un  tournoy,  qu'il 
feint  avoir  esté  entrepris  par  ces  dames  pour  esprouver  comme  elles 
se  porteroient  au  voyage  d'outre  mer,  où  elles  deliberoient  aller», 
l'auchet  pense  qu'il  y  a  grande  apparence  que  le  rimeur  a  vécu  à  une 
époque  où  le  voyage  d'outre-mer  était  à  l'ordre  du  jour  :  «  du  temps 
de  Philippe  le  Bel  et  au  plus  tard  sous  Philippe  de  Valois  ».  Il  risque 
en  outre  l'hypothèse  que  Pierre  Gencien  «  peut  bien  estre  venu  »  de 
l'iin  des  deux  frères  qui  furent  tués  en  i3o^  à  la  bataille  de  Mons- 
en-Puelle,  en  défendant  le  roi  de  France.  Il  a  observé,  à  ce  propos, 
que  l'auteur  du  Tornoiement  «  blason  ne  les  armes  de  la  maison  des 
Gentiens,  très  ancienne  à  Paris,  telles  que  ceux  de  ceste  famille 
portoyent  «  au  xiv*  siècle*''. 

Depuis  Fauchet,  tous  les  bibliographes  ont  plus  ou  moins  fidèle- 
ment reproduit  ces  données,  sans  y  rien  ajouter. 

Adelbert  Keller  a  transcrit,  et  publié  dans  son  Romvart,  en  i844, 
deux  cent  cinquante  vers  environ  du  Tornoiement  ^'^\  les  premiers  et 
les  derniers,  sans  commentaires. 

En  1895,  M.  Borrelli  de  Serres,  dans  une  dissertation  étendue  sur 
«  Les  Gentien  tués  à  Mons-en-Puelle  »'^',  fut  conduit  à  s'occuper  inci- 
demment du  poème;  mais,  chose  étrange,  sans  connaître  l'édition 
lîartielle  de  Keller  ni  la  description  du  manuscrit  par  E.  Langlois. 
Ce  manuscrit  qu'il  croyait  perdu,  il  n'en  a  eu  vent  que  par  ce  que 
Ci.  Fauchet  en  avait  dit;  encore  a-t-il  reproché,  bien  à  tort,  à  cet 
érudit  l'opinion  que  l'œuvre  «  pourrait  être  attribuée  à  i'un  des  Gen- 

'''  Cl.  Fauchet,  flecueiV  cité  (i58i),  p.  aoy.  '''  Borrelli  de  Serres,  Recherches  sur  divers 

'•'  A.  Relier,  Romvart,  Mannheim- Paris,  services  publics  du  xiii'  nu  xyii'  siècle  (Pans, 
i844,  p-  390-398.  «895),  p.  575-607. 


286  PIKRRK  CKNTJKN. 

tien  tués  à  Mous»  :  Fauchet  n'a  rien  écrit  de  pareil  '  .  —  Si,  d'ail- 
leurs, M.  Borrelli  de  Serres  a  •  cherclié  ».  mais  «  en  vain  »,  le  poème 
de  Pierre  Gencien,  c'est  qu'il  pensait,  non  sans  apparence,  que  «des 
•>  détails  sur  les  belles  héroïnes  qui  en  sont  le  sujet  permettraient  d'en 
"fixer  la  date».  Il  s'est  posé  en  ellel  les  mêmes  (piestions  que  Kau- 
chet  :  «Qui?)'  et   «Quand?"  —  Quel  est  le  personnaore  qui  a  écrit 

• 
J'ai  a  non  Pikrkes  (Iemien,  [EU''  a  If  pooir  l'Apostoili'. 

Qui  sui  loii'z  d'un  ttl  loitii  Par  un  m  iil  ris,  plus  duuz  qu^  poin  . 

Dont  nulz  iif  me  puet  di'sloirr  M'a  navre  pnz  du  cm  r  sans  plaie. 

Fors  la  bele  que  je  vi  yi  r.  .  Die\  !  n  ■  truis  qui  le  {'fv  uj'en  traie. 

( .e  n'est  |)as,  dit  M.  Borrelli,  Pierre  Gencien,  le  fondateur  de  l;i 
■  maison»  des  Gencien,  mort  en  i»53;  ni  son  second  fds,  Pierre 
le  Vieil,  mort  en  1298,  ni  son  pelif-fds  Pierre  le  Grand,  (pii  périt  a 
VIons-en-Puelle.  D'après  un  ancien  g-néalogiste'- ,  c'est  un  fds  de  ce 
lacques  Gencien,  cousin  de  Pierre  le  (irand,  qui  partagea  son  sort  .1 
Mons.  M.  Borrelli  le  croit  plutôt,  mais  par  hypothèse  et  sans  fournir 
de  preuves,  petit- fils  d'un  frère  cadet  de  Pierre  le  Grand,  nomme 
.lean^*. 

Mais  si  le  Tornoiernenl  est  l'œuvre  d'un  [)etit-lils  de  Jean,  frère 
cadet  de  Pierre  It^  Grand  t  1  3o4  ,  ce  poème  a  etf  ctmiposé  sans 
doute  «assez  tard  dans  le  xiv*"  siècle".  \ï.  Borrelli  s'est  dit  confirnu- 
dans  cette  pensée  par  le  fait  que  le  rimeur,  décrivant  les  armoiries 
des  Gencien  '',  v  signale  une  bande  d'azur  fleurdelisée  d'or  sur  le 


tout  : 


l  ne  bende  V  i)t  ouvrée 
l)e  tin  azur,  d'or  fleureléi 


Or,  M.  Borrelli  n'a  rencontré  ce  détail  —  constant,  jusqu'au 
xvii"  siècle,  dans  les  armes  des  Gencien  —  que  «  assez  a\ant  dans  le 
xiv*  siècle».  «La  bande  de  France,  dit-il,  était  une  distinction  dont 

'■    M.  Borrelli  a  pris  aussi  (  p.  60/i)  une  cita-  lamille    par    M.     Borrelli,    loc.   cit.,    p.    608. 

li(»n  des  Grandes  rhroniques ,  laite  par  Fauchet,  ''  Celles  d'un  Gencien,  son   homonyme  et 

pour  un  extrait  du  poème.  son  parent,  dont  il  n  indique  pas  le  prénom, 

Bibl.    nat. ,    l'r.   agSa.ï   'Dossiers   bleus,  et  non  pas,  expressément,  «  ses  propres  armoi- 

«Gentient,  i.  riesi,    comme    le  dit    M.    Borrelli    'p.    6o5  . 

Voir    le     tableau    généalogique     de     la  d'après  Fauchet. 


SON  K)tMK. 


28: 


ont  joui  plusieurs  des  lamilles  qui  ont  fourni  a  Paris  ses  prévôts 
(les  marchands:  les  Arrode,  les  Petit-Celier  ' .  C'est  Jean  [frère  de 
Pierre  le  (îrand],  (pii  doit  l'avoir  obtenue  après  avoir  plusieurs  fois 
rempli  cette  charge  (i3'ji,  i3i4,  i3i8);  en  loii,  il  ne  la  portait 
pas  encore,  (fapres  l'Àrniorial  des  Pré\ôts.  .  .  »  Même  elle  n'a  peut- 
être  été  accordée  au\  Ciencien,  selon  l'auteur,  (ju'en  i368  '. 

Ces  conclusions  ont  ete  ignorées  de  Gaston  Paris,  ou  rejetées  par 
lui,  puisqu'il  est  question,  dans  son  livre  La. Lillcraiuvc  française  au 
moyen  à(jc  (S  109;,  d"<'  un  bourgeois  de  l'aris,  Pierre  (jenfien,  celui-là 
même  peut-être  qui  périt  hèroïquemenl  à  Mons-en-Puelle,  qui,  sous 
Philip])e  le  Bel,  mit  en  scène,  dans  un  tournoi  imaginaiie,  lesiemmes 
de  ses  amis  et  parents  », 

H  a  été  annoncé  dans  la /}o//iu/iJa  ^t.  \X\lll,  1899,  p.  'j3  >,  noie  3) 
<(ue  M.  Longnon  se  proposait  de  donner  prochainement  «  une  nou- 
velle édition  du  poème  publié  en  j)artie  par  Keller  ».  Mais  celle  inten- 
tion n'a  pas  ele  réalisée'"'. 

Eidin,  en  1917,  M.  Mario  Pelae/.  a  fait  paraître  une  édition  com- 
plète du  Tornoi émeut  dans  les  Studj  roman:i'''*'.  Celle  édition  est  précé- 
dée d'une  introduction  où  il  n'y  a  de  nouveau  que  des  détails  sur  les 
loliotations  successives  du  manuscrit  unique  (p.  8).  De  l'auteur, 
M.  Pelaez  ])arle  d'après  Fauchet,  sans  rien  savoir  des  travaux  de  Bor- 
relli  de  Serres  ni  des  intentions  de   l.ongnon  ".  L'édition  nième  est 


'  N'ayant  pas  lu  le  Tornoiemeiil ,  M.  Boi - 
itlli  n'a  pu  remarquer  que  le  blason  iie>  Geii- 
e.ien  n'est  pas  le  seul  que  le  rimeur  y  représente 
comme  charpé  «les  armes  de  France.  Mais  les 
filles  de  Haoul  de  Hilli  montent  des  chevaux 
ilont  fes  couv  Ttures  sont  blasonnées  «des 
■  armes  le  roi  toutes  pures»  [lioiiwart,  p.  09  j); 
les  bannières  de  la  dame  Big'ue  sont  ainsi 
dirrites  : 

Li  chaniji  fii  blan'^  o  (leur  de  Ivs 
Kl  (l'ars;cnl  menu  diispré. 
Lin  l\t>n  \ernied  painluré 
D'or  el  inileu  estoit  assis, 
(^ui  rcssemliloil  a  esire  vis. 
Au  liellonr  ol  ud  basloncel 
Des  armes  le  roi  roinle  rt  bel. 

La  lemme  de  Tiiomas  Brichart  le  jeune 

Armes  ni  il'eslranpe  manière. 
Dont  li  champs  fu  barrés  tlarpenf 
Au  cliief  d'a7ur  florelez  d  or. 


(iillc  de  .li'han  Arrode  avait  de  même,  dans 
ses  armes.  •  un  baston  des  armes  de 
«  France  ».  Elc. 

''  r>orrelli  de  -Serres ,  op.  cil. ,  p.  606 ,  note  2 . 
Li  bande  de  Fiance  n'aurait  ele  accoiilée  auv 
(iencien  ipi'en  \?tf>9)  parce  qu'elle  ne  se  voit 
•  pas  encore»,  parait-il,  sur  un  sceau  de  i,'î67. 
l'oulelois,  une  i  opie  du  pm'mc  lut  exé- 
culée  pour  M.  I.onpnoii ,  qui  a  été  impiiméi', 
|>ar  les  soins  de  la  Société  de  l'histoire  de  Paris 
et  <le  l'Ile  de  France,  en  al  tendant  que  cet  érii- 
dil  rédigeât  un  conunenlaire.  Il  ne  subsiste 
plus,  <lans  les  archives  de  la  Société,  qu'un 
exeni|>lairf  de  ces  placanls,  dalés  de  septem- 
bre iX()Ç).  Après  quelques  aiuiées  d'attente, 
les  lonnes  ont  été  décomposées. 

*'  Lf  Tornoiement  as  damcf  de  Paris,  di 
Pierre  Gencien,  dans  tes  Sliidj  romanzi,  t.  XIV 
,«917),  p.  5-67. 

'  ■    11  s'étonne  (p.  10,  note  2)  qu'il  n'ait  pas 


288  PIERRE  GEiNClEN. 

très  médiocre''';  mais  les  miniatures  qui  ornent  le  manuscrit  y  sont 
reproduites  avec  soin'"^'. 

II.  Voici  l'analyse  de  l'opuscule'^',  que  très  peu  de  personnes  ont 
lu  d'un  bout  à  l'autre  depuis  Fauchet. 

SoDge,  pour  «esjoïr»  la  compagnie.  —  L'auteur  rêve  qu'il  che- 
vauche du  coté  de  Lagni.  Il  aperçoit  une  bannière  (|ue  tient  la  lille 
d'Huistace  la  Ragise,  toute  armée  sur  un  destrier.  Il  s'informe.  Elle 
lui  dit  qu'un  tournoi  va  avoir  lieu  entre  sa  dame,  dont  il  a  reconnu 
sans  doute  les  armoiries  sur  la  bannière,  et  une  «  dame  de  joment  », 
qui  s'appelle  Geneviève  d'Asnières,  chacune  avec  son  «  pooir  ».  Où  donc 
ces  dames  s'arment-elles  .^A  l'abbaye  de  Chelles.  Cependant,  venant  de 
(^belles,  s'avance  une  «route  desmesurée  »,  précédée  de  trompettes, 
de  ménestrels  et  de  tambours.  En  tète  Peronnele  des  Champs,  lèmme 
de  Gervaise  des  (Miamps,  orfèvre,  sur  un  cheval  blanc  à  ses  armes; 
c'est  l'adversaire  annoncée  de  Geneviève  d'Asnières  et  «  des  dames  de 
Gournai».  A  sa  suite,  toute  la  fleur  du  Pont  [des  Orfèvres]  :  les  filles 
de  Raoul  de  Bilh;  l'ancienne  femme  d'Aliaunie  le  Oistalier,  remariée 
a  Jacques  de  Lagni,  aux  œillades  redoutables;  la  femme  de  Pierre  de 
Vaires;  les  femmes  des  deux  frères,  Jehan  et  Mathieu  d'Amiens;  la 
femme  de  Loys  Chauçon'*',  «  conduiseresse  des  dames  de  la  Praerie  »; 
la  Giflarde;  la  femme  de  Pierre  de  Cormeilles,  et  sa  sœur,  femme  de 
Nicolas  d'Eaubon ne;  la  femme  d'Estienne  Morise  (dont  il  est  fait  uu 

encore  été  ijuestion  du  poème  dans  l'/Zis/oire  rhascun  ist   un  arbre  dierrei;  lisez  «d'ierre-; 

littéraire,  nolainnienl  au  t.  \XIII,  consacré  an  le  mot  «dierre»  est  relevé  au  levique,  avec  la 

xiii' siècle,  parce  qu'il  ignore  que  les  auteurs  conjecture  :  •derierePi.  — L'éditeur  imprime 

sont  traités,  l'ii  principe,  dans  cet  ouvrage  au  (v.  353-354)  •' 

rang  que  leur  assigne  la  date  de  leur  mort.  Il  est 

vrai  que ,  d'après  cette  règle .  nos  prédécesseurs  [;.? "'^''  '"  *" '  P"  '"'"'^  '"»;"'' ' 

■      .      i-       .  ^1       n-  /^        •  Fillastre  a  Harchier  Maraude, 

auraient     au    s  occuper    de     Pierre    Gencien 

(t  i3o4)   dans  un   des   premiers  volumes  du  Lisez    tsoint    Mandé»    et    «Marandéi.    — 

XIV' siècle.  S'ils  ne  l'ont  pas  lait,  c'est  que  l'on  V.  924   •  Issi  dame  a  Guez,  demoroiti;  lisez 

a  hésité  longtemps  sur  l'identilication  de  l'au-  idame  Agnes  Demoroit  >  ou  •  de  Moroit».  — 

leur  et,  par  conséquent ,  sur  la  date  de  sa  mort.  Ktc. 

La  (Commission  a  cru   devoir  réparer  ici  cet  <*'    L'autevir  est    figuré   deux   foi»  dans   ces 

"ubii.  miniatures  (n"'  1  etxiiij. 

'"'   Dan»  l'introduction,  la  bataille  de  Mons-  <''  D'après  la    photogiaphie   du    manuscrit 

en-Puelle    est   constamment   applée,    d'après  unique  qui   est  maintenant  à  la   Bil)liolhè(]ue 

une  faute  d'impression  dans  le  texte  de  Fauchet ,  des  Archives  nationale»  sous  la  cote  Mm   11  o. 

.  la  battagliadi  Mont  Pirenes..Llily  0,  dansie  '''Ce     prsonnage  a    droit    à     la    cédille. 

texte  même  de  1  édition,  trop  de  choses  à  l'ave-  Il  n'y  en  a  |>as,  naturellement,  dans  le  nianu- 

nant.  —  I^e  v.  43a  est   ainsi   imprimé  :  «De  scrit. 


SON  POEME.  289 

grand  éloge);  la  Chaslelaiiie  et  sa  sœur  la  Paelée;  la  femme  de  Gau- 
cher de  Verneuil;  celle  de  «  dant  »  Jacques  Boucel.  Une  seconde  «  route  », 
composée  de  dames  «  riches  d'argent  et  de  grans  rentes  »,  est  con- 
duite par  la  femme  de  Jehan  Bigue,  à  laquelle  servent  d'écuyers 
porte-bannière  Marote,  lafdle  à  la  Couverte,  et  la  helle-iille  d'Harchier 
Maraudé.  On  y  voit  la  femme  de  Pierre  Bricliart  (incidemment  cité 
plus  haut,  lui-même,  pour  son  adresse  à  cheval),  montée  sur  un  des- 
trier si  fougueux  que  l'auteur  ne  voudrait  jias  s'en  servir  «  por  quan- 
«  que  le  Roi  a  vaillant  »;  celle  de  Jehan  Boucel;  la  Porrinf*,  surnom- 
mée la  Potine'*';  la  femme  de  sire  Jehan  d'ierre,  d'une  magnificence 
telle  ([u'elle  est  comj)arée  à  la  dame  de  Blois  et  à  la  reine  d'Angleterre, 
accompagnée  de  sa  maisiiie  (la  femme  de  Jehan  de  Cihàteaufort,  la 
Couverte  et  ses  fdles).  Puis  deux  demoiselles'"'  :  la  hlle  à  la  Flamenge 
et  Maheut  du  Plessié,  dont  les  armoiries  sont  pareilles.  Et  il  y  en  a 
encore  d'autres  :  la  femme  «au  Quoquillier »,  «grosse  dame  a  des- 
mesure", dont  le  cheval  ploie  sous  le  poids;  la  Coqnillière,  qui  n'est 
pas  à  confondre  avec  la  précédente;  la  femme  d'Estienne  Morian  et 
celle  de  Jehan  Marcel;  la  fille  de  Philippe  Boucel;  la  femme  de  Jehan 
Bourdon,  très  occupée  p;ir  les  incartades  de  son  cheval,.à  (|ui  l'auteur 
lance  un  trait  en  passant  : 

Et  faisoit  si  diverse  cliiero  Niilz  qui  la  vausisi  saliKM-, 

Et  si  orgueiHcuse  et  si  fiere  Et  pour  ce  vous  di  ge  sans  faille 

Qu'elle  ne  deignoit  esgarder'-^'  Qu'il  ne  me  chaut  quel  part  elle  aille. 

C'est  ensuite  le  défdé  des  dames  et  demoiselles  de  la  Courroierie, 
conduites  par  «la  Mestresse  des  .viii.  vins»,  excellente  écuyère.  L'au- 
teur reconnaît  au  passage,  entre  beaucoup  d'autres  dont  il  ne  sait  les 
noms,  la  femme  de  Bertaut  Bourgoignon ,  celle  de  Jehan  Begon, 
celles  des  Anquetins,  celle  de  Pierre  Veel,  la  hlle  d'Herbert  de 
Lyons.  ■_ —  Il  y  a,  ici,  une  allusion  à  «celé  que  je  [l'auteur]  n'ose 
nommer»,  qui,  comme  les  dames  de  Gournai,  éprouvera  tout  à 
f heure  la  vaillance  du  contingent  de  la  Courroierie. 

'"'  Car  son  mari  «  tome  l'uséi' »  et  on  l'appelle,  '*'  C'est   de    ces    demoiselles   qu'il   est  dit 

pour  cette  raison,  «Potin»,  «en  reprouvier».  incidemment,  comme  Faucliet  l'a  remarqué. 

Le  Dictionnaire  de   Godefroy,  au   mot  Potin,  qu'elles  étaient  venues  au  tournoi  pour  se  pré- 

n'a  pas  d'exemple  aussi  ancien,  et  le  rapport  de  parer  au  voyage  d'outremer  (v.  454  et  suiv. ). 

re   sobriquet   avec   l'action  de   «  torner   fusée  »  '^'   Ms.    et   éd.   :   «  Qu'el   ne   deignoit  nous 

nous  échappe.  esgarder.  » 


HIST.   LITTER.   XXXV. 


37 


290  PIEURE  GENCIEN. 

L'auteur  se  réveille,  se  rendort  et  rêve  de  nouveau.  Cette  fois,  il 
est  ^ur  le  pont  de  (it)urnai.  U  voit  sortir  de  cette  ville  madame  Gene- 
viève d'Asnières,  «née  et  norrie  de  Paris»  (dont  elle  ne  vaut  que 
mieux),  escortée  par  les  femmes  d'Oudart  Le  Keu,  de  Jehan  Phelippe 
(qui  rit  toujours),  de  Symon  Barbelé,  de  Jehan  des  Nés  (celle-ci, 
dont  l'auteur  fait,  par  exception,  une  description  physique  presque 
indiscrète,  est  chaussée  si  juste  que  «  tous  les  dois  perent  parmi  »);  la 
cinquième  de  ses  suivanles  est  «  la  reine ,  la  duchesse  »  des  bourgeoises 
delà  paroisse,  madameGile,  femme  d'Adam  de  Vleulant.  Chacune  de 
ces  cinq  a  autour  d'elle  quatre  autres  dames,  «pour  garder  el  dcf- 
fendre  leur  cors».  Madame  Gile,  «la  famé  Oudart»,  a  sa  sœur,  lu 
Crespine,  la  femme  d'Adam  d'Arenci  et  celle  d'Eslieniie  de  Grève, 
«  dame  Basile»,  ses  voisines.  L'entourage  de  la  femme  de  Jehan  Phe- 
lippe  est  tout  entier  de  son  lignage,  composé  qu'il  est  des  femmes  de 
ses  quatre  oncles  :  Eudes,  Maci,  Thomas  el  Guillaume  Pidoc.  Au- 
tour de  la  Barbete  :  la  fdle  de  Thomas  Thibot;  la  femme  de  maître 
Robert  Le  Keu;  et  les  deux  lllles  de  Jehan  Augier.  Le  lecteur  s'attend 
ici  à  l'énumération  de  l'escouade  commandée  par  la  femme  de  Jehan 
des  Nés;  mais  c'est  la  femme  d'Aubert  des  Guez  qu'il  voit  paraître, 
entourée  des  femmes  de  Philippe  Poon,  de  Jehan  de  Buci,  et  des 
(illes  d'Andrieu  de  Pastis.  Dame  Gile  de  Mculaut  s'avance  ensuite, 
à  la  tête  du  cinquième  peloton;  il  se  compose  de  Jehanne,  femme 
de  Jehan  des  Nés  (l'auleur  a  perdu  de  vue  le  rang  qu'il  lui  avait 
assigné  à  la  page  précédente),  de  sa  sœur  «  (pii  tant  par  est  fresche  et 
nouvele  »,  de  dame  Agnès  «Demoroil'''  »,eld"Eudeline  la  Sommeliere, 
bru  de  Gui  le  Sommelier.  —  Telles  sont  les  forces  assemblées  «es 
prez  par  de  dessus  Gornai».  Après  viennent  celles  de  Grève.  Au  pre- 
mier rang  de  cette  nouvelle  troupe,  une  dame  dont  les  armes  sont  de 
gueules  et  d'argent ,  a\ec  une  bande  d'azur  fleurdelisée  d'or  : 

tUt'uques  oy  ji-  nlrairc  Joncs  tiom,  non  pas  ancien, 

Que  uns  homs  dt  .s  plus  preus  du  Quo  on  aptle  Gcncien , 

[monde  t*ortoit  tiex  armes.  .  .  Ce  disoieni 

Tant  conmie  il  <luie  a  la  reonde,  Ceuz  qui  la  dame  regardoient .  .  . 

'''  Ce  nom  se  lit  dans  le  Livre  de  la   taille  Gàtinais,  habitait  l'Encloistrc  Saint-Germain. 

de  Paris    en    1292   (éd.    Gcraud),     p.     i  J  :  Cf.  Arch.  nal.,  KK  a83,  fol.  Sa:  «Eslienne 

«Dame  Anes,  de   Mouret».    Celle    personne,  Denioui'et.  • 
qui  tirait  sans  doute  son  surnuni  de  Moret  en 


SON  POÈME.  291 

Elle  est  suivie  des  fiHes  de  «dant»  Jehan  Sarrasin,  dont  voici  les 
armes  (connues  d'ailleurs,  et  qui  sont  ici  décrites  exactement)  : 

Li  champs  fu  d'argent  diaspré  Ot  testes  de  laides  figures 

Et  des  armes  le  roi  Ireté,  De  Sarrasins  plus  noirs  que  meures. 

Et  par  dedeiis  les  freteûres 

La  femme  d'Adam  Le  Panetier,  les  deux  lilles  de  Jehan  Le  Rede 
les  accompagnent.  Les  atours  de  ces  dernières  étaient  «des  armes  a 
l'empereour  »  : 

Donés  leur  furent  par  amours. 

Défllent  encore  les  femmes  de  Thoiiias  Bricliart  «le  joenes»,  de 
Pierre  de  Ruci,  de  Nicolas  Le  Keu,  de  Colart  de  Paci  (fille  de  Nicolas 
Le  Flament),  de  Jehan  Aronde,  de  Marques  de  P'errières,  de  Jehan  Le 
Petit, de  Philipjie  Forré,  «la  flour  des  Rordonois».  Et  aussi  «la  roine 
du  Perche»,  avec  la  fdle  de  son  beau-fds,  la  femme  d'Heusselin,  la 
femme  de  Robert  Lescuier,  les  filles  d'Hugues  Quillier,  la  femme  de 
(lielTroi  Chainiau  (ou  Chauviau).  Toutes  ces  personnes  étaient  aux 
(ordres  de  la  Gencienne  : 

Ce  fu  la  famé  Gencien 

Qui  conduisoit  celés  de  Grève. 

Mais  les  troupes  adverses  sont,  maintenant,  en  présence.  Geneviève 
d'Asnières  et  Peronnele  des  Champs  haranguent  les  leurs  respective- 
ment. Le  combat  s'engage  enfin,  et  si  roidement  que,  tout  de  suite, 
ces  dames 

.  .  .  en  un  mont, 
Jambes  levées  contremont, 
Se  jetèrent  enmi  la  prée.  • 

La  femme  de  Pierre  «  Cormaillas  »  empoigne  la  femme  d'Adam  Le 
Keu'*'.  La  Cristaliere,  qui  ne  pense  plus  «a  hobeler  n'a  gaaignier», 
tombe  par  terre,  et  son  adversaire  s'écrie  :  «  Saint  Germain  et  Saint 
Gervais  »  !  La  Crespine  reçoit  sur  la  tête  un  «  plançon  de  chesne  »,  lancé 
de  loin  par  «  Noblete  »,  qui  paraît  être  une  des  filles  de  Loys  Chauçon. 

'''  «Cormaillas  (plus  haut  :  de  Cormeilles)»         haut  de  la  femme  d'Adam  Le  Keu.  «Adam» 
eit  à  la  rime.  —  H  n'a  pas  été  question  plus         pour  •  Oudart  •  ? 

37. 


292  PIERRE  GENCIEN. 

La  femme  de  Jehan  Phelippe,  courant  an  secours  de  sa  compagnie, 
frappe  la  Cliastelaine ,  qui  riposte ,  sur  la  boucle  de  son  écu ,  puis  Jeanne 
d'Eaubonne  sur  son  heaume.  Les  dames  de  Saint-Gervais  souffrent 
beaucoup;  celles  de  Saint-Merri  l'emportent.  Peronnele  des  Champs  en 
personne  aurait  été  prise  et  honnie  si  la  seconde  «  route  »  de  son  parti, 
celle  de  «  la  Bigeuse  »,  n'était  survenue.  La  Barbete  mord  alors  la 
i)0ussière.  Mais  la  «  route  »  de  la  femme  de  «  dant  »  Gencien,  celle  de 
Grève,  s'ébranle  à  son  tour.  Combats  singuliers  entre  dame  Marie  (ce 
])rénom  est  celui  de  la  Gencienne),  et  Eudeline  la  Sommeliere 
qu'elle  renverse  et  apostrophe  homériquemenl;  entre  Ysabiau,  la 
femme  de  Colarl  de  Paci,  et  la  «  Mestresse  des  .viii,  vins»,  qui  com- 
mande la  Courroierie;  entre  l'ainée  des  fdles  de  Jehan  Sarrasin  et  la 
femme  de  Bertaut  Bourgoignon;  etc.  Belle  défense  de  «la  roine  du 
Perche»,  désarçonnée,  qui  réussit  à  se  remettre  en  selle  et  que  la 
femme  de  Jacques  Boucel  abat  enfin.  Les  dames  «  devers  le  Moncel  »'"' 
se  désolent  tandis  que  la  Boucele,  victorieuse,  s'écrie  :  «Montjoie, 
sire  Saint  Merri  »  !  Alors  Peronnele  des  Champs,  la  femme  de  Loys 
Chauçon,  «  la  Biguesse  »  et  da  Mestresse»  rentrent  vivement  dans  la 
mêlée.  Et  les  choses  en  étaient  là 

Quant  d'aventure  aval  les  prez  Coti;  a  armer,  escu  et  lance 

Vint  une  dame  esperonnant.  A  la  dame  d'or  reluisant. 

Je  me  trais  un  petit  avant  Que  vous  iroie  je  contant!'  '' 

Pour  esgarder  qui  elle  estoit;  Haubert  et  chauces  ot  saffrées 

Mes  nus  ne  nulle  ne  savoit.  Et  bracieres  d'argent  dorées. 

Un  destrier  ot  d'fîspaignc  sor  En  son  cliief  ot  hiaume  doré 

Coiiveit  de  couvertures  d'or  D'un  cercle  d'or  avironé  : 

Sans  nisune  autre  connoissance.  Dessus  estoit  li  Diex  d'Arqours .  •  . 

La  survenante  désarçonne  la  Chauviele'^',  dont  elle  offre  le  cheval 
à  l'auteur,  pour  qu'il  voie  mieux.  Elle  fait  d'abord  merveilles.  Mais 
enfin  une  dame  du  parti  adverse  la  provoque  en  combat  singulier,  et 
remporte.  Le  nom  de  celle-ci?  Comme  chacun  l'ignorait  : 

En  ses  armes  mis  mon  avis,  De  sinoples  toutes  brodées, 

Qui  estoient  d'or  fm  luisant  Et  d'argent  menu  rosetées; 

Au  lyon  de  seble  rampant,  A  ces  armes  fu  conneûe .  .  .'". 

''  Le  Moncel  Sainl-Gervais.  Voir  un  exemple  '''  Feinnje  de  G.  Chauviau  ? 

cite  dans  le  Dictionnaire  de  Godefroy,  au  mot  '''  Mais  nous  ne  la  reconnaissons  pas. 

«  Moncel  •.  ' 


SON  POÈME.  293 

Ce  fut  là  un  grand  malheur  pour  le  parti  de  Saint-Merri.  A  cette 
vue,  «  quand  elle  vit  a  terre  la  dame  qui  maintenoit  toute  la  guerre  », 
la  femme  de  Jacques  Ferri*''  s'élance  et  abat  la  Marqueté.  La  femme 
de  Colart  de  Paci  accourt  aussi,  à  la  tête  de  vingt  dames.  Celle  d'Adam 
de  Meulant  s'empare  de  la  Mestresse.  Exploits  de  celle  de  Jehan 
Begon.  Mais,  finalement,  si  la  nuit  n'était  venue,  Saint-Merri  aurait 
été  vaincu  bel  et  bien;  car  il  avait  eu  le  dessous  depuis  le  moment  où 
son  mystérieux  chanq)ion,  la  dame  à  la  targe  dorée,  avait  été  ren- 
versée. Il  n'y  eut,  néanmoins,  déshonneur  pour  personne. 

III.  Ce  poème  qui,  comme  Fauchet  fa  très  bien  dit,  «peut 
«  estre  ieu  pour  la  mémoire  d'aucunes  familles  de  Paris  plus  que  pour 
«  excellence  du  slil  »,  —  car  il  est  d'une  incroyable  pauvreté  d'inven- 
tion, tristement  monotone  et  sans  fantaisie'-'  —  appartient  à  la  famille 
bien  connue  des  poésies  énumératives  dont  la  description  d'un  com- 
bat, où  les  champions  sont  des  dames,  fournit  le  cadre'^'.  Il  est  fort 
inférieur  aux  bluettes  du  même  genre,  plus  anciennes,  de  Huon 
d'Oisi  et  de  Richart  de  Semilli;  mais  il  offre  cette  particularité  unique 
que  les  dames  mises  en  scène  n'appartiennent  pas  à  la  noblesse  :  ce 
sont  des  bourgeoises,  de  ces  bourgeoises  de  Paris  dont  le  luxe,  au 
commencement  du  xiv"  siècle,  étonnait  les  étrangers. 

Le  thème  d'un  tournoi  fictif  entre  bourgeoises,  armées  et  armoriées 
de  pied  en  cap,  paraît,  au  premier  abord,  bizarre.  Il  ne  l'est  pourtant 
pas  beaucoup  plus  que  celui  d'un  tournoi  du  même  genre  entre  dames 
de  haut  parage;  car  il  est  assuré  qu'en  fait,  au  xiv*  siècle,  les  bour- 
geois des  grandes  villes,  et  notamment  de  Paris,  pratiquaient  entre 
eux  les  sports  des  gentilshommes,  à  l'imitation  de  ceux-ci.  Sur  ce 
point,  la  Chronique  parisienne  anonyme,  publiée  par  A.  Hellot,  au  t.  XI 
(i884)  des  Mémoires  de  la  Société  de  l'histoire  de  Paris  et  de  l'Ile  de 
France ,  est  très  instructive.  On  y  lit  que,  en  mai  i3o5  ,  eurent  lieu  à 
Paris,  en  place  de  Grève,  par  les  soins  de  Renier  Le  Flamenc,  bour- 
geois de  Paris  et  maître  de  la  Monnoie  du  roi,  et  de  Pierre  Le  Flamenc, 
son  frère,  les  joutes  d'un  certain  Gencien   Crestien,  bourgeois  de 

'"'  Personnage   cilé    ici    pour    la   première  analogues  [Romania,  t.  XLIV,    igiS,  p.  5ii- 

foi».  .  554). 

'*'  G^mparer,  à  cet  égard,  le  Tournoiement  ''*  Voir  A.  Jeanroy,  Noies  lar  le  Tournoie- 

rf'enyèr.  d'un  anonyme  à  peu  près  contemporain,  ment  des  dames,  dans  ItRomania,  t.  XXVIil, 

dont  le  plan  et  le  mouvement  sont  tout  à  fait  >S99,  p.  23a-a4d. 


29 'i  PIERRE  GENCIEN. 

Paris,  '<  attendant  de  la  feste  ",  c'est-à-dire  champion  de  la  ville  contre 
Ions  venants,  notamment  contre  des  bourgeois  de  Rouen  et  d'autres 
villes  du  royaume'"'.  Gefroi  de  Paris  dit,  dans  sa  Chronique,  que, 
lors  des  fêtes  populaires  de  i  3  i  3,  il  y  eut  nn  tournoi  de  petits  enfants  : 

La  fu  le  tornoi  des  enlants 

Dont  chascun  n'ot  plus  de  .\.  ans'^l 

Le  chroniqueur  anonyme  dit  encore  que,  le  24  jnillet  i320,  les 
bourgeois  de  Paris,  en  l'amour  et  obédience  du  roi,  de  Louis  de 
Clermont,  de  Robert  d'Artois  et  d'autres  barons  présents,  joutèrent 
"joyeusement  et  iionorablement  »  en,  l'ile  des  Juifs,  à  la  pointe  de  la 
Cité*''.  Mais  c'est  sous  l'année  i33o  que  cet  auteur  lournit  à  ce  sujet 
les  détails  les  plus  abondants,  qu'il  est,  semble-t-il,  seul  à  fournir  : 

Après  ce  que  aucunes  des  viilez  de  France,  par  plusieurs  foiz,  eurent  nppelez 
ceux  de  Paris  pour  jouster  a  eux  ...  et .  .  .  disoient  que  ceux  de  Paris  feste  publique 
n'osoient  faire,  les  gouverneurs  et  les  menistres  et  ceux  de  Paris,  qui  mont  desiroient 
a  la  ville  de  Paris  faire  honneur.  .  .  et  a  qui  les  parolles  des  gens  dVstranges 
nacions  estoient  souvent  rapportées,  Jehan  Gencien,  Jehan  Barbeite,  fdz  jadis 
Estienne  Barbete,  Adam  Loncel,  prevost  des  marchans,  Jehan  Billouart  et  Martin 
des  Essars,  maisires  des  comptes,  a  eux  aliés  tous  les  bourgeoiz  de  Paris,  suppliè- 
rent au  roy  que,  de  sa  grâce,  il  voulsist  donner  congié  aux  bourgeoiz  de  Paris  de 
faire  jouste  contre  les  bourgeoiz  du  royaulme. 

Adonc  le  roy  de  France  Philippe  de  Valoiz,  considérant  la  noblesse  et  la  valeur 
de  Paris,  comment  les  bourgeoiz  et  tout  le  peuple  de  Paris  de  leur  auctorité  le 
rechurent  a  seigneur,  par  la  proiere  de  son  frère  le  comte  d'Alenchon,  Louys  de 
Clermont,  duc  de  Bourbon,  et  l\obert  d'Artois,  comte  de  Beaumont,  leur  octroya 
leur  feste  a  faire  sans  esmouvoir  le  peuple. 

Lors  lesdiz  bourgeoiz,  a  l'exemple  jadiz  du  roy  Priam,  soubz  qui  jadis  Troye  la 
grant  fut  destruite,  et  de  ses  .xxw.  filz,  ordenerent  que  ung  des  bourgeoiz  de 
Paris,  appelle  Renier  Le  Flamenc,  seroit  le  roy  Priam,  et  .xxxv.  des  jeunes  gens, 
enlTans  de  bourgeoiz  de  Paris,  dont  l'en  appelloit  l'un,  qui  estoit  en  lieu  de  Hector 
(le  fdz  au  roy  Priam),  Jacques  des  Essars,  l'autre  Jehan  Bourdon,  [.  .  .]  de  Nelle, 
Jehan  Pazdoë,  Symon  Pasdoë,  llue  de  Dampmarlin,  Denis  Sebillebauch"",  Pierres 
le  Flamenc,  Guillaume  Gencien,  Pierres  de  Paci,  Robert  Miete,  Jehan  de  la  Fon- 
taine, Robert  la  Pye,  Jehan  Maupas  et  plusieurs  aultrez.  .  . 

''  Loi:  cit.,  p.  17,  $  xvi.  '*'  Nom  altéré.  H  y  a  un  Guillaume  tde  Bi- 

'*'  Historiens  delà  France,  t.  XXII,  p.  187,         «quebault  dans  le  Litre  de  la  taille  de  Paris 

V.  4979.  en  t29'2  (éd.  Géraud),  p.  ii(). 
l'i  Ibid..  p.  49,  S  50. 


SON  POEME.  295 

La  fête  fut  annoncée  par  «  le  roi  Piiam  » ,  «  pour  l'honneur  et  amour 
«  des  dames  de  Paris  »;  il  fit  savoir  qu'ils  se  tiendraient,  lui  et  ses  fils, 
yjrêts  à  rompre  trois  lances  contre  tous  venants,  le  io  et  le  2  i  août, 
en  un  champ  situé  entre  Saint-Martin-des-Champs  et  le  Temple.  Au 
jour  fixé,  des  échafauds  avaient  été  dressés,  où  prirent  ])lace  "les 
(I  nohles  dames  et  bourgeoises  de  Paris  mont  très  noblement  et  riche- 
(I  ment  appareliées,  et  la  greneur  partie  de  elles  couronnées  ».  «  Priam  » 
el  ses  fils  joutèrent  contre  des  bourgeois  d'yVnjiens,  de  Saint-Quentin , 
de  Reims,  de  Gompiègne,  de  Vézelai  en  Berri,  de  Meaux,  de 
Mantes,  de  Corbeil,  de  Pontoise,  de  Uouen,  de  Saint-Pourçain ,  de 
Valenciennes,  d'Ypres.  Un  des  champions  de  Gompiègne,  nommé 
PouUet,  vêtu  en  cordelier,  se  moquait  de  ceux  de  Paris,  qu'il  appe- 
lait «  pastez  "  el  qu'il  menaçait  d'une  verge,  dont  il  frappait  plaisam- 
ment ses  voisins  pendant  le  défilé  préliminaire;  il  n'en  fut  pas  moins 
jeté  à  terre  par  un  des  Parisiens  les  plus  chélils.  Paris  resta  victo- 
rieux. Le  22,  grand  dîner  au  manoir  des  Tenqiliers,  sous  des  pavil- 
lons dressés  exprès,  «a  trompes,  tindjres,  tabours  et  nacaires»,  en 
présence  de  Robert  d'Artois,  de  monseigneur  Gui  Ghevrier  et  des 
"Seigneurs  et  maistres  de  la  courte,  sans  parler  du  prévôt  de  Paris, 
du  chevalier  du  guet,  el  de  la  majeure  partie  des  sergents  de  Paris 
à  jiied  et  à  cheval,  «tous  veslus  d'un  drap».  On  donna  le  prix  des 
étrangers  à  Simon  de  Saint-Omer,  champion  de  Gompiègne,  qui 
avait  eu  une  jambe  brisée  pendant  les  joutes,  et  celui  de  Paris  à 
Jac(jues  des  Essars.  Ges  prix  furent  remis  aux  deux  élus  par  la  fille 
d'un  drapier,  Jehan  de  Ghevreuse  :  c'étaient  un  cheval  blanc,  une 
ceinture,  une  aumôuière  et  un  émerillon'''. 

En  i33i,  nouvelles  joutes,  entre  l'hôtel  du  comte  de  Flandre  et 
celui  des  Aveugles  de  Paris.  Gette  fois  les  trois  champions  de  Paris 
furent  Enguerran  du  Petit-Gclier,  Guillot  Rat  et  Asselin  de  Mont- 
martre; ils  s'étaient  décorés  du  titre  de  «Desconfortés  d'amours».  Ils 
joutèrent  contre  des  bourgeois  de  Gompiègne,  Etampes,  Rouen  et 
Senlis.  «Et  a  ceste  feste  ledit  Enguerran  chevauchant.  .  .,  a  granl 
«compagnie  des  bourgeoiz  de  Paris  et  de  ses  .11.  seurs,  l'une 
«d'une  part  et  l'autre  d'autre,  couronnées  richement,  audit  champ 
entra.  .  .  '^'w. 

c  Ibid..  p.  i35.i4i.  —  <''  Ibid..  p.  i46,  S  233. 


296 


PIERRE  GENCIEN. 


Le  poème  de  Pierre  Gencien  a  été  évidemment  composé  pour 
l'amusement  du  riche  milieu  bourgeois  ({ui  se  divertissait  à  ces 
joutes,  où  les  femmes,  comme  on  voit,  assistaient  en  grand  équi- 
])age. 

Mais  à  quelle  époque  ? 

Il  s'agit,  dans  le  Tornoiement ,  d'un  assaut  imaginaire,  que  le  rimeur 
situe  dans  la  région  de  Chelles,  de  Lagni  et  de  Gournai,  entre  les 
dames  de  la  paroisse  de  Sainl-Merri  et  de  la  Courroierie,  d'une  part, 
celles  de  la  paroisse  Sainl-Gervais  et  de  la  Grève,  d'autre  part'''. 

Or,  il  existe  des  comptes  célèbres  de  tailles  levées  à  Paris,  qui  com- 
portent l'énumération  des  contribuables  de  ces  paroisses  et  des  autres 
quartiers  de  Paris  au  temps  de  Philippe  le  Bel,  à  partir  de  1-292'-'; 
et  on  a  en  outre  un  Censier  très  défaille  de  Saint-Merri,  ([ui  est 
de  i3()8>''.  11  suiïil  de  lire  ces  documents  pour  constater  que  la  plu- 
])art  des  noms  ])ropres  qui  ligurent  dans  le  Tornoiement  s'y  n;lrou- 
vent'*'.  Sans  doute  certaines  lamilles,  comme  les  Pizdoë,  les  Bigue, 
les  Boucel,  les  Bourdon,  etc.,  ont  prospéré  à  Paris  pendant  plus 
d'un  siècle;  et  comme  les  membres  de  ces  familles  portaient  souvent 
les  mêmes  prénoms  de  génération  en  génération  ■'',  le  fait  de  la  pré- 


''  Remarquons  à  ce  propos  :  i°  ([ue  les 
hiitels  des  Gencien  étaient  situés  en  bordure 
de  part  et  d'autre  de  la  rue  de  la  Verrerie, 
entre  Saint-Merii  et  Saint-Gervais,  non  loin 
de  l'holel  île  l'ahljesse  de  Chelles;  ■!"  (pi'il  est 
question,  dans  le  poème,  du  pont  de  Gournai, 
que  l'abbé  Lelieut'  ilil  n'avoir  vu  signalé  qu'à 
la  fin  du  xv'  siècle  (  llistnire  df  la  ville  et  de  tout 
le  diocèse  de  l'aris,  l.  l\,\).  6ao),mais  sans 
allusion  malicieuse  à  la  fâcheuse  réputation, 
proverbiale  au  \v'  siècle,  dudit  pont  :  «  Le  pro- 
verbe cduiail  à  Paris  parmi  la  populace,  en 
parlant  d'une  femme  de  mauvaise  vie  :  Elle  a 
pas^r  le  poril  de  Gournai.  M.  de  Valois  ne  craint 
point  d'assurer  pour  certain  (jue  ce  proverbe 
"venoil  de  ce  (]u'autrefois,  lorsque  la  clôture 
«(■tait  moins  observée  dans  les  couvens  de 
«lilles,  les  religieuses  de  Chelles,  dont  la 
«maison  est  de  l'autre  côté  de  la  Marne, 
«presque  \is-à-vis  le  prieuré  de  (iournai,  pas- 
1.  soient  le  pont  et  rendoient  visite  aux  reli- 
»  j;ieu\  de  ce  lieu». 

'*'  II.  Géraud,  Paria  sous  l'Iiilippc  le  Bel,..  . 
contenant  le  rôle  de  la  taille  imposée  sur  les  habi- 
tants de  Paris  en  1291  (Paris,  18:57);  Tailles 


de  1296-1300  (Arch.  nal.,  KK  a83)  ;' Taille 
de  i3i3  (Hibl.  nal.,  fr.  6736). 

''  C.  (Jouderc,  Cartalaire  et  censier  de  Sainl- 
l/cr/y  de  /'km'.ï  ,  dans  les  Me'mnires  de  la  Société 
de  riiistoire  de  Paris  et  de  l'Ile  de  /''r«nce,  t.XVlII 
(1891),  p.  101-271. 

'"'  Ils  s'y  retrouvent,  mais  non  pas  exclusi- 
vement dans  les  ipiartiers  de  Saint-Merri,  de 
Saint-(iervais  et  de  SaintJean-en  (irève.  II  faut 
parcourir  aussi,  pour  les  recueillir,  la  liste  des 
contribuables  imposés  dans  les  paroisses  voi- 
sines et  notamment  dans  celle  de  Saint-(ier- 
inain-l'Auxerrois.  Quoique  le  rimeur  ne  le 
dise  point  expressément,  il  a,  en  dépit  des 
voisinages,  fait  combattre  les  dames  de  la  pa- 
roisse de  Saint-(iermain  avec  celles  de  Saint- 
Gervais  et  de  Saint-Jean-en-Grève  contre  celle» 
de  Saint-Merri;  cf.  le  cri  de  guerre  précité 
(  p.  •.'.()  I  )  :  «  Saint  Germain  et  Saint  Gervais  !  a 

''  D'autre  part,  dans  la  même  génération, 
certains  prénoms  étaient  portés  simultané- 
ment par  divers  pei'sonnages  du  même  nom: 
c'est  ainsi  «pie  dans  les  rôles  du  temps  de  Phi- 
lippe le  Bel,  il  y  a  au  moins  trois  Jelian  Bour- 
ilon  :  l'un,  gendre  d'Adam  de  MeuLint  (KK 


SON  POEME.  297 

sence  simultanée  dans  les  rôles  du  temps  de  Philippe  le  Bel  et  dans 
le  Tornoiement  de  quelques  personna^'es  nommés  et  prénommés  de 
même  ne  signifierait  pas  grand'chose.  Mais  il  est  difficile  qu'un  très 
grand  nombre  de  pareilles  coïncidences  soient  fortuites.  Or,  conime 
dans  le  Tornoiement,  il  y  a,  dans  les  rôles  de  la  taille  de  Paris 
depuis  1292,  une  Peronnele  des  Chans,  appartenant  à  une  famille 
d'orfèvres'"',  un  Jelian  des  Nés  et  une  Jehanne  des  Nés,  un  Simon 
Barbete,  un  Adam  de  Meulan,  un  Jehan  Augier,  un  Pierre  Brichart, 
la  femme  d'un  Philippe  Poon,  un  Jehan  Begon,  un  Pierre  de  Vaires, 
un  Jehan  Aroude  (Arrode),  un  Jehan  Begon,  un  Jehan  Phelippe, 
un  Pierre  Veel,  un  Jehan  de  Chateaufort,  un  Jacques  Ferri,  un 
Jehan  Sarrasin,  un  Jehan  et  un  Jacques Boucel, un  Jelian  d'Ierre,  un 
Jehan  d'Amiens,  une  Jehanne  d'Eaiibonne,  un  Jehan  Marcel,  ctc.'^'. 
11  est  question  dans  le  Tornoiement  d'un  Thomas  Brichart  «  le  jeune  » , 
et  les  rôles  de  1292  et  de  1  296  distinguent  un  Sire  Thomas  Brichart 
et  un  Thomas  Brichart  le  jeune,  son  fils''''.  Dans  le  Tornoiement ,  la 
femme  de  Jehan  Phelippe  a  quatre  oncles  :  Eudes,  Thomas,  Maci  et 
Guillaume  Pidoë;  cet  Eudes,  ce  Maci  et  ce  Guillaume  sont  dans  les 
rôles  de  1292  et  de  1296.  11  est  possible,  grâce  au  rôle  de  1292, 
d'affirmer  que  le  «  maistre  Robert  Le  Keu  "  du  Tornoiement  avait  un 
fils  nommé  Robin''*';  que  «la  Ghauviele  »  qui,  dans  le  poème,  est 
désarçonnée  par  la  jouteuse  anonyme  aux  armes  dorées,  s'apj)elait 
Mabile'*'  ou  Jehanne'*';  et  que  la  femme  de  l'un  des  «Anquetins», 
respectivement  nomjués  Thibaut  et  Lambert,  s'appelait  «  dame  Jaque- 
line»'^'.  Presque  tous  les  autres  noms  cités  par  Pierre  Gencien  se 
trouvent  aussi,  sans  prénoms  ou  avec  d'autres  prénoms,  dans  les 
rôles  :  d'Asnières,  de  Cormeilles,  de  Lyons,  de  Ferrières,  de  Buci, 

a83,  fol.  i4);  l'autre,  gendre  de  Jehan  Arrode  ■■'  Ibid..  y.  -ji. 
(ihid.);  un  troisième,  gendre  de  Jacques  Gen-  '*'  Ibid.,  p.  4l• 
Gien  (i6i<i. ,  fol.  377  V*).  ''*  KK  a83,   fol.   a66  :  «Dame  Jaqueliiie, 

'•'  K.K  a83,  fol.  a34,  a4o  (i3oo).  «famé  Thybaul  Anquelin.. 

'*'  Il   y   a    aussi    un    Jacques   de    Laingni  La  «  roine  du  Perche  ■  du   Tornoiement  est 

(Lagni),   déguisé   dans   l'édition    Géraud   en  peut-être  la  «Jaqueline  dm  Perche»  qui  figure 

•  Jaques  de  Lavigny »  ( p.  ia5).  au  rôle  de    lagG    (KK  a83,   fol.    16  v°;   cf. 

Sur  le»  Marcel  de  ce  temps,  voir  H.  Fre-  fr.  6736,   fol.    a4).  «La    iCoquitlièrci   s'ajn 

raaux,  La  famille  d'Etienne  Marcel,  dans  les  pelait  sans  doute    Geneviève   (KK   383,   foi. 

Mémoiret  de  k  Société  de  t histoire  de  Paris  et  de  373  v').  Les  filles   de   Jehan    Augier,    mort 

rik  de  France,  l.W\,f.  186.  dès    1397,    s'appelaient    Agnès    et    Jehanne 

<''  KK  a83,fol.  3a.  (KK  a83,   fol.   4o),  et  »a  femme    Peronnele 

c  Éd.  Géraud,  p.  18.  (ifciW..  fol.  339). 

HIST.  LITTÉB.  XXXV.  38 


21)8  PIKKKK  (JKNCIKN. 

du  Guet  ou  des  Guez,  de  Paci,  (.liauçon,  Morise,  Ragis  (!a  Ragise), 
Le  Rode,  Maraudé,  Morian,  Hesselin,  etc.  Bref,  il  est  clair  que  tous 
ces  textes,  le  poèiDe  et  les  rôles,  sont  à  peu  près  conteoiporains.  C'est 
le  même  milieu  des  deux  parts.  Loin  detre  démentie,  cette  conclusion 
est  condrmée  d'ailleurs  par  l'aspect  du  manuscrit  unique  du  Tor- 
iioiement,  dont  l'écriture  tl  les  miniatures  sont  du  plus  pur  style 
Philippe  le  Bel. 

On  peut  même  dire  que  le  personnel  mis  en  scène  par  le  rimeiir 
paraît  être  plutôt  des  premières  années  que  de  la  seconde  partie  d«i 
règne  de  Philippe  le  Bel.  Car  c'est  le  rôle  de  1292  qui  fournit  It; 
plus  grand  nonihre  de  noms  communs  au  poème  et  aux  document^ 
liscaux;  on  en  trouve  de  moins  en  moins  dans  les  rôles  postérieurs; 
et  la  preuve  directe  existe,  du  reste,  que  plusieurs  personnages, 
représentés  comme  vivants  lors  du  «  tournoi  »,  n'existaient  plus,  depuis 
longtemps,  sous  Louis  X  ' . 

Un  fait  décisif  vient  enfin  à  l'appui  de  ces  considérations  :  dans  le 
Tornuiement,  Thomas  Pidoë,  oncle  par  alliance  de  Jehan  Phelippe, 
est  >i\ant;  or  il  est  déjà  indiqué  comme  défunt  dans  le  rôle 
de   1292'-'. 

L'ohjeclion  tirée  de  la  remarque  faite  par  .NL  Borrelli  de  Serres 
au  sujet  de  la  présence  de  la  bande  de  France  dans  les  armoiries  des 
dencien,  signalée  par  le  poète  et  dont  on  n'aurait  d'autre  preuve 
que  dans  le  li-oisième  tiers  du  \iv'  siècle,  n'a,  d'autre  part,  aucune 
importance.  Car  :  1°  les  sceaux  des  Gencien,  du  temps  de  Philippe  le 
Bel  et  même  de  la  première  moitié  du  xiv'^  siècle,  lont  absolument 
défaut;  2"  il  est  établi  que,  dès  la  fin  du  xiiT  siècle,  certains  bour- 

''  Ln  actedf  1016  (  Ai'ch.  liai.,  L  596, n*  12  j  la  date  de  leur  moit.  Si  ces  personnes  ne  ligu- 
ai leste,  à  lui  seul,  qu'a  celte  date  étaient  dé-  rcDt  pas  dans  le  Tornoiement,  elles  ont  éle 
cédés  quatre  des  personnages  nommés  au  Toi-  du  moins  liomonjmes,  contem[X)raines  et  pa- 
noienicnt  .  Lstienne  Morise  (■  Jarquelot,  dite  la  renies  de  celles  qui  y  figurent  :  .Vlis  Barliette, 
Morise,  fille  de  feu  tslienne  Morise  ■),  Jacques  femme  de  Jean  Sarrasin  (t  lagS);  Agnès 
Boucel  («Jehanne,  dite  la  Moutonne,  seur  de  '  de  Ferriéres,  femme  de  Baudouin  Boucel 
iéu  Jacques  Boucel  i),  Estiennc  Moriau  (  •  la  (t  i3o3);  Jclianne  Brichart,  maîtresse  du 
maison  qui  fu  Rstienne  Moriam),  Jehan  de  béguinage  de  Paris  [les  t.\iii.  >ins«'?, 
(ihàtcaulort.  (  t  i3 1  a  ),  etc.  Voir  H.  Bouchot ,  //iiifnfoi;r  </e> 
Il  existe  dans  la  Collection  Gaignièies,  à  la  destins  exéculcs  pour  Roger  de  Gaiynieres ,  t.  I" 
IWbliotheque  nationale,  des  croquis  de  pierres  (Paris,  1891),  ii°'  167,  aia,  SigG,  3a49, 
tombales,  jadis  conservées  à  Paris  et  ailleurs,  3396. 

qui  portent  le  nom  de  bourgeois  et  île  l)our-  ''    ¥À.  Géraud,  p.   17  :  «La  famé  l'eu  "Hk»- 

i,eoises  de  Paris  de  la  fin  du  xiil'  siècle,  a\ec  mas  Pii  d"oc.  » 


S()\  POEME.  2<t9 

«fpois  de  Paris,  de  bonne  maison  comme  les  Gencien,  ornaient  leurs 
sceaux  de  cette  bande ''\ 

Il  ne  reste  plus  dès  lors  qu'à  déterminer  la  place  de  Pierre  Gen- 
cien, notre  auteur,  dans  la  généalogie  de  sa  famille. 

11  ne  s'agit  évidemment  ni  du  fondateur  de  la  maison,  Pierr.< 
(lencien,  mort  en  i  2  53,  ni  de  son  fds  Pierre  le  Vieil,  mort  en  129^ 
dans  un  âge  avancé.  Mais  Pierre  le  Vieil  eut  deux  fds,  qui  sont  ainsi 
désignés,  à  coté  de  lui,  dans  le  rôle  de  la  taille  de  1292  :  «Pierre, 
«le  grant;  et  Pierre  »'''.  Cette  duplication  de  nom  serait,  a  priori, 
assez  suspecte  (quoique,  chose  bizarre,  il  y  ait,  en  ce  temps-là,  des 
exemples  d'enfants  de  la  même  famille  qui  portent  le  même  prénom 
usueP;  mais  il  est  certain  que  c'est  unf  erreur  de  scribe  puisque, 
non  seulement  on  lit  dans  le  rôle  de  1  296  :  "  Sire  P.  Gencien;  Pierre, 
«son  fuiz,  le  grant;  et  son  autre  fuiz  » ,  mais  surtout,  dans  le  rôle 
de  1297  :  "Pierre  Gencien;  Pierre  son  fuiz,  le  grant;  Guenart, 
.son  autre  fuiz  » '^ .  Ce  1  Guenart  "  est  d'ailleurs  appelé  «Jehan" 
dans  les  rôles  de  1299  ^^  ^^  i3oo;  mais  peu  importe  ici'*'.  On 
ne  saurait  douter,  d'après  ce  ([ui  précède,  que  Pierre  le  Vieil  et 
sa  femme  Marguerite  n'eurent  qu'un  fils  nommé  Pierre,  lequel  fut 
surnommé  d'abord  «le  grant»;  plus  tard,  pour  le  distinguer  de 
feu  son  père,  on  l'appela  «le  jeune».  C'est  ce  Pierre  «le  grant» 
ou  «le  jeune»,  qui  était  déjà  quatrième  écuyer  du  roi  alors  que 
son  père  en  était  le  premier,  en  1290'*',  et  qui,  en  cette  qua- 
lité, fut  honorablement  tué  près  de  son  maître  à  la  bataille  fie  Mons 

'i3o4). 

C'est  aussi,  sans  doute,  ce  Pierre,  écuyer  du  roi,  qui  a  écrit  le 
Tornoiement.  Car  lui-même  n'a  eu  qu'un  (ils,  «  Genciennet  »,  mort 
en   i3i3'*;  et   il   n'y   pas   d'autres   Pierre  dans   la   généalogie   des 

"    Voir  le  sceau  de  Jehan  Arrode  en   1299  peut-^lre  pour  ■  Jehan  •  dans  le  rôle  de  H97, 

(Doaèt  d'\Tca,Colleclinn  de  sceaax  des  Archives  où      l'errcar      s'expliquerait      paléographique- 

nationales .  a'  4097),  enlièrement  conlorme  à  ment. 

ce  qui  est  dit,  dans  le  Tornoiement,  des  armoi-  '*'  Documents   cités   par   Borrelli  de  .Serres , 

ries  de  sa  femme.  Et  cf.  plus  haut,  p.  aS'i.  p.  600,  note  4. 

•*'  Ed.    Géraud,    p.    119;    cl.    Borrelli    de  "'  Fr.  6736,  fol.  49,  col.    1.  Dans  la  liste 

Serres,  op.  cit.  ,  p.  89.^.  des  contribuables  décédés  depuis  I.1  fête  de  la 

''•  KK  383,*  fol.  58,  col.  1   (renvoi  inexact  chev.ilerie  du  fils  aîné  du  roi  :  «Genciennet. 

dans  l'ouvraf^e  de  Borrelli  de  Serres).  •  fdz  feu  Pierre  Gencien  •.  H  y  a  au  Trésor  des 

'*>  Borrelli  de  .Serres,  p.  .Sg'».  «Guenarti  est  chartes  (Arch.  nat. ,  JJ  48,  n*  i3i)des  lettre* 

.38. 


,^00  PIERRE  GENCIEN. 

diverses  branches  des  Gencien  à  l'époque  où  tout  indic[ue  que  notre 
auteur  doit  être  cherché. 

H  est  d'ailleurs  très  naturel  qu'un  écuyer  du  roi  se  soit  intéressé 
particulièrement,  comme  l'auleur  du  Tornoiemenl,  aux  chevaux'", 
aux  sports  chevaleresques,  et,  à  l'égal  d'un  héraut,  aux  armoiries  et 
aux  devises  des  champions.  La  porte-hannière  de  Geneviève  d'Asuières 
lui  dit  très  pertinemment,  au  début  du  Tornoiement ,  en  l'invitant  à 
reconnaître  les  armes  de  son  chef  de  «  route  »  : 

Tant  ave/,  d'amies  veù  l'eslre 

Que  bien  les  deùssiez  connestre .  .  . 

Et  l'auteur  du  poème  insiste  à  plusieurs  reprises  sur  les  devoirs 
des  écuyers,  dont  le  rôle  est  de  défendre  leur  maître  au  tournoi 
comme  à  la  guerre'"'.  Détail  qui  prend  une  valeur  particulière  quand 
on  sait  qu'il  est  mort  lui-même  en  agissant  ainsi. 

Une  dernière  observation  s'impose.  Lorsque  Pierre  Gencien  le  jeune 
a  écrit  le  Tornoiement,  Gencien  était-il  marié.-*  La  «Gencienne»  du 
poème,  qui  conduit  le  contingent  de  la  paroisse  de  Sainl-Jean-en- 
Grève,  était-elle  sa  femme?  11  l'appelle  Marie  et  parle  d'elle  avec  res- 
pect; on  peut  donc  croire  qu'il  s'agit  de  dame  «  Marie  la  Gencienne  » , 
sa  tante,  femme  de  son  oncle  Sire  Gilles,  mère  de  son  cousin  Jacques 
(lequel  devait  périr  aussi  à  la  bataille  de  Mons),  et  qui,  devenue  veuve 
entre  iQ()3et  1296,  parait  encore,  en  i3oo,  comme  chef  de  lamille, 
sur  les  rôles  de  contribution'^'.  D'autre  part,  Pierre  le  jeune,  notre 
auteur,  s'est  marié  à  une  époque  indéterminée  avec  une  femme  dont 
le  prénom  n'est  pas  connu'*'  et  dont  il  a  laissé  un  fds,  Genciennet,  qui 

de   Pliilippe   le   Bel,  datées    d'octobre    i3i3,  '"'   Pierre  Gencien  avait  une  écurie  à  Paris. 

comme  quoi  Genciennet  de  Paris,  «fils  et  hé-  comme'  il  est  attesté  par  le   livre  de  la  (aille 

rilier  de  feu  Gencien  le  jeune ,  notre  écuyer  n ,  de  1 3oo  (  KK  283  ,  fol.  3o4  v°)  :  «  Robert ,  qui 

a  cédé  au  roi  une  rente  de  8  1.  p.  sur  la  maison  •  garde  les  chevax  Pierre  Gencien  ». 

de  Neslc.  La  rubrique  de  celle  pièce  dans  le  '*'    Tornoiement,  par  exemple  au  v.  34?  : 

registre  du  Trésor  :  Recompensario  cl  assiiinacio  .       .  ■       ,  ■       . 

°    ...  ,.         ,.         A      ■         .      ■    -i  Aussi  comme  escuier  doil  cslrc 

iiilo  Ithr.  terre    acte  l'ctto  trcnciaiio  i  union  ,  scii-  i..  .  . • „•  ,■ ..      ,„ 

■'  .  •'  Au  tornoi  por  anlier  îon  iiir>tre. 

lifeio,  est  tout  à  fait    mexacte,    et    propre    à 

Iromper.  M.Borrellines'estpointaperçu  (p. 6o3,  '''   Borrelii  deSerres,  p.  696,  6o8.  l.a  femme 

note  4)  que  le  «  Hegistre  de  la  Chambre  des  du  cousin  Jacques  s'appelait  Alix. 

comptes   48»,  d'après  lequel  d'Hozier  a  cilé.  '*'   Dans  un  fragment  d'obilu^Nre  parisien  du 

en    restro|>iant,   celle  rubrique    fautive,  n'est  mV  siècle,  qui  se  lit  à  la  fin  du  ins.  ■yc|3  de  la 

autre  que  JJ  48.  Bibliothèque  de  la  Sorbonne,   on  lit:   «xiikl. 


SON  POEME.  301 

céda  au  roi  une  rente  en  1 3 1  2  ,  fut  inscrit  en  1 3 1 3  parmi  les  contri- 
buables de  son  quartier,  et  mourut  cette  année-là  même.  Il  est  pos- 
sible, bien  que  cela  soit  peu  probable,  que,  la  «Gencienne»  du 
Tornoiement  étant  sa  tante,  la  dame  qu'il  «n'ose  nommer»  soit  sa 
lemme.  Mais  peut-être  aussi  est-ce  sa  fiancée,  ou  une  amie  d'avant  ou 
d'après  noces.  Remarquons  d'ailleurs,  à  ce  propos,  que  fauteur  ne 
se  piquait  pas  d'une  fidélité  rigoureuse  :  il  se  dit,  en  passant,  et, 
sans  doute,  en  souriant,  féru  d'amour  à  la  fois  pour  la  Barbelé 
(v.  745]  et  pour  dame  Gile  de  Meulant  (v.  909],  encore  que  ces 
deux  daines  fussent  en  pouvoir  de  mari  : 

C'est  la  faille  Symon  Barbelé.  .  .  Et  me  fera  mes  hoiis  avoir 

Amours,  qui  tes  amans  mestrie,  Par  si  que  je  faciî  savoir,  .  . 


M'a  retenu  de  sa  mesnie , 


C.  L. 


THOMAS  DE  BAILLI,  CHANCELIER  DE  PARIS. 


En  i3o3,  maître  Thomas  de  Bailli'''  était  chanoine  de  Paris 
et  de  liouen  et  professeur  de  théologie  à  fUniversité  de  Paris.  Le 
4  novembre  de  cette  année,  le  pape  lui  accorda  la  permission  de  se 
laire  remplacer  par  un  vicaire  dans  sa  prébende  canoniale  de  Paris '^'. 
Mais,  le  5  mars  i3o/i,  il  fallut,  à  Rome,  réparer  une  omission  :  lors- 
qu'il avait  reçu  sa  prébende,  Thomas  avait  juré  de  n'en  jamais  trafi- 
quer, et  Benoît  XI,  ne  le  sachant  pas,  avait  omis,  par  sa  première 

«sept.  Fit  inissa  de  Spiritu  sancto  pro  Marga-  cliionoloyicus  chartariim .  .  .  Uiiirersitat's  Pari- 
té reta,  uxore  Pétri  Genlien,  pro  qua  habemus  xiensis,  n°  427)  donni--  à  penser  qu'il  était  de 
«(|uinque  s.  censuales  supra  doniuni  que  fuit  BaiUy,  c""  de  Rihéeourt  (Oise),  au  diocèse 
»  Odonis  de  Sancto  Mederico. .  .  ».  Mais  il  s'agit  de  Noyon. 

sans  doute  de  Marguerite,  femme  de  Sire  Pierre  '*'  0  Quia  Parisius  doces  in  tlieologica  Facul- 

Ic  Vieil.  «  tate  et  predicalionibus  et  disputationibus  Ka- 

'■'   B.  Hauréau  le  croyait  originaire  de  Bail-  «cultatis  ipsius  sepius  occuparis  »  (Chartulnrinm 

ly,    c°°  de  Marly-le-Roi   (Seine-et-Oise),   mais  Unhersitatis    Parisiensis,    t.    Il,   n°   637).   Cf. 

une  charte  publiée  par  Ch.   Jourdain   (Index  JoHn\al  des  Savants ,  188/1,  p.   ifiq. 

"  2 


302  THOVI\S  DE  BAILIJ,  CHANCELIER  DE  PARIS. 

huile,  de  le  relever  de  ce  serment'*'.  Quelques  mois  plus  tard  (16  juin 
i3o4),le  Saint-Siège  lui  donna  un  témoignage  très  considérable  de 
confiance  :  il  s'agissait  de  pourvoir  à  l'administration  de  l'évêché 
de  Paris,  qui  périclitait  à  cause  du  grand  âge  de  l'évêque  Simon 
Matifas  de  Buci,  tombé  en  enfance;  Thomas  fut  désigné  comme 
administrateur  de  l'église  de  Paiis  au  spirituel  avec  Etienne  de  Suisi, 
le  célèbre  archidiacre  de  Bruges,  vice-chancelier  du  roi,  comme 
collègue  au  temporel'-'.  Mais  la  mort  de  Simon  Matifas  survint 
(22  juin)  avant  farrivée  des  bulles  à  destination. 

Une  lettre  des  maîtres  de  la  Faculté  de  théologie  de  Paris  au  roi  de 
France  —  sans  date,  mais  que  Denifle  et  Châtelain  placent  entre 
les  années  i3()4  et  i3o6  —  recommande  maître  Raoul  de  Vémars, 
savant  médecin,  étudiant  en  théologie  pendant  quatorze  ans,  prédica- 
teur à  Paris  et  ailleurs,  pour  un  bénéfice  meilleur  que  celui  donl  il 
était  pourvu  à  Saint-Leu-Taverny '^'.  Thomas  de  Bailli  y  est  nommé 
au  premier  rang  des  maîtres. 

En  juin  \^ià,  Thomas  de  Bailli  s'intitule  chanoine  et  pénitencier 
de  Paris,  maître  et  proviseur  du  Collège  des  Bons-Enfants  près  de  la 
porte  de  Saint-Victor'"';  il  fêlait  aussi  de  la  maison  contiguë  de  Car- 
dineto,  achetée  ])ar  le  cardinal  Le  Moine  pour  y  fonder  son  Collège '''^ 

Il  paraît  comme  chancelier  de  l'Université  dès  le  27  septembre 
1 3 1 6  **"'  et  il  est  resté  dans  cette  charge  jusqu'à  sa  mort.  —  Le  (>arfu- 
laire  de  fUniversité  de  Paris  ofire,  entre  iSiy  et  iSsy,  plusieurs 
lettres  de  recommandation  de  Thomas  de  liailh  à  divers  personnages 
(le  pape,  le  roi,  l'évêque  de  Clermont)  en  faveur  de  maître  Alain 
Gontier,  maître  es  arts  et  en  médecine,  docteur  en  théologie,  de 
maître  Jean  de  Blangi,  etc.  ''';  et  des  lettres  de  Jean  XXll  pour  le  prier 
de  conférer  la  licence  ou  la  maîtrise  en  théologie  à  une  foule  de  can- 
didats, parmi  lesquels  il  en  est  de  bien  connus  :  Pierre  Auriol,  Pierre 
de  Mornai,  Hugues  de  Vaussemain,  Pierre  Roger,  François  de  Mey- 
ronnes,etc.'^'.  —  Le  19  mai  i348,  un  certain  Baudouin  de  Bailli  prend 

'''   Ch.  Graiidjean,  Reijistrei  de  Denoil  XI,  '*  ('Ai.ioun\ain,lndex  chronologicus. ,  p.  qi. 

c.  297.  '"'   Ibid.,  n°  427. 

"'  Journal  des  Savants,    1887,   p;  307.  Cf.  '''   Charlalariuin ,  t.  M,  n"'  742  (cf.  p.  718), 

Charlalarium ,   1.   Il,   p.    10."),   où   Etienne  (ie  7/16,  747. 

Suisi  n'est  pas  identifié.  '*'   ('hnrliilarium.l.  Il,  n°' 7.52  (cf.  n*797), 

(''   Chailulariam.l.  Il,  p.  121.  772,   801,   807,   808,   819,  822,  823,829. 

'*'   Cartulaire  de  Notre- Dame  de  Paris,  t.  III,  —  Histoire  littéraire,  I.  XXXIII,  p.  46o  (Jac- 

p.  219.  ques  de  Lausanne). 


SA  VIE.  303 

la  liberté  de  rappeler,  dans  une  supplique  à  Clément  VI  (Pierre  Roger), 
que  Thomas,  son  parent,  eut  jadis  l'honneur  de  conlérer  la  licence 
au  pontife  :  "  se  esse  de  génère  magislriThome  de  Balliaco,  cancel- 
«  larii  Parisiensis,  qui  vestris  solemnibus  meritis  exigentibus  in  theo- 
«  logia  vos  licenciavit  »  '''. 

Le  plus  ancien  registre  capitidaire  de  Notre-Dame  de  Paris  contient 
plusieurs  mentions  relatives  à  la  succession  du  chancelier  Thomas, 
mort  le  9  juin  i328''^':  dès  le  16  juin,  sa  prébende  fut  attribuée  à 
maître  Guillaume  de  Narbonne'^';  Jean  Courtois,  prêtre,  et  Pierre 
de  Bailli,  exécuteurs  testamentaires  du  défunt,  promirent,  le  17, 
de  retenir  sur  ses  biens  cent  1.  p.  «  pro  complendo  ordinacioneni 
«super  discordia  quam  habuit  cum  domino  Michaele,  etc.,  si 
«  ordinacio  faciat  contra  eos  »*''';  le  22,  maître  Pierre  Barrière  requit 
((ue  la  maison  du  feu  chancelier  fût  vendue,  après  estimation  :  cette 
maison,  estimée  à  180  livres,  qui  fut  disputée  par  G.  Cocatrix  et  le 
cardinal  d'Arrablay,  resta  finalement  à  ce  dernier  pour  i3o  1.  p. '^'. 


SES  ÉCRITS. 

Les  anciens  bibliographes,  depuis  Hémeré,  attribuent  à  Thomas 
de  Bailli  des  quolibets  et  des  sermons  «  conservés,  disent-ils,  dans  la 
«  Bibliothèque  de  Saint-Victor  ». 

A  notre  connaissance,  aucun  sermon  n'est  conservé  aujourd'hui 
sous  son  nom. 

L'exemplaire  de  son  recueil  de  Quolibets  qui  était  à  Saint-Victor,  et 
(pie  Claude  de  Grandrue  a  décrit  sous  la  cote  M  7 '^\  est  considéré 
comme  perdu.  Mais  les  Quolibets  de  Thomas  de  Bailli  sont  fréquem- 
ment cités  dans  une  Lectnra  sur  le  premier  livre  des  Sentences,  com- 
pilée en  i3i6  par  un  anonyme  et  conservée  dans  un  manuscrit  qui 

'''   Chartularium ,  t.  11,  p.  718.  0  Mimatensis    episcopus    ibi    presens    contulit 

■'   C'est  donc  d'un   homonyme  qu'il  s'agit  «eidem...»    —  La   présence    de    Guillaume 

dans  le  fragment  d'obituaire  de  l'Elglise  d'Arras  Durant  à  Paris  à  cette   date  n'a  pas  été  signa- 

<|ui  sert  de  feuille  de  garde  au  uis.  9^5  de  la  lée  dans  sa  notice,  au  commencement  du  pré 

nibliolhèijue  d'Arras  :  •  v  kl.  januarii.  Obitus  sent  volume. 

«l'home  de  Balli,  fratriadomini  Johannis,  mi-  '*'  Ibidem.  Cf.  p.  69. 

lilis,  pro  quo  danlur  xu  s.»  '''  Ibid.,  p.  86,  88,  98. 

'''   Arch.  nat.,  I.L  io5,  p.  54.  «  Et  dominus  '')  Bibl.  nal.,  lat.  14767,  fol.  3l. 


304  THOMAS  DE  BAILLI,  CHANCELIER  DE  PARIS. 

provient  de  Saint-Victor.  A  la  fin  de  cette  compilation,  dont  l'incipit 
est  Quia  magister  in  prima  disdnctionefacit  nientionem .  .  . ,  on  lit  : 

ExpHcit  lectura  supra  primum  Sententiarum  roinpilata  ex  diversis  doctoribus  tt 
l'X  diversis  lecluris,  scilicct  fratris  Thome,  Egidii,  Iltrvci,  Durandi(saltem  in  fine), 
et  t'x  quibusdam  aliis  bonis  k'Cturis,  scilicet  ex  Qiiestionibus  de  Quolibet  quorum- 
dam,  specialiter  magistri  Tbome  de  Balliaco,  et  (|uorumdam  aliorum,  sicut  patet 
in  lectura,  f'acta  anno  Domini  CCC  XVI'". 

Le  compilateur,  dont  les  tendances  sont  thomistes  et  hervéistes, 
indique  assez  souvent  en  marge  que  telle  opinion  énoncée  dans  son 
texte  est  de  Thomas  de  Bailli,  et  il  prend  soin  ordinairement  de  dis- 
tinguer ce  maitre  de  «  frère  Thomas  d'Aquin  »  en  mentionnant  son 
surnom'^'.  11  renvoie  couramment  au  premier, au  troisième  et  au  qua- 
trième Quolibet  du  chancelier,  dont  il  a])paraît  que,  suivant  l'usage, 
les  «  questions  »  étaient  numérotées.  Les  autres  autorités  qu'il  nomme 
de  même  sont, non  seulement  Gilles  de  Rome  et  Hervé  Nédélec,  comme 
l'explicit  en  avertit,  mais  «  maître  Gautier  »'^',  maitre  Henri  Amand^*', 
et  un  maître  qu'il  désigne  par  l'initiale  de  son  nom,  W.,  auteur 
d'une  Lectura.  Des  opinions  de  Simon  de  Tournai  et  de  Guillaume 
d'Auxerre  sont  aussi  rapportées*^'. 

D'autres  conclusions  de  Thomas  de  Bailli,  touchant  l'antériorité  de 
la  production  du  Verbe  à  la  conception  des  créatures,  qui,  comme 
celles  que  la  compilation  de  i  3  1 6  rapporte,  n'ont  rien  de  très  original 
—  ainsi  qu'on  peut  s'y  attendre,  s'agissant  d'un  personnage  officiel  et 
si  bien  en  cour  —  ont  été  mentionnées  et  combattues  par  Jean  de 
Pouilli;  on  l'a  déjà  remarqué  ici  ''"'. 

Les  choses  en  étaient  là  et  l'on  n'en  savait  pas  davantage  sur  le  magnum 
opus  du  chancelier  Thomas,  lorsque,  en  dépouillant  le  Catalogue 
des  manuscrits  de  la  bibliothèque  du  chapitre  de  Worcester''^  nous 

'''  Bibl.  nal.,  lai.  14570,  fol.  74.  '*'  Fol.  8  v°,  59.  Ce  personnage  figure  dans 

*''  Fol.  4  v°  («De  prima  qucstioni'  utrum  le    Charliilarium ,   t.   II,   p.    107,  sous  l'année 

«  relalio    comparata    ad    ess(?nliain   différât   ab  i3o4- 

«essentia   et   quoniodo   relalio  est    in  divinis,  '*'  Fol.  fjo  v°. 

«  require   in  prima   questione   tercii   Quolibet  '*'   Histoire  littéraire,  t.   XXXIV,   p.   272  et 

«magislii  Th.  de  Balliaco»),  3o,  3o  v°,  3i  v°,  273.  CI.  ci-dessous,  p.  3o8,  ligne  a. 

44  v°,  47,  48,  5-i  \°,  56,  66.  Il  y  a  quelques  '''  .1.  K.  Floyer  et  S.  G.  Hamilton,  Catalogue 

renvois  à  «Thomas»  tout  couil.  of  nutnuscriijls  preserved  in  the  Chapler  LiLrary 

'''  Fol.  7  v".  of  Worccsler  cathcdral  (O\(ord,  1906),  p.  tj 


sivs  Kci\n\s.  3or) 

avons  constaté  que  cet  ouvrage  est  conservé  là  dans  un  manuscrit  du 
w"  siècle  (1'  56,  fol.  Q^îg-'iyo)  :  «  fncipiiint  nuujistn  Thome  de  Baliaco 
«Quodlibeta.  Circa  Deiiin  nicliil  fuit  quesitum,  sed  se\decim  quesita 
..  l'uerunt  circa  crealurani.  »  Il  n'est  pas  douleux  ([uc  ce  recueil  soit 
celui-là  même  dont  il  y  avait  un  e\enq)laire  à  Saint-Victor,  car  Claude 
de  Grandrue  décrit  ainsi  le  rns.  M  7  :  ■'  Se\  Ouodlil)ela  magistri 
.(  Tliomae  de  Balliaco,  (jiwnun  primiim  contincns  iO  articulas,  secunduni 
..  continens  i8,tertiuni  i  9,  ([uarliiin  (  lijus  suni  articuli  [sic],  quin- 
-  lum  1  5,  sextuin  17...  "''^ 

En  possession  de  rel  incipit ,  il  ne  nous  a  pas  élé  nécessaire,  pour 
prendre  connaissance  des  Quolibets  du  clianceli(;r,  d'aller  d'abord  à 
VVorcester,  car  nous  avons  aisément  constaté  (pic  le  même  recueil 
se  trouve,  anonyme,  en  un  exemplaire  du  mv*"  siècle",  sous  le  n"  1071 
des  manuscrits  de  la  lîib!i()lliè({ue  d'Avignon.  —  I/e\emj)laire  d'Avi- 
<Mion,  dont  la  provenance  n'est  pas  connue'^',  a  été  exécuté  par  plu- 
sieurs  mains,  mais  toujours  avec  soin,  et  {)res(pir  avec  luxe*'. 

Voici,  d'après  ce  manuscrit,  l'énoncé  des  ipiestions  du  premier 
Quolibet  : 

i.      1 .  Utniin  oninc  f'uliiruin  sit  ali(|iiando  pn-scus. 

2.  Utruin  noliilius  sit  tiatuic  primipium  et  non  limni  (|iiani  ceontia. 

3.  Ulruin  iclalio  crialurc  ad  heuin  sit  idoni  nalitci-  cnm  cssciicia  rr.-aturc. 

4.  Utruni  rclatio  n-alis  in  cicilinis  possit  l'undari  ininudiatr  super  siit)stantia. 

5.  Utruin  niati'iia  prima  possit  ronservari  in  cssr  sini'  onini  forma. 

6.  Utrum  intt'llortus  a<^ens  inicllifjat. 

7.  Utmm  aprilicnsio  in   ol)ji(lo   \olunlatis  sil    lalio    Iminalis  pi-r  <|uam  movpt 

voluntatem. 

8.  Ulmm  actus  morales  lial)eaul  l)onitateni  moratem  a  votuiitatc  \*;l  ab  olyocto. 

9.  Utrum  prosurutio  et  f'ujja  in  votuntate  sit  unus  actus. 

'"   Il  est  à  iioliT  que  le  n)|iisto  du  manuMiil  —  Du  loi.  70  au   loi.    107,  (lurstions  (livcrscs 

de  VVorcester  a  (TU  que  l'ouvrage  ilo  Tliomasde  donl  rien  irinili(|ue  les  auteurs.  —  Du  loi.  107 

Bailli  s'arcélait  après   le   second  Quolibet,  de  au   loi.    i3i,   oaliicis   ixéculés   pr  le    imnie 

sorte  qu'il  a  intitulé  les   Quolibets  il!   à  \'I  :  m  iil>e  (jue  qu.l(|n(s  uns  de  ceux   des    Quod 

«Quodlibeta  altcrius  aucloiis.  »  Celte  erreur  a  lihcta  de  Thomas  de  Bailli.  Ces  cahiers  coiilieu 

été  reproduite  dans  le  Catalo-iue  de  Ployer  et  n.'iit   des  questions  de   Deo  dont    les   auteurs 

HamiUon.  """>'  nommés:  «Consalvus,  Minor.  Kquardus, 

"'   Calnlnfjue  ijcnérnl  des    iiiiiiiiisnils  des   hi-  «  Prediralor.    Krnaldus,    Vugiislinensis.   J.  Sa- 

Miolhèques   publiques    de    hunce .    I.    \XV1I,  .  piens.  »  —  Du  loi.  i3i  au  fol.  ir)6,  questions 

p   4q2.  anonymes  (Inc.  :   «Utrum  soll    Deo  ronvenial 

''•  Comme  beaucoup  de   manuscrits   scolas-  «  possocreare  »),dont  ily  a  un  autre  exemplane, 

tiques,  le  ms.   1071  <r\vif,'n()n  se  comiioso  de  pareillement  anonyini-,  dans  le  ms.   lôa  delà 


divers  opuscules,  distincts  et   reliés  ensemble.  Ribliothècpie  de  'I  royes. 


HIST.  I.ITTKR.  W\\. 

2  2  * 


39 


;i06  TIIOMVS  l)K  BAILM,  CHWGELIKK  DE  PARIS. 

10.  Utniin  (liUrtid  .t  deltctatio  in  \oluiilatc  sint  omnino  idem  Hctus. 

1  1 .  Utrum  in  nol)i>  -inl  jxinendi'  aliqui'  virtutcs  morales  infuse. 

12.  Utnim  in  vnlinilatc  sini  ponende  ali(|ue  \eritates  morales. 

13.  Utrum  justiria  |)ailicularis  sit  eirra  passiones. 

14.  Ltium  MKinarlius  \(1  clericus  (jui  non  liai)et  redditus  nisi  eeclesiasticos  possit 

(lai't'  miinria  ikim  indigentil)Us. 

15.  Utrum  r<ligi()>us  liahens  cuiam  animarum  magis  Icneatui-  ohedire  cpiscopo 

dyoersis  \el  al)i)ati  suo. 

16.  Utrun»  senlentia  exrommunicatittnis  pronuiigata  generaliter  ah  aliquo  prelato 

lif^cl  sul)dituni  existentem  in  scolis  extra  suam  dyocesim. 

Ce  premier  Quolibet  commence,  comme  on  voit,  par  des  questions 
de  haute  métaphysique  et  s'achève  par  l'examen  de  cas  de  conscience 
disciplinaires.  Il  en  est  de  même  des  suivants;  cette  disposition  était 
alors  conforme  aux  usages. 

Voici  le.s  questions  du  second  Quolibet  (fol.  i4)  : 

II.     1.  Utrum  \erita>  sit  in  Deo  absolute,  prêter  liabitudiuem  ad  intellectum. 

2.  Utrum  Christus  meruerit  sibi  premiiun  essentiale. 

3.  Utrum  rreatid  et  ronservatio  créature  sint  idem. 

4.  Utrum  mundus  potuerit  iieri  antequam  sit  factus. 

5.  Utrum  in  reiatioiii' reali  unum  extremum  possit  stare,  altero  non  existeiite,  re 

\el  ratione. 
0.    Utrum  aliquid  agin>  agat  pereamdem  formam  et  recipiat  eundem  motuin. 

7.  Utnun,  sup|)()sito(piod  inhomine  «uni  anima  inteliectiva  sit  tantumuna  forma 

alia,  utrum  illa  forma  sit  anima. 

8.  Utrum  idem  re  et  ratione  sit  ohjectum  inteilectus  et  Noiuntatis. 

9.  Cujus  potencie  eogilare  sit  actus. 

lu.    Ulrum  lionu)  magis  halxat  dominium  super  actum  cogitationis  quam  super 

artum  deieclationis. 
1  1 .    Ulrum  poni  tiles  intellectum  esse  causam  ellicieiitem  sui  actus  habeant  poiiere 

(|U(>d  actus  inteilectus  distinguantur  per  objecta. 

12.  Litium  prudencia  sit  una. 

13.  Utrum  idem  homo  sit  simul  vitiosus  et  virtuosus. 

14.  Ulrum  iiomo  in  statu  imiocencie  j)Ossit  per  actum  dilectionis  sic  lerri  in  Deum 

quod  sit  comj)rehensor. 

15.  Utrum  cdiilitens,  nisi  contritus  sit,  postea  teneatur  confiteri   eadem  peccata. 

16.  Utrum  uxor,scieiis  maiitum  suum  essefornicarium,pcccetmortaliterrcddendo 

ei  debitum,  si>c  fuerit  (>xacta  [sic]  sive  non. 

17.  Utrum  liceat  religioso  sine  licencia  sui  superioris  impelrare  litteras  confes- 

sion is. 

18.  Utnnn  confessus  viilute  talis  littere  teneatur  superiori  suo  precipienti  eadem 

confiteri. 


SKS  KCRITS.  307 

Le  troisième  Oiiolibet  (fol.  27]  est  celui  qui  a  été  le  plus  souvent 
cité  par  le  compilateur  de  i3i6  : 

III.  I.    Utruni  rtlatio  in  diviiiis   compiirafa  sil   ad  suiit)»  Icntiimmi  sicut  paternitas 
ad  liliatiomrn'". 

2.  Utium  putcncia  Doi  productixa  neaturc  n-feraturad  n-.'alinain  nova  iflatioin' 

secundum  rationcni. 

3.  Utrum  Dciis  possit  farcrp  rontiniuim  romposittim  i'\  iiidl\isihilil)u.s. 

4.  Utrum  possihilc  sit  ([uod  duo  a<j<'nria,  distinota  spccic  ronnuiaiit  ad  pundeiu 

eltectuni  et  tamcn  uiuim  iioi»  agat  in  alteruiu. 

5.  Utruni  iiuda  tsht'ncia  créature,  sul)  piopriaratioiu'  ism  ncii.,  >ii  perse  ol)iectuni 

alicujus  jjotenrie  cognitiNe. 

6.  Utruni  possil)ile  sit  per  ([uaincinupie  p(jtenciani  realia  aeeiih  nlia  pluia  numéro 

ejusdeni  speciei  esse  in  codem  sul)jecto  numéro  simili. 

7.  Utioim  in  angelo  sit  ali(|ua  potencia  ab  intellertu  et  volimtate. 

8.  UtiTim  alirui  homini  deheat  imputari  idem  (|uod  non  potest  vitare. 

9.  Utrum,  suppositae(|ualitatep(jtenciarum  anime,  objecta  déterminent  actussul) 

ratitjiie  (pia  sunt  inclioati\a  actumn,  m'1  suI)  latioiie  (|ua  sunt  terminativa 
actuum. 

10.  Utrum  \oluntas,  alitpiid  volendo,  possit  nolle  se  velli'  illud. 

11.  Utrum  alicpiis  appetitus  setpiens  cof^nitionem   possil    l'erri    in  objeclum  suh 

ratione  qua  non  est  actualiter  apprehensum. 

12.  Utrum  peccatum  originale  sit  in  anima  vel  in  carne  sicut  in  subjecto. 

13.  Utrum  circumstantia  peccati  det  ei  s])eciem   aut  \ariet  ipsum  traiislerendo  in 

aliud  genus  peccati. 

14.  Utrum  perjurium  sit  majus  peccatum  quam  bomicidium. 

15.  .Su|)pf)sito    quod   in   caritate    sint    gradus,    utiuni,    eurn    caiilas    inlenditur. 

gradus  unus  intensus  essencialiter  corrumpatur. 

16.  Utrum  latitude  hujusmodi  graduum  accipiatur  secvnidum  modum  ((uantitatis 

continue  et  discrète,  id  est  ulnim  sint  equalis  perlectionis  \cl  inequalis"' . 

17.  Utrum  si  persona  ecclesiastica  ([ue  ex  debito  tenetur  ad  boras  canonicas,  si 

in   dicendo   boras  convertat   scienter  attentioiiem    snam  ad   alia,    peccel 
m(jrtaiiter. 

18.  Utrum  doctores  juris  canonici  et  divini,  babentes  pinns  prebendas  vel  béné- 

ficia in  casu  non  licito,  debeant  gravius  puniri  tpiam  simplices  clerici. 

19.  Utrum  persona  ecclesiastica,  de  eo  ipiod  remanet  ultra  necessarium  victum  el 

vestitum  (aciens  elemosynas,  possil  consetpii  vel  mereri  graliam. 

Le  quatrième  Quolibet  (fol.  5o)  commence  ainsi  : 

Sexdecim  querebantiu-.  Tria  circa  Deum,  duo  quidem  circa  ejus  cognitionem. 
Primum  de  ratione  cogiioscendi  ejus,  utrum  %c.  essencia  diiina  ex  se  ipsa  précise  sit 

*''  Cf.  ci-dessus,  p.  3o/| ,  noie  i.  —  ■''   Question  citée  par  le  compilateur  de  iliiti  (/oc.  cit., 
toi.  3o,  col.  3). 

39. 


308  THOMAS  1)K  BAir.LI,  CHWCKMKK   DK  PARIS. 

Deo  ratio  dislincta  nxjnoscendi  uJiijmi.  Sccuiulum  est  de  ordinc  cujiisdani  actus  esscii- 
tialis  inteHertus  ;ul  aclnm  (]Uom(lam  rationaltm,  utnini  se.  in  divinis  cognitio  creatu- 
rarum  prcintcllitiutiti  jinulttctioni  Verhi.  Tcrliviin  i-ral  pcrliucns  ad  potenriani  D<'i 
racione  cuiiis<lam  actus  voliuitatis  cicate  utiiiin  sr.  Drus  pnssit  facere  volitionem  sine 
(juacumque  «/»/»/ «TicfUJoHc. 

Après  ces  trois  (jucslions  au  sujet  de  IVieu,  il  \  en  a  treize  au  sujet 
(les  créatures,  savoir  : 

IV.  4.  Utrum  ])()ssiiit  csm'  duo  spocics  suh  oodcin  f^cncrc 

5.  Utrum  ali(|uid  irralioiialr  liabcat  aliquaiii  cogiiitiomm  cxcedentem  fantasticaiii 

vel  ecstaticaiii  ac  uiiiversaliler  omneiii  virtutein  scnsitivam. 

6.  Ctruni  in  inttUcctu  cl  voluutatc  rcquiratur habitas  adeliciendunisubstantiaiii 

alicujus  actus  <|U('in  iioii  ])osscnt  eliccrc  siiic  illo  babitu. 

7.  Utrun»  (bvcrsc  scicntic  babcaiit  idem  objccluiii  snb  cadem  ratione  formalitcr. 

8.  Utrum  in  voJunlatc  prêter  actum  dcsidcrii  et  ])reter  artum  cnmplacencic  rpiem 

liabent  in  patria  sit  [alius  actus  circa  divinam  essentiam  pertinens  ad  con- 
(cmplalionein. 

9.  Su|)p(>sil(>  (piod  in  actu  ^uluntatis  consistât  essenlialitcr  l)eatitudo,  cpieritiir 

uirnni  ali(piis  possil  esse  beatus  in  via. 
10.    Utrum  caiitas,  e\  eo  cpiod  est  perfedior  et  pofioi'  in  ratione  meriti,  dclxal 

concedi  (piod  sit  peiTi  cfior  simpbciler  onmi  ali(pio  bal)itu"'. 
1  I.    Utrum  caritas  possil  augeii  et  minui. 

12.  Utnmi  (piantitas  in  sacramento  altaris  sit  sine  .sul))ecto. 

13.  Utrum  predicans  teneatur  lacère  omnia  que  prédicat. 

14.  Utrum  expédiât  ulilitati  Ecclesie  (pu)d  sulxUti   ita  eximantur  a  suis  parro- 

cliialibus  ciu'atis   quod  non  teneantui' eis  confiteri  illa  peccata  (pie  sunt 
coidessi  Iratribus  privilej^iatis'^'. 

15.  Utrum  expédiât  utilitati  Ecclesie  cpiod  concubina  curati  confiteatur  eidem. 

16.  Utrum  profilens  in  religione,  oxistens  in  caritatc,  sit  ex  hoc  immunis  a  cuipa 

cl  pena,  ita  quod  cvol.it  si  statim  decedal. 

L'ouvrage  de  Thomas  de  Bailli  s'arrête,  dans  l'exemplaire  d'Avignon , 
au  fol.  72,  apiès  la  quatrième  question  du  cinquième  Quolibet: 

V.  I.   Utiiim  relalio  in  divinis  sit  formalitcr  infinita. 

2.  Queritur,  cum  f^eneratio  in  divinis  recjuirat  essoncie  unitalem  vl  gigncntis  et 

geniti  distinctionem,    (pie  ratio   sit  formalioi    in  generatione   divina   per 
(|uud  distinguitur  abaliisgcncrationibus. 

3.  Utrum  rationiî  demonstrativa  possit  cognosci  (juod  Deus  sit  causa  efllciens 

angelorum,  vel  hoc  sola  fide  teneatur. 

'''  Cf.  le  coin{ii!ateiii'  di'  i3iG  (/or.  cil.,  loi.  3o,  col.  3).  —  '*'  Longue  dissertation. 


SES  ÉCUITS.  309 

4.  Supposito  quod  esse  et  esstncia  rreatuie  siiil  idem  realiter,  et  supposilo  quod 

esscnria  crcitture  sit  al)  elcnio,  ulmm  iinplicel  rontradictionem  dicere 
quod  creatura  non  potest  esse  al)  etcrno. 

A  partir  d'ici,  nous  avons  dû  avoir  recours  au  manuscrit  de  Wor- 
cester.  M.  le  chanoine  Wilson,  bibliothécaire  de  la  cathédrale  de  celle 
ville,  ayant  bien  voulu  communiquer  l'exemplaire  qu'il  conserve  à 
la  Bibliothèque  Bodléienne  d'Oxford,  les  fol.  3 1 6-3  3  9  en  ont  été  pho- 
tographiés jjour  nous.  Nous  sommes  ainsi  en  mesure  de  faire  connaître 
la  suite'"'  : 

5.  Ltruni  humanilas  assuinj)ta   a  diviiio  supposito  in  (îhristo  liaheat   aliquani 

unitatem  icalem  cuni  humanitate  heati  l'etri. 

6.  Utruni  sentire  in  Clirislo  liominc  et  in  hnito  sit  unius  nature. 

7.  Utruni  intellectus  heati  videntis  divinain  essenriam  possit  lormare  de  quo- 

lil)et  appropriato  tjus  conceptum  distinctuni. 

8.  Utrun»  heati  videnttîs  divinain  esseneiani  videanl  oinnia  cciam  que  fueiint '-'. 

9.  Utrum  raritas  infundatur  aiicui  sive  capaeitas  universaliuin  conatuum. 

10.  Queiilur  qiiis  maf,MS  percel,  vcl  traiisf,Mcdiens  prerepta  negativa  vel  oinittens 

adirmativa. 

11.  Utruni  vendere  beneficium  erclesiasiicum  sit  syinoniarum  ex  natura  ipsius 

contractus  vel  tantummodo  tpiia  proliihilum. 

12.  Utruni  residens  in  ioco  exeinpto  j)ossit  recipere  sarranientum  a  quocunque 

sacerdotc,  si  placet. 

13.  Utrum  confessio  oris  sit  de  necessitate  salutis,  habita  oportunitate  sacerdotis. 

14.  Utrum  partes  hostie  fracte  différant  realiter  a  se  ipsis  prout  sunt  in  hoslia 

continua. 

1 5.  Utrum  canonirus  qui  vadit   ad  eccicsiam  propter  distributiones,   alias  non 

iturus,  peccet. 

L'exemplaire  de  Worcester  n'est  pas  complet,  lui  non  plus  :  du 
sixième  et  dernier  Quolibet  huit  questions  seulement,  sur  dix-sept, 
s'y  trouvent,  savoir  : 

VI.  I.   Utrum  dicere,  specialiter  in  divinis,  sit  idem  quod  intelligere. 

2.  Utrum  Deus  possit  convertere  universi^m  vel  totum  mundum  in  granum  milii, 

manentibus  divisionibus  grani  milii. 

3.  Utrum  Deus  sit  primuma  nobis  cognitum  in  racione  objecti. 

C  La  photographie  des  fol.  316-339  du  ma-  <''  Fol.  3i8  v°  :  «Hic  nota  opioionem  H.  de 

nuscrit  de  Worcesler  a  été  déposée  à  la  Biblio-  Gandavu  et  ejus  rcprobacionem  ;  cf.  eciain  opi- 

thëque  des  Archives  nationales ,  où  elle  figure  iiionem  G.  de  Fonlibus  que   non  sulTicit ,  nt 

sous  la  cote  M  m  1 16.  videtur.  • 


310  JEAN   P1T\HT. 

4.  Utruin  actusiiitelligeiuli  prêter  n-spi-rtuni  (jikhI  importât  iiil  inti-lligihilc  iliral 

aliquid  absolutum. 

5.  l  truni  iiiti'Uertusper  eundi'm  artiini  intcllioendi  maneiitcin  pnssit  intflligiMV 

aliquid  ([uod  prius  non  intt'lli<ic'tiiit. 
t).    Utrnin  ununi  et  idem  suh  eadem  Inrrnali   racione  pussit  tsse  objectuni  Intel 
lertu.s  et  volmitatis. 

7.  Utruin  aliquid  possit  esse  intelleelum  ipiod  nullo  modo  sil  Nolitum. 

8.  Ctrum  appelitus  natuialis  p()>sit  esse  respertn  impossiliililatis. 

Des  cent  questions  du  chancelier  Thomas,  qui  turent  classiques, 
et  que  l'on  considérait  comme  perdues  depuis  la  dilapidation  de  la 
bihliolhèque  de  Saint-\  ictor,  il  n'en  manque  donc  plus  maintenant, 
en  somme,  que  nenf. 

C.  L. 


JEAN   PITART 

CHIRIJRGIE>     I:T    poète. 


Jean  Pitart  est  le  premier  chirurgien  français  qui  ait  jeté  de  leclat 
sur  sa  profession ,  encore  décriée  en  notre  pays  à  une  époque  où  elle 
avait  déjà  pris  en  Italie  un  rang  honorable  à  côté  de  la  médecine'". 
L'établissement  en  France,  d'abord  à  Lyon,  puis  à  Paris,  du  célèbre 
chirurgien  italien,  Lanfranc  de  Milan*-',  élève  de  l'école  de  Bologne, 
qui  termina  à  Paris,  en  i  396,  la  rédaction  de  sa  Chirnrcjia  macjna,  dut 
contribuer  à  relever  le  prestige  de  la  chirurgie  et  exciter  l'émulation 
de   nos  compatriotes.  On  a  dit  qu'en  arrivant  à   Paris,  Lantranc  y 

"'   Lo  plus  ancien  traité  do  chiriirpie  rédigé  toiiv  liltéraire.  I.   \XI,  |'.  hi3  et  suiv.);  noii> 

en    Italie  qui  nous  soit    parvenu  est  celui    de  possédons   aussi   plusieurs  versions    en   ancien 

Roger   de   Salerne.    Composé   en  1180,  il  pé-  irançais    voir  flomaHia .  190^,  t.  WXIl,  p.  78, 

nétra  dans  le  Midi  de  la   France  dès  les    pre-  art.  3,  et  p.  91,  art.   10;. 

iniéres  années  du  xni'  siècle  et   y   lut   traduit  '    Voir  sur  lui   l'article  de  I.itlré,   Histoire 

itarliellement,    d'abord    en    vers   provençaux,  litlfraire.   t.   XX\ ,  p.  384  et  suiv.,  et  surtout 

is  en  prose  (voir  flomania,  1881,  l.  X,  p.  6a  Puccinotti,    Storia    delta   medirina     Livoume, 

et   suiv.,  où   l'on  trouvera  des  re< tificalions  à  18.S9),  t.  11,   i'  partie,  1.  VI,  chap.  i3  et  li, 

l'article   publié   par   Félix    Lajard    dans  ['His-  p.   'iii-4'i7- 


SA  VIE.  3JI 

avait  trouvé  un  Collège  de  chirurgie  fondé  par  Jean  Pitart,  en  1271, 
et  qu'il  avait  été  immédiatement  admis  dans  ce  collège,  en  l'igô  '"'  : 
cette  double  affirmation  ne  repose  sur  aucun  document  authentique. 
Lanfranc  parle  de  l'accueil  flatteur  que  lui  firent,  à  Paris,  certains 
maîtres  en  médecine,  nommément  le  doyen,  Jean  de  Passavant''^';  il 
ne  parle  ni  de  Jean  Pitart,  ni  du  Collège  de  chirurgie.  La  biographie 
de  Jean  Pitart  a  été  faussée  par  des  préoccupations  de  boutique  qui 
échaufl'aient  déjà,  au  wi"^  siècle,  la  bile  d'Etienne  Pasquier'^'.  Nous 
nous  efforcerons  de  dégager  l'Iiistoire  de  la  légende. 


S\    ME. 

On  ne  possède  pas  de  document  catégorique  sur  la  patrie  de  Jean 
Pitart C*.  Jean  de  Vaux  le  dit  Parisien  "*);  d'autres  le  tiennent  pour 
Normand,  et  cette  hypothèse  est  plus  que  vraisemblable.  Il  est  même 
permis  de  supposer  qu'il  était  originaire  des  environs  de  Carentan, 
car  le  roi  Philippe  V  lui  fit  don  de  biens  confisqués,  sis  à  Picau- 
ville*''.  Ainsi  s'expliquent  à  merveille  les  relations  de  maître  à  élève 
qui  s'établirent  entre  Jean  Pitart  et  Henri  de  Mondeville,  fils  avéré 
de  la  Normandie''.  En  revanche,  rien  n'autorise  Domfront ^',  ni 
Bayeux'^',  ni  Aunai-sur-Odon''"'  à  réclamer  Jean  Pitart  comme  un 
de  leurs  enfants.  D'autre  part,  des  différentes  familles  françaises  qui 

Puccinotti ,  p.  4  1 7  ;  cf.  Histoire  litléraire ,  auv  preu> es  lingiiisliques  qu'a  réunies  le  D' Bos 

t.  XVI ,  p.  96.  dans  La  Chirur<jie  de  Henri  de Moiidnille,  Paris, 

"^    Histoire  littéraire,  t.  XXV,  p.  a84-386.  1897,  t.    I,  p.'  m.  Mais  il  semble  que  le  lieu 

'    .Les  Chirurgiens,  par  une  vieille  cabale.  d'où   le   c-élèbre  chirurgien   tire   son  nom  soit 

. attribuent  la  première  institution  de  leur  Col-  plutôt  E mondeville  (Manche),   que  MondeiUle 

«lege    à  sainct    Louys,  qui    est   un  abus...»  (Calvados). 

{liecherches  de  la  France,  liv.  IX,  chap.  \xx^ .  '    Courtebolte,  Essai  sur  thisloire  et  les  an- 

L'idée   d'en  laire   un   Italien,  parce  que  tiqailés    de    Domfront    (s*   éfl.,   Caen,    1816), 

sou  nom   est    énoncé  en  latin    sous  la    forme  p.  io3.  Il  est  certain  qu'il  a  existé  à  Domfront 

.lohannes  Pilardi.na  nu  venir  qu'a  un  historien  une  famille  Pitart,  qui  a  donné  son  nom  à  une 

Ignorant  des  usages  du  moyen  âge  (H.  Haeser,  des   tours   de   la    ville,    mais    le    plus  ancien 

Lchrbuch  der  Gescliichte  der  Medizin,  3*  éd. ,  membre   connu   de  cette    famille  n'est    men- 

léna,  1875,  t.  I,  p.  764).  tionné  qu'en  i366. 

''  Index  fuiiereus    chiriirgicnrum    Parisien-  '    Pluquet,  Essai  historique  sur    la  ville  de 

.Miim,  Trévoux,  1711, p.  1.  Hayeua:  (Caen,  1839),  p.  423. 

''  Voir  ci^essous,  p.3i4.  *•    D'  Chéreau,  Henri  de  Mondeville  (Paris. 

Les  doutes  émis  par  Littre  sur  l'origine  iStia;  tirage  à  part  des  Mémoires  de  la  Société 

iiormande  de  Henri  de   Mondeville   [Histoire  ,Us  antiquaires  de  Normandie),  p.  10-11. 
litléraire.  t.  XXVIII,  p.  3a6)  ne  résistent  pas 


312 


.iK\N  piTAirr. 


ont  porté  ou  qui  portent  le  nom  de  Pitart  ou  Pitard,  aucune  ne 
peut  fournir  la  preuve  qu'elle  remonte  réellement  au  célèbre  chi- 
rur{j[ien  '''. 

La  plupart  des  biographes  de  Jean  Pitart  le  font  naître  en  1228, 
date  trop  reculée,  assuréiiieni,  mais  (|ui  ne  le  serait  pas  assez  s'il 
fallait  croire  qu'il  fût  dt'^à  chirurgien  du  roi  Louis  IX  à  l'époque  où 
ce  prince  fit  sa  première  croisade  et  qu'il  l'eut  accompagné,  en  cette 
qualité,  dans  son  expédition  d'outre-mer'-'.  Ln  réalité,  comme  Mal- 
gaigne  et  Chéreau  l'ont  depuis  longtemps  proclamé''',  cette  hypothèse 
est  sans  fondement  :  Pitart  devait  être  au  berceau  quand  liouis  IX 
s'embar(pia  à  Aigues-Mortes  (1  2/(8).  Nous  ne  possédons  pas  de  témoi- 
gnage authentique  sur  son  conq)te  avant  l'année  1  292,  date  où  nous 
I»',  trouvons  inscrit  sur  le  rôle  de  la  taille  de  Paris  parmi  les  contri- 
btiablesdela  rueneuveNotre-L^ame  :  »  Mcstre  Jehan  Pitart,  20  sous'''.  " 
Dès  I  2()8,  au  plus  tard,  il  avait  [)ris  rang  ])armi  les  chirurgiens  de  la 
cour,  car  il  ligure,  à  la  date  du  23  mars,  dans  le  Journal  du  Trésor 
de  Philippe  le  Bel'"'.  Les  tablettes  de  cire  de  Jean  de  Saint-Just  le 
mentionnent  à  plusieurs  leprises,  <'n  fan  iSoo.  Nous  y  voyons  qu'il 
touche  des  gages  pour  ses  services,  ianlot  "  en  cour»,  tantôt  «  hors  de 
la  cour»"''.  A  la  lin  de  i.'Io.),  il  accompagna  Philij)pe  IV  en  Lan- 
guedoc: un  compte  arrêté  à  l'oulouse,  le  26  décend)re,  lui  attribue, 
pour  quarante  jours  de  service,  7  livres,  i3  sous,  /j  deniers,  plus 
trois  robes '^'.  Son  titre  de  chirurgien  royal  lui  donnait  naturellement 
du  crédit  auprès  des  grands  seigneurs  du  ro\aume.  Le  7  juin  i3o8. 


''  l.f  |)liis  ancien  documciil  (|ui  rij^iirc  dans 
les  recueils  généalogiques  manuscrits  des 
D'Ho/.ier  (Bihl.  nat.,  i'r.  28776,  ,'50071  cl 
.'^072 7)  ne  remonte  (jn'à  1  49-^  :  il  émane  d'un 
certain  Jehan  Imitait,  écuyer,  capitaine  de 
liuzet  (Haute-Garonne);  voir  Bii)l.  tial.,  I'r. 
■.!8776,  dossier  5 1802. 

"'  J.  de  Vaux  ne  lui  donne  (jui-  77  ans  au 
moment  de  sa  mort,  qu'il  place  en  i.'ii5; 
François  Quesnay,  en  réimprimant  l'Inde.r 
fuiierrus  dans  s<^s  Recherihes  criliqucs  cl  histo- 
riques sur  l'oriqine  de  la  cliirurtiie  en  France 
(Paris,  17/14),  p-  534, a  changé  arbitrairement 
l<!  chiffre  7  7  en  81. 

"'  Malgaigne,  Œuvres  complètes  d'Anihroisc 
/'nre  (Paris,  iS/io),  t.  1,  p.  xi.iv-i.;  (ihéreau, 
p.   10.  ("f.   II.   Fîerthaud,  dans  le    Ihillrliii  île  In 


Soriétc  française  d'Idstoire  de  la  médecine,  Paiis, 
11)07,  t.  VI,  p.  78. 

''  II.  (îéraud,  l'aris  sons  Philippe  le  liel 
(Paris,  1807:  t^oll.  de  doc.  inédits  sui-  l'his- 
toire de  France),  p.  i^g.  ('f-  Arch.  nat.,  KK 
283,  loi.  271,  où  figure  comme  exempt  de 
taille  à  litre  de  clerc  »  meslre  .lelian  Pilarl, 
mire  ». 

■-'  \\\h\.  nat.,  lat.  5)783 .  fol.  6a  v", 
I  "  col. 

"'  Historiens  de  la  France ,  t.  XXII,  |).  r)if)(:. 
La  lecture  :  Picard  doit  élre  fautive;  Antonio 
(locchi,  qui  a  \i:  premier  publié  ces  tablettes, 
en   17 '16,  a  lu  :  Pitard. 

'■''  [li'itoricns  delà  France,  t.  \XII,  p.  542  v, 
d'après  les  tablettes  de  heims,  où  les  i-tlileiHH 
lisent  aussi  :  l'icardi ,   au  lieu  de  :  Pitnrdi. 


SA  VIE. 


313 


on  le  trouve  à  Conflans,  près  de  Paris,  à  la  table  du  jeune  Robert 
d'Artois;  en  i3 12,  il  fut  appelé  en  Artois  pour  soigner  la  comtesse 
Mahaut,  qui  récompensa  largement  les  soins  dont  il  l'entoura  :  elle 
lui  fit  délivrer  100  livres,  sans  compter  ses  frais  de  route,  des  hanaps 
et  des  r<)i)ps  ])our  lui  et  pour  sa  femme''.  En  janvier  i3i6,  assisté 
de  son  compagnon  (soc/as),  maître  Henri  de  Mondeville,  il  donna  ses 
soins  à  l'évêque  d'Amiens,  qui  traversait  Paris  pour  aller  remplir 
une  mission  administrative  en  Quercieten  Périgord'^'. 

La  confiance  qu'il  inspirait  à  Cliarles,  comte  de  Valois,  frère  de 
Philippe  1\'  et  père  de  Philippe  VI,  est  attestée  par  Henri  de  Mon- 
deville dans  un  passage  souvent  cité  de  sa  Chirunjia  '^'.  Le  prince  lui- 
même  a  tenu  à  témoigner  sa  reconnaissance  à  Pitart  en  inscrivant  le 
nom  du  chirurgien  royal  dans  son  testament,  fait  le  1  7  septembre  i3'i5, 
pour  un  legs  de  5o  livres  tournois'''*. 

Les  registres  pontificaux  nous  apprennent  que  notre  personnage 
avait  un  fils  prénommé  .lean  comme  lui,  qui  embrassa  de  bonne 
heure  la  vie  religieuse.  Le  3o  mai  i3i3.  Clément  \,  à  la  prière  de 
Gui  de  Chatillon,  comte  de  Saint-Pol,  autorisa  ce  fils  à  passer 
de  rOrdre  de  saint  François  dans  celui  de  saint  13enoit'''. 


içois 

'"'  J.-M.  Richard,  Une  petite-nièce  de  saint 
Louis.  Mahaat,  comtesse  d'Artois  et  de  Bour- 
gogne (Paris,  1887),  p.  i54;  cf.  Inventaire 
sommaire  des  Archives  du  département  dn  Pas- 
de-Calais  (\S-]6),  l.  I,p.  369,  reg.  colé  A  398. 
Bien  que  les  coiiiples  utilisés  par  l'auteur  estro- 
pient le  nom  du  praticien  et  .  rap[)ellent 
«  maislre  Jehan  Pierarl  •  ou  •  Precarl  • ,  comme 
ils  le  qualilicnt  «  sirur^ien  le  roy  •,  il  s'agit  cer- 
tainement de  notre  personnage.  Il  ne  iaut  pas 
le  confondre  a»ec  un  autre  chirurgien  royal 
«  Jehan  Le  Mire ,  surourgien  nostre  songneur 

•  le  roy  de  France   et  cjiastelain  du  chasteau 

•  d'Ayre»,  mentionné  en  i.'^o3,dansl7/iiientaire 
cité,  p.  i5î.  Alfred  Franklin  a  été  bien  in- 
spiré en  attribuant  à  Pitart  ce  que  Richard 
dit  de  Preearl  ou  Pierart  ;  cette  attribution, 
qu'il  donne  seulement  comme  très  probable, 
nous  parait  tout  à  lait  certaine  (La  Vie  privée 
d'autrefois.  Les  chirargieiu ,  Paris,  1893,  p.  it, 
note  1). 

'*'  Cf.  le  compte  des  dépenses  de  i'éyéque 
d'Arras,  publié  par  Ph.  de  Bosrcdon  dans  le 
Bull,  de  la  Soc.  hist.  et  arck.  da  Pèrigord ,  1 893 , 
p.  a  16:  •  nec  computat  salarium  magistri  Jo- 

HIST.   LITTÉR.  XXXV. 


•  bannis  Pitart  et  magistri  Henrici,  cjus  socii, 

•  qui  eum  curaverunt   Parisius  ab  infirmitate 
"  pedis  ». 

•''  Littré  a  cHé  [Histoire  littéraire,  t.  XXVIII, 
p.  338)  une  ancienne  traduction  française  de  ce 
passage;  le  texte  latin  original  a  été  publié  de- 
puis parle  D'Pagcl  (Die  Chirurgie  des  Heinrich 
vun  Mondeville,  Beilin,  1892,  p.  ia5). 

'*'  Cf.  Joseph  Petit,  Charles  de  Ka/ois  ( Paris, 
1900),  p.  337,  note  6.  L'auteur  a  lu  à  tort  : 
Picard:  le  texte  original  du  testament  (Arch. 
nat.,  J  iGi",  n°  5/4)  porte  exactement  : 
«A  mestre Jehan  Pilari,  cinquante  livres  tour- 
«  nois.  »  C'est  aussi  à  tort  que  J.  Petit  déclare 
que  Charles  de  Valois  lit  en  même  temps  un 
legs  de  4o  livres  à  Henri  de  Mondeville ,  col- 
lègue de  Pitart  ;  ce  legs  est  fait'  h  un  certain 
«  Guillaume  de  Mondeville  •,  qui  n'est  pas  qua- 
lifié «  mestre  » ,  et  que  rien  n'autorise  à  regarder 
comme  un  parent  du  célèbre  chirurgien  ;  cl. 
Histoire  littéraire,  t.  XXVIH,  p.  335. 

C  Regeslam  démentit  papa  qainti,  n'  gSSo  ; 
Eubel,  iiai/ariumyi-anciic. ,  t.V(Rome,  1898), 
n*  21 3.  Plus  tard,  nous  trouvons  Pitart  fds  au 
couvent  bénédictin  de  L«  Giarité  :  par  buUe 

4o 


314  JEAN  PITART. 

Chirurgien  en  titre  de  la  cour  de  France  sous  Philippe  IV ''\  Pitart 
réussit  à  se  maintenir  dans  la  faveur  royale  après  la  mort  de  ce  roi. 
Nous  ne  savons  rien  de  particulier  sur  ses  rapports  avec  Louis  X,  qui 
ne  fit  que  passer  sur  le  trône,  mais  un  document  authentique  établit 
que  Philippe  V,à  une  date  indéterminée,  lui  témoigna  sa  reconnais 
sance  en  lui  faisant  don,  à  titre  viager,  de  difiTérents  biens-fonds  sis  à 
Picauville '^' et  dans  le  voisinage,  au  bailliage  de  Cotentin,  biens  qui 
avaient  été  confisqués  sur  un  certain  Roger  de  Paris  '^'.  En  février  1 3  2  7, 
Charles  IV  t|ualifie  encore  Jean  Pitart  de  «  dilectus  cirurgicus  noster» 
dans  un  acte  qui  a  pour  but  d'assurer  la  transmission  de  ces  biens- 
fonds,  après  la  mort  du  possesseur  viager,  et  moyennant  un  cens 
annuel  de  2 5  livres  tournois,  à  Robert  du  Sartrin,  garde  du  sceau 
loyal  à  Carentan'''*.  Il  est  donc  bien  établi  que  notre  chirurgien  n'est 
pas  mort  en  i3i5,  comme  on  l'a  alhrmé  gratuitement,  mais  au  plus 
tôt  en  1827,  probablement  même  après  septembre  i328,  car  Robert 
du  Sartrin  fit  confirmer,  à  cette  date,  par  Philippe  VI,  la  donation  de 
Charles  IV '^',  et  il  semble  que,  si  Pitart  fût  mort  dans  l'intervalle, 
son  successeur  désigné  à  Picauville  aurait  notifié  le  fait  à  la  chancel- 
lerie royale. 

Entre  ces  deux  dates,  1^92  et  i328,  se  placent  deux  monuments, 
de  nature  très  dissemblable,  où  figure  le  nom  de  Jean  Pitart,  et  dont 
il  nous  faut  parler  avec  quelques  détails. 

En  i3io,  notie  chirurgien  lit  creuser  un  puits  dans  la  cour  d'une 
maison  de  la  Cilé,  sise  dans  la  rue  qui  prit  plus  tard  le  nom  de 
rue  de  la  Licorne.  Ce  puits  existait  encore  en  1  6 1 1 ,  date  à  laquelle 

«In  28  avril  i3;i3,  Jean  XXIf  lui  donna  une  u  apud  Villani  Looys»,  aujourd'hui  Villuis, 
dispense  pour  qu'il  put  prétendre  aux  dignités  canton  de  Braysur-Seine,  arrondissement  de 
de  l'Ordre.  Lus  étlitions,  fidèles  aux  manu-  Provins;  il  concède  en  même  temps  à  Robert 
scrils  (lu  Vatican,  porli'ut  :  Pirardi,  pour:  Pi-  du  Sartrin,  moyennant  un  cens  de  6  livres 
tardi,  sans  fairu  de  remaripic  (Eubel,  ouvr.  tournois,  les  marais  de  Gorges  (canton  de  Ré- 
cité, n°  494).  riers,  arrondissement  de  Goulances). 

'''   Il  figure,  en  tète  d'un  groupe  de  six  chi-  ■'    Arch.   nat.,   JJG,^",   n°  a84.  L'acte  est 

rurgiens,  dans  un  élat  royal  de   i3i3  (Lude-  daté  du  can)p  près  d'Ypres;  il  reproduit,  non 

«ig,   lïeliquiœ  iitaituscriptorum,  1740,  t.   XII,  pas  l'acte  de  Charles  IV  visé  plus  haut,  mais 

|).  43).  deux  actes  distincts,  datés  également  de  Vil- 

"'  Canton  de  Sainte-Mère- Eglise ,  arrondis-  luis,   février  i3a7,   l'un  relatif  au    viager  de 

sèment  de  Valognes.  Pitart  à    Picauville,    l'autre  relatif  aux  marais 

'^'  L'acte  de  donation  ne  nous  est  jws  par-  de  Gorges.  Cf.  H.  Berlhaut,  ouvr.  cité,  p.  78- 

venu ,  mais  nous  le  coimaissons  par  des  lettres  79,  où  sont  publiés,  peu  correctement,  quel- 

de  Charles  IV  dont  il  va  être  question.  ques  extraits  des  lettres  de  Philippe  VI. 

'•'  Arch.  nat.,  JJ  64,  n*  36 1.  L'acte  est  daté 


SA  VIE.  315 

la  maison  fut  rebâtie.  Il  portait  l'inscription   suivante,  aujourd'hui 
disparue  : 

Jeliau  Pitard  en  ce  repaire.  Ce  puits  eu  [l'an]  mil  trois  cens  dix, 

Cliirurgien  lo  roy,  fit  faire  Dont  Dieu  lui  doint  son  paradis'". 

On  considère  généralement  cette  construction  de  Pitart  comme 
une  œuvre  de  philanthropie,  destinée  à  combattre  le  danger  que  pré- 
sentait dès  lors  l'usage  de  l'eau  de  Seine  pour  l'alimentation  pu- 
blique, et  l'on  voit  dans  l'inscription  nïême  un  témoignage  de  la 
reconnaissance  de  ses  contemporains.  L'inscription  a  dû  être  gravée 
sur  la  margelle  du  puits  dès  l'achèvement  des  travaux,  en  1 3 lo.  Nous 
sommes  persuadés  que  Pitart  l'a  rédigée  lui-même,  ayant  pleine 
conscience  qu'il  avait  fait  œuvre  méritoire  en  construisant  ce  modeste 
édifice.  Rien  n'empêche  de  croire,  mais  rien  ne  prouve,  que  ses  con- 
temporains aient  partagé  ce  sentiment. 

Au  mois  de  novembre  i3i  i,  le  roi  Philippe  IV  promulgua  solen- 
nellement un  édit  qui  réglementait  l'exercice  de  la  chirurgie  dans 
l'étendue  de  la  ville  et  de  la  vicomte  de  Paris '^'.  L'idée  n'était  pas  nou- 
velle, et  le  terrain  était  déjà  préparé.  Dès  le  règne  de  saint  Louis,  le 
prévôt  de  Paris,  Etienne  Boileau,  avait  institué  une  commission  de 
six  «  cyrurgicns  jurez  examineeur[s]  »,  chargée  de  dresser  la  liste  des 
chirurgiens  dignes  d'exercer  le  métier'^'.  Le  lundi  ■>.  \  août  i3oi, 
vingt-neuf  barbiers  parisiens,  qui  exerçaient  la  chirurgie,  furent 
convoqués  personnellement,  et  il  leur  fut  interdit  «  sus  peine  de  corps 
«et  d'avoir»  de  continuer  leur  exercice  avant  d'avoir  été  examinés 
par  les  maîtres'*'.  La  seule  nouveauté  de  ledit  de  i3i  i  consiste  en  ce 
que  le  chirurgien  royal,  maître  Jean  Pitart,  est  chargé  spécialement 
de  présider  et  de  convoquer,  quand  il  y  aura  lieu,  la  commission 
d'examen.  Le  nombre  des  membres  de  cette  commission  n'est  pas 
fixé.  Le  rôle  de  président  attribué  à  Jean  Pitart  doit  passer  après  lui 
à    son   successeur  dans  ses   fonctions  de  chirurgien  royal,  mesure 

'''  Quesnay,    liecherches,    p.    87,    note    6.  sieurs  fois  publié,  notamment   par    Quesnay, 

L'auteur    dit    que  «M.  delà  Noue   vit   celle  Recherches ,  y).  ^3-]- Ho. 

•  inscription    auprès    du    puits    en    la   cour«.  ''•    IJvre  des  Métiers,  titre  XCVI,éd.  R.  de 

n  indique  comme  source  le  registre  E,  feuil-  l.espinasse  et  Fr.    Uonnardol   (Paris,    1879), 

letQi^  v°,  des  archives  de  l'Académie  de  chi-  p.  208. 

rurgie.  f'i  Quesnay,  flecAccc/ieç,  p.  435;  R.  de  Les- 

'*'  Arch.  nat. ,  JJ  46,  n°  a6,  fol.  ao;  Y  a,  pinasse,   Mcliers  et  corporations  de   la   ville  de 

fol.  36;    Y  13,  fol.   167.  Cet  édit   a  été    plu-  Paris  (Paris,  1897),  t.  III,  p.  6a8. 


10. 


316  JEAN  PITAHT. 

destinée  à  assurer  à  l'avenir  l'observation  de  ledit  de  1 3  1 1 .  11  est 
permis  de  supposer,  non  seulement  que  l'influence  prise  à  la  cour 
par  Pitart  a  provoqué  la  publication  de  cet  édit  solennel,  mais  que 
sa  plume  n'est  pas  étrangère  à  la  rédaction  du  préambule,  où  les  abus 
aux([ue!s  donnait  lieu  l'exercice  de  la  cbirurgie  sont  vigoureusement 
stigmatisés,  et  où  la  dignité  scientifique  de  la  ville  de  Paris  est 
i^xaltée  en  termes  magnifiques  qui  méritent  d'être  cités'*'. 

Tel  nous  apparaît,  d'après  les  documents  authentiques,  le  rôle  de 
Jean  Pitart  comme  chirurgien  et  comme  gardien  du  bon  renom  des 
études  chirurgicales  dans  la  capitale  de  la  France.  Si  la  postérité  l'a 
exagéré  en  voyant  dans  Pitart  le  «  fondateur  du  Collège  de  chirurgie  », 
si  (les  apologistes  sans  critique,  pour  rehausser  l'éclat  de  sa  biogra- 
phie, en  ont  faussé  les  limites  chronologiques,  on  ne  saurait  nier  que 
sa  renommée  repose  sur  de  solides  fondements.  L'Kcole  de  chi- 
rurgie de  Paris,  devenue  Académie  au  xviii''  siècle,  ffarda  le  culte  de 
sa  mémoire  et  fit  exécuter  son  portrait  Cette  toile  nous  est  parvenue 
et  a  été  plusieurs  fois  reproduite  par  la  gravure'^'.  Il  e.st  difficile  de 
lui  assigner  une  date  précise,  mais  il  sulfit  de  la  considérer  pour 
afiirmer  qu'elle  ne  remonte  pas  au  delà  d<>s  premières  années  du 
wii"  siècle'^'.  Sur  le  mur  du  péristyle  de  la  nouvelle  Ecole  de  chi- 
rurgie'*', construction  qui  consacra  la  réputation  de  l'architecte  Gon- 
doin  et  qui  fut  inaugurée  solennellement  en  lyyS,  on  avait  fait 
sculpter  cinq  médaillons  en  bas-relief,  hommage  aux  plus  célèbres 
chirurgiens  français  :  Jean  Pitart  y  voisine  avec  Ambroise  Paré, 
Georges  Mareschal,  François  de  La  Peyronie  et  Jean-Louis  Petit. 
Des  poètes  de  circonstance  firent  entendre  leur  voix  à  cette  occasion, 
notamment  le  chirurgien  Périlhe,  à  qui  nous  empruntons  ces  quatre 
vers,  où  le  «  génie  »  de  Pitart  est  révélé  à  la  postérité  : 

l^aro,  Pitart,  La  Peyronie,  Des  bienfaits  de  votre  génie 

Et  vous,  Mareschal  et  Petit,  Vous  allez  recueillir  le  fruit '•^'. 

''  0  Ne  in  villa  Parisiens!,  quae  proprie iocus  •''  Description   et   reproduclion    dans   Noé 

aost   lluentissimi   l'ontis   scienliae,    quse   etiani  hegnnd.  Les  collections  artistiques  de  la  Faculté 

«  sripiitcs    parit   et,    in    utero   recipiens   igno-  de  médecine  de  Paris  (Varh ,  i()i  i,  in-4°) ,  p- 47 

«ranles,  tandem   sua^  l'ontis   sapientiiE  germi-  et  pi.  8.  La  notice  biographique  est  sans  valeur. 

«  nosis   ligalos   rivulis   divcrsarum    facultatum  **'  Aujourd'hui   occupt-e  par  la    Faculté  de 

«  rcddit  scienliis  insignitos,  talia  de  cetero  per-  médecine, 

«pelrenturn  (Quesnay,  Recherches .  p.  i^8.)  '^'  fiabtiol    Mareschal    de     Bicvre,    (ieorges 

'•  Tout  d'abord,   et    lort   librement,    dans  Mareschal,  seigneur  de  liiérre   (Paris,    igoG), 

i'ou\rage  de  Quesnay.  p.  5i5. 


SES  ECRITS.  317 


SES   ECRITS. 

Pendant  longtemps  Jean  Pitart  a  passé  pour  n'avoir  rien  écrit,  ou 
du  moins  on  croyait  que  rien  de  ce  qu'il  avait  pu  écrire  ne  nous  était 
parvenu:  c'est  ce  dont  nos  prédécesseurs  se  sont  naguère  portés 
garants'"'.  Malgaigne  avait  cependant  remarqué  dans  un  recueil 
manuscrit  deux  recettes  médicales  en  français  auxquelles  le  nom  de 
Pitart  se  trouve  attaché'^'.  En  1907,  le  D'  Karl  Siidhoff  a  découvert, 
dans  un  manuscrit  de  la  Bibliotiièque  communale  de  Lunebourg,  une 
compilation  latine  intitulée  :  Expérimenta  mac/istri  Jo.  Pickaert,  qu'il 
a  publiée  sous  le  nom  de  notre  chirurgien '^^  Nous  allons  d'abord 
discuter  le  bien  fondé  de  cette  attribution;  nous  parlerons  ensuite 
d'une  poésie  française  intitulée  :  Le  Dit  de  biijamie,  où  le  nom  de 
l'auteur,  donné  en  acrostiche,  se  lit  :  Jehan  Pitart. 

I.  —  Recueil  de  recettes  médicales. 

Le  D'SudhofT  considère  le  texte  latin  du  manuscrit  de  Lunebourg, 
sinon  comme  le  texte  original,  du  moins  comme  celui  qui  s'en  rap- 
proche le  plus.  Il  suppose  qu'il  en  a  été  fait  anciennement  une  tra- 
duction française,  aujourd'hui  perdue,  mais  dont  deux  manuscrits 
nous  ont  transmis  des  rédactions  plus  ou  moins  développées,  à  savoir 
le  ms.  franc.  i^SaS  de  la  Bibliothèque  nationale  et  le  ms.  1  de  l'Ecole 
supérieure  de  pharmacie  de  Paris,  et  dont  quelques  autres  nous 
offrent  des  extraits  fragmentaires,  notamment  les  mss.  franc.  2001  et 
2o46  de  la  Bibliothèque  nationale  et  le  ms.  1087  de  la  Bibliothèque 
Sainte-Geneviève'*'.  Nous  ne  saurions  partager  cette  manière  de  voir. 

'"'  Histoire  littéraire ,  l.  XVI,  p.  96;  t.  XXIV,  ihèqtie  de  Turin  et  qu'un  autre  manuscrit  de 

p.  471  ;  t.  XXVIIl,  p.  3'j6.  celte  même  bibliotlii'que,  coté  M.  IV.  i  1 ,  con- 

'*'  Œuvres  d'Anibroise  Pare',    t.    I,    p.     L,  tenait  un  abrégé  de  celte  rédaction.  Ces  deux 

d'après  le  ms.  Bibl.  iiat.,  fr.  2001  (alors  coté  manuscrits  ont  péri  dans  l'incendie    du    a5- 

7917)-                      '  a6  janvier  1904.  Le  professeur  Jules  Camus  en 

*''  Ein  chiriirgisches  Manunl  des  Jean  Pilard,  avait  pris  copie  et,  dès  iSgS,  il  promettait  de 

Leipzig,  [1908],  tirage  à  part  de  VArchiv  fur  donner,  avec  le  concours  d'Amédée  Salmon , 

Geschichte  der  Medizin.  une  édition  du  Recueil  en   question ,  qui  n'a 

'*'  II   ignore  que  la   rédaction   française   se  malheureusement    pas  paru    ;   voir  Revue  des 

trouvait  aussi  dans  le  ms.  L.  V.  17  de  la  Biblio-  /niijaesromnnes,  Montpellier,  iSgS.t.XXXVItl, 


318  JEAN  PITART. 

La  comparaison  du  texte  latin  avec  le  texte  français  prouve  clairement 
que  le  premier  a  été  fait  sur  le  second.  Le  traducteur  n'a  pas  toujours 
pris  la  peine  de  mettre  en  latin  le  texte  français  qu'il  avait  sous  les 
yeux;  il  l'a  parfois  reproduit  tel  quel,  avec  plus  ou  moins  d'exacti- 
tude. Tel  est  le  cas  qui  se  présente  dès  la  première  recette,  où  on  lit: 
(I  mittatis  supra  unam  tabulam  quœ  sit  uncta  ex  olio  olivœ,  et  soit  la 
«  toille  hene  forte  de  iina  parte'-^'»,  ce  qui  correspond  au  texte  français  : 
«  puis  la  mettes  sur  une  table  qui  soit  ointe  d'uile  d'olive  et  soit  bien 
<(  frotee  d'une  part  »  *^'. 

Cetle  première  recette  est  ainsi  enregistrée  dans  la  table  des  cha- 
pitres qui  ouvre  le  recueil  de  Lunebourg  :  »  Utilinm  magistri  Johannis 
«  Piccardi  contra  omnes  plagas  tybiarum  et  aliorum  membrorum  '^'.  » 
Que  signifie  le  premier  mot  du  texte  latin  ?  Les  textes  français  flottent 
entre  :  (Yest  /Vs^of r<? <''' ,  C'est  la  taille^^\  C'est  la  tahle^^^  et  C'est  la  toile 
maislre  Jehan  Pitart  contre  toutes  hleceures  de  jambes  et  d'autres  lieus^^K 
La  bonne  leçon  est  toile,  terme  de  l'art  conservé  presque  jusqu'à  nos 
jours  comme  synonyme  de  «  sparadrap  "  '^'  :  le  traducteur  n'a  pas  bien 
lu  ou  n'a  pas  bien  compris  ce  terme,  qu'il  aurait  dû  rendre  simple- 
ment par  tela,  et  il  a  forgé,  au  petit  bonheur,  le  pseudo-latin  utilium, 
auquel  il  semble  attribuer  le  sens  de  «  recette  utile  ». 

Plus  loin,  il  est  question  d'un  «  unguentum  quod  vocaturin  lingua 
«  gallica  rtuter/»'^'.  L'énigmatique  auccct  cache  l'ancien  mot  français 
antrect,  pour  entrait,  nom  générique  signifiant  «emplâtre»,  que  le 
traducteur  a  pris  pour  le  nom  d'un  «  unguentum  »  spécial.  Il  commet 
des  erreurs  autrement  graves.  On  lit  la  phrase  suivante  dans  le  texte 
français  :  «Se  il  y  avoit  boue,  vous  le  savriés  au  flairier  au  nés  :  sy 

p.  4i-  Il  faudra  aussi  Icnir  compte  d'nn  ma-  '''  Bibl.  de  l'Ecole  do  pharmacie,  ms.  n°  i, 

nuscrit  du  Musée   britannique,   Sloane  3 126,  ihid. ,  p.  211. 

dont  des  extraits  se  trouvent  dans  les  papiers  de  '''  Bihl.  nal.,   fr.    laSaS,  ihid.,    p.   a03   et 

Paul  Meyer.  Notons  enfin  qu'une  recette  latine  211. 

contre  la  goutte  lex  parle  magistri  J.    Pitart  ■  '''   La  loile  Jehan   Pitml  n'a  pas  eu,  il  faut 

a    été    transcrite   deux    fois    sur    les    derniers  l'avouer,  le  même  succès  que  la  toile  Gnutiei; 

feuillets   de   garde   du  ms.  120  d'Avranches,  piobahlement   ainsi   nommée   on  souvenir  ilu 

qui  a  appartenu  à  un  médecin  des  derniers  Ca-  médecin  auquel   ÏHistoire  littéraire  a  consacré 

pétiens  directs,  Jean  llellequin.  un  article,  t.  \X1 ,  p.  4i  i4i5.  et  menticonée 

'''   Sudhofi",  p.  211.  par  la  plupart  des  pharmac()j)ées;  voir  notam- 

(')   Ibid. ,  p.  li:t.  ment  Charas,  PAarmncopee  royn/e  (  Paris,  1 67(1), 

'''   Ihid.,  p.  io5-iqo.  p.  569,  et  Littré  et  Robin,  Dicl.  de  Médecine, 

'''  Bibl.  nat.,rr.  2001,  dansSudhoff,  p.  191  au  mot  toile. 

<''   Bibl.  nat.,  fr.  2o46,  ihid.,    p.   196.  '"'   Sudhoff,  p.  222. 


SES  ECRITS.  319 

«  puoit,  il  y  averoit  boue^^\  »  C'est  clair.  Pourtant,  voyez  le  galimatias 
qu'il  en  a  tiré  :  «  Si  scire  volueris  si  sit  boniim  vel  ne ,  quia  si  bonum  sit, 
«vos  senti[reti]s  fetorem  ad  nasum'^'.  »  Evidemment,  le  traducteur,  ne 
comprenant  pas  le  substantif  français  boue,  employé  au  sens  de  «  pus  », 
l'a  pris  pour  l'adjectif  féminin  bone,  «  bonne  ». 

Il  serait  fastidieux  de  poursuivre  la  comparaison  des  deux  textes'^\ 
Mais  si  le  traducteur  sait  très  mal  le  français,  il  est  assez  familier 
avec  l'italien  et  l'espagnol.  Il  écrit  5cor/,'a  pour  «  écor ce  «^'*\fortcze Ha 
pour  «  estomac  »'^',  et  il  appelle  le  son  nmula,  ce  qui  ne  se  comprend 
que  de  la  part  d'un  Italien  du  Nord'*''.  Des  termes  comme  campaiulla 
pour  la  luette'"'',  durasne  ipouv  le  pécher'^',  barrus  pour  la  berle'^',  gar- 
baiizos  pour  les  pois  chiches''"',  viennent  certainement  de  l'Espagne; 
d'ailleurs,  l'auteur  nous  dit  formellement  qu'en  espagnol  les  dartres 
s'appellent  empendes^^^'  et  les  rousses  ou  gardons  vermeroeles'^-'':  On 
peut  donc  hardiment  affirmer  que  le  texte  latin  de  Lunebourg  n'émane 
directement  ni  de  Jean  Pitart  ni  même  de  l'école  niédicale  ou  chirur- 
gicale de  Paris. 

En  fin  décompte,  il  faut  s'appuyer  uniquement  sur  le  texte  des 
manuscrits  français,  lesquels  ne  connaissent  pas  ces  interpolations  exo- 
tiques, pour  déterminer  l'origine  du  Fiecueil.  Malgré  leurs  divergences 
de  détail,  ces  textes  s'accordent  entre  eux  et  avec  le  texte  latin  pour 
attribuer  à  Charles,  comte  de  Valois,  père  du  roi  de  France  Phi- 
lippe VI,  l'initiative  de  la  rédaction.  Voici  ce  qu'on  Ht  dans  le  ma- 
nuscrit de  l'Ecole  de  pharmacie""'': 

Monseigneur  Charles,  conte  de  Valois,  d'Alençon""*  et  de  Chartres  et  d'Anjou, 
list  l'aire  ce  livre,  qui  est  bon  et  profitable  pour  garir  touttes  manier[e]s  de  plaies 

'"'  SudliolT,  p.  aia,  imprime  ainsi  le  texte  '''  Ibid.,p.  aoi. 

français  :  «Et  sce  il  y  avoit  voe  vous  le  sarieres  '*'   Ibid.,  p.  25i;  cf.  l'espagnol  duraznn. 

«.lUX    (lairier  aux   nés  sy    puoit   il    y   averoit  ''    Ihid.,  p,  355  ;  cf.  l'espgnol  herro. 

voe.»  ''"    Vfcif/.,  p.  269.  Le  manuscrit  porte,  parail- 

'*'   Sudhoff,  p.  3  13.  \\,  aorbanzos. 

'''   Notons    cependant   que    le  traducteur  a  •    '   Ibid. ,  \i.  346.  Au  lieu  de /injua  co»e/i(;i(/, 

confondu  le  nom  de  la  plante  dite  aiirone  avec  il  faut  lire  lingaa  castetana;  l'espagnol  moderne 

le  mot    coaronne    et    l'a    rendu     par     corona  dit  empeine. 

(Sudhoff,  p.  226)  ;  qu'il  a  pris  on  petit  chien  '"'   Ibid.,    p.   248.   H   faut    lire    vermejoeles ; 

(anc.  franc,    chael)    pour  un  pourceau   [ibid.,  l'espagnol  moderne  dit  6ermcyoe/a. 

p.  a48K  etc.  '"'  Je  suis  le  manuscrit  et  non  le  texte  du 

'''  Sudhoff,  p.  339  et  253.  D'Sudhoff(p.  306-207),  qui  a  commis  quel- 

'*'  Ibid.,  p.  257;  cf.  l'anc.  franc,  yôurce/c  ques  menues  faute»  de  lecture. 

'°'   Ibid.,  p.  337;  cf.  l'ilal.  dialectal  remola.     .       ''*'   Ms.  :  dekncon.  .   . 


320  JEAN  PITART. 

vieles  et  novelles  et  pour  aucune[s]  aultre[s]  malaidies  aussi.  Et  saichent  certaine- 
ment tous  ceulx  qui  le  verront  que,  se  le  oignement  [sic)  et  \os  chosses  qui  sont  ou 
dit  livre  sont'"  bien  fait  [sic)  a  leur  droit,  et  l'on  en  use  si  comme  l'on  doit,  que 
les  trouvères  merveilleu[se]ment  profitables,  car  elle[s]  sont  bien  esprovee[s]  par 
ledit  conte  de  Valois  et  par  maistre[s]  de  cyrologie  [sic]  des  meilleurs  en  leur  temps 
qui  en  ont  ouvrés  {sic)  en  moût  de  grant  [sic)  maladies,  et  par  especial  ung  moût 
bon  maistre  que  l'on  nonmoit  maistre  Jehan  Le  Picart  {sic),  en  ce  temps  le  meilleur 
qui  fut  (51c),  et  estoit  cirugien   du  roy  de  France. 

Le  manuscrit  de  la  Bibliothèque  Sainte-Geneviève  associe  le  nom 
de  Mondeville  à  celui  de  Pitart  : 

Ensievent  les  reclieites  de  cirurgio  que  Mons'  Charles  de  Valois  fist  faire  et 
acomplir. .  .  par  maistre  Jehan  Picart  {sic)  et  maistre  Jehan  (51c)  de  Mondeville, 
cirurgien[s]  du  roy  pour  le  camp  [corricicr  :  temps]  de  Phelipe  le  Bel,  lors  roy  de 
France,  et  qui  furent  le[s]  plus  soulTisans  en  l'art  de  cyrurgie  qui  aient  demouré 
en  France,  en  l'estude  de  Paris,  dont  il  soit  mémoire '2'. 

Dans  le  corps  même  du  Recueil,  le  ms.  1281 3  de  la  Bibliothèque 
nationale  attribue  nominativement  à  notre  auteur  les  recettes  u"  1  [la 
toile  maistre  Jehan  Pitart)  et  n»  6  [l'emplastre  maistre  Jehan  Pilart). 
Nous  conclurons  sans  hésiter  que  le  Recueil  n'est  pas  l'œuvre  de  Jean 
Pitart,  mais  celle  d'un  compilateur  postérieur.  Ce  compilateur  savait, 
soit  pour  l'avoir  lu  dans  les  écrits  de  Mondeville,  soit  par  des  rensei- 
gnements personnels,  que  le  comte  de  Valois  avait  été  le  protecteur  de 
Pitart  :  peut-être  ne  s'est-il  servi  de  ces  deux  noms  que  pour  donner 
du  crédit  à  son  Recueil.  Tant  que  nous  ne  posséderons  pas  d'édition 
critique,  il  sera  prudent  de  réserver  la  réponse  qu'il  convient  de  faire 
à  ces  deux  questions  :  à  quelle  époque  vivait  l'auteur  du  «  Livre  mon- 
"  seigneur  Charles  de  Valois  »  .^  Quelle  confiance  mérite  la  tradition 
d'après  laquelle  le  père  de  Philippe  VI  en  aurait  provoqué  la 
rédaction .3  En  tous  cas,  il  paraît  certain  que  ce  «livre»  émane  de 
l'école  de  Paris;  le  téuioignage  de  celui  qui  l'a  compilé  est  à  retenir, 
et  il  constitue  une  nouvelle  preuve  de  l'autorité  que  maître  Jean 
Pilart  s'était  acquise  dans  cette  école,  sinon  comme  auteur,  du  moins 
comme  praticien.  On  sait  que  sa  méthode  pour  le  traitement  des 
plaies,  méthode  expliquée  et  suivie  par  Mondeville,  souleva  une  vive 

'''  Ms.  :  lim-e  el  sont,  —  '''  Sudhoff,  [).   197. 


SES  ÉCRITS.  321 


opposition  parmi  les  chirurgiens  et  les  médecins  français  de  son 
temps'''.  De  bons  juges  l'estiment  préférable  à  celle  de  ses  concur- 
rents 1^'.  Nous  nous  en  rapportons  à  eux,  et  il  faut  croire  que  le  senti- 
ment public  se  montra  favorable  à  cette  méthode,  puisque  notre  com- 
pilateur anonyme  a  placé  son  Recueil  sous  le  patronage  de  Pitart  et 
de  son  prolecteur,  le  comte  de  Valois. 


II.  —  Le  Dit  de  bigamie. 

Le  manuscrit  CXXX.  e.  5  de  la  Bibliothèque  de  l'Université  de 
Pavie  nous  a  conservé  un  «  dit  »  français  de  i58  vers  octosyllabiques, 
à  rimes  plates,  intitulé  :  Le  Dit  de  bigamie.  On  n'en  connaît  pas 
d'autre  copie,  et  personne  ne  l'avait  signalé  avant  1870,  date  de  l'édi- 
tion qu'en  a  donnée  le  professeur  Adolf  Mussafia'^'.  L'auteur,  plaidant 
sa  propre  cause,  prend  la  défense  du  clerc  «  bigame  %  c'est-à-dire  de 
celui  qui,  devenu  veuf,  a  contracté  un  second  mariage.  11  proteste 
contre  l'opinion  courante,  (|ui  tient  le  «  bigame  »  non  seulement  pour 
malheureux,  mais  pour  coupable. 

Car  il  en  pert  qui  passe  avoir, 

C'est  priviliege  de  comonne  (v.  10-11). 

'    Le  mariage,  dit-il,  a  été  institué  par  Dieu  lui-même  et  c'est  une 
manière  de  couronne  qui  vaut  bien  la  couronne  cléricale  : 

EtDiex,  qui  toute  rienz  nature,  Nature,  par  quoi  les  coupla, 

Adan  à  Eve  maria.  Et  dit,  en  faisant  dVuls  couple,  a 

Et  aussi  tost  que  mari  a  Qu'il  pensent  de  niouteploier. 

A  li  doujié,  ceste  parole  Obéir  doit  moult  et  ploier 

Leur  dist,  si  com  la  loy  parole  Chascun  à  si  noble  commant  (v.  20-29). 

L'auteur  insiste  sur  la  légitimité  du  mariage,  dont  il  oppose  la  sage 
pratique  aux  austérités  des  différents  Ordres  religieux  fondéspar  des 

'')  Voir  Histoire  littéraire,  t.  XXVlII.p.  336,  tle  Mondeville  (Paris,  189.S),  p.  xvi-xix. 
337,  338.  ''  5irzan7sfcerieAfe  de  l'Académie  de  Vienne, 

<''  Voir  notamment  ce  que  dit  sur  ce  sujet  se.  hist.  et  philol. ,  janv.  mars   1870,  t.  LXI\', 

le   D'   E.    Nicaise,  CAiVurji'e    de   maître  Henri  p.  585  et  suiv. 


HIST.  LlilEH.  —  \xxv. 


4i 


322  JEAN  PITAUT. 

saints  qui  oui  voulu  aller  au  delà  des  obligations  de  la  loi  naturelle  et 
de  la  loi  divine  : 

Et  miex  me  vaut  l>l<iamus  e.stre  Mais  s[ains]  Bernait  et  s[ains]  François 

Qu'antrer  en  reiegiens  estre  E[t]  s[ains]  Dominiques,  françois, 

Et  puis  m'en   repante  demain,  Les  ont,  qui  selonc  leur  voloir. 

Conques  Jésus  (Irist  le  demain  Por  la  \olanté  Dieu  vouloir. 

Des  moinnes  m-  leur  cstablie  Eslunnt  l'ordre  que  maintiennent 

N'establi  par  loi  establie  (\ .  •yi-yô). ..  (iil  qu'orendroit  en  leur  main  tiennent 

Car  Jacobins  n'autre[s]  couvens  l^el  monde  la greigneur  partie  (v.  89-97). 
Ne  Hst  Diex ,  je  \  ous  ai  couvens  ; 

Pour  lui,  il  a  pris  sou  parti  depuis  longtemps  :  il  estime  que  if 
mariage  est  l'état  dans  lequel  il  peut  le  mieux  faire  son  salut.  Pour- 
quoi vilipender  celui  qui  convole  de  nouveau  en  justes  noces,  puisque 
«  le  droit  escript  «  et  «  les  lois  Dieu  »  l'autorisent  à  agir  ainsi  ? 

S'aucuns  prenoit  famés  ja  dis, 

Si  com  aucun  firent  jadis 

Deux  ou  trois,  de  rien  ne  mesfait  (v.  83-85). 

11  s'est  marié  une  seconde  fois;  il  le  proclame,  et  il  estime  qu'il  a 
agi  sagement  : 

Si  di,  qui  cpie  m'en  blasme  ou  prise,  Le  nieillieur,  je  vous  asseûr, 

Qu'an  moi  mariant  n'ai  niespris  Des  estaz,  pour  vivre  asseûr 

A  la  seconde  fois,  mes  pris  Senz  faire  pechié  et  folie  (v.  108-1  i3)J 

Les  vers  i'i/i-i',^-i  contiennent  la  déclaration  suivante  : 

Tant  di  je  bien ,  et  mon  non  dure  Puet  trouver  tout  apertement 

Dusques  ici ,  qui  fis  ce  conte  —  Ou  escripture  aperte  ment  '*'  — 

Qui  de  bigamie  vous  conte.  En  onze  verz  desus  escriz. 

Et  mon  seurnom  tout  h  délivre*').  Dont  1  est  li  premierz  escriz. 
Gii  qui  counnoist  leistre  de  livre 

Guidé  par  le  poète  lui-même,  le  professeur  Mussafia  est  remonté 
au  vers  1 1 4,  qui  commence  effectivement  par  la  lettre  1  (ou  J) ,  et  il  a 

'''   MosMÛa  ne  met  aucune  ponctuation  après  les  vers  1  ag-iSo  sans  aucun  signe  de  ponctua- 

ce  vers.  lion.  Sa  leçon  prouve  qu'il  n'a  pas  compris  le 

W  Mussafia  marque  le  mot  on  d'un  accent  texte  qu'il  éditait,  ce  qui  n'est  pas  surprenant, 

grave ,  le  prenant  pour  l'adverbe ,  et  il  imprime  étant  donné  le  style  pénible  de  l'auteur. 


SES  ÉCRITS.  32.H 

lu  en  acrostiche  le  nom  et  le  surnom  annoncés,  à  savoir:  jehan  pitart. 
Mais  il  s'en  est  tenu  là,  ce  qui  prouve  que  la  notoriété  de  notre  chirur- 
gien n'étail  pas  parvenue  juscju'à  lui'''. 

Le  lecteur  a  pu  se  convaincre,  par  les  extraits  que  nous  avons 
cités,  que  l'auteur  du  Dit  de  bigamie  n'a  rien  d'un  vrai  poète.  Comme 
il  a  été  dit  plus  haut,  le  chirurgien  Pitart  peut  être  soupçonné  d'avoir 
rimé  les  quatre  vers  inscrits  sur  la  margelle  du  puits  qu'il  avait  fait 
creuser  dans  la  cour  de  sa  maison  de  la  Cité,  et  où  son  nom  est  soi- 
gneusement mis  en  évidence.  Le  même  souci  d'attirer  l'attention  sur 
la  personne  de  l'auteur  se  foit  jour,  plus  naivemenf  encore,  dans  le 
Dit  (le  higamie.  Celui  qui  l'a  composé,  hien  qu'il  se  soit  astreint  au 
rude  exercice  delà  rime  équivoquée,  n'arrive  pas  à  prendre  le  Ion 
d'un  poète  d'inspiration  ou  de  profession.  C'est  un  homme  de  sens 
pratique,  qui  cultive  son  «  moi  ••,  que  rien  ne  décidera  à  sacrifier  les 
droits  de  la  nature  aux  exigences  d'un  ascétisme  imprudent.  Nous 
sommes  portés  à  admettre  que  l'auteur  du  Dit  de  bigamie  ne  fait  qu'un 
avec  le  chirurgien  des  derniers  Capétiens  directs,  mais  ce  n'est  là, 
bien  entendu,  qu'une  hypothèse^'. 

Nous  ne  croyons  pas  que  les  bibliothèques  recèlent  d'autre  œuvn' 
qui  se  réclame  du  nom  de  notre  personnage,  soit  dans  le  domaine  de 
la  médecine  ou  de  la  chirurgie,  soit  dans  celui  de  la  poésie.  11  n'y  a 
qu'à  louer  maître  Jean  Pitart  de  la  discrétion  avec  laquelle  il  a  cultivé 
la  muse  française.  Mais  quand  on  songe  à  la  haute  situation  qu'il  a 
occupée  de  son  vivant  comme  chirurgien  et  aux  hommages  qui  lui 
ont  été  rendus  après  sa  mort,  on  lui  en  veut  un  peu  de  n'avoir  pas 
trouvé  le  temps  de  rédiger  un  traité  de  chirurgie,  ainsi  que  l'a 
lait  son  élève  Henri  de  Mondeville,  «ad  utilitatem  communem, 
«  quae  praeponenda  est  utilitati  singulari  ..(^'.  Disons  plus.  On  comprend 
et  on  n'est  pas  loin  d'approuver  la  boutade  échappée  sur  son  compte 
à  un  des  grands  chirurgiens  du  xi\'  siècle  :  «  Pitard  est  une  de  ces 

'■'  Paul  Meyer  a,  le  premier,  supposé  i|.ie  I  auleur  de  notre  Dit.  Un  valet  de  chambre  d.' 

le  poète  pouvaii  être  notre    personnaf,'e   (fto-  Philippe  le  Bel  portait  le  n.ême  nom  :  Johmnef 

'"""'"•  '872  ,  t.  I,  p.  347).  Pitardi.  valletus  ,e<jU  (Compte  de  la  Toussaint 

Un  t  Jehan   Pitart,  drapier»    figure,  en  i ').()9,  Bibl.  nat  ,  rran( .  io365,  p.  i). 

i3oo,   dans   les  livres  de   la    taille  de   Paris  ')   Pagel,  Die    Chirur,,ie    des   Heinrich    von 

(Arch.  nat.,  KK  a83,  loi.  a^o  v°);  mais  on  Mondeville,  p.  lo. 
ne   peut   songer    sérieusement  à    voir   on   lui 


324  GEFROI  DES  NES,  OU  DE  PARIS. 

«  renommées  fantastiques  qui,  comme  ces  héros  de  la  cour  de  Char- 
«lemagne,  tiennent  bien  plus  de  place  dans  la  fable  que  dans 
«  l'histoire'''.  » 

A.  T. 


GEFROI  DES  NES,   OL    DE  PARIS, 

TRADUCTEUR  ET  PUBLICISTE. 


I 

Un  certain  Gefroi  des  Nés  a  traduit  en  vers  français  (556o  vers) 
une  longue  Vie  de  saint  Magloire,  avec  ses  Miracles.  Il  était,  comme  il 
le  déclare  lui-même  à  la  fin  de  cet  ouvrage ,  «  nez  de  Paris  »  ;  et  il  écri- 
vait «a  la  requeste  et  l'instance  de  l'abbé  de  Saint-Magloire  » ,  qui 
venait  de  faire  exécuter  une  chasse  nouvelle  et  magnifique,  en  argent 
doré,  pour  les  reliques  du  saint,  sous  Philippe  le  Long,  en  iSiq; 
il  ajoute  qu'il  «  livra  »  son  ouvrage  (car  c'était  une  commande)  «  droit 
«  le  premier  jour  de  novembre  »,  cette  année-là<^'. 

Il  existe  une  autre  traduction ,  en  prose,  de  la  Vie  de  saint  Magloire, 
qui  fut  achevée  le  28  novembre  i3i5  '^K  Elle  a  été  faite  aussi  d'après 
le  manuscrit  de  la  légende  laline  du  saint  qui  était  alors  à  l'abbaye 
de  Saint-Magloire  de  Paris.  H  y  a  beaucoup  d'apparence  que  cette 
première  traduction ,  en  prose,  est  du  même  auteur  que  la  traduction , 
postérieure  de  quatre  ans,  en  vers;  car  elle  est  soigneusement  datée, 

'''  Malgaigne.  Œuvres  complètes  d'Ambioise  l'histoire  de  Paris,  t.  XIX).  —  Voir  aussi  A.  de 

Pare  (Paris,  i84o),  t.  I",  p.  xi.ix.  La     Borderie,     Miracles     de     saint     Magloire 

'''  Historiens  de  la  France,  t.  XXII,  p.  170,  (Rennes,  1891  ),  p.  a47,  2.57;  douw  cents  vers 

col.  a  (d'après  le  manuscrit  n°  5i3a  de  l'Ar-  environ  de  l'ouvrage  de  Gefroi,  sur  les  5f>6o 

senal).     CC.    P.    Meyor,    dans    les    Notices    et  qu'il   comporte,   ont    été   imprimés   dans   cet 

extraits  des  manuscrits ,  t.  XXXVF ,  a*  p.  (1 90 1  ) ,  opuscule. 

]>.  445;  el  L.  Auvrav,  Documents  parisiens  tirés  ''*  Bibl.  nat.,  lat    i3o58,  fol.  ag-SS  (cf.  A. 

lie  la   Bibliothèque  du  Vatican   (Paris,    189a),  de  La  Borderie,  0.  c,  p.  121). 
p.  2 5  (Extrait  des    Mémoires  de   la  Société  de 


SES  ECRITS.  325 

comme  tous  les  travaux  hagiographiques  de  Gefroi  des  Nés ''^,  et 
Gefroi,  à  la  fin  de  sa  traduction  en  vers,  qualifie  cette  seconde  mou- 
ture de  M  livre  neuf». 

D'autre  part,  un  légendier  a  conservé  la  traduction  en  prose 
française  d'une  Vie  de  saint  Teliau  (appelé  «Telian»),  évêque  de 
Llandaif  au  pays  de  Galles,  h'exphcit  déclare  que  la  vie  de  ce  saint 
exotique  fut  «  translatée  de  latin  en  français  »,  par  «  mestre  Guillaume 
«  des  Nés,  l'an  mil  CGC  et  XXV,  le  jour  de  saint  Michel  archange  ». — 
Il  est  très  vraisemblable  que,  dans  ce  texte,  Guillaume  est  pour  Gefroi. 
Le  manuscrit  unique  dérive  sans  doute  d'un  autre  où  le  nom  de 
l'auteur  était  indiqué  par  l'initiale  G.;  le  développement  de  l'abré- 
viation en  «  Guillaume  »  doit  être  le  fait  d'un  copiste  qui  ne  connaissait 
pas  Gefroi,  l'amateur  de  Vies  de  saints*^'. 

Cela  est  d'autant  plus  probable  que  Gefroi  des  Nés,  cette  fois  correc- 
tement dénommé  ainsi,  a  signé  de  la  même  manière  une  autre  Vie 
en  prose,  celle  de  saint  Guillaume  d'Aquitaine,  «  translatée  de  latin  en 
«  françois  par  maistre  Gefifroi  des  Nés,  en  l'an  de  grâce  uni  CGC 
et  XXVI,  le  VII"  jour  de  janvier  »'^'. 

De  ces  quatre  opuscules,  le  premier  est  sans  contredit  le  plus  inté- 
ressant, parce  qu'il  contient  le  récit  original,  en  quatre  cents  vers 
environ,  de  la  translation  des  reliques  de  saint  Magloire,  qui  eut  lieu 
en  cérémonie,  à  Paris,  le  7  juillet  i3i8.  C'est  avec  raison  que  l'on  a 
fait  figurer  ce  morceau  au  tome  XXII  du  Recueil  des  historiens  de  la 
France,  car  il  a  tous  les  caractères  d'une  chronique  locale.  Ayant  tra- 
vaillé pour  le  compte  ou  tout  au  moins  à  la  demanda  des  dignitaires 
qui  «  seignorioient  »  alors  à  l'abbaye  de  Saint-Magloire,  l'auteur  prend 
soin  de  les  énumérer,  par  leur  nom,  depuis  l'abbé  Gobert  de  l'rail- 
licourt  et  le  prieur  Baudouin  des  Chans  jusqu'aux  prieurs  ruraux  de 
Sainte-Croix,  de  Versailles,  de  Chalifert,  de  Chaumont,  de  Saint- 
Mandé  et  de  Montfort.  —  Le  récit  prend  fin  (comme  tous  les  autres 

'"'  Voici  ïexplicit  de  la  Vie  en  prose,  dans  mots  «de  Paris •  à  la  fin  de  la  troisième  de  ces 

le    manuscrit   unique  :    •  Ci   fine   la   Vie  saint  lignes. 

Magloire    translatée   du    latin    en    françois   et  '''   P.  Meyer,  /.  c,  p.  446.  —   L'abbaye  de 

escrite   en  cest   livre ...  et  fine  i'an  de  grâce  Saint-Magioire  se  faisait  honneur  de  conserver 

M  CGC  XV,  le  vendredi  devant  la  Saint  André.  •  les   reliques   d'un    grand    nombre    de    saints 

Les  points  remplacent  ici  trois  lignes  qui  ont  bretons. 

été   grattées  et  poncées  avec  tant  de  soin  que  '''  Bibl.  nat. ,  fr.  aio3;  Arsenal,  n"  5a a5; 

nous  n'en  avons  pu  presque  rien  faire  revivre.  Tours,  n°  io3i.  Le  ms.  de  Tours,  du  xvi"  siè 

Peut-être  cependant  est-il  possible  de  lire  les  cle,  porte  CCCXVl  au  lieu  de  CCCXXVI. 


.'^26  (ÎKFROl  DKS  NKS,  OU  DE  PXRIS. 

chapitres  de  la  Vie)  par  un   morceau  de  vingt-huit    vers   à   rimes 
équivoques  : 

Inc.  :  Gloire  nous  Joint  qui  tout  forma. 

C'i'stDipx,  (jui  d'onic  u  cid  fornu'  a..  . 

où  Gefroi  a  cru  devoir  déployer,  suivant  la  mode  du  temps,  une  vir- 
tuosité déplorable. 

La  famille  des  Nés  [de  Navibus)  était  hien  connue  à  Paris  dès  le 
milieu  fin  xiii'  siècle''*.  Par  le  «  Livre  de  la  taille  de  Paris  en  1292  ", 
on  voit  qu'habitaient  alors,  rue  des  Poulies,  0  Ysabiau  des  Nés  et  ses 
«enfanz»*^';  dans  la  rue  Tybaut  aus  dez,  «Henri  des  Nés  et  Jehan, 
«son  frère  »''^';  enfin,  dans  une  ruelle  qui  donnait  en  la  rue  Berlin 
Poirée,  «Adam,  le  clerc  Henri  des  Nés»''*'.  —  Les  rôles  des  années 
suivantes  font  voir,  à  la  même  place,  les  susdits  Henri  et  Jehan*''*. 
Mais  Ysabiau  a  disparu,  et  «dame  Jehanne  des  Nés  et  sa  fdlen  sont 
inscrites,  en  revanche,  parmi  les  contribuables  qui  habitent  entre  la 
maison  de  Jehan  de  Ferrières  «devant  Saint  Jehan  en  Grève  jusques 
a  Saint  Gervès»*^'.  Cette  Jehanne  des  Nés,  qui,  comme  nous  l'avons 
fait  voir,  joue  un  rôle  dans  le  Tornoiement  as  dames  de  Pans  de 
Pierre  Genclen'^',  était  encore  là  en  1  Son'**'.  —  Nul  doule  que  Gefroi 
n'appartînt  à  cette  famille  considérable,  toujours  lourdement  im- 
posée. S'il  n'est  pas  indiqué  lui-même  dans  les  livres  de  la  taille  de 
1292  à  i3i3'^',  c'est,  sans  doute,  qu'il  était  alors  clerc  sans  pro- 
fession, c'est-à-dire  non  marchand,  ou  qu'il  n'était  pas  chef  de 
ménage. 

''   (Ihaiie  du  27  juillet  laSi,  où  paraissent  dans  les  Mémoires  de  la  Société  de  titisloire  île 

Roger  et  Peronnole  des  Nés,  dans  les  Mémoires  Paris,    t.  XVIII,   p.   t3/»),  n'existnit  plus  en 

de    la  Société  de  l'histoire   de  Paris,   t.  XVIII  i3o8  [ibid.,   p.    a  18).    —    Jehan    est   encoif 

(1891),   p.   i5<j.  Cf.  le  Censier  du  Temple  en  inscrit  en  i3i3  (J.-A.  Buchon,  Chronique  mé- 

1253  (Arrh.  nat.,  MM    128),  où  sont  nommés  trique  de  Godefroy  de  Paris.   Livre  de   la   taille 

«  Rogier   des   Nés»   (fol.  8a),  tles   anfans  feu  de  Paris  en  1313.  Paris.  1827,  p.  ii5). 

.  (iui  des  Nés .  (  fol.  85  V*  ).  ''I  Ibid.  .fol.  21  v*. 

'*'   Le  Livre  de  la  taille  de  Paris   en    1292  '*   Plus  haut,  p.  390. 

(éd.  Geraud),  p.  i3«.  *''  KK  283,  foi.  37^. 

t'*  Ibid.,  p.  tj  b.  ''•  Un  .Giefroi  aus  Nés»  habitait  en  1293 

'*'   Ibid  ,  p.  6a  a.  dans  la  paroisse    de  Saint-Nicolas-des-Chanips 

''  Arrh.    nat.,   KK    a83,  fol.   •.',  y"  (1296),  hors  les  murs  {Le  Livre  de  la  taille..  .,  éd.  dé- 

38  v"  (1297). —  Henri,  qui  possédait  à  Belle-  raud,   p.  6a  n);  mai»  il  n'est  pas  certain  qu'il 

ville    un    clos  de  vignes  dit  «le  clous    Henri  fût  de  la  grande  famille  de»  .Né»,   établie  dans 

«des   Nés»  [Censier  de  Saint-Meiry  de  Paris,  un  autre  quartier. 


SES  ECRITS.  327 

L'abbaye  de  Saint-Magloire  était  en  ce  temps-là  un  centre  litté- 
raire. La  Clironique  en  vers  octosyllabiques,  dite  de  Saint-Magloire, 
tire  son  nom  de  ce  que  l'un  des  deux  exemplaires  connus  de  ce  texte 
se  trouve  encarté  dans  le  Petit*  Cartulaire  de  l'abbaye  (Arcb.  nat. , 
LL  39).  Cette  Chronique  va  jusqu'en  1296,  et  il  en  existe  une  conti- 
nuation jusqu'en  i3o4''  •  Mais  personne  n'a  jamais  proposé  de  recon- 
naître dans  cet  ouvrage  la  main  de  ce  Gefroi  des  Nés  qui,  environ 
vingt  ans  plus  tard,  rima  sur  le  même  rythme  en  l'honneur  de  saint 
Magloire,  à  la  requête  de  l'abbé  Gobert. 

La  question  s'est  élevée,  en  revanche,  de  savoir  s'il  faut  identifier 
Gefroi  des  Nés,  le  traducteur  de  Vies  des  saints,  avec  «Gefroi  de 
«  Paris  » ,  auteur  de  la  même  époque,  dont  certains  écrits  sont,  depuis 
longtemps,  bien  connus,  quoique  sa  personnalité  soit  restée  énigma- 
tique'"^^  —  Comme  ce  «  Gefroi  de  Paris  »  n'a  pas  encore  eu  dans 
ÏHistuire  Uuéraire  la  notice  à  laquelle  il  a  droit'"*',  c'est  ici  le  lieu  d'exa- 
miner les  problèmes  qui  se  posent  en  ce  qui  le  concerne,  et  son 
œuvre. 

II 

Le  célèbre  manuscrit  français  1^6  de  la  Bibliothèque  nationale'*' 
contient  six  pièces  en  vers  français  et  deux  en  vers  latins  que  l'an- 
cienne table  des  matières,  placée  au  commencement  du  volume, 
attribue  à  «  Mestre  Geffroi  de  Paris  ».  La  première  de  ces  huit  compo- 
sitions est,  d'ailleurs,  signée  à  la  fin,  en  ces  termes  : 

Roys,  mon  dite  ci  te  defin.  Se  riens  y,a  outre  mesure 

Cil  qui  le  fist  si  est  ton  homme;  Ou  pou  sal[é],  a  cui  la  cure 

Geffroy  pf,  Paris  l'en  le  nomme.  De  mesurer  c'ert  '*'  et  saler  P 

Pour  ce  le  fist ,  car  il  voudroil  Je  n'en  quier  a  nul  autre  aler 

Ton  honneur  garder  et  ton  droit.  Mes  qu'a  toy.  .  . 

"'  Histoire    litléraire,  t.  XXV,  p.   ai4-3-i4.  Noticei  et  extraits  des   manascrils,    t.  XXXIX, 

Cl.  Historiens  de  la  France,  t.  XXII,  p.  81-87.  '"  P-  ('909)'  P-  ^^7- 

'"'  Historiens  de  la  France,  ibid. ,  p.  87.  *'•  Ce  manuscrit,  dont  il  a  déjà  été  question 
^'  Un  autre  Gefroi  ou  Geufroi  de  Paris,  qui  dans  l'Histoire  littéraire  (t.  XXXII,  p.  i48  et 
vivait  pendant  la  première  moitié  du  règne  de  suiv.  ) ,  a  été  depuis  reproduit  photographique- 
Louis  IX,  et  dont  il  existe  une  «Bible»  rimée  ment  en  partie  (P.  Aubry,  Le  Roman  de  Faavel. 
«des  Sept  Etats  du  mondei,  n'a  pas  obtenu  Paris,  1907);  cf.  A.  Lângfors,  Le  Roman  de 
non  plus  de  notice  dans  l'//is<oire/i<(erai/e;  mais  Faavel ,  par  Gervais  da  Rus  (Paris,  1914-1919], 
son  tour  est  passé  et,  du  reste,  l'omission  a  p.  i35. 
été  très  bien  réparée  par  P.  Meyer  dans  les  '''  Ms.  :  sert.  Cf.  ci-dessous,  p.  ^ii,  note  6. 


328  GEFROI  DES  NËS,  OU  DE  PARIS. 

La  quatrième  l'est  au  début  : 

Natus  ego  G.  DE  Parisio,  Gui  filius  est  unigenitus, 

Régis  hujus  cum  adjutorio  Qtiid  de  papa  Johanne  sentio. .  . 

Et  la  cinquième  dans  le  texte  : 

Il  n'a  mie  .v.  moys  entiers 
Que  je,  (i.,  tel  songe  songoie..  .  . 

Voici  le  détail  de  ces  huit  pièces,  dans  l'ordre  où  le  manuscrit  les 
présente. 

l.  Fol.  /i6.  Avisemens  pour  le  roy  Loys.  —  Inc.  :  «  Mau  vit,  ce 
dit  on,  qui  n'amende.  '  —  Des  dits  ont  été  composés  récemment 
pour  aviser  le  roi  de  «bien  paier»,  de  «  regnier  sans  escorchement  » 
et  de  «largement  vivre».  Fort  bien;  mais  il  aurait  fallu  parler  aussi 
de  «  gouverner  sagement  ».  L'auteur  ou  les  auteurs  de  ces  dits  (que 
nous  regrettons  aujourd'iuii  de  n'avoir  plus),  quémandeurs  des 
princes,  ont,  en  outre,  traité  de  «Sainte  Eglise»  on  mauvais  termes. 
Gefroi  s'élève  et  polémique  très  longuement  contre  ceux  qui  ont 
désenflé  leur  cœur  du  venin  qu'ils  avaient  contre  les  clercs,  diffamant 
ainsi  leur  propre  état  (et  plus  loin  :  conchiant,  pour  ainsi  dire,  leur 
nid).  L'Eglise  est  invincible,  et  qui  la  veut  «deshériter»  sera  puni. 
O  roi,  c'est  l'exemple  de  tes  prédécesseurs,  protecteurs  de  l'Eglise, 
qu'il  faut  suivre  :  Constantin ,  Dagobert,  Charlemagne,  saint  Louis. .  . 
L'éloge  de  ces  bons  princes  s'achève  par  un  jugement  sévère  sur  le 
compte  de  Philippe  le  Bel  : 

.Se  l'Eglise  eust  empès  tenu,  Par  Sainte  Eglise  cela  vint 

Tant  de  maus  ne  fussent  venu  Qui  pour  lui  de  cuer  ne  prioit .  .  . 

En  son  temps,  com  il  [en]  avint. 

Roi,  ne  crois  pas  ceux  qui  disent  que,  si  ton  royaume  est  «  essillié  », 
c'est  M  par  conseil  de  clergie».  Il  est  vrai  qu'il  y  a  de  mauvais  clercs, 
placés  à  la  cour  par  leurs  *  amis  charneus  »,  qui  sont  «  de  leur  lignage  ». 
Mais  choisis,  comme  conseillers,  de  sages  clercs,  comme  Turpin  et 
Gui  d'Auxerre;  et  tout  ira  bien.  Les  meilleurs  chevaliers,  du  reste, 
sont  ceux  qui  ont,  »  en  soi  »,  quelque  clergie,  comme  le  duc  Naimes. 
Que  la  chevalerie  divorce  d'avec  la  clergie,  et  la  chevalerie  clle-mênie 


SES  ECRITS.  329 

n(;  tardera  pas  à  disparaître  de  France  à  son  tour,  comme  il  arriva, 
jadis,  à  Athènes.  Fie-toi  aux  gens  expérimentés,  et  non  aux  «jeunes 
jolis  cointes»;  garde-toi  des  flatteurs  et  des  hommes  avides  ou  inté- 
ressés; sache  mettre  les  gens  à  leur  plact;;  reprends  ce  qui  t'a  été 
volé.  Pour  finir,  vive  apologie  de  la  «Science»,  vraie  racine  de  la 
noblesse,  et  du  Juste  Milieu,  que  les  clercs  sont  qualifiés  pour  observei- 
mieux  que  personne. 

Louis  le  Hutin  n'était  pas  encore  couronné  lorsque  cette  pièce  fut 
écrite;  elle  l'a  donc  été  à  la  lin  de  i3i4  ou  au  commencemenl 
de  i3i  5. 

II.  Fol.  5o.  Du  roy  Plielipe  qui  ores  recjne.  —  Inc.  :  «  Li  temps  est 
couru  et  passez.  » — Conseils  à  Philippe  le  Long,  de  novembre  i3i6. 
Divagations,  absurdes  et  banales,  au  sujet  de  fétymologie  du  nom 
de  ce  prince  [os  lampadis)'^^K  Cette  pièce,  beaucoup  moins  longue  que 
la  précédente,  est  de  la  même  inspiration. 

m.  Fol.  5o  v°.  De  Alliatis.  —  Strophes  en  latin,  de  huit  vers  déca- 
syllabes sur  deux  rimes.  Inc.:  Hora,  rex,  est  de  sumpno  surgere.  — 
L'auteur  exhorte  le  roi  à  combattre  les  ligues  provinciales,  formées 
à  la  fin  du  règne  de  Philippe  le  Bel,  et  qui  subsistent  encore  : 

Licitum  l'st  vi  vim  repellere; 
Igilur,  l'cx ,  pugna  pro  patria. 

IV.  Vol.  5i.  De  la  création  du  pape  Jehan.  —  Strophes,  en  latin, 
de  douze  vers  décasyllabes  sur  deux  rimes.  L'incipit  a  été  cité  plus 
haut.  —  Chant  de  joyeux  avènement,  avec  des  considérations  sur 
fétymologie  du  nom  de  Jean,  contemporain  du  fait  dont  il  s'agit 
(août-septembre  i3i6)'^'. 

V.  Fol.  Sa.  Un  songe.  —  Inc.  :  «e  Amis,  .ses  tu  nules  nouveles.  »  — 
Tout  va  sens  dessus  dessous;  les  sujets  font  des  conspirations  pour 
être  maîtres  : 

Chascun  weut  estrc  le  greigneur 
Et  contrester  a  son  soigneur. 

'''  Voir,  à  ce  sujet,  Romania.  l.  I"  (  1872),         scrits  français  île  la  Dibliotlièque  nationale  (t.  I", 

p.  36o  et  suiv.  P-  '  '  )  déclare  que  cette  pièce ,  signalée  dans  1  an- 

'''  C'est  par  erreui-  que  le  Catalogue  des  monu-         ciennc  table  du  manuscrit ,  n'y  est  pas  en  réalité. 

HIST.   LITTÉR.  —  XXXV.  ^3 


330  GEFKOI  DES  NÉS,  OU  DE  PARIS. 

L'auteur  a  eu  un  songe;  il  hésite  à  le  raconter,  car  il  n'est  pas  de 
nature  à  plaire  à  tous,  et  peut-être  la  prudence  lui  commanderaif-elle 
de  se  taire.  Il  se  décide  pourtant.  Il  a  vu  en  songe  quatre  rois  :  un 
roi  d'échecs,  un  roi  de  la  paume,  un  roi  de  la  lève  et  un  roi  des 
coqs.  C'étaient  les  quatre  derniers  rois  :  Philippe  le  Bel,  Louis  X, 
Jean  I",  Phihppe  le  Long.  Critique  très  rude  du  premier.  Éloge  du 
dernier,  le  roi  régnant,  dont  l'attachement  conjugal  est  particuliè- 
rement vanté,  non  sans  quelque  ironie;  allusion  à  la  politique  si 
nouvelle  de  ce  prince  en  matière  de  récupérations  domaniales'''  : 

Trop  du  règne  en  a  l'en  desjoint  Ri«ns  n'a,  sus  sa  gent  se  recouvre. 

Que  l'en  a  a  gens  autres  joint .  .  .  Quant  puis  que  li  faillent  ses  rentes , 

Le  roy  plus  povre  de  l.i  vient.  Sus  sa  genl  prent  et  los  et  ventes. 

Taillier  le  royaume  convient.  Pour  ce,  Plielippe,  si  te  moines 

De  la  viennent  toustes  et  tailles  Qu'aies  tes  fiez  et  tes  demoines; 

Quand  le  roy  chevaurhe  en  batailles;  Et  de  ton  meuble  soies  larges. 

Et  quant  au  Temple  ne  au  Louvre  S'aras  esciis,  lances  et  targes.  .  . 

VI.  Fol.  53.  Des  AUirs.  —  Inc.  :  "  Tout  auxi  com  par  la  lumée.  " 
—  Invectives  contre  les  «  Alliés»,  c'est-à-dire  contre  les  ligues  provin- 
ciales (cf.  n"  III),  qui  se  sont  rebellées  contre  la  «couronne  sacrée» 
de  France.  Exhortations  au  roi  (Philippe  le  Long),  sur  la  conduite  à 
tenir  à  leur  égard.  Cette  pièce,  publiée  en  partie  par  P.  Paris,  dans 
ï Annuaire  Instoriijiie  de  la  Société  de  l'histoire  de  France  pour  iSSy,  plus 
vivement  et  plus  agréablement  écrite  que  les  autres,  parait  être, 
jusqu'ici,  le  chef-d'œuvre  de  l'auteur. 

VIL  Fol.  54.  De  la  comète  et  de  l'eclipse,  et  de  la  lune  et  du  soulail.  — 
Inc.  :  »  Chascun  me  demande  nouvelles.  »  —  Il  s'agit  de  la  comète  et 
des  éclipses  qui  turent  observées  lors  de  la  mort  de  Philippe  le  Bel 
et  de  Louis  le  Hutin,  et  du  tremblement  de  terre  de  septembre  1  3 16. 
Pièce  écrite  après  la  naissance  de  Jean,  fds  de  Louis  le  Hutin  (16  no- 
vembre i3i6)  et  avant  que  la  nouvelle  de  sa  mort,  trois  jours  après, 
fiit  parvenue  à  l'auteur. 

VIII.  Fol.  55.  La  despuloison  de  ilùjlise  de  Homme  et  de  l'Eglise  de 
France  pour  le  siège  du  Pape.  —  Vingt-cinq  huitains  de  décasyllabes 

<■'  Cf.  Sottces  et  extraits  des  inanusciits,  I.  M.  (1917  i,  |>.  7a  et  *"»> 


SES  ECRITS.  3:^1 

sur  deux  rimes.  Inc.  :  «  A  droit  me  plaings  qui  suis  Rome  nommée.  » 
—  Dialogue  entre  Rome  et  la  France  au  sujet  de  la  résidence  du 
pape  en  deçà  ou  au  delà  des  monts.  Les  interlocuteurs  échangent  des 
propos  tels  que  ceux-ci  : 

France.   Ne  l'as-tu  pas  assez  delà  tenu? 

Lesse  le  nous  par  devers  nous  remaindre 
Pour  conforter  nostre  peuple  menu. 

Rome.       .  .  .    Mes  i'ai  servi  et  amé  d'amour  monde. 

France.   Celle  amour  monde  dont  tu  aimes  le  pape 
Est  tout  pour  ce  que  la  pecune  en  aies. 
En  grant  pêne  es,  et  doutes  que  t'eschape; 
La  pecune  aimes,  et  pour  celle  t'esmaies.  .. 

RoMK.      Qui  reprens  tu  d'usure  et  d'avarice? 
Regarde  toy;  sus  toy  trop  a  a  dire.  .  . 

Mais  ils  se  réconcilient  à  la  fin  : 

Or  faisons  pais;  chascun  cloe  sa  bouche.  Et  nostre  pore,  c'est  Dex,  a  oui  il  touche; 
Nous  sommes  seurs,  soions  en  amité.  Ce  en  face  ou  plus  ara  d'utililé. 

P.  Paris,  qui  a  le  premier  décrit  le  manuscrit  français  i46 
(alors  6812),  en  i836,  s'est  cru  en  mesure  d'identifier  «  Geffroy  de 
«Paris»,  auteur  de  ces  huit  pièces  de  circonstance,  certainement 
composées  de  i3i/i  à  i3i8,  avec  un  certain  «Godefroi,  mesureur 
««  de  sel  » ,  dont  il  avait  trouvé  le  nom  dans  le  Livre  de  la  taille  de  Paris 
en  i3i3"'.  M.  Natalis  de  Wailly  a  montré  que  ce  rapprochement, 
fondé  sur  une  interprétation  erronée  des  vers  i356  et  suivants, 
précités,  de  la  pièce  numéro  I,  ne  saurait  être  retenu''^*.  Godefroi,  le 
saunier  de  la  rue  de  la  Verrerie,  était  un  pauvre  diable  d'artisan  (sa 
cote  d'imposition  est  très  peu  élevée);  «  maître  Gelfroi  de  Paris»,  qui 
écrivait  en  français  et  en  latin  avec  une  assez  grande  facihté,  était 
évidemment  un  lettré. 

Le  Livre  de  la  taille  de  Paris  en  i3i3  contient,  d'ailleurs,  les 
cotes  de  vingt-sept  contribuables  nommés  Gefroi  (et  non  Godefroi), 

''>  p.   Paris,   Les    manuscrits  français  de  la         t.    XVIII,    a*  p.,  p.  498  et  suiv.  Ces  vei-s, 

Bibliothèque  du  roi,  t  l",  p.  ^1-^.  obscurs   au    premier   abord,    sont    très  clairs 

'''  Mémoires  de  F  Académie  des  Inscriptions.         quand  on  a  lu  ceux  qui  les  précàdent. 

4a. 


332  GEFUOl  DES  NKS,  OU  DE  l>\RIS. 

sans  surnom.  De  ces  vingt-sept,  un  seul  est  qualifié  de  «maître» 
(i(  mestre  GefTroi,  le  mire  »)etun  seul  était  riche  (•<  GelTroi,  le  cirier  »). 
Mais,  dans  son  œuvre  principale,  dont  il  nous  reste  à  parler,  Gefroi 
de  Paris,  l'écrivain,  a  raillé  les  médecins;  et  quoiqu'il  ait  vanté 
avec  insistance  le  luminaire  de  cire  qui  embellit  les  fêtes  de  Paris 
en  i3i3,  on  ne  saurait  tirer  de  là  une  conclusion  en  faveur  de 
.<  Geffroi  le  cirier  ».  M.  de  Wailly  s'en  est  très  bien  gardé'". 

«Mestre  GefTroi  de  Paris»,  qui  écrivit  des  pièces  de  circonstance 
de  i3i4  à  i3i8,  était  en  vérité  un  lettré,  sans  doute  un  clerc  (voir 
les  Avisemeits).  Voilà  tout.  De  lui,  on  ne  connaît,  en  outre,  que  ses 
opinions  politiques,  qui  étaient  nettement  royalistes,  cléricales,  con- 
servatrices; son  caractère,  qui  était  très  indépendant,  car  il  exprime 
ses  opinions  avec  une  extrême  liberté,  sans  ignorer  —  il  en  Fait  la 
remarque  à  plusieurs  reprises  —  que  cela  pourrait  lui  nuire  '';  et  son 
style,  qui  est  assez  particulier  :  dillus,  négligé,  mais  vif,  avec  abon- 
dance de  proverbes,  des  locutions  favorites  qui  reparaissent  souvent, 
et,  de  temps  en  temps,  à  la  rencontre,  des  formules  bien  frappées. 

Le  manuscrit  français  i/»6  contient  encore,  entre  autres  choses, 
une  Chronique  anonyme  qui  paraît  inachevée,  en  près  de  huit  mille 
vers.  Elle  a  été  attribuée  à  «  Gefroy  de  Paris  » ,  l'auteur  des  pièces  de 
circonstance,  depuis  le  xviii*  siècle,  et  publiée  deux  fois  sous  son 
nom  (par  M.  Buchon  en  1827  et  dans  le  Recueil  des  historiens  de  la 
France'^^). 

C'est  à  partir  de  l'an  i3oo  que  le  chroniqueur  anonyme,  comme 
il  le  déclare  d'emblée,  a  «  ordené  sa  pensée  »  de  rimer  «  les  faiz  avenuz 
«  en  cest  monde  »  qu'il  avait  retenus.  H  a  poussé  son  entreprise  jus- 
qu'à l'année  i3i6. 

Est-il  possible  de  se  rendre  compte  de  la  manière  dont  il  a  pro- 
cédé .^  —  Au  premier  abord,  on  a  l'impression  que  sa  Chronique 
est   un  journal,   composé,  sinon   au  jour  le  jour,    ou  d'année  en 

l'i  Mémoires  de  l'Académie  des  Inscriptions,  parisien»  de  naissance.  Beaucoup  étaient  sans 

l.  XVIII,  1'  p.,  p.  533. —  Remarquons,  d'ail-  doute  bretons   ou  des  province»  de   l'Ouest, 

leurs,  qu'il  ne  suffisait  pas  de  s'appeler  Gefroi  voisines  de  ta  Bretagne. 

et  d'habiter  Paris  pour  être  appelé  Gefroi   de  '''   «Aussi   coni    trop  grater  peut   cuiie  — 

Paris.   Il  fallait  être  natif  de  cette  ville.  Or  il  Aussi    le   trop    parler    peut    nuire»     (^ri>T- 

cst   très  probable  que  tous  le»  Gefroi   portés  mens). 
sur  les  rôles   de   tailles   à   Paris   n'élaient   pas  '^'  T.  XXII,  p.  87-1 6G. 


SES  ÉCRITS.  333 

année,  du  moins,  pour  la  plupart  des  épisodes,  au  lendemain  et 
sous  l'impression  directe  des  événements.  Le  dernier  éditeur  a  relevé 
avec  soin  les  principaux  passages  sur  quoi  cette  impression  se  fonde  : 
ceux,  notamment,  où,  racontant  certains  faits  des  premières  années 
du  XIV''  siècle,  le  chroniqueur  semble  ignorer  ce  qu'il  en  advint 
(pielque  leinps  après'".  Mais  M.  de  Wailly  estimait  qu'il  ne  faut  pas 
se  laisser  tromper  par  ces  apparences.  «On  a  d'ailleurs  la  preuve, 
"dit-il,  que  Geffroi  de  Paris  se  transportait  en  esprit  dans  le  passé, 
«afin  que,  mêlé,  en  apparence,  à  des  événements  accomplis 
((  depuis  longtemps,  et  faisant  revivre  des  personnages  qui  n'existaient 
«plus,  il  pût  donner  à  ses  récits  un  tour  plus  vif  et  soutenir, 
«par  cet  artifice  littéraire,  l'attention  de  ses  lecteurs;  mais...  il 
«s'est  trahi  dans  plus  d'une  circonstance'-'.»  Il  s'est  trahi,  par 
exemple,  lorsque,  «  dès  l'an  1 3 oo,  c'est-à-dire  au  début  même  de  sa 
"  (ihroniqii»',  il  fait  allusion  à  la  bataille  de  Courtrai  qui  est  de  i3o2  , 
«  ù  la  mort  de  Boniface  VIII  et  à  celle  de  Catherine  de  Courtenai,  qui 
"  arrivèrent  Tune  en  i3o3,  l'autre  en  i3o7;  enfin  aux  mesures 
'<  que  Phili[)pe  le  Bel  ])rit  contre  les  Lombards  dans  le  cours  de 
«l'année  iSii'^'».  Plusieurs  indices  donnent  même  à  penser  que 
c'est  sous  Philippe  le  Long  qu'il  a  rédigé,  presque  d'un  bout  à 
l'autre,  ses  souvenirs  sur  toute  la  période  antérieure.  Il  écrit  en  effet, 
à  propos  du  mariage  d'Isabelle,  fdle  de  Pliilipj)e  le  Bel,  sœur  du 
futur  Philippe  le  Long,  avec  Edouard  II  d'Angleterre,  qui  eut  lieu 
en  i3o8 : 

;>  -2  5  I .   En  ci'l  iiii ,  du  roy  des  François  Donc  Odoart  prist  rigolage 

Et  du  roy  aussi  des  Anglois  A  la  seur  nostrcy  roy  de  France. 

Fu  fet  acort  par  mariage.  Phetippe .  .  . 

C'est  d'ailleurs  sous  fannée  i3o6  (au  lieu  de  i3o8)  que  le  chro- 
niqueur a  mentionné  cet  événement.  De  pareilles  erreurs  chronolo- 
giques, qui  s'expliquent  très  bien  de  la  part  d'un  écrivain  consignant 
de  mémoire,  et  d'un  seul  jet,  l'histoire  de  seize  années,  abondent 
dans  son  œuvre.  M.  de  Wailly,  dans  les  notes  de  son  édition,  en 
a  signalé  beaucoup,  dont  plusieurs  sont  énormes'*'.  iVIais  il  est  remar- 

''-   Mémoires  de  l'Académie  des   Inscripliont,  '''  Ibid..  p.  5 2 4. 

loc.  cit.,  p.  ,^)3i  el  suiv.  '*'   Historiens  de  la  Fiance,  t.  XXII,  p.  98, 

'*    Ihid.,  p.  fja/i.  col.  I. 


334  GEFROI  DES  NES,  OU  DE  PARIS. 

quable,  et  toujours  fort  naturel,  que  ces  erreurs  soient  très  sensi- 
blement plus  nombreuses  au  début  de  la  Cbronique  que  par  la  suite  : 
il  n'y  en  a  presque  plus  à  partir  de  1 3 1  2  ;  encore  un  indice  que 
l'époque  do  toute  la  rédaction  doit  être  placée  à  peu  de  distance  des 
derniers  événements  racontés,  c'est-à-dire  sous  le  règne  de  Philippe 
le  Long.  Ce  qui  achève,  semble-t-ii,  de  le  prouver,  c'est  qu'on  ne  voit 
nulle  part,  dans  cet  ouvrage  où  les  allusions  chevauchent  si  libre- 
ment à  travers  la  chronologie,  rien  qui  suppose  la  moindre  connais- 
sance de  ce  qui  s'est  passé  sous  Charles  IV. 

Ces  conclusions  ont  été  judicieusement  revisées  en  1898  par 
M.  Fr.  Funck-Breiitano'''.  L'm  artifice  littéraire  »  dont  M.  de  Wailly  a 
fait  honneur  au  chroniqueur  est,  a  priori,  peu  vraisemblable,  étant 
assez  compliqué.  En  iait,  il  n'est  pas  douteux  que  certains  passages 
ont  été  réellement  écrits  sous  Louis  X,  d'autres  sous  iMiilippe  le  Bel 
(notamment  en  i3i3).  11  semble,  en  somme,  que  fauteur,  ayant 
conçu,  puisqu'il  falfirme,  le  projet  de  sa  narration  dès  i3oo,  n'a 
commencé  à  l'écrire  que  vers  i3i2-i3  i3,  el  fa,  depuis,  continuée  au 
furet  à  mesure  des  événements,  sans  s'interdire  naturellement  de 
pratiquer  des  retouches  d'année  en  année,  et  surtout  sous  Philippe  V, 
dans  ce  qu'il  avait  écrit  d'abord. 

11  est  très  remarquable,  d'ailleurs,  que  le  chroniqueur  du  ms. 
français  1 46  ne  s'est  pas  servi  de  sources  écrites.  Témoin  oculaire  (par 
exemple,  comme  il  le  déclare,  du  supplice  de  Jacques  de  Molai  '"^'  et 
des  fêtes  de  la  chevalerie  des  fds  de  Philippe  le  Bel'"''),  ce  qu'il  n'a 
pas  vu,  il  en  parle  par  ouï-dire,  en  agrémentant  ce  qui  lui  en  est 
revenu  «le  réflexions  personnelles;  il  ne  copie  personne.  Cela  lui 
donne  une  physionomie  à  part  dans  f  historiographie  de  son  temps. 
—  Il  y  a,  à  la  vérité,  des  ressemblances  certaines  entre  quelques-uns 
de  ses  récils  et  ceux  qui  se  lisent  dans  le  Memoriale  hisloriarum^''^  de 
Jean  de  Saint-Victor;  mais  il  est  démontrable  que  c'est  Jean  de 
Saint-Victor  qui,  sans  le  dire,  s'est  servi  de  lui.  C'est  à  tort  que 
la  proposition  inverse  a  été  conjecturée  et  soutenue. 

Notons  enfin  que  la  Chronique  s'achève  par  des  vers  dont  plusieurs 

'"'  Dans    les    Mémoires  présentés  par  divers              '*'  G.   MoUal,   Étude  critiqae  sar  les  tVitte 

savants  à  l'Académie  des  Inscriptions,  i"  série,         paparam  Avenionensianf  d'Etienne  Balaze  [Ph- 

I.  X,  p.  281.  ris,    1917),   p.  91.    Cf.    Journal   des    Savants, 

<"-l  V.  5711.  i()i8,  p.  233. 

•'>  \.  4703-5098. 


SES  ÉCRITS.  335 

rédactions  sont  juxtaposées,  comme  si  le  copiste  cJii  manuscrit  unique 
avait  transcrit  un  brouillon,  brusquement  interrompu  sans  que 
Fauteur  eût  fait  son  cboix  parmi  les  variantes  préparatoires.  —  Si 
l'auteur  avait  mis  la  dernière  main  à  son  œuvre,  peut-être  aurait-il 
énoncé  son  nom  à  la  fin.  On  l'a  supposé.  Mais  M.  de  Wailly  pensait 
que  non,  parce  qu'il  estimait  que  «ses  héritiers,  tout  en  livrant  son 
«  œuvre  posthume  à  la  postérité,  durent,  par  crainte  ou  par  conve- 
«nance,  taire  le  nom  d'un  écrivain  qui  s'était  exprimé  avec  liberté, 
«notamment  sur  le  compte  de  Philippe  le  Bel»;  ils  auraient  craint 
de  «braver  ainsi  le  ressentiment  du  roi  régnant».  Considération 
évidemment  sans  valeur,  si,  comme  tous  les  érudits,  à  l'exception 
d'un  seul,  l'ont  cru,  le  chroniqueur  n'est  autre  que  le  Gefroi  de  Paris 
des  pièces  de  circonstance.  Car  la  virulence  de  ces  pièces  n'est  pas 
moindre  que  celle  de  la  Chronique,  et  néanmoins  elles  sont  rubri- 
quées  au  nom  de  Cefroi,  ou  même  intérieurement  signées  de  ce  nom, 
dans  le  manuscrit  même  où  se  trouve  le  texte  de  la  Chronique. 

L'identilé  de  Gefroi  de  Paris,  l'auteur  des  pièces  de  circonstance, 
et  de  fauteur  anonyme  de  la  Chronique  n'a  été  contestée  que  par  un 
seul  érudit  :  P.  Paris.  Mais  elle  est  certaine  depuis  que  M.  de  Wailly 
a  pris  la  peine,  en  1 84 9,  de  fétablir  par  une  confrontation  métho- 
dique des  deux  œuvres*'** 

Le  chroniqueur  a  les  mêmes  idées  politiques  et  la  même  ardeur 
imprudente  à  les  exprimer  (|ue  le  rimeur  des  huit  pièces;  c'est  le 
même  homme.  Seulement,  on  apprend  à  le  connaître  encore  mieux 
dans  la  Chronique,  qui  est  plus  longue.  C'est,  en  principe,  un  ami 
décidé  de  l'autorité  (au  point  de  marquer,  en  matière  de  discipline 
ecclésiastique'^',  malgré  des  sentiments  très  français'^',  des  sympathies 
bonifaciennes)  :  autorité  du  pape,  du  roi,  des  «  gens  d'estat  »,  chacun 
dans  son  domaine.  Mais  si  indépendant,  avec  cela,  qu'il  blâme,  en 
fait,  tout  le  monde  individuellement  :  papes,  rois  et  gens  en  place. 
Les  nouveautés  contemporaines,  avocasserie  et  fiscalité,  lui  font 
horreur;  il  est  pourtant  trop  légitimiste  pour  approuver  les  rébel- 

'"'   Mémoires  de  l'Académie  des    liisciiplioiis,  ''   Ilistoneiis  delà  i'ranr.e ,  I.  XXII,  |).  lo(), 

vol.  cité,  p.  .^)  10-517.  —  G.  Paris  disait  eiicoii-  col.  i. 

en  1898  (//i.'i/oire /i«erai;e,  t.XXXlI ,  p.  i53)  :  '''   Vers  a3o  et  suiv.,  2179  et  suiv. 

«la  chroiiii(.ii('  attribuée  à  (îeolTroi  de  Paris». 


336  GEFROI  DES  NÉS,  OU  DE  PARIS. 

lions.  Bref,  un  homme  selon  la  tradition  de  la  France  de  Louis  IX'", 
et,  par  son  attitude  criticante,  irrespectueuse  et  dégagée,  essentielle- 
ment Français  de  tous  les  temps.  —  On  voit  aussi  qu'il  avait  beau- 
coup de  curiosité  et  de  sincérité,  une  information  étendue,  qu'il  por- 
tait un  vif  intérêt  aux  questions  commerciales  et  financières,  qu'il 
avait  un  dédain  tout  bourgeois  pour  les  récréations  ordinaires  des  rois 
et  de  la  noblesse,  notamment  pour  la  chasse,  et  qu'il  devait  être 
d'âge  plutôt  mûr  quand  il  écrivait,  car  il  insiste  (dans  la  Chronique 
comme  dans  les  Avisemcns)  sur  les  inconvénients  qu'entraîne,  pour  les 
princes,  le  fait  d'avoir  trop  de  jeunes  gens  dans  leur  entourage.  Au 
reste,  puisque  ses  souvenirs  personnels  remontaient  à  1 3oo,  il  devait 
avoir  au  moins  quarante  ans  sous  Philippe  V. 

Le  style  du  chroniqueur  présente  d'ailleurs  tous  les  caractères 
distinctifs  qui  s'observent  dans  les  huit  pièces'^'.  Toujours  négligé, 
souvent  plat  et  embarrassé,  mais  pourtant  avec  de  la  véhémence  et  de 
la  vie;  farci  de  proverbes;  parfois  comme  haletant  en  raison  de  l'usage, 
voire  de  l'abus,  des  rejets'^'.  Çà  et  là,  des  images  et  des  tours  de  phrases 
originaux  qui,  quoi  qu'on  en  ait  dit'*',  élèvent  certainement  l'écri- 
vain au-dessus  de  la  médiocrité.  Enfin,  de  part  et  d'autre,  mêmes 
expressions  habituelles,  dont  quelques-unes  ne  sont  pas  communes; 
sans  compter  qu'un  certain  nombre  de  vers  de  la  Chronique  se 
retrouvent,  textuellement,  dans  les  pièces. 

Mais  ce  n'est  pas  tout.  G.  Paris  a  paru  attribuer  à  «  Geffroi  de 
«Paris»,  l'auteur  des  huit  pièces  et  de  la  (^hrowique,  un  opuscule 
de  plus,  le  Martyre  de  saint  Baccus,  «  spirituelle  parodie  des  légendes 
«des  saints»,  où  l'on  raconte  tous  les  tourments  que  subissent  la 
vigne  à  faire  le  vin  et  son  fruit.  Cette  identification  incidente,  peut- 
être  non  délibérée'^',  mérite  d'être  prise  en  considération  et  conduit 
à  constater  d'autres  faits  intéressants. 

'''  Parmi  les  conseillers  de  Philippe  le  Bel,  '*'  G.  Paris,  en  iSgt),  «persistait  à  penser 

il  n'excepte  de  ses  condamnations  que  Hugues  que  GfolTroi  de  Paris  a  un  très  mauvais  style  » 

deBouvilleet  PierredeChanibli.les  principaui  {Romania,  t.   XXV,  p.  608).  Nous  aimons  a 

représentants  de  cette  tradition  (v.  iSg/t).  constater  que,  par  contre,  Ernest  Uenan  recon- 

'">  Les  vers  i4j8  et  suivants  de  la  Chro-  naissait  à  Gel'roi  de  Paris,  chroniqueur,  «beau- 
nique  ont,  en  particulier,  l'allure  et  le  ton  des  coup  de  finesse  el  d'esprit  •  {Histoire  littéraire, 
meilleures  pièces  de  circonstance.  t.  XXVII,  p.  343). 

'''  Voir    notamment    l'édition    de    VVailly,  '*'  G.  Paris,  Im  littiratare  française  au  moyen 

p.  io/|,  col.  1;  p.  1 18,  col.  a.  âge,  S  loy  (avec  renvoi  an  S  97,  où  il  est  traité 


SES  ECRITS. 


33: 


Le  dit  du  Martyre  de  saint  Baccus  est  connu  par  un  seul  manuscrit 
(Bibl.  nat.,  fr.  2/4  432,  autrefois  198  de  Notre-Dame),  où  il  est  daté, 
à  la  fin,  de  i3i3'''.  Mais  le  même  manuscrit,  un  des  plus  précieux 
recueils  de  dits,  de  fabliaux  et  de  pièces  diverses,  de  la  première 
partie  du  xiv*  siècle,  qui  soit  parvenu  jusqu'à  nous,  ne  contient  pas 
moins  de  trois  pièces  dont  l'auteur  se  désigne,  formellement,  par  le 
prénom  «  Gieffroy  »;et  ces  trois  pièces  sont, de  la  même  façon, datées, 
à  la  fin,  de  l'année  où  elles  ont  été  composées  :  le  Martyre,  de  i3i3; 
le  dit  Des  Patenostrcs,  de  1 3 20'^';  le  dit  Des  Mais, de  i324'^^.  Ces  trois 
pièces  ont  été  publiées  avec  ou  sans  les  dates,  mais  toujours  sans 
observations,  par  A.  Jubinal,  dès  1839''''.  En  voici  l'analyse. 

I.  Le  Martyre  de  saint  Baccus''^K — «  GiEi  frov,  qui  voit  que  la 
Il  matire  —  De  cestui  monde  mal  satire, —  Feindre  veult  matire 
«novele.  .  .  »  C'est  de  saint  Baccus,  un  grand  saint  qui  a  beaucoup 
souflért  et  qui  fait  beaucoup  de  miracles  : 


Les  miiez  fait  jangoiliier 

Et  les  non  veans  rooillier. 

Les  courrouciez  fait  esjoïr 

Et  les  contrais  corre  et  foïr. 

Les  desconfortez  il  conforte. 

A  cens  que  comme  mort  l'en  porte 


Fait  il  l'esperit  revenir .  .  . 
Et  a  ceulz  qui  li  font  outrage 

Le  sens  oste 

;  puis  les  bat 

Si  qu'a  terre  jus  les  abat. 


Martyre  de  la   vigne,  enterrée,   fouie,  taillée  brutalement   a   la 
serpe  : 


Et  ces  tyrans  vous  nommerons 
Que  l'en  apele  vignerons, 
Qui  vont  et  viennent  nuit  et  jor 
Sans  trieve  faire  ne  sejor 


Chiez  la  douce  mère  Bacus, 
Ses   cors  courbés  jusques  as  eus, 
Recourciez  devant  et  derrière 
En  faisant  rechignie  chiere .  .  . 


du  chroniquenr).  Cf.  le  même,  dans  l'Histoire 
littéraire,  t.  XXIX,  p.  xvii  :  "GelTroi,  l'auteur 
du  Martyre,  qu'il  n'aurait  peut-être  pas  fallu 
distinguer  de  GeCfroi  de  Paris .  .  .  i.  —  G.  Paris 
hésitait.  Hanté  par  le  souvenir  du  «Godefroi, 
le  mesureur  de  sel  » ,  tiré  de  l'obscurité  par 
P.  Paris,  il  appelle  ailleurs  «  Godefroi  »  l'an- 
teur  du  Martyre  et  du  dit  Des  Patenostres  [La 
littérature  française.  ...  p.  381).  —  P.  Meyer 

HIST.    I.ITTÉn. XXXV. 


[Notices  et  extraits  de$  manuscrits,  L  XXXIX, 
1"  p.,  Kjog,  p.  a 57)  ne  s'est  pas  prononcé. 

<''  Fol.  i4a  v°. 

<')  Fol.  148  v°. 
')  Fol.  i38  v°. 

'*'  A.  Jubinal ,  Nouveau  recueil  de  contes ,  dits . 
etc.,  t.  I",  p.  r!5o-365,  -iSS-a/lç),  181-194. 

''''   Cf.  Histoire  littéraire,  t.  XXIII,  p.  496, 
cit.  XXVII,  p.  187-195. 

43 


338  GEPKOI  DES  NES,  OL   DE  PARIS. 

Puis  on  la  dépouille  au  printemps  de  sa  jeune  verdure  pour  eu 
faire  ce  verjus  que  les  vieilles  femmes  broient  et  crient  dans  les  rues. 
Quantité  d'autres  ennemis:  le  gel,  le  vent,  la  grêle,  les  chardons,  les 
mauvaises  herbes. 

O  martyre  martyrisée  !  V  ftescoiivcrt  rie  toutes  pais; 

De  sarpes  trenchans  decopéi'  De  veiis  torinenlée  et  d'orages 

Par  ces  mauvais  gloutons  lechierres ,  Qui  te  l'ont  souvent  griez  domages .  .  . 

Acraventée  entre  les  pierres.  .  .  Treslous  ceulz  qui  por  Dieu  morurent 

Batue  de  foudre  et  d'espars,  TanI  de  martires  ne  reçurent. 

Enlin,  supplices  de  la  vendange,  des  tonneaux  et  de  la  cave. 

Priez  la  vingne  qu'elle  entende  Et ,  pai  la  seue  granl  mérite, 

A  nous,   si  que   son    filz    nous   rende  :  Nous  otlroil  tous  jors  vin  d'esliti-. 

Saint  Baccus,  donné  sans  vendu.  De  quelque  pais  qu'il  li  plaise. 

Dont  nous  buvons,  col  estendu  Car  de  rydre  ne  de  rervaise 

Comme  grue,  son  dous  buvrage,  Gieffhoy,  qui  ce  dit  list ,  n'a  cure , 

Qui  mainte  grant  soif  assouage;  Tant  conune  vin  de  vingne  dure. 

II.  Le  dit  des  Patenostres.  —  Trente-sept  sixains  de  vers  alexan- 
drins, dont  chacun  se  termine  |)ar  le  même  vers: 

Dites  vos  patenostres,  que  Diex  merci  (on  pardon)  leur  [ou  lui)  face'". 

L'auteur  exhorte  à  prier  pour  l'Église,  persécutée  et  dépouillée 
de  ses  biens,  réduite  à  la  besace;  pour  le  pape  Jean,  qui  multiplie 
les  évêchés;  pour  le"s  cardinaux,  les  prélats,  le  clergé  ordinaire, 
les  clercs  étudiants  et  ceux  des  parlements,  la  chancellerie,  les 
médecins,  les  religieux  des  anciens  Ordres,  les  Ordres  mendiants, 
les  Hospitaliers,  les  grands  seigneurs,  les  barons,  la  simple  che- 
valerie. L'auteur  n'est  pas  partisan  de  la  croisade  dont  on  parle  : 

Dites  vos  patenostres,  et  aval  r[  amont , 

Vov  la  chevalerie  qu'oreridroit  l'en  semont 

Por  aler  oultre  mer  en  nef  et  en  dromonl. 

Aveques  m'en  irai  quant  l'yaue  contremoni 

Corra,  ou  quant  sera  toute  noire  la  glace. 

Dites  vos  patenostres,  que  Diex  pardon  leur  face 

'■>  (;t.  la  Clironiquc  de  (iefroi,  v.  •iaiti. 


SES  ÉCRITS.  339 

La  verve  brutale  du  rimeur  n'épargne  pas  les  grandes  dames,  m 
les  autres.  Mais  il  est  indulgent  aux  amoureuses  : 

Dites  vos  patenostres  por  ceulz  qui  vraiement 
SVntresont  entramé  et  aimnicnt  fermement 
En  foy  et  en  fiance  et  sans  decevement. 
Car  aussi  bien  se  Ireuve  et  si  entièrement 
Amours  sous  camelins  comme  sous  paonnace. 
Dites  vos  patenostres,  que  Die\  merci  leur  face. 

Dites  vos  patenostres  pour  les  jones  filletes 

D'entre  .xv.  et  .xiiu. ,  a  poignans  mameletes, 

Qu'au  Dieu  d'amors  puissent  rendre  et  paier  leurs  debtes 

Sans  ce  que  vilonnies  d'eulz  en  soient  retraites 

Ni'  d'omme  niesdisant  ne  de  vielle  riace. 

Dites  vos  patenostns,  (|ue  Diex  merci  leur  face. 

Pour  ces  cortoises  dames  (pii  tant  ont  de  franchise 
Que  des  corps  et  des  biens  font  partie  et  divise 
A  ceus  qui  de  cuer  aimment,  de  si  parfaite  guise 
Que  surcot  et  puis  cote ,  pelicon  et  chemise 
Chascune  a  son  ami,  quant  il  li  plait,  rebrace. 
Dites  vos  patenostres,  que  Diex  pardon  lor  face. 

il  y  a  ensuite  des  couplets  sur  les  Flamands,  qui  viennent  de  faire 
leur  paix  avec  le  roi,  sur  la  monnaie,  sur  les  marchands  (dont  il  est 
fait  l'éloge),  sur  les  gens  de  métier  : 

Dites  vos  patenostres  pour  chascun  boulengier 
Por  ce  qu'il  nous  ont  fait  pain  de  bren  a  mengier'"; 
Encor  de  pain  loial  fair.'  nous  font  dangier. 
Diex  doinst  au  prevost  (pie  il  nous  en  puist  vengier. 
Encroés  jadis  furent  es  halles  Saint  Eustace  ! 
Dites  vos  patenostres ,  que  Diex  pardon  leur  face. 

11  y  en  a  sur  toutes  les  conditions.  Sur  la  santé  et  la  maladie, 
physique  et  morale  :  pour  ceux  qui  ont  mal  à  la  tête,  le  matin,  à 
force  d'avoir  bu  la  veille;  pour  les  constipés;  pour  «  ceus  qui  trop  se 
..desconfortent..;  etc.  Sur  les  débiteurs,  les  domestiques,  les  pèle- 

f  Cr.  la  Chronique  de  Gefroi,  v.;  761"). 

43. 


340  GEFROI  DES  NÉS,  OU  DE  PARIS. 

rins,  les  missionnaires,  etc.  Sur  les  médisants;  sur  les  lâches  et  les 
ineptes  : 

Pour  cculz  qui  sont  coart ,  qu'il  aient  hardiece , 
Et  poui"  les  desvoiez,  que  bien  Diex  les  adrece; 
Por  la  gent  qui  s'estent  du  lonc,  quel  se  redrece. 
A  tous  ceulz  qui  foloient,  que  Diex  lor  doinst  sagece 
Tele  cum  Virgile  ot,  Aristote  et  Orace. 
Dites  vos  patenosties,  que  Diex  paidon  lor  face. 

Prions  aussi  pour  qu'on  puisse  boire;  c'est  un  point  que  l'auteur  ne 
perd  pas  de  vue  : 

Dites  vos  patenosties  por  le  fruit  de  la  terre. 

Que  Diex  nous  doinst  bon  vin  sans  loing  aler  le  querre. 


\près  ces  patenostres  buvons  a  lie  cliiere 
Si  (|ue  (le  Dieu  ainns  pardon  et  grâce  entière. 
Por  (IncFFnoY,  qui  ce  list,  qu'il  ne  soil  en  espace, 
Dites  vos  patenostres,  que  Diex  pardon  li  face. 

m.  Le  dit  (les  Mais.  —  Soixante-dix-neuf  quatrains  d'alexan- 
drins monoriines,  dont  la  plupart  contiennent  le  mot  «Mais»,  sans 
que  ce  mot  revienne  à  intervalles  réguliers. 

Critique  des  divers  «  étals  du  monde»  :  le  pape,  les  cardinaux,  les 
])rélats,  les  chanoines,  les  curés,  les  étudiants,  les  moines  mendiants 
et  autres,  les  religieuses  de  toute  espèce  («  rendues,  nonnains,  filles 
«  Dieu  et  béguines  »  );  les  rois,  les  princes,  les  étrilleurs  de  «  Fauvain  » 
(piiles  entourent,  les  reines,  les noliles,  les  Hospitaliers,  les  gens  «  de  la 
court  du  Parlenienl'''  »,  le  personnel  des  justices  laïques  et  ecclésiasti- 
ques, les  médecins  et  les  apothicaires,  les  marchands,  les  ménestrels, 
les  courtiers,  les  taverniers  et  leurs  valets,  les  laboureurs.  .  . 

Ainsi,  en  tous  estas,  il  a  ou  pou  ou  mais. 

Car  se  l'en  dit  du  bien,  l'autre  dit  :  «  ("tist  voir,  mais.  .  .  » 

Ostons  donc  d'entour  nous  lex  mes  et  entremais 

Se  deser>ir  volons  le  ciel  a  tous  jor  mais. 

''  Manière    de    |iariei-    reinai-(|(iablc,    qui  nelles  de  ce  grand  corps  (Exlition,    p.  189). 

inonlre  que  «le  Parleniciil  »  était  déjà,  sous  les  Cl.   le    dit    Des    Alliés  (Bibl.    nal.,    tr.    i46, 

derniers  Capétiens  diictls,    (|Uoi  qu'on  en  ait  fol.  53)  : 
dit,  conçu  comme  une  cnlité  (cf.   Bihliothèqae 

de  l'Ecole  des  rhatlf^.  ii)iS,  ]>■  'i.'i). —  l.e  roi  \"„iii  i|  la  \cniic  cl  l'aléi- 

est  blâmé   de  i- drllal.c  «    les  décisions   solen-  Kl  au  Roy  cl  an  ParJeroenl? 


SES  ÉCRITS.  341 

L  auteur  se  nomme  au  76^  quatrain  : 

Et  puis  qu'en  tous  estas  treuve  l'en  a  redire, 

Que  fera  dont  Giefkroy  ,  qui  des  mauvez  est  pire  ? 

Tels  sont  les  trois  dits,  signés  Gieflroy,  du  manuscrit  français 
24  432.  Ils  sont  évidemment  du  même  auteur.  Et  il  n'est  pas  moins 
clair  que  cet  auteur  est  le  Gelroi  de  Paris  des  pièces  du  manuscrit 
français  i46  et  de  la  Chronique  anonyme.  En  effet,  c'est  toujours  le 
même  fonds  d'idées'"',  avec  les  mêmes  expressions  caractéristiques'", 
les  mêmes  rejets  hardis*''.  Ce  sont  toujours,  çà  et  là,  les  mêmes 
lueurs  parmi  le  verbiage;  le  dit  des  Mais,  le  plus  faible  des  trois, 
n'en  contient  pas  moins  des  vers  comme  ceux-ci,  à  propos  des  reli- 
gieux : 

En  leurs  maisons  les  voi  des  mains  signifians 

El  dedans  leur  moustiers  leurs  chiez  humelians. 

Mais,  hors,  ypocrisie  ont,  et  envie,  eus; 

Dont  mains  grourciit  <le  cuers  qui  des  dens  sont  rians. 

Et  ce  quatrième  des  quatrains  sur  les  reines  du  temps,  pleins  d'al- 
lusions voilées: 

Elles  vont  cliascun  jor  au  moustier  oïr  messe; 
Mais  c'est  près  de  midi ,  por  re  qu'il  n'aient  presse, 
(ïar  ei  se  couchent  tart  ;  pour  ce  faiilt  qu'en  les  lesse 
Dormir  grans  matinées  por  norrir  en  leurs  gresses. 

Toutefois,  comme  il  est  naturel  à  mesure  (pie  l'on  lit  un  j)lus 
grand  nombre  de  pages  écrites  par  notre  Gefroi,  des  traits  nouveaux 
se  révèlent  qui  complètent  sa  physionomie.  A  parcourir  les  pièces 
de  circonstance  el  la  Chronique  seulement,  on  n'aurait  pas  cru  ce 
moraliste  toujours  mécontjent,  sinon  anier,  aussi  jovial  qu'on  l'entre- 
voit dans  ses  trois  dits,  c'est-à-dire  buveur,  bon  vivant  et  indulgent 

''  G.    Grôber    (Grundriss   der    romanisclien  t/n  joniye,  v.  9,  et  (llironiquc,  v.  1  r>oi ,  .)y3(), 

l'Iiiloloyie.L  H.  1,  Strasbourg,  i()Oi,  n.  83i)  72-^>>i)  :  «  de  testée  »  (Vais,  p.   187;  cf.   ^i'is<>- 

|>arie  d'une  différence  de  pointsde  vue  politiqaes  mens,  v.   1110;  Des  Alliés,  iir.  7;  (.lironiquc, 

entre  le  Gefroi  de  Paris,  chroniqueur,  du  ma  v.    1/119;  etc.);   «en  espace»    (Chronique,   v. 

nuscrit  françaii  i/|(j  et  le  Gefroi  parisien  du  '976.  '^y'J  :  Avisemens.  v.  5a  ;  7>u  loy  Pheti[)e 

manuscrit  français  'f'i/iSa.  Mais  il  n'en  donne  qui  ores  reijne ,  v.  39;  Patenostres,  à  la  fin);  etc. 
iuicune  preuve;  et  il  n'y  en  a  pas.  Allusions  au  duc  Naimes  dans  les  Avisemens 

'*'  Quelques-unes     sont    si    habituelles    a  (  v.  io3a)  et  dans  le  dit  LV<  M«is  (p.  187  ). 
(iefroi  dan»  tous  ses  écrits  que    leur  présence  ''    «  Qui  batus  est  l'amende,  c'est  le  droit  de 

équivaut  preMjuc  à  sa  signature.  Par  exemple  :  «lu  Porte  — Baudoier.  .  .  •  {Mais,  p.  187). 
«ce  devant  derrière  •  {Pateiioslres .  p.  ■j4<);  cf. 


342  GEFIIOI  DES  NÉS,  OU  DE  PARIS. 

aux  fredaines.  Ni  si  jovial,  ni  si  fort  en  gueule  :  il  y  a,  dans  les  trois 
dits,  des  crudités  d'expression  qui  dépassent  tout  ce  que  l'on  peul 
noter,  en  ce  genre,  dans  le  reste  de  son  œuvre. 

Le  manuscrit  français  ilx  [\?>i  contient  plusieurs  pièces,  du  mênie 
genre  que  les  trois  dits  de  Gefroi,  qui  sont  anonymes.  Quelques-unes 
ne  doivent-elles  pas  lui  être  attribuées.^  H  ne  se  nommait  pas  tou- 
jours, quoiqu'il  le  fit  souvent.  —  La  question  se  pose  surtout, 
comme  on  l'a  bien  vu'",  pour  la  pièce  intitulée  La  Requeste des  Frères 
Meneurs  sus  le  Septième  Clinient  le  Quint'-\  qui,  dans  le  manuscrit,  se 
trouve  intercalée  entre  le  Martyre  de  saint  Daccus  et  le  dit  Des  Pate- 
nostres.  Elle  se  pose  aussi  pour  le  dit  J)e  la  rébellion  d'Engleterre  et  de 
Flandre  qui,  dans  le  même  manuscrit,  précède  le  dit  Des  Mais^^\  et 
pour  le  dit  Du  Roj^'^l  Elle  se  pose  enlin,  si  l'on  veut,  pour  les  deux 
morceaux  intitulés  La  despuloison  du  Vin  et  de  l'Iauc  et  Des  planètes. 

I.  La  question  doit  être  résolue  alTirmativement  en  ce  qui  con- 
cerne la  Re<]ueste.  En  effet,  cette  pièce  est  datée  à  la  fin  (d'un  jour  et 
d'un  quantième  de  l'année  i3i8)'^',  de  la  même  façon  que  les  trois 
autres  dits  du  manuscrit  français  24  43j,  qui  sont  certainement  de 
(iefroi;  de  plus,  les  expressions  d'habitude  qui  sont  comme  le  signet 
de  cet  auteur,  sont  là.  Pour  qui  l'a  beaucoup  lu,  Gefroi  seul  a  pu 
écrire  : 

110.   Hé,  pape  Jehan,  en  cest  an, 

Desaieuvre  le  grain  de  la  paille; 

Les  mauvaises  herbes  retaille.  .  .'*' 

C'est,  d'ailleurs,  son  style  en  tous  points,  avec  ses  défauts  et  ses 
qualités  : 

62.   Et  pain  sec  lor  convendra  moldre, 

Sans  plus,  au  molin  de  leurs  dens.  .  . 

f  G.  Grôber,  /oc.  ci7.,  p.  83o.  le  dit   fut  fait  «a  .i.  vendredi,  tiers  jors  en 

''  Fol.    j46   v°,    publiée    par   A.  Jubinal,  •l'aing,  si  coin  moi  semble,  mcccxvui  ...».  I.e 

Œuvres  de  RaubeuJ'.i.  II  (Paris,  1875),  p.  i55.  3  janvier  n'est  pas  tombé  un  vendredi  en  i3u) 

—  La  dénomination  de  tSeptième»  pour  dé-  (n.  st.),  et  il  s'en  est  fallu  de  ving^-qualre  heures 

signer  les  Clémentines,    par  analogie   avec  le  que  le  3  «juingi  i3i8  tombât  ce  jour-là. 

Sextede  Boniface  VUI,  n'a  pas  duré.  '*'  Cf.  les  Avisement ,  v.  610,  et  la  Ghroni- 

'''  A.  Jubinal,  op.  ti(.,  t.  I",  p.  73.  que,  v.  84o,  i3ia,  1679,  3i  i3 .  3449,  ."iSoî. 

'*'   IbiiL,  p.  34a.  —    Voir  aussi    des    expressions    familières    a 

"'   Il  est  spécifié ,  dans  les  derniers  vers ,  que  Gefroi  aux  vers  1 9 ,  1 .19  et  suiv.  de  la  Reqnrfte. 


SKS  KCHITS.  :Vi3 

Ajoutons  donc  celle  pièce  à  un  bagage  avec  lequel  elle  est,  du 
reste,  quant  au  fond,  eu  parfaite  harmonie. 

La  Requeste  des  Frcres  Meneurs ...  —  Pourquoi  les  clercs  de 
toutes  robes  ont  à  se  plaindre  des  statuts  récents  du  pape  Clément. 
L'Eglise  est  ruinée.  Misère  du  clergé  séculier  et  des  Ordres,  qui, 
aussi  bien,  sont  trop  nondireux.  Les  Ordres  ont  fait  porter  récemment 
leurs  doléances  en  Cour  de  Rome: 

Mettez  y   bon  conseil,  Saint  Pero...  An  besoin  pas  ne  li  l'ailliez; 

Metez  y  aucune  atemprance.  Ne  la  tranchiez  ne  retailliez, 

(lardez  vos  clerjons  de  tieû.  Car  elle  est  si  l'oible  et  si  tendre 

Mal  brouet  nous  est  esmeù  Qu'au  jour  d'ui  ne  se  puet  deiï'endre 

Se  vosire  nom  ne  nos  visite .  .  .  Des  grans  1(jus  qui  entor  li  courent  .  .  . 
()uc  Sainte  Eglise  en  pais  repose  ! 

II.  Quant  aux  dits  De  la  rehrUion  et  Du  Roy,  s'ils  étaient  de  Gefroi, 
ce  seraient  les  dernières  en  date  des  productions  connues  de  sa  muse 
politique,  puisque  le  roi  auquel  l'auteur  s'adresse  dans  ces  deux 
pièces  est  Philippe  VI  : 

Gcntilz  roys  et  de  Valois  conte. 
Ne  croi  pas  tout  ce  qu'on  le  die.  .  . 

L'auteur  du  dit  Du  /îojdéveloppe  les  conseils  d'Aristote  à  Alexandre 
dont  Gefroi  avait  déjà  fait  état  dans  ses  Aviscmens  (v.  yÔoetsuiv.), 
en  un  style  analogue.  Cependant  il  est  certain  que  ce  dit,  anonyme 
dans  le  manuscrit  de  NotrivDame,  est  du  ménestrel  Watriquel 
de  Couvin,  dont  l'o'uvre  est  Inventoriée  plus  loin  (p.  4  '  2  ,  n"  XIX). 

L'auteur  du  dit  De  la  rébellion  est  un  patriote  ardent  *'',  qui  croit 
qu'«  Englois  onc  François  n'ama  »  '"^'  et  que  la  mer  doit  être  la  fron- 
tière entre  la  France  (la  Flandre  y  com])rise)  et  l'Angleterre.  Rien  ne 
s'oppose  absolument  à  ce  que  cette  pièce  soit  de  Gefroi.  Et  c'est 
même,  semble-t-il,  le  son  de  sa  voix,  çà  et  là  : 

Li  Anglois  portent  sinjple  face  iNe  por  biau  parlier  ne  t'encline 

Et  prometent,  mais  quier  qui  face  !  A  gent  qui  de  cuer  est  doubliere  ! 

Tiens  toy  dont,  Roy,   en  la  saisine,  Pense  des  fais  ça  en  arrière.  .  . 

''    Comme  Gefroi,  qui,  dons  sa  Chronique,  '*'   Gefroi,  dans    sa   Chronique,  dit    a    |)eii 

a,  le  premier,  poussé,  pour  ainsi  dire,  le  cri         près  ia  même  chose  des  Flamands   (v.  i(i43). 
de  u  l.a  France  au\  Français  »  (v.  1768). 


344  GEFROI  DES  NES,  OU  DE  PARIS. 

Mais  ce  n'est  là  qu'un  indice,  et  qui,  comme  le  montre  assez  le  cas 
du  dit  précédent,  peut  être  trompeur. 

III.  La  desputoison  du  Vin  et  de  l'Iaue^^\  dont  l'auteur  était  de  l'Ile- 
de-France,  est  une  agréable  bluelte  qui  ferait  très  bien  pendant  au 
Martyre  de  saint  Baccus.  Nous  n'en  dirons  pas  davantage. 

La  probabilité  est  du  même  ordre,  c'est-à-dire  très  faible,  ou  nulle, 
pour  le  dit  Des  planetes'^-^  sur  les  sept  «  états  du  monde  »,  comparés  aux 
sept  planètes  et  aux  sept  jours  de  la  semaine,  qui  date  d'un  temps  où  les 
Sarrasins  avaient  récemment  occis,  à  Grenade,  beaucoup  de  «nos 
gens  »  *"^'. 

Est-ce  tout,  maintenant?  Pas  encore.  Dans  le  manuscrit  fran- 
çais 2  5  545,  autre  recueil  lameux  de  contes  et  de  dits  du  xiv"  siècle, 
on  lit,  au  folio  1 5o  (le  feuillet  immédiatement  précédent  manque),  la 
lin  d'un  dit  qui  était  intitulé  Des  .IIII.  rois  '*': 

Ci  faut  li  dis  Des  .1111.  rois  Et  Phelippe,  qui  en  cest  an 

Que  je  vos  ai  dit  demanois,  Recul  la  coronne  de  France; 

Phelippe,  Looys  et  Jouhan,  Dont  mont  de  gent  orent  pesance. 

Ce  dit,  comme  plusieurs  de  ceux  de  Gefroi,  était  daté;  il  l'était 
d'après  le  couronnement  de  Philippe  le  Long'"*', 

En  l'an  mil  seze  et  trois  cens 
Entre  Noël  et  Saint  Vincent. 

Le  fragment  conservé  (45  vers)  contient  la  fin  d'une  conversation 
entre  un  roi  et  un  fou.  Le  fou  parle  d'un  coq  qui  se  perdit  pour  avoir 
trop  écouté  ses  poules: 

«  Sire  rois,  or  ne  vous  anoie  !  Et  ne  créez  si  ces'**'  poulletes, 

Pour  vous  le  di.  En  bone  voie  Qui  si  sont  coiiites  et  nobletes. 

Entrez,  et  tost  vous  y  metés,  Que  n'empiriez  voslre  pais; 

Que  no  soiez  desbaretés;  Car  clamez  seriez  fous  nais.  » 

'■'  A.  Jubinai,  o.  c. ,  p.  sgS.  fors  dans  la  ilomania,  f.  XLIV  (i(ji5),  p.  ()<i 

''  Ihid.,  p.  372.  (avec  quelques  Fautes  de  ponctuation). 

'''  Kn  août  I  327  ,  le  pape  concéda  des  indul-  ''   Philippe  le  Long  fut  couronné  à  Reims 

gences  aiîx  gens  de  la   suite   de    Philippe  de  le  y  janvier  i3i7,  n.  st.  —   M.   Lângfors  at- 

Valois  «  ad  parles  Granale  contra  Sarracenos  se  liibue  cet  explicit ,   sauf  le  premier  vers,  au 

lr»ns(vren\\buii>[G.MoUai, LetIresileJeanXXll.  copiste  du  manuscrit. 

n°  29408).    Cf.   Chronique  de  Jean  le  Bel  (éd.  *'   Ms.  :  ses.  Substitution  de  lel Ire  assez  fré- 

\  iard  et  Déprez) ,  t.  I",  p.  86.  quente,   peut-être   par   hasard,  dans   tons  le» 

'    Ce  fraf^mi'iil  a  été   publié   par  A.  Lâng-  manuscrit»  dos  œuvres  de  Gefroi. 


SES  ÉCRITS.  3/1 5 

Le  roi  répond  : 

«  J'ai  bien  entendu  ta  parole  :  Or  est  diois  que  je  te  porvoic. 

Tu  as  esté  a  bonne  escole.  Tu  ne  m'as  pas  servi  de  lobes; 

Ta  parole  point  ne  m'anoie.  Je  te  doing  mon  pain  et  mes  robes.  » 

Ce  dit  est,  sans  doute,  de  Gefroi.  Comparer,  en  effet,  sa  pièce  inti- 
tulée Un  songe,  011  Philippe  V  est  appelé  «  le  roi  des  coqs  «,  en  raison 
de  .son  attachement  à  sa  «poule»  : 

Ce  coc  est  de  Poitiers  le  conte,  Coc  le  di,  par  comparaison  ; 

Qui  de  garde  en  reauté  monte.  Coc  aime  sa  propre  geline .  .  .  O 

Et  a  bonne  cause  el  raison 

Enfin,  on  peut  se  demander  s'il  n'y  a  rien  de  Gefroi  dans  l'extra- 
ordinaire /à/ra(/f)  de  pièces  en  latin  et  en  français  dont  l'énigmatique 
«Chaillou  de  Pesstain  ..'^'  s'était  plu  à  gloser  en  marge  le  Roman  de 
FanvelÔQ  Gervais  du  Bus.  On  sait  que  la  copie  unique  du  manuscrit 
glosé  de  Chaillou  est  précisément  le  ms.  fr.  1 46,  auquel  on  doit  par 
ailleurs  la  conservation  de  huit  dits  et  de  la  Chronique  de  Gefroi.  Or, 
les  pièces  en  question  n'ont  pas  encore  été  l'objet  d'une  étude  appro- 
fondie'^). 11  est  certain  cependant  que,  si  beaucoup  d'entre  elles  sont 
fort  antérieures  au  temps  de  Chaillou  et  de  Gefroi,  et  si  beaucoup 
d'autres  sont  si  vagues  qu'elles  ne  sont,  en  vérité,  d'aucun  temps, 
plusieurs  ont  été  composées  à  l'époque  des  derniers  Capétiens  directs. 
G.  Paris  a  signalé,  ou  même  imprimé,  quatre  de  celles-ci:  une  com- 
plainte en  latin  sur  la  mort  de  l'empereur  Henri  Vil  (24  août  i3i3), 
un  dizain  en  vers  latins  rythmiques,  adressé  à  Louis  X  lors  de  son 
avènement  (i3i4-i3i5),  des  pièces  adressées  à  Pliilippe  le  Long  en 

II'  Bibl.  nal.,  fr.  i4G,  fol.  52  v°.  pièces  où  des  aUusions  sont  faites  aux  luimines 

"Sur  ce  personnage,  cl.  Ch.-V.   Langlois,         et  aux  choses  de  Picardie  (fr.  i46    fol   3/i  v"  ■ 

7  Z    .T't"".  ""'■''^"  ^3'  '  *''"■'''  '  9°^  )  •  "  •«  K""'^*'^  Rumegni . ,  .  le  fours  de  Gaigni . , 

p.  289.  M.  {.11.  Barbarin,   de  la   Bibliothèque  le  vidame  de  Picquigni  [cl.  plus   loin    p   3/,6 

î^ainte-derieviève ,  veut  bien  nous  informer  quil  note  2  ]  ) ,  il  ne  nous  paraît  pas  maintenant  trop 

possède  des  documents   qui   prouvent   que  le  hasardé  de  croire  que  .  Chaillou  de  Pesstain  . 

Kaoul  (.haillou,  avec  qui  nous  avons  proposé  était  de   Peitain  (c""  de  Nesie,  Somme)  •  ic 

nagiière  d'.dent.f.er  le  .,  Chaillou .   du  ms.  fr.  changcn.ent  d'.  en  v,  en  ce  cas,  quoique  rare, 

1 4<) ,  elart  seigneur  du  Creuset  et  de  Bord ,  sur  n'est  pas  sans  exemple.  Mais  alors  le  .  Chaillou  . 

les  confins  du  Berrv  et  du   Bourbonnais.  Or,  du  ms.  fr.  ,46  redevient  plus  énigmalique  que 

SI  1  on  considère  que  «  (Jiaillou  de  Pesstain .  a  jamais.  011 

glosé  son  exemplaire  de   Fauvel  de   plusieurs  O   Illslmrc  littéraire .  l.  WXU    p    i46-i53 


IlIST.  I.ITTÉR.  XXXV. 


44 


3/l6  GEFROI   DES  NÉS,  OU  DE  PARIS. 

pareille  circonstance  (  i3  i6-i3  17)  '',  des  couplets  satiriques  conti'e 
un  certain  «  rousseau  "  [russns],  renarfl  cpii  abuse  de  la  confiance  du 
Lion  pour  opprimer  ses  sujets  (allusion  à  Enguerran  de  Marigni?). 
Il  V  en  a  d'autres'^'.  Il  est  donc  fort  possible  que  quelques-uns  de  ces 
morceaux  soient  de  Gefroi.  Mais  ils  sont  trop  courts  pour  qu'on  soit 
en  mesure  de  constater  entre  eux  et  les  écrits  certains  de  cet  auteur, 
des  similitudes  décisives  de  vocabulaire  et  de  style.  Il  est  clair  qu'il  ne 
sullil  pas  que  l'expression  «ce  devant  derrière»,  très  familière  à 
Gefroi'^',  se  retrouve  ici  dans  un  motel  pourque  ce  motet  soit  de  Gefroi: 

l'^auvel  nous  a  fait  présent  Aler  ce  devant  derrière. 

Du  mestier  de  la  civière,  Fauvel  nous  a  fait  présent 

N'est  pas  lions  qui  ce  ne  senl.  Du  mestier  de  la  civière  ''. 
Je  voi  tout  quant  a  présent 

III 

Reste  à  savoir  maintenant  si  Gefroi  des  Nés,  ou  de  Paris,  le  pieux 
hagiographe  de  saint  Magloire,  est  le  même  personnage  que  Gefroi 
de  Paris,  le  chroniqueur  et  le  moraliste,  auteur  certain  de  vers  de 
circonstance  sur  la  politique  et  d'une  joyeuse  parodie  bachique  de  la 
Vie  des  Saints,  qui  représente,  dans  le  premier  quart  (ht  xiv'"  siècle, 
ia  lignée  (\e  Rutebeuf. 

A  cette  dernière  question  qu'il  a  posée  inciden)ment,  et  comme 
par  acquit  de  conscience,  M.  de  Wailly  (qui  d'ailleurs  n'attribuait 
à  Gefroi  que  la  Chronique  et  huit  pièces  au  lieu  des  treize  ou  qua- 
torze dont  nous  avons  parlé  plus  haut),  a  répondu  par  la  négative. 
«Nous  n'admettons  pas  qu'on  puisse  identifier  cet  auteur  (l'auteur  de 
«  la  Chroni(jue)  avec  maître  Gefroi  des  Nés ...  ».  «  Outre  que  les  com- 

'''   Les  pièces  à  Piiilippe  le  Long  soiil  pré-  est  neqniisimn  vtilpes  {to\.  /i);ol  Picquigniestdc 

cédées   de  la    mention  suivante,    qui    dale  le  nouveau  nommé  dans  un(M|ps«  sottes  clinnsons» 

recueil  :  «Pour  Phelippes  qui  règne  ores  — (]i  du   aChalivali»   (loi.  34  v").  —  Sur  le  vidame 

metrei/.  ce  motet    onquores».    Inc.   :   SeiTiint  Henautde  Picquigni,  cf.  A.  Arlonne,  Ae  moui'e- 

regeiii    mi.^fr/fon/m    et    O   Philippe,    preln.itrii  ment  de  131  i  [Paiis,  içjia),  p.  T).'!. 
Francnrum...  (loi.  lo  >").  •''   C,(.  plus  haut.  p.  3/(1  ,  note  a. 

'*'   \oir  la  pièce  dont  l'incipit  al  :  Desolntn  '*'  Au  sujet   de   cette  locution   proverbiale, 

mater  Ecctesiu   (allusion  au  procès  des   Tem-  cf.  A.  Làngfors,  Le  H nw an  de   Fniirel,  j).   la^, 

pliers),  fol.  8  v".  Il  est  question  du  vidame  de  et  Mélnmjes  offerts  à  U.  /•'.  Puni,  t.  I"  (Paris, 

Picquigni,  personnage  bien  connu  au  commcn-  U)i3),  p.  i6o. 
cément   du  xiv' siècle,   dans  la  pièce  JDe'inc/or 


SES  KCRIÏS.  3'i7 

«positions  de  l'un  et  de  l'autre  appartiennent  à  un  genre  tout  difle- 
«  rent,  et  qu'on  n'y  voit  percer  mille  part  l'esprit  indépendant  et  railleur 
«  qui  éclate  souvent  dans  les  vers  de  Geffroi  de  Paris,  on  ne  s'explique 
«  pas  pourquoi,  dans  les  œuvres  où  il  lui  a  plu  de  se  faire  connaître. 
Il  il  ne  se  serait  pas  toujours  caractérisé  par  ce  nom  des  ISés,  qui  était 
Il  bien  plus  propre  que  le  lieu  de  sa  naissance  à  le  distinguer  de  ses 
«  nombreux  homonymes.  » 

M.  de  Wailly  pensait  (ju'i)  sufTisaif  au  lecteur  de  confronter  le 
fragment  de  la  Vie  de  saint  Magloire  qui  a  été  imprimé  au  tome  XXII 
des  Historiens  de  la  France,  immédiatement  après  la  Chronique, 
Il  pour  se  convaincre  que  Gefroi  des  Nés  et  Geffroi  de  Paris  ne  peu- 
«  vent  guère  être  comparés  que  pour  la  médiocrité  de  leurs  vers  ». 

Or,  nous  avons  lu,  synoptiquemenl  avec  la  Chronique,  non  seu- 
lement ce  fragment,  mais  la  Vie  tout  entière  de  saint  Magloire,  en 
majeure  partie  manuscrite.  Et  nous  ne  saurions  dire  que  la  conclu- 
sion no  M.  de  Wailly  s'impose  à  nous  comme  à  lui.  Sans  doute  la  Vie 
est  loin  d'avoii' l'allure  de  la  Chronique;  mais  c'est  (sauf  le  fragment 
])ublié  dans  les  Historiens,  sur  les  fêtes  de  la  translation  de  la  chasse) 
une  traduction.  Quant  à  ce  fragment  original,  soudé  à  la  traduction, 
il  a  le  caractère  d'une  chroniqu(^  —  on  dirait  presque  d'un  «  article  « 
de  journal;  —  et  cette  addition  assez  bizarre  s'explique  mieux  si  elle 
est  le  fait  d'un  écrivain  habitué  dès  longtemps  à  chroniquer  par 
ailleurs.  Ajoutons  que  si  le  corps  du  récit  placé  en  appendice  à  la  Vie 
se  trouvait  dans  la  Chronique,  on  n'aurait  aucune  impression  de 
disparate.  Même  langue,  mômes  chevilles,  mêmes  rejets  : 

233.  Puis,  quant  passée  fu  la  presse.  Tint  cuer;  avec  ii.  main  a  main, 

L'evesque  de  Laon  la  messe  L'abbes  de  Sainte  Geneviève  .  .  . 

Chanta;  l'abbes  de  Saint  Germain 

Gomme  le  sujet  du  fragment  (cérémonie  d'une  translation  de 
reliques)  ne  comportait  pas  l'emploi  des  proverbes  savoureux,  chers  à 
l'auteur  de  la  Chronique — Mal  secuevrc  oui  le  cul  pert^^\  etc.,  —  et  les 
violencesde  langage,  la  couiparaison,  au  point  de  vue  du  style,  entre 
le  fragment  et  la  Chronique  ne  saurait  être  aussi  probante  que  celle 
entre  la  Chronique,  les  pièces  de  circonstance  et  les  dits.  Il  semble 

'''   Avisemens,  v.  1 1 1  ;  Chronique,  v.  438. 

ii. 


348  JESSEL.IN  DE  CASSACJNES,  CANOMSTE. 

pourtant  que,  dans  les  deux  cas,  c'est  à  la  même  conclusion  qu'on 
aboutit. 

Notons  encore,  à  l'appui,  que  l'habitude,  assez  rare,  de  dater  ce 
qu'ils  écrivent  du  jour,  du  mois  et  de  l'année,  est  commune  à  Gefroi 
des  Nés  et  à  Gefroi  de  Paris  (dans  les  Dits). 

Quant  à  la  différence  des  surnoms,  que  M.  de  Wailly  considérait 
comme  une  pierre  d'achoppement  décisive  à  Tidentification,  il  est 
assez  simple,  semble-t-il,  d'en  rendre  compte.  —  Gefroi  des  Nés, 
«né  de  Paris»,  n'avait  aucime  raison  de  taire  son  patronymicnie 
dans  les  ouvrages  de  piété  qu'il  a  rédigés,  au  moins  en  ])artie 
sur  commande,  nous  l'avons  vu,  à  partir  de  i3i5  au  plus  tard  jus- 
qu'en 1827.  Mais  les  écrits  de  Gefroi,  pareillement  «ne  de  Paris»''', 
qui  lurent  composés  de  i3i3  à  1828  au  plus  tôt,  et  dont  un  (la 
Chronique)  a  été  brusquement  interrompu,  pour  une  cause  in- 
connue, en  i3i6,  n'étaient  pas  aussi  inoflénsifs;  il  est  au  moins 
concevable,  nous  le  disons  sans  insister,  que  l'auteur,  tout  en  ne 
consentant  pas  à  se  dissimuler  tout  à  fait,  n'ait  pas  tenu  là,  dans  des 
(euvres  certainement  destinées  à  une  large  publicité'^',  à  se  distinguer 
individuellement  des  nombreux  Parisiens  dont  le  prénom  était 
Gefroi . 

C.  L. 


JESSELIN   DE   CASSAGNES,  CANONISTK. 

Il  est  difficile  de  déterminer  avec  précision  l'origine  de  Jesselin  de 
Cassagnes '^'.  Nous  ne  savons  rien  de  sa  fainille;  d'autre  part,  parmi 

''   Il  est   écrit,  à  la  fin   de  sa  Vie  de  saint  facile  sur  son  nom  pationymicjiic  ((/<>.«  iVc«,»n(u.s). 

Magloire   [Historiens  de   la    France,  l.   XXII,  '*'   Historiens  de  la  France,  t.   XXII,  p.  88 

p.  170,  V.  33i)  :  (relevé  des  passages  qui  prouvent  que  la  Chro- 

Je,  qui  Gefroi  <les  Nés  me  nomme,  ^'"l"^  était  destinée  à  être  récitée  ix  liaute  voix , 

Nez  «le  Paris.  .  .  encore  plus  qu'à  être  lue). 

„  , 1    1       -,         .  i,r  '''  Son  nom  se  trouve,  dans  les  doruinenls 

Lompare/.  I  mcipit  précité  de  la  nièce  n    IV  ,  1       r  11 

,„,'.,     n    ■         '  '  contemporains,    sous   les   loiiues   les    plus  \a- 

de  delioi  de  l'ans:  .,         f      i-  r-       ii-  r'        r  i« 

nées  :  Jocelinus,  uecellinus,  (jesselinus,  Jes- 

Nat.is  ei;o  G.  <le  Parislo.  sellinus,  Je.isclinus,  Zenzellinus.  Gieczelinus, 

Il  est  probable  que  notre  auteur  n'était  pas         Zessclin.  Le  /îe/ierfoircde  M.  le  rlianoinc  Uljsse 

au-dessus  de  la  Iciitation  de  l'aire  un  calembour         Chevalier  l'enre-iislre  sous  Gait.ei.in. 


SA  VIE.  349 

les  lieux  dits  Cassagnes  que  l'on  rencoutre  dans  le  Sud-Ouest  de  la 
France,  il  serait  téméraire  de  désigner  celui  dont  il  a  pris  le  nom. 
Toutefois  une  conjecture  est  permise  :  Jesselin  fut  un  client  fidèle 
du  cardinal  Arnaud  de  Via,  l'un  des  neveux  de  Jean  XXll;  peut-être 
faut-il  en  conclure  que  lui  aussi  était  originaire  do  cette  région  du 
Quercy,  dont  tant  d'enfants  durent  leur  carrière  à  la  protection 
du  pape  cahorsin  ou  de  ses  neveux.  Les  lieux  dits  (lassagnes  ou  les 
Cassagnes  ne  manquent  pas  dans  la  région  que  baignent  le  Lot  et 
l'Aveyron  ''*. 

La  mention  la  plus  ancienne  que  nous  possédions  de  Jesselin  de 
Cassagnes  est  fournie  par  les  registres  du  pape  Clément  V'-';  dès  une 
époque  antérieure  à  i3i  i,  Jesselin  est  membre  du  clergé.  En  effet, 
le  ^  août  de  cette  année,  le  pape  l'autorise  à  se  démettre  de  l'église  de 
Saint-Martin  deTibero,  aujourd'bui  dans  la  commune  de  Caux,  au 
diocèse  de  Béziers'^',  bénéfice  qui  lui  avait  été  conféré  à  une  date  incon 
nue.  Bientôt  nous  retrouvons  Jesselin,  docteur  en  l'un  et  l'autre  droits, 
enseignant  le  droit  canonique  à  fUniversité  de  MontpeUier.  Ses 
leçons  y  furent  appréciées  des  étudiants,  dont  nous  savons  qu'en  1 3  1 7 
il  avait  une  magna  et  hoiwrabilis  comiliva^''l  Peut-être  Jesselin  eût-il 
fourni  une  longue  carrière  de  professeur  à  Montpellier,  sans  un  inci- 
dent, survenu  en  1817,  qui  contribua  sans  doute  à  le  jeter  dans  une 
autre  voie. 

Par  ses  qualités  de  jurisconsulte,  Jesselin  avait  gagné  l'estime  de 
ceux  au  milieu  desquels  il  vivait.  Il  était  le  conseiller  et  le  familier  du 
prélat  qui  occupait  alors  le  siège  épiscopal  de  Maguelone.  En  outre, 
suivant  l'usage  des  consuls  de  Montpellier,  il  fut  désigné  pour 
remplir  auprès  d'eux,  pendant  l'année  i3i7,  les  fonctions  d'asses- 
seur, c'est-à-dire  de  conseil  juiidique**'.  Or,  à  celte  époque,  l'évêque 

'''   Une  lettre  de  Jean  XXII   mentionne  un  rano)  dans  le  Compte  des  ilécimes  perçues  sar  le 

Cassanhesdans  lediqcèsedeCahors:  G.  Mollal,  clerçjé  da  diocèse  de  lïéziers  en    1322  et  1323, 

Jean  XXll.  Lettres  communes,  n'ib&i?..  publié   par   E.    Carson   dans  le   Bulletin  delà 

'''   Regestam  Clementis  papœ  F",  n°  'j-'.o'd.  Société  archéologique  de  liéziers,  a' série,  1867, 

<''  La    bulle  de  Clémenl  V   donne   :  Saint-  t.  IV,  p.  i3i. 
Martin  de  Tivirano.  Nous  devons  cette  identilî-  '''   Mots  extraits  de  l'arrêt  du  Parlement  cité 

cation,  qui  parait  incontestable,  à  l'obligeante  ci-dessous. 

érudition  de  M.  Berthelé,  archiviste  de  l'Hé-  '''  •  En  l'an  de  Mcccxvn   Ion  assessors  mes- 

rault.  Sur  Caux,  cf.  E.  Thomas,  Dict.  topogr.  sier  Genselin  de  Cassanhes,  doctor  en  dos  dreys 

de  l'Hérault ,  p.   189   —  La  bulle  de  Clément  V  canonic  e  civil  •  (  A.  Germain ,  Histoire  de  la  com- 

précitéc  se  rapporte  évidemment  à  la  paroisse  mune  de  Montpellier,  Mont|ieilier,   i85i,  t.  1", 

mentionnée  sous  le  nom  de  Tinerano  (lire  Tive-  p.  4o2  ). 


350  JESSELIN  DE  CASSACNES,  CWONfSTE. 

aussi  bien  que  les  consuls  se  trouvait  fréquemment  en  conflit  avec 
les  gens  du  roi  do  l'Vaiice,  c'est-à-dire  avec  le  sénéchal  de  Beaiuaire 
et  ses  subordonnés.  Entre  l'évêque  et  le  roi,  les  conflits  ne  naissaient 
])as  seulement  des  rapports,  si  controversés  en  ce  temps,  de  la  juri- 
diction spirituelle  avec  la  cour  temporelle  ;  ils  étaient  en  (jutre  mul- 
tipliés par  les  actes  de  l'administration  royale,  iucompatibles  avec 
l'autonomie  que  l'évêque  revendiquait  pour  son  comté  de  Melgueil  ''. 
D'autre  part,  les  prétentions  de  la  cité  à  une  large  iiidépendanci", 
([ue  les  papes  appuyaient  de  leur  autorité,  et  sa  situation  incertaine 
entre  les  ambitions  rivales  du  roi  de  Majorque  et  du  monarque  cape- 
tien  sulFisaieut  à  «expliquer  les  désaccords  qui  surgissaient  fréquem- 
ment entre  elle  et  les  agents  du  roi  de  France.  Les  qualités  que 
cumulait  en  iSiy  .lesselin  de  Cassagnes  étaient  donc  bien  faites  pour 
lui  doniu^r  l'occasion  d'encourir  l'animosité  de>  représentants  Ar 
Philippe  le  Long. 

Il  ne  paraît  pas  que  cette  occasion  se  soit  fait  attendre  longtemps. 
Sans  que  nous  en  connaissions  le  motif,  nous  savons  qu'un  jour  le 
lieutenant  du  sénéchal  de  Beaucaire  (il  était  chevalier  et  s'appelait 
.lean  de  Sancerre),  acconqiagné  de  quelques-uns  de  ses  subordonnes, 
pénétra  dans  l'auditoire  de  l'évêque,  et  par  violence  y  enleva  Jesselin 
ain->i  que  le  scelleur  et  le  procureur  de  la  cour  épiscopale.  Traînés 
ignominieustmenl  dans  les  rues  de  la  cité,  Jesselin  et  ses  compagnons 
d'infortune  furent  chargés  de  chaînes  et  jetés  dans  un  cachot  dont 
ils  ne  sortirent  qn'après  plusieurs  jours. 

C'était  un  clerc  qui,  dans  la  personne  de  Jesselin,  avait  été  traité 
de  la  manière  la  phis  injurieuse,  au  mépris  des  privilèges  que  les 
deux  pouvoirs  s'accordaient  à  reconnaître  au  clergé.  Les  victimes 
des  agents  royaux  s'adressèrent  au  Parlement  :  le  9  juin  i.'^i8, 
elles  obtinrent  un  arrêt  qui  leur  assurait  une  éclatante  réparation. 
Les  coupables,  à  commencer  par  Jean  de  Sancerre,  furent  déclarés 
déchus  du  droit  d'occuper  désormais  un  poste  dans  l'administration 
royale  ;  ils  furent  condamnés  à  reconnaître  publiquement  leurs  torts, 
à  en  faire  amende  honorable,  un  cierge  à  la  main,  dans  l'église  des 
Frères  Prêcheurs,  à  subir  un  emprisonnement  d'une  durée  égale  à 
la  durée  de  celui  qu'ils  avaient  infligé  à  Jesselin  et  à  ses  compagnons, 

'    Cr.   V.  Germain,  l.e  temporel  de'  erêqaes  de  \î(iijaetoiie    Montpellier,  i8-j()),  p.  i8. 


S\  \IK.  351 

et  a  leur  paver  une  indemiiité  de  cinq  cents  livres  '.  Si,  comme  il  est 
probable,  cet  arrêt  fut  exécute,  on  peut  estimer  que  la  cour  avait 
donné  au\  oITensés  une  réparation  proportionnée  à  Toulra^e. 

Cependant  il  semble  certain  que  cet  incident  détermina  un 
ciiangemenl  dans  la  vie  de  Jesselin  de  Cassagnes.  A  partir  de  l'année 
iSi-,  nous  n'avons  plus  aucune  trace  de  sa  présence  à  Montpellier. 
En  revanche,  il  apparaît  dès  les  premiers  mois  de  i3i8  avec  les  fonc- 
tions de  chapelain  du  cardinal  Arnaud  de  Via,  neveu  de  Jean  XXII; 
sans  doute  grâce  à  la  protection  du  cardinal,  il  obtient  du  pape 
la  collation  d'une  prébende  de  chanoine  au  chapitre  de  Saint-Paul 
de  l'euouillèdes,  qui  avait  été  récemment  fondé  au  diocèse  d'Alet  ''. 
H  n'est  pas  téméraire  d'en  conclure  que  Jesselin,  dégoiité  par  son 
aventure  des  fonctions  qu'il  remplissait  à  Montpellier,  avait  cher- 
ché ailleurs  l'emploi  de  sa  vie.  Peut-être  enseigna-t-il  le  droit 
canonique  à  l'Université  d'Avignon  ;  ainsi  s'expliquerait  la  composi- 
tion de  ses  commentaires  sur  les  Clémentines  et  les  décrétales  de 
Jean  XXll,  œuvres  en  tout  cas  postérieures  à  i3i8,  que  nous  signa- 
lerons ci-dessous. 

Quoi  qu'il  faille  penser  de  cette  hypothèse,  Jesselin  ne  paraît  pas 
avoir  eu  à  se  repentir  d'avoir  quitté  Montpellier  ;  il  fut  largement 
indemnisé  par  les  bénéfices  et  les  fonctions  ecclésiastiques  qui  lui 
furenl  conférés.  Quelques  années  plus  tard,  en  iSaS,  il  reçoit  la 
collation  de  l'archiprètré  de  Saint-Martin  de  Roquefort'' ,  au  diocèse 
de  Narbonne;  en  l'année  iStÔ,  Jean  XXIl  lui  confère,  grâce  à  l'in- 
lervention  du  cardinal  Arnaud,  une  prébende  de  chanoine  à  la 
cathédrale  de  Béziers  *'.  Le  3  février  iSjy,  Jesselin  obtenait  de 
joindre  aux  bénéfices  qu'il  possédait  déjà  une  prébende  au  chapitre 
métropolitain  de  Dourges-'^';  il  était  alors  chapelain  non  plus  du 
cardinal  neveu,  mais  du  Pontife  suprême'"'  et  devait,  un  peu 
plus  tard,    recevoir   le  titre  et    les  fonctions  d'auditeur  des  causes 

'     Lr>   0/i»i.  I.  III,  n°   i'J73;  Marcel  Four-  du  cardiual  Aiiiaud ,  .lesselm  avait  été  témoin 

nier,  Sinliiif  cl  pririléifes  dcf    Universités  fraii-  d"un  accord  passé  entre  l'abbé  de  Saint-Victor 

f(u'.te.< .  t.  Il,  1).  367,  n*  Qi.S  fci.t.  de   Marseille,     Guillaume     de    Cardaillac,    et 

'    Mollal ,  n    ()5o4  (8  mars  [."iiS).  laiclievéque  d  Ai\  ,  Jacques  de  (^oncots  (Cha- 

'    Cet  arcliipiètré    lui  avait   été  conféré  le  noine    Albe.    Aiitonr    de    Jean     Wll .    t.  I", 

.Si  mai  i3a3;  Molial,  n°  17501.  p.  to6). 

'     10    janvier     iSaâ  ;   Mollat,   n"    aiS.SS.  '''   Mollat ,  n°  ■17772. 

1.1'   1"    loiil    13)3,  à  Avignon ,  dans  la  maison  '    Cf.  n""  26358  et  39964. 


352  JESSELIN  DE  CASSAGNES,  CANONISTE. 

du  Palais  apostolique'^'.  Aussi  était-il  étroitement  mêlé  à  l'adminis- 
tration de  la  justice  du  Saint-Siège;  en  même  temps,  la  chancellerie 
pontificale  lui  donnait  fréquemment  la  mission  d'assurer  fexécution 
de  rescrits  concernant  les  matières  bénéficiales''^'.  Pour  ces  divers 
motifs,  il  tenait  à  Avignon  une  place  importante;  il  semblait  n'avoir 
plus  à  attendre  que  fépiscopat,  auquel  le  conduisaient  assez  naturel- 
lement les  charges  qui  lui  avaient  été  confiées.  Telle  avait  été  la 
destinée  de  plusieurs  de  ses  contemporains  qui  avaient  rempli  des 
fonctions  analogues  aux  siennes,  par  exemple  de  Guillaume  du  Gun, 
son  collègue  d&ns  le  collège  des  auditeurs'^',  ou  d'Armand  de  Narcès, 
qui  partagea  avec  lui  plus  d'une  mission  '*'. 

Si  tel  fut  f espoir  des  amis  de  Jesselin,  cet  espoir  fut  trompé.  Nous 
serions  tentés  d'en  chercher  la  cause  dans  un  incident  que  révèle  une 
lettre  de  .lean  XXll,  du  19  mars  iSay'^'.  Peut-être  sous  finduence 
d'un  zèle  intempestif,  Jesselin  s'expliqua  en  termes  fort  peu  mesurés 
sur  le  pouvoir  du  Pape,  qu'il  semblait  alfranchir  des  limites  posées 
par  la  tradition.  Le  passage  de  son  commentaire  des  Extravagantes  où 
il  consigna  son  enseignement  sur  cette  question  fit  scandale,  à  tel 
point  que  Jesselin  dut  le  modifier  gravement  ;  encore  lui  fallut-il 
implorer  l'indulgence  de  Jean  XXll  pour  échapper  aux  censures  que 
lui  faisait  encourii-  son  opinion  jugée  hérétique.  H  est  possible  que, 
])our  ce  motif,  la  nomination  de  Jesselin  à  un  siège  épiscopal  ait  paru 
dilficile. 

Quelle  qu'ait  été  la  portée  de  cet  incident,  il  n'entra^ia  point  pour 
Jesselin  une  véritable  disgrâce;  au  cours  des  années  qui  siîivirenl,  non 
seulement  il  fut  encore  chargé  de  fexécution  de  rescrits  de  la  chan- 
cellerie'''',  mais  encore  il  lui  lut  donné  de  joindre  deux  nouvelles  pré- 

''   Il  fil   portail   If  lilif  fil  i333  lors  delà  ''   On    en    trouvera    un    exemple    sous   le 

liiiulation   <lf    la    rollff,Miilf   de    Villfneuve-lès-  n°  •-!99G/i  dfs  Lettres  communes  de  Jean  XXI]. 

Ay\j^mm{COud'm,Cominentarins  descriptoribus  Armand    de   Narcès    était    alors   chapelain  du 

ecclesiasticis,  [.  111,  «ol.  880).  pape,  doyen   du   chapitre  du   Tescou  à   Mon- 

'-'   Moliat,  11°' ai 6(il), 'J  1 9/43,223.33,  239G5,  laubaii,   chanoine  de  Chartres;  il  devint  plu^ 

•>4952,  jboSH,  3522(j,  2.^498,  257/41,  25791,  tard    archevêque   d'Aix   (ci'.  E.    Albe,    Prélats 

26009,  •!6358,  26529,  26561,  26603,  26621,  ori(/iH(iir«    du    Quercy,    dans    les    Annales    de 

26691,26703,26715,26781,26919,27089,  Saint-Louis-des-Français,    l.    IX,    igo4-i9o5, 

27/4'i3,  27691,  2822'!,  igi/ii,  29169,  29196,  p.  99). 

29198,  29889,  2996'!,  3o/n6.    l/ouvrage    de  ''    Mollat,  u°  28199. 

M.  Mollai  est  encore  dépourvu  de  tables.  '''  Voir,    par   exemple,  Mollat,    n^iogiS 

''    Voir  la  notice  df  (luillauiue  du  Cun,  qui  et  4i334.  Ces  deux  actes  sont  de  i328- 
suit. 


SES  ECRITS.  353 

bendes  à  celles  qu'il  possédait  déjà'''.  Le  voilà  donc  cinq  fois  chanoine, 
à  Saint-Paul,  à  Béziers,  à  Bourges,  à  Lodève  et  à  Narbonne,  sans 
compter  l'archiprêtré  de  Roquefort;  il  conserva  ces  bénéfices  jusqu'à 
son  dernier  jour.  C'est  à  Avignon  que  la  mort  le  frappa,  au  cours  de 
l'année  i334,  probablement  un  peu  avant  Jean  XXII.  Nous  le  savons 
à  n'en  pouvoir  douter,  puisqu'un  des  premiers  actes  de  Benoît  XII  fut 
de  pourvoir  au  remplacement  de  Jesselin  dans  les  bénéfices  qu'il  avait 
laissés  vacants '^^. 

En  somme,  le  développement  de  la  carrière  de  Jesselin  de  Cas- 
sagnes  semble  avoir  été  entravé  par  deuv  incidents:  un  conflit  avec 
les  ofllciers  du  roi  de  France  à  Montpellier,  et  fiinpression  fâcheuse 
produite  sur  certains  esprits,  à  Avignon,  par  l'exagération  de  quel- 
ques-unes de  ses  doctrines.  Ce  jurisconsulte  fut  traité  comme  un 
voleur,  et  ce  canoniste,  fervent  défenseur  du  Saint-Siège,  put  passer 
pour  un  hérétique.  Peut-être  eût-il  évité  ses  mésaventures  s'il  s'était 
conformé  à  la  maxime  des  gens  avisés  qui  redoutent  les  excès  de  zèle. 


SES   ECRITS. 

A  l'exception  d'un  seul  ouvrage,  dont  nous  ne  connaissons  que  le 
titre'^'et  qui  était,  semble-t-il,  une  Concordance  descitations  bibliques 
contenues  dans  le  Décret  de  Gratien,  les  écrits  de  Jesselin  de  Cassa- 
gnes  sont  des  commentaires,  ou,  selon  l'expression  reçue,  des  Appa- 
ratus  sur  les  plus  récents  recueils  de  Décrétales.  Ces  commentaires 
sont  dédiés  au  protecteur  de  Jesselin,  le  cardinal  Arnaud  de  Via. 

Vipparatas  ou  Leclura  sur  le  Sexte'*'  paraît  être  le  plus  ancien 
en  date;  cependant,  du  moins  dans  sa  forme  définitive,  il  ne  sau- 
rait être  antérieur  à  iSiy,  année  où  Arnaud  fut  créé  cardinal.  Il  est 
vraisemblable  que  cet  ouvrage  représente  l'enseignement  que  l'au- 

'"'  Cela  résulte  des   lettres   de    Benoit    XII  ad  Bibliam    domiiii  Jesselini,  in  modico  volii- 

conférant  en   i335  les  prébendes  vacantes  par  mine»  (Ehrle, //liioria  ii6/iot/ictœ   Romunorum 

la  mort  de  Jesselin:  voir  les  lettres  citées  à  la  pontificuni,  t.  1",  p.  543,  n°  1370). 

note  suivante.  '*'   Inc.  :   «Humana   natura». —  Bibl.  nat., 

'''    ig   janvier    i335.   Abbé  Vidal,    Lettres  lat.  4o86  et  4087  ;  Berlin,  f.  16G;  Halle,  Ye, 

communes  de  Benoît  XII,  n"  Sg  a  64.  loi.  37.  Ces  deux  derniers  manuscrits  ont   été 

'''  La    mention     suivante    se    lit    dans    un  signalés   par   Schultc,    Cicschichte  dev  Quelten 

ancien  catalogue  de  la  librairie  du  Saint-Siège  :  iind    Literatur   des    laiiniiischen    Rechts,    t.    II, 

«  Concordancie    seu     auctoritates    Decretonim  p.  1  i|t). 

iiisr.  i.iTrÉii.  —  wxv.  45 


;i54 


JESSELIN  DE  CASSAGNES ,  CANONISTE. 


Jeur  eiil  roccusion  de  donner  à  Montpellier  sur  le  recueil  proniulgu»" 
nar  Bonilace  \  III. 

Peu  de  temps  après  la  publication  de  cet  écrit,  .lesselin  fil 
paraître  son  commentaire  sur  les  Clémentines'' .  Il  l'avail  composé  à 
Avignon;  d'une  mention  insérée  à  la  fin  de  plusieurs  des  manuscrits 
de  Paris  et  reproduite  sur  un  manuscrit  qui  a  appartenu  à  rabl)a>e 
de  Marnioutier,  il  résulte  que  cet  ouvrage  lui  terminé  le  7  sep- 
tembre I  3i3  '"^'.  L'auteur  se  donne  dans  cette  mention  le  double  titre 
de  professeur  de  l'un  et  l'autre  droits  et  de  chapelain  du  [*ape.  Le 
commentaire  de  Jesselin  sur  les  Clémentines  est  postérieur  cà  c<'lui  de 
Guillaunu-  de  Montlauzun,  et  antérieur  de  trois  ans  à  celui  de  Jean 
\ndré. 

Moins  de  deux  ans  plus  tard,  Jesselin  lit  paraître  un  commentaire 
sur  un  groupe  de  vingt  décrétales  de  Jean  Wll,  dont  la  drrnière  en 
date  était  du  1  v»  novembre  iS'JîS''^';  nous  savons  qu'un  manuscrit  de 


''  Inc.  ■■  liii|iciT(('liim  in  luiinaiia  ...» 
Makdsc.rits.  Bil)l.  nat. ,  lai.  ^loô,  'iio(), 
i/l33i,  ibiios;  Allas,  457;  Laoïi,  38C  ; 
Reims,  7''i3  <'l  y'i'i;  .Sainl-Oiiit-r,  l/io  ci 
'iTiS:  Touis.  5(jT  :  Oxford  ,  New  Collej;e,  180  : 
Oxlciiil,  Corpus  Christi  (Collège,  70:  Oxford, 
Kvelei-  Ci)lle','e,  17;  Berlin,  f.  16I)  ,  (<•  der- 
nier niannscril  est  indi(|ué  par  Srfiiille,  op.  rit.. 

t.  Il,    [).    !()(). 

'  I5il)l.  nat.,  lalin  '1108,  a  la  lin  de 
VAppnrdIas  sur  les  (Clémentines.  Voir  aussi 
lalin  /jii6  el  i'i33i.  D'après  la  iiole  d'un 
religieuv  ili'  Marnioutier,  reproduite  par  L. 
Delisle  {Notice  sur  les  innnuscrits  (lispnrus  de  lu 
liihliotlièqiie  de  7our<.  dans  Notices  et  extraits 
des  mtiiMscrits,  I.  XXXI,  1"  jiartie,  p.  3/i3), 
et  euiprunir-e  au  iiianuserit  Oo  de  Marniou- 
tier. aujour<riiui  perdu,  l'ouvrajjte  de  Jes- 
selin aurait  été  achevé  le  7  septemlire  l3i8, 
la  liuitiènie  année  du  pontificat  de  Jean  XXII. 
Mais  le  7  septembre  de  la  huitième  année  du 
pontificat  est  le  7  septembre  i323:  le  religieux 
l)éiiédictin  a  certainement  commis  une  erreur 
facile  à  expliquer  el  conlbiidu  Mcccxxiii  avec 
MC.cc.xviil.  La  véritable  lecture  est  :  7  sep- 
tembre i3:(3.  Il  X  avait  accord  entre  les  ma- 
nuscrits de  Paris  et  le  manuscrit  de  Tours. 

''*  l\r,.  :  »  lleverenlissimo  in  Christo  patri 
<lumino  suo  Ariialdo. . .  Deus  ab  eleiiio  fulura 
previdens .  .  .  » 


Il  !• 


MaM'SCFits.  Rilil.  nat,  lai.  'iiiti 
i/|33i,  l'itiiG;  .Amiens,  37(1;  Arra> ,  /|.)7 
(Ibàlons,  t)5  ;  (lliarties,  -i-jh  et  3o3  ;  Douai, 
(i3(i;  Kpliial,  1/1  ;  .Metz,  3i  ;  Saint Oincr,  \M  ■ 
Tours,  ,')()•!  ;  Perugia,  n"3o6;  Berne,  ''|()n;  Kœ- 
nigsberg,  1  r<3  et  inS  (ces  derniers  d'après 
Scliulte,  op.  cit..  t.  II,  p.  :!oa,  note  \).  A.  la 
page  I  ■>.  de  l'ouvrage  cité  ci-dessou-> ,  J.  W.  Bi<- 
kell  dit  que,  de  son  temps,  il  y  nvait  un  ma- 
niiM  rit  de  cet  ouvrage  à  Slnlt{fail  .  ifms  la 
bibliothèque  privée  du  Roi. 

Editions.  Incunable,  sans  lieu  ni  dale  (im- 
primé a  Lyon),  Main,  [\cperto\iuin,  n"  '\llb\; 
M.  PcUediel,  Ciilidoiiiie  ijriienil  des  inciinn- 
bles  des  Bihlintlièqucs  paldiques  de  /''raiice . 
n"  ■!7'',7.  J.  \\  .  Bickell,  a  la  p.  3 'i  t\i-  son  ou- 
vrage, IJeber  die  Entsichuii'i  und  dcit  liiiilifjcn 
(iehraiicli  der  beideii  Extravaipiiiteiisnmmhwifei) 
des  Corpus  juris  caiioniri  (Maii)ourg,  182.')), 
signale  cette  édition,  contenant  le  texte  et  le 
conmientaire  di's  Kxiravagantes,  avec  une  pré- 
face de  François  de  Pavinis,  canoniste  italien 
du  XV'  siècle,  l  ne  édition  donnée  à  Paris  en 
1  5  I  0  a  été  mentionnée  dan--  le  (atdloijiir  des 
maniiscrils  (r.\rras  (t.  I\' du  ('atalo(fiic  ijéni'ral 
des  iimiiuscrits  des  Bibliothèques  de  Erunce.  Dépar- 
leinents,  in-/j",  p.  180).  Sur  l'insertion  du  com- 
mentaire de  Jesselin  dans  les  éditions  glosées 
du  dorpus  jiiris  cimoiiici ,  ^oir  ci-dessous, 
p.  3()0. 


SES  ECRITS. 


355 


cot  ouvrage,  conservé  à  Chartres,  fut  achevé  le  'i4  avril  1325''. 
Il  faut  remarquer  que  ce  groupement  de  décrétales,  que  manifeste 
pour  la  première  fois  IVcuvre  de  Jesselin,  devait  subsister  dans 
l'avenir  ;  c'est  ce  recueil  ((ui  a  pris  le  nom  d'Extravagantes  de 
Jean  XXII'". 

Ainsi  les  écrits  de  Jesselin  de  Cassagnes  qui  nous  sont  parvenus  ont 
été  composés  de  iSiy  à  iSaô,  pendant  le  séjour  de  l'auteur  à  Avi- 
gnon. Ils  sont  l'œuvre  d'un  jurisconsulte  familier  de  la  cour  ponti- 
ficale, qui  avait  toute  facilité  pour  connaître  les  idées  qui  dominaient 
dans  l'entourage  de  Jean  XXII. 

Dans  ces  divers  écrits,  l'auteur  se  conforme  au  plan  traditionnel. 
11  étudie  successivement  chaque  décrétale.  Il  suit  pour  cette  étude 
l'ordre  du  Sexte  et  des  Clémentines;  en  ce  qui  concerne  les  Extrava- 
gantes de  Jean  \XI1 ,  il  les  commente  d'après  l'ordre  chronologique, 
qui  n'est  pas  celui  des  éditions  et  que  nous  croyons  devoir  indiquer 
de  nouveau'"*'  : 


1.    Extrav. 

,  Titre  t,  Ad  onus. 

1  2. 



—   XII,     Dit'iuni     cres- 

2.          — 

—   IX,  Quia   in  ftUuro- 

centt". 

rum. 

i3. 



—    IV,  2,  Ad  apostolaUi^. 

3.        — 

—   XIII,  Cum  ad  sacro- 
sanctae. 

l'i. 



—  XIV,  î  ,  Quia  non 
nunquani. 

4.       — 

—    VIII,  Copiosus. 

.5. 



—  X.  Prodii'ns  (jnasi. 

5.       — 

—   V,  Si  rratrurn. 

i6. 



—  XI,     \<l    MDsli'i    apo- 

6.       — 

—   XIV,   1 ,  Quormndam 

stolaliis. 

.•xigit. 

'7- 



—   VI,   Anliqiiii'  ••"ncii 

7-       — 

—    H,  Siisct'pti. 

tationis. 

8.       — 

—   IV,     1,     Sedcs     \p()- 
stolira. 

.8. 



—  XIV,  ?>,  \(l  condi 
toron\. 

9-       — 

—   III,  Exsecrabilis. 

'0- 



—  XIV,    /i,    Cum    int.i 

10.         — 

—   VU,  Sancta  Romana. 

nonnulli». 

11.       — 

—    II,       Ecclesiie      Ro- 
mana;. 

2(). 



—  XIV,  5,  Quia  quu 
l'umdam. 

'"'  Noie  insérée  à  la  fin  (li>  l'ouvrage ,  clans 
le  maiiuscril  de  Chartres,  n"  !io3  :  cf.  Schulte, 
lier  yalliciim,  dans  les  Sit:un(jshc'i  iclite  de 
l'Académie  impériale  de  Vienne,  classe  de 
phil.  et  d'hist.,  t.  LIX,  i868,  p.  i-jA. 

''  Ce  f^roupement  est-il  l'œuvre  de  Jesselin, 
on  ces  décrétales  ont-elles  été  réunies  sous  l'in- 
llnence  de  Jean  XXII?  La  question  demeure 
indécisi';  cependant,  en   faveur  de  la   seconde 


opinion,  on  peut  invoquer  un  passage  de  la  dé- 
dicace adressée  jjar  Jesselin  au  cardinal  Arnaud  : 
«Cum  igitur  dominus  Joannes. . .  noniaillas 
constituliones  per  se  novller  éditas  promul- 
gaverit,  inundo  prospicere  cupiens  univcrso...  » 
Cf.  J.  W.  Bickell,  op.  rit.,  p.  .),  <t  Kistolic 
littéraire,  t.  XXXIV,  p.  5 19. 

C  Cf  Histoire  lillérnirc.  t.  X\XI\  ,  p.  .")i.S, 
note  6. 

45. 


356  .IKSSEMN  l)K  CASSAGNES,  CANONISTE. 

Jesselin  indique  d'abord  le  plan  de  chaque  décrétale.  Ensuite  il  en 
commente  le  texte,  en  présentant  ses  explications  sur  chacun  des  mots 
importants.  Ses  commentaires  sont  entremêlés  de  renvois  nombreux 
aux  textes  de  droit  canonique  et  de  droit  romain.  Il  cite  assez 
fréquemment  les  ])rinci])aux  auteurs  qui  ont  écrit  sur  l'un  et 
l'autre  droits  :  iiiusi,  parmi  les  canonistes,  hinocent  IV  et  le  cardinal 
d'Ostie,  qui  semljlent  ses  maîtres  préférés,  Alanus,  Bernard  de 
Gompostelle ,  Geollroi  de  Trani ,  Pierre  de  Sampson ,  et  aussi  Guillaume 
de  Montlauzun ,  dont  |ieut-ètre  il  s'est  inspiré  parfois  dans  son 
commentaire  sur  les  Glémentines,  mais  qu'il  ne  copie  pas^'';  parmi 
les  civilistes,  il  invo(|ue  volontiers  l'autorité  d'Accurse;  il  connail 
aussi  les  lois  lombardes.  En  général,  son  commentaire  se  réduit  à 
des  observations  brèves  et  sèches,  parfois  à  des  explications  purement 
littérales.  H  connaît  fort  bien  les  textes  et  sait  s'en  servir;  il  est  familier 
avec  les  catégories  juridiques  et  avec  les  méthodes  du  droit,  mais  il  est 
rare  qu'il  se  livre  à  des  développements  amples  et  qu'il  se  hausse  <à 
des  aperçus  élevés. 

Gcpendant  il  lui  arrive  de  déroger  à  ses  habitudes.  Jesselin  pro- 
fesse une  grande  estime  pour  les  hommes  cultivés  dont  la  science  est, 
à  son  avis,  indispensable  à  ceux  qui  sont  chargés  du  gouvernement 
des  âmes,  et  très  utile  à  ceux  auxquels  est  confiée  une  administration 
temporelle''';  rangés  autour  de  l'Église,  ces  hommes  constituent  pour 
elle  un  rempart  (ju'il  tient  pour  inexpugnable.  Aussi  pense-t-il  qu'on 
ne  saurait  trop  encourager  et  récompenser,  par  la  collation  de  béné- 
fices, les  clercs  qui  se  sont  voués  à  de  laborieuses  et  pénibles  études 
pour  être  en  mesure  de  remplir  ces  fonctions.  Quand,  dans  son 
commentafre  sur  les  Clémentines,  il  en  vient  au  titre  de  Maçfistris 
(V,  i),  il  énumère  par  le  menu  les  conditions  et  les  prérogatives  du 
doctorat,  donnant  ainsi  une  preuve  de  la  haute  considération  oîi  il 
lient  ce  grade '^.  On  trouve  dans  le  texte  de  Jesselin  d'autres  passages 
où  le  commentaire  purement  exégétique,  qui  suit  pas  à  pas  le  texte, 
tend  à  se  transformer  en  une  dissertation  magistrale.  Ces  passages  sont 

'''   Il  cite  GiiiHanme  de  Montlauzun  au  cours  taire  donné  par  l'nn  et  l'antre  de  froi»  Eitra- 

<le  son  commentaire  des  Extravagantes   Exse-  vagantes    de  Jean  XXII    pour  constater    que 

crnhilis   et  Sedes  Apostolira.    Zabarella  dit  de  chacun  a  son  originalité. 

Jesselin  qu'il  a  imili' Montlauzun  in  mu/hi  (tec-  '''   Voir  le  a)minentaire  de  la  hnlU'   Exfe- 

titra  saper  Clementinif ,  Proemiam,  éd.  de  Lyon,  crabiHs,  t.  III,  c.  unie,  v°  litterntù  viris. 
i5>!,  loi.  t).  Il  siidil  (le  rom|iarer  le  coinmen-  '"   Bibl.  nat. ,  l«l.    16903,    M.    106    y". 


SES  KCRITS.  357 

peut-être  plus  uonibreiix  dans  son  dernier  ouvrage,  consacré  aux 
Extravagantes.  H  ne  faut  ])as  s'en  étonner  :  l'auteur  y  rencontre,  avec  les 
plus  récentes  décisions  pontificales,  les  controverses  qui  passionnent 
ses  contemporains.  En  le  lisant,  on  ne  saurait  oublier  qu'il  écrit  dans 
le  milieu  d'\vignon,  pour  la  défense  de  la  politique  ecclésiastique  qui 
V  est  suivie.  11  ne  se  contente  pas  de  magniiier  la  puissance  du  Pape, 
le.r  ammala  in  terris,  ayant  en  mains  les  deux  glaives  et  possédant  la 
juridiction  non  seulement  sur  les  chrétiens,  mais  sur  les  infidèles,  ni 
de  rappeler  que  les  rois  sont  en  conscience  tenus  de  défendre  l'Kglise 
contre  les  périls  intérieurs  et  extérieurs,  ni  de  développer  largement 
la  théorie  du  pouvoir  indirect  ratwne  peivati'^^K  II  s'attache  aux  ques- 
tions concrètes  dans  la  discussion  desquelles  les  ennemis  du  Siège 
apostolique  pourraient  trouver  des  arguments.  Aussi  ne  se  borne- 
t-il  pas  à  faire  connaître  par  le  menu  les  privilèges  des  cardinaux,  ce 
qui  ne  doit  pas  étonner  de  la  part  d'un  protégé  du  cardinal  Arnaud; 
mais  encore  pressent-il  les  objections  qui  pourraient  être  soulevées 
contre  les  membres  du  Sacré  (ioHège,  à  raison  du  fait  que,  résidant 
à  Avignon,  ils  sont  pour  toujours  éloignés  de  leur  titre  et  ne  devraient 
pas  être  considérés  comme  les  chefs  du  clergé  romain.  C'est  pour- 
quoi, développant  une  idée  déjà  indiquée  par  Guillaume  de  Mont- 
lauzun'^',  il  pose  en  principe  que  ubi  est  Papa,  ibi  est  Romana  ciiria,  et 
en  déduit  que  les  cardinaux  créés  par  le  pape  d'Avignon  sont  bien 
les  cardinaux  de  l'Eglise  romaine'^*. 

Sur  d'autres  points  nous  retrouvons  des  préoccupations  analogues. 
On  sait  l'usage  que  Jean  XXII  a  fait  du  droit  de  réserve.  Tout  en  indi- 
(juant  qu'il  ne  conviendrait  pas  d'étendre  les  réserves  outre  mesure, 
au  risque  de  supprimer  absolument  les  droits  des  chapitres  et  des  ordi- 
naires, .Ies.selin  fait  l'apologie  de  la  réserve  des  bénéfices  et  indique 
les  raisons  graves  qui  ont  amené  le  Pontife  romain  à  s'en  servir; 
nous  sommes  loin  de  l'observation  quelque  peu  frondeuse  que  Mont- 
lauzun  se  permet  à  propos  de  l'extension  du  droit  de  réserve '**. — 
Sous  la  pression  de  l'aristocratie  laïque,  dont  les  membres  veulent 

•''  Voir    le    conimenloire  (1^  la  bulle  (Jiiia  loi  94    v°  de   l'édition    de  Toulouse,   i534). 
iiifaturorum,  I.  IX  ,  c.  unie.  O   Sur  ia  buHe  Exterrabih.i ,  y'  Romama  Ec- 

'*'  «Ubi  originarius    gerit  se   ut   ciirialem  clnia,  t.  III,  c.  unie, 
rensetor    rurialis,    non    originarius»     (Guil-  >*>   Ibiâ.,  y°  renerramm. 

launie  <le   Monllauuin ,    Leclara   smper    Sexto . 


358  JESSEr.IN  DR  C\SS\GNES,  CANONISTK. 

suivre  les  modes  du  siècle,  ni  Ireijuentev  ncridit  m  vins  nnlnhliiis'^\ 
Jean  XXll  a  été  obligé  de  mitiger  les  graves  censures  infligées  par- 
(ilénient  V  à  ceux  qui  prennent  part  aux  tournois.  Jessolin,  en  lion  mo- 
raliste et  en  canoniste  expert,  est  très  hostile  au  duel  et  à  tout  (  e 
qui  ressemble  au  duel,  par  conséqueni  aux  tournois;  évidemment 
la  décrétale  nouvelle  n'est  pas  pour  \n\  plain».  Toutefois,  il  s'attache 
à  mettre  en  Ivimière  un  inolilqui  justifie  la  conduite  de  Jean  XXll. 
H  paraît  dur,  dit-il,  d'interdire  à  des  hommes  libres,  sous  peine  d'en- 
courir les  plus  graves  censures,  le  droit  de  di.sposer  de  leuiis  corps 
et  de  faire  l'e.ssai  de  leurs  forces.  A  rap])ui  de  cette  idée,  il  invoque  un 
texte  du  jurisconsulte  romain  Gains,  contenqiorain  des  Antonins, 
qu'on  ne  s'attendait  guère  à  trouver  mêlé  à  une  alïaire  de  tournois. 
C'est  d'ailleurs  un  texte  (jui  concerne  la  libre  disposition  pour  la  per- 
sonne humaine,  non  pas  de  son  corps,  mais  des  biens  qui  composent 
son  patrimoine  :  mKinnm  est  infjcnms  hominibns  non  esse  liheram 
saarnm  rernm  aliénât ioneni'^-K  —  Le  Pape  a  été  amené  à  promulguer  des 
sanctions  rigoureuses  contre  les  chrétiens  qni  lavilaillent,  en  armes 
ou  en  vivres,  les  Sarrasins  du  royaume  de  Grenade.  Toutefois,  il  a 
limité  à  trois  ans  la  durée  de  ces  sanctions.  Faut-il  donc  en  conclure 
que,  passé  ce  délai,  à  l'encontre  de  nombreuses  déclarations  do  ses 
prédécesseurs,  il  tient  cette  contrebande  de  guerre  pour  aflranchie 
de  peines?  Jesselin  expose  longuement  les  motifs  pour  lesquels  cette 
conclusion  doit  être  écartée. 

Ce  sont  surtout  les  décisions  rendues  par  Jean  XXll  à  l'occasion 
des  phases  diverses  de  la  brûlante  controverse  sur  la  pauvreté  du 
Christ  que  notre  auteur  s'acharne  à  défendre.  En  aucun  endroit  de 
son  œuvre  il  n'est  plus  abondant'-^';  il  écrit  sous  l'impression  toute 
fraîche  de  la  lutte,  puisqu'elle  se  continue  autour  de  lui  et  que  la 
dernière  en  date  des  Extravagantes  qu'il  commente,  rendue  le  i  J  no- 
vembre 13-23,  n'est  autre  que  la  fameuse  bulle  Ciim  inter  nnnnidlos  qui 
compléta  les  condamnations  portées  contre  la  thèse  des  Spirituels. 

'''   (ilose  siii-  le  mol  eriihescunl  de  l'Kxtrava-  qiias  per  te  ipsum  tu  studios»' adiiiveniiccnrabis  • 

tçante  Cjopiosus.  - —  Voir  le  commentaire  de  la  decrctalc  Qaia  in 

C   2,  Diyeste,  XXXVII ,  l  a.  Hemarquez  que  futurorum  ,  lit.  IX ,  c.  unie,  v"  rationabilibus  nliis. 

Jesselin   applique    au\   chevaliers   l'expiessioii  ''   On   pourra   s'en  rendre  compte  en  par- 

ingenui  homines.   Il  ne  se    fait  pas  illusion  .sur  courant  le  commentaire   du  dernier  litre  des 

la    \aleur   de    son  argumentation,  et   ajoute:  j'Alravaf^anles de  Jean  XXll . /.>t'rer6o/um  si^ni- 

t  Alie  rationes  forsan  super  hoc  reddi  possent,  fir.alione. 


si:s  l'.ciurs. 


359 


On  sait  que,  par-  cette  bulle,  le  l'ape,  tranchant  de  lonj^s  débats,  dé- 
clara hérétique  la  croyance  de  ceux  qui  s'obstinaient  à  enseigner  que 
le  Christ  et  les  Apôtres  n'avaient  eu  rien  (pii  leur  appartînt,  en  propic 
ou  en  commun.  On  pouvait  être  tenté  de  trou\er  que  cette  définition 
.^'accordait  mal  avec  les  décisions  antérieures  de  Nicolas  111  et  de  (ilé- 
ment  V;  nos  prédécesseurs  ont  signale  cette  dilTiculté  et  indiqué  les 
arguments  par  lesc[uels  Jean  XXI 1  la  résolut  '".  Jesselin  entre- 
prit, à  cette  occasion,  de  déterminer  la  liberté  que  conservait  le  Pape 
vis-à-vis  des  décisions  de  ses  prédécesseurs.  C'était  là  une  (|uestion 
lamilière  aux  canonistes  cont<Mnporains,  par  exemple  à  Cuillaume  de 
Monllauzun,  qui  l'avait  traitée  amplenu-nl.  Comment  Jesselin  la  ré- 
solut, c'est  ce  que  nous  apprend  la  bulle  lendue  par  Jean  XXII  le 
iq  mars  i3j7''^'.  Visiblement  la  solution  (ju'il  avait  donnée  excita  la 
susceptibilité  d(!s  théologiens  de  la  Cour  romaine,  parce  (ju  elle  sem- 
blait reconnaître  au  Pontife  suprènu!  la  laculté  de  créer  à  son  gré  des 
dogmes  nouveaux,  et  heurtait  ainsi  l'enseignenunl  traditionnel  qui 
concilie  l'immutabilité  du  dogme  avec  le  déveloj)})('meut  de  la 
croyance.  Nous  |)ensc)ns  devoir  donner  ici  le  texte  réprouvé,  et  placer 
en  regard  le  texte  qu(;  Jesselin  acce})ta  de  lui  substituer  dans  son  com- 
mentaire sur  les  Extravagantes.  Le  lecteur  ne  manquera  pas  de  remar- 
(juer  la  dernière  phrase  du  texte  nouveau  et  les  renvois  significatifs 
(|ui  y  sont  laits  à  divers  fragments   insérés  dans  le  Décret  de  Gratien. 


Texte  A^clEN. 

Colligo  liic  principeni  erricsiîr  Cliiis 
tique  vicarium  posse  etiam  super  tide 
catliolica  dtciarationem  faccre,  ut  tlixi 
supra  iu  {^lossa  taiiiiuain,  cuui  ctiain  no 
vuni  arliculuni  l"idt.'i  lacère  possit ,  >(•(  un 
(juin  (|ii()(t  fidei  articulus  sumatur  pro  lali 
(|U(id  credi  oporteal,  cum  prius  neres- 
sario  non  oporteret,  E.rba,  de  hcretirix, 
cum  Clnistns^^'.  ul)i  statuit  Papa  firmiter 
tore  credeiuluin  Cliristum  esse  veiuni 
Deuni  et  verum  hominein,  cujus  cou- 
traiium   ante  dicere  forle  licebat ,   cuiu 


Texte  iNOUVeau. 

(lollif»e  flic  principeni  (îcclesiie  (Ihris- 
ficpie  vicarium  posse  etiaui  super  tide 
cattioiica  declarationeni  faccic,  ul  dixi 
supra  in  glossa  tainiuuin.  Putesl  etiam 
articidum  fidei  faccre,  si  suinalur  ar- 
liculus  noir  j)i'iiprie  sed  lar^e,  pro  illo 
quod  credere  oporlcat,  cum  prius  ex 
preceptis  ecclesie  credere  non  oportcat; 
patet  exemplum  in  liac  decretati  et  de 
siininia  Tiinilnte,  capitulo  Fidei,  pani- 
graplio  /^o;7(»  Clem<ntisV,  et  per  aliquos 
ducitur  in  exemplum,  ticet  non  videatur 


'  Histoire  litlcraire,  t.  XX\I\  ,  p.  'i  r)8  et  siiivanles.- 
le  Grégoire  IX  ,  v,  7  (  Aiexandie  lll). 


''•  MoIIhI,  11°  -iSigy. —       7,  Dccréfaies 


360  JESSELLN   DE  CASSAGNES,  CANONISTE. 

Texte  ancien.  [Suite.)  Texte  noitveaii.  [Suite.] 

non  esset  prohibitum  secundum  Alanuni  michi  proprium,  Extra,  de  hcereticis,  ca- 
ibi  nolanteni,  et  récitât  Guido  xv*  dis-  pitulo  Cu/n  Chrisiu.i ,  iibi  Papa  interdiri 
tinctiont',  capilulo  primo,  <t  colligitur  f/c  mandat  ne  quis  de  caîtero  aiideal  dicere 
suinmn  Trinitate,  capitule  Fidei,  para  Christum  non  esse  aliqiiod  secun<lnrn 
graplio  /*o/T0  Clementis  W  et  liie'".  (juod  homo,  cujuseonlrariumante  dicere. 

lirehat ,  cum  non  esset  proiiibitiim  si- 
cundum  aliquorum  opinionem,  que  per  dictum  capilullim  conlunditur.  Sic  Alaniun 
ibidem  notasse  récitât  Guido  iti  xv'  distinctionc,  capitulo  primo.  Perjani  dicta  vem 
non  credas  Papam  posse  facere  novum  artiruluni ,  per  quem  nova  fides  inducalni , 
aut  veritati  fidei  detrabatur  aliquid  vel  accreseat  (|uoad  substanliam,  xxv*  (juestione, 
primo  capitulo'^',  Siint  (^liddin ,  et  capitulo  sequenti,  et  capitulo  .SV  ea  destruerem  ■*' 
et  capitule  Que  ad  pcrpclnam. 

L'œuvre  juridique  de  Jesselin  se  réduit  aux  coniinentaires  dont  on 
vient  de  parler;  après  son  ouvraji^e  sur  les  Extravagantes,  il  paraît  avoir 
cessé  d'écrire.  La  fortune  de  ses  œuvres  fut  d'ailleurs  bien  dill'érente.  Le 
commentaire  sur  le  Sexte,  d'allures  un  peu  mesquines  et  venu  trop 
tard  ,  ne  semble  pas  avoir  eu  grand  succès;  nous  en  connaissons  peu  de 
manuscrits  et  n'en  avons  aucune  édition.  \ous  possédonsdes  manuscrits 
plus  nombreux  du  commentaire  sur  lesClémenti  nés  ;  il  fut  fréquemment 
cité  par  les  canonistes  ;  mais  il  fut  loin  d'être  aussi  répandu  que  le  cé- 
lèbre commentaire  de  .lean  \ndré  sur  ce  recueil,  et  il  n'eut  pas  les 
honneurs  de  l'impression.  Le  commentaire  de  Jesselin  sur  les  Extra- 
vagantes a  eu  plus  de  succès;  outre  des  manuscrits  en  nombre  au  moins 
égal  au  nombre  des  manuscrits  de  YApparatus  sur  les  Clémentints 
(auquel  il  était  souvent  joint],  on  en  connaît  plusieurs  éditions'*'; 
mais,  ce  qui  lui  assura  un  succès  définitif,  c'est  que,  en  i5oo,  Jean 
Chappuis  le  lit  entrer,  à  côté  du  texte  des  Extravagantes,  dans  l'édition 
du  Corpus  jiiris  canonici  donnée  à  Paris  par  Ulrich  Gering.  Dès  lors,  cet 
écrit  de  Jesselin  de  Cassagnes  trouva  place  dans  les  éditions  glosées  du 
Corpus  et  le  nom  de  son  auteur  demeura  pour  toujours  lié  au  nom 
du  Pape  dont  il  avait  commenté  les  œuvres  législatives. 

''*  Clémentines,  t.  I",  c.  i.  '''  C.  xxv,  q'  2,  c.  4. 

'*'  C  xxv,  (|°  I,  c.  6  et  7.  "'   A'oir  ci-dessu»,  j>.  3.'>4. 


SES  ECRITS.  3G1 


Ouvrages  apocryphes  ou  douteux. 

I.  Baluze  et  Oudiii'"  après  lui  ont  attribué  à  Jesselin  un  Apparatus 
in  Decrctales,  qui  serait  contenu  dans  le  manuscrit  de  (^olbert  27/47. 
C'est  là  une  erreur  .Ce  manuscrit,  qui  porte  actuellement  le  n°  ^087  du 
fonds  latin  de  la  Bibliothèque  nationale,  contient  ï Apparatus  de  Jes- 
selin sur  le  Sexle. 

II.  On  trouve,  au  rapport  de  Schulte'^',  dans  un  manuscrit  de 
Prague  (chap.  i,  27),  une  leuille  contenant  :  Distinctiones,  duinini 
Greczehm,  doctons  decretum  Avemonis,  in  lit.  de  elect.  Si  corani  si 
quaeras.  .  .  [sic].  C'est  probablement  un  extrait  d'un  des  Apparatus 
de  Jesselin. 

P.  F. 


(iUILLAllME   DU   ClIN,    LÉGISTE. 


Les  renseignements  que  nous  donnent  sur  la  vie  de  Guillaume 
du  (^un  les  historiens  du  droit  romain,  Savigny  et  Adolphe  Tardif, 
tiennent  eu  quelques  lignes  '^'.  Toutefois,  grâce  à  des  travaux 
récents  *"',  il  est  désormais  possible  de  déterminer  l'origine  de  ce 
personnage  et  de  reconstituer  sa  carrière  depuis  l'année  i3i  4  jus- 
qu'à sa  mort,  survenue  en  i335. 

•'*  Baluze,  Vitœ    ...  I.  I",  col.  809;  Oiidiii,  '*'  Edmond   Cabié,    Guillaume  de   Cuii   de 

Commentarius  de  scripinribds  cvclesiaslicis,  t.U] ,  Rahaslens ,  professeur  à  Toulouse,  t3li-13i6, 

col.  880.  dans    la    Revue    historique    du    Tarn,     1876- 

'''   Geschichte  der  Qaellen  umi  Liteialur  des  '877,  t.  1",  p.  227  et  suiv  ;  Brando  Brandi, 

canonischen  Rechts,  I.  II,  p.  200.  \otize  inlorno  a  Guillelmus  de   Canio,    le  sue 

'^'  Savigny,  Geschichte  des  rômischen  Rechts  opeie  e  il  suo  insegnamento  a   Tolosa,  Rome, 

iin  Mittelalter,  t.  VI   (a*  éd.),   p.  34-36;    Ad.  189a  ;  L.  de  Santi ,  Gaillanme  deCunh,  Tou- 

Tardif,  Histoire  des  sources  du  dt oit  français ,  loiise,  1918,  extrait  des  Mémoires  de  la  Société 

Origines  romaines ,  p.  433-4^4.  anhéologiqnc  du  Midi  de  la  France. 

IIIST.   LITTÉK.  \XXV.  /xCt 


362  r.lIFJALME  DL  CUN,  LEGISTE. 

Des  témoignages  irrécusables  déiDontrent  qu'à  Rabaslens  du  I  arii. 
au  début  du  xiv*^  siècle,  existait  une  fuimille  portant  le  nom  de  del 
Cuiih^^\  que  l'on  traduisait  en  latin  par  de  Cunho  ou  de  Cucjnu,  et  que 
nous  traduisons  en  français  par  du  Cun.  Un  membre  de  cette  famille, 
Pierre,  damoiseau  en  i32  2'"-\  plus  tard  chevalier,  paraît  avoir  été, 
dans  cette  ])artie  de  la  vallée  du  Tarn,  le  principal  agent  d'un  puis- 
sant personnage,  Bernard  Jourdain,  seigneur  de  l'isle,  qui  joignait 
à  ses  domaines  héréditaires  la  seigneurie  de  Saint-Sulpice,  petite 
ville  sise  non  loin  de  Rabaslens.  près  du  confluent  du  Tarn 
et  de  l'Agout  ' .  Une  lettre  du  pape  Jean  XXII,  écrite  le  l\  lé 
vrier  i3?3,  fait  mention  d'une  mission  que  Pierre  du  U,un  venait 
de  remplir  auprès  de  lui  pour  le  compte  de  Bernard  Jourdain  '*'.  En 
outre,  un  acte  du  >  octobre  1026,  passé  au  château  deSaint-Sulpice, 
constate  l'aveu,  par  Pierre  du  Cun,  qualifié  de  chevalier,  de  nom- 
breuses lenures  qui  lui  appartenaient  à  Saint-Sulpice  et  dans  le  voi- 
sinage immédiat  de  cette  ville  comme  vassal  lige  de  Bernard  Jourdain, 
et  l'hommage  que  Pierre  en  fait  à  son  seigneur;  dp  son  côté  Bernard, 
en  considération  des  très  grands  services  que  lui  a  rendus  Pierre  du 
Cun,  chargé  de  l'administration  de  ses  biens,  l'exempte  du  paiement 
des  droits  féoflaux  dus  à  l'occasion  de  l'hommage  ^'.  C'est  évidemment 
ce  même  Pierre  du  Cun,  chevalier,  qui  mourut  le  5  sep- 
tembre i332,  dont  la  pierre  tombale  était  encore  conservée  en 
1866  dans  une  église  de  Rabastens. 

Or  la  lettre  précitée  de  Jean  XXIl  suffirait  à  prouver  que  Pierre 
avait  un  frère,  engagé  dans  la  carrière  ecclésiastique.  On  ne  saurait 
douter  (les  faits  qui  sont  relatés  plus  bas  le  démontrent  surabondara- 
u)ent)  que  ce  frèrs  fût  le  jurisconsulte  Guillaume  du  Cun,  auquel 
est  consacrée  la  présente  notice.  Ainsi  Guillaume  Benedicli,  érudit 
toulousain  qui  vivait  à  la  fin  du  xvi^  siècle,  était  bien  informé  quand 

'''   Voir  l'acle  cité  ci-dessous,  note  5.  '*'   A.  Coulon,  op.  cit.,  n°  i  5(|6. 

'*'   Cite  a\oc  ce  titre  dans  un  acte  mentionné  '■''   Nous  connaissons  cet  acte  par  une  conlir- 

parEdni.  Cabié,  op.  cil. ,  p.  3^9-  mation  royale  de  juin  i33o    Arcli.  nat. .  J.l  66  , 

''' I,es  Jourdain  de  risle  avaient  acquis  la  sei-  n°  l44!-  —  Le  P.  Anselme  \  fait  une  allusion 

gneurie  de  Saint-Sulpice  et  de  domaines  voisins  vague  au  t.  Il  de  son  Histoire  gènéalogiqae  de 

en  I  38 1  et  i  a85.  Cf.  E.  Rossignol,  La  commune  la  Maison  de  France  et  des  grands  ojjiciers  de  In 

de  Sainl-Salpice  la  Pointe,  dans  la  Bevae  hislo-  Couronne  p.  707  )  et  traduit  à  tort  le  nom  du 

ri'^ue  rfu  Tiini  ,1875-1876,  t.  I",  p.  168  et  180.  vassal   de   BemanI  Jourdain    par:   Piene  de 

Saint-Sulpice  est  une  commune  du  canton  et  (^ugnac. 
de  l'arrondissement  de  l.avaur  (Tarn). 


SA  VIE. 


303 


il  écrivait  que  ce  jurisconsulte  était  originaire  de  Rabastens"'.  C'est 
d'ailleurs  à  Guillaume  du  Cun  que  fut  confiée,  en  182 4,  l'exécution 
des  dernières  volontés  du  cardinal  Pelfort  de  Rabastens*-';  ce  choix 
s'explique  fort  bien  quand  on  sait  qu'il  était  compatriote  du 
défunt  t^'. 

Nous  i^norous  tout  de  la  jeunesse  de  (luillaume  du  Cun.  Il  ne  nous 
est  pas  interdit  de  supposer  qu  il  fit  à  Bologne,  du  moins  en  partie, 
ses  études  juridiques;  on  peut  l'induire  d'un  passage  de  sa  Leclura 
sur  le  Digeste,  où  il  raconte  un  trait  d'un  maître  du  nom  d'Albert, 
qui  paraît  être  Albert  de  Gandino,  docteur  bolonais  de  la  fin  du 
xiii*"  siècle'*';  joignez-v  deux  ou  trois  allusions  à  des  usages  suivis  en 
Italie.  11  faut  toutefois  reconnaître  que  ces  indices  sont  faibles. 

Les  anciens  auteurs  ont  répété  que  Guillaume  du  Cun  avait  en- 
seigné dans  deux  Universités,  à  Orléans  et  à  Toulouse.  Pour 
Toulouse,  c'est  incontestable;  c'est  là,  comme  nous  le  verrons,  qu'il 
acheva  sa  carrière  d'enseignement.  Était-il  auj)aravant  tnonté  dans 
une;  chaire  d'Orléans.^  Ce  n'est  pas  impossible;  mais  nous  ne  pouvons 
(''layer  cette  hypothèse  sur  aucun  argument  solide'^'.  Ce  qui  est  cer- 
tain, c'est  qu'en  i3i4  Guillaume  du(^un  enseignait  à  Toulouse.  I>e 
'j3  juillet  de  celte  année,  avec  plusieurs  de  ses  collègues,  il  apposait 
son   sceau    sur  les  nouveaux   statuts  de  la   Faculté  de  droit  ".    lin 


'  llepethiii  ht  cap.  fiaynatius ,  Extra,  de  l'e.s- 
lam.  (I^yon,  iGii  ),  fol.    io5. 

'''  Voir  ci-<lessoiis,  p.  36<).  Pelfort  est  mort  a 
SaintGéry,  village  voisin  de  Rabastens. 

>'  On  avait  proposé  jadis,  comme  lieu  de 
naissance  de  (iuiliaume,  divers  villages  de  la 
Haute-Garonne  (  \d.  Tardif,  op.  cit.,  p.  4a3) 
et  même  le  Nivernais  [Histoire  du  payt  de 
Xiternais ,  dans  les  Œavres  de  maistre  Gay 
Coquille,  Bordeaux,  1703,  t.  II,  p.  i'i'];  et 
Savignv,  op.  cit.,  t.  V'I,  p.  35).  Il  n'est  pas 
inutile  de  laire  remarquer  qu'on  trouve  dans 
le  département  du  Tarn  douze  localités  appelées 
Le  Cun  ;  cette  remarque  nous  est  suggérée  par 
M.  Portai,  archiviste  du  Tarn  (A.  Tranier, 
Dictionwiire  historique  et  géographique  du  dépar- 
lement da  Tarn,  Albi,  i86a). 

**'  Brando  Brandi,  op.  cit.,  p.  la.  Cf.  Lec- 
tura  super  Codice  (édition  citée  ci-deisous, 
p.  373),  fol.  4a  v°. 

'■■'   Diplovataccio  l'aHirme  (leile  du  manu- 


.stril  (!»■  Pesaro,  rapporte  por  Biando  Braiuli, 
op.  cit. ,  p.  9) ,  et  aussi  Trilheini ,  De  fcriptnrihuf 
ecclesiasticis ,  Paris,  i5ia,  fol.  117  v°  ; 
Forster,  De  hiitoria  juris  civilis  lioinaiti 
Ubri  très  (Bâle,  i565),  p.  y'!  7;  Philippe 
de  Bergame ,  Supplementam  chronicorum ,  f Paris , 
i535j,  ad  ann.  i3i3;  Choppin,  De  domanio. 
livre  III ,  c.  37  ,  n"  1 3  ;  et  d'autres  après  eux  ;  cf. 
Taisand,  Les  vies  des  plus  célèbres  jurisconsultes 
(éd.  de  17.^7),  p.  I. 52.  On  ne  peut  rien  conrluro 
de  quelques  citationstelles  que  celle  qui  se  ren- 
contre au  folio  38  do  la  Leclura  tuper  Cmlice , 
concernant  une  coutume  suivie  a  Orléans  quand 
un  écolier  mourait  intestat.  Il  n'est  pas  question 
du  professorat  de  Guillaume  du  (]un  à  Orléans, 
non  plus  d'ailleurs  qu'à  Toulouse,  dans  la 
courte  notice  que  lai  a  consacrée  Conra(i 
Ganer  [Bibliotheca  unirersalis,  Zurich,  iî)'i5, 
p.  aSg,  et  1674,  p.  a 54). 

'*'   Marcel    Fournier,     Stnlutt    et    privilèges 
des  Unirersitéi  françaises ,  t.  I",  p.  'iqj. 

1<i. 


364  C.[]ILI.AIVIE  Dl!  CUN,  LEGISTK. 

i  3 16-1  317,  époque  à  laquelle  il  professa  les  levons  sur  le  Code  qui 
nous  ont  été  conservées'",  il  était  à  ra])ogée  de  sa  réputation.  Le 
comte  d'Armagnac  lui  soumettait  un  cas  difficile,  débattu  devant  sa 
haute  justice,  et  déférait  à  son  avis'-';  le  juge  des  appels  de  Toulouse 
sollicitait  de  lui  une  consultation  en  matière  pénale;  il  avait  reçu 
la  mission  de  trancher  un  conflit  né  entre  le  baile  et  les  consuls 
d'une  ville  de  la  région  '.  l'ividemment  il  était  le  jiirisconsidte 
en  renom''*' que  les  Toulousains  avaient  eu  le  temps  d'apprécier; 
aussi  est-il  fort  probable  qu'il  était  arrivé  à  Toulouse  bien  avant 
i3i4-  L'année  scolaire  1  3 1  6-1  3  1  7'''  fut  d'ailleurs  la  dernière 
([u'il  passa  dans  celte  ville.  A  l'issue  de  cette  année,  comme  ou  le 
verra,  il  quitta  l'enseignement  pour  suivre  la  carrière  des  hautes 
dignités  ecclésiastiques.  Jean  XXII  venait  de  monter  sur  le  trône 
pontifical,  et  on   sait  qu'il  prisait  fort  les  bons  jurisconsultes. 

C'est  à  ce  séjour  de  Toulouse  que  se  rapportent  les  leçons  de  Guil- 
laume du  Cun  sur  le  Digeste  et  le  Code,  dont  il  sera  question 
])lus  loin.  Aussi  s'explique-t  on  les  nombreuses  mentions  qui  y  sont 
faites  de  Toulouse  et  de  la  région  dont  celte  ville  est  le  centre.  Il  y 
est  question  des  consuls  de  Toulouse  et  de  l'étendue  de  leurs  pou- 
voirs, de  legs  qui  leur  sont  adressés''"',  de  l'Université  de  Toulouse 
et  de  ses  privilèges''  ,  des  bâtiments  où  se  fout  les  cours,  trop  étroits, 
en  i.')i6,  pour  l;i  foule  d(;s  étudiants'^',  du  trésorier  de  Toulouse'"', 
de  l'évêché  dont  cette  ville  est  le  chef-lieu''"',  des  chanoines  de  la 
cathédrale  et  du  singidier  privilège  qu'ils  ont  d'acquérir  la  volaille 
à  un  prix  de  faveur'"',  des  reliques  conservées  à  Saint-Sernin,  dont 
l'ostension  n'eût  pas  dû  être  faite  sans  l'autorisation  du  Souverain 
l'ontiff''-',  des  démêlés  du  chapelain  de  Saint-Sernin  avec  l'abbé  et 
le  prieur''^',  de  la  coutume  de  Toulouse'"''.  L'auteur   a  connu  les 


''     Voir  ci-dessous,  n.  ^f]b.  on    encore     :     «  Dicunt     advocali    quotidie...  i 

''•    Lectttia   saper  Codice  ,  fol.    ii    v'.  Guil-  (lot.  49v°). 

laume  du   Cun   se  vante  d'avoir  sauvé  la   vie  *''  Brando  Brandi,  op.  cit.,  p.  i  7  et  20. 

d'un  coupable  (cl.  L.  de  Sanli,  p.  1  1-1 1).  '''   Lectara  saper  Codice,  foi.  17. 

(^    Ibid.,  foi.  89.  "'    Ibid..  fol.  i5. 

"    Ibid.,  fol.  .-^i  V".  Cl   Ibid..  fol.  58  v°. 

'"    Kn  celte  année  i3i6-i3i7,il  est  ohlifjé  ''°    Ibid. ,{ol.  78. 

de    s'aiiscnter    proplcr    ardna    neijotia    [Ibid.,  '"'   /fcirf. .  même  folio, 

loi.  .^7  v°). —  Il  lui  arrive  à  plus  d'une  reprise  '"'   Ibid.,  fol.   i5  v°. 

d'invoquer   son   expérience   praticpie   :    ■  Vidi  '"^   Ibid.,  fol.  36. 

"de  fiirlo  sepis'itne  el  allegjivi  isia  «  (fol.  88),  "     Ibid.,  fol.  76. 


SA  VIE.  365 

conflits  (lu  comte  de  Foix  avec  le  sénéchal  de  Toulouse,  à  la  juridic- 
tion duquel  le  comte  iinit  par  échapper  pour  être  placé  sous  celle  du 
sénéchal  de  Garcassonne'";  les  noms  de  Cahors,  de  Carcassonne, 
d'Albi,  d'autres  villes  de  la  région,  reviennent  plus  d'une  fois  sous  sa 
pUime;  il  donne  d'intéressants  détails  concernant  le  droit  sur  leurs 
charges  qui  appartenait  aux  tabiilarii  de  Narbonne'-'.  Il  va  de  soi  que 
nous  ne  rapportons  ici  que  des  exemples  :  ils  snihsent  à  j)rouver 
fine  les  historiens  du  Languedoc  consulteront  avec  fruit  les  leçons 
(le  (îuillaume  du  Cuii. 

Les  historiens  du  haut  enseignement  devront  moins  encore  négli- 
ger ces  le(^ons.  Outre  l'intérêt  qu'elles  leur  présentent  en  leur  olfrant 
un  excellent  type  de  ce  qu'était  un  cours  de  droit  à  celte  époque,  ils 
y  rencontreront  des  indications  précieuses  sur  le  personnel  que  put 
IréquenterGuillaumeduGun'''  à  Toulouse  quandily  initiait  les  jeunes 
gens  à  la  connaissance  du  droit  civil.  On  y  lit  quelques  noms  de 
maîtres,  peut-être  incorrectement  transcrits,  qui  ne  sont  pas  connus 
])ar  d'autres  témoignages:  ainsi  Jean  Laurent'*',  Pierre  Nadal'*'  et 
i'énigmalique  G.  llonati^^'\  H  en  est  d'autres  dont  les  noms  nous 
sont  parvenus  par  d'autres  voies  :  ainsi  Gaillard  de  Durfort,  écri- 
vain juridique  dont  un  opuscule  est  conservé  dans  le  manuscrit 
738  de  Reims,  qui  fut,  sous  le  pontilicat  de  Glément  V,  chanoine 
d'Agen  et  chantre  de  Gahors,  et  qui,  plus  tard,  vers  i3/i5,  aban- 
donna la  carrière  ecclésiasti([ue*^';  (ît  Armand  de  Narcès,  d'abord 
professeur  à  Toulouse,  puis  doyen  du  chapitre  du  Tescou  à  Mont- 
auban,  constamment  mêlé  à  l'exercice  de  la  juridiction  pontificale 
et  enfin  promu  à  l'archevêché  d'Aix,  où,  en  i3^8,  il  succomba  à  la 
[)este   noire'-'.   Un    troisième   jurisconsulte,  quercinois    comme   les 

'"'   Levtiira   mper    Codke,    foi.    3o    v°.    Au  '*'  Leclura  super  Codue,  fol.  S."?, 

folio  37  v°,  il  est  encore  question  du  sénéchal  '*    Ibid.,  fol.  S-j  v°. 

de  Carcassonne.  '''  Chanoine  Albe,  Les  pirlais  originaires  du 

'"   /61W. .  fol.  43  v".  Qiiercy,  dans   les   Annales  de  Saint-Louis-des- 

'''   Devic  et   Vaissete,    Histoire  générale    de  Français,    igoô-ujoG,    t.    X,   p.    i65.    Il    ne 

Languedoc,  éà.  Privai,  t   Vil,  notes,  col.  5 1  !i  ;  faut  pas  confondre  avec  ce  personnage   Guil- 

Marcel  Founiier,  Statuts  et  privilèges  des  Univer-  launie  de  Durfort,  qui  fut  aussi  professeur  de 

sitoyi-anfoise.?,  t.  I",  p.  49.^. Notre  jurisconsulte  droit   civil,    archidiacie   de  Saint-Anlonin    au 

est  cité  dans  ces  textes  sous  le  nom  de  Guillet-  diocèse  de  Rodez,  chanoine  de  Narboiine,  au- 

mas  de  Cumbo,   ou,  d'après  une  autre  copie,  diteur  des   causes  du  palais   apostolique.   Cf. 

(/e  Cuiipno,  lectures  erronées  des  formes  rfe  CunAo  Albe,  op.   cit.,  p.    168,    et  G.    Mollat,   Jean 

ou  de  Cugno.  XXII.  Lettres  communes,  n"  ai  16a  et  aSoga. 

'*    Bruiulo  Brandi,  op.  cit.,  p.  5i.  '*'  Cf.  Chanoine  Albe,  dans  les  Annales  de 

2  6 


366  GUILLAUME  DU  CUN,   LEGISTE. 

précédents,  fut  à  Toulouse,  non  seulement  le  collègue,  mais  le  rival 
de  Guillaume  du  Cun  :  Bertrand  de  Moiitfavet,  élevé  au  cardinalat 
le  16  novembre  i3i6.  Sur  diverses  questions  de  droit,  les  deux 
collègues  s'étaient  trouA^és  en  opposition;  le  conflit,  devenu  public, 
s'était  accusé  par  des  manifestations  violentes,  par  une  allercatio 
magna,  par  un  tnmnltus  scolannm.  Là-dessas  Guillaume  du  Cnn 
avertit  qu'il  aime  mieux  garder  un  silence  respectueux,  à  cause  de 
la  dignité  éminente  de  son  ancien  adversaire'"'. 

Si  Jean  XXII,  par  un  acte  des  premières  semaines  de  son  pontificat, 
appela  au  Sacré  Collège  son  compatriote,  l'émule  et  l'adversaire  de 
Guillaume  du  Cun,  celui-ci  reçut  du  Saint-Siège,  à  la  même  époque, 
une  grâce  qui  fut  pour  lui  une  manière  de  dédommagement  en 
même  temps  que  le  présage  de  plus  hautes  faveurs.  Le  16  novembre 
i3  16,  il  fut  pouivu  d'une  stalle  de  chanoine  au  chapitre  d'Evora,  en 
Portugal'-',  avec  expectative  d'une  prébende  ou  d'une  dignité.  Il  \a 
sans  dire  qu'il  n'occupa  jamais  la  stalle,  et  que  tout  au  moins,  pour 
l'année  scolaire  1  3  i  6-1  3  i  7,  il  continua  son  enseignement  à  Toulouse. 
Quant  à  la  dignité,  il  ne  l'attendit  pas  longtemps,  puisque,  peu  de 
mois  plus  tard,  il  revendiquait  en  justice  celle  de  chantre  à  Evora , 
qu'il  finit  par  obtenir'^*.  Cependant,  encore  qu'il  eût  reçu  tout  au 
plus  les  ordres  mineurs,  et  peut  être  tout  simplement  la  tonsure,  et 
qu'ainsi  il  fût  hors  d'état  de  remplir  les  fonctions  inhérentes  à  la  cura 
animarnm,  il  était  devenu,  vers  i3i7,  archiprètre  de  Lacroisille,  au 
diocèse  de  Lavaur''*',  qu'il  desservait  par  le  moyen  d'un  vicaire.  Le 

4  mars  i3i8,  sur  la  recommandation  de  Bérenger  Frédol,  deuxième 
cardinal  de  ce  nom,  qui  occupait  alors  le  siège  suburbicaire  de  Porto, 
il  reçut  une  prébende  à  la  collégiale  nouvellement  fondée  à  Castel- 
naudary'^l  Le  8  août  de  la  même  année,  il  est  chapelain  du  pape  et 
auditeur  des  causes  du  palais  apostolique.  Evidemment  il  a  dû  quitter 
Toulouse  au  plus  tard  à  la  fin  de  l'année  i3i7'*'';  il  habite  mainte- 
nant Avignon,  et,  comme  ses  fonctions  paraissent  devoir  l'y  retenir, 

Sainl-Loais-des-Fiançais ,    l.    IV,    I9o4-i()o5,  Bertrand  de   Montfavel  comme  le  conrurreiil 

p   QQ.  de  Guillaume  du  Cun. 
'■'  Voir  le  lexte  de  la  Lerfura  sur  le  Digeste  '*'   MoUat,  n"  1947. 

(1,  Digeste,  I,  aa),  cité  par  Brando   Brandi,  <'•  Ibid.,  n"  ôdîg,  8897,  gSSS. 

op.   cit.,  p.     54-     Cf.   Lecttira    saper    Codire,  '*'  Conlon  de  Cuq-Toulia,  Tarn, 

fol.    32.    Bartole   (/n    Diyestum  novam,   L.   1,  '    Moliat,  n°  6ii3g. 

5  19,  de  extraord.  cognit. ,    !..  i3,  n°   la)  cite  ''    Ibid.,  n"  ()9'!4. 


SA  VIE.  367 

il  est  autorisé  à  toucher  les  revenus  de  ses  divers  bénéfices  sans  être 
astreint  à  la  résidence. 

Là  ne  devait  pas  s'arrêter  la  brillante  carrière  de  Guillaume  du 
Cun.  Depuis  que  les  papes  réservaient  à  leur  collation  un  grand 
nombre  de  sièges  épiscopaux,  la  mitre  et  la  crosse  étaient  la  récom- 
i)ense  ordinaire  des  services  des  auditeurs.  Notre  jurisconsulte  n'eut 
j)as  longtemps  à  l'attendre  '"'. 

Sa  promotion  à  l'épiscopat  fut  grandement  hâtée  par  une  puissante 
influence.  Arnaud  Duèse,  neveu  de  Jean  X\I1,  le  même  qui,  armé 
chevalier  par  le  roi  de  France  Philippe  V,  devait  porter  après  son  père 
le  titre  de  vicomte  de  Caraman'^',  avait  épousé  .Marguerite  de  l'Isle, 
s(X3ur  de  Bernard  Jourdain,  au  service  duquel  nous  avons  vu  que  le 
frère  de  Guillaume,  Pierre  du  Cun,  s'employait  fort  utilement.  Les 
deux  époux  étaient  établis  à  Avignon;  à  côté  d'eux  vivait  la  mère  de 
Bernard  Jourdain,  veuve  depuis  nombre  d'années.  Entre  JeanWll  et 
les  Jourdain,  les  relations  étaient  fréquentes;  de  très  nombreuses 
lettres  du  Pontife  prouvent  le  vif  intérêt  porté  par  lui  aux  membres 
de  cette  maison,  ses  familiares ,  comme  il  disait,  auxquels  il  accordait 
volontiers  ses  laveurs  sans  leur  ménager,  à  l'occasion,  réprimandes  et 
rebuflades'^'.  Nous  n'aurions  pas  besoin  de  témoignages  formels  pour 
être  convaincus  que  le  crédit  de  Bernard  Jourdain  ne  fut  pas  étranger 
à  l'élévation  du  frère  de  son  vassal  et  homme  lige;  mais  ces  témoi- 
gnages ne  nous  manquent  pas.  Le  29  avril  iSig,  le  Pape,  par  une 
lettre  adressée  à  Bernard,  accuse  réception  de  recommandations 
faites  par  lui  au  profit  de  divers  protégés,  et,  en  particulier,  de  Guil- 
laume du  (lun  ;  il  marque  son  souci  d'y  avoir  égard  en  temps  oppor- 
tun, (juanliim  decenter  poterimas^'^K  II  est  vraisemblable  que  Bernard 
renouvela  ses  instances;  une  seconde  lettre  du  Pape,  datée  du 
■26  août  de  la  même  année,  tout  en  opposant  un  refus,  formulé  en 
termes  très  vifs ,  de  tenir  compte  de  certaines  demandes  de  son  corres- 
pondant, atteste  de  nouveau  des  intentions  bienveillantes  pour  Guil- 

"'  Mollat,  11°  iooo3.  '''  Cf.  A.  Coulon,  ii"  3o6,  58o,  594,625, 

'''  Chanoine  Albe,  .liitoiir  f/e  7eun  A//,  ilans  700,  735,  737,  857,  858,  860,  qaa,  1037^ 

les  Annales  de  Sainl-l,oui<i-des-Frnnçais ,  t.  \l\,  io38,    iaa/i,    i5o4,     i588,     i5q6,     i6a6, 

190a,  p.  i.o5.  —  Le  aa  avril  iSao,  le  Pape  i64i,  1642.  i656,  1668.  Ces  lettres  concer- 

accorde  à  Arnaud  et  à  sa  lenime  Marguerite  le  nent  les  aflaires  de  Bernard  Jourdain  ou  de 

privilège  de  l'autel  portatif  (Mollat,  n°'  1  1287  son  frère  Jourdain  de  l'Isle. 

et  11390).  '*'  A.  Coulon,  n°  860. 


368  GUILLAUiME  DU  CLN,  LEGISTE. 

laume'*'.  Sans  aucun  doute  le  Pontife,  qui  n'acceptait  pas  les  yeux 
fermés  l'appréciation  d'autrui,  avait  conçu  de  Guillaume  une  opinion 
favorable,  car,  quinze  jours  plus  tard,  le  lo  septembre  1 3 19,  le  pro- 
tégé de  Bernard  Jourdain  était  pourvu  de  l'évêché  de  Bazas'^'. 

Comme  Guillaume  n'était  pas  enga;:;é  dans  les  ordres  majeurs, 
celte  nomination  eût  été  irrégulière  si  le  Pape  n'en  avait  purgé  le 
vice  par  la  dispense  qu'il  accorda  en  même  temps  au  nouvel  élu''*'. 
Celui-ci  dut  alors  se  mettre  en  mesure  de  recevoir  successivement 
le  sous-diaconat,  le  diaconat  et  la  prêtrise,  pour  pouvoir  ensuite 
obtenir  la  consécration  épiscopale.  Tout  cela  prit  quelque  temps; 
car,  dans  les  premiers  mois  de  l'année  1820,  la  chancellerie  ponti- 
ficale, quand  elle  s'adresse  à  lui,  ne  lui  donne  que  le  titre  d'évêque 
élu'*'.  Il  n'en  est  plus  de  même  pendant  la  dernière  partie  de  celle 
année;  alors  le  nouveau  pasteur  de  l'église  de  Bazas  a  été  sacré  et  a 
pris  possession  de  son  siège.  Toutefois  il  n'était  pas  devenu  du  même 
coup  un  évêque  résidant.  11  prévoyait  à  coup  sûr  de  longues  absences, 
car  il  se  fit  délivrer  parla  chancellerie  pontificale  une  lettre  lui  con- 
cédant, pour  quatre  ans,  la  faculté  de  faire  réconcilier  par  autrui  les 
églises  et  les  cimetières  qui  seraient  profanés  dans  son  diocèse'^*. 

En  réalité,  en  dépit  de  sa  nomination  à  l'évêché  de  Bazas,  Guil- 
laume du  Cun  continue  d'être  un  agent  actif  de  l'administration 
spirituelle  de  l'Eglise  romaine,  qui  n'avait  pas  voulu  renoncer  aux 
services  de  cet  utile  collaborateur.  Aussi  le  trouve-t-on  plus  Iréquem- 
ment  à  Avignon  qu'à  Bazas.  Nous  n'en  voulons  d'autre  preuve  que  les 
très  nombreuses  missions  à  lui  confiées  par  la  chancellerie  pontificale 
pendant  les  années  qui  suivirent  sa  nomination;  sans  cesse  il  est 
désigné  pour  être  l'exécuteur  des  rescrits  qui  partent  en  si  grand 
nombre  d'Avignon   pour  régler  l'attribution  des  bénéfices  dans  les 

'''  Jbid..  n'  gaa.  çais ,  igoS-igoG,  t.  X,  p.  i44)- M.  te  chanoine 

'''  Mollat,  n°  io3o.S.  Albe  ne  connaissait  pas  le  nom  de  famille  du 

'''   Une  dispense  était  nécessaire  toutes  les  Guillaume  promu  par  la  bulle  de  Jean  XXII  à 

fois  que  l'élu  n'était  pas  au  moins  sous-diacre,  l'évêché  de  Bazas;  mais ,  à  cause  des  relations  de 

9,  Decretales,  1,   i4.  (lulllaume  avec  les  Maibosc,  il  conjecturait  que 

'*'   Mollat,  n°'  iO()70,  10986.  Cf.  A.  Cou-  ce  prclal  était  originaire  du  Quercy  ;  il  ne  se 

Ion,  n°  laa/i.  —  Le  10  juin  i3ao,  par  Tinter-  trompait  guère. 

médiaire  de  son  écuyer  Raymond  de  Maibosc,  D'après  une  lettre  ponlilicale  de  lit-j  (Mol- 
Guillaume  paye  à   la   Chambre  apostolique  le  lat,  op.  cit.,  n"  80734) ,  l'olTice  de  la  sacristie 
commune  servitium  (|u  il  doit  à  l'occasion  de  ses  de  l'église  de  Comminges  est,  à  celte  époque, 
provisions  (Chanoine  .\Jbe,  Prélats  originaires  du  occupe  par  Pierre  de  Maibosc. 
QuercY,i\nas\eh  .innalesde .Saint-Loiii.^des-f'tan-             '*     Mollat ,  n"  ioqjo. 


SA  VIE.  369 

diverses  églises  de  France  on  même  d'autres  pays  d'Occident''^.  On 
jugera  de  l'activité  de  Guillaume  si  l'on  veut  bien  remarquer  que, 
de  1 3 1 8  à  1 829,  les  registres  de  Jean  XXII  attestent  qu'il  reçut  envi- 
ron cent  cinquante  missions  de  ce  genre.  Remarquez  que,  parmi  ces 
missions,  il  en  est  qui  ne  furent  pas  sans  importance.  Ainsi,  en  i3'j  1, 
en  compagnie  de  deux  m  endures  du  clergé,  dont  Armand  de  Nnrcès, 
il  est  chargé  d'apaiser  les  esj)rits  des  Toulousains,  clercs  et  laïques, 
c|ui  ont  fait  un  très  mauvais  accueil  au  cardinal  Pierre  Teissier,  vice- 
chancelier  de  l'Eglise  romaine,  gratifié  par  Jean  XXII  d'une  pension 
à  prendre  sur  les  revenus  de  l'église  Saint-Sernin,  dont  Teissier  avait 
été  jadis  abbé  *^'.  Le  10  août  i3'j2,  Guillaume  est  l'un  des  trois 
évêques  auxquels  le  pape  confie  le  soin  d'assister  les  exécuteurs  testa- 
mentaires de  la  vicomtesse  de  Béarn,  inquiétés  par  les  prétentions  de 
la  comtesse  de  Foix''.  En  juillet  1  3^4,  c'est  lui-même  qui,  à  Avignon, 
doit  procédera  l'exéculion  du  testament  de  son  conH)atriote  le  cardi- 
nal Pelfort  deRabasIens''.  (hielques  mois  plus  tard,  c'est  à  ses  soins 
qu'est  remise  l'affaire  d'un  frère  mineur  du  diocèse  de  Toulouse,  Jor- 
dan d'Alfari,  jadis  frappé  d'excommunication  pour  apostasie,  et  main- 
tenant absous  et  autorisé  à  entrer  dans  une  maison  de  Bénédictins  '*. 
Vers  cette  époque,  un  conflit  d'un  grave  intérêt  politique  s'éleva 
dans  la  région  pyrénéenne '"\  Le  roi  de  Majorque,  don  Sancbe, 
était  mort  le  4  septembre  i3j4,  ne  laissant  pour  héritier  qu'un  neveu 
âgé  de  flouze  ans,  celui-là  même  qui  devait  porter  la  couronne  sous 
le  nom  de  Jayme  II.  Son  proche  parent,  qui  régnait  alors  en  Aragon 
(il  .s'appelait  aussi  Jayme  II),  fut  d'abord  tenté  d»;  s'adjuger  cette  riche 
succession  et  de  refaire  ainsi,  aux  dépens  de  l'orphelin,  l'unité  des 
domaines  qui  avaient  appartenu  à  ses  ancêtres.  Mais,  sans  hésiter, 
Jean  XXII  avait  pris  le  parti  de  l'enfant,  légitime  héritier;  aussi 
usa-t-il  de  son  influence    pour  amener    les  sujets  de  la   couronne 

'    Sur  la  i'oiiclion  des  exécuteurs,  ti'llc  que  '''    [bid.,    n°   ■!007i.     L'analyse    est   moins 

la  comprenaient  les  canonistesde  cette  époque,  conq)iètedans  Eubel,  BuUariamfranciscanum, 

cf.  Guillaume  de  Montlau/.un,   Apparatitt  coii-  .Jean  XXII,  n°  5-47. 

stitalionum  démentis  pape  qiiinti  (juedam  parti-  :''   Voir,  sur  ce  conilit,  G.  Vloliat,  Jean  XXll 

cale  ( Rouen ,  1 5 1  a  ) ,  fol.   i  i  7  et  suiv.  et  la  succession  de  Sanche,  roi  de  Mitjorqne,  dans 

'"    i"maii3ai.    Mollat,  tt"  r  .3?()8.  la  Rexme  d'histoire  et  d'nrchcoloyie  du  Roussillon, 

'"    [bid.,n'  i5i)68.  '  i(^o5,   p.   (55-83   et    97-108;    et  abbé  Vidal, 

'"   Ibid. .  n°  19927.  Eubel  IHieranhia.  t.  1",  Un  ascète  de  sang  royal,  dans  la  Revue  des  Ques- 

p.  16)  n'a   pu  déterminer  la  date  de  la  mort  lions  historiques,  t.  LXXXVIIf,  1910,  p.  38i 

de  Pelfort.  et  suiv. 


HIST.   LITTER. 


'n 


370  GLILIACME  DL  CUN,  LÉGISTE. 

de  Majorfjuo  à  reconnaître  le  régeni  Pliilij^pp,  oncle  du  jeune  i-oi, 
personnage  de  liante  vertu  qui,  entré  dans  les  ordres,  était  devenu 
abbé  (le  Saint-Paul  de  Narbonne  et  trésorier  de  l'église  cathédrale  de 
Tours.  Philippe  avait  fait  le  sacrifice  (fabandonner  sa  vie  calme  et 
recu(Mllie  pour  prendre  en  main  la  direction  des  affaires  de  son  neveu 
et  sauvegarder  son  héiitage.  La  tache  n'était  pas  aisée;  cor,  si  de 
bonne  heure  le  roi  d'\ragon  comprit  qu'il  devait  renoncer  à  ses 
prétentions,  on  comptait  parmi  les  membres  du  haut  clergé,  de  la 
noblesse  et  de  la  bourgeoisie  des  régions  pyrénéennes  nombi'e  de 
persoiniages  désireux  d'écarter  le  régent,  qui  représentait  l'influence 
française,  tui  (ont  au  moins  de  le  donnner.  A  la  tète  des  adversaires 
de  Philippe  se  plaçaient,  outre  le  comte  Gaston  de  Foi\,  ([ui  était 
i'àme  de  la  résistance,  l'abbé  de  Cuxa  et  l'archidiacre  de  (ierdagne; 
les  villes  de  Perpignan  et  de  GoUioure  étaient  en  pleine  révolte;  le 
comte  de  Gomminges  attisait  le  feu.  Pour  déjouer  leurs  mana-uvres, 
Jean  XXII  envoya  dans  ce  pays,  dès  le  début  de  l'année  i325,  une 
mission  composée  de  deux  évêques  qui  avaient  sa  coidiance  :  l'un 
d'eux  était  l'évêcjue  de  Bazas,  Guillaume  du  Gun,  et  l'autre,  l'évêque 
d'Agde,  Raymond  du  Puy.  Se  conformant  aux  conseils  de  leur 
maître,  ils  se  montrèrent  énergiques,  et  par  les  excommunications  et 
les  interdits  qu'ils  prononcèrent,  tant  contre  les  ecclésiastiques  que 
contre  les  laupies,  ils  contribuèrent  à  réaliser  les  intentions  dn  Pape, 
à  désarmer  les  adversaires  du  régent  et  à  pacifier  la  contrée'".  Aussi, 
en  février  i326,  Jean  XXll  put-il  songer  à  lever  les  censures  qui 
avaient  été  portées  par  ses  représentants'"^'. 

Entre  temps  un  changement  s'était  produit  dans  la  situation  de 
(ïnillaume  du  Gun.  Depuis  plusieurs  années,  ses  amis  sollicitaient 
pour  lui  une  promotion  nouvelle.  Son  frère  Pierre  s'y  était  employé 
au  début  de  l'année  i3'i3,  lorsqu'il  avait  été  envoyé  en  Avignon  par 
Bernard  Jourdain.  Le  bruit  courut  alors  qu'il  avait  négligé  sa  mission 
pour  ne  songer  qu'aux  intérêts  de  Guillaume.  Jean  \XII  prit  soin  de 
rassurer  sui-  ce  point  Bernard  Jourdain  en  justifiant  Pierre  du  Gun'''. 
Quoi  qu'il  en  fût,  Guillaume  attendit  encore  son  transfert  pendant 
deux  ans.  \  ers  la   fin  du  ])rinlemps  de  l'année   i325,  révè([ue  de 

'''   Voir,    siii-  l'aclion    di's    nonces,   la   lettre  '     Mollul ,  n°  's4/i()5. 

de  Jean  XXll,  du   i  ■!  mai  i  H  u  5,  publiée  dans  '''   liCtlredu'i  ievriei-  i  iiî.'l,  i  iléo  jilus  haut, 

l'article  cite  de  M.  l'abl»''  Mollal ,  p.  loi  et  .suiv.  |i.  3(i!,  note  t^. 


SA  VIE.  371 

Comminges  vint  à  mourir.  Le  6  juin,  on  ignorait  encore  sa  mort  à 
\vignon"';  par  une  bulle  flu  19  juin,  Jean  XXII  s'empressait  de 
pourvoir  à  son  remplacement'^',  et  par  qui  ?  Précisément  par  l'évèque 
de  Bazas,  Guillaume,  qui  sans  aucun  doute  s'était  acquitté,  à  l'entière 
satisfaction  du  Pontife,  de  sa  mission  dans  la  région  pyrénéenne,  si 
bien  (ju'il  semblait  expédient  de  l'y  établir  à  poste  fixe.  Au  surplus, 
il  s'en  fallait  de  beaucoup  que  cette  mesure  pût  passer  pour  une 
disgrâce,  l'évêché  de  Saint-Bertrand  de  (Comminges  étant  sensible- 
ment plus  important  et  plus  opulent  que  l'évêché  de  Bazas.  Le  trans- 
fert de  Guillaume  du  Gun  à  Gomminges  a  échappé  aux  meilleurs 
érudits  du  Midi'-";  ils  n'ont  pas  identifié  le  Guillaume  qui,  pendant 
dix  ans,  occupa  le  siège  qu'avait  naguère  illustré  Ip  futur  Clément  V. 
Vraisemblablement  la  vie  du  nouvel  évêque  de  Comminges  fut 
partagée  entre  son  diocèse  et  les  grandes  alfiiires  de  politique  reli- 
gieuse. Il  dut  poui'suivre  l'œuvre  entreprise  par  Clémenl  V,  c'est- 
à-dire  la  reconstruction  de  sa  cathédrale,  qui  ne  fut  achevée  (ru'.iu 
milieu  du  mv*"  siècle;  mais,  autant  que  nous  pouvons  en  juger  par 
la  partie  publiée  des  registres  de  Jean  XXII,  il  continua  de  recevoir  et 
d'accomplir  des  missions  pour  la  cour-  d'Avignon.  En  outre,  nous 
avons  la  preuve  qu'il  fit  de  longs  séjours  à  Paris  et  joua  un  i-ertain 
rôle  dans  les  réunions  d'évêques  franc'ais.  En  i^j.H,  il  assistait  à  la 
célèbre  assemblée  où  fuient  exposées  devant  Philippe  de  \  alois  les 
j)rélentions  réciproques  de  la  juridiction  ecclésiastique  et  des  juges 
séculiers.  En  1.^29  et  i33o  il  est  l'un  des  conseils  juridiques  aux- 
quels lîobert  d'Artois  soumet  ses  prétentions,  et  les  documents,  plus 
tard  reconnus  apocryphes'*',  sur  lesquels  il  les  appuvait.  Le  10  fé- 
vrier i33o,  il  est  au  nombre  des  évêques  qui  assistent  avec  le  roi  à 
la  dédicace  de  l'église  Saint-Louis  de  Poissy  '^'.  C'est  par  son  officiai 
qu'il  se  fait  représenter  au  concile  de  la  province  d'AucJi  tenu  à 
Marciac  au  cours  de  cette  année''''.  Enfin,  le  19  décembie  i333, 
nous    retrouvons  l'évèque  de  Comminges  au   Bois  de   Vincennes;  il 

'''   Mollal,  n"  -iîSiS  et  225i4-  sur  lui  el  le  iioinnii-  n  loit  Gulllaiiiin'  de  Caivo. 
•''   /feirf.,  n°  2  2  533.  '*'   H.    Moranvillé,    Guillanme  du    Hreiiil  et 

'''   Abbé  Leslrade,  Un  carieax  ijroupe  d'éiê-  Robert  d'Artois ,  dans  la  Bibliothèi^ne  de  l'Emle 

ques  comminqeois,  notices  et  documents,  dans  la  des   chartes,  1887,  t.    XLVIII,  p.   6/17  et  <)^|8 
Revue  de  Comminges .  1907,  t.  XXII,  p.  36  et  ''*'    Gallia  rkristiann ,  t.  I",  col.  i  101. 

suiv.    L'auteur,    qui  donne  une   notice  sur  le  '*'    "'"'•     L""    >"    mars     i33i  ,    Giiillaunic, 

successeur  de  Guillaume,  n'en  a   point  donné  j"n*"   «lélé^iié  dans    un    procès   inleressant    le 


372  CUn.LAHME  DU  CUN,  LEGISTE. 

y  prend  part  à  la  solcnneHe  assemblée  (pi  y  lient  le  roi,  entouré  des 
iirinces,  de  nombreux  prélats  et  d'une  foule  de  seip^neurs,  pour  rece- 
voir la  déclaration  des  théologiens  les  plus  célèbres  sur  la  question, 
alors  vivement  agitée,  de  la  Vision  béatifique;  on  sait  que  cette  décla- 
ration fut  contraire  aux  opinions  que  professait  Jean  XXII  en  tant 
(pie  docteur  privé  '"'. 

(]e  fut  là,  d'après  l'état  actuel  de  nos  connaissances,  la  dernière 
manifestation  de  l'activité  de  Guillaume  du  Cun.  I.e  siège  épiscopal  de 
Comminges,  vacant  par  le  décès  du  titulaire,  fut  rempli  le  8  novem- 
bre i335  par  la  nomination  de  Hugues  de  (ibâtillon,  auparavant 
chanoine  de  la  cathédrale'-.  Nous  sommes  en  droit  d'en  conclure 
(tue  c'est  au  cours  de  l'année  i335  que  la  mort  frappa  Guillaume 
du  (iUn;  nous  ne  savons  d'ailleurs  rien  du  lieu  ni  des  circonstances 
de  cette  mort. 

SES    ÉCRITS. 

Nous  devons  à  (luillaume  du  Cun  deux  ouvrages  importants  inti- 
tidés,  l'un,  Leclura  super  Duiestani  velus,  l'autre,  Lectura  super  Codice. 
En  outre,  on  peut  citer  : 

un  court  Tractatus  de  munenbtts^^\  qui  n'est  qu'un  chapitre  détaché 
de  sa  Lectura  sur  le  Code; 

un  traité  non  moins  bref  De  seciintatc  (sur  les  asseurements)  ''''  et 
un  opuscule  De  diversis  ojjiciis  Digesli  ie/c/75'''',  qui  pourrait  bien  avoir 
fait  partie  d'une  forme  de  la  Lectura  sur  le  Digeste,  plus  complète 
(jue  celle  qui  est  parvenue  jusqu'à  nous. 

Toutefois,  pour  apprécier  la  valeur  de  Guillaume  du  Cun  comme 
jurisconsulte,  c'est  surtout  aux  deux  Lecture  sur  le  Digeste  vieui  et 
le  Code  qu'il  faut  s'adresser. 

La  Lectura  sur  le  Digeste  vieux  n'a  pas  été  imprimée,  sauf  le  prohe- 
inium^^K  Elle  a  été  conservée  dans  deux  manuscrits  du  xiV  siècle.  L'un 

iiiieuré  de  la  Dauiade,  à  Toulouse,  subdélègue  '*'   Ihid. ,  i.  XII,  p.  a42. 

(les  juges.  '*'  Conservé  dans  le  manuscrit  335,  fol.  ia8- 

•''   Histoire  littéraire,  I.  XXXIV,  j).  6io;  cf.  i3o,  de  la   Bibliothèque   nationale  de  Turin; 

Deniflc  et  Châtelain,  Charlatarium  Oniversitatis  publié  pai'  M.  Brando  Brandi,  op.  cit.,  p.  ia4- 

J'arisicn.ù.^,  t.  1",  p.  dîQ-  i3o. 

'"  Abi)é  Lestrade , /oc.  ri(.  '*'   Le  proliemium   a   été   publié    d'après    le 

'''    Traclatu.':   universi  jitris,   l.    XII,   p.    17  manuscrit   de    Forli    par  M.    Brando   Brandi, 

et  suiv.  op.  cil. .p.  io'i-ii3. 


SES  ÉCRITS.  373 

appartient  à  la  Bibliothèque  communale  de  Forli;  l'autre  à  la  Hihlio- 
thèque  jadis  impériale  de  Vienne,  où  il  porte  le  n°  2257.  Nous  n'avons 
vu  ni  l'un  ni  l'autre  de  ces  manuscrits.  Ce  que  nous  disons  de  la 
Lectiira  qui  y  est  contenue  vient  principalement  de  l'ouvrage  déjà 
cité  de  M.  Hrando  Brandi",  qui  a  étudié  minutieusement  le  manu- 
scrit de  Forli,  sans  se  préoccu])er  du  manuscrit  de  Vienne.  Quant 
à  la  Lectiiia  sur  le  Code,  il  n'en  existe,  à  notre  connaissance,  qu'un 
seul  manuscrit,  appartenant  à  la  Bibliothèque  de  Bàle  (C.  1,  6);  il  a 
été  signalé  par  Ilaenel ''^'  et  par  Savigny'^'.  Fort  heureusement  cet 
oiivrage  a  été  imprimé  à  Lyon,  en  1 5 1 3 ''*'.  On  ne  connaît  qu'un 
nombre  très  restreint  d'exemjîlaires  de  cette  édition,  dont  It;  texte  est 
défectueux;  il  n'en  existe  pas  dans  les  bibliothèques  publiques  de 
Paris'*'.  Nous  devons  la  coimaissance  de  la  Leclura  sur  le  Code  à  l'ex- 
trême obligeance  de  M.  Meynial,  professeur  à  la  Faculté  de  droit  de 
l'Université  de  Paris,  qui  a  bien  voulu  mettre  son  exemplaire  à  notre 
disposition. 

Ces  deux  ouvrages  présentent  un  trait  conimun;  ils  ne  sont  pas 
l'œuvre  personnelle  de  Guillaume  du  Cun,  mais  pourtant  ils  repro- 
duisent son  enseignement.  On  sait  que  le  Digeste  vieux  et  les 
livres  I-IX  du  Code  de  Justinien  étaient  chaque  année  expliqués  à 
Toulouse  par  un  docteur  ordiiianc  leijcns.  Guillaume  fut  chargé  à  son 
tour  d'en  faire  l'explication.  Un  de  ses  auditeurs  recueillit  ses  leçons,  et 
c'est  ainsi  qu'elles  nous  ont  été  transmises.  Nos  deux  Lecture  ne  sont 
autre  chose  que  des  reportationes ,  c'est-à-dire  des  leçons  rédigées  par 
un  étudiant'^'. 

(^et  étudiant  était  scrupuleux  :  quand  il  lui  était  arrivé  de  ne  point 
prendre  de  notes  ou  d'en  prendre  qui  lui  semblaient  insuffisantes, 
il  en  faisait  modestement  la  remarque  :  «  Istud  non  benc  rcportavi; 
hic  non  bene  reportavi ''';  istam  questionem  ego  non  reportavi,  (piia 

'''  Voir  snrioul  Ifs  pages  61-68  de  l'ouvrage  de    Cungno,   alias   de    Cuiieo,    Lecliini   super 

déjà  cité.  Codice  • ,  avec  les  additions  de  Renier  de  FoAi , 

'''  Catalogi    libronim    manuscriptoram  ,    col.  et  tes  apostilles  des  docteurs  modernes  réiwiies 

455.  par  Celse  Hugues  Descousu,  de  Chalon.  Inipri- 

'^'  En   i4i9  il  en  existait  un  manuscrit  en  nif' «  Lyon ,  par  Jacques  Myl,  en   i5i3,in-fol. 

deu\  volumes  à  la  librairie  de  l'Université  d'Or-  '■"   La  Catanatense,  à  Home,  et  la  Bibliothèque 

léaiis.  Cf.  Marcel  Fournier,  Statuts  et  pririlèijef ,  de  Munich  en  possèdent  un  exemplaire, 

t.  1",  p.  199.  '*'    Sur     les    reportationes ,    cf.    Histnire  lit- 

'*'   0  Clarissinii  juris  utriusque  monarche  et  <eraiVe ,  t.  XXIV,  p.  36g. 

interpretis     proi'undissiini     domiiii    Guilhclmi  '''   Brando  Brandi,  op.  cit.,  p.  .S9. 


374  GUIF.I-AUME  01    CUN,  I.KGISTE. 

cartifex  nondum  (letnlei-al  luihi  liljruin '"'.  »  11  n'a  pu  roj)rocliiire 
comme  il  le  désirait  la  (in  d'une  leçon  sur  une  loi  du  Digeste, 
«  propter  tuinultum  scholarium  '^'  ».  Quand  il  avait  manc|ué  d'assister 
au  cours,  ce  qui  était  rare,  il  reproduisait  sur  son  cahier  les  notes  d'un 
condisciple;  c'est  ce  qui  lui  arriva  le  jour  où  il  fut  fait  bachelier,  et 
où  il  dut  renoncer  à  entendre  Guillaume  du  Cun  pour  assister  à  la 
leçon  inaugur.de  [prinrlpiani]  d'un  nouveau  docteur,  Jean  Laurent, 
qui  était  probablement  de  ses  amis'";  ou  quand,  le  3  lévrier  i3i(),  il 
se  rendit  à  Gastelnau-de-Montratiei\  où  il  avait  été  invité  au  mariage 
d'une  cousine;  il  n'oublie  pas  de  faire  remarquer  que  la  mariée  était 
très  belle,  pnlclierrima  donne eUa^'*\  Il  avertit  d'ailleurs  ^im  lecteur  (pie 
la  rédaction  rie  ces  leçons  n'est  pas  son  œuvre,  et  qu'il  n'en  répond 
pas  :  '<  nescio  si  est  hene  reportatum  '■"  ". 

r,e  n'est  pas  seulement  l'élève  qui  s'absente  quelquefois,  c'est  au?si 
le  maître;  en  ce  cas,  Guillaume  est  remplacé  par  un  confrère.  1,  in- 
cident est  noté  avec  soin  par  le  reportator.  Ainsi,  quand  il  en  vient  à 
la  loi  7  du  Code,  IIl,  i  [de  jiidiciis) ,  il  marque  qu'elle  fut  répétée  par 
\rman(l  de  Narcès'"'.  La  loi  i ,  Code,  111,  i3,  fut  répétée  par  un  per- 
sonnage dont  le  nom  est  mal  orthographié,  mais  qui  ne  peut  guère 
être  que  le  jurisconsulte  Gaillard  de  Durforl  ' '.  Enfin,  à  propos  du 
commentaire  de  la  loi  i,Code,  111,  i  4,  le  rr'^or/a^or  écrit  :«  Istam  legem 
«  legit  dominus  G.  Ilonuti,  legum  doctor,  pro  venerabili  doctore  et 
"  egregio  domino  nostro  domino  de  Cunio,  qui  fuit  absens  illa  die 
«propter  quedam  ardua  negotia ''*'.  »  On  voit  que  nous  avons  affaire  à 
un  étudiant  laborieux,  assidu  aux  cours  et  se  tenant  au  courant  de 
ce  qui  s'y  passe,  quand  lui-même  ne  peut  y  assister'"'. 

Les  commentaires  de  Guillaume  du  Cun  sur  le  Digeste  et  le  Code 
datent  <à  peu  près  de  la  même  époque.  Nous  pouvons  déterminer 
sans  hésitation  la  date  de  la  Lcctura  sur  le  (!ode;  elle  représente  l'en- 

'''    Leciura  super  Codice,  fol.  48.  '"    LVdilion  donne  :  «  (ira  de  Duro  fra  «  '  loi. 

'''   Brando  Brandi,  op.  cil.,  p.  49.  37  v°).  Voir  ci-dessus,  p. 365. 

'''   Lectara  saper  Codice,  loi.  33.  '*'   Leclura  super  Codice,  loi.  37  v°. 

'*'   Brando   Branili,   op.   cil.,   p.     li.    Celte  '*'   ("est    ainsi   qu'il    noie    l'arrêt   des   (ours 

mention  se  rencontre  dans  le  commentaire  sur  aux  vacances  de  Pâques  :  «  Hic  fecit  pausani  in 

le  Digeste  vieux.  festo  Pasce»   (Brando  Brandi,  op.  cit.,  p.  ."io). 

'''    Lcctura  super  Codice,  fol.  33  et  48.  De  même  dan»  le  commentaire  sur  le  Code, 

'"   L'édition  donne  la  lecture  erronée  :  Ar-  il    note   l'arrêt   des    leçons   aux     vacances    de 

mandd('Fnr(wîio  (Fol.  a;),  que  M.  Brando  Brandi  Noël  [Leclurn  super  Codice,  loi.  Sa). 
n'a   pas   su   identifier.    Voir   ci-dessus,  p.  365. 


SES  KCRI'I'S.  375 

selguement  de  l'annéf  i^iG-iSi;,  c'est-à-dire  la  dernière  année 
d'i'nseignenienl  de  Guillaume  à  Toulouse.  La  preuve  en  est  fournie 
par  ce  double  fait  qu'on  \  trouve  une  leçon  postérieure  au  18  dé- 
cembre 1  3  1  f) ,  jour  où  Bertrand  de  Montfavet  fut  appelé  à  faire  partie 
du  Sacré  (iollège '"',  et  qu'nne  autre  leçon  est  antérieure  à  l'érec- 
tion du  siège  épiscopal  de  Toulouse  en  métropole,  c'est-à-dire  au 
•iS  juin  1  3  1  7 '-^  Quant  à  la  Leclura  sur  le  Digeste,  c'est  là  que  se 
rencontre  la  mention  de  l'absence  du  rejwrtator  appelé  pour  un  ma- 
riage à  Castelnai!-de--\Iontratier;  or,  les  noces  furent  célébrées, 
dit-il,  le  3  févriei-  1  3  1  6 '^'.  Encore  que  cette  date  soit  antérieure  au 
■>.:)  mars,  il  est  est  impossible  de  supposer  qu'il  puisse  s'agir  de  1817, 
car,  en  ce  cas,  il  faudrait  admettre  (pie  Guillaume  du  Cun,  en  i3iG- 
i3i7,  professait  à  la  fois  les  deux  cours  ordinaires  sur  le  Digeste 
vieux  et  le  Gode,  ce  qui  est  contraire  aux  règlements  et  aux  usages. 
Il  faut  donc  l'entendre  de  i3  16'*',  et  en  conclure  que  Guillaume  du 
(aiw  termina  son  enseignement  à  Toulouse  en  lisant  le  Digeste  vieux 
en  i3  1  5-1  3  16,  et  le  Code  en  1  3  i()-i3  1  7. 

11  est  un  autre  caractère  qui  est  commun  aux  deux  Lecture  :  l'un  et 
l'autre  ouvrage  sont  incomplets.  On  sait  que  le  Digeste  vieux  comprend 
les  livres  1  à  \XIV-3  de  la  compilation  de  Justinien.  Dans  la  Lectura, 
on  retrouve,  commentées,  les  portions  suivantes'*': 

Prohemium;  Livre  V,  titres  1  et  2  ; 

l>ivre  I,  titres  1 ,  3- 19,  ai  et  aa  ;  Livres  XII,  Xllt  et  XIV; 

Livre  II,  litres  i,  a ,  '1 .  5,  8-1  5  ;  Livre  XV,  titres  1  à  3. 
Livres  il!  et  IV  ; 

il  est  à  remarquer  que  le  commentaire  des  livres  1,  II,  III  et  V 
constitue,  d'après  l'index,  la  première  partie  de  l'ouvrage.  Après  la 
mention  relative  au  livre  XV,  l'index  se  termine  ainsi  :  «  Explicit 
«  lectura  domini  Guilhelmi  super  Digestum'"'  vêtus.  » 

''1    Lecliirn  super  Codice,  fol.  ?ti\  comnicii"  (aiil  (lu  LangiicdiK- suive  le  slyle  d'apiès  lequel 

laire  de  la  loi  unique.  Code.  III,  4-  le  inillésiine  change  à  Noël. 

I"   Ibid..    loi.    78.   Cl.   A.    Coulon,    l.etlii<  "    Cf.  Brando  Brandi,  op.  ci<.,  p.  101- io3, 

secrètes  et  ruriales  du  pape  Jeun  XXII  relatives  où   est  donnée  la  table   des  titres  du  Digeste 

à  la  France,  p.  tèt.  commentés  par  Guillaume. 

'''   Voir  ci-<lessus,  p.  i-]i.  '"'  Angelo  de  Ubaldis,  dans   sa   Leclura  sur 

''    Il  n'y  a  rien  d'anormal  à  ce  qu'un  liabi-  la  loi  .'i,  S  lodu  Dùjestuni  norum .  lUve  Deopcris 


376  GUILLAUME  DU  CUN,  f.KGISTE. 

H  eu  va  de  même  pour  le  Code.  Afin  d'accomplir  complètement 
sa  tâche,  le  maître  eût  dû  présenter  l'explication  des  textes  contenus 
dans  les  livres  I  à  IX  de  ce  recueil.  En  réalité,  Guillaume  du  Cun  ne 
s'est  attaqué  qu'aux  titres  suivants  ('': 

Livre  I,  titres  i  à  4  ;  Li\re  VI,  titres  2/1-26,  t8,  3n,  ."^i, 

liivre  II,  titre  1  ;  S^-Sy,  60-62; 

Ijivre  III,  titres   i-û,    6-i5,    ly  20,  Livre  VII,  titres  26,  27,  29-/16,  'mj- 

22-26,  28-37;  ^''  53-56,  58,  60-66,  69-72; 
Livre  IV,  titres  2  1,  25-27,  ^9  '  I^ivres  VIII  et  IX  omis. 

[>ivrc  V  omis  ; 

Ainsi,  les  deux  Lecture  ne  comprennent  pas  la  moitié  des  textes 
réunis  dans  les  recueils  au  commentaire  descpiels  elles  sont  con- 
sacrées. 

Il  n'est  pas  impossible  de  deviner  la  cause  de  ces  omissions.  Nous 
savons,  en  effet,  par  des  témoij^nages  contemporains,  (|ue,  à  Tou- 
louse comme  à  Montpellier,  il  était  d'usage  de  répartir  les  textes  du 
droit  romain,  en  particulier  ceux  du  Digeste  vieux,  et  des  livres  I-IX 
du  (iode,  en  diverses  séries,  dénommées  panda,  dont  chacune  devait 
être  expliquée  dans  une  période  fixée.  Cette  obligation  était  imposée 
aux  professeui's  par  les  statuts  de  i  3  i  ^  '■^'  ;  il  est  certain  que  Guillaume 
du  Cun  ne  put  se  dispenser  d'en  tenir  compte'^*.  Mais,  à  cette  époque, 
le  pi-ogramme  laissait  aux  professeurs  une  certaine  liberté,  qui  paraît 
avoir  été  restreinte  plus  tard''',  (iuillaume,  tout  en  observant,  dans 
une  certaines  mesure,  le  règlement  relatif  aux  panda,  paraît  avoir 
usé  largement  de  cette  liberté.  Il  est  facile  de  constater  (fue  la  liste 

iiofi      nuntintione    (XVIII,    2),    cite   l'upinioii  Fouinier,  Stalnts  et  privilèijef ,    t.  1",   p. '194 , 

d'un  Ciiili     (luilleliiujs)  qui  a  commenté  cette  n°  545. 

loi.  On  serait  tenté  d'en  conclure  que  la   Ler-  ''     On  lit   au    lolio  Sa  de  la  Leclura   super 

tara  sur  le  Digeste  vieux,  qui,  dans  le  manu-  Codice,  à  la  fin  du  commentaire  du   titre  à  du 

MTÏt  di'   Forli,   s'achève  au  livre  XV,   litre  3 ,  livre  III:  «  Hic  fuit  punctus  quem  l'ecit  reveien- 

a  evislé  dans  une  forme  plus  complète.  Peut-  "  dus  doctor  Guillermus  de  Cunio  in  fesloNati- 

êfre  lex-inien  du  manuscrit  de  Vienne  jetterait-  ■■  vllalis  Doiniiii.  •   La  lête  de  Noël  raarqunll  le 

il    (|uelque  lumière   sur  la  question.  Nous   ne  terme  d'une  période  de  l'enseignement. 
|)ou>ons,  en  ce  moment,  tirer  aucune  conclu-  ■*'   Cf.  Marcel   Fournier,    Histoire  de  iensei- 

sion  ;  d'ailleurs,  il  n'est  pas  certain  qu'il  s'agisse  giiemenl  du  droit  en   France,  p.    tSS    et   284- 

dans  ce  texte  de  (îuillaume  du  Cun.  Les    statuts    de     i3i4    yS  Sa)    avaient  laissé 

'''   Cf  Bran'lo  Brandi,  op.  cit.,  p.  116-117,  supposer  qu'on  pourrait  en  venir  à  une  déter- 

ipii  a  |pul)lié  la  table  des  titres  du  Code,  coni-  iiiinalion  précise,  d'ailleurs  gênante  pour  les 

mentes  par  Guillaume.  maîtres.  Cf  MaiccI   Fournier,  op.  cit.,  p.  ïS3, 

''    Statuts   de     i3i4,     S     32.    Cf    Marcel  note?,. 


SES  I':(:hits.  377 

(les  titres  cominentés  par  lui  dans  ses  Lecture  non  seulement  ne 
répond  nullement  au  règlement  ultérieur  des  puncta,  mais  ne  con- 
stitue pas  une  portion  d'un  ensemble  systématiquement  construit. 

Il  n'y  a  non  ])lus  rien  de  régulier  dans  le  développement  donné  à 
chaque  niatière.  Il  en  résulte  qu'entre  les  diverses  parties  l'inégalité 
est  choquante.  Par  exemple,  dans  la  Lectura  sur  le  Code,  le  maître 
traite  longuenient  de  la  possession  '*'  et  s'étend  à  perte  de  vue  sur  les 
substitutions '^\  tandis  qu'il  ne  fait  qu'effleurer  la  revendication  et  les 
servitudes'^*.  Or,  lui-même  nous  dit  que  les  questions  de  possession 
intéressent  la  pratique  quotidienne  ;  dans  la  seconde  moitié  du 
xiv*  siècle,  Balde  lit  fortune  à  donner  des  consultations  sur  les  substi- 
tutions, matière  valde  utdis  ad  Lnrsam,  comme  l'écrivait  à  la  même 
époque  le  jurisconsulte  Albéric  de  Rosciate'*'.  Faut-il  croire  que  ces 
motifs  expliquent  la  large  part  laite  à  la  possession  et  aux  substitu- 
tions dans  l'œuvre  de  Guillaume  du  Cun.^ 

La  même  inégalité  se  retrouve  dans  les  développements  donnés  à 
l'explication,  non  plus  des  titres,  mais  des  divers  fragments  ([ui  les 
composent.  Le  maître  part  du  texte  et  en  prolonge  ou  abrège  l'expli- 
cation selon  son  goût  ou  son  caprice,  ou  suivant  les  désirs  de  ses 
élèves.  Au  surplus,  à  côté  de  la  reproduction  de  nombreuses  leçons, 
on  trouve,  tout  au  moins  dans  la  Lectura  sur  le  Code,  celle  de  quelques 
repetilwnes.  Or,  les  repetitioncs ,  dont  étaient  de  temps  en  temps  entre- 
coupées les  leçons,  avaient  surtout  pour  objet  les  lois  difficiles,  dont 
l'interprétation  comportait  une  étude  plus  minutieuse  ;  il  n'y  a  donc 
pas  lieu  de  s'étonn(>r  de  ce  que  la  longueur  de  la  rcpetitio  dépasse 
celle  de  la  leçon. 

Quoi  qu'il  en  soif ,  c'est  une  bonne  fortune  pour  l'historien  du  droit 
d'être  mis  en  possession  des  leçons  d'un  maître  justement  réputé, 
alors  que  ces  leçons  ont  été  recueillies  par  un  élève  studieux;  nous 
pouvons  ainsi  nous  rendre  compte  de  ce  qu'était  l'enseignement  du 
droit  civil  à  Toulouse,  vers  la  fin  du  règne  de  Philippe  le  Bel.  L'im- 
pression d'ensend^le  (pii  se  dégage  de  ces  leçons  est  analogue  à  celle 
que  produit  la  lecture  des  œuvres  d'autres  maîtres  de  la  même 
époque.  L'enseignement  qu'ils  donnent,  essentiellement  analytique, 

'''   Fol.  80  et  suiv.  '''   Voir  les  textes  cités  par  Brondo   Brandi, 

■''   Fol.  63  et  suiv.  [ila    e  doltrine   di  Raniero   ia    Forli    (Turin, 

"'  Fol.  48,  f)©,  5-3.  i885),  p.  ag. 

IlISr.  LITTÉR.  —  x\\\.  48 


378  GUILLAUME  DU  CUX,  LÉGISTE. 

procède  de  l'explication  des  textes.  Les  élèves  n'étaient  pas  initiés 
par  un  enseignement  doctrinal  aux  principes  non  plus  qu'aux 
méthodes  juridiques  ;  ils  se  les  assimilaient  petit  à  petit,  parce  qu'ils 
vivaient  dans  une  atmosphère  intellectuelle  qui  en  était  imprégnée. 
La  syntlièse  ne  leur  était  pas  présentée  dans  son  ensemble  ;  elle 
ne  pouvait  être  que  le  résultat  de  leurs  efforts  personnels  et  persis- 
tants. 

Les  deux  Lecture  de  Guillaume  du  Gun,  sur  le  Digeste  vieux  et  le 
Gode,  ont  été  de  très  bonne  heure  connues  d'un  célèbre  jurisconsulte 
italien,  contemporain  de  l'auteur.  Renier  de  Forli,  et  utilisées  par  lui. 
Le  manuscrit  de  Forli,  qui  a  conservé  la  Lectura  sur  le  Digeste,  con- 
tient des  annotations,  œuvre  de  Renier,  peut-être  écrites  de  sa  main'^^. 
Il  en  était  de  même  du  manuscrit,  inconnu  de  nous,  de  la  Lectura 
sur  le  Gode,  d'après  lequel  a  été  fiiite  l'édition  de  Lyon.  Que  ce 
fût  le  manuscrit  d'abord  conservé  à  Forli  et  perdu  depuis  lors, 
ou  un  autre  manuscrit,  on  y  rencontrait  de  nombreuses  additions 
dues  à  Renier.  En  général,  ces  additions  sont  indiquées  par  un  titre 
et  par  un  sigle.  Toutefois,  quelques-unes  sont,  dans  l'édition, 
dépourvues  de  ces  indications;  aussi  faut-il  n'user  du  texte  qu'avec 
circonspection,  si  l'on  veut  éviter  d'imputer  au  maître  de  Toulouse 
ce  qui  appartient  à  son  annotateur  italien'^'. 

Il  serait  intéressant  de  déterminer  exactement  le  lien  qui  rattache 
Renier  de  FoHi  à  Guillaume  du  Gun.  Gertes,  la  réponse  à  la  ques- 
tion posée  serait  facile,  si  l'on  pouvait  admettre,  avec  Pancirole  et 
Mantua''\  que  Renier,  vers  iSiy  ou  i3i8,  a  résidé  à  la  cour  d'Avi- 
gnon en  qualité  d'auditeur  des  causes.  G'est  précisément  l'époque  où 
du  Gun  y  remplissait  la  même  fonction  :  rien  de  plus  simple  que  de 
supposer  des  relations  étroites  entre  les  deux  collègues,  à  l'occasion 
desquelles  Renier  se  serait  procuré  les  cahiers  où  étaient  consignées 
les  leçons  de  Guillaume.  Mais  il  est  difficile  de  penser  que  Renier 
de  Forli  ait  pu  être  appelé  aux  fonctions  d'auditeur  à  une  époque  où 

'"'  Brando  Brandi,  op.  cit.,  p.  6.'i.  conclusion  déinenlie  par  le  contexte.  Le  pas- 

'*'  Au  folio  3  de  la  Lectura  sur  le  Code ,  on  sage    doit    être    attribué    à    un    annotateur 

lit  :  «Nos  habemus  consuetudinem  initalia...  >  italien,  vraisemblablement  à   Renier. 
Comme  ces  mots   ne   sont    précédés   d'aucun  '"  Pancirole,  De  claris  leiiuminterpretatoribus, 

signe,  le  lecteur  est  tenté   de  les  attribuer  à  p.     i83;    Mantua,    Epitome    illustnum  jaris- 

Ciuillaunie    du     Cun    et    d'en    concluœ    que  consultomm,   dans  le   Tractatas  aniversi  juri^, 

Guillaume  est  d'origine  italienne.    C'est    une  I.  1",  p.  i64- 


SES  ECRITS.  379 

il  n'était  guère  âgé  de  plus  de  vingt  ans*'*.  Nous  sommes  donc  hors 
d'état  de  donner  une  explication  certaine  des  relations  d'ordre  intel- 
lectuel qui  sont  incontestables  entre  Guillaume  du  Cun  et  Renier  de 
Forii. 

Dans  ses  deux  ouvrages,  Guillaume  du  Cun  cite  avec  grande  abon- 
dance les  textes  du  Corpus  juris  civilis,  et  parfois  invoque  l'autorité  des 
Libri  feudorum.  En  revanche,  le  plus  souvent,  il  semble  ignorer  les 
textes  du  Corpus  juris  canonici  ;  il  les  mentionne  très  rarement,  même 
quand  il  traite  des  matières  ecclésiastiques,  par  exemple,  en  commen- 
tant les  premiers  titres  du  Code  de  Justinien.  Il  paraît  bien  qu'il  agit 
ainsi  en  vertu  d'un  parti  pris;  ce  futur  évêque,  qui  est  surtout  un 
légiste,  ne  veut  pas  entremêler  dans  son  enseignement  les  prescrip- 
tions des  deux  droits.  Guillaume  cite  très  souvent  la  glose,  vis-à-vis 
de  laquelle  il  n'abdique  rien  de  son  indépendance  ;  il  invoque 
assez  fréquemment  l'autorité  des  jurisconsultes,  ses  prédécesseurs 
ou  ses  contemporains.  Toutefois,  comme  on  devait  s'y  attendre,  les 
citations  sont  moins  nombreuses  dans  un  ouvrage  qui  est  une 
rédaction  de  leçons  qu'elles  ne  le  seraient  dans  une  œuvre  composée 
à  loisir;  au  cours  de  la  leçon  orale,  le  maître  ne  peut  se  permettre 
les  longues  énumérations  qui  trouvent  place  dans  les  œuvres  écrites 
et  qui,  si  souvent,  y  alourdissent  l'ex])Osé.  Quoi  qu'il  en  soit,  Guil- 
laume mentionne  les  anciens  auteurs  de  Bologne,  Irnerius,  Marti- 
nus,  Jacobus  et  Bulgarus,  puis  Placentin,  Albéric  (qu'il  appelle 
souvent  Aldéric),  Jean  Bassien,  Odefroi,  François  Accurse,  Azon, 
Gui  de  Susaria.  On  rencontre  aussi  dans  ses  leçons  les  noms  de 
jurisconsultes,  ses  compatriotes,  Pierre  de  Belleperche,  le  maître 
célèbre  qui  fut  l'un  des  fondateurs  de  l'école  française,  et  Pierre 
de  Ferrières,  qui,  après  avoir  enseigné  à  Aix  et  à  Toulouse  dans 
les  dernières  années  du  xiii^  siècle,  devint  chancelier  du  roi  de 
Sicile,  Charles  II,  et  archevêque  d'Aix'^'.  Notre  auteur  est  plus 
sobre  de  citations  empruntées  aux  canonistes;  cependant  il  men- 

'">  Savigny,  Geschickte  des  rômiscken  Rechts  t.  II,  p.  123  et  suiv. ;  Albanès-Chevalier,  Gallia 

im  Mitlelalter,  t.  VI,  2*  éd. ,   p.   186;   Brando  christiana    novissima,    Arles,    n°'   iSSg-i/l.'îo  ; 

hranài,  Vita  e  doltrine  di  Ranerioda  Forli,  p.  6.  chanoine  Albe,  Aatour  de  Jean  XXII,  dans 

'''  Sur  ce  personnage,    voir    Histoire   litlé-  les      Annales      de     Saint -Louis -des -Français, 

raire,  t.  XXV,  p.  468  et  suiv.  ;  cf.  Ant.  Tho-  1901-1902 ,  t.  VI,  p.  358  et  suiv.,   et  Prélats 

mas.  Extraits  des   Archives  du   Vatican,   dans  originaires    du    Qaercy ,     igo^-iOoS,    I.     IX, 

les  Mélanges   de    l'Ecole  française  de    Rome,  p.  aa. 


380  GUILLAUME  DU  CUN,   LKGISTK. 

lionne  quelques-uns  d'entre  eux,  par  exemple,  le  décrétaliste  connu 
sous  le  nom  d'Alanus,  qui  enseignait  à  Bologne  vers  i  220,  Henri  de 
Suse,  cardinal  d'Ostie,  Guillaume  Durant,  auteur  du  Spéculum  jiiris, 
et  enfin  le  cardinal  Le  Moine'"'. 

Les  ouvrages  de  (niillaiinie  du  Cun  portent  la  marque  de  son 
époque.  H  étudie  très  minutieusement  les  textes  de  droit  romain  et 
aime  à  en  tirer  des  solutions  accommodées  aux  besoins  du  mili(!u  où 
il  vil.  Pour  y  arriver,  il  sait  mettre  en  œuvre  les  ressources  de  l'inter- 
prétation juridique.  A  l'exemple  de  Jacques  de  Révigny  et  de  Pierre 
de  Belleperche,  il  y  joint  j^nrfois  les  catégories  et  les  procédés  do 
la  dialectique;  si  l'on  en  ^ent  des  exemples,  on  pourra  les  trou- 
ver, soit  dans  tel  passage  où  il  examine  la  valeur  de  l'argument 
a  contrario  suivant  les  diverses  formes  sous  lesquelles  cet  argument 
est  présenté'"'',  soit  surtout  dans  son  commentaire  du  prologue  du 
Digesle^^',  où  il  s'attache  à  montrer  les  différentes  causes  de  la  science 
du  droit,  à  savoir,  la  cause  efficiente,  la  cause  matérielle,  la  cause 
formelle  et  la  cause  finale.  A  la  dialectique,  il  emprunte  volontiers  les 
divisions,  (ju'il  s'atlaclie  autant  qu'il  le  peut  à  ramener  à  deux  mem- 
bres, car  rien  ne  vaut  pour  lui  la  divisio  l>imembris^'^\  où  il  trouve  sou- 
vent le  fondement  d'un  dilemme,  argument  pour  lequel  il  marque 
une  particulière  prédilection.  Toutefois,  il  n'use  qu'avec  réserve  des 
armes  (pie  lui  fournit  l'arsenal  des  dialecticiens  :  il  dit  à  plusieurs 
reprises,  et  c'est  la  pure  vérité,  qu'il  est  plus  soucieux  des  choses  que 
des  mots'^'.  Pour  résoudre  une  controverse  sur  l'interprétation  d'une 
loi,  son  esprit  vigoureux  s'attache  moins  à  des  subtilités  d'argumen- 
tation qu'à  la  ratio  leijis;  il  triomphe  quand  il  peut  appliquer  l'adage: 
Ubi  est  cadeni  ratio,  idem  jus.  11  n'en  use  qu'à  bon  escient'*'',  mais  il  en 
use  largement,  car  il  n'est  nullement  emprisonné  dans  la  forme  ni 
dans  la  lettre.  On  en  trouverait  la  preuve  en  maintes  pages  de  ses 
écrits,  notamment  dans  le  traité  que,  au  cours  de  sa  Lectura  sur  le 
Code,  il  a  consacré  à  l'examen  des  nombreuses  et  délicates  questions 

'''  (]'cst  le  cardinal  I.e  Muiiic  qui  est  cité  par  '*'   l.ectuia  super  t'odkc,  fol.  63. 

son    litre  de    vice-chancelier    (Lectura    super  '*'  /W</. ,  fol.  3/4  et  68. 

Codire,  fol.  i8  v°).  '''   Voyez,   par  exemple,   un    passage  de  la 

'''  Lectura  saper  i'odicc ,  toi.  i3  v*;  Braiido  Lectura  super  Codice ,  fol.  85,  où  il   se  refuse 

Brandi,  Ao/ùiV  intorno  a  Guillelmns  de  (uiiio,  à   admettre    l'analogie,    parce    qu'il  n'y  a  pas 

p.  -70.  eadem  ratio. 

'''   Brando  Brandi,    np.  cit.,  p.   lO"  et  suiv. 


SES  ECRITS.  381 

dont  est  hérissée  la  matière  des  substitutions'''.  On  sait  que  cette 
matière  était  particulièrement  dilTicile;  les  jurisconsultes  la  tenaient 
pour  une  mer  sen)ée  d'écueils;  Albéric  de  Rosciate  ajoutait,  à  bon 
droit  :  «  Ista  materia  est  subtilis  et  in  ea  sunt  subtilitates  sine  nu- 
méro'"'. »  Guillaume  du  Cun  ne  se  laissa  point  elïrayer  par  ces 
difTicullés  et  n'eut  pas  à  s'en  repentir. 

Sursa  route,  notre  jurisconsulte  nepouvait  manquer  de  rencontrer 
maintes  questions  d'un  intérêt  actuel,  à  propos  desquelles  se  parta- 
/.^eaient  les  juristes  de  son  temps;  il  n'hésite  pas  à  les  résoudre.  Ses 
contemporains  se  demandent  dans  quelle  catégorie  de  biens,  meubles 
ou  immeubles,  ils  doivent  classer  les  créances  et  les  actions,  aclionea  et 
nomma;  Guillaume  s'inspire,  pour  trancher  la  controverse,  d'une  idée 
économique.  Le  droit  dont  il  s'agit  procure-t-il  au  titulaire  des  pres- 
tations successives,  c'est-à-dire  des  revenus,  il  faudra  l'assimiler  aux 
immeubles'^';  dans  le  cas  contraire,  on  le  traitera  comme  les  meubles''*'. 
En  elîet,  l'un  peut  être  classé  parmi  les  biens  qui  constituent  le  fond 
(les  fortunes,  mais  non  pas  l'autre.  De  mèm(!,  il  a  remarqué  que,  déjà 
de  son  temps,  il  y  a  dans  les  familles  des  charges  publiques  [mililiœ^, 
qui,  si  elles  ne  sont  pas  héréditaires,  peuvent  du  moins  être  trans- 
mises entre  vils  par  vente  ou  autrement;  tel  est,  dit-il,  le  cas  des 
labularii  de  Narbonne'"'.  Lorsqu'un  père  aura  acheté  pour  son  fils  une 
charge  de  ce  genre,  la  valeur  de  cette  charge  doit  être  imj)utée  sur  la 
légitime  du  lils;  comment  on  en  devra  faire  l'estimation,  c'est  une 
question  que  Guillaume  s'applique  à  résoudre.  Quand  il  a  l'occasion, 
à  propos  de  la  prescription  acquisitive,  de  loucher  cà  la  matière  de 
la  possession,  dont  il  sait  tout  l'intérêt  pratique''"',  il  ne  se  borne 
pas  à  critiquer  Azon,  auquel  il  reproche  de  voir  surtout  dans  la  pos- 
session un  fait,  l'appréhension  de  la  chose,  tandis  que  lui-même  y 
aperçoit  un  droit  résultant  de  l'appréhension;  en  dépit  de  l'unité 
prétendue  de  la  possession,  il   la  décompose  en   possessio  naluralis, 

'''  Fol.  63  >°  et  suiv.  elles-mêmes,  les  créances  et  les  actions,  étant 

'''   lîrando  Brandi,  Vila  e  dotirine  di  Ranerio  des  droits  incorporels,  ne  peuvent  être  clas- 

ilii  Forli,  p.  29.  sées   dans  la  catégorie  des  meubles  non  plus 

'''   La  même  idée  est  indiquée  par  Beauma-  que  dans  celle  des   immeubles.  Pierre  Jacobi 

noir;  il  classe  jtarmi  les  héritages  les  «choses  discute  longuement    cette   question  et   donne 

qui  valent  par  année»  (CoHfunifs  (ie  7ieaui'«ijis,  une   solution  dilTérente  (Praclicu.   p.  iti  et 

éd.  Salmon,  n°  670).  suiv.). 

'    Lccluia  super  Cndice,  fol.  8  v°.  L'auteur  '*'  Leclara  saper  Codice,  loi.  43  v°. 

lait  iiniai(|uer  avec  raison  que,  considérées  en  '*'  Ibid.,  fol.  80  et  suiv. 


382  GUILLAUME  DU  CUN,  LÉGISTE. 

possessio  civilis,  quasi  possessio  naturaUs,  quasi  posscssio  civilis,  et,  à 
l'aide  de  ces  distinctions,  il  assure  la  protection,  au  possessoire,  de 
toutes  les  situations  qui  méritent  d'être  protégées,  notamment  des 
propriétaires  qui  n'ont  que  le  domaine  utile,  tels  le  vassal  ou  l'em- 
phytéote. 

L'énumération  serait  longue  des  questions  sur  lesquelles  il  y  aurait 
lieu  de  recueillir  l'avis  de  Guillaume  du  Cun.  Il  faudrait  le  suivre 
dans  sa  première  leçon  sur  le  Code,  où,  à  propos  de  la  célèbre  consti- 
tution de  Justinien  Cunctos  populos,  il  étudie  la  force  obligatoire  de  la 
loi  et  de  la  coutume,  tentant  de  résoudre,  comme  l'avait  fait  son 
contemporain  Pierre  Jacobi,  un  certain  nombre  de  controverses, 
relatives  au  conflit  des  lois,  qui  touchent  au  fondement  du  droit  in- 
ternational privé"*;  il  se  range  ainsi  parmi  les  jurisconsultes  de  la 
première  partie  du  xiv*  siècle  qui  ont  laborieusement  préparé  et  sin- 
gulièrement facilité  l'œuvre  classique  de  Bartole.  Il  faudrait  aussi 
montrer  Guillaume,  à  propos  du  privilège  du  for,  s'efForçant  d'en 
démêler  l'origine  au  milieu  de  l'enchevêtrement  des  constitutions 
du  Bas-Empire,  et  maintenant  résolument,  pour  son  temps,  le 
principe  du  for  spirituel  réservé  aux  clercs  défendeurs,  si  bien 
qu'il  leur  refuse  le  droit  d'y  renoncer  en  contractant'-'.  Cepen- 
dant, avec  Jean  Faure  et  plusieurs  de  ses  contemporains,  légistes 
ou  canonistes,  il  n'admet  pas  la  compétence  du  tribunal  ecclésias- 
tique quand  il  y  a  lieu  de  connaître  d'une  action  immobilière;  il  est 
vrai  que,  s'il  s'agit  d'une  action  hypothécaire,  le  clerc  défendeur  est, 
à  son  avis,  fondé  à  réclamer  la  juridiction  de  la  cour  d'Eglise,  parce 
que  l'hypothèque,  même  immobilière,  est  l'accessoire  d'un  droit  prin- 
cipal qui  est  généralement  mobilier,  le  droit  de  créance*^'.  Toutefois 
notre  auteur  n'entend  point,  en  défendant  les  privilèges  de  l'Eglise, 
favoriser  les  abus  dont  ils  peuvent  être  l'occasion.  Après  discussion, 
il  conclut  que  le  juge  séculier  peut,  de  sa  propre  autorité  et  sans  le 
consentement  du  juge  spirituel,  se  saisir  du  laïque  qui,  après  avoir 
commis  un  crime,  s'est  réfugié  dans  l'église '*'. 

Il  conviendrait  aussi  de  ne  pas  négliger  les  opinions  émises  par 

<'>  Lectura  super  Codice,  fol.  ^ieliuiv.  plus  haut   (p.    9.3 )   que   Guillaume    Durant, 

'*'  Ibid.,  fol.   18  v".  quoique  ai-dent  défenseur   des   immunités  de 

''*  Ibid. .fol.  16  v°.  l'Eglise,  était  peu  favorable  au  droit  d'asile. 

'''  Ibid.,  fol.  ao.  Nous  avons  fait  remarquer 


SES  ECRITS.  383 

Guillaume  du  Cun  sur  des  questions  relevant  du  droit  public.  Sans 
doute  il  fait  à  ce  droit  une  pari  restreinte,  mais  il  en  dit  assez  pour 
indiquer  quelques  idées  maîtresses.  Il  est  de  ceux  qui  reconnaissent 
au  peuple  la  puissance  législative.  En  ce  qui  concerne  les  lois  écrites, 
le  peuple  a  renoncé  à  se  servir  de  ce  pouvoir  en  le  remettant  par  une 
délégation  aux  mains  de  l'Empereur,  la  seule  autorité  temporelle  dont 
émanent  des  lois  universelles;  mais  il  l'a  conservé  et  en  use  chaque 
jour  par  la  formation  de  la  coutume,  expression  de  la  volonté  popu- 
laire dont  elle  tire  sa  force  obligatoire '*'.  Guillaume  estime  d'ailleurs 
que  le  peuple  est  en  droit  de  révoquer  la  délégatioh  qu'il  a  laite  du 
pouvoir  législatif,  el  même  de  déposer,  ou,  comme  il  le  dit,  de  dé- 
grader l'Empereur.  Tant  qu'il  règne,  l'Empereur  possède  des  pouvoirs 
très  étendus;  Guillaume  du  Cun,  à  la  dilférence  de  plusieurs  de  ses 
contemporains,  enseigne  que  Constantin  n'en  a  pas  abusé  lorsqu'il  a 
consenti  sa  légendaire  donation,  et  que  par  conséquent  cette  dona- 
tion est  valable.  Nous  devons  ajouter  que,  pour  notre  auteur,  dans  les 
royaumes  qui  ne  reconnaissent  point  de  supérieur  au  temporel,  c'est 
le  Roi  qui  tient  la  place  de  l'Empereur'"';  il  assimile  aux  sénateurs  les 
membres  du  conseil  étroit  qui  assistent  le  monarque.  Nous  imagi- 
nons qu'il  devait  admettre,  le  cas  échéant,  la  déposition  du  Roi  comme 
celle  de  l'Empereur,  mais  il  ne  parait  pas  s'être  prononcé  sur  ce 
point. 

L'étude  des  constitutions  impériales  qui  délèguent  aux  évoques 
une  certaine  surveillance  sur  les  marchands,  ne  modum  mercandi 
videantw  c.vcedere'^'^K  amène  Guillaume  à  se  demander  dans  quelle 
mesure  le  pouvoir  public  peut  limiter  la  liberté  des  commerçants. 
Il  conclut  qu'en  ce  qui  concerne  les  denrées  indispensables  à  la  vie, 
il  est  légitime  de  réprimer  les  coalitions  des  vendeurs  et  de  fixer  un 
prix  qu'ils  ne  pourront  dépasser;  il  admet  même  le  droit  de  réquisi- 
tion des  marchandises,  au  cas  où  les  commerçants  s'efforceraient  de 
les  soustraire  à  la  vente  pour  les  réserver  à  des  spéculations  ulté- 
rieures. Mais  il  a  bien  soin  de  faire  remarquer  que  cette  restriction 
de  la  liberté  ne  saurait  s'appliquer  en  dehors  du  cas  d'extrême  né- 

'''   Leclara  super  Codice,  loi.  2.  à  la  donation  de  Constantin  est  citée  dans  une 

'*'  Cf.  Gecil  N.  Sidney  Woolf,  Bartolus  of  note  de  Renier  de  Forli,  publiée  par  Biaudo 

Sassqferrato   (Cambridge,    191 3),  p.  38,  39,  Brandi, /Votiîie,  p.  Ii4-ii3. 

378.  L'opinion  de  Guillaume  du  Cun  relative  '''    1  ,   Cotle,  1,4- 


38/1  GULLLAL'ME  DU  GUN,  LÉGISTE. 

cessité,  ni  quand  il  ne  s'agit  pas  du  commerce  des  aliments  :  (une  in 
talibus  non  compelhtur  qnis  vendcre^^\  Evidemment  pour  lui  la  liberté 
est  le  principe,  tandis  que  la  contrainte  est  l'exception. 

On  a  dit  plus  haut  que  Renier  de  Forli  avait  de  très  bonne  heure, 
peut-être  même  dn  vivant  de  Guillaume  du  Cun,  annoté  les  deux 
recueils  de  Reportàtwnes  sur  le  Digeste  vieux  et  sur  le  Code,  qu'il  avait 
la  bonne  fortune  de  posséder.  Il  fit  plus;  il  s'en  servit  largement  pour 
la  composition  de  ses  ouvrages,  et  notamment  de  ses  Repetitiones  sur 
les  substitutions '-*  où,  tout  en  gardant  son  indépendance  vis-à-vis  des 
solutions  proposées  par  (luillaume,  il  le  suit  de  très  près  et  invoque 
souvent  sou  autorité.  Or  Renier  de  Forli  fut  le  maître  de  Bartole; 
aussi  ne  faut-il  pas  s'étonner  que  Bartole,  rians  divers  écrits,  cite 
fréquemment  Guillaume  du  Cun.  Remarquez  qu'au  xiv*  siècle, 
étant  donné  le  très  petit  nombre  de  manuscrits  qui  contenaient  ses 
œuvres  principales,  Guillaume  devait  être  un  inconnu  pour  l'im- 
mense majorité  des  juristes.  C'est  Renier  de  Forli  et  surtout  Bartole,  et 
après  lui,  Balde,  (jui  firent  sa  réputation;  après  eux,  en  Italie  et  aussi 
en  France,  son  nom  figure  à  côté  de  ceux  des  jurisconsultes  dont  les 
avis  fout  autorité.  Touti^fois,  nous  pensons  ([ue  le  nom  de  Guillaunu! 
devaitêlre  plus  connu  que  ses  œuvres,  dont  les  manuscritsne  s'étaient 
pas  multipliés;  évidemment  ceux  qui  invoquent  son  opinion  le  citent 
souvent  de  seconde  ou  de  troisième  main.  On  eût  pu  croire  qu'il  en 
serait  autrement  après  l'invention  de  l'imprimerie.  Mais,  comme  on 
l'a  vu,  seule  la  Lcctnrn  sur  le  Code  eut  les  honneurs  de  l'impression  : 
encore  n'en  parut-il  qu'une  édition  fort  médiocre,  tirée  à  un  petit 
nombre  d'exemplaires.  Les  gens  avisés  n'avaient  pu  manquer  de 
s'apercevoir  que  les  Lecture  de  Guillaume  présentaient  trop  de  lacunes 
et  d'inégalités,  et  d'ailleurs  avaient  été  conservées  en  un  texte  trop 
défectueux  pour  rendre  aux  juristes  les  services  qu'ils  eussent  été  en 
droit  d'en  attendre.  wSi  les  hommes  de  la  Renaissance  continuèrent 
pendant  quelque  temps  de  les  citer'^',  les  imprimeurs  ne  se  hasar- 
dèrent pas  à  les  éditer,  et,  par  la  force  des  choses,  le  public  les 
oublia.  Même  sur  la  personne  de  Guillaume  du  Cun   s'étendit  un 

'''   Leclwra  super  Codice,  fol.  19  v°.  Tractatas  de  jure  legaliœ  (éd.  de  Paris,  i664), 

'*'  Voir  à  ce  sujet  Brando  Brandi,  Vilaedot-  p.  34;  par  Choppin,   De  Doinanio,  livre  III, 

liine  di  Rancrio  da  Forli,  siirtoul  p.  acj  et  suiv.  c.  27,  n°  \?)  \  par  Tiraquenu,  Le  mort  saisit  le 

'^'  Ainsi    il    est   cité   par    ("luillaume    Rusé,  vif,  V,  1  ;  etc. 


SES  ÉCRITS.  385 

voile  épais,  que   les   recherches  de  l'érudition   contemporaine   ont 
seules  permis  de  soulever. 

Œuvres  apocryphes  ou   douteuses. 

Forster,  dans  son  Historia  jnris^^\  attribue  à  Guillaume  du  Cun, 
d'après  les  anciens  bibliographes,  un  opuscule  De  e.remptionibiis.  Nous 
n'avons  aucun  motif  d'admettre  cette  attribution;  nous  ne  connaissons 
pas  l'œuvre  à  laquelle  l'orster  fait  allusion. 

P.  F. 


ANONYME  DE  BAYEIJX, 

\UTEUR  DE   QUATRE  POÈMES  EN  FRANÇAIS. 


Le  manuscrit  Irançais  n"  8  de  la  bibliothècpie  d'Evreux,  provenant 
de  l'abbaye  de  Lyre'^*,  et  qui  fut  souvent,  au  xv'  siècle,  entre  les 
mains  du  «bon  moine»  Guillaume  Alexis'"*',  contient  plusieurs 
poèmes  qui  sont  du  même  auteur. 

Dialogue  de  saint  Gregore. 

Traduction  en  vers  octosvHabiques  du  Dialogue  de  saint  Grégoire. 
A.  Lângfors'*'  n'indique  qu'un  manuscrit  de  cet  ouvrage;  il  omet 
celui  d'Evreux  et  ne  mentionne  pas  les  extraits  qui  ont  été  publiés, 
d'après  ce  manuscrit,  par  A.  de  Montaiglon  dans  la  Romania  (t.  VIII, 
p.  5 12). 

L'auteur  anonyme  déclare  qu'il  a  «  pris  et  puisié  son  franchois  au 

"'  De  Hisloria  jui-is  civilis   Boinani  libri  très  t/e  GuiV/aume  ^/exi'i  (Paris,  1896-1908),  3  vol. 

(Bàle,  i565),  p.  227.  in-8°  (LSociété  des  anciens  textes  français],  In- 

'''  Ch.  Guéryj  Histoire  de  tabbaye  de  Ljre  troduction. 
(Evreux,  1917),  p.  377.  '*'  Les  Incipit  des  poèmes  français  antérieurs 

■''  A.  Piagel  et  E.  Picot,  (JEavres  poétiques  au  \vi'  v/ec/e  ( Paris ,  1917),  p.  79. 

HIST.  LITTKR.  \XXV.  49 


386  ANONYME  DE  BAVEUX. 

«latin»,  de  son   mieux.   Il   prévoit    des  critiques,   mais  peu  lui  en 
chaut  : 

.  .  .  plusors  gens  les  livres  voient,  «  Cest  livre  n'est  pas  bien  rimé  », 

Et  les  escoutent  et  les  oient .  Ou  :  •  La  translation  est  fausse  . , 

Et  non  pas  a  la  fin  d'aprendre,  Et  vont  devisant  de  la  sausse 

Mes  pour  moquier  et  pour  repiendrc;.  Qu'elz  ne  sauroienl  dcstrempcr  ;. .  . 

Et  dient  li  envenimé  :  Poy  me  chaut  de  lelz  ennemis'". 

Il  a  travaillé  pour  s'acquitter  d'une  promesse  envers  saint  Grégoire, 
son  «  ami  »;  non  pour  gagner  «  meuble  ne  rente  ».  Mais  il  veut  «par- 
«  fournir»  son  livre,  en  écrivant  aussi  la  Vie  du  saint.  Pour  le  bien 
de  sa  santé,  mieux  vaudrait,  pourtant,  qu'il  posât  la  plume  : 

. .  .  Moût  volontiers,  si  j'osasse,  Quer  je  scey  bien  que  tel  estrerc 

Quant  a  présent  me  n'posasse,  Est  a  ma  santé  trop  contrere.  .  . 

Toutefois  il  a  promis,  et  il  lient  à  s'exécuter  :  voici  donc  la  \  ie,  qu'il 
abrégera  du  reste.  Le  second  poème  se  préseiile  ainsi  comme  un  post 
scriplum  du  premier'"-'. 

Vie  saint  Grkgore. 

Traduction  de  la  Vie  latine  de  (irégoire  le  (îrand  par  Jean  le  Diacre 
(cf.  Histoire  littéraire,  t.  XXXlll,  p.  35'j). 

Ce  poème,  écrit,  comme  le  précédent,  en  rimes  léonines,  permet 
pareillement  des  observations  phonétiques  précises.  .1.  Voung,  qui 
l'a  étudié  à  ce  point  de  vue  dans  une  dissertation  académie] ue  en 
suédois,  conclut  (|ue  la  langue  de  l'auteur  qui,  ainsi  que  le  copiste, 
était  normand,  n'a  subi  que  peu  l'influence  du  français  central;  et 
cette  conclusion  a  été  acceptée  par  de  bons  juges'^'. 

Il  est  daté  : 

En  l'an  rail  .CGC.  vint  et  sis,  Tout  soûl  a  i'oure  de  complie, 

U  vendredi  saint,  que  je  sis  Fust  ceste  euvre  loute  acomplie*'"'. 

''    Romania.  t.  \  III  (1879),  p.  519.  Dianuscrit  b^à  de  la  Bibliothèque  de  (Cambrai. 

•    Il  ne  faut  pas  confondre  cet  ouvrage  avec  ''   Roniaiiia ,  t.  XVIII  (1889),  p.  soi. 

la  Iraductlon  en  prose  du  Dialogue,  dont  il  y  '*'   Ver,  30/47  ^^  l'édition  A.  de  Montaiglon 

a  un  bel  exeniplaiie,  du  xiv'  siècle,  dans  le  {  Romnnia ,  t.  VIII,  p.  5'|3). 


SES  ÉCRITS.  387 

L'aulevir  demande,  en  terminant,  à  ses  lecteurs  de  prier  pour  lui 
Notre-Dame  et  saint  Grégoire.  H  ne  dit  pas  son  nom;  le  copiste,  seul, 
a  dit  le  sien:  maître  »  .lehan  le  Confez». 


L'Advocacie  Nostre  Dame. 

Le  troisième  poème,  écrit  tout  à  fait  dans  la  même  langue  et  dans 
la  même  forme  que  les  précédents,  n'est  aussi  qu'une  traduction. 
L'original  latin  est  intitulé  :  Processus  Satanae  contra  B.  Vinjinem  coram 
jiidice  Jesn  dans  le  Processus  juris  joco-seriiis  (Hanau,  1611),  et  :  Trac- 
tatiis  (juaestwms  ventilatae  coram  D.  Jesu  Christo  Inler  Virglnem  Mariam, 
ex  una  parle,  et  duiholum,  ex  alia  parte,  au  tome  X  de  l'édition  complète 
des  Œuvres  de  Bariole  (Venise,  iSgo)''.  L'attribution  de  cet  opus- 
cule à  Bartole,  né  en  i3i3,  est  d'ailleurs  insoutenable,  puisque 
l'Advocacie  est  certainement  antérieure  au  (juatrième  poème  du 
manuscrit  d'Evreux,  dont  il  sera  question  tout  à  l'heure,  lequel  est 
précisément  daté  d'entre  novembre  i.'^2  i  et  juin  i324*^'- 

Il  s'agit  d'un  procès  où  le  diable  réclame,  par  devant  Jésus-Christ, 
ses  droits  sur  l'x  humain  lignage»,  et  où  la  V'ierge  plaide  contre 
le  demandeur.  «Ce  cadre,  dit  G.  Raynaud,  a. été  choisi  pour  faire 
«connaître,  non  sans  les  ridiculiser  un  peu,  les  formes  judiciaires 
«du  temps.»  Mais  non;  si  le  procès  a  lieu  «a  l'umaine  manière» 
(v.  253),  c'est-à-dire  suivant  les  formes  ordinaires  de  la  procédure, 

Si  est  ta  chose  plus  legierc 
Et  plus  aesie  a  enteiulre ... 

Voilà  tout.  L'intention  de  tourner  qui  ou  quoi  que  ce  soit  en 
ridicule  n'est  perceptible  nulle  part;  pas  plus  la  procédure  que 
la  Vierge,  qui  est  représentée  pourtant  comme  une  frêle  et  ner- 
veuse créature,  dont  les  emportements  contrastent  avec  l'argumen- 
tation serrée,  assez  raisonnable  et  fondée  en  droit,  de  sa  redoutable 
partie. 

'''   Vo\.  127".  Deutschland.    Leiprig,    1867,  p.    a6a)    esliine 

(')  Stintzing      (Geschichte      der     popiilâren         avei-  raison  que  Bariole  a  remanié  une  œiivre 
Literaluv    des    rômisch-kanonischen     Rechts    in         antérieure. 


388  ANONYME  DE  BAYEUX. 

L'auteur  ne  date  ni  ne  signe;  mais  il  a  imposé  lui-même  un  litre 
à  sa  traduction  : 

■ihgh-   Doit  l'en  le  livret  apelci-  De  tuyt  cil  qui  la  veut  amer 

L'Advocacie  Nnstrc  Dame,  Et  a  son  besoing  reclamer. 

Quer  el  deirent  le  rors  et  lame 

La  reine  Clémence  de  Hongrie,  veuve  de  Louis  le  Hutin,  morte  le 
i3  octobre  1828, avait  parmi  ses  livres  un  exemplaire  de  l'Advocacie^^^; 
Charles  V  en  avait  deux.  <-'.  On  en  connaît  aujourd'hui  quatre  et 
la  lin  d'un  cinquième'';  mais  le  manuscrit  d'Evreux  est  le  seul 
où  cet  ouvrage  soit  suivi  de  l'espèce  d'appendice  dont  il  nous  reste 
à  parler. 

La  CllAPELElUE  NOSTRE  DaME  DE  BaIEX. 

On  a  dit  :  «Dans  le  manuscrit  de  la  bibliothèque  d'Evreux.  .  . 
((  l'Advocacic  N.  D.  est  accompagnée  du  petit  poème  de  la  Chapclerie 
«  iY.  D.  de  Baicx,  qui  en  forme  la  suite  immédiate  et  inséparable  »**'. 
Inséparable  à  ce  point  que  les  premiers  mots  de  la  Chapelerie  : 

lA'ii  luy  apele  encor  poui-  el 

n'ont  pas  été  reconnus  pour  un  incipit  et  ne  figurent  pas  dans  le 
Répertoire  publié  par  \.  Langfors,  quoiqu'ils  y  eussent  leur  place 
inarquée. 

Le  fait  est  ([ue,  dans  le  manuscrit  d'Evreux,  de  même  que  la  Vie 

'"   IJibl.  nat. ,  Claiiainhault ,  ii"  /171,  loi.  32  lions,  à  part  (Paris,   iS.Sf));  r(.  les  papiers  de 

v°.  «Vendu  a  Jehan  Billouart».  cet  érudit  :  Bibl.  nat.,  nouv.  acq.  Ir.  ai 588, 

(')   L.  Dclisle,  Herlienhes  sur  lu  librairie  de  loi.  1-1  ly  (Notes  pour  une  édition  de  l'Advo- 

Charles  V,  t.  Il,  p.  6r),n  '  368  309-  carie).  A.  de  Montaiglon  en  lit  imprimer  en 

<''  A.  Langfors,  o/j.   cit.,  p.  38()  («Se  tous  '869   une    édition    nouvelle   (d'après  le  seul 

iiceulz  qui  onques   nez  furent»).  De  plus,  un  manuscrit     d"Kvreux)     pour    l'Académie    des 

fr.ipment,   qui  contient  la   fin   du  poème,   se  Bibliophiles.  Mais  cette  édition  n'a  été  publiée, 

trouve  dans  le  ms.  -'.oooi  des  nouv.  acq.  fr.  de  par  les  soins  de  (i.  Raynaud,  qui   l'augmenta 

la  Bibliothèque  nationale,  fol.  5;  cf.  flo/iian/a,  d'une   préface,    qu'en    1896,    après    le    décès 

t.XXXIV,  p.  3()7  cl  .i()9-37i.  —  L'.4(/rocncie  a  d'A.  de  Monlaiglon  et  la  disparition  de  l'Aca- 

élé  publiée,  en  longs  extraits,  par  A.  Chassant,  demie  des  Bibliophiles. 

d'abord  dans  le  Recueil  de  la  Société  libre.  .  .  '*'   L Advocacie .  .  .  ,    édition  de  l'Académie 

de  tEiirc  (  i8''i(')-i8'i7),   puis,  avec  des  nddi-  des  Biblio|)liiles  .  p.  iv. 


SES  ECRITS.  '  389 

saint  Gregorc  est  comme  un  posl  scriplum ,  relié  par  une  transition, 
au  Dialogue,  la  CItapelerie  apparaît  comme  un  appendice  à  FAclvocacie. 
On  a  d'ailleurs  vu  plus  haut  qu'elle  manque  dans  tous  les  autres 
manuscrits  de  l'Adrocacie;  et  on  ne  l'a  jamais  rencontrée  à  part. 

L'auteur  de  la  Chapelcrie  rattache  son  opuscule  à  l'Advocacie  en 
posant,  dès  le  début,  que  Notre-Dame  ne  défend  pas  seulement  le 
corps  et  l'àme'",  mais  qu'on  |)eut  encore  l'invoquer  dans  d'autres 
nécessités.  Elle  sait  aussi  «  défimdrc  sou  héritage»,  comme  le  prou- 
vent l'allaire  ou  plutôt  les  deux  aiïaires  de  la  chapelle  du  château 
royal  de  Maveux,  dont  celui  qui  parle  a  eu  directement  connais- 
sance'^'. 

Première  a  faire.  —  Pierre,  évéque  de  Bayeux,  eut  jadis  à  soutenir 
un  procès  contre  le  roi,  qui  voulait  «tourner  a  luy  les  biens»  de 
ladite  chapelle  (200  livres  de  rente  par  an)'*',  c'est-à-dire  qui  pré- 
tendait en  conférer  le  bénéfice,  sous  prétexte  qu'elle  était  située  «en 
«  son  fieu  et  en  sa  franchise»;  il  invoquait  à  ce  sujet  la  coutume  de 
Normandie.  L'Eglise  de  Bayeux,  de  son  côté,  prétendait  qu'elle  avait 
joui  du  droit  de  collation  pendant  deux  cents  ans,  en  vertu  d'une 
charte  de  (luillaume  le  Conquérant,  lequel  avait  donné  ladite  chapelle 
à  son  frère,  évoque  de  Bayeux,  avec  l'appiobation  de  Rome.  L'allaire 
alla  en  appel  de  l'assise  locale  à  l'Echiquier.  L'évéque  Pierre  s'y 
rendit  pour  plaider  lui-même  sa  cause;  le  procureur  du  roi  était  un 
certain  Laurent  Hérout,  celui-là  même  qui  avait  lancé  l'affaire  en 
première  instance.  Il  parait  que  l'évéque,  fort  irrité,  émit  le  vœu, 
en  pleine  cour,  que  Notre-Dame  punît  de  mort  celui  qui  voulait  la 
dépouiller  :  «  C'est  ton  droit,  ma  Dame;  or  le  garde!  »  Or,  en  rentrant 
chez  lui,  Laurent  tira  la  langue  et  niourut.  Ainsi  périt  jadis  Ananias, 
parce  qu'il  avait  voulu  frauder  l'Église.  Le  sort  de  Laurent  Héroul 
excita  quelque  pitié,  mais  surtout  de  la  crainte;  les  maîtres  de  l'Échi- 
quier jugèrent  prudent  de  donner  satisfaction  à  un  prélat  dont  la 

'''  Advocacie,  y.   tic)6.  la    ville    de    Bayeux    (Caen,    1773),    p.    ii-i. 

'''   Hennant,  dans  son  excellente  W/s/oi/T  (/«  '^'   Un   nrrêt   avait  été    prononcé,    au    par- 

diocèse    de   Bayeii.r    (Caen,    1705),    n'a    pas  le:iient   de    la    Pentecôte    n79,   pour    déter- 

eu  connaissance  de  la  première  de  ces  aflaires,  miner  les  droits  du  tliapelain  du  château  de 

et  il  n'a  connu  la  seconde  que  par  le   Livre  Bayeux  dans    la  forêt  de  Bur    (¥..    Boutaric, 

liotttje  de   l'évéché;    voir,   plus    loin,   j).  ln)'6,  Acles  du    Varlemenl   de   Paris,  t.    I,    p.   356, 

note  1.  —  Cl.  Béziers,    Histoire  sommaire  de  n°  350). 


390  ANONYME  DE  BAVEUX. 

malédiction  avait  été  si  eiïlcace.  L'évêque  Pierre  remporta  donc  dans 
ses  foyers  une  sentence  conforme  à  ses  vœux  : 

De  sa  sentence  enporta  letre; 
Je  l'ey  par  piusors  foiz  veùe 
Et  entre  mes  .11.  mains  tenue. 

Deuxième  affaire.  —  Celle-là  eut  lieu  au  temps  du  rimeur  («  a  mon 
«tens»).  La  contestation,  apaisée  par  la  mort  de  Laurent  Hérout, 
fut  remise  sur  le  tapis  par  Adam  d'Orléans,  vicomte  royal  de  Cou- 
tances,  (jui  haïssait  l'Eglise.  Cet  Adam  persuada  au  roi  et  aux  royauv 
qu'ils  ne  devaient  pas  laisser  échapper,  pour  leurs  créatures,  cette 
belle  rente  de  la  chapelle  du  château  royal  de  Bayeux.  Il  fut  mandé 
en  conséquence  aux  «sages»  de  Normandie  d'e>amiuer  le  point  de 
.savoir  si  le  droit  du  roi  était  certain.  L'auteur  tient  de  plusieurs  de 
ces  «  sages  »  qu'ils  cherchèrent  en  vain  de  bonnes  raisons  ''.  Cependant, 
«  sans  garder  ordre  de  droit,  mes  de  fait,  sans  justice  »,  le  roi  conféra 
brusquement  le  bénéfice  à  un  nommé  Pierre  Larchier'-';  et  Adam 
d'Orléans  s'empressa  de  lui  en  délivrer  la  possession  eu  lui  baillant 
«calice,  livre  et  vestemens»,  et  en  lui  faisant  prêter  serment.  La 
femme  de  ce  vilain  bigame  (le  vicomte),  qui  osait  ainsi  «  mettre  la 
"  main  aux  saintes  choses»,  n'assistait  pas  à  la  cérémonie;  elle  ne 
valait  pas,  du  reste,  mieux  que  lui.  Là-dessus,  ce  fut  dans  la  ville  de 
Bayeux  une  indignation  générale,  et  l'auteur  vivrait  mille  ans  qu'il 
n'oublierait  pas  ce  que  dirent  alors  clercs  et  laïques.  Mais  l'évêque 
était,  en  ce  temps-là,  un  gentilhomme  de  la  plus  haute  noblesse, 
Guillaume  de  Trie  (et  «qui  de  bons  est  souëf  flere  »],  modèle  des 
défenseurs  de  l'Eglise  et  de  ses  droits.  11  n'hésita  pas  à  aller  •  au  roy, 

''   Le   roi  avait  fnit   nroréiler,  en    |3)6,  n  |)ellerie  du  château.  Voir  aussi  le  ms.  19'»  de  la 

un  vaste  inventaire,  très  détaillé,  de  ses  rentes  Bililiolliéqiie  du  Chapitre  de  Bayeux:   tTabula 

et  de  ses   droits  en   Normandie,    sinon   dans  «  boneficiorurn  civit.ilis  et  dyocesis  Baiocensis  • 

toutes  les  provinces  du  royayme  (cf.  Notices  el  (fol.  3  v°  :  •  Apud   Baioras,    benelicia   in   ci\i- 

exlraila  des    mamtscrits ,   t.   XL,   1917,  p.  311  «tate.  .  .  »). 

et  5.,  où  celle  grande  opéralion  a  été  signalée  '    Ce  Pierre  Larchier  est  connu  d'ailleurs, 

pour  la  première  fois).  Or  le  «Livre  Pelu  •  de  En  janvier    iSay,    il    est  )|ualifié   de   mailre, 

Bayeux,  conservée  la  Bibliothèque  de  Bayeux  écoiâtre  il' Aire  et  remplaçant  de  l'évêque  di- 

(ms.  11°  3),  contient  «Les  partiez  des  terres  et  .Senli»   comme  conservateur  des  privilèges  de 

■  des  rentes  des  fermes  nostre  sire  le  Boy  et  l'Université    de   Paria  (Denifle   et    Châtelain, 

•  des  autres  choses  que  il  a  en  la  vicomte  de  Charlalariam    Universitatis    Parisiensis ,    t.    Il, 

«Bayeux,    cnquises   l'an    cccxvi»;  il  faudrait  p.  i^"])- 
vérifier  s'il  y  est  question  du  bénéfice  de  la  clia- 


SES  RCRITS.  391 

a  Paris»,  en  bon  mari,  qui  va  défendre  l'hérita<je  de  son  épouse 
(l'Eglise  de  Bayeux).  H  fut  accompagné  par  les  vœux  et  les  encou- 
ragements de  tous,  qui  disaient  :  «  Ha!  gentil  Guillaume  de  Tiie.  .  . , 
«  n'esperne  chasse,  ne  calice,  dras  d'or.  .  .  pour  metrc  en  gage  a  cest 
«  besoing;  met  le  plun  dessus  l'église  en  vente  !  »  Le  chapitre  lui 
((lirait  des  subsides;  il  refusa,  toutefois,  car  ce  saint  homme 

.  .  .  vouloit  deffeiidre  de  sey.  Dont  il  me  fist  les  yex  lermer, 

A  ses  cous  et  sa  propre  mise,  Que  ja  pour  roy  ne  pour  rayne.  .  . 

L'eritage  de  Sainte  Eglise.  Ne  leroit  son  droit  a  i  equerre  .  .  . 

Encor  li  uy  jeu  plus  dire.  .  .  Fust  devant  Roy  ou  devant  Pape. 
Et  niout  hautement  affermer, 

L'évêque  s'écriait  encore  que,  s'il  convenait  à  son  état,  il  combat- 
trait volontiers  pour  son  droit  en  cette  affaire,  les  armes  à  la  main. 
L'auteur  l'a  entendu  déclarer  enfin  aux  gens  du  roi,  à  Saint-Victor 
de  Paris  (car  j'étais  là,  dit-il,  assis  près  d'un  maître  des  comptes)  : 
«  Moi  vivant.  Notre  Dame  ne  sera  pas  dépouillée;  mais  je  raurai  ma 
«saisine;  je  sais,  du  reste,  qu'en  cour  de  France  on  fait  justice  à  la 
«fin.»  Guillaume  de  Trie  plaida  donc  en  personne  et  montra  son 
droit  «devant  les  presidens».  Mais  ses  adversaires  ne  chômaient  pas 
non  plus,  et  la  cour  était  pleine,  comme  s'ils  y  avaient  été  convoqués, 
de  baillis,  de  vicomtes,  de  clercs  du  roi  et  de  maîtres  des  comptes  : 
c'est  que  Pierre  Larchier,  l'intrus,  était  neveu  d'un  maître  des  comptes 
très  bien  en  cour,  maître  Pierre  de  Condé,  clerc  du  roi,  qui  menait 
toute  la  bande.  Adam  d'Orléans  fut  cité  devant  le  Parlement,  puisque 
c'était  à  son  intimation  que  la  question  avait  été  soulevée'"'.  Cepen- 
dant, l'évêque,  «entre  ses  dents»,  s'étonnait,  comme  autrefois  son 
prédécesseur  en  présence  de  Laurent  Hérout,  que  la  Vierge  laissât 
vivre  un  tel  homme. 

Le  jour  où  l'affaire  fut  appelée,  l'évêque  produisit  la  charte  de 
Guillaume  le  Conquérant  et  l'arrêt  précité  de  l'Échiquier,  qui  l'avait 

'"'  Arch.  nat. ,  X',  8844  ,  fol.  90  v°.  CI.  E.  «cipeliano  capelle  casiri  nosiri  Bnjocensis,  et 

Boutaric,  Actes  du  Parlement  de   Paris,  t.  Il,  ■Adam  de  Aurelianis,    vicecomitém   Constan- 

n°65o3  (Vacations  de  iSai):  «Bailiivo  Codo-  •ciensem,  ad  defendendam  requestam  quam 

«  meiisi .  .  .    Mandainus  vobis .  .  .    quod  adjor-  «  ralione  dicte  capelle  diiectns  et  fidejis  ncsler 

•  netis  coram   nobis  seu  gentibus   nosiris  par-  lepiscopus  Bajocensis.  .  .    contra   ipsos  faceie 

•  lamentum  noslrum  teDcntibus,  ubicumquc  •  iotendit  et  quam  sub  contragillo  nostro  vobi^ 
«  parlamentum    nostruni  leneri  contigerit,.  .  .  «  iniltimus  inclasam.  .  .  > 

«  itiagislrum  Pelrum  Archerii ,  gerentem  se  pro 


392  ANONYME  DE  BAVEUX. 

confirmée.  Pierre  Larchier  était  représenté  par  «  nn  bacheler  qui 
«estoitvenu  de  Roen  »  et  qui  ne  plaida  pas  mal,  mais  très  longue- 
ment, pour  son  client  et  pour  le  roi.  Puis  «  la  cause  fut  mise  en  arrest  ». 
Adam  d'Orléans  avait  été  obligé,  ce  jour-là,  de  quitter  f audience, 
indisposé.  Il  fut  malade  six  jours.  Dans  son  délire,  il  continuait  à 
menacer  «  Noslre  Dame  et  son  héritage  »  et  à  jurer  qu'elle  perdrait  le 
«  benelice  de  la  chapelle».  Mais,  avant  de  mourir,  il  eut  le  crève- 
cœur  d'apprendre  que  l'arrêt  avait  été  «  contre  Larchier  pour  Nostre 
«  Dame  ».  Puis  il  rendit  son  àme  au  diable,  dans  les  tourments.  11  est 
fâcheux,  observe  l'auteur,  ([u'on  l'ait  enterré  «en  lieu  saint»,  car  il 
doit  soullrir  davantage,  d'après  les  bons  clercs  véridiques. 

Ce  fut  un  samedi  matin,  avant  la  Sainte-Catheiùne,  en  novembre, 
que  sa  saisine  fut  restituée  à  l'évêque,  franche  et  quitte,  en  plein 
parlement.  Mais  il  avait  des  dommages  et  intérêts  à  recouvrer  contre 
Adam  d'Orléans,  coupable  d'avoir  <  mesusé  follement  de  sa  procura- 
«tion».  Cependant,  lorsque  les  maîtres  lui  apprirent  la  triste  fin  de 
son  adversaire,  il  y  renonça  bonnement  : 

Il  Seignors,  dist  il  en  sourriaiil ,  f>a  Mère  Dieu  a  pris  l'amende  ! .  .  , 

Ne  cnide  nul  qu'a  deniers  tende.  il  me  souffît  pour  sen  Eglise  ». 

Laurent  Hérout  et  Adam  d'Orléans,  Ananias  et  Saphira!  Quelle 
analogie,  quelle  leçon!  Le  poème  s'achève  par  des  invectives,  assez 
déplaisantes,  contre  ces  grands  coupables  châtiés  : 

"Ha,  mescheanl  Adam  d'Orlienx,  Ou  es  tu  or?  En  quel  pais? 

Com  je  croy  que  tu  es  or  lienx  Tu  es  en  Enfer, 

De  celle  que  tu  tant  haïs  !  Ou  tu  te  rostiz  et  te  testes ...» 

L'analyse  qui  précède  fait  voir  qu'il  est  très  facile  de  dater  la  Chn- 
pelerie.  —  La  première  affaire  relative  au  bénéfice  de  la  chapelle  avait 
été  débattue  entre  l'évêque  Pierre  de  Benais  (i  376-1306)  et  ce  Lau- 
rent llérout  que  l'on  trouve,  dès  1292,  chargé,  avec  le  bailli  Nicolas 
de  Villers,  de  lever  les  finances  pour  les  nouveaux  acquêts  des  églises, 
maisons  Dieu,  universités  et  personnes  non    nobles  en  Cotentin'"'. 

''  Historiens  de  la  France ,  {..  XXIV  ,  p.  ' 1 5-!.  on  sait,  romproniis  jadis  (sous  Philippe  III) 
—  Pierre  dr  Benais,  créature  cl  parent  «lu  ilans  le  pnKès  de  ce  |)ersonnage  qui  finit  si 
favori   Pierre  di-  La  Brocc,  avait  été,  comme         mal. 


SKS  i:CRITS.  393 

Le  second  procès  prit  fin  par  i'arrèt  rendu  le  2  1  novembre  182  1  *''. 
Ajoutons  que,  au  moment  où  le  poème  a  été  composé,  l'évêque 
Guillaume  de  Trie  «régnait»  encore  à  Bayeux  (v.  33oi);  or  ce  per- 
sonnage a  été  transféré  du  siège  épiscopal  de  Bayeux  sur  le  siège 
archiépiscopal  de  Reims  en  juin  i32  4-  —  L'opuscule  a  donc  été 
composé  entre  novembre  i3ai  et  juin  i324;  il  l'a  été  probable- 
ment très  peu  de  temps  après  le  prononcé  de  l'arrêt,  avant  que 
l'émotion  causée  par  les  événements  fût  amortie. 

Composé  par  qui  ?  Par  un  clerc  do  l'évêque  de  Bayeux,  qui  résidait 
d'ordinaire  dans  cette  ville  et  qui  accompagna  Guillaume  de  Trie 
lors  de  son  expédition  défensive  à  Paris  en  1  32  1 . 

Le  premier  érudit  qui  ait  (en  i85i)  attiré  l'attention  sur  le  manu- 
scrit d'Evreux,  M.  Pezet,a  tenu  à  désigner  nominativement  quoiqu'un 
comme  l'auteur  de  la  Chapelenc  (et,  par  conséquent,  de  l'Advocaciey 
Il  a  raisonné  ainsi  :  il  y  avait  à  Paris,  sous  les  derniers  Capétiens 
directs,  un  dignitaire  du  chapitre  de  Bayeux,  qui  était  en  même 
temps  «conseiller  au  Parlement  de  i^aris  » ,  Jean  Justice,  fondateur 
du  «  Collège  de  Justice  »  en  l'Université  de  Paris.  Chantre  de  Bayeux, 
juriste  (puisqu'il  était  «conseiller  au  Parlement  s),  «ami  des  arts» 
(puisqu'il  a  Ibndé  un  collège),  Jean  Justice  est  l'homme  que  tout 
indique  comme  ayant  agréablement  rimé  des  poèmes  sur  des  matières 
de  procédure.  Cette  argumentation  a  paru  d'une  haute  vraisemblance 
à  M.  A.  Chassant'^';  et  (î.  Baynaud  la  déclare  encore  «possi])le, 
«  vraisemblable  même  »'''.  Elle  n'est  ni  l'un  ni  l'autre,  puisque  l'auteur 
était  un  clerc  en  résidence  à  Bayeux.  Jean  Justice  n'a  jamais  été,  du 
reste,  «  conseiller  au  Parlement  de  Paris  ».  11  a  été  clerc  du  roi  depuis 
1817  au  plus  tard'*'  et  souvent  employé  en  cette  qualité,  non  pas  aux 
parlements,  mais  à  la  Chambre  des  comptes,  pendant  les  années  sui- 
vantes; il  fut  nommé  maître  clerc  en  cette  Chambre  le  5  mars  i325'^l 
Il  est  assez  probable,  à  la  vérité,  qu'il  fut  mêlé  au  procès  du  béné- 
fice de  la  chapelle  du  chàleau  royal  de  Bayeux  (car  il  s'intéressait 

'"' Hermant  (o/).  ci(. ,  p.  a 60)  en  mentionne  le  '''  L'Advocacie  (éd.  de  l'Académie  des  Bi- 

dernier  épilogue  comme  il  suit  :   «Diinsles  as-  bliophiles),  p.  vi. 

sises  que  le  baillif  de  Caen  tint  à  Bayeux  en  [dé-  *''  L.  Perrichel,  La  Grande  Chancellerie  de 

cembre]  i3ai,  notre  évêque  obtint  main-levée  France,   des  origines  à  i328    (Paris,    1913), 

des  biens  qu'un  particulier  avoit  saisis  en  vertu  p.  543. 
d'un  mandement  du  vicomte  de  Coutance. .  .  »  ''>  J.    Viard ,    Les    Journaux  du    Trésor  de 

•''  A.   Chassant,    L'Advocacie    Notre-Dame  Charles  IV  le  Bel,  col.  i5o,  note  i. 
(Paris,  i855),  p.  x. 

HIST.  LITTÉB.    —  XXXV.  5o 


394  WATRIQL'ET,  MÉNESTREL  ET  POÈTE  FRANÇAIS. 

fort  aux  hommes  et  aux  choses  du  Bessin,  comme  on  le  voit  par  son 
testament);  mais,  si  l'on  veut  absolument  risquer  une  hypothèse,  il 
est  vraisemblable  que  son  influence  s'exerça  plutôt  au  détriment  de 
l'évêque  et  en  faveur  du  neveu  et  protégé  de  maître  Pierre  de  Gondé, 
son  collègue,  qu'il  connaissait  certainement  dès  i  32  i'''. 

En  résumé,  les  quatre  poèmes  du  manuscrit  d'Evreux  sont  l'œuvre 
d'un  clerc  anonyme  de  Bayeux,  dont  l'activité  littéraire  est  attestée 
depuis  la  fin  de  i3a  i,  au  plus  tôt,  jusqu'au  vendredi  saint  de  l'année 
i32  7  (n.  st.).  On  ne  peut  rien  dire  de  plus. 

Cj.    Lj. 


WATRIQUET, 

MÉNESTREL    ET    POÈTE    FRANÇAIS. 

Charles  V  avait,  au  Louvre,  quatre  volumes  que  l'auteur  du  cata- 
logue de  sa  librairie  désigne  ainsi  :  Watriquet,  dont  deux  étaient 
«historiés»,  et  trois  «de  lettre  de  forme»  ou  «de  vieille  lettre  de 
forme  ».  Il  y  avait  en  outre  «  Le  Miroir  aus  princes,  par  Watriquet  »  et 
«Le  Miroir  aus  dames,  de  Watriquet,  un  ménestrel,  et  y  a  fatras»'^'. 

D'autre  part  il  existe  maintenant  quatre  manuscrits  de  «  Watri- 
quet», tous  écrits  vers  le  milieu  du  xiv''  siècle,  et  pour  la  plupart 
ornés  de  miniatures;  un  cinquième  n'est  plus  connu  que  par  un 
fragment  : 

A.  Bibi.  nat.,  fr.  1/1968.  —  Ce,  manuscrit,  de  petit  format,  qui  est  romplet . 
contient  33   pièces.  Sous  la  miniature  qui   précède  ta  première,  on  lit  :  "  V'eschi 

'"'   Pierre  de  Condé  (+ 3  3  septembre  1 3 ■'.9)  une   de   ses   nièces   fut  nommée  abbesso  de 

était   normand  comme  Justice;   voir,  sur  son  Sainl-Antoiiie-des-dliamps  prés  Paris  (cf.  plus 

compte,    L.    Delisle,    Le    Cabinet   des    mnnn-  loin,  p.  /ii3,  note  f)  ). 

scrits.  ...  L  II,  p.  330,  et  Borrelli  de  Serres,  ■''   L.  Delisle,  Le  Cnbinet  des  manuscrits  de  In 

Recherches  sur  quelques  services  publics,  t.   Il,  Bibliothèque  nationale,  l.lll,  pui6g,  n"  I3i5- 

p.  377.  Il  avait  accumulé  sur  sa  propre  tête  un  1310.  Cf.  le  même.  Recherches  sur  In  librairie 

grand    nombre    de    bénéfices    {Regestam   Cle-  de  Charles  l    (Paris,  11(07),  ''■'  V- >  V- *  "M  ■ 
mentis  papnc  V' .  n"  73oo);  et,  après  sa  mort. 


SA  VIE.  395 

•omment  Watriqués,  sires  de  Verjoli,  baille  et  présente  touz  ses  meilleurs  diz  en 
escrit  a  monseigneur  de  Blois,  son  maistre,  premièrement  le  Mireor  aus  dames.  » 

B.  Bibl.  nat. ,  fr.  21 83.  —  Manuscrit  de  petit  format;  complet.  Vingt  pièces. 
Lettres  ornées;  pas  de  miniatures  ni  de  dédicace. 

C.  Bibl.  de  l'Arsenal,  n°  352  5.  —  Vingt-six  pièces,  mais  le  manuscrit  est  in- 
complet :  deux  feuillets  (entre  le  fol.  87  et  le  fol.  88  .ictuels,  et  le  dernier  feuillet) 
en  ont  été  arrachés.  La  miniature  initiale  fait  voir  l'auteur  à  genoux,  offrant  son 
livre  à  un  seigneur  et  à  une  dame,  qui  caresse  un  petit  chien.  Le  seigneur  et  la  dame, 
assis  sur  un  banc,  portent  l'un  et  l'autre  la  couronne  royale. 

D.  Bibl.  royale  de  Bruxelles,  n°  1  i  22 5.  —  Onze  pièces  seulement.  «  La  miniature 
de  la  première  page  représente  un  jeune  homme  agenouillé  devant  un  homme  assis 
et  lui  présentant  un  livre.  Derrière  lui,  trois  figures  de  femmes,  dont  l'une  assise  et 
tenant  un  chien  sur  ses  genoux  »  (A.  Scheler,  Dits  de  fVatri<juel  de  Couvin,  Bruxelles, 
1868,  p.  xx). 

E.  Bibl.  nat.,  Coll.  Moreau,  1719  (cf.  P.  Meyer,  dans  les  Notices  et  extraits  des 
manuscrits,  t.  XXXIU,  1"  p.,  p.  87).  Ce  fragment  d'un  manuscrit  perdu,  du  milieu 
du  xiv'  siècle,  qui  devait  avoir  beaucoup  d'analogie  avec  les  précédents,  ne  renferme 
([ue  quatre  pièces,  dont  une  qui  n'est  pas  ailleurs. 

Le  manuscrit  A,  qui  commence  par  Li  Mircoirs  as  dames,  et  le  seul 
qui  contienne  un  «fatras»,  ressemble  fort,  à  première  vue,  au 
n°  1220  de  la  Librairie  du  Louvre  qui  présentait  les  mêmes  particu- 
larités. On  ne  saurait,  cependant,  l'identifier  avec  lui. 

Par  contre  le  manuscrit  de  l'Arsenal  (C)  est  certainement  le 
n°  1  2  1 6  du  Catalogue  de  la  bibliothèque  de  (Iharles  V,  et  l'exemplaire 
qui  était  jadis,  au  Louvre,  «couvert  de  drap  d'or  a  .11.  fermoirs  de 
laton».  L.  Delisle,  qui  recherchait  et  qui  a  reconnu  tant  de  manu- 
scrits de  cette  illustre  provenance,  ne  s'en  est  pas  aperçu*''. 

En  somme,  dans  ces  cinq  recueils,  33  pièces  seulement.  Quatre  de 
ces  pièces  se  trouvent  encore,  isolées,  dans  un  recueil  général  d'an- 
ciennes poésies  françaises,  le  ms.  fr.  2  4432  de  la  Bibliothèque  natio- 
nale (anc.  198  du  fonds  Notre-Dame)  que  nous  appelons  ici  F. 

Il  est  à  remarquer  que,  dans  les  manuscrits  A  et  C,  un  grand 
nombre  de  miniatures  représentent  l'auteur.  Watriquet  y  est  figuré 
en  différentes  attitudes,  mais  toujours  comme  un  jeune  homme  aux 

'"'  h'inctpitda  fol.  a,  dans  le  manuscrit  de  dernier  de  ce  mnnuscrit  s'arrête  au  vers  qui 

l'Arsenal,  est  celui  qu'indique  le  rédacteur  du  précède  immédiatenient  celui  que  le  rédacteur 

catalogue  de  la  librairie  de  Charles  V  pour  le  indique   corame    Vincipit    de    l'avanl-dernièro 

n*  11  \C).  Le  feuillet  qui  est   actuellement  le  page  dans  le  n°  iai6. 

5o. 


396  watkiqdf<:t,  mknestkei.  et  poète  fr\nçais. 

cheveux  bouclés,  vêtu  uniformément  d'une  robe  à  capuchon,  mi- 
partie,  à  dexlre,  vert  olive,  et,  à  scneslre,  rayée  de  brun  sur  fond 
chamois'"'.  H  y  a  là,  indubitablement,  tentative  de  portrait.  Le  ms.  A, 
qui  est  l'exemplaire  du  comte  de  Blois,  et  le  ms.  C,  exemplaire  pré- 
senté au  roi,  ont  été  exécutés  dans  le  même  atelier,  par  le  même 
copiste  et  le  même  miniaturiste,  probablement  sous  la  surveillance 
directe  de  VVatriquet '^'.  Il  semble  que  Watriquet  en  ait,  lui-même, 
rédigé  les  rubriques,  différentes  d'exemplaire  à  exemplaire,  et  qui  con- 
tiennent parfois  la  date  de  la  composition,  le  nom  du  seigneur  par  qui 
la  ])ièce  fut  commandée'^'.  Plus  tard  Christine  de  Pisan  surveillera 
tout  de  même  l'exécution  matérielle  de  ses  livres. 

Notre  confrère  M.  P.  Durrieu,  à  qui  nous  avons  soumis  l'œuvre  du 
miniaturiste  qui  a  décoré  A  et  C,  la  juge  d'un  goût  un  peu  provincial 
et  probablement  d'une  école  du  Nord-Est  :  l'artiste,  d'un  talent  ordi- 
naire, ne  travaillait  certainement  pas  à  la  mode  de  Paris. 

S\  VIE. 

Watriquet  ''',  ménestrel  de  «  monseigneur  de  Blois  » ,  dont  les  œuvres 
furent  ainsi  rassemblées  par  lui-même  en  bouquets  plus  ou  moins 
fournis  à  l'intention  de  bibliothèques  princières,  n'est  connu  que 
par  ce  qu'il  a  dit  sur  son  propre  compte.  Mais  il  aimait  à  se  mettre 
en  scène  et  à  dater  ses  ouvrages. 

Voici  ce  qu'il  nous  apprend. 

Dans  le  dit  De  l'escharbole,  à  quelqu'un  qui  l'interroge  sur  son 
identité,  il  répond  qu'il  est  ménestrel  et  qu'il  se  nomme  «  Watriquet 
Brasseniex,  de  Couving  »  '^'.  Et  dans  Li  Tournois  des  dames  : 

D'autre  meslier  ne  sai  user  WATRiQi'Er  m'apelent  aucun , 

Que  de  conter  biaus  dis  et  faire;  De  Couving.  .  . '^'. 

Je  ne  nie  mesle  d'autre  aiTaire. 

•''  Un    second    personnage,    placé  derrière  pièces  qui  ne  se  trouvent  que  dans  le  ms.  fr. 

Watriquet,  porte  le  même  costume  dans  la  mi-  3 183. 

niature  initiale  du  manuscrit  A.  '^'  Kd.    Scheler,   p.  3()9.   —     «Rrassenel», 

'''   Cf.  cependant,  ci-dessous,  le  n°  XXIX.  dans  A.  Je  Montaiglon  et  G.  Uaynaud,  Recueil 

'''  A,  fol.  2;  C,  fol.  laa.  ijénéral  et   complet   des  fabliaux,  t.  III  (1878), 

'*'   •  Watrequins»,    dans   le   dit  «Des   .vin.  p.  1.17.  (!.  Grôher  {Grundriss  der  romanischen 

couleurs»  (éd.  Scheler,  p.  ."ii/i)  et  dans  «l'Es-  Philoloijie ,  t.  Il,  p.  85o)  érrit  1  Brasseniel > . 

cote  d'amours  »  (p.  3.)8) ,  c'esf-à  dire  dans  deux  "'   llnd..^.  'l'iJ. 


SA  VIE. 


397 


Ailleurs  [Des  .///.  clianoinesses  de  Couloicjne),  il  raconte  qu'un  jour, 
veille  de  l'Ascension,  il  fit  connaissance,  au  sortir  de  l'église,  de  plu- 
sieurs dames  fort  ao^réables  : 


Je,  qui  pas  n'estoie  aviiiez 
Au  malin,  ne  beii  n'avoie.  .  . 
Balades  et  rondiaus  menuz 
I^eur  dis  et  autres  dis  d'amours.  .  . 


Que  moult  très  volontiers  oïrent; 
Et  en  l'oiant  me  corijoirent 
Et  dirent  iere  bons  compains. 


Elles  lui  demandent  son  nom  : 

«...  Or  nous  di  ton  nom .  .  . 
T'avons  nous  autre  foiz  veû? 
Seroies  tu  nient  Rnni(iiiès?  » 
—  «  Non  voir,  dame ,  mais  fi  atriqués 


Sui  nomme/  jus([u'en  Areblois, 
Ménestrel  au  eomie  de  Blois 
Et  si  a  monseigneur  Cauchier 
Ue  Chastillon '". 


Couvin  est  un  village  du  Hainaut^'',  qui  dépendait  des  seigneurs 
(le  Chimay.  Or  les  seigneurs  de  Chiinay,  au  commencement  du 
xiV  siècle,  étaient  alliés  aux  Gliàtillon,  aux  comtes  de  Blois-Avesnes 
et,  par  eux,  à  la  famille  royale  des  Valois.  11  est  donc  naturel  que  Wa- 
Iriquet  Brasseniex,  de  Couvin,  né  dans  les  domaines  de  Jean  de 
Hainaut,  seigneur  de  Beaumont  et  de  Chimay,  ait  été  attaché  à  ces 
grandes  maisons.  —  Le  comte  de  Blois  dont  il  parle,  c'est  Gui  de 
(Jhàtillon,  comte  de  Blois,  qui  succéda  vers  i3o7  à  son  père  Hugues 
(le  Chàtillon  dans  le  comté  de  Blois  et  la  seigneurie  d'Avesnes;  qui, 
le  18  juillet  i3ii,  épousa  Marguerite,  fille  de  Charles  de  Valois;  et 
qui  mourut  en  1 3/^2  '^'.  Le  Gaucher  dont  il  parle  esl  Gaucher,  seigneur 
(le  Chàtillon-sur-Marne,  connétable  de  France  depuis  i3o2,  qui 
mourut  en  luai  iSaQ  à  l'âge  de  quatre-vingts  ans,  grand-oncle  du 
comte  Gui. 

Quant  au  «  Verjoli  »  dont  Watriquet  se  (lit  seigneur'"',  on  l'a  cherché 
aux  environs  de  Couvin;  mais  il  est  reconnu  depuis  longtemps  que 


Cl  Éd.  Scl.eler,  p.  3-]5.  Cf.  A.  de  Montai- 
glon  et  G.  Raynaud,  fiecueil  ijénéral  des  fa- 
bliaux, t.  in,  p.  iSg. 

'"'  Province  de  Nainur,  arrondissement  de 
Philippeville. 

'''  Sur  Hugues  de  Chàtilion ,  qui  «  aiïectionna 
ies  lettres  jusqucs  à  faire  écrire  les  avantures 
f,'uerrières  el  amoureuses  de  divers  princes ,  qui 
est  ce  que  nous  appelons  romans»,  el  sur  ses 


fils  Gui  et  Jean  (  le  second  fut  doyen  de  Saint- 
Martin  de  Tours;  cf.  Denifle  et  Châtelain,  C/iar- 
tularium  Universilatis  l'arisiensis ,  t.  Il,  n°  883), 
voir  J.  Dernier,  Histoire  de  Blois  (Blois ,  1683), 
p.  3 16. 

'*'  oEt  sui  sires  de  \  erjoli  »  (cd.  Sclieler, 
p.  245).  Dans  le  ms.  E,  on  lit  :  «sires  de  Ver- 
joli  et  d'Aise». 


2  8 


398  WATRIQUET,  MÉNESTREL  ET  POÈTE  FRANÇAIS. 

c'est  la  seigneurie  imaginaire  d'un  ménestrel  qui  se  piquait  de  faire 
joliment  les  vers. 

Les  plus  anciennes  pièces  datées  qu'on  ait  de  lui ,  le  dit  «  De  Loyauté  » 
et  le  dit  «Des  quatre  sièges»,  le  sont  de  i3i9;  la  plus  récente,  de 
juin  1329.  Avant  et  après  ces  dates,  la  carrière  de  Watriquet  se  perd 
dans  la  nuit. 

Durant  cette  décade  il  vécut  chez  ses  «maitres»,  dans  leur  suite; 
suivant  l'usage  du  temps  : 

En  l'an  de  la  grâce  greigneyr  Em  Blezois  ierc  avec  le  conte , 

Mil  et  .CGC.  Nostre  Seigneur  Devant  cui  je  contai  maint  conle , 

XX  et  \'U,  ou  milieu  d'octembre,  Mains  hiaus  exemples  et  mains  dis, 

A  Montferaut,  si  qu'il  me  membre,  Fais  de  nouvel  et  de  jadis'". 

Le  château  de  Monfraut,  résidence  de  chasse  fortifiée  des  comtes 
de  Blois-Avesnes,  était  situé  parmi  les  prairies  elles  vignobles,  à  deux 
lieues  de  la  Loire ,  entre  Sologne  et  Beauce ,  au  centre  d'une  clairière  de 
la  forêt  de  Boulogne,  qui  l'entourait  de  toutes  parts '^',  dans  !a  paroisse 
de  Thoury,  non  loin  de  l'endroit  où  s'élèvent  maintenant  les  grandes 
constructions  de  Chambord  '^'.  C'est  là  que  Watriquet  rima  en  1 837  le 
.(  Tournois  des  dames»  au  mois  d'octobre,  et  le  12  novembre  son  dit 
(1  De  la  cygoigne  »  : 

Ci  fautli  diz  L'an  XXVII,  a  .1.  n)alin. 

Que  Watbiquès  de  la  Cygoigne  L'endemain  de  la  Saint  Martin 

Fisl  droit  a  la  cave  a  Bouloigne,  C'on  dit  a  l'entrée  d'y  ver  '^'. 

'■'  Éd.  Scheler,  p.  23 1  (  Li  Tournois  des  dames).  sa  renommée  s'étend  «jusqu'en  Areblois  » ,  doit 

L'éditeur  a  préfère  à  tort  la  leçon   .Monlfer-  s'entendre  non  de  l'Arabie,  comme  le  suppose 

rant  «  du  manuscrit  A  à  celle  des  manuscrits  C  Scheler,  mais  d'Arrabloy  (c°°  de  Gien ,  Loiret) , 

et  D  :  «  Montferaut  ».  —  Il  est  singulier  que  le  qu'on  peut  considérer,  de  Blois,  comme  à  l'ex- 

seul  manuscrit  où  le  nom  du  cluileau  soit  altéré  trémité  du  val  de  Loire. 

se   trouve   être    précisément    l'exemplaire  du  '''  Sur   le  château  des  comtes  de   Blois  à 

comte  de  Blois.  Cf.  plus  bas,  p.  Sgg,  note  i.  Montfraut,  voir  J.   de  Croy,  Nouveaux  docu- 

'''   Li  tournois  des  dames.  \.  i  a  et  s.  Cf.  v.  90  ments  pour  l'histoire   des  résidences  royales   des 

et   s.   (description  de  la  «sale»   de    Monfraut,  bords  de  la  Loire  (Paris-Blois,  1894),  p.   i58; 

dont  le   dais  est  peint  de  vermillon  à  besant»  cl.  Catalo<fue  des  actes    de  François  l",  t.  VIII, 

d'argent);  et  v.  io5  et  s.   (vie  qu'on  y  mène  p.  335  et  558. 

l'hiver  au  coin  du  feu,  en  buvant  du  bon  vin  '''  Ed.    .Scheler,   p.    390  et    5a  1.   Var.   du 

et  en  mangeant  du  gibier)  :  m».  B: 

Je  n'osasse  en  nule  manière  •  •  ■  •  •  .         "  ,  '«"   ■ 

Souhaidier  a  esire  plus  aise.  Et  la  r.rae  de  1.  Cygoigne, 

Si  con,  li  ors  en  la  fournaise  ^""i™"  '  '"  T*/  ^"'"'S"* 

Com  plu>  y  est  et  plus  s'afine.  .  .  P"":  Watriquet    d,t  de  Couvm, 

'  -  ii;      •  J-  Q"'  poin'  ne  boit  d  laue  con  vin. 

Le  vers  précité  (p.  097),  ou  Watriquet  dit  que 


SA  VIE.  399 

Le  dit  Li  Mireoirs  ans  princes  a  été  écrit,  aussi  en  1 3 27 ,  «  ou  recept  », 
c'est-à-dire  au  manoir  ou  pavillon  fortifié  «de  Marchenoir»,  dans  le 
petit  oratoire  près  de  la  tour<". 

En  juin  1829,  Watriquel  composa  son  dit  «  De  firaigne  et  du  cra- 
pot»  à  Becoiseau,  château  royal,  sis  dans  la  forêt  de  Créci-en-Brie''^', 

Ou  Charles  et  maint  damoisel 
lert  alez  pour  esbanoier'^', 

C'est-à-dire  où  il  avait  accompagné  en  villégiature  «  Charles  »,  très 
probablement  le  second  fds  du  comte  Gui,  ie  futur  Charles  de  Blois, 
duc  de  Bretagne,  alors  âgé  de  dix  ans. 

On  le  trouve  encore,  et  surtout,  à  Paris,  où  le  roi  tenait  ordinaire- 
ment sa  cour,  dès  lors  assidûment  fréquentée  par  la  plus  haute  no- 
blesse. Il  assista  sans  doute,  dans  la  capitale,  le  22  juillet  1.V20,  aux 
fêtes  du  mariage  de  Marguerite,  fdle  du  roi  de  France,  avec  Louis  de 
Créci,  héritier  présomptif  de  Flandre '*\  et  à  celles  de  l'avènement 
de  Charles  le  Bel  en  1822  '^',  de  Philippe  de  Valois  en  1  3a 8'^',  qu'il  a 
chantées.  La  pièce  n°  XXXII  de  son  œuvre  n'a  pu  être  écrite  que  par 
quelqu'un  qui,  à  force  de  séjourner  dans  la  ville  de  la  cour,  était 
devenu,  pour  ainsi  dire,  parisien  d'adoption. 

A.  Scheler,  l'éditeur  des  Dits  de  fVatriqiiet  de  Coavin ,  écrivait  en 
1868  (p.  viii)  :  «Celui  qui,  plus  heureux  que  nous,  pourra  un  jour 
feuilleter  les  comptes  de  la  maison  princière  qu'il  a  servie,  n'y  ren- 
contrera guère  autre  chose  que  son  nom  accolé  à  quelque  chiffre 
annonçant  une  largesse  ou  un  salaire.  »  Ce  sont,  en  effet,  des  rensei- 
gnements de  ce  genre  que  l'on  a  tirés  depuis  des  comptes  d'Artois,  si 
bien  conservés,  au  sujet  des  ménestrels  de  la  comtesse  Mahaut  et  sur- 
tout de  ceux  des  princes  en  rapports  avec  elle  de  i3o2  à  1329''': 
Touset  et  Mahiet,  ménestrels  de  Louis  X;  Pariset,  ménestrel  de 
Philippe  le  Long;  Guillemin,  ménestrel   d'Hugues   de   Bourgogne; 

■'1   Li  Mireoirs  ans  princei: ,  v.  19  el  s.  (éd.  ''  Li  dis  de  la  fcsle  du  comte  de  Flandre .  i-d. 

Scheler,  p.  200).  —  Scheter  a  adopté  la  leçon  Sclieler,  p.  ^tij. 

de  A:  «  Marchenvoie  •  ;  la  bonne  leçon  est  dans C,  ''  L'arbre  royal,  ibid. ,  p.  83. 

fol.35.  Marchenoir,  arr.de  Blois  (Loir-et-Cher).  ''  Dis  da  Roi.  ibid.,  n.  373. 

<■'  Résidence    favorite  et  construction  nou-  ''  .1.  M.  Richard,  Mahaat,  comtesse  d'Artois 

vellc  de  Charles  IV.  Voir  les  Journaux  du  Tré-  et  de  Bourijoijue  (Paris,  1887),  p.  107  et  s.  Cf. 

sor  de  Charles  IV  le  Bel  (éd.  J.  Viard),  au  mol  de  Loisnc,  L'hôtel  de  Boberl  II  d' Artois .  à^m 

oBecosolio  (domus  de,  opéra  de)  b.  le  Bulletin  du  Comité  des   travaux  historiques. 

'"'  Éd.  Scheler,  p.  66.  (Histoire  et  philolo^e),  1918,  p.  8/1. 


400  WAÏRIQIIET,  MENESTREL  ET  POETE  FRANÇAIS. 

Philippot,  ménostrel  de  l'évêque  de  Thérouanne;  etc.  Or  les  comptes 
domestiques  de  la  maison  de  Blois-Avesnes  étaient  jadis  conservés  au 
complet  dans  les  archives  de  la  Chambre  des  comptes  de  Blois.  Lors- 
que ce  dépôt  fut  dilapidé ''^  des  pièces  et  des  rouleaux  du  temps  du 
comte  Gui  s'envolèrent  dans  plusieurs  directions  :  les  uns  ont  abouti 
de  bonne  heure  *^'  ou  récemment'^'  au  Cabinet  des  manuscrits  de  la 
Bibliothèque  nationale;  la  collection  du  baron  de  Joursanvault,  dis- 
persée en  i838,  en  contenait  beaucoup**',  dont  plusieurs  sont  au- 
jourd'hui au  Musée  britannique,  d'autres  à  la  Bibliothèque  muni- 
cipale de  Blois''"'.  Mais  nous  avons  examiné  ou  lait  examiner  ces 
épaves  sans  y  rencontrer  le  nom  de  Watriquet.  11  ne  ligure  pas,  no- 
tamment, dans  un  état  intitulé  :  «Gaiges  des  gens  de  l'ostel  mon- 
seigneur de  l'an  mil  CCCXIX»,  qui  contient  les  noms  de  tous  les 
domestiques  du  comte  Gui,  depuis  «  mestre  Gille»,  ailleurs  qualilié 
de  «fjsicien»,  jusqu'au  dernier  valet  de  cuisine '*"';  et  pas  davantage 
dans  les  comptes  d'un  voyage  de  la  maison  du  comte  à  Reims, 
pour  le  sacre,  ou  dans  ceux  des  préparatifs  d'une  réception  du  roi  et 
de  la  reine  à  Blois*''.  Comme  les  com|)tes  d'Artois,  ces  comptes  de 
Blois,  très  détaillés,  permettraient  du  leste  de  faire  connaître  avec 
précision  le  train  d'une  cour  princière,  jusques  et  y  compris  «lestât 
des  enfans  naturels  de  monseigneur'**'  »  et  les  achats  de  livres  pour  le 
maître  et  pour  ses  ])arents ''■'';  les  noms  des  gens  que  Watriquet  a  dû 
fréquenter  et  les  objets  qu'il  a  dû  voir,  même  les  denrées  qu'il  a  dû 
consommer,  sont  indiqués  là  jour  par  jour,  au  fur  et  à  mesure  des 

''  À    l'époque  de   la   Révolulion    française.  le    comte    fîui    en   r.ivciir    de    ses    clercs    <lo- 

Voir  J.   Viard,   Les  opévutuitis   du    lUireaii   du  inestiques     {Jean    XXII.    Lcllrcs    communes . 

Triage;  extr.  de  la  Uibliolluquc  de  l'Ecole  des  analysées  par  G.  MoHat ,  n°'  i3i  i,  i3i6,36r! 

chartes,  ihWl  (189G],  p.4  ('1.  L.de  Laborde,  et  s.,  etc.). 

Les  ducs  de  liourqnrine ,  t.  III  (Paris,    iSSa),  '''   Nouv.  acq.  fr.  ■îoortb,  fol.  45  et  s. 

preuves,  p.  xvii  et  s.  '*'  Ihid. ,   fol.  t)4  :  «  L'eslat  des  enffens  na- 

'■'   II  y  en  a  au(jabiiiet  des  titres,  fr.  271^4,  turelz  de  Monseigneur,  c'est  assavoir  Jehan  et 

dossier  i633o.  Guy,  que  il  entent  a   envoyer  a  l'eslude  d'Or- 

''•   Nouv. acq.  fr.  20.TO()  ((Collection  Aubron)  leans»,  sous  la  direction  de  «  niaistre  Jehan  de 

et  3O025,  n"'  2()-45,  64,  85  et  s.  Saint  (îoubain  ». 

'''   Cataloifue  analytique  des  archives  de  M.  le  '''  C'est  ainsi  que   furent  achetés  en    l3i() 

fcaroH  (/e  yourMnrdii/;  (  Paris,  i838) ,  1. 1,  p.  73;  {ibidem)    pour    «Jehan    de    Blois»,    frère    du 

t.  11,  p.  16a.  comte,  «unes  decretalles,  un  décret,  un  ordi 

'''  Bibl.  de  Blois,  n*"  66,  79,  80.  naire,   le  cas  Bernart (Ce  dernier    nis. 

'''  Fr.  27194,  fol.  10  v";  cf.  L.  de  Laborde,  était  sûrement  un  exemplaire  des  Casus  Bei- 
l.  c,  p.  4,  n°  53o8.  —  Le  personnel  de  la  iiardi  [de  Compostclla]  comme  il  en  existe  en- 
maison  de  Blois  est  connu  d'autre  part  par  de  core  beaucoup,  de  nos  jours,  dans  les  biblio- 
noinbreusss  lettres  de  Jean  XXII,  obtenues  par  thèques  de   manuscrits.) 


SA  VIE.  /lOl 

dépenses;  mais  les  ménestrels  dont  il  y  est  fait  ordinairement  mention 
ne  sont  pas  ceux  qui  étaient  attachés  à  la  maison  du  maître  :  ce  sont, 
comme  ce  Copin,  «ménestrel  le  roy  d'Angleterre  et  le  comte  de 
Flandre»,  à  qui  «Monseigneur»  fit  donner  3o  s.  en  1819  *'',  des 
artistes  du  dehors,  récompensés  pour  une  représentation  ou  une  mis- 
sion exceptionnelles.  C'est  dans  les  comptes  similaires  de  la  cour  de 
Valois  et  de  la  cour  de  France,  où  Watriquet  parut  sûrement  dans  les 
mêmes  conditions  que  «  Copin  »  à  la  cour  de  Blois,  que  l'on  aurait  eu 
peut-être  le  plus  de  chances  de  trouver,  s'ils  avaient  été  conservés,  la 
trace  de  libéralités  à  son  profit. 

Watriquet  fait  connaître,  par  ses  écrits,  son  éducation,  sa  condi- 
tion et  son  caractère  '^'.  Il  savait  assez  de  latin  pour  prier  en  cette 
langue'^'  et  pour  citer  des  chansons  en  vers  latins  rythmiques'*'. 
Ménestrel  par  excellence,  il  vivait  au  jour  le  jour  comme  les  pauvres 
diables,  ses  collègues,  et  ne  fit  pas  fortune  : 

l\  n'a  que  fortune  et  eùr  Ne  pris  .1.  seul  jour  de  repos 

En  ce  mont,  ce  vous  asseûr;  De  servir  au  mieux  que  je  pos; 

Ce  nous  tesmoignent  clerc  et  iai.  Mais  adès  sui  tout  en  .1.  point  : 

Des  que  de  servir  me  meslai  Je  n'enrichis  n'apouris  point'*'.  .  . 

On  verra  plus  loin  (p.  4i5i  n"  XXV]  qu'il  a  revendiqué  avec  une 
singulière  énergie  le  droit  des  ménestrels  aux  «  robes  »  et  à  la  défroque 
usagée  des  seigneurs  dont  ils  étaient  les  domestiques'^'. 

Il  eut  du  moins  le  plaisir,  qu'il  appréciait  fort,  de  vivre  toujours 
«en  haute  cour»,  c'est-à-dire  dans  le  monde  le  plus  élégant  de  son 
temps,  et  parmi  les  jolies  femmes  : 

De  maintes  biautez  me  souvint.  De  gens  cors,  de  douces  veûes. 

De  dames  et  de  damoiseles.  Et  des  biens  que  j'en  ai  eus'"'. 

Gracieuses,  plaisans  et  bêles, 

'''  Ibidem.  Cf.nouv.acq.fr.  aooaS  ,fol.  43  :  seculi  —  Sunt  hodie  dolus  et  rapina»].   — 

«  Pour  courtoisie  au  Bege  le  ménestrel  •;  fol.  44:  Ed.  Scheler,  p.  307. 

«  Pour  courtoisie  faite  a  .1.  ménestrel  par  Mon-  '''  Li  Mireoirs  as  dames ,  y.  i4i  (éd.  Scheler, 

seigneur».  p.  ()). 

'''  Bien  que  sa  Confession  proprement  dite  ''•  Cf.  Li  Mireoirs  as  dames,  v.  SaS;  et  la 

n'offre,  malheureusement,  rien  d'intéressant;  miniature  au  fol.  78  du  manuscrit  A  (Watri- 

c'est  une  de  ses  pièces  les  plus  faibles.  cpet  sert  à  lablej. 

•''  L'arbre  royal,  v.  8  (éd.  Scheler,  p.  83).  '''  Ihid.  (éd.  Scheler),  p.  2. 

'*'  Fatrasie,  v.  337  («Présidentes  in  thronis 

nisT.  i.rfTÉR.  —  XXXV.  5i 

2  C  *  •-""'■'  -".<>.".. 


402  WAÏRIQUEÏ,  MI:NESTREL  ET  POÈTE  FRANÇAIS. 

H  avait  d'ailleurs  l'idée  la  plus  relevée  de  sa  profession.  Non  seu- 
lement il  ne  voulait  pas  qu'on  confondît  les  »  trouvères»,  «  ceuls  qui 
font  le  biau  mestier »''',  comme  lui,  avec  les  amuseurs  vulgaires, 
qui  «  chantent  de  geste  »  sur  les  places  et  enseignent  la  voltige  aux 
cochons;  mais  il  a  esquissé  le  portrait  du  «bon  »  ménestrel,  en  con- 
traste avec  le  «mauvais»  qui  parle  à  tort  et  à  travers,  et  d'ordinaire 
pour  nuire  à  autrui,  notamment  à  ses  confrères  : 

!\Ienestriex  se  doit  maintenir  C'uns  iiicnestriex  soit  avocas 

Plus  simpicmcnl  c'une  pucele.  Et  qu'il  se  meslo  de  touz  cas 

Est  ce  cliose  honorable  et  bêle  Qui  apailiiMinent  au  si  ignor'^'i* 

Pour  sa  part  il  se  croyait  le  droit  d'exhorter  à  la  vertu  et  le  devoir 
de  prêcher  d'exemple  : 

Comment  puet  menestricx  conter  Et  puis  si  lait  tout  a  travers 

Les  examples  et  les  biaux  vers,  De  ce  (ju'il  disi  '•"  ;'.  .  . 

Il  est  incontestable  qu'il  avait  des  apj)étits  pédagogiques  et  de  pré- 
dication morale,  avec  le  goût  de  dire  leur  fait,  non  seulement  aux 
«hérauts»,  ennemis  naturels  des  ménestrels''',  et  aux  ménestrels 
«  j;iiigleurs  )i,  mais  aux  conseillers  des  princes  (qu'il  appelle  leurs 
«  niahommés  ») ,  et  enfin  aux  princes  eux-mêmes;  poète  de  cour,  il 
s'est  permis  a  plusieurs  reprises  des  invectives  contre  les  «tyrans», 
non  sans  prudence  toutefois'^'.  11  souffrait,  visiblement,  que  ses 
«  contes  de  bien  et  donneur  »  n'eussent  point  de  succès  durable  : 

Maintes  gens  se  sont  esbaudiz  En  tel  gent  a  poi  de  bontr 

D'escouler  biaus  mos  et  biaus  diz;  (}ui  point  ne  meteni  d'estudie 

El  moull  en  ont  grant  joie  en  l'eure;  A  retenir  bien  c'on  leur  die, 
Mais,  quant  en  leur  cuers  n'en  demeure       Example  ne  bonne  parole. 

^e  sens  ne  matière  no  glose,  D'un  fastras  ou  d'ime  frivole 

Il  n'i  profilent  nulle  chose,  .C.  mille  tans  lent  plus  grant  leste 

Ne  n'i  font  qu'oublier  le  tans;  Et  plus  tost  leur  entre  en  la  lesté 

Dont  vergoigneus  sui  et  doutans  G'uns  contes  de  bien  et  d'onneur^'i', 
Ou'encor  ne  leur  tourt  a  domage .  .  . 

''    Du  fol  mcncsirel  (éd.  Scheler,  p.  SGy).  —   '*'  Ibid..  v.  112.    —  <^l    IMd.,  v.  a6.  .-r  '"  Li. 
tournois  des  daines,  v.  33o  et  s.  Cf.  Des  Irois  vertus.  —  '1  Voir  jiliis  loin,  n"  X-l ,  XIU.  —  '*'  De  la 

(■y(joi'iiie  [i'd.  Sc\\Aer,  p.  aS/i). 


SES  ECRITS.  40.-^ 

Cependant  il  se  résignait,  parfois,  à  rire  et  à  faire  rire,  tout  comme 
un  autre  : 

Il  n'a  homme  desi  a  Sens,  Ou  parlé  n'ait  de  duel  ne  d'ire, 

S'adès  vouloit  parler  de  sens,  Puisque  de  mesdit  ni  a  point, 

C'on  ne  prisast  mains  son  savoir  Maintes  foiz  vient  aussi  a  point 

Qu'on  fait  sotie  et  sens  savoir.  A  l'oïr  que  fait  uns  sarmons"). 
Qui  set  aucunes  trufï'es  dire 

Il  a  même  condescendu  au  moins  une  fois  à  collaborer,  avec  un  de 
ses  confrères,  nommé  Raimondin  (dont  on  ne  sait  rien)'^',  à  un 
exercice  fort  bas  :  une  de  ces  «  fatrasies  »  dont  il  a  médit  dans  son 
conte  De  la  cyifo'ujne.  D'après  la  rubrique  du  manuscrit  unique'^'  où 
elle  se  trouve,  cette  pièce  fut  récitée  un  jour  de  Pâques  devant  le  roi 
Philippe  VI.  On  en  conçoit  la  plus  singulière  idée  de  ce  qu'étaient 
les  récréations  des  «hauts  hommes»  au  temps  <le  favènement  des 
Valois;  car  jamais,  nulle  part,  la  scatologie  la  plus  répugnante  x\v. 
s'est  étalée  davantage. 

En  résumé,  un  moraliste,  tant  soit  peu  avili  par  les  obligations  de 
sa  profession  dépendante. 


SES   ÉCRITS. 

Nous  énumérons  ses  écrits  comme  il  suit  :  d'abord  les  pièces  de  la 
collection  offerte  au  comte  de  Blois  (ms.  A),  dans  l'ordre  où  Wa- 
triqûet  les  y  rangea  lui-même;  ensuite  les  autres  pièces,  dans  l'ordre 
où  les  recueils  B,C,D,E  les  présentent.  Pour  chaque  pièce,  on  a 
indiqué,  après  le  litre,  tous  les  manuscrits  où  elle  se  trouve. 

'''   Des  .III.   (lianoine.':ses  de   Cnnlonjne    (éd.  semble  avoir  des  prétentions  au  portrait  pour 

Scheler,  p.  373).  tous   les  deut  ;   cl.  un  des  personnages  de  la 

'"  A  peine  nous  iiasardons-nous  à  suf^gérer  miniature  qui  figure  au  folio  4  1  »'"  du  ms.  C. 
qu'il  s'ag^it  peut-être  ici  de  Raimon  Vidal,  ee  '^'   Il   ne  parait  pas,  à  première  vue,impos- 

ménestrelau  service  de  la  haute  nolilosse  dn  sible  qu'elle  ait  figuré  à  la  fin  de  G,  comme  à 

Toulousain  qui  a  écrit,  en  langue  d'ôil  et  en  la  fin  de  A  ;  car  un  des  possesseurs  de  C  était 

bon   slyle,  .unç   poésie  allégorique,   lii^s  una-  de  mœurs  si  austères  qu  il  a  cru  devoir-y  mu- 

logue    à  celles  die    Watriquet  ;    il    avait    sûre-  liler  les  passages  un  peu  libres  d'un   labliau, 

ment   appris   son   métier  dans   la   France    du  et  on  jiourrait  croire  que  c'est  lui  aussi  qui  en 

Nord.    Voir   plus    loin    la    «Notice   surcinctc»  s  arraché  le  dernier  cahier,  et  qu'il  l'a  arraché 

qui  lui  est  consacrée.  La  miniature  qui  repré-  précisément  parce  que  la  Fatrasie  s'y  trouvait. 

sente   Raimondin  et  Watriquet  devant  le  roi  Mais  il  a  été  établi  plus  haut  (p.  3().'),  eu  note) 

Philippe   dans  le  manuscrit   A   (fol.    iGi     v")  qu'il  ne  manque  à  la  lin  de  C  qu'un  seul  feuillet. 


404  WATKIQDE'l',  MI<:NESTREL  ET  POETE  FRANÇAIS. 

I.  Li  Mireoirs  as  dames  (AC).  —  Récit  d'une  aventure  qui  a  appris 
à  l'auteur  l'art  de  reconnaître 

Oues  (lame  est  moins  bêle  et  qui  plus. 

Le  premier  jour  de  l'été,  s'étant  levé  au  point  du  jour,  il  fut  trans- 
porté en  pensée  dans  une  grande  forêt ,  bruissante  du  chant  des  oiseaux. 
Il  aperçut  un  être  féminin,  étrange,  mi-partie  blanc  et  noir,  charmante 
et  hideuse,  somptueusement  et  misérablement  vêtue,  qui  lui  promit 
de  lui  enseigner  à  juger  de  la  beauté  des  femmes.  Elle  s'appelait 
Aventure.  Elle  le  mène  au  château  fort  de  Beauté,  toujours  assiégé 
par  les  vices.  Il  y  rencontre,  à  l'entrée.  Nature,  Sapience,  Manière, 
Raison,  Mesure,  Pourveance,  Charité,  Humihté,  Pitié,  Débonnaireté, 
Courtoisie,  l^argesse,  Soufiisance.  La  portière ,  Bonté ,  et  Simplesse, 
la  chambrière,  l'introduisirent  auprès  de  Beauté,  qu'elles  ne  laissent 
d'ordinaire  approcher  que  par  des  gens  sûrs,  tels  que  le  chevalier 
Entendement  et  la  voisine  Leesce.  Description  de  Beauté,  la  bien 
gardée;  son  costume.  Elle  porte  couronne;  elle  a  vingt-cinq  ou  vingt- 
six  ans;  elle  rit  très  doucement.  Mais  un  sergent,  nommé  Cremeur, 
avertit  le  poète  qu'Aventure  le  réclame.  On  le  prie  de  rimer  ce  qu'il  a 
vu;  il  s'exécute.  Mais  tandis  qu'il  s'y  applique  : 

1  172.  V'i  venir  une  compagnie 

Qui  toute  iert  de  dames  royaus .  .  . 

Il  y  avait  trois  reines,  une  duchesse,  une  «  dauphine»'",  des  com- 
tesses .  ,  . 

Deci  a  .XXIII.  de  nombre 

S'icrent  assemblées  en  l'ombre 

D'un  très  bel  vert  fleuri  pommier.  .  . 

Une  de  ces  dames  allait  toujours  la  première;  c'était  «  la  çreignour  », 
la  plus  belle,  la  plus  honorée.  Elle  avait  un  costume  royal,  à  ses  ar- 
mes :  fleurs  de  lys  sur  azur,  barre  d'argent  componée  de  gueule.  .  . 

'''  L'entrée  de  iMillet  ou  divertissement  des  Fauvel  [Histoire  littéraire,  t.  XXXII,  p.  i^"]), 

Hellequines,  certainement  écrit  pour  la  cour  met  aussi  une  •dauphine»  en  scène  (Bibl.  nat., 

de  France.queChaillou  de  Peslain  a  fait  trans-  fr.  i46,  fol.  .^6).  Cf.  ci-dessou»,  n*  XXII  de 

crirp  dans  son  exemplaire  plosé  du  Roman  de  l'œuvre  de  Watriquet. 


SES  ECRITS.  405 

Ces  armes  sont  celles  de  la  maison  d'Evreux,  il  s'agit  donc  de 
Jeanne  d'Evreux,  femme  de  Charles  IV  le  Bel.  Les  deux  autres  reines 
sont  sans  doute  Clémence,  veuve  de  Louis  X  et  Jeanne  de  Bour- 
gogne, veuve  de  Philippe  V.  La  «dauphine»  est  Isabelle,  fdle  de 
Philippe  le  Long  et  femme  de  Guigne  VIII,  dauphin  de  Viennois. 

D'après  la  légende  de  la  miniature  placée  en  tête  de  la  pièce  dans 
le  manuscrit  A,  Watriquet  l'a  commencée  le  premier  jour  de  l'été  1 3  2  4- 
Mais  Jeanne  d'Evreux  n'a  épousé  Charles  IV^  qu'en  i335.  Il  paraît 
probable,  en  conséquence,  que  la  procession  des  princesses,  à  partir 
du  V.  1171,  est  une  sorte  de  post-scriptum  au  poème  principal. 

II.  Du  connestable  de  France  (A).  —  Eloge  de  Gaucher  de  Chàlillon , 
qui  venait  de  mourir  (Ascension  1329);  il  avait  été  en  son  temps 
«  pres([ue  parfais  d'armes  et  d'amours  » ,  un  véritable  «  portejoie  »,  et, 
suivant  une  expression  familière  à  Watriquet,  «la  topaze  des  haus 
«homes».  La  miniature  qui  précède  cette  pièce  dans  le  seu  exem- 
plaire connu  a  pour  légende  :  «  Comment  li  dus  de  Bourbon  com- 
«  [manda]  a  faire  le  dit  du  Connestable».  Elle  fut  donc  commandée 
à  Watriquet  par  Louis  I"  de  Bourbon,  comte  deClermont. 

m.  La  mis  (ABCDEF).  —  Simibtudes.  Pour  confire  la  noix, 
il  faut  la  cueillir  jeune  et  tendre;  si  on  la  cueille  après  la  Pentecôte, 
c'est  trop  tai-d;  de  même,  c'est  de  bonne  heure  que  l'enfant  doit  être 
confit  en  bonnes  mœurs.  La  noix  mûre  se  dépouille  d'elle-même  de 
sonécorce;  l'homme  fait  doit  ainsi  se  dégager  des  vices  et  des  péchés. 
La  noix  est  protégée  par  des  écales  solides;  c'est  ainsi  que  son  corps 
doit  être  une  protection  pour  l'âme  du  damoiseau.  U  ya,  dans  la 
noix,  de  la  douceur  et  de  l'amertume;  de  même  l'honnête  homme 
doit  être  courtois  aux  bons,  amer  aux  médisants.  Etc. 

IV.  De  l'imigne  et  du  crapot  (ABC F).  —  Un  mardi  de  juin  1329, 
l'auteur  rêva  qu'il  était  à  Becoiseau.  Il  voit,  sous  un  noyer  près  de 
la  porte,  dame  Raison,  fort  malheureuse  pour  avoir  été  expulsée  de  la 
Cour  romaine.  Elle  s'assoit  sur  l'herbe  auprès  du  poète,  sous  une 
ente  chargée  de  fruits.  Mais  une  araignée  descendait,  au-dessus  d'eux, 
au  bout  de  son  fil;  Watriquet  la  montre  du  doigt.  Ils  observent  son 
manège.  Elle  descend  sur  un  crapaud  qui  était  couché  à  la  rosée. 


'!()«  W  ATRIQLET,  Mr.NESTREL  ET  POETE  FRANÇAIS. 

la  panse  en  l'air,  «  pour  avoir  la  douceur  du  vent  »;  elle  le  pique.  Le 
crapaurl  se  hâte  vers  une  toulTe  de  plantain,  contre-poison  du  venin 
<le  1  araif^née,  et  s'en  frotte.  Mais  l'araignée  envelo])pc  le  plantain  l«i- 
m^ine  de  sa  toile'"  et  tue  le  crapaurl,  désormais  sans  ressource.  — 
Haison  explique  l'apologue. 

Ainsi  va  le  monde.  L'araignée,  ce  sont  les  traîtres  qui  entravent  les 
grands  seigneurs.  Lé  crapaud,  c'est  le  menu  peuple,  qui  se  fie  à  ses 
seigneurs  (le  plantain)  pour  le  garantir  et  guérir  ses  maux.  Mais 
les  traîtres  «  qui,  par  les  grans,  boivent  le  sanc  et  la  sueur  des  petis  », 
enveniinciit  les  seigneurs  eux-mêmes  : 

Les  >('if;iicurs  qui  veulent  de>fendre  Or  les  truevent  toiiz  entechiez 

La  •;<iit  basse  et  de  mort  g.irder,  De  venin .  .  . 

S'a  (Il  oil  vouioient  regarder, 

Quel  avertissement!  Seigneurs,  prenez-y  garde. 

V.  De  Fortune  (ABC).  —  (]inq  douzains  sur  l'instabilité  des  choses 
humaines,  en  rimes  équivoques. 

VI.  Des  mahommès  (ABC).  —  Les  «mahommès»,  ou  idoles,  des 
princes,  ce  sont  les  favoris  de  cour.  Watriquet  les  a  en  horreur.  Il  n'y 
a  pas  de  bons  serviteurs  à  la  cour  des  princes  à  qui  ces  «  mahommès  » 
ne  nuisent  par  leurs  calommies.  Allusions  à  un  de  ces  personnages, 
qui  avait  entouré  le  roi  de  ses  fds,  aujourd'hui  détordus,  et  qui  a  mal 
fini. 

VII.  De  l'arbre  royal  (ABC).  —  Cette  pièce  a  été  écrite  après  favè- 
nement  de  Charles  le  Bel,  à  propos  du  singulier  hasard  qui  fit  suc- 
céder coup  sur  coup,  sur  le  trône  de  France,  trois  fds  à  leur  père. 
L'auteur  est  transporté,  en  rêve,  clans  un  verger  clos  de  hauts  murs. 
Il  y  a  un  très  bel  arbre,  à  quatre  «  getons»,  couverts  de  fleurs  de  lys. 
Cet  arbre,  qui  est  couronné,  Nature,  Jeunesse,  Beauté,  Force  et  Har- 
demens  montent  la  garde  autour  de  lui.  Mais,  brusquement,  un  coup 
de  vent  le  renverse.  Le  premier  jeton  (Louis  X)  est  bientôt  couché 
à  ses  côtés  par  un  accident  pareil,  puis  le  second  (Philippe  V).  C'est 

'■'  l/éditeur  n  lu  •  tonnelle  •. 


SES  ECRITS.  407 

le  troisième  (Charles  IV)  qui,  maintenant,  porte  couronne.  Le  qua- 
trième a,  au  coté  droit,  les  armes  d'Angleterre  (Isabelle,  fdle  de 
Philippe  le  Bel,  reine  d'Kdouard  II).  Hardemens  explique  au  poète 
ce  (|u'il  faut  entendre  par  là.  Aujourd'hui  : 

C'est  Charles  li  arbres  roiaus, 
Uois  seul"  toutes  les  royautez 


De 


ce  monde. 


VIII.  La  fontaine  d'amour  (ABC).  —  LJn  verger,  au  mois  de  niai. 
Il  y  avait  une  lonlaine.  Vénus,  "  déesse  et  dame  d'amours  »,  maîtresse 
de  ces  lieux,  en  faisait  garder  l'eau  pure  par  ses  sergents  Celer, 
Loiauté  et  Sens.  Il  y  avait  aussi  trois  bassins,  toujours  pleins  (Jeu- 
nesse, Prouesse  et  Largesse),  enchaînés  à  la  fontaine  par  des  chaînes 
qui  s'appelaient  Courtoisie,  Cuidier  et  Vaillance.  Bonne  Volonté/., 
Avis  et  Plenté  gardaient  ces  bassins.  Le  poète  boit,  s'enivre  et  s'en- 
dort. Il  est  transporté  dans  une  cour  princière  où  festoient  des 
couples.  Le  menu  du  festin  est  d'oeillades,  de  soupirs,  de  gâteaux 
«  fourrés  de  douz  ris»  (desquels  il  n'y  avait  guère);  et  puis  tartes  en 
farine  de  jalousie,  pièces  montées  de  mélancolie,  etc.  Finalement  un 
mets  très  doux,  qui  fut  départi  à  tous, et  dont  celui  qui  en  eut  le  moins 
se  déclara,  pourtant,  satisfait. 

IX.  La  confession  ff'atriijaet  (ABC).  —  Watriquet  pense  à  sa  vie 
mal  employée  «  en  fais,  en  dis  et  en  pensée  ».  II  exprime  son  repentir 
d'une  manière  banale,  en  pénibles  jeux  de  rimes. 

X.  De  haute  honneur  (  ABD).  A\ec  le  sous-titre  :  «  Comment  li  pères 
«  enseigne  au  fdz  ».  Celle  pièce  est  fort  au-dessus  du  niveau  de  la  plu- 
pari  des  autres.  Elle  a  de  la  simplicité  et  de  la  force.  Sujet  :  un  comte 
conseille  à  son  llls,  qui  «aime  mieux  honneur  qu'avoir»,  de  se  con- 
duire en  chevalier  et  de  s'employer  outre-mer  à  <i  confondre  mahom- 
«  merie  ». 

On  n'a  pas  honneur  pour  rouver;  Pour  lui  estuver  et  baignier 

Autrement  s'en  couvient  prouver;  Et  pOiir  gésir  nus  en  blâos  lis.  .  . 

Ainz  est  a  avoir  chose  amere.  Tiex  porte  les  frasiaus  dore/. 

Tiex  ne  l'a  pas  qui  lo  coniperc.  Qui  assez  poi  est  honnorez 

Honneurs  no  vient  pas  pour  seignier,  Et  les  boutonciaus  esmailliez.  .  . 


408  WATRIQUET,  MÉNESTREL  ET  POETE  FRANÇAIS. 

Car  haute  honneurs  pas  ne  s'^dresce  En  bon  piz,  en  bonne  poitrine. 

En  grant  boban  ne  en  richesce;  En  bon  dos  H  en  bonne  eschine 

Ainz  gist  en  bras,  ainz  gist  en  mains  Et  en  marteleïs  d'espées.  .  . 
Du  bon  qui  n'est  faintis  ne  vains, 

Le  ms.  1  79  bis  de  la  Bibliothèque  de  Genève,  du  xv"  siècle,  con- 
tient un  long  fragment  acéphale  d'une  pièce  à  rimes  plates,  qui  parait 
être  une  imitation  ou  plutôt  un  plagiat  de  celle-ci;  un  grand  nombre 
de  vers  de  cette  pièce  se  retrouvent  textuellement  dans  le  dit  de 
Watriquet'*'. 

XL  Li  enseicfnemens  du  jone  fd  de  prince  (ABD).  —  Conseils  du 
])oète  à  un  jeune  prince,  en  alexandrins.  Le  point  de  cette  homélie 
est  qu'il  faut  préférer  les  pauvres  «  bacheliers  »,  vaillants,  que  tant  de 
gens  «•  de  petit  pris»  supplantent  dans  les  cours  des  grands.  Mais,  de 
nos  jours,  ce  sont  les  «jangleurs  médisant»,  les  étrilleurs  de  Fauvain 
et  les  amasseurs  d'argent  qui  l'emportent,  aussi  bien  en  France  que 
dans  l'Empire.  L'auteur,  toutefois,  est  prudent  : 

D'eulz  me  deûsse  taire;  assez  en  ai  parlé. 

Ne  veul  que  pour  voir  dire  me  sache  nul  maugré. 

XIL  De  Loiaaté  (ABC).  —  Cette  série  d'apostrophes  à  la  Loyauté, 
pour  la  définir  et  la  glorifier,  en  douzains  de  vers  octosyllabiques 
(strophe  dite  d'Fïélinand),  est  d'une  aisance  charmante.  C'est  vraiment 
une  pièce  d'anthologie.  Elle  se  termine  ainsi  : 

O  dame  puissante,  esmerée.  Vous  estes  céans  mariée; 

Comblée  de  sens  et  d'avis.  Pour  ce  est  li  liex  si  jolis. 

Seur  toutes  vertus  renommée , 

On  a  cru  voir  là  une  dédicace  à  quelque  princes.çe,  mais  évidemment 
par  erreur:  la  dame  puissante  est  la  Loyauté. 

La  rubrique  indique  dans  C  —  dans  C  seulement  —  que  cette 
pièce  fut  composée  en  iSig.  Un  des  premiers  dits  connus  de  Wa- 
triquet  est  donc  aussi  un  de  ses  meilleurs  ouvrages. 

'■'   Bulletin  de  la  Sociélé  des  aiiriens  tc.rles  français,  l.  III  (1877),  p.  gS. 


SKS  KCHI'I'S.  'lO'.l 

XIII.  De  i  or  lie  ou  Des  princes  (ABCD). —  Préceptes  moraux,  en 
(juarante  douzains;  l'idée  du  titre  le  plus  fréquemment  donné  est 
empruntée  au  sixième  douzain  : 

\insi  i'om  voit  iiaistro  l'ortie 
El)  mai 

Watriquet  développe  ici  des  lieux  communs  :  "Bonne  oevre  loe 
"l'ouvrier»;  «Ailains  est  qui  fait  vilanie  s  avantages  de  la  naissance 
et  de  l'éducation;  quelle  tristesse  de  voir  déchoir  des  gentilshommes; 
devoirs  des  grands;  ^illusions  au  châtiment  récent  d'orgueilleux, 
tomhés  de  très  haut;  etc. 

On  croit  plus  tost  .1.  inesdisaiil  (l'un  }<fnlillioniini'  \oir  disant, 

(hii  d«'souz  l'eille  va  ploiant  Si  s'en  tait  \\  aïhiquet  atant. 

De  son  seigneur,  et  qui  l'acoie, 

\1V.  Li  (U'spis  du  monde  (A  (M)].  —  Dix-huit  douzaius  sur  la 
lausscté,  la  vanité    et    les  dangers  du   monde.  Banalités  et  jeux  de 


XV.  Des  .1111.  sièges  (Ali(i). —  Le  poète  était  couché  avec  une 
amie,  le  jour  de  l'Ascension  i3i9,  lorsqu'un  ange  l'emporta  sur  ses 
ailes  au  plus  haut  du  paradis,  oîi  il  vit  quatre  sièges  vides,  éblouis- 
sants. Il  apprend  qu'ils  sont  destinés  à  Artur  de  Bretagne,  à  Alex- 
andre, roi  des  (Irecs,  au  duc  Naime,  à  Girard  de  Fraite.  Mais  ces 
personnages  sont  morts.'*  Oui;  seulement  ils  ont  été  remplacés  respec- 
tivement ])ar  Charles  de  Valois,  par  le  comte  de  llainaut,  par  Gaucher 
de  Châtillon,  connétable  de  France,  et  par  le  comte  d(!  Flandre. 
Eloge  de  ces  quatre  comtes. 

XVI.  Dm  pieu  chevalier  (A (JE  1*'].  —  Définition  de  la  prouesse,  dont 
la  vigueur  est  le  point  de  départ;  mais  la  vigueur  qui  doit  s'embellii- 
de  Courtoisie,  Largesse,  Valeur,  Hardement,etc. 

WIl.  Li  Mireoirs  as  princes  (AC).  —  Watriquet  se  pro|X)se  de 
rimer  une  matière  "  c'uns  princes  li  conta  jadis  »  (Dieu  ait  son  âme!). 
Il  le  fait  dans  le  ])etit  oratoire  de  Marchenoir,  lieu  plaisant,  gracieux 
et  secret,  en  iSay.  C'est  l'histoire  d'un  roi  très  sage  et  très  pieux  qui 

IIIST.   I.ITTÉR.  \\\\.  \n 


410  WATRIQLKT,  MKNESTKKL  KT  l'OÉTK   FRANÇAIS. 

avait  un  frère  adonné  auv  plaisirs  du  siècle.  Ce  roi,  blâmé  par  sou 
frère  parce  qu'il  s'occupe  trop  des  allaires  du  peuple  et  pas  assez  de 
tournois  et  de  fêtes,  (lonne  une  leçon  a  son  censeur  en  le  faisant 
trembler  quelques  heures  devant  la  mort,  pour  lui  représenter  ensuite 
que,  si  les  hommes  ordinaires  craignent  la  mort,  les  rois,  chargés  de 
responsabilités  devant  Dieu,  doivent  redoutei-  bien  davantage  le  châ- 
timent éternel.  Cette  pièce,  agréablement  écrite,  se  termine  (v.  806- 
i02'i)  par  des  invectives  contre  les  rois  et  les  princes  du  temps,  qui 
ne  laissent  pas  d'étonner  de  la  part  d'un  trouvère  domestique.  Car  ces 
lieux  communs  ne  sont  pas,  ici,  sans  accent  : 

\  nul  bien  faire  ne  procurent  Les  pelis;  a  el  ne  labeurent  ; 

845.  Li  pluseur;  poi  en  sai ,  nés  un,  Kt  adès  vont  en  empirant. 

Qui  face  le  profit  commun  ...  Ne  sont  pas  prince,  mais  tirant. 
Li  grant  estranglent  et  deveurent 

L'auteur  a  vu,  en  son  temps,  bien  des  méchants  punis  de  leur 
mauvais  gouvernement.  Et  il  va  jusqu'à  menacer  : 

q.">î.  S'eschiver  voulez  ce  martire  l\endre  le  chatel  el  le  inueble 

Entie  vous,  princes  qui  ore  estes.  Qu'a  force  leur  avez  toin. 

Retourner  vous  convient  les  testes  \insi  porrez  estre  absolu. 
Par  devers  \ostre  menu  pueple, 

11  est  clair,  du  reste,  qu'il  parle  moins  au  nom  du  «  menu  peuple  » 
proprement  dit  qu'au  nom  de  la  petite  noblesse,  opprimée  par  les 
bailiis,  les  prévôts,  les  avocats,  les  sergents,  les  bedeaux,  tous  les 
agents  du  pouvoir  : 

Ijns  l)ediaus  cuide  estre  doiens  Soseroil  il  bien  envabir 

.Si  tost  qu'il  a  aucun  service.  .  .  .1.  cbevalier.  On  doit  liaïr 

(iculs  ret  que  il  n'ose  escorcbiei-.  Pi  ince  qui  tel  tel  gent  régner. 
S'il  estoit  lilz  a  un  porchier 

Wlli.  Li  tournois  des  dames  (ACDE).  —  Un  jour,  après  dîner, 
vers  la  mi-octobre  iSîy,  Watriquet  était  dans  la  petite  tourelle  du 
pavillon  de  Montfraut  el  contemplait  la  verrière  d'une  fenêtre  où  se 
déroulait  la  représentation  d'un  tournoi  de  «  dames  contre  chevaliers  »  : 
Guerre  mortelle,  où  les  hommes  étaient  vaincus;  ils  ne  se  défendaient 
même  pas.  Il  s'endormit,  la  tète  sur  son  bras  replié,  et  vit  en  songe 


SES  ECRITS.  4M 

une  belle  dame,  un  peu  triste  :  la  \érilé.  «Comment  se  fait-il,  lui 
(lit-il,  que  ces  dames,  «  sans  gardecors  et  sans  armures»,  l'emportent 
sur  des  chevaliers?»  La  Vérité,  qui  reconnaît  en  lui  un  ami  (et  elle 
n'en  a  guère),  explique  que  le  tournoi  de  la  verrière  symbolise  le 
combat  de  l'âme  et  du  corps  : 

3/17.  . . .  Li  rlievalii  r  que  tant  blasmes,  Des  detiz  et  des  vanitez 

Certes,  frères,  ce  sont  les  anies  Dont  nuit  et  jour  sont  eiicitez, 

Des  chaitis  qui  vaincre  se  laissent  Temptés  du  monde  et  enlieudi/.. 
A  leur' (baroignes  et  se  paissent 

Watriquet  et  la  Vérité  se  promènent  dans  la  forêt  voisine  et  elle 
lui  "glose  M  encore  divers  phénomènes  qu'ils  observent. 

a.  «Le  pont  perilleus.  »  —  Un  très  beau  pont,  magnifiquement 
bâti  de  lours  et  de  maisons,  sur  une  rivière  rapide  et  «hideuse»; 
mais  les  pilotis  en  sont  pourris.  Cependant,  la  circulation  y  est  in- 
tense, et  la  foule  semble  indilléiente  au  danger.  Quelle  folie!  C'est 
l'image  de  la  vie. 

h.  «  Les  .11.  niortoiresdebestes.  »  —  Deux  vastes  [)ourrissoirs  d'ani- 
maux :  l'un,  énorme,  de  chevaux  et  de  vaches;  l'autre,  de  moutons 
et  de  porcelets  maigres. 

(k)6«  Touz  en  estoil  li  ctiamps  couvers  Corbiauset  cliien  d'aval  les  cha(n|)s. 

Des  besles  qui  mortes  gisoient.  Rrent  si  maigre  et  si  meschans .  .  . 

Et  li  oisel  qui  les  mangeoient. 

Ceux  qui  se  repaissaient  du  tas  des  gros  animaux  étaient  maigres; 
au  contraire  ceux  (jui  étaient  installés  sur  le  tas  de  misérables  car- 
casses semblaient  florissants.  Image  des  gens  qui,  avides  des  biens 
delà  terre,  «amaigrissent»  sur  ces  biens  dérisoires;  et  de  ceux  qui 
méprisent  les  choses  d'ici-bas  :  ils  en  sont  récompensés  ])ar  le  vrai 
bonheur. 

c.  «  Du  lion  et  de  l'aignel.  »  —  Bataille  d'un  agneau  contre  un  lion , 
qui  a  le  dessous.  Dieu  protège  l'humilité. 

d.  «  La  rivière  qui  est  hors  de  son  chanel.  »  —  Inondation  désas- 
treuse. Tels  sont  les  débordements  des  «tyrans»,  dont  le  monde 
«  empire  de  jour  en  joiir  ». 

Mais  l'heure  de  midi  approche;  il  est  temps  d'aller  dîner. 

5a. 


'\l-2  WATRrOUET.   MKNESTHEL  KT  l'OETK  KKWÇAIS. 

XIX.  Du  Roy  (ADF)''\  —  Exhortation  à  Philippe  de  Valois,  au 
lendemain  fie  son  avènement  (iS^S).  Le  nouveau  roi  a  été  appelé 
'<  de  loin  »,  le  jour  du  Vendredi  saint,  au  gouvernement  du  plus  beau 
royaume  de  la  terre.  Qu'il  mérite,  par  quatre  vertus,  celui  du  paradis  : 
Prudence,  liistice,  Raison  et  Force. 

■1  fi.   Aleniprance  est  la  Heur  df  lis 
Et  rose  seur  toutes  \(Mius. 
•   (îniilils  rois,  soie/,  t'iil  vestu-- .  .  . 

XX.  De  la  cycjoignc  i  A  CD).  —  (Test  la  coutume  chez  les  cigoi^ne  s 
(Mie  si  une  cigogne  a  trompé  son  mâle,  el  si  celui-ci  s'en  aperçoit 
avant  qu'elle  ait  fait  trois  plongeons  rituels  dans  l'eau,  la  coupable 
esl  mise  à  mort.  La  cigogne  adultère,  c'est  le  pécheur;  l'eau,  c'est 
la  confession;  les  trois  plongeons,  c'est  le  repentir,  l'aveu  el  la  péni- 
tence. 

XXI.  \ve  Maria  ^/e  Sostrc  Dame  (AC).  — •  Quarante  vers,  (pii  se 
lerminent  tous  par  un  mot  dérivf'  de  Marif  ou  des  mots  ([ui  ressem- 
bleiil  à  celui-là  (mari,  marri,  etc.  . 

XXII.  /''a.s/r«5jV'- .  "  (  j  commencenf  li  lastras  de  (pioi  Kaimondiu 
cl  \Vatri([uct  despulerent  le  joui-  de  Pasques  devant  le  roy  Plielipj)e 
(!♦•  France  •■  (  \).  —  Vingt-neuf  couph-ts  de  onze  \ers  sur  deux  rimes, 
chacun  sur  le  ihème  d(^  deux  vers  qui  semblent  être  les  premiers 
d'une   chanson   connue  ',    arrangés  de   telle    sorte  que    le    couplet 


''  (]etle  pièce  a  été  publiée,  d  après  F,  par 
A.  Jubinal,  Nouiiau  Recueil  de  contes,  dits, 
f„l,li„ii.r . .  .  .  I.  I  '  ii8;i<);i,p.3'i'..KIlese  trome 
aussi  clans  le  ms.  l'r.  ia/|83  (Notices  et  extraits 
des  manuscrits ,  t.  XXXIX,  p.  553). 

■'  Cf.  Histoire  littéiairc,  f.  X\lll,  p.  .')0.>. 
Voir  aussi  le  uC.halivalii  qui  lij(ure  dans  1  exem- 
plaire du  Honiaii  de  Fauvel  enririii  d'ailditions 
pai-  ou  pour  C.haillou  de  Peslain  (Bibl.  nal.. 
Ir.    i'|6,  fol.  ,V,). 

Il  est  reuiarquable  qu'une  seide  de  ces 
rliansous  i  l'iiisqii'iî  m'cslnrt  de  ma  dame  partir  i 
se  trouxe  dans  la  Bihlioqraphie  des  chansonniers 
français  des  \iti'  et  xiv'  siècles  de  G.  Raynaud  : 
(1.  IXnmania .  t.  XLIW  p.  5t>0.  YX  nous  ne 
eonnaissons  par  ailleurs  iju'nue   seule  des  au 


Ires  pièces  utilisées  par  Watriquel  :  le  motel 
Présidentes  in  llironis  secnli ,  transcrit  el  noté 
dans  le  ins.  Ir.  i  '|(i  de  la  Bibliotliè(pie  natio- 
nale, fol.  1  v'.  On  peut  conclure  de  là,  une  fois 
de  plus,  que  ce  ([ue  nous  connaissons  de  celle 
ancienne  littérature  lyricpie  est  peu  de  chose 


comparaison  de  ce  ipii  eu  a 


peri. 
plup.i 


—  M.  A. 


.leaiuov  estime  du  reste  cpie  la  plu|iarl  des  vers 
cités  ici  par  Watriquel  »  ne  sont  pas  des  in- 
cipit  ou  des  fragments  de  chansons  >.  (",e  sont, 
croit  il,  des  «refrains).  Mais  il  s'est  formé  de- 
puis lonfjtemps  une  assez  riche  collection  de 
refrains  français  du  moyen  âge;  cl  il  »eut  bien 
nous  informer- qu'elle  ni'  contient  non  plus 
aucune  des  enigmaliques  citations  de  Walri- 
ipiet. 


SES  ECRITS.  /il 3 

commence    par  If   premier   vers    de  la   chanson    et  s'achève  par  le 
second^''. 

Ces  couplets  soni  prestjue  tous  d'une  inqualifiable  grossièreté.  Mais 
il  V  a,  dans  quelques-uns,  des  allusions,  que,  pour  la  plupart,  l'on 
ne  saurait  éclaircir  maintenant,  à  des  intrigues  et  à  des  incidents 
contemporains.  Sont  nommés;  le  comte  de  Kouci  (v.  i  i5)''^';  Pierre 
Rémi,  le  favori  de  Charles  IV,  qui  périt  aussitôt  après  la  disparition 
de  son  maître  (v.  19/1,  198);  le  comte  de  Savoie  (v.  •i28)'''';le  bois  de 
Mormai  (v.  -î/iy)*''*;  la  nouvelle  abbesse  de  Saint- Vntoine  à  Paris,  qui 
est  qualifiée  de  "  singesse  cornue»  (v.  afiy)'';  le  seigneur  de  SuUi 
(v.  333),  favori  de  Pliilippe  \,  à  demi  disgracié  sous  (Iharles  IV, 
gouverneur  de  Mavari'^  en  1  329.  I^e  (li\-septième  couplet  est  tel  : 

Ma  dame,  (jiic  jdiiii  lioimiiir  fini' ,  \  lairc  p;ipe  du  (lautliii. 

(iar  me  ro(janle:  de  r»er  fin.  Mais,  se  iii  taie  d'un  auiîin 

«  Madame,  que  j  aiui  d'ainoui  liiic  ",  l*our  luon  cscot  ne  paie  cl  (iiie, 

Dist  uns  sin}<»'s  a  la  daupliini',  .fe  li  dirai,  se  j'ai  pris  lin  : 

"  J'ai  une  ti'sle  d'csclt'fm  "  Orde  vielle,  puans  ruiine, 

Oui  m'a  dit  quo  paradis  line  n  Car  me  regardez  de  ciier  lin"'.  « 

Va  (|ue  ii  firmamens  s'acline 

Ici  finit  le  recueil  tonné  par  Watriquet  poui'  le  comte  (mi  de 
Blois  (A).  Nous  suivons  désormais  l'ordre  de  B. 

XXIII.  Ihs  M  IL  couleurs  (13).  «  Ci  commence  li  diz  des  .vtii.  cou- 
leurs qui  fu  commenciez  a  faire  a  la  Chandeleur  l'an  M  CCC  XXII."  — 
Huit  nobles  ])acheliers  courtois  s'ébattent  dans  un  verger,  au  commen- 
cement de  lé\rier,  1  ([ui  est  la  saison  où  le  printemps  devient  joli". 

Proct'di'  rifqiicniiiicul  cm|iloyé  dans   hi  nus  seukMnent  l'abbayo  de  Saiiil-Antoine.  Voir 

poésielyriquelalioedu  luovpn  àfje.  VoirDaniel,  H.  Bonnardol,  f/nhlxiye  royale  île  Notre-nninr- 

Tlicsanriis  hymiinloijuiis,  1. 1",  p.  a8i  ;  cf.  Mono  ,  iL'sCImmps  (  Paris,  i  8)St  ),  p.   !(). 

Lnteinische  îlymneti  dp<:  Millelnlters  ,{.]",[>.  i-j-j.  '*'   La  n  daiiphine  ».  c'est  Isabelle  de  France , 

'    Jean  -V  (i.So4-i3''i6)  :  «  Je  Irai  an  comlf  mariée  au  dauphin  de  Viennois  le  fj  mai  i3a.'). 

de  Houchi  — Chanter  ou  cul  d'une  seraine.  »  Il  est  clair  que  cette  strophe  l'ait  allusion  au\ 

Aimé  de  Savoie,  adversaire  du  dauphin  mouvements  qui  avaient  abouti,  des  mai  i3i'S, 

(iuigue.  au  couronnement  d'une  antipape  sons  les  aus- 

'*'   C'est  lii   forêt  de  .Vlormal,  prcs  de  Lan-  pices  de  l'empereui-  Louis  de  Bavière  (le  I)au- 

drecies  (Nord).  phiné  dépendait  del'lMnpire).  La  «dauphiuc'i, 

'''   Celle  »  singesse  cornue  »  s'a  j)pe!ait  Peron-  au  commencement   du  règne  de  Philippe  de 

nele  et  elle  était  la  steur  consanguine  de  Pierre  Valois,  était  en  diUicultés  avec  sa  sieur  Jeanne, 

de   Condé,   archidiacre  de   Soissoiis,    un   des  duchesse  de  Bourgogne,  au  sujet  de  la  succès- 

principaux  agents  administratifs  de  la  cour  du  sion  de  leur  mère.  \'oir  P.  Fouriiier,  Lemyaiimc 

roi.  Y,\\c  fut  élne  en    lo.'lii   et   tjouverna  deux  d'  \ilff  cl  de  Vieillir,  p.  4''<>- 

2  9 


414  WATRIQLET,   MKNESÏRFX  ET  POETE  FRANÇAIS. 

Ils  s'émerveillent  devant  un  paon  qui  fait  la  roue.  La  queue  du  paon 
étalée  est  colorée  de  huit  couleurs.  Chacun  des  hacheliers  en  adopte 
une;  Vénus  préside  à  la  distribution.  De  ces  seigneurs,  quatre  sont 
rois  et  quatre  princes.  Vénus  pense  .1  leur  faire  tenir  compagnie  par 
«  huit  filles  de  noble  atour  »,  dont  quatre  sont  reines  et  couronnées, 
et  les  autres  princesses.  Elle  a  donné  à  chacun  la  lettre  initiale  du 
nom  de  celle  quelle  lui  destine,  pour  qu'il  la  porte  sur  sa  poitrine, 
près  (\u  cœur,  au  prochain  tournoi.  Au  roi  blanc,  la  lettre  «qui  est 
la  porte»  des  autres, c'est-à-dire  sans  doute  la  lettre  A;au  roi  vert,  la 
lettre  M  .  .  . 

Cette  pièce  est  inachevée  dans  le  manuscrit  unique;  elle  devait  être 
assez  longue. 

XXIV.  La  J'este  du  cuintc  de  Flandre  (B(>D).  —  Epithalame  pour  le 
mariage  de  Marguerile,  Mlle  (hi  roi  de  f'rance,  accordée  à  «  Loys 
feniant  »,  comte  de  Flandre  et  de  Nevers,  à  Paris,  le  jour  de  la  Vlade- 
leine  i320,  en  forme  d'éloge  de  la  beauté  des  princesses  qui  paru- 
rent, ce  jour-lcà,  au  bancjuel  nuptial.  D'abord  ,  la  reine,  au  magnifique 
costume,  lorl  à  son  ais(^  sous  les  regards  de  la  foule;  la  comtesse  de 
Valois  (Mahaut,  fille  de  Cui  de  Chàtillon);  la  duchesse  de  Bourgogne 
(.leanne,  sœur  de  la  mariée);  la  comtesse  de  lieaumont,  lille  fie 
Charles  de  Valois,  femme  de  Robert  d'Artois,  comte  de  Beaumont- 
le-Roger,  âgée  de  quinze  ans,  et  charmante  vv\  sa  fleur;  une  princesse 
de  quatorze  ans,  qu'on  appelle  la  Dauphine,  et  qui  promet  beaucoup 
(Isabelle,  autre  sonii-  de  la  mariée,  ainsi  nommée  sans  doute  parce 
qu'elle  était  déjà  promise  au  dauphiti' de  Viennois,  qu'elle  épousa 
trois  ans  plus  tard);  la  lille  du  comte  d'Evreux,  âgée  de  quinz»'  ans 
i. leanne,  lille  de  Louis  d'Evreux,  qui  dovait  épouser  plus  tard 
Charles  I\  ),  si  gracieuse  que  les  gens  hésitaient  entre  elle  et  la  com- 
tesse de  Beaumont,  pour  le  prix  de  beauté;  la  comtesse  d'Aumale, 
sœur  de  Robert  d'Artois,  à  la  prestance  d'impératrice;  M"*  de  Beau- 
lort,  fort  bien  «  estofée  de  cors»  : 

Q5(i.    Dicx,  selle  eûst  a  sou  per  paire. 
Coin  la  chose  fust  avenanz"! 

'''  Scheler  a, dit-il,  longtemps  cherché,  sans  le  compagnon  de  Louis  IX,  et  son  huitième 
Y  réussir,  à  identilier  celte  dame  de  Beaulort.  entant.  Klle  avait  épousé  en  premières  noces 
—  11  s'agit  d'Alice,  lille  de  Jean  de  Joinville,         Jean    d'Arcis  et  de   Chacenai    (  i3oo),   et   en 


SKS  fXRlTS. 


'l\. 


Puis,  une  fillette  entre  douze  et  treize  ans,  fleur  d'aubépine,  rose 
de  niai,  la  comtesse  de  Daminartin  (Hippolyte  de  Poitiers,  mariée 
dès  i3i9).  Enfin  une  dame  cpii  ■<  n'ert  pas  pucelle,  mais  je  cuit  pelit 
s'en  falloit  »,  fori  bien  babillée  et  coiflée  à  la  française  : 

■i8'>..  Si  comiiif  (jrenHroil  l'tilivcioisc 
Sa  testfi  (îhascune  d'orfrois. 
Avoit  celle,  en  plus  de  .xx.  crois. 
Chapiaus  a  perles ,  a  rubi/, .  .  . 

C'était  la  fille  du  seigneur  de  Sulli,  mariée  à  Jolroi  d'Aspremonl 
(en  iSig).  Elle  aussi  elle  méritait  le  prix,  au  sentiment  de  plusieurs. 
Mais,  pourtanl,  la  rose  fut  enfin  décernée,  à  l'uuanimiié,  à  la  comtesse 
de  Beaumonl. 

XXV.  Des  trois  vertus  (BCD).  —  VVatriquet  rêve  qu'il  est  trans- 
porté en  cour  de  Rome  pour  les  noces  de  Loyauté;  le  pape  vient  dt; 
la  marier  «  aus  prelazde  Sainte  Église  ...  Les  grands  seigneurs  terriens, 
de  leur  côté,  ont  épousé  Cbarité.  Le  peuple  moyen  et  nienu  s'est 
mis  en  ménage  avec  Vérité.  C'était  un  beau  spectacle  :  on  remar- 
quait surtout  que  les  seigneuis  ne  distribuaient  plus  leur  garde-robe 
usagée  qu'aux  ménestrels  :  ménestrels  i  trouveour  de  nouviaux  dis 
et  d'estanq)ies  » ,  ménestrels  de  vielle  et  de  corde,  et  "laboureurs»; 
les  gens d'oflice,  ouvriers,  barbiers,  tailleurs,  chand^ellans,  huissiers  et 


secondes  noces,  sept  ans  plus  fard,  .Iran  de 
Lancasire,  baron  de  Beaiil'orl,  tVère  utérin 
<lf  Jeanne  ili'  Navarre,  femme  de  Philippe 
le  Bel.  Klle  était  donc,  très  aiitlienliquemenl , 
lante  de  Philippe  V  (voir  H.-Fr.  DelahoKlc  . 
Jean  de  Joinville  et  les  sriyneun  de  Joinv'dlc , 
p.  177).  Celte  dame  obllnl.  pourelle  et  pour  son 
damoiseau  Guillaume  de  Pierrelite,  en  juillet 
i3a5,  des  lettres  de  rémission  (Arch.  nat., 
.IJ  6a,  n°  386).  L'ime  et  l'autre  avaient  éti' 
conjointement  accusés  d'homicide  au  Parti-- 
ment  dés  |h  temps  de  Philippe  V  : 

Ciiiii  dilecla  el  fi<leli>  iiinita  noslra  Aelipdis, 
cliiinina  île  Belloforti ,  ut  ('•uill(?linu>  de  Pciralicla, 
ipsius  domine  domicellir-;,  In  ruria  carissimi  do- 
inini  germani  nostri  Ph .  .  .  pro  su«picione  inorlis 
Ucnrionis  de  .Sanrto  Aiidocno  dudiim,  et  de  no\(i 
dicta  domina  roram  ilili-cli'.   il    lidplilius   ;;iiilil>ii- 


mxlris  prn  iiolii^  liiiic  Parisins  presiileiilihus  pro 
suspicione  niorlis  Colini  de  Uamhlain,  burijciisis, 
ex  olTicio  fiierinl  ad  judiriinii  evocati..  .  Nos,  consi- 
deracione  amite  nostre  predicte,  qaam  be4;ni\o- 
lencia  pror-equiinur  ^peciali.  .  . 

.Alice  de  Beauforl  avait  eu,  des  i.li,'), 
d'autres  désagréments  judiciaires  dont  la  trace 
subsiste  dans  les  registres  du  Parlement  de 
Paris  (E.  Boutaric,  Actes  du  l'arlnucnl  ilr 
l'arU ,   n"  7243,  7276,  73i''.). 

En  iS/d  le  château  de  Beaui'ort  (aujour- 
d'hui Montmorency,  c  "  de  Cha\ anges.  Aube) 
était  encore  «  tenu  en  la  main  dou  m\,  pour 
certaine  cause»  (A.  Longnon,  UocumeiUs  rela- 
///,(  au  comte  de  L'Iiampaqnc  et  de  Brie,  t.  III, 
1914.  p.  358). 

L'allusion  de  Watriquel  est  obscure,  el  nous 
ne  l'eiilendons  nas  bien. 


/jlO  WATRIQLET,  MÉNESTREL  ET  POETE  KIU.\(;AIS. 

iiutres  de  cette  sorte  n'étaienl   plus  pavés  f|ireii  argent'*'.  Eloge  des 
ménestrels  : 

1  43 Riches  lioiii  toit  a  Des  «^eiililz  liomcs  soulacier. 

Oui  tost  aus  monestriex  le  don  Pour  les  vices  d'entr  eus  chaciei' 

Des  dras  viex  qu'il  doivent  avoir,  El  pour  les  bons  noucier  leur  fais, 

(lar  Diex  sens  leur  donne  itsaAoir  Poin' ce  sont  11  ménestrel  lais.  .  . 

Tout  le  monde  se  croisait  d'ailleurs  jjoiii-  allei  oulre-mer,  et  le 
Pajje  le  ])remier. —  Mallieureiisenient,  c'était  nn  rêve. 

X.XVI.  L'cscole  d'Amours  (B).  —  L'auteur  (  lainl  d'avoir  adressé 
ses  hommages  à  une  personne  de  condition  Irop  relevc'e.  Cependanl 
il  espère  encore. 

Ici  commencent  les  pièces  qui  ne  se  Irouvcnl  tpie  dans  C. 

XXVII.  De  Raison  el  de  Mesure  (G).  —  Versification,  exécutée  en 
1^24,  d'une  matière  fournie,  le  jour  de  la  Saint-Laurent,  par  un 
«prince  plein  de  charité»,  il  s'agit  de  l'art  de  recevoir  les  gens, 
principalement  à  table.  H  importe  d'éviter  les  dépenses  excessives, 
le  gaspillage,  en  mangeailles  el  huveries,  comme  on  en  voit  de  nos 
jotirs. 

XXVIII.  Du  Jol  ménestrel  (G).  —  Devoirs  du  i)on  nïénestrel  qui  lail 
M  le  biau  mestier  »  (v.  io3).  11  ne  doit  médire  de  personne.  Que  son 
maintien  soit  simple.  Qu'il  ne  se  mêlepasdes  atlairesdeson  seigneur, 
ni  d'intrigues.  «Douces  paroles  et  blaus  dis»,  voilà  tout.  «Parler  du 
«Lien,  le  mal  laisser.»  Gette  ])ièce,  quoique  courle,  offre  beaucoup 
de  redites. 

XXIX.  De/ans  et  faucille  (G).  —  Pièces  en  \ers  équivoques  sur  la 
fausseté  du  monde,  qui  «fauche»  en  «faus.sanl».  Les  vers  102  i  4 ''i 
SI'  présentent  comme  une  addition  d'un  disciple  de  Watriquet  : 

Ainsi  que  Walriquès  l'a  dit 
Dont  escolez  sui  et  apris. 

'  l.c  lexlf  lie  le  passjif,'»',  (orrecl  dans  les  inilcr  les  lu-iuulb,  U's  cliaiubeiians,  ntc,  aiu 
manuscrits  Ho  l'ArNenal  et  de  Bi-uxelles,  a  été  inénestrois  pour  la  dislribution  des  nippes, 

gauchement  ((inipé  dftns  B  de  manière  à  assi- 


SKS  KCRITS.  A 17 

XAX.  De  Tcscharhoi'e  (C).  —  Songe.  Sous  la  conduite  {l'Eiiis, 
sergent  de  dame  Fortune,  Watriquet  visite  une  cité  où  Fortune  est 
maîtresse.  Les  liabitanis  la  poursuivent  sans  cesse  et  trébuchent 
dans  des  précipices,  comme  l'escarbot,  qui  vole  dans  les  vergers, 
j)armi  les  fleurs  et  les  fruits,  et  qui  s'abat  enfin  sur  la  crotte.  Eûrs 
enseigne  au  rimeur  comment  il  faut  se  conduire  }X)ur  éviter  un  sort 
pareil. 

XXXI.  Des  .111 .  chanoincsses  de  Couloigne  [C).  —  On  ne  peut  pas 
toujours  «parler  de  sens»;  ce  serait  à  faire  préférer  le  contraire.  Il 
est  des  cas  où  une  «  truffe  »  vient  aussi  à  point  qu'un  sermon.  —  Des 
chanoinesses,  il  y  en  a  à  Mons,  à  Mnutier-sur-Sambre,  à  Nivelle  et  à 
Andaine.  Mais  il  y  en  avait  trois  à  Cologne,  forf  expertes  aux  choses 
d'amour,  et  forJ  jolies,  «  compagnes  quarrées  »,  et  qui  avaient  un  peu 
u.sé  et  abusé.  Le  poète  les  rencontre.  Elles  l'invitent  à  dîner  avec  elles 
tandis  qu'elles  sont  au  bain.  Il  leur  récite  son  d'il  De  l'escale  (l'Amours^^\ 
Elles  en  demandent  un  autre  «qui  parlast  plus  parfondenienl  de 
paroles  crasses  et  doilles  »  : 

I  /|2  .    "  Ne  \oulons  pas  choses  de  pris. 
Mais  ce  qui  miex  rire  nous  face.  » 

Il  s'exécute,  en  leur  disant  Des  .Jlf.  [dames  ef]  des  [-IIÏ-]  mosS'-l 
On  s'amuse  ensuite  à  faire  des  souhaits  plaisants.  La  première  cha- 
noinesse  souhaite  que  certain  acte,  dont  un  lecteur  pudibond  a  effacé 
l'énoncé  dans  le  manuscrit  unique  de  l'Arsenal,  fût  considéré  comme 
méritoire  et  que  Dieu  ne  s'en  courrouçât  pas.  Le  même  lecteur,  in- 
digné, a  enlevé  ensuite  tout  un  feuillet  (56  vers).  —  «Quel  est  le 
meilleur  des  trois  souhaits.^»,  demandent-elles  à  la  fin.  Watriquet 
s'excuse  en  disant  qu'il  en  remettra  la  décision  à  autrui,  et  termine 
par  des  excuses  pour  un  conte  aussi  leste;  mais,  dit-il. 

Ce  sont  risées  ponr  esliatre 

l^es  l'oys,  les  princes  et  les  contes.  .  . 

'"  Scheler  n'a  pas  s;iisi  l'allusion,  pourtant  '*'  Trois  mots  effacés  dans  le  ins.  unique.  — 

lormelle,  à  ce  dit  (v.  ii.3);  MM.  A.  de  Mon-  MM.  de  Montaiglon  et  Kaynaudaflirmenl,  dans 

laiî^lon  et  G.  Raynaud ,  non  plus.  Cf.  plus  haut,  leur  Recueil  génei  ailles  fabliaux  (t.IH,  p.  .itiy), 

n"  XXVl.  que  ce  fablian  ne  nous  est  pas  parvenu. 

iifsr.  I niÉR.  —  \\\\.  5,", 


418  WATRIOllKT.   MKXESTKEL  KT  l>()KTK  KliWÇVlS. 

XXXll.  Des  trois  daines  de  Paris  ((1  .  —  "Colins,  Haiivis,  Jeti(ts. 
Hersens''' »  contaient  jadis  des  merveilles  aux  fêtes  el  aux  xeillées.  Rn 
voici  une  qui,  récemment,  a  couru  les  rues  de  Paris.  Le  jour  des  rois 
de  iSiO  (janvier  i3'2i),  un  matin,  avant  la  grand'messe,  Margue. 
femnied'\dam  deGonesse,el  sa  nièce,  Maroie,  dirent  qu'elles  iraient 
«a  la  trippe»,  en  acheter  pour  deux  deniers.  Mais  elles  allaient  à  la 
taverne  d'un  nouveau  lavernier,  nommé  Perron  du  Terne,  quand 
elles  rencontrèrent  «dame  Tifaigne  la  coifiere'^'»  qui  leur  dit  :  .le 
i<  sais  un  endroit  où  l'on  a  du  très  bon  vin  de  rivière;  personne  ne  nous 
«v  saura;  et  l'hote  nous  fera  crédit  jusqu'à  dix  sous  à  chacune.» 
«  Allons-y  »,  dit  Margue.  C'était  la  taverne  desMaiUe/''\  Le  fils  de  Drouin 
Baillez  y  fut  avec  elles;  c'est  par  lui  que  Watriquet  a  été  informé. 
Il  leur  servil  toutes  sortes  de  bonnes  choses;  et  quinze  sous  furent 
dépensés  en  un  clin  d'oeil.  Mais  Margue  '  demande  encore  une  oie 
giasse  et  une  pleine  écuelle  d'aulx.  Drouin  y  joint,  pour  chacune,  des 
!i:âteaux  chauds  : 


Lors  coinmt'iiça  :Maigu('  a  slici- 
Et  boire  a  grandes  heiiapées. 
Eii  poi  d'eurc  eiciil  eschapées 
.111.  chopincs  parmi  sa  goifçi-. 
«  Dame,  foi  que  jiMloi  saint  Jorgi'  », 
Dist  Maroclippe ,  sa  rommere, 
«  Cis  vins  me  lait  la  hoKiche  amero 
«  Je  xeiil  avoii-  de  la  garnache. 
«  8e  vendre  dévoie  ma  vaclie 
«  S'eti  aurai  ja  au  mains  piain  pol. 
Dniin  huelia  quanqu'elle  pot 
Va  ii  dis!  :  •  Va  nous  aporter 
11  l*oui'  nos  lesles  reeonfortei' 


■1  De  la  gai  iiarlie  .ni.  chopiin'S , 
11  Kt  de  lest  revenir  ne  fines. 
11  S'aporle  gaufres  et  ouhlées. 
11  Fromage  et  amandes  pelé<'.s , 
11  Poires,  espices  et  des  nois  . 
11  Tant,  pour  florins  et  gros  tonioi^ 
"  Que  nous  en  aions  a  plenté.  « 
iAh  i  court,  et  elle  a  chanté 
Par  mignotise  .i.  chant  nouvel  ; 
11  C^omnierc,  menons  bon  revo}  ; 
Tiens  vilains  l'escol  paiera 
Qui  j(i  (In  vin  n'ensniera.  « 


La  scène  continue.  Drouin  verse 

1  oo.  i(  (îoinmerr  ,  or  en  bevons  assez.  », 
l)i>t  Maroie  a  darne  Fresens, 


'''  ..  (Ifs  noms  ilo  liouvires,  (lisent  MM.  tl<- 
«  Monlaigloii  et  Havnaud  (t.  III,  |).  .^68 )  .nenous 
Il  .<ont  pas  autromcnt  connus.»  Ce  no  sont  pas 
des  noms  de  trouvères. 

'''  Appelée  plus  loin  »  daine  Fresens  ». 

'■'■'  Il  \  a\ait  on   iSoo,  à  Paris,  dnas  la  rue 


1.  (larcestv  lus,  pour  garderie  .sens, 
1  Mieudif's  assez,  que  Ii  francois...  » 

des  Noiors,  une  taverne  «des  Maillei».  Voir  le 
Livre  de  la  taillo  pour  cette  année  (.\rcli.  iiat. , 
KK  -iSS,  fol.  397)  :  .Ernoul  des  Maille/,  t,.- 
•  vernier.  « 

''■  «Margue  Clouve»,  en  rime  avec  «oue»  , 
dite  aussi  plus  loin  (\.  li»6|  n  Mar-jui'  dlippo». 


SES  ECRITS. 


419 


— ^ ..  Cis  poclionne:«  est  li  op  petis. . . 
«  Je  lie  l'ai  fait  el  qu'essaier. 
«  Tant  f'st  bon  que  j'en  veul  encore. 
«  Or  \.'i  donc,  se  Dieus  te  secore. 
u  Druins,  raportes  en  .m.  quartes, 
«  Car  avant  que  de  ci  départes 
"  Seront  butes.  »  —  Et  cis  i  court... 
«  Puis  dona  son  pot  a  chascune. 

—  «  Conipains  bienveignant  »,distliune, 
«  Menjue  .i.  morsel,  puis  si  bois; 

"  Cilz  vous  est  mieiidres  que  d'Ervois'' 
«  Ne  c|U(;  vins  de  saint  Melion  ^'.  « 

—  '  Vtiire  assez  »,  ce  dist  Marioii. 


«  Je  le  boit  trop  plus  voientiers. 

«  Se  mes  pos  iert  plain/.  touz  entiers 

"  N'en  y  ara  assez  tost  goûte.  » 

—  '■  Hé,  que  lu  as  la  gorge  gloute  ", 

Dist  Margue'^'  Clippe,  "  bêle  nièce; 

"  Je  n'aurai  encor  en  grant  pièce 

"  But  tout  le  mien ,  mais  tout  a  trait 

«  Le  buverai  a  petit  trait, 

'<  Pour  plus  sus  la  langue  cioupii'. 

<  Entre  .11.  boires  1.  soupir 

>'  1  doit  on  faire  seulement; 

(  Si  en  dure  plus  longuement 

'■  liH  douceur  en  bouche  et  lu  fo*ve.  » 


A  niiiiuit,  elles  étaient  encore  là,  dev;iril  des  liaiiaps pleins.  Margue 
proposH  d'aller  dan.ser  dehors  : 


"  Chascune  aura  nue  la  teste 
"  Et  siruns empurés  les  cois.  " 
—  "  Dont  lairés  ci  vos  vardecors 
Dis!  Druins,  i<  de  gage  a  l'escot. 
■1  S'averez,  en  guise  d'Escot'"', 
«  Escourchie  pelice  et  cote...  >> 
Atant  chascune  a  terre  rue 


.Son  corset  et  son  chaperon. 
Escourchie  furent  li  geron 
Des  cotes  desus  la  pelice  ; 
Et  Druins  hors  de  l'uis  les  glice, 
Chantant  chascune  a  haute  vois 
Amours,  au  vircU  m'en  vois. 
Moût  parloient  de  leur  amis. 


Les  voilà  dehors,  à  la  bise  et  au  vent,  qui  trébuchent  et  qui 
tombent.  Drouin  les  suit  et  les  dépouille  de  tout  ce  qui  leur  reste  : 
cotes,  pliçons  et  chemises,  chaussures,  bourses  et  courroies. 


1  -  /( Fe  qu'en  diroif  !' 

\inssi  les  laissa  toutes  nues, 
(jisanz  au  luer  des  bestes  mues 
Vilment  et  en  divers  couvine, 
I.  une  adenz  et  l'autre  souvine, 


Tresbuchies  en  .11.  monciaus. 
Plus  emboées  que  pourciaus.  . 
La  jurent  a  mouf  grant  vilté 
L'une  sus  l'autre  comme  mortes . 


Cependant  le  jour  se  lève;  les  portes  s'ouvrent;  on  les  trouve  toutes 
sanglantes,  et  on  juge  qu'elles  sont  mortes,  assassinées.  Leurs  maris, 
qui  les  croyaient  «  en  pèlerinage  » ,  sont  informés  par  un  voisin ,  lequel 


'*  D'Arbois. 
''  Saint-Emilion. 

''  Vis.  el  édition:    \[aro(Hppe.  (!Vst  Maroie 
(|ui  est  la  nièce  de  Margue. 

*'   (,es    Kci lisais    étaient    déjà   célèbres,   en 


France,  pour  leurs jujjon.-..  «  Scotia  curta  togas  », 
(lit  Jean  de  Gailanilc  (Johannis  de  Garlandia 
De  tiiumphis  Erclesie,  éd.  Tb.  Wright.  London  , 
18.^6,  p.  61). 


/l20  ^^  ATRIQUET,  MÉNESTREL  ET  POÈTE  FRANÇAIS. 

les  avait  reconnues  «  au  cors  que  chascune  ot  tout  nut  ».  Us  accourent 
et  se  désolent.  Elles  ne  remuaient  toujours  pas,  comme  «merdes 
en  mi  la  voie  >>  ;  on  les  enterre  : 

2  2  3.  Si  furent  au  moustior  portées  Hors  leur  sailloit  par  les  gencives 

Des  Innocens,  cl  enterrées  Li  vins,  et  par  tou/  les  conduis. 

L'une  sus  l'autre,  toutes  vives. 

Elles  se  réveillent  à  minuit,  en  plein  charnier,  el  ce  n'est  pas  sans 
])eine  qu'elles  se  dégagent  de  la  terre  et  franchissent  les  portes  des 
Innocents. 

2  0Ô  .    Mout  crent  ordes  et  puaiis  , 
Si  cou  gens  povies  ou  truaiis 
Qui  se  couchent  par  ces  ruelles .  .  . 

Elles  trébiicliaieiil  encore. 

•i43.  Souvent  les  oissiez  lîuctiier  :  «  l'it  .i.  pol  tieviii,  du  plus  fort, 

»  Druin,  Druin,  où  es  alez.3  «'  Pour  faire  a  nos  testes  confort .  .  . 

«  Aporte  .111.  harens  salez  «  lît  si  clorras  la  grant  feneslre.  » 

Le  froid  les  fait  enfin  pâmer  sur  plac<'.  Dans  quel  état! 

N'orent  bouche,  oil,  ne  nés  ne  lace 
Qui  ne  fust  de  boe  couvers, 
F.t  tinites  chargïes  de  vers.  .  . 

On  les  retrouve  au  soleil  levanl,  comme  la  veille,  à  la  stupéfaction 
de  l'homme  qui  les  avail  enterrées  : 

■>-jli.  «  Oies,  seigneur,  pour  Dieu  merci ,  ,.  Elles  onl  les  deabics  es  cors.  .  . 

"  Comment  sont  eles  revenues?  «  Comme  elles  sont  de  vers  chargies, 

«  En  terre  les  mis  toutes  nues ,  «  Enterrées  el  demengies, 

«  L'une  seur  l'autre,  en  une  fosse.  «  liCs  cors  noirs  et  delapidés! .  .  . 

a  Foi  que  je  doi  au  cors  s.iint  Jossc ,  "  Toiiz  li  cuers  du  venirc  m'en  tremble.  » 

Les  gens  parlaient  encore  entre  eu\  quand  dame  Tifaigne  revint 
à  elle  :  «  Druin ,  raportez-nous  a  boire  !  » ,  s'écrie-t-elle. 

«  Et  moi  aussi  »,  dist  Margue  Clippe,  S'en  va  chascune  a  son  reluit  ; 

«  Je  veut  de  la  nouvelc  tripe.  »       ^  El  chascuns  de  pauur  s'enfuit 

—  Ainsi  sont  jelevées  toutes ,  Qui  cuident  ce  soient  MaufFcz 
Dessivres ,  felcs  et  estoutes. 


SES  ÉCUnS.  421 

XXXIII.  Des  sepi  vertus  (E).  —  Les  sept  vertus  sont  Charité, 
Loyauté,  Patience,  Humilité,  Miséricorde,  Vérité,  Abstinence.  Cette 
pièce  est  la  seule  qui  ne  soit  pas  dans  l'édition  Scheler.  Ci.  n"  XXV. 

\^  atriquct  a  la  leputatioii  d'un  rinieur  médiocre  '■.  Il  a  été,  du 
reste,  très  peu  lu  depuis  les  premiers  Valois,  même  par  les  érudils. 

Or  il  a  sans  doute,  pour  la  postérité,  le  défaut  de  s'être  trop  fidèle- 
ment conformé  à  la  inanie  allégorique  et  au  goût  déplorable  de  son 
temps  pour  les  jeux  de  rimes  équivoques.  Les  ])iéces  de  lui  qui  onl 
eu  le  plus  de  succès,  comme  La  nois  (la  seule  (pii  ligure  dans  tous  les 
recueils  manuscrits  de  ses  œuvres),  et  auxquelles  il  tenail  sans  doute 
le  plus,  n'ont  de  valeur  que  parce  qu'elles  sont  maintenant  excel- 
lemment typiques  d(>  ces  anciennes  modes,  aujourd'hui  ridicules.  De 
plus,  il  était  inégal.  Mais  il  avait  de  la  facilité  el ,  scmble-t-il,  ce  don 
indéfinissable,  et  si  rare,  qu'est  un  fempéramcnl  d'artiste.  Des  trente- 
trois  ])iéces  dont  se  com])0se  son  œuvre  connue  (dont  deux  mutilées, 
n'"  X\ni  et  XXXI),  plusieurs  sont  encore  très  agréables  :  dans  le 
genre  grave,  les  n°'  X,  XII,  XVIII;  dans  le  genre  gai  (mais  avec 
(pielque  chose  de  vif,  de  fort  et  de  lugubre  à  la  Villon,  à  la  vérité 
sans  l'accent  profond  de  cet  incomparable  génie),  le  n"  XXXII. 
Les  Trois  dames  de  Paris  [n°  \XXII)  sont  peut-être  la  ])erle  du  Recueil 
(jénéral  el  complet  des  fabliaux  de  MM.  A.  de  Monlaiglon  elG.  Haynaud. 
—  Tout  mis  en  balance,  on  ne  voit  personne,  sauf  son  compatriote 
Jean  deCondé.  à  lui  comparer  pendant  le  second  quart  du  MX"  siècle. 

CL. 


JEAN   DE  CONDE, 

Mlh'KSTRKL   ET   POÈTE  FKANCVIS. 


Jean  de  Condé  ressemble  à  Watriquet  comme  un  frère.  Du  même 
pays  et  de  la  même  confrérie,  contemporains,  disciples  el  représen- 

'''  Noiitcs  et  ealroiis  des  iiuiniiscrils,  t.  XXXIII,  i"  |>. ,  |).  8c(. 


422         JEAN  DE  COiNDK,   MÉNESTREL  ET  POÈTE  KHANÇAIS. 

tants  (Je  la  même  tradition,  la  majeure  partie  du  bagage  littéraire  de 
ces  deux  hommes  est  presque  interchangeable.  C'est  encore  un  trait 
commun  que  la  postérité  ne  les  connaît  guère  l'un  et  l'autre  que  par 
leurs  propres  œuvres,  dont  quelques  recueils  ont  été  conservés 
par  hasard. 

On  connaît  quatre  recueils  d'écrits  de  Jean  de  (Jonde'*'  : 

A.  Bihl.  liât.,  Ir.  i  lilx6.  Les  Dits  df  Baudouin  de  Condé  sont  suivis  danj>  Cf 
n)anuscrit,  qui  contient  encore  d'autres  œuvres,  de  Sg  dits  expressément  attribués 
pour  la  plupart  h  Jean  de  Coudé.  Mutilé  en  divers  endroits.  T.ettres  historiées. 
xiv°  siècle. 

B.  Arsenal,  n"  3.Sj/j.  \prt's  les  Dits  de  Baudouin  de  Oondé  (fol.  i-.")o)  :  «Ci 
"  commencent  aucun  des  dis  Jelian  de  Condeit  qui  sont  bon  et  profitable  a  oïr,  car 
«  moult  y  a  de  bons  exemples  pour  le  gouvernement  de  touz  ceulz  qui  a  bien  voul- 
»  droient  venir.  »  Uni'  miniature  initiale  (loi.  .)i).  Ce  manuscrit  du  xiv"  siècle  contient 
les  mêmes  pièces  que  le  précédent  et  onze  de  plus. 

t\.  Home,  Biblioteca  Casanatense,  B  ill  18.  A  la  suite  du  liomaii  de  la  Rost;, 
S"]  dit»,  dont  ai  formellement  attribués  à  Jean  de  Condé  et  1  à  Jean  de  Bateri. 
Hecueil  qui  semble  inachevé  el  cpii  ii'ollre  avec  les  précédents  «pie  i  1  pièces  com- 
munes (7  qui  sont  dans  A  et  B,  et  4  dans  B  seul).  Ce  manuscrit  a  été  e.vécuté 
après  juin  i33-,  puisqu'il  contient  la  pièce  n°  XXXII  de  firuvre  de  Jean  de  Condé 
(voir  plus  loin). 

T.  r>ibliolhèque  de  l'llni\(Tsilé  de  Turin.  L.  I.  i.S.  Manuscrit  <lu  xiv'  siècle, 
1res  giaveinent  endommagé  dans  l'incendie  de   190/1. 

Eu  1867,  A.  Scheler  a  publié  à  Bruxelles,  en  trois  volumes,  les  Dits 
et  contes  de  Baudoinv  de  Condé  et  de  son  fils  Jean  de  Condé  (les  tomes  11 
ef  III  n'intéressent  que  .leaii  de  Condé).  Dans  la  préface  de  <"ette  édi- 
tion, qui  est  satislaisanle*"',  il  a  éniiniéré  avec  soin  les  travaux  dont 
des  fragments  de  l'œuvre  de  Jean  avaient  été  antérieurenient  Tobjel'  ''. 

''  (Iharli's  V,  qui  avait  dans  sa  bibliothè<]UL'  «occupe  dans  le  toine  XXIII  de  ['Histoire  litlé- 

jjlusiturs  eiemplaires  lie  Watriijuel  et  un  de  «ruire  de  lu  France,  qui  parut  en  iS.'iô,  si  ce 

Baudouin   de    (londé   (le  nis.   fr.    it>.'}4  de   la  ■' n'est,  paiiui  le?  auteurs  de  lalili.tux  du  \ni' siè- 

Bibl.  nat.) ,  n'en  avait  pas  de  Jean.  «de,  une  simple  mention  de  trois   morcenux 

'''  Cf.  les  observations  de  Liltré  dans  trois  "de  .lean  » .  alors    cjue   «le    m^me    manuscrit 

articles  du  Journal  des  Savants  de   1868.  «de  Paris  (Ai,  cité  à  propos  de  Baudouin  de 

^'   Il  n'a  omis  d'indiquer  (jue  la  notiee  iné-  «Condé,   qui    fait    l'objet   d'une  ample  notice 

dite  sur  Jean  de  Condé,  pai  E.  de  Barbazan,  «dans  la   partie  du   même   volurne    consacrée 

qai  est  dans  le  ms.  7079  de  l'Arsenal  (p.  i  1).  «aux  Dits,  renferme  39  pièces  de  son  filsi.Nos 

A.  S<heler  s'est  dit  surpris  (t.  II,  p.  vni;  de  prrdéresseurs  ,  <|ui  ont  traité  du  p-re  au  tome 

«ne  rien  trouver  sur  le  personnage  qui  nous  XXIII,   se   reservaient  évidemment  de  parler 


s\  VIE.  kr.i 

Notons  seulement  ici  que  les  érudits  français  et  belges,  jusqu'au 
milieu  du  xix*"  siècle,  n'ont  connu  que  les  manuscrits  A  et  B.  C'est 
Ad.  Tobler  qui  utilisa  le  premiei',  en  1869,  le  recueil  conserv*'  à 
Rome.  La  découverte  du  recueil  de  Turin  est  due  à  \.  Scheler  lui- 
même  (1866).  Ce  savant  fut  ainsi  en  mesure  de  grouper  l'œuvre 
entière  de  Jean,  d'après  toutes  les  sources  accessibles;  à  son  comptt;, 
elle  ne  comprend  pas  moins  de  soixaiite-cjuinze  pièces,  (.omme  ces 
pièces  ont  été  citées  partout,  depuis,  sous  les  miméros  qu'il  leur  a 
rlonnés,  nous  avons  cru  devoir,  ici,  suivre  l'ordre  qu'il  a  adoj^té, 
(juoique  cet  ordre  ne  soil  pas,  peut-être,  le  meilleur  possible'"'. 

Deux  remarques  sont  d'ailleurs  à  faire  au  sujet  du  corpus  foimc  par 
A.  Scheler  à  l'aide  des  quatre  recueils  manuscrits,  partiels. 

1°  On  peut  se  demander,  avec  Scheler  (|).  xv),  si  l'attribution  à 
.lean  de  Condé  est  absolument  certaine  pour  les  soixante-quinze  pièces 
.que  l'éditeur  a  rassemblées.  En  eflét ,  de  ces  soixante-quinze,  «il  n'y 
"  en  a  que  trente-neuf  dans  lesquelles  le  nom  de  l'auteur  soit  explici- 
<  tement  énoncé  ».  1  Ce  (pii  nous  a  fait  accueillir  les  trente-six  autres  », 
dit  Scheler,  «  c'est  tout  sinq)lement  la  circonstance  qu'elles  se  trouvent 
"  mêlées  à  d'autres  pièces  cpii  portent  le  nom  de  Jean  (comme  dans  R) 
M)u  renfermées  dans  un  recueil  exclusivement  consacré,  d'après  un 
«  intitulé  contemporain  du  manuscrit  (B),  aux  poésies  du  père  d'abord 
"  et  du  fds  ensuite.  Cette  circonstance,  combinée  avec  le  fait  (ni'aucun 
"  motif  intrinsèque  ne  s'y  opposait  et  que  toutes  les  pièces  ont  une 
"  physionomie  générale  commune,  nous  a  sendilé  suffisante  ])our  jns- 
'<  tifier  notre  procédé.  » 

Jean  de  Condé  avait  l'habitude  de  mentionner  son  nom  dans  ses 
écrits  (au  commencement  ou  à  la  lin),  puisqu'il  en  a  ainsi  signé  jus- 
qu'à trente-neuf.  D'autre  part,  on  peut  tenir  pour  assuré  qu'il  ne  signait 
pas  toujours,  liuisqu'il  n'a  ])as  signé  les  pièces  anonymes  du  manu- 
scrit B,  recueil  qui  parait  avoir  été  formé  dans  les  mêmes  conditions 
que  ceux  de  Watriquet ,  c'est-à-dire  sous  la  surveillance  de  l'auteur  en 
personne.  Un  doute  ne  saurait  subsister,  par  conséquent ,  que  pour 

du  fils  à  M  place  dans  l'ordre  chronologique,  complet  des  fabliaux  de  MM.  A.  de  Montaigton 

sans  prévoir,  sans  doute,  que  son  four  n'arrive  et  G.  Raynaud  (Paris,  i883),  t.  III  et  IV.  Et 

rait  qu'au  tome  WXV,  soixante  ans  plus  tard.  il  a  paru  une  dissertation  de  J.  Wiegand  (Jean 

'"'   Depuis  l'édition  de  Scheler,  les  pièces  de  de    Condé.     Liternrhistorische    Stadie.    Borna - 

Jean  de  Condé  qui  ont  le  caractère  de  fabliaux  Leipzig,  191 'il  qui  n'ajoute  rien  h  ce  fpie  Ion 

ont  été  réimprimées  dan*  le  Brcnril  iicnéial  ri  savail. 


'i24         Jî'AN  UE  CONDK,  MÉNESTREL  ET  TOÈTE  l'UANÇAIS. 

les  pièces  non  signées  de  A ,  do  R  ou  de  T  qui  ne  sont  pas  dans  B 
(il  n'y  en  a  que  dix,  toutes  dans  R).  Mais  ce  doute  est  très  léger,  car 
la  langue  et  le  style  des  pièces  subjudice  et  des  pièces  signées  ne  dii- 
fèrent  nullement.  Les  conclusions  de  Scheler  sont  donc  légitimes'". 
Toutefois,  avec  les  dits  qui  ont  été  —  tous,  sauf  celui-là  —  attri- 
bués d'office  à  Jean  de  Coudé,  il  eu  est  un,  dans  le  ms.  R,  le  Dis  des 
.VIII.  blasons ,  doni  l'auteur  certain,  Jean  de  lialeri,  écrivait  après  la 
bataille  de  Créci  en  i346;  il  y  a  là  une  invitation  à  la  prudencr. 
Nous  avons  donc  marqué  plus  loin  d'un  astérisque  les  œuvres  signées, 
pour  les  distinguer  de  celles  qui  ne  le  sont  pas. 

2"  Il  est  certain  (jue  nous  ne  possédons  pas  tous  les  ('crits  de  Jean 
de  Condé,  car  dans  Li  dis  d'Entendemenl^-\  l'auteur  s'adressant  à  «  Mii- 
«  tendement  »  personnifié,  lui  dit  : 

3^.    C'est  vous,  sire,  pins  n'en  convient  Et  au  besoing  nieslier  m'cûstes 

Parler,  carniout  bien  m'en  souvient,  La  ou  iere  si  entrepris 

Des  fors  assaus  et  des  claniors  Que  Désirs  mot  lacic  et  pris  ; 

Que  fistes  au  Chastel  d'amors  Mais  de.  ses  mains  me  delivrastes. 
Ou  en  ma  compagnie  fustes. 

Or,  .lean  de  Condé  ne  s'est  représenté,  dans  aucune  des  pièces  de 
lui  qui  sont  connues,  comme  secouru  j)ar  Entendement  contre  Désir 
au  n  Cbastel  d'amors  »  '^'.  Cette  allusion  vient  à  l'appui  de  la  conjecture, 
très  probable  a  priori,  qu'il  a  existé  jadis  d'autres  recueils  des  écrits 
de  Jean  de  Condé,  plus  ou  moins  différents  de  ceux  (pie  nous  con- 
naissons, comme  ceux  rpie  nous  connaissons  diffèrent  entre  eux. 

Que  Jean  de  Condé  ait  été  le  fils  de  ce  Baudouin  de  Condé,  (jui 
s'est  si  joliment  décrit  bii-mème,  au  physique  et  au  ujoral,  dans  sou 

''  Scheler  a  remar([ué  qu'.'iucuiie  (les  pièces  P.   Mcyer  dans   la   Roninitid ,    I.   Xill   (i88/i), 

•  légères»,  dont  le  ton  contraste  nvec  celui  des  p.  bn\,  ni  avec  le  Cluislel  d'amors  en  provençal, 

autres    (n°'    XIV,    XV,   XXX,  LVIl,    LXXIl)  |)ublié    par    Vnl.  ïlioni.is  dans  les /tniiu/»'  ilii 

n'est  sipnée.  Mais,  il  no  s'est  pas  arrêté  à  cette  Midi,  t.  I"  (  1 889  ) ,  p.  1  go.  Cette  allégorie  était 

circonstance.  \\cc  raison,  car  LVII  et  LXXII  alors  un  lieu  commun  de  la  littérature  ;  dans  un 

sont  dans  B,  et  XIV,   XV    et  XXX   sont   é\i-  compte  de  •  draps  français  historiée  »  achetés  à 

drinmcnt  dn  même  auteur  que  ces  dcDX-là.  Perpignan.cn  io56,  on  lit  :    «  Pannum  Parisii 

'"  Exlition  Scheler,  III,  p.  5o.  «  delana,  istoriatumcuni  istoriaCastri  Ampris» 

'    La     pièce     de     Jean     sur     le    1  (]hnstcl  (  V.  Riibio  \  Llucli,    Document  per  l'hislorin  de 

d'amors»,  qui    parait   perdue,    n'avait   aucun  la  Ciiltma  cntalana   mirj-cvtd,  l.  l".  Barnloiiii , 

rapport    a\er   le    (liaslel  d'amour    public   par  it)o8,p.  171). 


S\  \IK.  425 

«lil  Des  liliaas,  cl  dont  nos  piédécesseurs  ont  analysé  les  ouvrafj^es 
au  tome  \X11I  de  YHisloirc  Utléraire  (p.  267-'.<82),  c'est  ce  (|ue  Jean 
déclare  expressément  dans  son  dit  J)oii  lévrier''^''  : 

;^8.   Fius  fui  Baidcin  de  Condk.  Aucune  teche  de  mon  père 

S'est  hien  raisons  k'en  moi  apeic  Et  .1.  petitet  de  son  sens.  .  . 

Baudouin  était  de  Condé-sur-l'Escaut,  près  de  Valenciennes.  Rap- 
pelons (pi'il  était  ménestrel;  (pi'il  j^agna  sa  vie  dans  les  cours  sei- 
gneuriales du  Nord,  notamment  à  celle  de  Flandre,  au  temps  de 
la  comtesse  Marguerite,  la  «Noire  Dame»  (t  i<8o),  et  qu'il  mourut 
certainement  après  la  seconde  croisade  de  Louis  IX '^^ 

Son  lils  Jean  naquit  sans  doute  dans  le  dernier  quart  du  xiii"  siècle. 
La  ]iremière  pièce  datée  (pi'on  ait  de  lui  (n°  LV)  a  été  écrite  peu 
d(>  temps  après  la  mort  subite  d<!  l'empereur  Henri  Vil  (i3i3).  La 
seconde  (n"  LXVIII)  est  de  i3i5,  peu  de  temps  après  l'exécution 
d'Lnguerran  de  Marigni  (3o  avril).  Il  écrivait  encore  vingt-deux  ans 
plus  tard,  ])uisqu'il  a  lait  r»''log(>  funèbre  du  comte  Guillaume  de  llai- 
naut,  mort  le  7  juin  1  3^7  in"  XXXII).  (le  comte  Guillaume  a\ail  dé 
son  l)on  maître  :  ■ 

I  62.    l'artuiit  ierl  de  lui  rainenibranre  De  son  maisnagf,  et  qui  vii'Stoif 

Ou  cils  dis  mis  ierl  en  iccoii.  t)es  robes  de  ses  escuyers. 

Si  a  au  faire  mis  accort  l^i  gentieus  quens  des  Hainnuiers 

.[kih\s  ok  CoNnir  ,  qui  esloil  l^ui  a  dou  sien  donné  maint  don'^'. 

Il  ne  laissa  pas  d'ailleurs  de  travailler  de  son  métier,  comme  son 
père  et  Watriquet,  dans  d'autres  cours  princières  : 

.  .  .Biausmos  tinieve  et  les  raconte,  Kn  mesons,  en  sales,  en  cours 

Dis  et  contes ,  et  Ions  et  cours.  Des  grans  seigneurs,  vers  oui  ge  vois...'"'. 

Voilà  tout  ce  (pie  l'on  sait  de  sa  carrière'^*.  Son  caractère,  en  re- 
vanche, est  assez  accusé.  Mais  puisqu'il  ressort  de  son  œuvre,  faisons 
d'abord,  en  peu  de  mots,  l'inventaire  de  celle-ci. 

"  Éd.  Scheler,  I.  II,  p.  .^o4.  "'  Ibid. ,  v.  a48  cl  suiv.  CI.  n°  L\XV,  v.  i5: 

'"'  Voir  le  tome  1"  de»  Dits  et  contes.  ...  de  «  Dirai  exemples,  dis  <'t  contes  —  Par  devant 

A.  Scheler,  consacré  à  Kaudouia  de  Condé,  qui  a  «princes,  dus  et  contes.  » 

para  dix  ans  après  l'article  de  17/ i<(oiVe /iV/ecni'rc.  <"'  Dans  les  comptes  de  rhôtel  des  cofutc!. 

'^'  Cr.  n°  LXVI,   V.   ;!47  :   «'Si  siii  do  mo-  de  liainaiit  et  de  Hollande,  cons<'rvés  à  Lille, 

«  nostrcx  el  conte.  »  .lean  de  Condé  est  cité  plusieurs  fois  pour  avoir 

lusr.  i.iTTF.n.  —  xxxv.  5'i 


'42(5    JEAN  DE  GOM)É,  MENESTUEI-  El'  POETE  KK  \NÇ \IS. 

*1.  Li  lays  dou  blanc  chevalier  (T).  —  Entre  Lorraine  et  Bom-- 
gogne,  il  y  avait  une  fois  un  riche  chevalier  banneret,  nommé  Ferri 
de  Launoi.  H  ne  s'était  point  soucié  de  se  marier  en  sa  jeunesse,  (lors- 
qu'il fut  âgé  et  n'alla  plus  que  peu  aux  armes,  voisins  et  parents  le 
blâmaient  plus  que  jamais  de  n'avoir  pas  d'héritiers  de  son  corps.  Il 
épousa  enfin  la  fille,  courtoise  et  sage,  d'un  écuyer  des  environs  qui 
était  bon  gentilhomme;  elle  s'appelait  Elissens.  C'était  un  mariage 
disproportionné  :  «Plus  prisa  bonté  que  riquechc  "  (v.  87).  Elissens, 
qu'on  appelait  «la  bielle  dame»,  eut  d'abord,  après  son  mariage, 
comme  demoiselle  de  compagnie,  une  personne  de  bon  conseil;  mais 
la  mort  l'en  piiva  et  celle  qui  fut  appelée  à  la  place  de  la  défunte  ne 
la  valait  pas,  tant  s'en  faut.  Elle  dit  un  jour,  en  considérant  sa  maî- 
tresse : 

206.    .  .  .  «  Se  ja  [)iex  bien  me  taclu'  Car  messircs  est  mais  vielz  hom. 

Et  sekeure  lame  de  mi ,  Po  ara  on  lui  de  solas  ; 

A  tel  daine  afftrroit  ami  Tos  sera  recreans  et  las 

.1.  preu  et  vaillant  bacheler  De  jone  dame  a  donoyer.     .  » 

K.i  seùsl  son  iestre  celer  —  "  Taisiés,  dist  elle,  bielle  suer  ; 

Et  fust  biaus  et  nés  et  sachans  Se  je  metoie  ailleurs  mon  cuer 

Et  deduisans  et  solachans .  .  .  Trop  seroic  el  fausse  et  mau- 
Neja  n'en  fériés  a  blasmer.  .  .  [vaise.  .  .  » 

La  corruptrice  réussit  pourtant  à  «  mettre  la  puce  à  l'oreille  »  de  la 
dame,  à  la  «  mettre  en  convoitise  de  faire  ami  »  [v.  '.i8'.>.). 

La  saison  des  tournois  revint.  Des  chevaliers  qui  se  rendaient  à 
une  fête  de  ce  genre,  annoncée  aux  marches  de  Lorraine  et  de  Bour- 
gogne, et  qui  connaissaient  Ferri  de  Launoi ,  furent  hébergés  chez  lui 
en  passant.  L'un  d'eux  était  un  bachelier  de  très  bonne  mine,  jeune, 
hardi,  vigoureux,  «  cantans  et  de  vie  envoisie  ••  (v.  SsS).  «  Eùreuse  qui 
l'amera»,  risqua  le  soir  la  chambrière.  Mais  la  dame  déclare  qu'elle 
est  décidée  à  ne  s'abandonner  cpiau  vainqueur  du  prochain  tournoi. 

reçu   di'3   gratilications    «au   rommandement  «  l'an  XXXI  jusques  an  diemence  après  le  jour 

•  Medame  »  :   lo  i.  le  17  juin  iSaG  (Arch.  du  •  des  Roys  l'an     \\\I»  (B  3376,  fol.   ao  v*)  : 

Nord,  B.'')!7.'i,  foi.  35  v°);  24  s.   le    i5  avril  «  Le  jour  dou   Nopi,  donné  as  .11.    ménestrels 

i3'27  [Ibidem,  H  3j7i,  fol.  a8  v°l  :  «le  mei-  >  par  Jehan  le  Ménestrel,  ix  ».  ixd...  Le  jour 

"  quedy    après   Pasqnes  a   Jehan  de   Condel,  «des    Innocens,  a  Jehan    le    Ménestrel   piur 

"  donné  par  Medame,  a  Middelhour. . .  ».  Voir  «  aller  à  Nideke,  i.w  s.  ».  —  .\.  Scheler  n'a  pas 

aussi  les  «  Comptes  Goberl  le  Clerc  des  forain-  connu  ces  te.xtes,   qui   nous  ont  été   signalé» 

»  nés     parties     délivrées     au    commandement  par  M.  l'archiviste  Bruchet. 
"  Medame,  dou  diemence  après  les  .III.  liov» 


SES  ÉCRITS.  427 

Celte  conlldencc  est  aussitôt  rapportée  au  beau  bachelier  par  celle 
(jui  l'a  reçue  et  que  l'auteur  n'hésite  point  à  nommer,  précisément, 
.(la  niaqueiielle  »  (v.  38 1).  Il  en  est,  naturellement,  lort  ému  : 

406.   Dont  amours  a  ce  cop  h-  prcnl  Que  rose  en  may  la  matinée; 

Si  qu'il  lui  samblo  que  tout  aide  ;  Ne  puet  de  11  ses  yelz  tourner.  .  . 

Et  la  dame  a  ce  cop  regarde  Con  oistoirs  ki  par  tain  oisielle. 
Qui  plus  estoit  enluminée 

Il  annonce  qu'il  saura  mériter  une  si  belle  récompense  et  qu'il 
portera  au  tournoi  des  armes  parlantes,  d'arfjjent. 

Cependant,  le  bon  Ferri  de  Launoi  avait  surpris  cette  conversation 
dans  l'embrasure  d'une  fenêtre  et  en  prévit  les  conséquences;  mais  il 
dissimida,  car  il  était  fort  saye.  Même,  il  <  hucha  »  un  ménestrel  qu'il 
avait,  pour  jouer  un  air  de  danse,  et  mena  lui-même  la  tresque  afin 
([u'on  ne  se  doutât  de  rien.  Epices  et  vins  sont  apportés,  et  on  prend 
congé,  car  les  chevaliers  de  passage  devaient,  le  lendemain  matin, 
continuer  leur  chemin. 

Le  bon  Ferri  a  résolu  d'aller  au  tournoi  lui-même.  Il  donne  à  sa 
femme  un  prétexte  pour  justifier  son  absence,  que  la  chambrière 
attribue  charitablement  au  désir  de  ne  pas  renouveler  à  d'autres  pas- 
sants l'hospitalité  qu'il  a  accordée  la  veille  : 

■)\^.   "  Dame  ,  il  s'en  va  par  avarisse ...  Li  hons  quant  a  vielleche  vient. 

Cli'est  de  vie!  homme  la  coustume.  Il  est  ja  d'avarisse  peins. 

Rihoteus  et  plains  d'amertume  Faites  ami,  bien  en  est  poins, 

Et  avarissieiis  devient  Ki  lestes  en  vostre  jouvent.  .  .  » 

H  arrive,  le  .soir,  à  Verdun,  et  se  procure  chez  son  hôte  un  cheval 
blanc,  tout  harnaché  de  blanc;  deux  de  ses  cousins,  qu'il  a  mandés, 
l'accompagneront  au  combat,  qui  doit  avoir  lieu  hors  de  la  cité  de 
Toul,  en  présence  des  ducs  de  Bourgogne  et  de  Lorraine,  entre  les 
Français,  les  Normands,  les  Angevins,  les  Anglais,  les  Bretons,  ceux 
du  Poitou,  du  Pontieu  et  de  Vermandois,  de  Champagne  et  d'Artois, 
d'une  part,  contre  les  Lorrains,  les  Allemands,  les  Alsaciens,  les  Fla- 
mands, les.  Hennuyers,  les  Brabançons  elles  «HuyersM  [Ripaarii) 
d'autre  part.  Douze  cents  chevaliers  de  part  et  d'autre. 

Le  «blanc  chevalier»  entre  en  lice,  avec  ses  deux  cousins  qui 
avaient  mis  chacun  «un  fol  visage»   (un  masque)   pour  n'être  pas 


'1^8  M:\\  de  CONDÉ,  MENESTHKL  Kl'  l'OETE   KR  ANC  VIS. 

reconnus.  H  s'aflresse  d'abord  à  son  rival,  (jui,  comme  celui-ci  l'avait 
dit  à  la  chambrière,  avait  adopté  pour  la  circonstance  des  armes  nou- 
velles :  d'azur,  à  rossignols  d'argent,  avec  un  chef  de  femme  du 
même.  Les  dames  et  les  demoiselles,  assises  «en  un  tertre»  j)our 
regarder  la  bataille,  approuvent  ceux  (|ui  font  bien  et,  de  ceux  qui 
font  mal,  "  rigolent»  (v.  ^()^)■  On  remarque  beaucoup  le  blanc  che- 
valier. Mais  nul  ne  sait  qui  c'est.  Les  hérauts  encouragent  son  adver- 
saire, qu'ils  connaissent.  L'amoureux  aux  arniesde  circonstance  n'en 
faiblit  pas  moins,  et  ses  écuyers  remmènent  ])Our  lui  ôter  son  heaume, 
le  rafraîchir  et  le  reposer.  Gela  fait,  le  blanc  chevalier  rentre  dans  la 
mêlée,  abat  le  duc  de  Bourgogne,  et,  comme  l'amoureux,  remis  de 
la  première  passe,  s'attaque  de  nouveau  aux  Hennuyers,  il  le  fait 
flancher  une  seconde  fois,  ainsi  que  plus  de  vingt  autres  che\ali('rs 
et  deux  comtes.  Après  être  venu  une  troisième  lois  à  bout  de  son  rival 
obstiné,  il  est  proclamé  vainqueur  du  tournoi. 

La  chambrière  s'était  rendue  secrètement  àToul;  s'étant  fait  ensei- 
gner l'hôtel  du  vainqueur  au  blanc  harnois,  elle  y  va  avec  les  présents 
symboliques  du  don  d'elle-même  naguère  promis  par  sa  maîtresse. 
Son  maître,  qui  l'a  vue  venir,  et  qui  s'attend  à  cette  visite,  la  reçoit 
dans  son  lit,  le  visage  couvert  et  la  voix  déguisée.  t 

!iiyi."Sirc,  lait  «Ile.  Cl'  jjnst  iit  (llicst  la  pluj-biillc  ctla  piusnobic 

De  par  iiia  dame  vous  piTsrnt  ;  ki  soit  jusqu  iii  (ionstantiiioblc 

Capicl.  cliainturc  et  auinosiiii  i'  Et  t-n  rui  a  plus  d'esbanoi. 

Vous  tnvoie  par  tel  manière  I^a  biidle  dame  de  1'  \unoi 

C'o  les joyalz  sanioui'  vous  donne  Est  nommée,  et  li  siens  maris 

Et  cuer  et  eors  \ous  abandonne.  Est  nonmics  iiiesires  l'"erris.  .  .  n 

Le  sage  l'erri  remercie,  fait  donner  dix  livres  à  la  messagère  ravie, 
et  la  renvoie  sans  avoir  dit  son  nom  et  sans  avoir  été  reconnu.  Après 
avoir  fait  cadeau  à  ses  cousins  des  chevaux  et  des  harnais  gagnés  au 
tournoi  (ils  refusent  d'abord,  car  ils  ne  l'ont  ])as  "  servi  pour  avoir  " 
et  après  avoir  fait  distribuer,  pour  boire,  vingt  livres  aux  ménestrels, 
et  autant  aux  hérauts,  par  son  hôte  de  Verdun,  il  retoui-ne  enfin  chez 
lui,  dans  le  très  petit  appareil  qu'il  avait  adopté  au  dé])art. 

i'.s66.  A  la  porte  s'en  vient  li  sire.  [lent.  Si  con  il  iert  acoustumés.      [clii, 

Son  portier  huche  et  chieus  l'on-  —  "  Sire,  fait  il,  pour  Dieu  mier- 

La  porte  of'vre ,  plus  n'i  atent ,  Comment  revenés  ensi  clii .' .. 
Puis  crie  :  n  Muirés,  alumés!  « 


SB:S  KCRIIS.  429 

Pour  expliquer  à  sa  femme  ses  blessures,  il  dit  que  son  roncin  l'a 
désarçonné  au  passage  du  ponceau  :  t'était  un  très  mauvais  cheval. 

1  290.  La  darat"  disl  :  «  (l'isl  a  bdii  droit  ;  V  si  riche  homnie  coni  vous  iestos 

Comment  poés  ensi  alcri'  Est  tels  maintiens  moult  dostiou- 

On  n'en  doit  en  nul  bien  parler.  [ncstes.  » 

Le  mari  accepte  patiemment  la  réprimande.  H  se  repose,  se  baigne, 
se  ventouse;  après  quoi,  il  convoque  tous  ses  amis,  les  siens  et  ceux 
de  sa  femme. 

Grande  fête  au  château,  comme  si  c'était  une  noce.  Le  «chevalier 
«  de  Launoi  »  sert  lui-même  aux  tables,  le  visage  épanoui,  en  arborant 
ostensiblement  les  jovaux.  la  ceinture,  l'aumonière  et  le  chapeau 
qu'il  a  reçus  après  le  tournoi.  Rt  il  chante,  «au  premier  mes»,  1res 
haut,  d'un  air  de  défi  : 

I  3(i8.  «  Puis(iue  mu  dame  a  fait  ami 
Il  afierl  liien  (f m' fâche  amie.  » 

La  dame  et  la  chambrière,  (pii  ont  compris,  se  regardent,  conlon- 
dues.  Le  lendemain,  n  ayant  retenu  chez  lui  que  les  amis  et  les  pa- 
rents de  sa  femme,  le  bon  mari  leur  dit  tout,  et  conclut  : 

1  'iSg.  «  Je  doi  bien  avoir,  par  droiliuv,  l'tun  moi,  dont  blasme  et  honte 
S  amour;  je  l'ai  bien  acatée  [eusse.  .  . 

Et  par  mes  armes  conquestée.  Se  je  ne  seïisse  tour  querre 

Mariages  poi  i  valoit ,  l^)ur  l'amour  de  li  reconquerre.  - 
Caria  besongne  mal  aloil 

La  dame  implore  sou  pardon,  à  genoux,  et  l'obtient  aisément. 
Reste  à  régler  la  chambrière.  Elle  a  déjà  reçu  dix  livres  :  «  Donnez- 
ului,  dit  ie  bon  seigneur,  votre  meilleure  robe;  et  qu'on  ne  la  voie 
«  plus!  ».  Ainsi  fut  fait. 

1  '^-]h.  En  son  ostel  a  \ilain  oste  li  se  Irahisl  et  deshonucure; 

Qui  mauvais  conseillicr  retient  S'en  puet  honiz  estre  a  une  eure. 

Et  par  son  conseil  se  maintient. 

Cette  aventure  est  arrivée  il  y  a  fort  longtemps;  depuis,  bien 
des  noms  de  lieu  ont  changé,  des  seigneuries  ont  été  «remuées», 
de  beaux  lieux  ont  été  abîmés  dans  les  guerres  :  où   est  le  manoir  de 

3  3 


UO  JEAN  DE  CONDÉ,  MKNESTREL  ET  POÈTE  FRANÇAIS. 

Launoi?  elle  bon  seigneur  a-t-il  laissé  des  descendants?  L'auteur 
l'ignore.  Mais  il  a  cru  devoir  rimer,  pour  l'exemple,  celte  histoire 
véritable,  qui  n'avait  jamais  été  mise  en  vers. 

II.  Des  trois  estas  dou  monde  ou  Du  koc  (H)"'.  —  H  y  a  en  ce  bas 
monde,  trois  «ordres».  L'ordre  de  chevalerie  doit  prendre  exemple 
au  coq,  chaussé  d'éperons  et  cresté  comme  d'un  heaume  pour  tenir 
en  paix  ses  géhnes,  qu'il  conduit  bannière  (sa  queue)  levée,  et  tête 
haute,  etc.  L'ordre  de  prêtrise  doit  en  faire  autant,  car  le  prêtre, 
comme  le  coq  d'église,  doit  montrer,  •  par  compas  »,  le  droit  chemin 
à  cei  X  qu'il  a  à  gouverner.  L'ordre  de  mariage,  de  même,  car  le  coq 
«  gouverne  son  poulage  »  comme  seigneur  incontesté,  et  c'est  ce  qu'un 
mari  doit  taire  L'auteur  s'occupe  surtout  du  premier  de  ces  trois 
<i  ordres  ». 

Vr.  Novati  a  donné  de  cette  pièce  une  édition  critique  en  190;)''', 
et  l'a  rapprochée  de  la  célèbre  pièce  Comparatio  yalli  ciim  preshylew, 
en  vers  latins  rythmiques,  qui  commence  par  :  «  Multi  sunt  presby- 
teri  qui  ignorant  quare  —  Super  domum  Domini  gallus  solet  stare.  » 

'111.  Doa  lyon  (ABR).  —  Magnanimité  du  lion,  exemple  pour  les 
puissants  (dont  ils  ne  profitent  guère). 

*1V.  Doa  roi  et  des  hicrmitlcs  (R).  —  Leçons  données  par  un  bon  roi 
que  son  entourage  avait  accusé  d'un  excès  d'humilité  pour  s'être  age- 
nouillé devant  de  saints  ermites  :  il  terrorise  son  fière  en  lui  faisant 
croire  qu'il  l'a  condamné  à  mort  (que  ce  personnage  juge  par  la  ter- 
reur c|u'il  a  éprouvée  de  celle  qu'on  doit  ressentir,  quand  on  a  la  res- 
ponsabilité du  pouvoir,  des  châtiments  dont  Dieu  dispose);  il  donne 
aux  courtisans  à  choisir  entre  des  coffres  dorés  (lemplis  de  pourri- 
ture) et  des  coffres  d'aspect  modeste  (qui  regorgent  de  bonnes 
choses),  pour  leur  montrer  qu'il  ne  faut  point  se  fier  aux  apparences. 
Toutes  ces  historiettes  sont,  comme  on  sait,  dans  Barlaam  et  Josaphat 
et  dans  les  Gesta  Romanorum^^\  Cf.  le  n"  XVll  de  fteuvre  de  Watriquet. 

Cl   Scheler  (t.  Il,  |).  393)  propose  avec  raison  Condé ,  dans  le;,  Sliuli  medievali ,  t.   1"  (190'!- 

d'inliluler  cette  pièce  Du  co(/.  Le  dernier  vers  190^),  p.  484-'i88. 

est  en  effet  :  .  Ichi  li  Dis  du  koc  deffine. .  " '''    Voir  Th.   F.    Crâne,     TItc  Exempla    nj 

■')   Fr.  Novati,  «Li   Dis  du  Koc  «   di  Jean  de  Jncqua  de  Vilry  (\oui\on,  1890),  p.  1  53. 


SES  ÉCRITS.  i'il 

*V.  Des  Ail.  mestiers  d'armes  (R).  —  il  y  a  trois  «  mestiers 
«  d'armes  »  :  joutes,  tournois  et  bataille;  les  deux  premiers,  prépara- 
tcnres  au  troisième. 

*Vi.  De  boiiie  cliiere  (BR).  —  Paraphrase  de  Proverbes,  XV,  17  : 
«  Melius  est  vocari  ad  olera  cum  cantate.  .  .  »  La  façon  de  donner 
vaut  mieux  que  ce  qu'on  donne. 

*V1I.  D'onneur  (fuemjie  en  honte  (R).  —  Eloge  du  bon  vieux  temps; 
invectives  contre  la  ploutocratie,  qui  caractérise  le  présent  : 

Pour  bonté  ne  pour  gentillece  Sierf  vilain  nu  bastart  puant, 

N'est nulsbonneuiéssansriqnece;  Cui  avoirs  ne  faice  ensaucier 

Si  n'i  a  nul  si  orl  trnan» ,  Et  If  s  caperons  descaurier.  .  . 

'Vlll.   Don  fi(]hi('r  (R).  —  Sur  la  parabole  du  figuier  stérile. 

*1X.  Don  miroir  (BR).  —  L'homme  d'honneur  peut  et  doit  pro- 
fiter de  l'endroit  et  de  l'envers  du  miroir  :  l'endroit  (les  exemples  des 
bons),  l'envers  (le sort  des  méchants). 

*X.  Li  ucors'^^^  d'armes  et  d'amours  (R).  —  Armes  et  amour  sont 
deux  «mestiers»  qui  vont  ensemble.  Pourquoi  et  depuis  quand.*  En 
vertu  d'une  convention  conclue  dans  l'ancienne  Grèce,  longtemps 
avant  la  guerre  de  Troie,  entre  Mars  et  Vénus. 

XL  De  l'aiyle  (ABR).  —  Le  «haut  home»  doit  planer  sur  les 
sommets,  comme  l'aigle;  mais  il  en  est  trop  qui  «  volent  bas  »  ! 

XII.  Don  sengler  (ABR).  —  Faire  tête  comme  le  sanglier,  sans 
espérance,  jusqu'à  la  mort,  voilà  la  vraie  hardiesse. 

XIII.  Des  .  Ifl .  safjes  (A  B  R).  —  Trois  espèces  de  sagesse  :  on  est 
sage  pour  soi,  ou  pour  autrui  sans  penser  à  soi,  ou  pour  soi  et  pour 
autrui  à  la  fois.  L'auteur  blâme  nettement  «  ki  ses  besoignes  met  ar- 
«  riere  pour  les  autrui»,  car  «sens  doit  profiter  a  l'orne  premiers 
«qui  l'a  ». 

''   Ms.  et  éd.  :  reçois. 


'j;i2  JEAN  DE  COiNOK,   MENESTREL  ET  K)ÈTE  l-HANÇAIS. 

XIV.  Des  braies  le  piiestic  (R).  —  Une  bouchère  couchait  un  jour 
à  la  fois  avec  un  prêtre  et  son  mari,  à  l'insu  de  celui-ci;  en  s'en  allant, 
le  prêtre  se  trompa  de  culottes  et  le  boucher,  fouillant  plus  tard  dans 
ses  poches  au  marché,  n'y  trouva,  au  lieu  d'argent,  que  le  «  saiel  au 
"  prestre  ».  C'est  à  la  suite  de  cette  aventure  que  l'évêque  du  lieu  dé- 
fendit aux  prêtres  de  pendre,  désormais,  des  sceaux  à  leurs  braies. 

XV.  Dou  pliroii  (R).  —  Autre  historiette  en  façon  de  fabliau.  Une 
femme  surprise  avec  son  an)anl  par  son  mari  fait  évader  le  premier; 
le  second  n'y  voit  que  du  feu. 

XVI.  Des  niieces  c'on  ne  puel  acoir  (BR).  —  Parajîhrase  de  Pro- 
rerbes,  XXIIl,  r>  :  «  Ne  erigasoculos  tuos  ad  oj)es .  .  .  " 

*XV11.  Dou  sens  emprunté  (R).  —  Se  lier  plutôt  à  son  «  sens  »  qu'aux 
conseils  d'autrui. 

"XVIIl.    Dou  jruin  (R).  —  La  laison  est  le  Irein  de  l'homme. 

XIX.  Pour  (jneh  .11.  co:es  on  vit  an  monde  (ABR).  —  L'honneur 
ici-bas,  le  salut  dans  l'autre. 

*XX.  Don  chien  (R).  —  «On  se  poet  enseignier  par  exemples  de 
"  créatures",  en  observant  leurs  manières  d'être,  ^insi,  le  chien  a  du 
llair;  il  aboie  aux  voleurs;  il  assainit  les  plaies  en  les  léchant;  c'est 
un  ami  pour  son  maître.  «  Segnefiance  »  de  tout  cela  pour  le  sage. 

'XXI.  De  Seiirlé  cl  de  (Confort  (R).  —  «  Confors  vient  de  Seûrté», 
(•'e';t-à-dire  de  la  fermeté  d'àme  dans  les  tribulations.  C'est  Seûrté  qui 
dit  à  riiomme  le  précepte  qui  doit  être  sa  devise  :  «  Ne  t'esmaies  pas  •>. 

*XXIL  De  l'oJiette  (R).  —  «  Propriétés»  moralisées  de  la  graine  de 
pavot. 

*X.\III.  Dou  chevalier  a  le  munce  (RT).  —  Conte  pour  démontrer 
(pi'il  faut  mesurer  ses  paroles  et  s'abstenir  de  celles  qui  pourraient 
nuire  ou  engager  trop  avant. 

En  Thiérache,  sur  l'Oise,  vivait  un  cadet  de  Champagne,  riche, 
beau  et  parlant  bien,  mais(pii,  pourtant,  ne  valait  pas  grand' chose. 


SKs  i<:cRri's.  tnv.^ 

et  détesl»'  dp  toiil  ie  inoiulr;  il  ovait  <lû  quitter  son  pays  (lOrigine  à 
cause  (le  son  caractère.  H  n'aimait  que  le  repos  et  la  chasse  aux  perdrix 
et  aux  faisans.  On  l'avait  surnonuné  «  li  (ianipegnois  sauvaiges  ».  Or  il 
y  avait  dans  le  pavs  une  dame  mariée  à  un  chevalier  généreux  et  es- 
timé. Le  Champenois  s'éprit  de  la  dame.  —  Il  fait  sa  déclaration  et  la 
dame,  assez  fâchée,  répond  iioni(|uemenl  qu'elle  sera  son  amie  quand 
il  passera  tous  ses  voisins  «  en  hardement  et  en  prouaice  ».  Elle  croyait 
ne  s'engagei-  guère.  Mais  l'amoureux,  qui  savait  hien  parler,  se  dé- 
clare aussitôt  content;  il  ne  demande  qu'un  gage  de  la  pron)esse  dont 
il  prend  acte  : 

I  33.  »  Mnis  amours  m'apreiil  il  ciiscnjiiie  li  guimpic  u  niancc,  pour  porter 

Oui'  (le  vous  aie  aururie  e:isenj;ue,  Kn  armes  et  moi  conforter.  .  .  « 

La  dame  se  croit  ohligée,  par  ce  qu'elle  a  dit,  de  lui  donner  la 
manche  de  toile  blanche  et  froncée  d'un  sien  "caince»;  mais  elle  est 
toujours  convaincue  (ju'un  tel  don,  fait  sous  une  telîe  condition  à  un 
«  failli  »  comme  «  le  sauvage  " ,  ne  tire  pas  à  consécpience. 

Le  jour  vint,  à  la  mi-mai,  d'une  grande  fête  arrangée  dans  une 
lande  des  bois  de  Fagne  (au  nord-est  de  (^himay)  :  dix  chevaliers  de 
divers  pays  avaient  lait  annoncer  qu'ils  jouteraient  contre  tous  ve- 
nants; et  on  avait  répondu  à  leur  appel  des  diverses  marches  d'alen- 
tour. Il  y  avait  des  tentes,  des  feuillées,  des  échafauds  pour  les  spec- 
tatrices, etc.  Le  prix  de  la  joute  était  un  épervier  blanc,  "Coroiie, 
«  aumousnière  et  çainlure  ».  11  avait  été  convenu 

il) II.  ...  (Kie  .V.  lances  ne  pouroit 
(iourre  cevaliers  deforains 
Sans  le  congiet  dos  souverains'". 

Les  dix  tenants  étaient  respectivement  de  Vermandois,  de  Flandre, 
d'Artois,  de  Cambrésis,  du  Hainaut,  de  Brabant,  du  pays  des  <  Ruiers  » , 
de  la  Hesbaye,  des  Ardennes,  de  Champagne.  L'un  d'eux  avait  été  fait 
'<  roi  »  de  la  fête,  et  son  amie  «  reine  ».  Car 

289.  ..  .  si  ot  a  celle  aramie  U  fust  u  iontainne  u  voisinne, 

Cascuus  des  baccters  s'amic,  U  sa  serour  u  sa  cousine. 

'''  Le  u  roi-)  et  la  «reine»  de  la  joule. 

insT.  niTKn.  —  \xxv.  55 


434         JEAN  DE  CONDÉ,  MÉNESTREl.  ET  POÈTE  FRANÇAIS. 

Le  chevalier  à  la  manche  y  panil,  avec  ladite  manche  sur  son 
heaume,  toutes  ses  armes  et  jusqu'aux  draperies  de  son  clu'val  char- 
gées «  de  gueules,  a  manches  d'argent  ».  —  Nui  ne  sait  son  nom;  mais 
la  dame  le  devine,  étonnée  déjà  qu'il  soit  là,  car  il  n'avait  pas  eu, 
jusqu'à  ce  jour,  l'hahitude  de  se  rendre  aux  réunions  de  ce  genre. — 
Combats  sur  combats.  Le  chevalier  à  la  manche  s'y  distingue  extra- 
ordinairement  : 

■706.    Il  fist  .1111.  cours  de  .\\.  tances. 

À  lui  seul,  il  abattit  six  des  tenants,  dont  le  «  roi  »  (par  deux  fois). 
11  est  vainqueur.  Le  soir,  dans  sa  tente,  pansé  et  lavé,  il  reçoit,  vêtu 
d'«escarlate  vermeille  ",  les  hérauts  et  les  autres  gens  qui  sont  venus 
s'informer  de  son  identité  : 

■yyo.  «  Signeur,  sur  ta  rivière  d'Oise,  Mais  on  ne  .set  quels  les  gens  sont, 

Fait  il,  est  mes  povres  inanages;  Ne  quels  cueurs  en  leur  ventre  ont 

Nommés    sui    «  Campegnois    san-  Devant  eau  liesoing  sont  venu  : 

Par  parère  et  par  nicelé,    [vages  ».  Ensi  est  de  moi  avenu. 
M'a  on  de  maiivai^té  relé; 

La  nuit  suivante,  on  festoya  aux  Irais  des  vaincus,  qui,  faisant 
contre  fortune  bon  cceiir,  tinrent  coin-  ouverte  et  bien  servie.  Le 
comte  Baudouin  de  Hainaut,  le  comte  de  Soissons  et  les  dames  féli- 
citèrent le  chevalier  à  la  manche.  Puis  on  dansa.  Enfin,  distribution 
des  prix,  remis  par  la  «  reine  n  cl  sa  conijiagnie,  en  chantant,  ])armi 
la  criée  des  hérauts. 

Le  chevalier  à  la  manche,  qui  avait  irtiouvé  là  ses  frères  aînés,  leur 
fait  part  de  sou  désir  de  tenir  cour  ouverte  le  lendemain,  à  son  tour, 
et  ils  l'approuvent,  s'il  en  a  le  moyen.  Cette  cour  fut  très  magnifique. 
Le  chevalier  fit  cadeau  de  son  éjiervier  blanc  au  comte  de  Hainaut, 
qui,  en  revanche,  le  retint  sur-le-champ  à  son  service  en  lui  octroyant 
M  deux  cents  livrées  de  terres.  Libéralités  aux  hérauts  (qui  vont  in- 
continent les  boire  au  cabaret)  et  aux  ménestrels.  Tout  le  monde  est 
satisfait. 

ioo5.  Cascuns  qui  einhatrc  si  vol 
Et  nioul  bien  saouler  se  pol. 

La  dame  setde  était  embarrassée,  entre  la  foi  conjugale  à  garder  et 
la  ])rornesse  imprudente  qu'elle  a\ail  laite. 


SES  ECRITS. 


435 


Cependant  le  chevalier  avait  pris  goût  aux  aventures.  Tant  que 
dura  la  saison  des  tournois,  il  n'y  manqua  plus  :  d'abord  entre  Sois- 
sons  et  Montaigu,  puis  ailleurs,  si  bien  que  sa  réputation  s'étendit 
dans  la  France  entière.  —  Il  revint  eniln  chez  lui,  et  alla,  chez  sa  voi- 
sine, réclamer  son  dû  : 

1  097.  "  Dame,  se  y.ù  si  bien  siervi 
Que  j'aie  tel  non  desiervi , 
Faites  moi  riertain  paiement.  » 

Ne  suffit-il  ])oint,  dit  la  dame,  que  j'aie  fait  de  vous  le  meilleur  des 
chevaliers?  Nous  sommes  quittes.  —  11  est  bien  vrai,  répond  le  che- 
valier, que  je  vous  dois  tout  ce  que  je  vaux;  et  c'est  encore  trop  peu, 
je  l'avoue;  mais  j'ai  conhance  que,  quand  j'aurai  mieux  fait,  vous 
tiendrez  ce  qui  lut  promis.  —  De  si  courtoises  paroles,  et  si  bien 
dites,  ne  laissent  pas  d'émouvoir  l'héroïne,  plus  embarrassée  que 
jamais. 

Ici,  un  épisode  très  agréablement  conté,  qui  est  ce  que  Jean  de 
Coudé  a  sans  doute  écrit  de  plus  aisé.  —  La  dame  reçoit,  dans  son 
château,  la  visite  d'un  vieux  chevalier  à  cheveux  blancs,  qui  vient 
voir  le  niaitre  de  la  maison.  Mais  celui-ci  est  absent,  par  hasard;  la 
dame  informe  courtoisement  l'étranger  qu'elle  ignore  oîi  il  est  : 


"  Se  je  te  savoic,  par  m'anie, 
Biaus  sire,  je  le  vous  diroie.  .  . 
De  ci  se  parti  hier  matin 
Sans  dire  ronmianl  ne  latin; 
Ne  sai  u  il  tourna  sa  voie.  .  .  » 
—  «  Dame .  fait  il ,  d'aucune  affaire 


A  vo  signeur  parler  voloie; 
Car  on  dist  (pie  pas  ne  foloie 
Qui  a  preudhomme  se  conseille . . . 
Si  m'en  y  rai.  Vostre  mierci. 
Dame,  de  vostre  boimie  ciere.  » 


Elle  l'invite  à  diner. 

I  266.  «  Dame,  bien  iestes  ensengnie 
Et  moût  d'onnerance  savés. 
Puisque  conjure  m'en  avés 
Je  demouriai  moiil  volentiers. 
Mes  euers  encoi'e  est  tout  entiers 
A  dames  et  a  damoisielles; 
Encor  vni  volentiers  les  bielles, 
.le  leur  otroi  cuer  et  regart  ; 
Car  dou  surplus,  se  Dicus  me  gart. 


Oi  déport  assés  désormais. 
Qui  a  tant  fait  qu'il  ne  poet  mais. 
On  le  doit  bien  eni  pais  laissier. 
Mais  viellece  fait  abaissier 
Maint  desroi,  et  si  amenrist 
Maint  orgoel.  »  La  dame  s'en  rist 
El  le   preudbomme  moidt  con- 
[joie.  .  . 
La  dame  et  li  cevalier  lèvent 
55. 


436  JE\N   DV.  CONDK,  MÉNESTREL  El    POETE   ERANÇAIS. 


Et  une  dainoisieUe  gente,    [ente, 
Qui  plus  blance  icrl  cou  flour  sour 
Qui  esloit  liiie  d'un  sien  frcrc. 
La  dame ,  qui  moult  courtoise  ère 
Assist  le  ce\alier  in  mi 
D'eles  deus.  —  «  Par  l'ame  de  my, 
Fait  li  preudons,  tout  asseùr 
Sui  encor  d  avoir  grant  cùr 
En  n)es  viex  jours  ;  niiex  ne  porroie 


lestre  assis,  ne  mais  re  voroii' 
Nul  autre  parradis  asoir.  .  . 
Ne  dites  pas  je  soie  sots.  » 
!^a  dame  rist  de  ses  biaus  mots. 
...  Et  il ,  qui  moult  savoit 
I  )i'  bien ,  tant  de  boins  gas  avoit 
En  iui,  que  ne  les  oïst  nuls 
Oui  se  Inst  de  rire  tenus. 


Le  vietix  geiililliomme  passe  ensuilt!  sur  les  lenes  du  chevalier  à  la 
inanche,  qui  j)()ur  tromper  ses  ennuis,  élall  aile  guellei-,  dans  l'espoir 
de  les  arrêter,  les  braconniers  qui  déva.staient  ses  viviers.  Saints  réci- 
proques. 

1  335.  Chius  a  le  manci  ,  qui  désire 

Corapaingnie.  li  disl  :  «  Biaus  sire, 
Dites  moi  de  quel  part  venés.  » 
—  «  D'avoec  .11.  angeles  empehés 
M'en  vieng,  tait  il,  de  parradis. 
Bien  y  voroie  iestre  tondis, 
Sibiel  y  fait,  liien  dire  l'os, 


()ui  regarde  tés  angelos 

Jamais  partir  ne  se  \orroit. 

Uns  lions  mors  rtvivre  en  poroil; 

Car  sanq)lus  par  le  souvenir 

Devroit  a  santé  revenir 

lions  qui  a  le  mort  transiroit.  ' 


Et  ils  les  nomme.  Le  chevalier  à 
partager  avec  lui,  dans  aa  «  salle  »,  I 
parler  encore  «  <lon  grant  ange  et  d* 

1  370.  Cbius  a  le  niance,  qui  tant  ère 
Destrois,  rentra  en  sa  matere 
Et  dist  que  eil  angele  plaisant 
Poroient  iestre  mal  taisant 
A  .1.  liomme  aussitosf  com  bien, 
[rien 
—  -i  Ains  ne  j)oevent   grever  de 
Fait  li  vieilars,  cCst  mes  avis. 
Car  tant  sont  jilaisant  a  devis 


la  manche,  Iransjiorlé,  le  prie  de 
e  vin  atix  épices,  afin  d'entendre 
'  l'angelot  ». 

Que  venir  n'em  poet  nuls  dehais... 
Encor  ne  sui  pas  lepentans 
D'amer,  (|ui  ai  priés  de  cent  ans. . . 
Si  n'iert  mais  unie  jouvincielle, 
li  soit  dame  u  soit  dnmoisielie. 
Qui  riens  doie  compter  a  mi 
Ne  (pii  me  ticngne  pour  ami  ; 
Mais  en  pensée  et  en  regart 
Prendrai  soûlas ,  se  Diex  me  gart.  » 


On  soupe,  on  boit,  on  cause  encore,  et,  le  lendemain  matin,  le 
bon  vieillard,  dont  les  paroles  ont  rendu  courage  à  l'amonreu.v, 
disparaît  du  récit. 

Le  héros,  pour  s'apaiser,  décide  d'aller  en  Terre  Sainte,  par 
Marseille.   De  Marseille   à    Tvr,   neid    semaines,    à   cause   du    vent 


SES  KG  KITS.  tiM 

coiilraire.  Combats  contre  les  Sarrasins  et  les  Turcs.  Visite  à  Jérusalem 
(c'était  avant  que  Saladin  eût  pris  la  ville,  au  temps  du  roi  Baudouin, 
neveu  de  Baudouin  le  Lépreux]. 

Il  n'avait  pas  pris  congé  de  sa  dame,  au  départ,  par  discrétion. 
Mais  elle  était  dès  lors  profondément  toucliée,  et  par  ce  procédé 
même.  Or  il  arriva  qu'au  bout  d'un  an,  son  mari  se  laissa  mourir.  — 
Elle  confie  aussitôt  à  son  frère  l'administration  de  sa  terre,  et,  avec 
une  escorte  de  deux  écuyers  et  de  quatre  garçons  seulement,  annonce 
qu'elle  entreprend  le  pèlerinage  de  Saint-Gilles  en  Provence,  par 
Vézelai.  Mais  c'est  à  Marseille  qu'elle  va,  elle  aussi.  Pour  le  voyage 
d'outre-mer,  elle  se  déguise  en  bachelier.  —  Un  mois  après,  elle  était 
i'.n  Palestine,  (l'est  à  Tyr  qu'elle  rencontra  enfin  son  amant,  fatigué 
d'exploits  au  ])oint  qu'il  était  couché  et  en  danger  de  mort.  Elle  le 
réconforte  d'un  mot  : 

■2069.  «  Biaus  sire,  fait  file,  par  m'anic,  Qui  ol  veù  deus  angelos .  .  . 

Par  moi  vous  salue  une  dauic  Et  dist,  s'uns  tiens  traioit  a  lin, 

A  rui  vous  rouvastes  la  mance;  Va  l'en  souvenisl  de  cuer  lin. 

Et  vous  a\nnine.  .  .  »  K'pn  sanlé  devrait  revenir. 

[conihrancc,  Donné  m'avés  ce  souvenir.  .  . 

—  «Sire,   Diex  vous  gart  d'en  Car  pleuïst  ore  au  roi  celieslre 

Fait  il,  car  j'ai  ci  rauiembrance  Que  ce  peuïst  li  angles  iestre 

D'un  mot  c'uns  cevaliers  me  dist  Que  li  boins  vietlars  me  prisa ...  « 
Qui  souvent  grant  confort  me  fist, 

La  dame  se  fit  bientôt  connaître.  Le  mariage  eut  lieu,  et  les  deux 
nouveaux  époux  vécurent  encore  vingt  ans  en  Terre  Sainte,  sans 
retourner  en  Thiérache.  Devenu  veuf,  le  chevalier  «se  rendit»  à 
l'Hôpital  de  Saint-Jean.  —  Conclusion  : 

•î'Slli.  Prions  pour  ces  .11.  vrais  amans 

Qui   d'Amours  tinrent   les  commans. 

XXIV.  Don  varlet  ki  ama  le  femme  au  bounjois  (R).  —  <  Ki  pourcace 
a  autrui  grevance,  il  s'empire.»  Conte  à  l'appui  de  cette  maxime, 
bref  et  sans  intérêt. 

XXV.  De  le  Paske  (R).  —  Sur  la  fête  de  la  Résurrection. 

*XXVI.  Li  castois  dou  joiiene  (jentilliomme  (ABR).  —  Banalités 
pédagogiques  sur  le  sujet  indiqué  par  le  titre. 


438         JEAN  DE  COiNDE,  MENESTREL  ET  POETE  FRANÇAIS. 

*XXVII.  De  boin  non  (R).  —  Bonne  renommée  vaut  mieux  que 
ceinture  dorée. 

XXVIII.  De  le  pelote  (  A  B  R).  —  «  Pluiseurs  guises  sont  d'amours  »: 
on  aime  pour  le  plaisir,  pour  le  profit  (invectives  contre  les  coureurs 
de  dot),  «par  droite  honnesté».  Les  deux  premières  manières  ne 
méritent  pas  le  nom  d'amour  véritable;  elles  sont  pourtant  fort 
répandues,  et  «  la  tierce  »,  qui  est  la  vraie,  «  va  en  decours  ».  Tableau 
de  l'amour  véritable ,  où  la  réciprocité  des  cœurs  qui  s'aiment  rappelle 
le  jeu  de  la  pelote,  c'est-à-dire  de  la  balle  au  mur. 

XXIX.  De  le  mortel  vie  (R).  —  Sermon  sur  la  vanité  des  choses 
d'ici-bas. 

XXX.  De  le  nonnete  (R).  —  (ionte  grivois  où  il  est  encore  ques- 
tion (cf.  n°  XIV)  des  braies  d'un  clerc  surpris  en  bonne  fortune,  (lette 
fois  c'est  son  amie,  fabbesse  (fun  couvent  de  nonnes  fort  légères, 
qui  emploie  ce  vêtement  pour  un  usage  incongru  :  elle  s'en  coiffe 
par  mégarde  et,  elle  qui  fait  la  sévère,  révèle  ainsi  sa  propre  faiblesse 
à  ses  nonnes  qu'elle  prétendait  morigéner.  Moralité: 

On  se  doit  moult  bien  aviser 
S'il  ;i  sour  lui  que  deviser 
Ains  que  sour  autrui  on  mesdie. 

Cette  histoire  a  été  résumée  par  l'auteur  de  Renard  le  Contrefait, 
contemporain  de  Jean  de  Condé,  d'après  une  source  qui  se  rappro- 
(  hait,  davantage  (lue  le  présent  fabliau,  du  texte  utilisé  par  Boccace, 
et,  à  travers  Boccace,  dans  le  Psautier  de  La  Fontaine ''^ 

*XXX1.  Don  mariage  de  Hardement  et  de  Lartjece  (ABR).  —  Seùrté 
et  Avis  marient  à  Largece  leur  fils  Hardement;  Prouesce  naquit  de 
cette  union. 

'XXXII.  Don  boin  conte  fVillanme  [R).  —  Eloge  funèbre  de  Guil- 
laume I"  le  Bon,  comte  de  Hainaut  et  de  Hollande  (t  7  juin  iSSy), 
«  li  pères  des  ménestrels  »  (v.  54)  et  patron  de  fauteur  (v.  i65)'^'. 

''  \oh  (>.  ï{aynaud,  Une  nouvelle  venioii  rtu  ''  Compan-r  ie  mort   <la    coule  île   Henau 

fabliau    de  «Lu  Nonnellet,   dans  \lèlanijes  de        (BihI.  nal.,  fr.  i  •ir)76,  fol.  361  v°),  en  l'honneur 
plnloloqie  romane  'Pans,  igi.^),  |>-   '68.  (le  Guillaume  II  (t  i34."))- 


SES  ÉCRITS.  439 

'XXXIII.  De  l'amant  hardi  et  de  l'amant  cremetens  (R).  —  «  Pensant  a 
.1.  nouviel  kant  faire»,  Jean  de  Condé  rencontre  par  un  beau  temps, 
dans  un  verger,  deux  dames  «de  grant  afaire».  Elles  le  prenneni 
comme  arbitre  d'un  débat  qu'elles  ont  eu,  car  elles  le  tiennent  pour 
«  fondé  en  amoureus  entendement»,  sur  la  question  de  savoir  lequel 
vaut  mieux  :  l'amoureux  qui  se  déclare  hardiment  et  vite  ou  celui  qui 
est  timide  et  hésitant  dans  l'expression  de  ses  aveux. 

loli-  «  Jehan,  a  cou  que  vous  oés  D'amourssavésmoult  des  usages... 

Le  droit  bien  monstrer  nous  poés  :  Et  nous  en  faites  andeiis  sages.  » 

L'arbitre  se  prononce,  naturellement,  pour  l'amant  «au  cuer 
acouardi  n. 

*XXX1V .  Dou  lévrier  (Pi).  —  Certain  chevalier  de  la  Woëvre  eut 
un  IHs  unique  accompli  (car  il  savait  le  latin,  «  quinler,  doubler  et 
descanter  »,  et  il  avait  appris  des  lais,  des  contes,  «  les  fais  et  les  com- 
«  mans  d'amours  »,  etc.).  Ce  fils  hérita  de  ses  parents,  dès  sa  vingtième 
année,  une  belle  terre  et  assez  d'avoir.  Pendant  deux  ans  il  ne  distingua 
aucune  des  pucelles  et  des  dames  qui  cherchaient  à  lui  plaire.  Enfin 
l'Amour  le  perça  d'un  trait,  et  il  se  déclara  ingénument.  Mais  il  avait 
affaire  à  une  coquette  qui  lui  tint  la  dragée  haute  : 

Sî  6.  »  Sire  escuyers,  de  haut  Hn'airi' ,  MouUbien  siermonner  seuïssiés.. . 

Courlois  iestes  et  biaus  paHiers.  Ensement  que  cil  questeur  font 

Vous  serés  moût  boins  amparhers  Qui  font  les  simples  gens  plourer, 

Pour  parolie  monstrer  en  court.  Et  em  plourant  lor  sains  orer, 

Vô  mot  sont  ataignant  et  court,  Tant  qu'il  ont  l'argent  fors  atrait...  « 
Et  se  vous  .1.  fieltre  euïssiés, 

Elle  lui  impose  de  courir  pendant  sept  ans  guerres  et  tournois  à 
l'étranger,  pour  la  mériter. 

L'écuyer  accomplit  consciencieusement  l'épreuve  imposée  et  se 
ruina  à  fond  en  l'accomplissant.  —  Il  réclame  enfin  sa  récompense. 
Elle  l'envoie  promener.  Il  est  réduit  à  la  misère. 

ySo.  (irant    damaigc    est    du    cuer  Bien  est  par  femme  decheiis. 

[honneste  [vendre.  .  . 

Qui  est  em  povrelé  cheiis.  Tout    son     harnas    li    couvient 


ViO  .11:  W   l)K  CONDi;,   MKNKSTRKI.  ET  l'OÈTK   FMWÇAIS. 

H  vend  tout,  à  l'exception  d'un  jeune  lévrier;  et,  au  comble  de  la 
douleur,  il  perd  la  tèle  et  \a  mener  dans  les  bois,  avec  son  chien  nui 
le  nourrit  de  sa  chasse,  la  vie  des  bêtes  sauvages. 

(iependant  la  cruelle  s'éprit  à  son  tour  d'un  valet  au-dessous  de  sa 
condition  :  joueur,  ivrogne  et  grossier,  (|ui  la  battit  et  «lissipa  sa  For- 
tune. Entretenue  alors  j)ar  un  «  ])rêtre  riche  s  elle  lui  bientôt  forcée 
de  s'en  aller  du  |)ays. 

D'autre  part,  guéri  de  sa  fureur  niélaiicolic|ue  par  une  fée,  récuser 
lidèle  et  contrit  se  rend  chez  une  cousine  qui  le  rééquipe  et  l'adoj^te; 
et  il  trouve  à  épouser  une  héritière.  Il  reçoit  la  chevalerie  et  reprend 
le  cours  de  ses  exploits.  Sa  reconnaissance  pour  son  chien. 

*X\\V  .  Don  Ma(jinji(al  [W).  —  Histoire  du  roi  si  orgueilleux  qu'il 
lit  supprimer  du  Maijiufi'al  le  verset  :  «  Deposuit  potentes  de  sede  >'  et 
qui,  niiraculeusement  transformé  en  mendiant,  apprend  combien  la 
vie  est  dure.  Les  gens  lui  conseillent  de  (ravailler,  quand  il  demande 
l'aumône. 

1  6  1 .  Ijauinosneeiipluistuirstiusrouva;  (Kii   grant  iert   et  gros,   lionnis- 
Oncques  en  .111.  jours  ne  h'ouva  [soient; 

()ui  li  vousist  donner  du  sien.  Que  riens  ii  donront,  ce  disoient. 

Puisqu'il  ne  voloit  faire  bien,  S'alast gaaignier  et  ouvrer! 

Il  est  j)ardonné  après  une  pénitence  de  sept  ans,  on  considération 
des  mérites  qu'il  avait  eus  jadis,  orgueil  à  part. 

XWVl.  Des  estas  du  monde  (R).  —  Admonestation  aux  clercs,  aux 
chevaliers,  aux  princes,  aux  juges,  aux  écuyers  et  aux  sergents,  aux 
riches  bourgeois,  aux  ouvriers;  aux  hommes  mariés,  aux  dames  et 
aux  pucelles,  aux  ménestrels. 

I  M  1 .  Meneslrés,  qui  de  lioinnes  gens  .\  mesdire,  car  mal  avient. 

Vis  par  les  dons  rices  et  gens  De  ciaus  de  cui  li  biens  te  vient. .. 

Que  on  par  franicise  le  donne,  Soies  de  cuer  nés  et  polis, 

Droisestquetescuerss'abandonne  Courtois,  envoisiés  et  jolis, 

\  biel  siervir  de  ton  niestier .  .  .  t^our  les  boinnes  gens  solacier; 

Soies  conteres  u  jougleres ,  Et  ne  te  laisses  pas  iacier 

L  mene.str^s  d'autre  manière  D'ordure  ne  de  ribaudio.  .  . 
N'aies  pas  la  langlie  manière 


SKS  KCHI'IS. 


'l'il 


*\\XVII.  La  messe  (les  otsnnis  et  h  plais  des  chaïKnirsses  cl  des  (irises 
iniiiatns  (A  B).  —  L'auteur  esi  liaiisporté  on  songe  dans  une  forêt  loule 
bruissante  d'oiseaux.  Un  papegai,  messager  de  la  déesse  d'Amour, 
annonce  aux  atitres  la  venue  de  sa  maîtresse.  Vénus  tient,  en  eflét, 
sa  coui;.  Elle  ordonne  au  rossignol  de  «  chanter  messe  »  avec  les 
meilleurs  vocalistes  de  l'assistance;  mais  il  est  interdit  au  coucou, 
oiseau  «  de  put  aire  »,  «  ki  a  maint  home  a  dit  grant  lait»  (v.  i45),  de 
s'en  mêler.  Après  l'offrande,  le  sermon;  c'est  le  papegai  qui  en  esl 
chargé;  il  ])rêche  sur  les  quatre  vertus  des  amants  :  obéissance, 
patience,  loyauté,  espérance.  Toutes  les  ])arties  de  la  messe  sont 
scrupuleusement  célébrées  dans  l'ordre  ordinaire,  jusqu'à  Vite  missa 
est.  —  Suit  un  festin,  où  il  esl  fait  une  grande  consommation  de 
«  regars  » ,  »  dons  ris  » ,  etc'"'. 

Vénus  entend  ensuite  ceux  (pii  ont  allaire  devant  elle.  —  D'abord 
une  chaiioinesse  à  surplis  blanc,  en  son  nom  et  au  nom  de  ses  com- 
pagnes, se  |)lainf  des  «grises  nonains»  qui  ont  «entrepris»  sur  elles, 
en  leni'  eidevant  leurs  amis  : 


682.  «Ont  nos  amis  a  eles  Irais, 

(Ihiaus  (|iii  nous  soloient  sc-rvii 
Pour  joie  d'amours  desservir 
S'en  faisoirtit  j^rans  esbanois, 
Tables  roondes  et  tournois. 


Or  onl  fait  lusage  cangier, 
Ken  fies  trouvent  ])0u  dangier 

[reni 
Piuisoin  (|ui  d'auiuur  les  requie- 
k'a  poil  de  paine  les  conquièrent.  .. 


L'-oratrice  des  Bernardines  replicpie  : 

726.  "  Nous  traions  a  garant  Nature 
k'aussi  bien  poons  amer  d'oies. 
D'aussi  Jones  et  d'aussi  bêles 
Avons,  et  d'aussi  saverouses. 
Et  do  (  uer  aussi  amcrouses, 
Come  des  ont,  n'endouteis  j)i)inl.. 


F.lcs  dient  ke  nous  lor  tolons 

Lor  amis 

S'il  les  laissent ,  a  nous  qu'en  monte 
(jrans  frais  a  en  elles  poursi\re  ; 
Et  voit  on  souvent  en  apert 
Ke  ki  plus  V  met,  plus  y  pcrt.  >. 


Les  chanoinesses  sont  indignées 

79/1.  <  Comment  sont  eles  si  hardies 
K'eles  connoissent  k'eles  aiment 

[meni 
Kl  qu'autcil  droit  en  amours  rlai- 


De  nous,  (|ui  avons  soustenu 
'rousjours  l'usage  et  maintenu!'... 
Dames  nonnains  des  grises  cotes, 
De  cuer  outrageuses  et  soles, 


Cl',  le  n°  VIII  de  l'œuvre  de  Walriquet. 

IIIST.    l.riTKII.   XXXV. 


5(i 


442  JEAN  DE  CON'DÉ,  MÉNESTREL  ET  POETE  FKWCMS. 


Grant  outrage  aveis  encharchié. . . 
[iiioisiies 
Prendeis  vos  convers  et  vos 
Et  lor  clonncis  larges  auinoisiies, 
Et  lor  parleis  de  vo  pitance  ! 

[tance 
De  chiaus  vous  taisons  bien  qui- 
Si  laissiez  rois  les  gentieus  homes 


\  nous,  qui  genlieu>  femes  soin- 
[mes.  .  . 
Chc  ierl  bien  (Iras  scionc  la  penne, 
De  teis  n'a  on  •  me  a  Andenne 
Ne  a  Moustiers  ne  a  Niviele, 
Et  saohiés  qu'on  n'en  seit  nouviele 
Ne  a  Maubuegf  ne  a  Mons".  .  . 


«  Amours  assemble  liant  el  bas»,  observe  l'adverse  partie 


Car  aussi  granl  amour  encarche 
yoo.  Uns  bons  pour  une  povre  garche 
Qui  n'a  viesteinent  ne  ricboise 
K'il  feroit  pour  une  duchoisc 
Li  bien  d'amours  et  de  nature, 
Ce  tiesmoigne  bien  oscriplurc, 
Par  seigneurie  ne  \ont  point .  .  . 
Nous,  grises  cotes  de  Cistians, 
N'affierent  pas  a    vairs  manliaus 
Ne  a  vos  riches  paremens; 


Ce  n'est  mie  comparemens. 
Mais  don  cui  r,  a  coi  li  Ims  tient, 
[tient, 
Qui  les  communs  d'amuur  main 
A  vous  nous  volons  aalir .  .  . 
11  nous  samble  que  nous  soions 
Bien  dignes  d'a\oir  bcnefisce 
En  amours,  puisqu'en  cest  oITisce 
N'est  en  nous  defaute  trouvée. .  .  . 


Grand  discours  et  sentence  de  Vénus,  (|ni  donne  raison  à  Cîtean\  : 


logy.  Car  Nature  a  amer  semont 
Toutes  créatures  del  mont. 
On  voit  un  paisanl  de  vile 
Avoir  un  aussi  biele  file 
Kn  povre  cote  dépannée 


K'une  roine  couiomiéc 
ki  est  parée  a  son  endroit. 
Par  seignomie  n'a  nu>  droit 
As  biens  que  Nalm  e  départ , 
Ne  as  miens  aussi  d'antre  part. 


Cette  messe  des  oiseaux,  ce  plaid  des  cbanoinesies  et  des  nonnains 
par  devant  Vénus  sont  d'agréables  «  risées  »,  mais  très  irrévérencieuses. 
Jean  de  Condé,  comme  effrayé  de  sa  hardiesse,  se  tait  fort,  pourtant, 
d'en  tirer  des  «exemples»  poui-  "bien  aprendre»  (à  partir  du 
V.  iSiK)).  Disons  seulement  que  le  jugement  précité  de  Vénus  doit 
faire  penser,  selon  lui,  à  la  parole  de  Jésus  dans  l'évangile  de  saint  Luc  : 
«  Les  premiers  seront  les  derniers  ».  L'opuscide  esl  donc  à  deux  fins  : 

I  495.  Pour  che  a  Jehans  de  Gondk  Et  as  fous,  pour  iaus  solachier; 

Son  dit  en  teil  guise  fondé  Car  a  le  fois  convient  cachier 

Qu'as  sages  et  as  fous  puist  plaire  :  Le  gra.sse  de  tous  a  avoir.  .  . 
As  sages , pourprendre exem pla ire , 


Cl',  le  n"  XXXI  de  l'œuvre  de  Walri(|uet. 


SES  ECRITS.  'ifiô 

H  \a  ius(|u'à  aposlroplier  en  finissant  chaiioinesses  el  nonnains  de 
se  marier  pliitôl  que  de  servir  Vénus,  dont  le  service  est  «contraire 
;"i  l'ànio»,  el  à  leur  leconiraander  gravement  l'amour  de  Dieu,  le  seul 
qui  leur  convienne. 

'XXXVIII.  D' Enlvndemeul  [kV>).  —  Autre  songe.  L'auteur  ren- 
contre Entendement,  qu'il  connaît  dc'jà  pour  avoir  été  naguère  en  sa 
compagnie  au  «  (^hastel  d'Amors  ».  ils  se  promènent  ensemble  et  qua- 
torze visions  passent  sous  leurs  yeux,  doni  Entendement  explique  la 
«  seneliance  »  et  tire  la  moralité'''. 

1.  Un  coursier  endiallé  (|ui  ne  peu!  être  arrêté  (pie  par  un  in- 
lirme.  C'est  pour  cela  f[ue  l'on  dit  ([ue  «  (lent  mars  vaut  d'eiir  demie  n. 

—  2.  Une  montagne  escarpc'-e  (pii  fourmille  de  gens,  les  grands 
seigneurs  au  sommet;  les  plus  haut  placés  .sont  ceux  qui  choient  le 
]ilus  aisément  dans  les  précipices  cpii  la  bordent.  —  i^.  Des  chants  de 
joie,  et,  toul  à  coup,  des  sanglots.  IVl  est  le  bonheur  terrestre.  — 
4.  Des  bourgeois  chas.sent  ignominieusement  en  exil  le  seigneur  cpi'il 
se  sont  donné  l'année  précédente;  ils  en  changent  ainsi  tous  les  ans. 
Symbole  des  «richesses  du  monde».  —  5.  Un  bergei-  qui  tond  su- 
brepticement ses  brebis.  C'est  l'Eglise.  —  (5.  Toutes  sortes  de  bêtes, 
noires,  blanches,  bises;  couvertes  de  peaux  de  brebis.  Ce  sont  «gens 
de  religion»,  les  hypocrites.  —  y.  Une  rivière  navigable.  Emblème 
de  la  sagesse.  —  8.  Deux  camps  dans  un  j)ré,  l'un  misérable  et  aride, 
l'autre  honorable  el  plaisant.  L'avarice  et  son  contraire.  —  9.  Dans 
une  forêt  glacée,  deux  hommes  liés  à  des  arbres  :  l'un,  désespéré,  au 
bord  d'une  fosse;  l'atitre,  en  pi'ières,  et  des  oiseaux  perchés  sur  son 
arbre.  Le  mauvais  et  le  pau\re;  la  fosse  est  la  gueule  de  l'enfer;  quant 
aux  oiseaux,  ils  représentent  les  anges  du  paradis  —  10.  Une  lice, 
des  matins  «  glatissans  ».  L'envie  et  les  envieux. —  11.  Cour  du  roi 
Nobles,  dont  Renard  est  le  «  maistre  d'ostel».  C'est  la  cour  de  Rome. 

—  1  2.  Une  bête  hideuse  étrangle  un  damoiseau  au  milieu  de  ses  ser- 
viteurs, sans  qu'ils  le  défendent.  C'est  la  Mort.  —  i3.  Pillage  des 
biens  d'un  grand  seigneur  qui  meurt  subitement.  Instabilité  des 
choses  humaines.  —  i^.  Une  dame  conduit  deux  hommes  dont  les 
habits  n'ont  plus  de  couleur  tant  ils  s(mt  sales,  pour  les  rapproprier, 
el  les  lave  à  la  fontaine.  La  dame,  c'est  «  Repentance  ». 

"     Cl.  le  11"  W  III  (le  l'œiivio  de  Waliiquel. 

56. 


/i'i/4  JEAN   l)K  GO:\DK,   VIÉNKSTIIKL  El    POETE  FKWÇVIS. 

XXXIX.    De  (lentillescc  (Ali)'*'.  —  Devoirs  des  gentilshommes. 

GentiHeche  ne  senefic 

Fors  que  bien  ouvrer  et  bien  faire. 

Tous  les  hommes  sont  égaux;  origine  de  la  noblesse. 

"XL.  Des  haus  homes  ou  Des  .Illf.  cornes  d'orgueil  (Alî).  —  Hauts 
hommes,  prenez  garde  à  l'orgueil  hI  à  ses  quatre  «  cornes  m  : 

Cuidier  valoir,  cuidier  savoir, 
Cuidier  pnoir,  cuidier  avoir. 

XLI.  Del'ome(jui  avoil  .111.  anus  (  AB).  — Conte  emprunté,  d'après 
l'auteur,  à  «  la  vie  d'un  saint  »  [Barlaam  et  Josaphat).  Un  homme  avait 
trois  amis,  dont  il  aimait  l'un  davantage,  le  second  autant,  et  le  troi- 
sième moins  que  lui-même.  En  un  grave  péril,  il  s'adressa  succes- 
sivement à  tous  trois  et  ne  fut  sauvé  que  par  le  dernier.  Moralisation 
sur  ce  thème. 

XLII.  Da  vrai  sens  ou  Don  vrai  saçjc  (  A  B).  —  «  Quant  sages  a  iolour 
«  s'assente,  il  en  est  assez  plus  repris  c'uns  fols.  .  .  » 

XLIII.  De  la  candeillc  A  B  1.  —  "  l'ovre  chose  est  d'iimanité.  »  Com- 
paraison de  la  vie  et  d'nne  chandelle  :  la  cire  c'est  le  coi-ps,  et  l'âme 
est  la  mèche. 

XLIV.  Sur  /'Ave  Maria  (A  B). —  Paraphrase  de  VAve  Maria  en  hiiil 
douzains  sur  deux  rimes  -'. 

\LV.  Des  deus  loiuiis  coinpaïqnnns  (  AB).  —  Histoire  de  Damon  et 
de  Phintias  (Cicéron,  Deofficiis,  III,  lo). 

\LVI.  De  cointise[A  B).  —  <  Assez  de  gens  blasment  cointise  » ,  c  esl- 
à-dire  l'élégance  et  la  tenue;  ce])eiidant,  "  cointise  vient  d'onesté». 

XLVII.  Vier  rétrograde  d'amours  (AB). —  Quatre  strophes  de  six  vers 
sur  trois  rimes;  dans  chaque  strophe,  les  trois  derniers  vers  repro- 
duisent les  trois  premiers  à  lebours,  et  dans  l'ordre  inverse. 

''  Pièce  attribuée  dubitativeint^nt  a  Baudouin  de  Condé  et  analysée  ;i  ce  lilro  <lans  V lli>hiiir 
liltéiaiiv,  t.  XXIII,  p.  •!7T.  — ''CI'.  Ion"  \XI  ilproruvrcde  Walriquel. 


SES  ECU  lis.  445 

XLVIII.    I>„  Joiinnis  (  VB).  —  Paraplinise  (le  Proverbes,  VI,  6-8. 

XLIX.  De  Fortune  (Ali).  — Instabilité  df  la  fortune;  conduite  a 
l<niir,  en  conséquence,  dans  toutes  les  conditions  de  la  vie. 

*L.  De  Fraitcliise  (  A  B).  —  Six  strophes  de  douze  vers  sur  deux  linies 
entrelacées  au  sujet  de  la  disparition  de  la  Franchise,  c est-à-dire 
de  la  noblesse  d'àine. 

'LI.  Des  inaliommès  ans  ijrans  seUjneiirs  (AB).  —  Même  sujet  (rue  la 
|)ièce  n"  VI  de  \Vatri(jnel.  (Jliaque  grand  sei<^nenr  a  un  «  niahoniniel  » 
(lavori)  où  il  "  met  dou  tout  se  créance»,  et  cpii  lui  lait  du  tori  en 
bien  des  manières. 

*MI.  Des  charneis  anus  (fin  st  lieenf  (AB).  —  Fâcbeux  effets  de  la 
désunion  «  entre  cliiaus  qui  sont  d'un  lignage  ».  Les  gens  de  cour  ont 
grand  tort  qui  rapportent  à  leur  seigneur  ce  ([ui  peut  les  exciter 
contre  leurs  proches. 

LUI.  Li  lais  de  l'ourse  (  A  B).  —  L'amour  ennoblit  et  Iranstorme 
le  vilain  en  gentilhomme;  tel,  l'ourson  que  sa  mère  a  léché. 

LIV.  Li  con/ors  d'amours  (AH).  —  SonnVaiices  doni  l'anjour  est 
cause  et  comment  v  remédier. 

LV.  De  Viporresie  des  .laeohins  (AB).  —  Dialiibe  contre  les  Domi- 
nicains. C'est  un  membre  fie  cet  Ordre  qui  a  t;mpoisonné  l'enuiercur 
Henri  VII,  son  pénitent,  dans  l'ostie  :  un  si  bon  prince!  Ils  sont 
avides,  ivrognes,  hypocrites,  gourmands,  luxurieux,  etc.  Il  y  a  pour- 
tant des  exceptions. 

LVI.  Des  vilains  et  des  courtois  (  \B).  —  Vilain  est  cpii  fait  vilenie, 
quel  que  soit  son  rang.  «  Tout  sont  gentil  cil  qui  bien  font.  » 

LVII.  Du  eletc  (fui  Ju  repus  deriere  l'escrin  (A  B).  —  Dans  ce  fabliau, 
qu'il  appelle  une  «  truffe  de  vérité  »,  el  dont  la  scène  est  en  Hainaut, 
l'auteur  raconte  l'historiette  bien  connue  de  la  dame  qui  cache  un  de 
ses  amants  quand  l'autre  arrive  et  cet  autre  lui-même  au  retour  du 
mari.  Le  mari  esl  représenté  comme  '<  wihos  solTrans»,  c'est-à-dire 
cocu  et  patient. 


446 


JEAN  DE  CONDÉ,  MENESTREL  ET  POETE  FRANÇAIS. 


XVllI.  Pourquoi  on  doit  Jemes  honorer  (AB).  —  Contre  ceux  qui 
médisent  des  femmes.  On  doit  les  honorer  à  cause  de  la  Vierge  Marie, 
et  chacun  à  cause  de  sa  mère.  Mais  la  médisance 


S'une  femme  est  jonc  et  jolie 
Qui  mete  son  cors  a  folie 
Et  soit  de  mal  faire  escriée, 


De  li  fera  plus  grant  criée 
Que  de  .XX.  bonnes.  .  , 


Et  pourtant  elles  seraient  presque  excusables  de  faillir,  en  certains 


cas 


Quant  il  est  une  jouvencele 
Gracieuse,  plaisans  et  bêle, 
Il  seront  il  .xx.  ou  il  trente; 
Chascuns  aura  a  li  entente 
Et  si  vorra  s'atnour  aquere 
Et  ne  cessera  de  tour  querre 
Comment  il  s'en  puist  solacier. .  . 
Chascuns  y  querl  a  bras  tendus 
Et  a  pour  li  ses  las  tendus. 
Chascuns  dist  qu'il  muert  et  dévie 
l'it  que  pour  li  perdra  la  vie 
S'il  n'a  de  secours  briement .  .  . 
Kn  soupirs,  en  larmes,  en  cris. 
En  messages  et  en  escris , 
Kn  maint  fort  penser  li  convoient  ; 
"V'i'st  mer\ eille  >'il  le  desvuicnt. 


Et  li  auquant  par  tricherie, 
Par  fausseté,  par  sorcherie, 

[mctent, 
Ou  par  lais  tours  dont   s'entre- 
[tent 
Si  font  tant  qu'au  desous  le  me- 
Et  (le  son  cors  le  Heshouneurent. 
N'est  pas  merveille  se  deveurent 
.XX.  leu  ou  .\xx.  une  brebis. .  . 
S'a  la  femme  le  cuer  moult  fort 
Qui  puet  eschaper  par  effort 
Fa  qui  tous  ces  perilz  trespasse. . . 
Je  di  par  devant  toutes  gens 

[gens 
Que  cesl  trésors  moult  biaus  et 
De  bêle  et  bone  et  sage  dame .  .  . 


LIX.  Dm  papeilloii  (A  H).  —  Nous  avons  vu,  en  notre  temps,  périr 
maints  princes  «  de  mort  moult  sauvage  ».  Et  nunc  enidimim.  Ceux  qui 
ne  tienneni  pas  compte  de  ces  avertissements  du  Ciel  sont  comme  les 
papillons  qui  se  brûlent  à  la  chandelle. 

*LX.  Du  sirnje  (AB).  —  Contre  les  extravagances  de  la  mode,  si 
changeante  de  nos  jours  que  qui  s'absente  de  son  pays  pendant  deux 
mois  la  trouve  toul  autre  au  retour. 


Les  Jones  gens  qui  ore  vienent 
Desguiséement  se  maintienent . 
De  dras  fait  on  diverses  tailles, 
Deropures  et  entretailles  ; 


Et  jadis  qui  tels  dras  vestoient 
Tout  pour  hiraut  tenu  estoient  ; 
Or  les  vestent  gros  et  menu .  .  . 


SES  ÉCRITS.  447 

Oh!  ces  chaperons  à  large  «  coquille  tournée  au  travers»,  revenant 
«droit  sur  l'ueil»  pour  retomber  sur  les  épaules  et  par  devant  sur  la 
poitrine,  qui  forcent  le  porteur  à  «  regarder  en  biscorgnet»  ! 

Or  sont  venues  en  avant  Par  grans   bendes   et   par  quar- 
Courtes  manches  a  bec  devant,  [tiers.  .  . 

Trop  estroites  parmi  tes  bras.  Li  autre  .se  çaignenl  si  bas 

Kt  si  découpe  on  les  bons  dras  Que  la  couroie  est  sus  les  rains. . . 

Les  singes  font  des  grimaces  et  imitent  ce  (ju'ils  voient  faire;  ainsi 
des  hommes  à  la  mode,  nombreux  dans  toutes  les  conditions.  Voici 
que  les  vilains  eux-mêmes  ont  des  «  manches  boutonnées  »  : 

Si  ni  a  vilain  ne  bergier  De  soie,  et  autres  contenances 

Qui  ne  veulle  sans  atargier  Fere  ,  com  il  voit  genz  d  onnour'". 

Avoir  boulonnées  les  miinces 

LXI.  Des  mauvais  usages  du  siècle  (AB).  —  Banalités  sur  la  déca- 
dence du  siècle,  dont  l'auteur  a  été  témoin  durant  sa  vie. 

*LX11.  De  hntejoie  (A  B).  —  Un  vaillant  homme,  un  prud'homme, 
est  dit  à  bon  droit  «  Portejoie »,  car  lexemple  de  ses  exploits  rayonne , 
réchauffe  et  réjouit  tout  autour  de  lui.  Cf.  le  n"  11  de  Watriquel. 

LXIII.  Dou  los  dou  monde  (AB).  —  «Ne  doit  prudom  avoir  hance 
«  en  los  mondain.  " 

LXIV.  Dou  villain  despensier[\B).  —  Lo  «  despensier  »  qui  est  trop 
économe  fait  honte  à  son  maître;  qu'on  le  pende.  Pièce  en  vers  équi- 
voques, dont  presque  tous  les  vers  se  terminent  par  un  dérivé  de 
pendre  ou  de  penser. 

*LXV.  De  biauié  et  de  grasce  (AB).  —  La  seconde  de  ces  qualités 
suffit;  le  concours  des  deux  est  irrésistible.  Bonté  et  sagesse  les 
doivent  doubler. 

*LXV1.  Des  Jacobins  et  des  Fremenears  (AB).  —  Les  Jacobins  et 
les  Frères  Mineurs  vont  prêchant  que  donner  aux  ménestrels,  c'est 

'"'  Comparer  des  lérnoignages  analogues  Sur  le  costume  des  éléijanis  au  v/i'  siècle,  dans  les 
Mélanges  offerts  à  M.  Emile  Picot.  I.  I"  (Paris,  igiS).  p.  IJ9. 


V'i8  .lEViN   DE  (X).M)K,   MENESTREL  El    POE'l'E  EHANÇAIS. 

sacrifier  au  diable.  Cependant,  David  «harpa»,  et  il  a  positivement 
conseillé  d'en  faire  autant  i^Ps.  XXXIll,  2-3);  la  Sainte  Chandelle 
d'Arros  lut  remise  par  la  Vierge  à  deux  ménestrels;  les  fous  qu'on 
mène  à  Saint-Acaire,  près  d'Haspres'' .,  nejx'iivent  souffrir  les  airs  de 
vielle  :  le  flia])le  qu'ils  ont  au  corps  n'aime  ])as  la  musique. 

Joie  (honnête)  con\ient  en  saison,  et  c'est  même  un  devoir  pour 
les  princes  : 

Or  ronviunl  il  i\ur  it'sliaudic  l'Jt  de  tel  soivire  deservent 

Soit  joie  pai"  menesliaiidie.  [\ent  I>i  incneslrcl  c'oii  l)i(>n  leur  (hca'. 

Do  tel  iiic^tier  les  M'igneur.s  ser- 

L'auteur  apostrophe  ensuite  Jacobins  et  Cordeliers;  il  connaît  fan- 
cienne  et  la  nouvelle  loi,  et  le  leur  montrera  en  leur  faisant  honte  des 
anciens  exem])les,  qu'ils  s'abstiennent  de  suivre,  aussi  bien  que  les 
préceptes  des  saints  Dominique  et  François.  Quoi!  s'attaquer  aux 
pauvres  ménestrels,  qui  gagnent  les  «  vieux  dras  "  des  seigneurs  en  les 
amusant  et  «  se  chavissent  de  povreté  "  (vivent  de  privations).  Jean  est 
sincèrement  indigné  : 

D'iroiir  m'en  avez  eM-liauffé!  Va  les  joueurs  d'arbalestriaus; 

lia  parole  dont  vous  liaitiez  Ne  devez  pas  meller  entr'iaus 
Pu  dite  pour  les  enchanteurs  [  ment .  .  . 

Et  pour  les  fans  eniregeteurs  Cens    <pii    se    mettent   d'ynstru- 

*LXV11.  De  Force  contre  Nature  (B).  —  "  Forte  chose  en  a  loi 
"  aprendre.  »  Les  jongleurs  dressent  chevaux,  ours  «t  chiens;  c'est 
moins  facile  de  dresser  des  hommes.  Pensées  sur  l'éducation.  "  .\a- 
"  turc  passe  nourreture»,  et,  contre  mauvaise  nature,  nul  remède 
(|ue  la   force. 

LXVlil.  Du  selcjneurde  Mureyni  (A  B).  —  Ecrit  peu  de  temps  après 
l'exécution  d'Enguerran  de  Marigni.  L'auteur  s'instruit  au  spectacle 
des  choses  de  son  temps;  faventure  de  Marigni  a  fait  voir  avec  éclat 
les  inconvénients  de  forgueil.  Il  n'est  pas  au  courant  des  circonstances 
de  févénement,  et  f avoue  (v.  i6.'>);  on  dit  bien  des  choses,  et  tout 
n'est  pas  vrai.  Mais  il  énonce  du  moins,  contre  le  favori  disgracié, 

'    Ait.  de  Valcnciennes,  c "    île  lioHchaiii  (Nord). 


si'S  KCRirs.  'l'a) 

comme  éclio  de  ses  coinpatiioles,  élrangeis  an  io\auine  de  l''i-aiice, 
un  griei  certain  : 

1  5(),  Il  fU'sroboit  lus  niairhcans  Ne  par  ])ioiiri-  ne  par  picdier, 

Qui  boni'  monnoie  portoii-nl  Que  leur  inonnoic  m-  piTcUsseiit, 

Si  tost  qu'en  ^Vance  entré  esl oient.  Ains  convenoil  qu'il  la  vendissent 

Se  leur  monnoie  ne  chantassent  A  nieschief;  e'esloit  «rans  desrois. 

Ou  premier  ehange  ou  il  passassent,  Ce  avoit  coniinandé  li  rojs 

Nus  ne  les  eu  pooit  aidier.  Par  le  conseil  du  Iraytour. 

Eriguerran  de  Marigni,  dit-on,  voulait  laire  pape  l'archevêque  de 
Sens,  son  Irère,  et  devenir,  lui-même,  empereur.  C'est  l'envie,  pour- 
tant, qui  a  surtout  déterminé  sa  chute. 

*LX1X.  Des  loseiKjers  et  des  rilains  (B).  —  .lean  reproche  aux  grands 
seigneurs  d'accorder  leur  conhance  à  des  gens  indignes,  qui  les 
llattent,  et  de  s'entourer  d'individus  de  bas  étage: 

Car  li  vilains,  d'ordure  esirais. 
Si  tost  (pi'il  parvient  a  ricluscc. 
Il  bel  bonneur  et  gentillescc 

*LXX.  Du  prince  (jiii  croit  boqrdeurs  (B).  —  (ion Ire  les  mauvais 
conseillers. 

*LXX1.  De  la  torche  (li).  —  Môme  sujet.  Eloge  dn  bon  vieux 
temps  :  Alexandre,  César,  Artur,  Charlemagne  avaient  un  entourage 
honorable;  ce  n'était  pas  «la  merdaille  »  d'aujourd'hui. 

Le  litre  de  la  pièce  est  tiré  de  la  conclusion  : 

Seignour  prince ,  or  ne  vous  anuil ,  

Vous  alez  aussi  com  par  nuit.  .  .  Car  qui  son  pooir  en  feroit 

Portez  ce  Dit  en  lieu  de  forsse.  Par  nuit  et  par  jour  eler  verroit. 

LXXIl.  Li  sentiers  battus  (B).  —  Anecdote  à  l'appui  du  prin- 
cipe qu'il  ne  faut  «  ramprosner  »  autrui  (car  on  s'attire  parfois  des 
ripostes).  La  scène  est  pendant  un  tournoi  entre  Péronne  et  Athies 
de  Vermandois.  Chevaliers,  dames  et  demoiselles  font  une  «reine", 
pour  jouer  au  Uoy  qui  ne  ment^^\  (îette  «  reine  »  pose  à  un  chevalier, 

^''  Cf.  Vj.Wcevïfnet,  l''ia<jc  und  AnlivorUspiclc  ilertf,  dans  la  Ziilsi  lu  Ifl  ftir  romaiiische  t'Iiilo- 
in  derfranzôsischen  Liieratur  des  l't.  .Jahhun-         Ingie,  t.  XXXIII  (ujo^),  p.  696. 

IIISI'.   HTTKR.  X\X\.  07 

3     1     *  .-..."".    .,«.o«.,.r. 


450         JEAN  DE  CONDÉ,  MENESTREL  ET  POETE  FRANÇAIS. 

un  ancien  soupirant,  qu'elle  avait  autrefois  refusé  d'épouser,  une 
question  indiscrète,  et  accueille  sa  réponse  par  une  réflexion  à  la  fois 
impertinente  et  grossière.  On  sourit.  Mais  lorsque,  conformément  à 
la  règle  du  jeu,  c'est  au  tour  du  chevalier  de  poser  une  question  à  la 
«  reine  »,  il  la  paye  de  la  même  monnaie,  plus  brutalement  encore;  et 
l'auditoire  s'esclaffe. 

'LXXIIl.  De  la  fontaine  (B).  —  Jean  de  Coudé  recommande  de 
servir  un  vaillant  homme;  c'est  là  un  grand  bonheur,  et  toujours 
profitable.  Le  prud'homme  idéal  est  comparé  successivement  an 
soleil,  à  l'étoile  tramontane,  à  une  fontaine  inépuisable. 

LXXIV.  Du  mantel  saint  Martin  (B).  —  Eloge  de  la  largesse; 
exemple  de  saint  Martin. 

LXXV.  Des  lus  et  des  bêchés  (B).  —  «  Propriétés  »  de  ces  deuv  sortes 
de  poissons;  comparaison  des  «  lus»  (brochets)  aux  rois,  qui  dévorent 
le  menu  fretin,  et  des  «  bêchés  »  (saumons)  aux  agents  des  rois  («  bail- 
lieu  et  prevost  et  maieur»),  qui  dévorent,  pour  leur  propre  compte, 
les  proies  ordinaires  de  leurs  maîtres. 

Il  est  impossible  de  classer  les  écrits  de  Jean  de  Gondé  dans  l'ordre 
chronologique  de  la  rédaction.  Trois  seulement  sont  à  peu  près  datés, 
nous  l'avons  vu.  A  peine  peut-on  remarquer  en  outre  que  le  dit  D^n 
lévrier  (n"  XXXIV),  exceptionnellement  faible  et  maladroit,  est  sans 
doute  une  œuvre  de  jeunesse,  tandis  que  celui  Des  Jacobins  et  des 
Fremrneurs  (n°  LXVI),  où,  comme  dans  quelques  autres,  l'auteur 
parle  avec  complaisance  de  la  renommée  qu'il  a  acquise  (v.  3ia), 
doit  être  au  moins  de  sa  maturité. 

11  y  a  dans  son  bagage  plusieurs  soi'tes  de  pièces  : 

1°  Des  romans  d'aventure,  assez  brefs,  mais  qui  sont  tout  à  lait 
de  la  même  veine  que  ceux  du  xii*  et  du  xiii"  siècle  :  Dou  lévrier 
(n°  XXXIV),  le  Lai  dou  blanc  chevalier  (n°  I),  le  Dit  dou  chevalier  a  le 
manche  (n"  XXllI).  À  quoi  l'on  peut  joindre  le  conte,  très  sommai- 
rement esquissé,  Dou  varlet  hi  ama  le  femme  au  bonrcjois  (n'XXIV); 

2°  Des  contes  grivois,  daps  le  genre  des  fabliaux  :  n"'  XIV,  XV, 
XXX,LVII,  LXXIl; 

3°  Des  fantaisies  allégoriques,  dont  la  plus  singulière,  comme  la 


SES  ECRITS.  451 

plus  jolie,  est  la  Messe  des  nlsiaus  [n"  XXXVIl),  à  laquelle  l'auteur  a 
soudé  le  débat  plaisant  et  fort  libre  Des  chanonesses  et  des  grises 
nonains.  Le  dit  i\  Entendement  [n°  XXXVIll),  avec  l'interprétation  de 
(Quatorze  visions,  appartient  aussi  à  cette  catégorie; 

i"  Questions  d'amour,  professées  ou  débattues,  comme  YAcort 
d'armes  et  d'amours  (  n°  X),  teinté  de  mythologie  antique;  De  le  pelote 
(n"  XXVÏII),  De  l'amant  hardi  et  de  l'amant  cremeteus  (n"  XXXIII);  De 
l'ourse  (n°  LUI);  Conjors  d'amours  (n°  LIV).  Une  des  pièces  de  ce 
genre  (n°  XLVIl)  se  présente  comme  un  exercice  d'acrobatie  mé- 
trique; 

ô"  Considérations  morales,  qui  sont  de  vrais  «sermons»  laïques 
(cf.  Dou  pliron,  v.  3;  et  Des  Jacobins  et  des  Fremeneurs ,  v.  'iôy);  Des 
.III.  sages  (n^XIII),  Dou  frai  n  (n"  XVIII),  Pour  (jaels  .II.  cozes  on  vit 
an  monde  (n"  XIX),  De  boin  non  >"  XXVII),  De  le  mortel  vie  (n°  XXIX), 
Dr  gcntillesce  (n"  XXXIX),  Des  quatre  cornes  d'orgueil  (n"  XL),  De  For- 
tune (n"  XLIX),  De  Portejoie  (n°  LXll),  Dou  los  dou  monde  (n"  LXIIl),  etc. 
Ces  dits  moraux  forment  la  majeure  partie  de  l'iiuvre  de  Jean; 
quelques-uns  sont  en  forme  de  conte  (  n"'  IV,  XIII,  XXXV,  XLI,  XLV)  ; 
d'autres  .«^ont  des  paraphrases  de  versets  bibliques  (n"'  VI,  XVI, 
XLVIII)  ou  de  paraboles  évangéliques  (n°  VIII).  —  On  y  peut  rat- 
tacher les  lamentations  sur  les  mœurs  du  siècle,  tels  que  les  n°'  XXV 1, 
Ll,  LX,  LXIX,  LXXl,  etc.;  et  les  essais  pédagogiques  (n"'  XXVI. 
LXVII); 

6"  Dits  composés  à  propos  d'événements  contemporains  (n"  LV, 
\XX11,  LXVIII).  La  riposte  personnelle  aux  attaques  des  Ordres 
mendiants  contre  les  ménestrels  (n°  LXVI)  est  de  la  même  inspi- 
ration; 

7°  Poèmes  dévots  :  De  le  Pashe  (n°  XXV)  et  sur  Y  Ave  Maria 
(n"XLIV). 

(  le  bagage  a  la  plus  grande  analogie  avec  celui  du  père  de  Jean , 
Baudouin  de  Condé,  lequel  a  composé  aussi  beaucoup  de  dits  à  pré- 
tentions didactiques  et  moralisantes,  sous  des  titres  qui  ont  évidem- 
ment inspiré  ceux  que  Jean  a  adoptés  [Dou  Wardecors,  dou  Mantiel; 
Dou  Pellican,  dou  Dragon,  de  la  Rose;  d'Envie,  d'Amour,  de  la  Mort; 
dou  Baceler,  dou  Preudomme;  etc.  ).  Tant  pour  la  forme  que  pour  le  fond, 
il  ne  serait  pas  aisé,  sans  les  rubriques  des  manuscrits,  de  discerner 
aujourd'hui  les  dits  de  Baudouin  d'avec  ceux  de  Jean  :  mêmes  sujets, 

57. 


452  JEAN  l)K  CONDK,  VIRNESTREL  El'  l>()E'rE  FKWÇAIS. 

incmes  pensées,  et  même  adresse  aux  jeux  des  rimes  équivoques  el 
des  strophes  à  vers  «rétrogrades».  Il  y  ^  hien  des  indices  que  Jean 
savait  par  cœur  ce  que  Baudouin  avait  écrit;  et  il  a  déclaré  lui-même 
que  son  ambition  n'allait  qu'à  «glaner»  aj)rès  un  père  qui  lui  avail 
appris  son  métier  [Don  levner,  v.  5o  et  suiv.). 

Or  Baudouin  avait  été  un  homme  sérieux,  entretenant  la  plus 
haute  idée  de  la  «  mission  »  sociale  des  ménestrels  qui  sont  «  maistres 
«  de  leur  menesirandie  »  [Des  liiraiis,  v.  49)1  et  un  goût  décidé  pour  la 
prédication  morale;  particulièrement  animé  contre  ceux  de  ses  con- 
frères, ou  soi-disant  tels,  «envieux  et  inesdisans,  qui  bien  ne  dienl 
«  ne  ne  lont  »;  contre  les  bouffons  de  bas  étage  qui  compromettaient  la 
profession;  o\  contre  les  hérauts  d'armes.  De  même,  Jean  considère 
positivement  son  «  service  »  comme  un  sacerdoce  : 

C'est  sicrviclies  hiuus  et  ruiiiloi*-  Dv  cuntci-  aucun  snrvcntois 

De  retraire  aucuu  si(i\eutoif>  Dcvanl  prince  puissant  et  riclie; 

Par  devant  preudhomnic  a  se  labte..."  Et  je,  (|ui  serf  de  tel  serviclie, 

Di  par  devant  grans  et  meneurs .  .  .  ''^' 

Biel  sont  pour  recordei'  en  court  

Li  dit  qui  sont  plesant  et  court.  On  ne  demande  autre  sermon 

C'est  entremis  l)iaus  el  courlois  En  plusours  liex  ou  je  parole  . 


(S) 


Il  savait  d'ailleurs  par  expérience  que  tel  n'était  pas  le  meilleur 
moyen  de  se  (<  •  i'ifr  la  laveur  des  auditoires;  mais  le  devoir  avani 
tout  : 

Et  pour  cou  ne  se  nocI  relraire  .ii  poui'  iaus  ne  se  retraira 

Jehans  de  CiONDEi  de  Itien  dire.  De.  bien  dire.     . 

Si  en  sont  plain  d'anui  el  d'ire  Se  il  ninuvès  en  onl  ei)>ie 

Pluiseur.  Quel  sont  il?  lii  mauvais,  Puur  <;ou  n'afierl  pas  qu'il  se  taise.  .  .    ' 

Dont  souvent  ai  1  épris  les  fais.  .  . 

Le  devoir  avant  tout;  et  ce  devoir  était  aussi  à  ses  yeux  un  dioit, 
le  «  droit  fie  son  métier  »  : 

Si  coin  Jehan  de  Co.ndé  conte  Et  enuorte  a  fere  les  biens. 

Qui,  en  pluseurs  dis  qu'il  repreni,  Ja  soit  ce  c'on  n'en  face  riens, 

liCS  malz  du  siècle  nioull  reprent  I.i  dr(ii>  de  son  mestier  t'aporle'-''. 

'"  Éd.  Scheler,  f.  Il,  ]..  id.}.  —  '-   Ihid..  t.  III.  p.  -'.-sg.  —  ">  Un,l. ,  I.  III,  p.  af);.  —  '*)  /M.. 
t.  11,  p.  a-'iS.  -  ^        Ihid..  I.  m,  p.  aS-î. 


SES  KCKITS.  45;i 

Toutefois,  il  n  souvent  exprimé  les  senliuients  mélancoliques  que 
lui  inspiraient  rinditlérence  de  son  public  à  ses  «  liiaus  mos  »,  à  ses 
«  biaus  dis  »,  c'est-à-din;  à  la  noblesse  soutenue  de  sa  pensée  et  de  son 
élocution,  et  la  vanité  de  ses  efforts  : 

Pour  ce  c'on  fd  de  bien  pelil  Kt  aussi  tait  ctiius  en  apert 

Porc  je  moult  souvent  l'apetit  ()ui  It;  bien  a  celui  recorde 

Dp  bien  dire,  et  de  bien  conter.  .  .  "  Qui  a  l'escouter  ne  s'acorde, 

Si  en  sui  plains  d'anui  et  d'ire  Ainz  li  desplest  et  li  anoie. 

IMus  que  je  ne  monstre  souvent.  Se  saumons  a  pourchiaus  doiinoie, 

lÀ  lioin  qui  souHle  contre  vent  Moul  seroient  mal  emploie... '- 

A  ensienl  sa  peine  perl  ; 

Le  pauvre  lean  avoue  qu  il  ne  sait  plus  «  oii  prendre  matere  qui 
«  puist  estie  a  cliascun  plaisans».  Une  sufïil  point  à  ses  auditeurs  (|ii'il 
«  raccourcisse  »  ses  "  sermons  «  '^';  on  lui  réclatne  des  «  risées  »  : 

(iens  sont  qui  ont  plus  kier  risées  S'en  ai  estel  souvent  semons 

Fa  mokeries  desf^bisées  De  risées  a  rime  mettre'" . 

Oïr,  que  ne  lacent  sieimons  ; 

Il  ne  semble  [)as  que  Baudouin  de  Condé  se  soit  souvent  résigné  à 
rire,  pour  mieux  plaire,  quoiqu'il  en  fût  très  capable  [Des  hlraiis]. 
Son  lils  a  essayé  |)lusieurs  fois;  mais,  sauf  une  ou  deux  (notamment 
dans  l'épisode  Des  chanonesses  et  des  (frises  nonains)^  ses  plaisanteries 
sont  un  peu  Iroides,  contraintes  et  faites,  en  vérité,  comme  par 
acquit  de  conscience.  D'autre  part  elles  ne  sont  jamais  fort  basses. 
.lean,  selon  nous,  n'a  guère  excellé  qu'un  jour,  et  ce  n'est  pas  en 
riant  :  c'est  en  souriant,  dans  les  conversations  familières  du  Chevalier 
a  le  manche.  —  Kn  somme,  Baudouin  et  Jean  ont  été  des  ménestrels 
d'une  exceptionnelle  tenue. 

Leur  émule  Watriquet  —  disciple  de  l'un,  condisciple  de  l'autre, 
—  qui  se  guindé  d'ordinaire,  ainsi  qu'eux,  à  un  niveau  moral  si 
élevé  que,  seule,  la  fleur  d'ennui  s'y  épanouit  encore,  n'observe  pas, 
nous  l'avons  vu,  la  même  mesure  lorsqu'il  cesse  de  prêcher.  Sa  cui- 
sine littéraire,  comme  le  goût  des  hommes  du  moyen  âge,  fait  alter- 
ner les  fadeurs  sententieuses  et  les  épices  les  plus  violentes.  C'est  (ju'il 

'"   Éd.  Scliel.i,  t.  III,  p.  i6i;  d.  p.  321.  —     '    Ibid..  l.  III,  p.   lU-  —  ''   Mil.,  t.  Il,  p.  yll  : 
«  Et  je  voel  que  cils  dis  soit  conis;  —  S'erl  mie\  oys.  .  .  »  —  '*'  Ihid. ,  t.  Il,  p.   i  ■?.-,. 


454  JEAN  DE  CONDK,  MÉNESTREL.  —  SES  KCRITS. 

avait  personneHement  plus  de  tempérament.  Il  est  à  peine  croyable 
que,  après  avoir  relevé  les  traits  de  ressemblance  extérieure  entre 
Jean  de  Condé  et  Watriquet,  institué  entre  ces  deux  fils  spirituels  de 
Baudouin  une  comparaison  suivie,  et  posé  la  question  de  savoir 
lequel  a  pu  exercer  quelque  influence  sur  l'autre,  on  ait  conclu 
récemment  que  Jean  de  Condé,  l'emportant  sur  son  confrère  et  con- 
temporain à  tous  les  points  de  vue,  notamment  «en  élan  poétique», 
Watriquet  est  celui  des  deux  qui ,  sans  doute ,  fut  redevable  à  l'autre  ''l 
Car,  en  fait,  Jean  de  Condé  et  Watri(juet  ont  puisé  aux  mêmes 
sources,  et  traité  souvent,  comme  au  concours,  les  mêmes  sujets  : 
de  là  le  parallélisme  de  leurs  lieux  communs  et  de  leurs  manières  de 
parler;  mais  Jean  n'était  qu  un  homme  de  talent  et  Watriquet,  en 
outre,  avait,  parfois,  des  lueurs  :  de  là,  entre  eux,  une  différence. 
Pour  ne  pas  en  avoii-  le  sentiment,  ou  apprécier  cette  différence  à 
contre-sens,  il  faut  être  tout  à  fait  privé  de  ce  tact  littéraire  in- 
définissable, et  si  nécessaire,  que  les  connaissances  philologiques 
ai;^uisent,  sans  en  tenir  lieu. 

Fr.  Novati  a  lait  savoir,  en  1906,  qu'il  s'occupait  alors,  depuis 
plusieurs  années,  de  rechercher  les  sources  des  écrits  de  Jean  de 
Condé ''';  et  il  a  donné,  de  ces  recherches,  en  même  temps  qu'un 
spécimen  (à  propos  du  Dit  du  koc ,  n°  II),  les  conclusions  générales. 
Conclusions  qui  n'ont  rien  d'inattendu  :  Jean  de  Condé,  dit  le  savant 
critique,  ne  tire  guère  quoi  que  ce  soit  de  son  propre  fonds;  il  n'in- 
vente pas  ses  thèmes;  il  s'appuie  toujours  sur  quelque  autorité  :  ver.set 
de  l'Evangile,  page  de  Bestiaire,  fabliau  ou  pièce  en  vers  latins 
rythmiques.  Son  art  est  de  délayer,  sans  craindre  le  rabâchage.  En 

3uoi  il  ne  diffère  pas  de  son  père  Baudouin,  mais  non  plus  de  Jean 
e  Meun  —  dont,  du  reste,  il  a  aussi  subi  l'influence  —  ni  de  tous 
ses  contemporains. 

C.  L. 

'"  J.  Wiegand,  op.  cit.,  p.  ga  et  suiv.  •  rica  Lombarda»  sur  Fr.  Novati,  a  bien  voulu 

'*'  Stadi  medievali .  t.  I",  p.  490.  —  M.  Pio  nous  informer  que  les  papiers  de  son  regretté 

Rajna,   auteur    d'un    volume    cdmmémoratif  ami  ont  été  déposés  récemment  à  la  Bibliotera 

publié  en  i()i8,  à  Milan,  parla  •  Società  .Sto-  Braidense. 


JEAN  D'ANNEUX,  CLERC  SÉCULIER.  —  SA  VIE.  455 

JEA\   D'ANXEIJX, 

CLERC   SÉCULIER   ET   MORALISTE. 


I.  I^e  P.  Denifle  et  M.  Châtelain  ont  inséré  dans  le  Chaiiulariain 
Universitads  Parisiensis  une  lettre  de  Jean  XXIl ,  du  i  "  novembre  1 3  'j6  , 
pour  maître  Jean  d'Anneux'"',  docteur  en  théologie,  curé  ou  recteur 
de  Sainl-Amand-en-Puelle,  au  diocèse  de  Tournai'^'.  Le  pape  dispense 
maître  Jean  de  l'obligation  de  la  résidence  dans  son  bénéfice  :  i"  pen- 
dant le  séjour  qu'il  a  fait  en  cour  de  Rome,  d'avril  à  la  Toussaint 
dernière;  i"  «  uscpie  ad  triennium  post  Parisius  sacram  theologiam 
«  legendo  ». 

D'autre  part,  Casimir  Oudin  a  eu  connaissance  d'un  manuscril, 
conservé  en  son  temps  sous  le  n"  2  dans  la  bibliothèque  du  CîoUège 
des  Cholets,  à  Paris,  dont  le  titre  était  :  Trailalus  de  obedientia  exhi- 
benda  pastoribtis  a  laicis,  coinpilatus  anno  Domini MCCCXXVI I  a  maqistro 
Jounnc  de  Aniiosis,  dorlure  tlteuloijie  recjente  e(  consocio  Joannis  de  Poliaco^^'. 
Ainsi  Jean  d'Anneux  avait  été,  de  notoriété  pid)lique,  un  compagnon 
de  cet  ardent  défenseur  des  séculiers  contre  les  Mendiants,  Jean  de 
Pouilli,  dont  nos  prédécesseurs  n'ont  plus  trouvé  de  traces  après 

l321-l32i«'). 

John  Maynsforth,  /p/Zoïc  de  Merton  Collège,  Oxford,  a  inséré, 
entre  les  années  1^20  et  i43o,  dans  un  recueil  de  pièces  qu'il  for- 
mait pour  la  confusion  des  moines  de  toutes  les  robes,  parmi  des 
opuscules  de  Guillaume  de  Saint-Amour,  de  Thomas  de  Wylton,  de 

''•   En  latin,  (Ze  i4/mosis.  Anneux,  canton  de  l'opuscule  de  Jean    d'Anneux    était    transcrit 

Marcoing  (Nord).  dans  ce  manuscrit  à  la  suite  d'un  exemplaire 

'''  C/iorJatirium...,  t.ll,  p.  a94.Cr.  A.  Fayen,  de  Pierre  de  Blois.  Un  catalogue  antérieur. 

Lettres  de  Jean  XXII.  t.  II  (1 309  ) ,  n°  1 860  (on  publié  par  E.  Châtelain  [Note  sur  les  manascrits 

a   imprimé  ici    «Jean  d'Amiens»  au   lieu  de  dn  Collège  des  Ckolets.  Pétris,  1889.  «Pernozze 

«Jean  d'Anneux»).  •  Jacob -Azéma»)   décrit   ce   même   manuscril 

*''  G.  Oudin,   Commentai  tus  de  scriptoribus  comme  il  suit  (p.  a5)  :  'Epistolae   180  Pétri 

ecclesiaslicis ,  t.  III,  col.  802.  Cf.  un  catalogue  «Blesensis,    quaedam    opuscula    Senecae,     et 

de  la   bibliothèque  du  Collège  des  Cholets,  «opuscula.» 

fiibi.  nat. ,  lat.  i3o68,  loi.  aa'i  :  on  y  voit  que  '*'   //is<oire /iHeraiVe,  t.XXXIV,  p.  357. 


^ir)6  JEAN   D'ANNELX,  CLEKC  SÉCLLJER  ET  MOHM.ISTE. 

MicJjel  de  Césène,  etc.,  un  Irait»-  (lon[  voici  le  litre  :  Brevis  tracUttin 
ad  honorem  Dei  et  Ecclesic  annpilattis  Avinione  a  inaqhlro  .Inltaime  de  \n- 
nusis,  sacre  llieologie  doctorc ,  aiino  Domini  MCCCXWHI ,  sepliina  die 
di'ceinims,  cujus  anime  iJiopicieUir  Dens^^K 

Knfin,  on  trouve  dans  un  recueil  d"oj)u.scules  de  |)iélé  en  français 
dialecte  du  Hainaut),  transcrit  en  i35if^)  el  venu  à  la  Bibliodjiujue 
de  l'Arsenal  avec  les  collections  de  M.  de  Paulni),  nu  traité  intitulé: 
Quidam  tractatiis  de  reçjnnine  primipnm  <juem  (ompilavil  maipster  .lo/ianiiex 
de  Annosis,  doetor  sacre  llie(do(jie ,  <  aralus  Saiicti  imandi  in  Pabiila,  misstis 
pro  epistola  domino  comili  Hanonie  Giullelmo  hone  inemorie,  nuorum  ani- 
mabus  omnipotens  Deiis  parcai  ^'.  Pas  de  date.  Ce  traité  est  antérieur  à 
la  mort  d'un  comte  (luillannte  de  Hainaut.  M.  Ileni)  Martin  a  cru 
qu'il  s'agissait  de  (iuillaume  11  (ti345)''';  mais  il  esl  certain  (juil 
s'agit  de  Guillaume  I",  mort  en  juin  i  SSy''  ;  car,  dès  le  ic)  novembre 
1829,  Jean  d'Anneux  n'existait  plus. 

(le  jour-là,  .lean  XXII  conféra  à  (ioppo  Jannut ri  de  Florence,  cha- 
pelain du  cardinal  Xnnihaldo  de  Saint-Laurent  in  Lucina^'^\  l'église  de 
.Saint-Amand  au  diocèse  de  Tournai,  vacante  par  le  décès  in  eitria 
de  Jean  d'Anneux,  professeur  de  théologie,  aussi  chapelain  dudil 
cardinal'''. 

II.  Jean  d'Anneux,  dont  la  biographie  est  si  obscure,  en  raison  de 
ce  qu'il  n'appartint  à  aucune  corporation  soucieuse  de  la  réputation 
littéraire  de  ses  mend)res  et  de  ce  qu'il  ne  fut  d'ailleurs  revêtu  d'au- 

''     Ce  inanuscrif,  dont  (].  Ouiliu  a  eu  con-  "    Honry  Martin,  l.u  dioli ibe  (fv  Jean  d'  \ii- 

naissance,  est   aujouid'Imi  consorvé   à   la   Bi-  iicii.r ,   dans    Ips     Mélniujcs   Emile  l'iiot.    I.   Il 

l)liolhi''<|iif  Hodiélpnne,  lîodi.  r)2.  Le  Irailé  de  Paiis,  i((i.J),  n.  a3n. 

Jean  d'Anneux  occupe  les  folios  1  ycj-aoa  ,  que  ^'  C'est  ce  ccnile  (îuillaunu-,  dit  le  Bon, 
nous  avons  fait  phologiaphier.  I.a  phntogra-  f,'endre  de  Charles  de  Valois,  <|ui  fut  le  jiatron 
|)hie  est  maintenant  conservée  à  la  Bibliothè(|u<-  de  Jean  de  Condé  (ci-dessus,  p.  4^i8,  n°  xxxii 
des  Anliives  nationales,  sous  la  cote  M  m  1(^9.  i|ui  parait  dans  le  poème  du  «  Vliiacle  de  (^am- 
(.etle  date  est  assurée  nolannnciit  par  une  hrou  »(  dont  nous  parlerons  '  ;  et  pour  qui  un 
annotation  en  vers  latins  (|ui  suit ,  dans  le  ms.  moine  de  Saint-Landelin,  à  (irespin,  prés  de 
(le  l'Arsenal,  le  Traclatiis  de  Jean  d'Anneux.  Valenciennes,  aurait  compilé  le  roman  de  Per- 
lée premier  de  ces  vers,  relatif  à  Jean,  qui  <r/or«t  (voir  7?oi;iaHia ,  I.  \XIII  ,  1894,  p- 84) 
contient  peut-être  un  calembour  sur  son  nom  '  Cet  Annibnldo  avait  été,  avant  son  éleva- 
'aimis ,  .Innosis),  est  clair,  [..es  deux  suivants.  tion  au  cardinalat,  pourvu  d'une  prébende  danr. 
qui  sont  obscurs,  donnent  le  nom  du  copiste,  l'église  d'Arras  (/{ef/eîtum  l'Iementis  papae  l'', 
Georges  de  Thuin,  comme  Ilenrv  Martin  l'a  ad  annnm  i3lS,  n"  9814);  d''  là,  sans  doute, 
montré.  ses  relations  avec  les  originaires  du  nord  de  la 

Bibl.   de   l'Arsenal,   n'    -iO.K),    loi.    -.ni-  France. 

■'•'*3.  •)   A.  Fayen,  op.  cit.,  t.  Il,  n'  afiyô. 


SKS  KClilTS.  '157 

ctiiu;  yriindc  cliarj'c,  lui   un  puhlicislc  aclil  :  il  ;i  ùcril  ;ai  moins  siv 
ouvrages,  dont  nous  ne  connaissons  maintenant  que  deux. 

De  oitKDiEMiA  h.xHiBEMjA  PAsTOHiliLs  A  LAicis.  —  (>.  Oudin  indi(iue 
en  ces  termes  rincijTil  de  ce  traité  dans  le  manuscrit  perdu  du  Collège 
(les  (iliolets  :  «  Oheditc  prepositis  vestris  et  subjacete  cis  ;  ipsi  enim  vigilant , 
"  ratwnem  redditiin  pro  animnhus  vestris.  Ista  verba  scripta  sunt  in  Epi- 
ci  slola  ad  Hebreos,  cap.  i  .S ,  ubi  precij)itur  siibditi  ad  prelatum  obc- 
«  dientia.  >< 

(,o^TliA  FH4Ti{h:s. —  Uans  le  manuscrit  d'Oxlord,  ce  traité  commence 
ainsi  :  »  Filios  eimtnvi  et  exaltavi  ;  ipsi  anlem  spernerunt  mv.  Ys. ,  I,  -i. 
«Quatuor  modi  sunt  reddendi.  » 

L'auteur  constate  et  condamne  d'abord  l'ingratitude  de  certains 
>i  frères  "  à  l'égard  du  Saint-Siège;  mais  il  ne  tarde  pas  à  les  nommer. 
Leur  règle  a  été  confirmée  par  laveur  spéciale  de  Rome,  cpioiqu'elle 
cûl  été  compilée  «  a  viro  illitcrato,  simplici  et  ydiota  »,  bon  et  saint 
d'ailleurs,  saint  François.  Mais  ils  refusent  de  reconnaître  l'interpré- 
tation qu'en  donne  l'autoi-ité  aspostolique  quand  elle  n'est  pas  con- 
forme à  leurs  désirs  et  cherchent  alors  des  appuis  du  dehors  contre 
cette  autorité.  Ileicsie,  et  pis  (pie  cela!  — -  11  s'agit  ici  de  la  contro- 
verse consécutive  aux  décrétales  de  Jean  XXII  Cum  iiiter  nonnuUos  et 
Ad  couditorem ,  au  sujet  de  la  doctrine  des  l'Vanciscains  sur  la  Pau- 
vreté'*'. Jean  d'Xnneux  se  range  résolument  parmi  les  adversaires  les 
plus  intransigeants  des  Mineurs.  Il  s'était  déjà  montré  tel,  nous  l'ap- 
prenons de  lui,  dans  un  autre  ouvrage  :  «Je  crois,  saul  meilleur  avis, 
«  que  mieux  vaut  être  riche  (jue  pauvre  au  service  du  Christ,  comme 
"je  l'ai  déterminé  naguère  à  l^aris  dans  mes  (Juestiones  de  (iwddx't^'K  » 
11  s'étonne  des  prétentions  de  saint  l'Vançois,  qui,  «  licet  insipiens  », 
crut  avoir  découvei"t  une  manière  de  vivre  et  un  type  de  perfection 
supérieurs  à  ceux  dont  tant  d'illustres  docteurs  s'étaient  auparavant 
contentés.  11  ne  craint  pas  de  dire  que  la  règle  franciscaine  doit  être 
révoquée,  abolie  :  «Régula  Francisci  revocanda  »,  attendu  (pie  l'on 

'''  Histoire  litternire ,  I.  XXXIV,  \).  3/17,  i^'S  «  pau|ieruiii  sustentacionem  quaiii  esse  panjicr 

et  sniv.  «  propler   Christuin    et    bene   uti  pauperluto, 

'"'  Fol.  18a  v°  :  «CrPfld,  sal\o  im-liori  judi-  «  sicul  alias  detemiinavi  Parisius  in   Quoslio- 

«cio,  qaod  raclius  est  esse  dives  propter  Chris-  "  nibus  nostris  de  nuolibet.  » 
«  liim  et  l)ene  uti  diviciis  ad   I)ci  hnnorem  et 

IlISr.    I.ITTKK.   —  NWV.  5  S 


458  JE\N  D'ANNKllX,  Cr.ERC  SKCULIKR  ET  MORALISTE 

s'en  targue  jusqu'à  la  présomption  et  jusqu'à  la  révolte,  sans  la  prali- 
quer  vraiment  (car  il  y  a,  dans  l'Ordre  des  Mineurs,  encore  plus 
d'hypocrites  que  de  dupes].  Et  ce  ne  sera  pas  la  première  fois  que  le 
Saint-Siège  sera  revenu  sur  des  décisions  antérieures.  La  décrétale 
Exiit  de  Nicolas  III  a  exalté  jadis  le  mouvement  des  «  Spirituels  »,  en 
l'appuyant  par  l'alllrmation  que  le  Christ  et  les  apôtres  avaient  prati- 
qué le  renoncement  ahsolu  à  la  propriété.  Mais  d'autres  décrétales 
sont  intervenues  depuis  en  sens  contraire.  Elles  ont  délié  les  langues; 
Jean  d'Anneux  est  un  de  ceux  qui  en  ont  profité  naguère,  à  Paris, 
pour  libérer  leur  conscience*"'.  Il  s'étend  ensuite  sur  les  griefs  bien 
connus  des  séculiers  contre  les  Mendiants,  en  matière  de  juridiction 
paroissiale:  sépultures''^*,  confessions''*',  etc.  En  ce  qui  louche  les 
confessions,  il  renvoie,  du  reste,  à  un  traité  de  son  cru  sur  la  matière''*'. 
Mais  il  revient  bientôt  à  l'historique  des  bulles  successives  de  Jean  XXll, 
qu'il  a  commentées  à  Paris  («et  predicta  legi  Parisius»),  à  chacune 
desquelles  grandissaient,  il  s'en  souvient,  la  rage  et  la  malignité  des 
aboyeurs.  Ils  «  adhérèrent  enhn  au  Bavarois»;  ce  sont  eux  qui  lui  ont 
conseillé  ce  qu'il  a  lait;  »  laïque,  illettré  »,  Louis  de  Bavière  n'aurait 
pas  inventé  spontanément  la  procédure  qu'ils  suggérèrent.  .  . 

Dans  la  seconde  partie  de  l'opuscule,  qui  commence  au  folio  192 
par  une  lettre  ornée,  l'auteur  revient  sur  la  fausse  humilité  des  reli- 
gieux, qui  dissimule  mal  leur  orgueil,  et  qui  leur  a  fait  susciter  un 
schisme  contre  le  pape  légitime.  Il  se  demande  surtout  quels  sont  les 
remèdes  aux  dangers  précédemment  définis.  Les  frères  de  l'Ordre  de 
Saint-François  sont  trop  nombreux  pour  qu'on  puisse  s'en  débarrasser 
en  les  mettant  tous  en  prison'*';  le  scandale  serait  trop  grand,  et  leurs 
amis  du  monde  laïque  les  feraient  relâcher.  De  même  ([ue  Dieu  retire 

■'    fol.  187  :  »  Kt  ego  lui  uiiiis  de  doctori-  «sunl  de  conlessioiiibiis  reddunlur  in  traclatu 

«  bus  le^'entibiis  illas  [decretales]  Parisius,  et  «  meo  Dr  roiifessionibiis ,  in    quo  sunt   quatuor 

«sic  impiété    sunt  Scripture   [Sap. ,  X,    21  )  :  «articuli  de  isla  mateiia  mafjni  et  dilTusi:  pri- 

t  Aperuit  os  niiitorum,  quia  prius  non  andeba-  «mus  esl  de  confitenlis  obedierilia;    secuiidus 

u  iims  loqui .  .  .  '1  «  osl   de  conlessionis  cITiracia;    tertius  est    de 

''     Fol.     189  :    «  Divitcs    omnes    vel  quasi  »  coulessoreordinano;  quarlusesl  deconfessore 

«in\it.int  ad   sepultnras   in  domibus  suis;  de  advenlirio.  Ideo  hic  dimitlo.  .  .  > 
«  pauppribus  vero  non  curant,  quia  ibi  non  est  II    parait    évident    (|ue    Jean    d  Anneux 

•  eniolumentum  temporale. '1  pense  ici  à  la  procédure  appliquée  aux  Tem- 

'*'   /fc. .«  Videmus  quod  principes  et  divite.'».  pliers,  qui  s'était  montrée  naguère  si  eflicace 

«  quorum  Craties  sunt  conlessores,  sunt  pejores  contre  un  Ordre  puissant;  on  sait  que  son  ami 

«et  magis  tiraimi  quara  soiebant.  »  .lean   de  Pouilli   l'avait  approuvée   hautement 

''     //>.  ;  «  Bationesonmium  islorumque  dicti  '  Histoire  lillernire ,  t.  XX.XFV',  p.  •!''.3  et  suiv.). 


SES  ECRITS.  459 

sa  i;ràce  au  pécheur,  il  faut  tout  simplement  les  priver  de  leurs  privi- 
lèges. «  Révocation,  révocation  ! ..  Plus  de  sépultures  dans  les  maisons 
des  Mineurs,  au  préjudice  des  curés;  le  retour  au  droit  commun  par 
la  suppression  des  exemptions.  On  ne  s'y  est  pas  pris  à  temps,  et  le 
péril,  (pii  aurait  pu  jadis  être  éciasé  dans  l'œuf,  s'est  développé  jus- 
qu'à la  complicité  avec  le  Bavarois.  Prenons  garde  (pi'il  ne  s'aggrave 
encore  si  l'on  n'intervient  promplement:  «  Sicut  mihidixerunt  quidam 
«  cardinales,  in  aliquibus  partibus  predicant  contra  papam  et  etiam 
«  magnilicant  et  aprobant  suum  pseudopapam.  »  Cependant  le  pape 
ne  suit  pas  la  route  qui  conviendrait  dans  les  circonstances  : 

Dominus  papa  l'ovel  eos  adhuc,  aliqiiando  eos  episcopando  et  peticiones  eomm 
txaudiendo  et  eoriim  maliciis  non  obviando. 

Ils  ne  fen  déchirent  pas  moins.  Le  droit  commun,  le  droit  com- 
mun! On  ne  sauiait  agir  autrement  : 

Si  tpiscopi  ptcctiit.  piivantui'  episcupatibus  suis.  Si  curati  petcent,  suspenduntur 
a  sacranientis.  Si  canonici  peccent,  puniunlur  in  prebendis  suis,  et  capeiiani  in  capel- 
laniis  suis;  sed  in  nulio  istoium  possunt  isti  fratres  puniri  ;  et  per  suas  mendicitates, 
predicaciones,  adulariones  et  fictiones,  et  per  eorum  simulatas  sanctitates,  id  est 
ypocrisim,  nbtinebunt  satis,  velit  nolit  papa.  .  . 

Le  traité  se  termine  par  une  conclusion  en  forme  de  résumé 
(«Quatuor  raciones  propter  quas  pravitas  hujus  generacionis  est 
"  reprobanda  ")  et  par  une  avalanche  de  citations  à  l'appui''^. 

De  REGiMi\E  l'HiNciPVM  (en  français).  —  Inc.  :  «A  vous  prinches 
«  poissans  en  tierre  .lehans  d'Anneus,  entre  les  mestres  de  divinité 
"li  meures,  désire  vo  salut  ou  chiel  et  sagement  vo  peule  gouvrener 
«  en  tierre ...» 

L'auteur  adresse  à  son  ..  chier  seigneur  »  un  petit  livre  qu'il  a  fait 
pour  lui  nouvellement,  avec  l'aide  de  Dieu,  et  qui  est  divisé  en  trois 
parties. 

1.  Li  première  est  pour  (juoi  li  souverains  sires  voel  les  seiyneurs  lerriiens 
et  le  commun  peuple  suurmonter.  —  Le  ujonde  est  ainsi  ordonné  que  les 
uns  sont  souverains  et  les  autres  sujets.  H  y  a  deux  sortes  de  souve- 

'■'  La    plupart    des    citations    dont  lopus-         au  De  riaustro    animae  de  Hueues  de  Saint- 
cute  loisonne  sont  empmntées  à  l'Fcriture  et         Victor. 

58. 


'i()0  .IK\N   DWNEUX,  CLKIU;  SKCl  I.IKK   Kl    MOinMSTK. 

lains,  spirituels  et  temporels.  Mais  souverains  et  sujets  ont  des  devoirs 
réciproques.  «  Cascuns  priiiches  est  tenus  a  cascun  de  ses  sougiés  % 
pour  le  bien  commun;  et  si  un  prince  porte  préjudice  au  bien  com- 
nuin  en  ne  taisant  pas  son  devoir,  il  est  j)lus  cou])able  qu'un  mallai- 
leur  ordinaire,  pour  cinq  raisons.  Or  il  y  a  de  tels  princes,  (jui 
mettent  au  pillage  ce  qu'ils  déviaient  garder,  non  pour  défendre  leur 
pays,  mais  «pour  leur  beubans  mener  en  tournoiz,  en  joustes,  en 
■  maisnies,  en  clievaus,  ensi  que  on  voit  a  l'uel .  .  .,  et  il  leur  samble 
"  qu'il  font  bien  pour  cliou  qu'il  sontloet  des  liiraus,  des  menestreus, 
"des  chevalliers  a  niagres  dens,  des  hocebrides,  (b's  gens  seivans  et 
"des  maingnans  pour  cliou  qu'il  y  prendeni.  .  .  ».  Ainsi  n'agissaient 
pas  les  anciens.  Mais  la  vengeance  de  Dieu  s'exerce  contre  ceux 
d'aujourd'hui;  car,  comme  dit  le  pro\(irbe  :  «H  n'est  si  biaus  ven- 
"  ghieres  que  Dieus».  Certains  péchés  crient  entre  tous  vengeance  au 
ciel  :  sang  répandu  ,  tyrannie,  exploitation  du  peuple. 

II.  Li  seconde  csl  commvnl  il  doivent  cnscuii  ses  soiujis  (joiivrener.  — 
Les  deux  liuides  à  suivie  sont  la  raison  naturelle  et  l'I^rrilure.  delà 
posé,  l'auteur  s'engage  dans  des  développements  (|ui  ressemblent 
Iteaucoui)  à  ceux  de  la  j)ii'mière  partie.  «  Pour  çou  sont  les  rebellions 
"au  jour  d'ui  eu  aucuns  liens,  «jue  li  souverain  destniissent,  lion- 
"  nissenl,  apovrisseni  et  asiervissent  leur  sougis  ensi  ({ue  on  voit 
"avenir.  .  .  On  se  poel  esmerveillier  (pu-  tel  prinche  pensent,  com- 
'  ment  il  osent  vivre  ne  comment  il  osent  morrir.  "  On  doit  llélrir  les 
Ivrans  de  trois  D  et  de  trois  T  :  "  Deshonneurent ,  dampnent. 
"  destruisent;  tirant,  tollant,  truant.  • 

m.  Li  lierclie  est  (lucls  conjiesseurs  el  (jiiels  toiiseillcurs  il  (hnrcnl 
(tppieller.  —  L'auteur  n'a  pas  une  haute  opinion  des  conlesseurs 
des  princes  de  son  temps  (pour  la  pluj)arl  membres  de  ces 
Ordres  Mendiants  qu'il  abborre  :  "  ches  ypocrites  menteurs,  ces 
"  faus  frères  en  abblt  religieus...  ».  Ils  le  font  penser  à  Hcnart  : 
"  Knsi  cou  cante  de  Renart ,  ([ui  vont  estre  confessieres  |)our  avoir 
«  riqueces  et  honneurs"'.  .  .  >  Ils  «  taisent  vérité  pour  avoir  bouclu'  a 

o   Ce  |)ass.i";e,  inlén'ssaiil  pour   I  lii>l(>i  i(|iic  I.  WXVIII  (1877;,   |>.  (id.'i.   ft .  de  noint-au  , 

<le  la  fal)lp  de  Heiiaid  confcssctii  ,  a  clé  [«iblié,  par  M.  Henry   \lartiii  (/.  r.,  p.  •!.")8:,  (\\\\  n  a 

il'après    If    iiis.  de    l'Arsenal,    par    1,.  Delisle,  pas  lonnii  la  pri>niièri' l'-dilioi). 
dans    la    Bihliotli'ijin'    ilr    l'iùoir    îles     ihnrlvf , 


SES  KCRITS.  4GI 

"Court".  Quant  aux  conseillers,  il  faudrait  exiger  d'eux  les  quatre 
([uaiités  requises  au  chapitre  18  de  l'Exode;  et  c'est  ce  qu'on  ne  lait 
pas  :  "  Li  prinche  en  leur  tierre  soustiennent  les  .luis  et  les  Louibars 
"  useriers  pour  argent.  .  .  « 

(Conclusion  :  "  Or  est  II  tanips  de  ce  livre  (inner.  Car  pourlis  n'est 
"  mie  eni  plentet  parler.  » 

Il  y  a  un  post  scniitiiin  : 

(jliicr  singneur,  ur  viin  gc  a  \ousfspi'sciauiiuiit,  car  vous  vos  deslruissiéscliiertaiii- 
iHineiit  s'il  esl  ciisi  c'on  dit.  (lar  on  dist,  quant  vous  avôs  oy  vos  boins  conseiHcurs, 
V'ius  Itîs  iaissiôs,  pf  oicrs  lf>s  drcrvpurs.  Item  on  dist  (jiic  vous  fourmenés  vos  sougis, 
si  (jue  il  vuident  \o  pays.  Ilfm  on  dist  que  pour  argent  soustenés  les  usseriers,  les 
JAinibars,  les  .luis;  et  ensi  ipstos  a  yauls  tenus  et  liies.  Item  on  dist  que  vous  donnés 
aiictorité  de  malctotes  niaisement  tolir;  et  ensi  vous  iestes  tenus  dou  rendre  cl  dr 
iistau\lir.  ftem  on  dist  que  vous  adamagiés  les  abheyes  trop  souvent  en  mariages, 
eni  priei  es  qui;  on  n'ose  refuser  et  em  pluiseurs  manières  autrement,  si  qu'il  ne  piieent 
leur  églises  amender,  (|ui  bien  t)esoing  en  auroient,  ne  reclievoir  tant  de  pers(>rllle^ 
(|iril  soloient,   ne  donner  a-^  pnvres  ensi  qu'il  deveroienl. 

La  lettre  ouverte  de  .lean  d'Anueux  à  (iiiillaunie  de  llainaut  donne 
une  idée  assez  favorable  de  son  courage,  mais  la  plus  médiocie  de 
son  talent.  Les  développt^mentset  les  citations,  d'une  grande  banalité, 
s'y  suivent  comme  au  hasard;  et,  si  court  que  soit  l'ouvrage,  il  est 
encombré  de  redites,  lîref,  Jean  d'Anneux,  quand  il  écrit  en  français, 
a  l'air  de  bégayer.  La  même  ignorance  totale  de  lart  de  composer 
s'accuse  du  reste  dans  scni  traité  Cmitra  fralres. 

Sehmo\es.  —  Il  \  avait,  d'après  Sanderus''',  un  recueil  manusciil 
de  Sermons  de  Jean  d'Anneux  dans  la  bibliothèque  des  chanoines 
réguliers  m  Vnllr  Sancti  Martini,  à  Lou\ain.  Plusieurs  manuscrits  de 
cette  librairie  sont  maintenant  à  la  Bibliothèque  royale  de  Bruxelles 
ou  à  liruges.  Mais  il  ne  paraît  |)as  que  celui  dont  il  s'agit  ait  été  con- 
servé. 

On  a  vu  plus  haut  que  lean  d'Anneux  se  réfèie  lui-même  à  des 
(Jnestwnes  de  (juolibet  qu'il  avait  délerminées  et  à  son  activité  comme 
commentateur  des  bulles  de  .lean  \XII  sur  la  question  de  la  Pauvreté 
(publiées  à  partir  de    iSri),  pendant  son   séjour  à   l'Université  de 

''   Bihliothccn  MifHii ,  I.  Il ,  |.,  2  i>i. 

î   2 


462  ARNAUD  ROIARD,  FRERE  MINEUR. 

Paris.  Si  ces  Questiones  existent  encore,  nul  ne  les  a,  jnsqn'à  présent, 
rencontrées  sous  son  nom. 

H  n'y  a  non  plus  aucune  trace  du  traité  De  con/esslonibus  que,  dans 
son  Contra  Jratres ,  Jean  d'Anneux  déclare  avoir  écrit  et  dont  il  fait 
connaître  le  plan. 

Le  Catalogue  de  la  librairie  pontificale  d'Avignon  sous  Urbain  \ 
offre,  dans  l'édition  que  M.  Faucon  en  adonnée,  l'article  suivant:»  Item, 
quidam  liber  Jo.  de  Aynonis,  cooperlus  corio  viridi,  qui  incipit  in 
secundo  folio  in  passiunibus  et  finit  in  penultimo  folio  si/i'".  »  Il  est  pos- 
sible que  «  Aynonis  »  soit  ici  pour  «  Annosis  >k  Qu'un  ouvrage  de  Jean 
d'Anneux,  familier  d'un  cardinal,  eût  ligure  dans  la  bibliothèque  des 
papes,  cela  serait  très  naturel. 

C.    L. 


ARNAUD    ROIARD,    FRÈRE    MINEUR. 


Parmi  les  personnages  qui  approuvèrent,  le  12  mars  i3ii,  des 
statuts  touchant  l'élection  du  recteur  et  des  conseillers  et  l'admini- 
stration générale  de  l'Université  de  Toulouse,  figure  le  frère  mineur 
Arnaud  Roiard  [Roiardi) ,  «lecteur  en  théologie»  dans  le  couvent  de 
son  Ordre  à  Toulouse'^',  (llément  \,  le  29  mars  i3i4,  invita  formel- 
Icii  ent  François  de  Naples,  chancelier  de  Paris,  à  conférer  à  frère 
Arnaud,  dont  il  fait  le  plus  vif  éloge,  les  insignes  de  la  maîtrise  et 
de  la  Ucentia  docendi  en  théologie'^\  Il  semble  que  Clément  connaissait 
très  particulièrenient  la  famille  de  ce  religieux,  originaire  de  sa  ré- 
gion (Arnaud  était  natif  de  Lisle-sur-Drone  en  Périgord);  il  l'a 
comblé  de  bienfaits  pendant  tout  son  pontificat**'. 

''    M.  Faucon,  La  librnirie  des  pufies  d'Avi-  quuntiti-   de    lettres  en   faveur  d'itier  Roiard, 

ijiion.t.  I"  (Paris,  )88()),  p.  242,  n"   i854.  sous-diacre,   archiprêtre   d'Archiac    au  diocèse 

•''  Dotn  Vaissetc,   Histoire  généiale  de  Lan-  de  Saintes  («  ut  legum  studio  intendere  valeat  »  : 

yuedoc  {éd.  Privât,  t.  VII,  pr. ,  col.  ii"])-  n"  6109;   ri',   n"    ôgSS);    de    maître   Bernard 

'''  Reyestum   Clementis  papae  l",  n"  io'.i85.  Hoiard,    archidiacre   de    Saintes,  chapelain  da 

Cf.  Denifle  et  Châtelain ,    Chartulariiiw    Uniiei-  pape,    litteninim  papnlium    contradictaram  au- 

fitatis  Purisiensù: ,  t.  II,  p.  170.  ditor  dès   iSog  (n°'  niG,  -2263,  3865,  4o56 

'*   Vo\r.  d^ins  h  Begestum  Clementif  papae]  '  ^219,  6515,8696,  8878,  iotS.^,  etc.),   qui 


SA  VIE.  46:i 

Frère  Arnaud,  très  bien  en  cour  depuis  le  commencement  de  sa 
carrière,  se  rangea  plusieurs  fois  sous  Jean  XXII  au  nombre  des 
théologiens  agréables  à  l'autorité  suprême.  Il  fut  un  des  douze 
docteurs  notables  qui,  avant  le  ii  juin  i3i8,  se  prononcèrent 
contre  l'orthodoxie  de  tiois  propositions  (jui  avaient  des  partisans 
dans  son  Ordre,  relatives  au  costume  spécial  que  certains  frères 
prétendaient  avoir  le  droit  de  revêtir  malgré  la  défense  du  pape 
et  des  prélats*''.  Un  peu  plus  tard,  membre  de  la  Commission 
chargée  d'examiner  des  arli(  les  extraits  de  la  postilic  de  frère  Pierre 
Jean  [Olivi]  sur  l'Apocalypse,  il  s'associa  aux  condamnations  pro- 
noncées *'^\ 

Il  était  alors,  avec  frère  Bertrand  de  La  Tour,  qui  souscrivit  comme 
lui  à  cette  dernière  consultation,  le  franciscain  le  plus  en  \  ue  de  la 
province  d'Aquitaine.  Lorsque  frère  Bertrand,  nommé  archevêque 
de  Salerne  le  3  septembre  ii^2o,  se  démit  de  son  archevêché  en  ac- 
cédant au  cardinalat'^',  c'est  lui  qui  le  remplaça  (3o  avril  i  3^  i  ).  Il  a 
occupé  ce  siège  pendant  près  de  dix  ans.  On  sait  que  le  roi  Robert, 
(|ui  régnait  alors  à  Naples^'",  était  grand  ami  de  l'Ordre  de  Saint- 
LraTiçois,  au  point  de  ne  pas  craindie  d'intervenir  j)er.sonnellement. 
])ar  des  écrits  de  polémique,  dans  ses  querelles  intérieures  :  il  a  écrit 
tiii  Traclalus  de  pauperlale  evaii<iclica  très  peu  de  temps  après  l'arrivée 
de  frère  \rnaud  dans  son  rovaume,  à  l'époque  même  où  le  nouvel 
archevêque  do  Salerne  s'engageait  aussi  dans  la  fameuse  controverse 
sur  la  Pauvreté  du  Christ  et  des  Apôtres  que  Jean  XXII  eut  la  pré- 
tention de  clore  par  sa  bulle  Cum  inter  nonntdios,  le  15  novem- 
bre i323. 

\rnaud  Roiard  avait  pris  parti  en  cette  allaire,  comme  ses  illustres 
conlrères,  les  cardinaux  Vidal  du  Four  et  Bertrand  de  La  Tour,  pour 
la  thèse  qui  n'avait  pas  l'agrément  de  Jean  XXII. 

On    verra,    dans    la   notice    que    nous   consacrerons  au  cardinal 

lut     évêqiie     d'Arras     (  K.   Albe,     Autour    de  aussi  beaucoup  de  lettres  concernantes  Koiartl: 

Jean    XXII,    t.    II,    p.    P.36);     de    Guillaume  n°'  1201,   i536,  ^â'ti.elc. 
l\oiard,  archiprètre  de  Saint- Pardoux  au  dio-  '"   Denille  et  Châtelain,  op.  cil.,  p.  517. 

cèse  de  Périgueux  (n"  68.5o,  I0333).  —  hier  '*'  Piid.,  p.  aSg. 

était   le   frère  d'Arnaud,    qui  avait  encore  un  ''   Voir  la  notice   de    Bertrand  de  La   Tour, 

neveu    nommé   Elio    {(înlliu    chrhiinnu ,    t.    IL,  au  t.  XXXVI. 

fol.  i5i4).  *'   W.  Goetz,  Koniij  Robert  von  Neapel  (Tii- 

Les  registres  de  Jean  XXII    [Lettres    coin  bingcn,  1910),   p.    -i-].    Cf.    Histoire  lilterairc, 

niuiies,   analysées  par  G    Mollat)   contiennent  t.  XXXIV,  p.  iv>'i. 


fii)li  AUiNAll)  KOlAHl),  FHKHK  \ll\Kl  W. 

Vidal,  le  récit,  pai-  Nicolas  le  Minorité,  de  la  scène  on  le  poniife 
irrité  maltraita  si  fort  en  paroles  ces  trois  lumières  de  l'Ordre. 
L'archevêque  de  Salerne  eut  sa  part  :  «  Enm  dominns  Johannes 
"  acriter  et  enormiter  redarj^^nit.  »  Le  chroniqueur  ajoute  (|ue,  sous 
l'averse,  il  aurait  persisté.  Toutefois,  condamné,  comme  ses  anciens, 
parla  bulle  du  i  2  novembre,  il  s'y  soumit,  naturellement,  de  même''  . 

Vers  la  fin  de  sa  vie,  frère  Arnaud  souhaita  d'exercer  dans  son 
pays  natal  les  fonctions  épiscopales,  cpiitte  à  renoncer  au  litre  de 
métropolitain  dont  il  avait  été  revêtu  dans  farcliidiocèse,  pour  ainsi 
dire  colonial,  qu'il  avait  longtemps  administré.  Le  27  juin  ]33o,  il 
fut  transféré  en  conséquence  sur  le  siège  de  Sarlal,  avec  la  per- 
mission de  conserver  le  paUium'-K  11  est  inori  le  .So  novembre  i334. 

La  Gallid  rhnstiaua  dit  (jue  l'évêque  de  Sarlai  vieillissant  aimait 
la  retraite  et  qu'il  habita  presque  conslammenl  le  château  de 
«  iîoucheyral  »<^'.  Il  s'agit  de  Bouyssiéral,  château  des  évoques  de 
Sarlal  au  xiv'  siècle,  dans  la  commune  d'\las-rÉvê(|uc,  d'où  des 
chartes  d'Xrnaud  Roiard  sont  en  effet  datées''. 


SKS  ÉCKITS. 
Les   écrits  d'Arnaud   Roiard  sont,   suivant   l'ordre  chronologif|ue 


)robable  : 


I.  Sh:i{MO\Ks. —  On  a,  dans  un  recueil  de  sermons  prononcés  à 
Toulouse,  chez  les  Mineurs,  au  commencement  du  xiv'^  siècle,  phi- 
sieurs  homélies  de  frère  Arnaud,  alors  qu'il  exerçait  dans  cette  maison 
les  fonctions  de  lecteur"*'.  L'une  d'elles,  sur  les  devoirs  du  prédicateur, 

'     l\ayiial(1i,    I.   \ .    |i.    ■>49-  Cl'.    Waddiii;;,  OkHiiiiiii   S.  lùninisii   fUdiiiaf,  i8o()),  |i.  i)i(, 

iiiiialfs  \nnoinni ,  I.  III,  j).  .')7r).  col.  a. 

-'   Ucgistrcs   de    Jean    \XII.    Lellies    coin-  '''  BiM.  iiat.,  Coll.  de  IViigoid,   t.  XXX\  I 

iniinos,   année    .\IV,  cj).  ■796-  —    F.    Tocco  (Kvêché   de  Saiiat).    —    On    trouve   dans  ce 

( /,((    (inistione    ilclla    poverlà    nel    ser.olo    xiv.  \ohime  le  dt''|)ouiHemen(,   au  point  de  vue  de 

Nanoli,  it)io,  |i.  '.!())  a  vu,  dans  re  transfert,  l'évtV]ue  et  de  i'évèché  de  Sarlat,  des  ref;istre> 

une  (lisgràce    due    à    l'attitude    (rArnan<l    en  des     papes     ilWvif^non,     et     notamment     de 

i.'iaa;  ce  n'est  qu'une  conjecture,  et  peu  pro-  .lean  XXII. 

haliie.  '^'   Manusciil    n"    Saç)   de   Toulouse,   loi.  1, 

''*   (iiiUiii  iliiisliaiw,t.U,co\.  i^ii-ŒSha-  .»;>,  i34,  iSy,  i56  >  .  (U.   Hhloiie  qéncrale  de 

lalea,     Siipplniiciiiiiiii . . .     nd    Sviiptores    liinin  lAtnijuedoc ,  I.  \\\ .  1,  p.  ;)88. 


SKs  I  (Kirs.  'Ki.') 

est  ;ulrt'S>»'t<  iiuixersitali  -«ttirlfiitiuin  I  IioIosp  ;  niip  aulre  a  été 
coiiiposée  ><a(l  postulaiidaiii  j)liivian)  •  -' .  —  Niui^  avons  lu  ce>; 
sermons;  il--  nous  ont  paru  insi^inliants. 

II.  'rnunns  nr.  nwh.nTMh  Chrisii  h.i  n'osioi  oium  ejis.  — 
Otto  pu-re.  qui  toinnienco  par  :  >  I  truni  asserere  (ihristuni  et  aptis- 
lolos.  .  .  .  se  trouve  dans  le  manuscrit  lat.  n'  .'îy'jo  fol.  ôo  \°-b5 
(lu  Vatican  et  dans  le  n"  i  ;()  ,  loi.  68-7  1  des  manuscrits  latins  de  la 
Hibliotln'que  de  Saint-Marc  à  V  enise  ' .  Klle  a  ete  publiée  par  F.  Tocco, 
La  (fiiistinm'  délia  jun-vr((i  itel  secolo  \ii  ^iccondo  mmn  dociimenti  Naixili. 
1910  .  p.  7 '1-77.  ('v>i  une  consultation;  elle  est  beaucoup  moins 
dévelopj)ee  (jne  celle  du  cardinal  \  idal  du  F'our  sur  \r  même  suiel, 
dont  nous  parlerons. 

III.  l)isii\i:iio\t:s.  —   Waddiui;.    dans  se^  Sniptoivfi  Onlinis  Mi- 
ininim,  cite,  parmi  les  ()uvra;.,^es  de  frère  Arnaud  :  ■  Opus  tlieolo'dcuin 

nioralium    distinctionum ,    ordine    alpliabetico    dii^eslum.    ad    Iio- 
bertum.  re<»;em  Siciliae.   Ipsum  librum  autoyraplium  pulibro  niinio 
et  rej^is  ellii^ie  ornafum  pênes  me  liabeo  ' .  Extat  eciam  l^e'^ii  ms.  in 
bibliotlieca  Minorum.  »  Sbaralea,  (pii  en  avait   vu  un  antre  exem- 
plaire à  Assise,  indique  yincifùt  de  la  dédicace  a    liobert   de   Xaples 
'  Excellentissinio  domino  R..  l)ei  <;ratia  Jérusalem  et  Sicilie  illuslri 
re^i.  devotus  ejus.  .  .  >-)  et  celui  de  l'ouvrage  lui-niéuie  :  <  Abjectio 
est   bona   tripliriter  >.   Un    troisienu-   exemplaire,    contemporain  de 
l'auteur,   se    trouve   maintenant  a    la   Hibliotbeque    nationale   lnou\. 
acq.  lai.  .S8i>.   Il  \    eu   a  un  quatrième,  du  xi\     siècle  aussi,  a  la 
Riblioteca  communale  de  Serra  San  Ouirico    n"  1  (j  .  Un   cinquième 
est  siguale^^lans  une  bibliothèque  j)rivee  ' . 

Voici  le  tf'xte  de  la  prélace;  ou  jugera  par  la  du  stvie  de  l'arclie- 
véque  de  Saleriie. 

E\coll?Jilissinu>  domino  1\. .  Dei  <;ratia  .lenisalem  et  .Siiilic  illii>tri  clirisfiano  ret'i. 
tlevotus  ejus  frater  Vrnaidus,  ptrmissiontMtiviriaSalt'initaïui-  an  hiepiscopus,  salutein 

''   Fol.  33.  ili"  »■.•  i-.'n-eii;iii'iiuiil  ,iii  K.  1'.  du^ijoiA  tilcii  •  . 

Foi.   1  jH  r.  ('iliiloiiiic  ■li<  liii,-<  in.inii;iil<  fl  inipiiniis 

Li'  uoiii  lie  l  aiitt'iii-  esl  eMropif  Jau»  cet  composant  h  hibliollmiiu'  ,1,-   \(.  ,/,■  CaniLia,   t    II 

i'\enn|ilaln'dii  x\' siècle  :  •  Arnaldum  Honaidi  •>.  FloiriKe ,  i8i(o).  ji    1 1 .  Ce  miUiiiio.  qui  ost  ilii 

L»'   maïKisci  il   ili-   \\;«Ulin<;   ol  ronxTM-  \i\' sitH-lo,  no  n-nlfiiiit'  iiui'  la  nrrniière  iMilii- 

iiiaiDienant   cher,   [v-   Fi-.mcisraiii>  de   Ihiiiliii.  de  l'oimai,'!'    A  à  M      (  oiiiiniuiu-alion  du  It.  I'. 

•■oii-    l.i   (.tito  .V  4'l-    NoiiN  Mimiiu'-.   icde^ablev  Audit-  (ialIcKtiit. 


Ill>l.  I.l  I  IKR. 


3(t 


466  ARNAUD  ROIARD.  FRERE  MINEUR. 

rum  omni  rcverentia,  et  per  Scriplure  Sacre  speculativa  studia  ad  clariini  divinilatis 
intuilum  pervenire  et  fruitionis  dulcedine  satiari. 

Quemadinodum,  juxta  vulgare  pi"overbiuin,  ilkid  quod  est  \ilo  facit  rarilas  pn- 
ciosuiii ,  sic  e  contra,  jiixt;i  Scriptuif  tcstimonium,  illud  qund  est  prceiosum  copia 
lacit  vile.  Teinporibus  iicmpe  Salomonis  lanta  fuit  argenti  copia  (|uod  nuHius  precii 
putabalur.  Sed  rêvera,  mi  domine,  (anta  est  hodie  Distinclionum  copia  quibus  iti 
sermonibus  utuntur  ad  popidum  et  ad  clerum  (juod  merito  possiint  reddi  viles  in 
conspectu  régie  majestatis,  maxime  pensata  vestra  vivacilate  ingenii  et  in  scriptis 
sacris  experiencia  leclionis.  Nunquani  [sic]  melius  arbitrer,  fidem  promissi  servando. 
niea  dicta,  licet  vilia,  pro  vili  portione,  ut  verbis  utar  beati  doctoris,  offerre  corani 
regia  magestate  qiiani  si  lacendo  velut  fidei  f'raclor  arguerer,  quod  apud  vestram  cel- 
situdinem  possel  crimen  non  médiocre  jndicari.  Ideopreclare  dominationi  vestrepro- 
missas  mitto  Distiiiciioncs,  confident  palaciuin  cordis  veslri  tanta  esse  clenientic 
dulcedine  superlusmn  (piod  iiibil  eril  ei  faslidiosum  quod  sit  aliqualiter  fructuosum. 
In  (|uibus  non  semper  servavi  ordinem  alpbabeti,  prout  in  Concordanciis  ponitur  ; 
sed  aliqnando  vocabula  juxta  similitudinem  ordinavi,  quandoque  vero  prout  meo 
conceptui  occurrebant,  cuni  ad  boc  non  poluerimus  semper  perfecte  animuin  appli- 
care,  multis  aliis  impeditus.  Quia  vero  suni  prius  crimina  abicienda  quan»  inscrende 
virtutes,  idcirco  a  malonnn  abjectione  opus  incipiendum  decrevi,  ad  honoiem 
oranipoteiitis  Dei  el  beatorum  Francisei  et  Ludovici,  Vestre  Celsitudinis  secundum 
carnem  gerinani"',  quorum  religionem,  ut  experiencia  certa  docet,  clemencia 
majestatis  vestre  fovet  el  jirosequitur  benivolencia  singulari  ob  dex  ocioneni  et  reve- 
renciam  eorunubin. 

Ce  dictionnaire  alphabétique  (le  lieux  comiiuuis  bibliques  à 
l'usage  des  prédicateurs  est  en  vérité  au  nombre  des  plus  médiocres 
ouvrages  de  ce  genre  qui  aient  été  conservés:  necomportant  aucune 
anecdote,  amnine  allusion  aux  hommes  et  aux  choses  du  tenq^s,  il 
ne  nous  apprend  rien.  Le  roi  Robert  de  Naples,  grand  amateur  de 
sermons  et  qui  en  a  composé  lui-même,  s'est-il  servi  du  vade  mecnm, 
ou  guide-âne,  que  l'archevêque  de  Salerne  avait  couq^osé,  semble- 
t-il,  à  sa  demande?  On  le  saurait  peut-être  en  confrontant  cet  ou- 
vrage avec  les  sermons  du  roi'-'.  Mais  c'est  une  comparaison  (jue 
nous  avouons  n'avoir  pas  laite. 

"'   lj()ul>     (i  Anjou .     évèquc    de     rdiildiisc,  «sine   iii'iiicctloiic    liliioiuiu   sicul   «•    |ii()inji(r 

canonisi'  en  a\ril  iSi'y.  «  |)iiliiil    i<'C()ilif,'eic  (ml    et     propici  ca    addld- 

'*'   \'()ir   le  rhapitrc    «Die    Predif^ten  Kôiil;,'  <•  iucruiit  ritalioiics  capilidorum)  »  et  ceux  «quos 

Roberis»,    dans    l'onvraf^e    cit/'   de  W.    Goelz  udoinifius  rcx  fecil  pioccssu  tem|)(»ris  poslqiiam 

(p.  /lb-70),  avec  les  litres  et  les  incipil  de  tous  «  pliires    libios   vidit   et    lej^il  ».    Les  uns  el   le-. 

les    sermons    du    roi    conservés    dans    quatre  autn-s    sont    aussi    peu    substantiels    que    les 

manuscrits  d'Italie    (Venise,    Rome,    Florence  Distinctions  de  l'archevêque.  —  W.  (itel/  n'a 

el  Naples).  Dans  ces   recueils   une    distinction  pas   eu   connaissance   du  dictionnaire  de  hère 

est    établie    entie    les   sermons   qu'-  le    roi  lil  Arnaud. 


SES  ÉCRITS.  4(i7 

iV.  Ouvrages  perdus  ou  supposés.  —  Wadding  a  eu  entre  les 
mains  un  opuscule  dédié,  comme  les  Distinctlnnes,  au  roi  Robert 
de  Naples,  dont  le  titre  était  :  De  ana  Noë. 

Il  altrihne  encoie,  sans  plus,  à  frère  Arnaud  une  Pusulla  in  Apo- 
lulypsiii,  peut-être  par  suite  de  quelque  confusion  due  à  ce  que 
Irère  Arnaud  prit  part  à  la  condanmation  de  la  Postille  de  frère 
Pierre-Jean  O/Zw  sur  ce  sujet;  «t  un  Commentaire  sur  les  Sentences: 
Super  (jualuor  libros  Senteniiaruin. 

C.  L. 


(illLLAlME  DE  MOMLALZLN,  CANONISTE. 

Jusqu'à  ces  derniers  temps,  rares  étaient  les  renseignements  (pie 
nous  possédions  sur  la  biographie  de  Guillaume  de  Montlauzim '*'. 
Grâce  à  des  travaux  récents,  nous  sommes  aujourd'hui  mieux 
informés'"^'. 

Au  commencement  du  xiv''  siècle,  le  nom  de  Montlauzun  était 
celui  d'une  famille  noble,  qui  l'avait  pris  d'un  village  du  Quercy,  situé 
dans  la  région  sud-ouest  de  notre  département  du  Lot  '■*'.  Son  chef, 
Pierre,  portait  le  litre  de  chevalier;  parmi  ses  enfants,  nous 
connaissons,  outre  Guillaume,  qui  était  un  cadet,  l'aîné  de  la  famille, 
nommé  Pierre  comme  son  père'"*,  et  un  autre  lils  appelé  Bertrand. 
Les  MontlauzAui  n'étaient  pas  dépourvus  des  biens  de  la  fortune; 
nous  savons  qu'outre  les  domaines  fonciers  qui  leur  appartenaient 
dans  leur  pays  d'origine,  ils  possédaient  un  vaste  hôtel  à  Toulouse  '* . 

*''   Il  est  peul-ètre  superflu  de  relever  l'cnoi-  ''   Sur  cette  CamiUe,  voir  les  renseignements 

mité  lie  l'assertion  de  René  Choppiii,  De  Do-  tournis  par  l'acte  transcrit  dans  un  registre  du 

niwno    Franciir,    lil).   111,    lit.    xwii,   n°    i3.  Trésor  des  chartes,   Arcli.  nal..  J.l  66,  n°  3fi,'5. 

d'après  lequel  Ciuillaume  de  Montlauzun  aurait  —  Cf.  Albe,  article  cité, p.  lôy.  L'auteur  retrace 

enseigné  le  droit  à  Poitiers  en  ii5j.  l'Iiistoire  de  cette  famille  jusqu'au  xvi'  siècle. 
''   Nous  devons  de  précieux  renseignements  "'   Dans   l'acte   précité,  il  est  qualifié  doini- 

à  l'article    publié   par   M.   le  chanoine   Albe,  lellas.  Plusieurs   membres  de  la  famille  entrè- 

archivisle  du  diocèse  de  Cahors,  dans  la  Revue  rent  dans  les  ordres. 

religieuse  de  Cahors  et  de  Boc-Amadoiir,  l.  Wl,  '''  Voir  l'acte   publié   par   Marcel  Fournier, 

iqo5-ino6,  sous  le  titre  :  Montlauzun,  le  Col-  Statuts  et  itrivilèfjes  des   Universités  françaises , 

lege  de  ilonltniKun  i>  Toulouse,  p.  i->o,  i38.  t.  l",  p.  65 1  et  suiv. 

59. 


'l('»M 


(.1  ll.l.\l  \It   I)K   MONTLUZIN.  CWOMSTK 


Les  inforiiiatii^ns  nous  iiianquent  sur  la  jeuness»'  (le  (imH.imuc  de 
Montlauzun.  Nuu>  pomons  alfiriuer  sans  léinérite  (ju  il  ftiidia  l.i 
théologie  et  le  droit  eaiioiiique.  Sûrement  il  fréquenta  le>  écoles  de 
Paris;  nous  en  sommes  assures  parle  récit  qu'il  lait  d'un  incident 
dramatique  >ur\<'nu  dans  le  (juarlier  des  écoles,  dont  le  héros  fut  un 
jeune  Anglais,  son  sociiis  a  l'Lniversité  '  .  A  une  époque  que  nous  ne 
pouvons  indiquer  avfi-  précision,  il  ht  profession  religieuse  dans 
l'Ordre    de  Cluny   '. 

En  i3o8,  il  était  maître  de  Keuvie  de  lal)ba\e  cluniMenne  de 
Lezal.  sise  au  (^l(l(•e^e  de  Rieux.  entre  1  Ariege  et  la  Garonne  '.  Il  est 
vraisemblalile  que  ^•e^  Jonctions  ne  lurent  pas  une  sinécure,  car  il 
les  exerça  a  I  époque  de  la  construclitm  du  cloître  de  labhaye  ^ . 
Il  lesconserxa  ju-tpiau  jour  où  il  fut  nomme  ahhé  du  monastère  de 
Montierneid  a  P(»itieis  \  (lest  en  i3ia  (ju'il  lut  ajipele  au  gouver- 
nement de  cette  ahl)ave.  (pi'il  garda  juscpi  a  sa  mort. 

Grâce  a  ses  écrits,  ntms  ne  sommes  point  de|X)urvus  d'nilormation> 
>nr  cette  première  phase  de  sa  vie ,  celle  qui  s"ache\a  en  i  3  1 9  et  dont 
le  centre  fut  Toulouse.  Nous  sommes  moins  bien  renseignés  sur  la 
dernière  peiiode.  dont  le  centre  fut  Poitiers. 

Deux  traits  (  aracteiisenl  la  vie  de  (iuillaumede  Montlau/un  depuis 
le  commencement  du  \iv'  siècle  jusqu'au  début  de  son  gouverne- 
ment abbatial  :  il  vovagea  et  il  enseigna.  Nous  sommes enchns à  crone 
(pi  il  commença  ]îar  voyager  comme  visiteur  de  l'Ordre  deClunv: 
il  parcourut  la  France;  il  alla  sûrement  en  Italie,  en  \llemagne,  peut- 


'  <  Sed  quid  de  illu  mm  i<i  iiieii  Anglicu  (|ui. 
ii.iluralilei' doraiieii>.  in  Mijiore  sui  somni  sir 
liimiler  involulus.  l'.iii^iuà  i\il  de  wctesia  beati 
r>enedi«  Il  usquc  .«i  fliniom  ,S<-ijuane  de  iiode 
i'(  ibi  queaidaui  puciurii  iiiUi  leot,  deiiidc 
iiversus,  adhiu  diiiiiijeii>.  |H>^uil  >•■  in  lecto  ?■ 
Montlaïuun  se  deinaïuie  -i  ce  meurtre  rendait 
irrefjulier  le  nieàirtiiiT  qui  etail  «leiT.  Il  se  yrn 
nonce  pour  la  netralivc  et  int(K{i]e  a  l'appui  de 
eetU' solution  I  e\enqili-  <l.'  Loi  Genèse,  \IX, 
.1?  et  suiv.j.  Cf.  Api>anita'  lonstitutionam  Cte- 
mentif  fxipœ  quinti  qiiirdtiiti  partit ala,  éd.  de 
Caen.  i .»  i  a  .  loi.  H'i.  Nmi*.  eitoii'»  <el  ou>ra^e 
90US  le  lilre  d  Appoi .  (  U  menl. .  d  ajires  i  étlilioii 
de  i5if  :  mai>.  comme  cette  édition  ne  repru- 
iluit  pas  iulé^ralemenl  1  ouvrage  de  Moiit- 
lauzun,  nous  ren\o\oii:>,  jxtur  les  passades  qui 
n  V  Tigurenl  [tas,  .m  nianusciil  iG^O'!  du  fonds 


latin  (le  la  Bililiotliciinc  M.'<liiMi.ile.  Quand  nou^ 
ne  mentionnons  pa»-  e\pressement  «-  m.inu 
sciil  .  le  tcite  <  Itc  doit  êliT  clK-irhc  dans  I  é<li 
tion  de  i  ."ti  •. 

'  Les  |iiovisionsd  altlH'  qu  il  olilint  en  t'iii 
Mollal .  Lettref  iumiiinite<  df  Jean  XXII. 
n  i.'liôi  le  désipieni  eomm»-  moine  du  mo 
n.islere  de  dun\. 

Il  e^l  désigné  sO«->  ce  titre  :  mitiuiclias  ri 
opeiiiriu>  notlri  iiiuiinsleiii  dans  la  procuration 
qui  lui  lut  donnée  le  -a  j\ril  i3(>8,  et  dont 
il  sera  question  ci-desM>u>. 

■    Galtiii  I  hiiflidiiu ,  l.    XIJI.col.  aia-n.) 

Mollat .  n  i.'i.'i.'ii  -  mai  i.'lîi).  (.es  let 
très  confèrent  à  un  nou>eau  titulaire,  uionic 
du  monastère,  les  lonctions  de  maitre  di- 
I  œuvre  de  Léut ,  tacaiite>  jtai  la  promotion 
il<-  (luillaumi'  di'  MonllflU2un. 


être  en  Any;lL'tei  re  ;  enliii  il  parait  avoii-  lait  un  bcjoni-  assez.  I<)ii<^  an 
delà  des  Pyrénées,  dans  les  pays  de  la  Couronne  d'\ragon,  où  il  visita 
les  ré^'ions  les  plus  récemment  conquises  sur  les  Musulmans.  Est-ce  au 
cours  de  ces  voyages  qu'il  se  trouva  à  Lyon,  en  i3o5,  où  il  assista 
au  couronnement  du  j)ape  (llénient  \  ?  Lui-même  raconte  '  ([u'il  était 
présent,  me  ibi  présente  el  aadiente ,  lorsque,  ajirès  la  fonction  solen- 
nelle, le  nouveau  pontife,  à  la  demande  de  Philippe  le  Bel  et  d'autres 
puissants  personnages,  suspendit  l'effel  des  rigoureuses  censures  (pie 
Boniface  VIII,  dans  la  huile  Clerms  laicos,  avait  j>ortées  contre  les 
j)rinces  et  seigneurs  coupahles  de  violer  rimmunit»'  des  hiens  ecclé- 
siastiques. Queitpies  années  jilus  tard,  en  avril  i3o8,  il  fut  l'un  des 
quatre  députés  chargés  de  représenter  le  monastère  de  Lézat  à  l'as- 
semblée convo(juee  a  Tours  par  Philippe  le  Bel  pour  trait<'r  de 
laflaire  des  Templiers'"-.  L'assiMnhlée  devait  s'ouvrir  le  b»  mai  :  dès 
le  3,  les  députes  de  Lézat  se  trouvaient  à  Poitiers,  où  étaient  alors 
établis  le  pap»  (ilément  V  et  sa  cour.  C,e  jour-là.  Guillaume  de  Mont- 
lauzun  et  un  de  ses  collègues,  \rnaud  Arrufat,  curé  de  Carbonne  au 
diocèse  de  Toulouse,  se  donnant  le  titre  de  piocureurs  généraux  du 
monastère  m  ciiiia  liomana  <  omnwrantes ,  se  déclarèrent  arrêtés  par  un 
empêchement  inéluctable  et  hors  d'état  de  se  rendre  commodément 
a  Tours;  il  en  firent  dresser  acte  par  l'official  diocésain  ^^.  Il  seiait 
intéressant  de  saAoir  au  vrai  pour  quel  motif  Montlauzun  el  son  com- 
pagnon s'abstinrent  de  prendre  part  à  l'assemblée.  Furenl-ils  retenus 
à  Poitiers  par  un  \ulgaire  incident  de  voyage,  ou  bien  appréhen- 
daient-ils d'aAoir  a  prendre  parti  dans  une  redoutable  question,  sur 
laquelle  l'accord  semblait  loin  d'être  lait  entre  le  Pape  et  le  Boi  ?  Nous 
devons  renoncer  à  résoudre  ci-  problème.  Du  moins  n'est-il  pas 
invraisemblable  de  croire  que  Montlauzun  séjourna  quehjue  temps 
a  Poitiers,  et  \  acquit,  du  clergé  seculiei"  et  régulier  si  nombreux 
dans  cette  ville,  une  connaissance  qui  de\ait  lui  être  fort  utile  dans 
la  suite  de  sa  carrière. 

'     Lecliiia  4«/(c;    St.ilo  ^  nous  citerons  ainsi ,  l)lic  par  d.  Picol ,  Doiamenls  relulils  uuj  ijut' 

<l  après   If   litre   de    la   seule   édition  coniiui-.  iiéiiéianx  el  assembléen  réunies  loin  J'hilippe  le 

l'Apparalaf  sur  le   Se\(e;,    éd.  <le   Toulouse,  Bel.  p.  .")5ij  ;   la  désignation   des   députés   lui 

i534,  fol.   if-t.  Baluze  {\itœ  fiapuruni  Aveniu-  laiU-    le    •!  i    a\ril    par   le  chapitre   du   inonus- 

iiensium,  t.  I",  p.  809     a  signalé  ce  fait  d'après  1ère  de  l>é/.at. 
notre  auteur.  Arth.   nal,  J  '11  4  (^.n"  i.lti;  Picot,  «/>. 

"'    .\rcli.  n;it..  J    '1 1 '1   C,  n'    i'.i-,   texte  pu-  ril..  p.  ."ibo. 


/l70  GUILLAIME  DE  MONTIAUZLN,  CANOMSTK. 

Ce  ne  lui  sans  doute  pas  très  lt)ngtem|is  après  son  séjour  dans  la  capi- 
tale (lu  Poitou  que  Montlauzun,  en  sa  qualité  de  docteur  en  décrets, 
lut  appelé  à  enseigner  le  droit  canonique  à  l'Université  de  Toulouse. 
A  cette  époque,  il  pouvait  y  rencontrer,  parmi  ses  collègues,  cano- 
nistes  ou  légistes,  un  groupe  d'hommes ''^  la  plupart  ses  compatriotes, 
dont  les  noms,  grâce  à  la  confiance  dont  les  a  honorés  Jean  XXII, 
ont  marqué  dans  l'histoire  de  l'Eglise  :  Pierre  des  Prés'-',  Bertrand  de 
Monllavet '^',  originaires  du  Qiiercy;  Pierre  Teissier,  de  Saint-Aiilonin 
de  Rouergue,  qui  tous  trois  siégèrent  dans  le  Sacré  Collège;  Armand  de 
iNarcès  '''',  lui  aussi  quercinois,  plus  tard  doyen  du  cha])itie  du  Tescou, 
à  Montauban,  et  ensuite  promu  à  l'archevèche  d'Aix;  (ifuillaume  du 
(iun'^*,  .lesselin  de  Cassagnes •'''.  C'est  encore  un  quercinois  i(ui  sup- 
pléa Guillaume  de  Montlauzun  quand,  en  i3i4,  probablement  pour 
raison  de  santé,  il  dut  suspendre  son  enseignement*^';  sa  place 
lut  alors  remplie  par  Bertrand  de  Sainl-Geniès,  qui,  longtemps 
après,  devenu  patriarche  d'Aquilée,  fut  mis  à  mort  par  les  Vénitiens, 
contre  lesquels  il  défendait  les  droits  de  son  église,  et  qui  fut  plus  tard 
placé  sur  les  autels,  comme  l'avait  été  Thomas  de  Cantorbéry  *"'. 

Il  est  inqiossible  de  reconstituer  le  programme  de  l'enseignement 
(lue  Montlauzun  donna  à  Toulouse.  Mais  nous  pouvons  faire  con- 
naître le  nom  de  deux  de  ses  élèves.  L'un,  de  naissance  royale,  des- 
tiné dès  son  enlaiice  aux  plus  hautes  dignités  ecclésiastiques,  est 
l'infant  .lean  d'Aragon,  lils  pumé  du  roi  .laime  11  ^'.  Montlauzun  lui 
avait  donné  les  ])iemièies  leçons  de  droit  canonique;  c'est  encore  à 
.lean  d'Aragon  qu'en  i  3 19,  comme  on  le  verra  plus  loin,  pour  fournir 
à  son  élèvt-  l'occasion  de  se  pcrlectionner  dans  la  connaissance  des  lois 

'     \()ir  les  iKims  des  maîtres  qui  adjK'rtTi'nl-  '     Ci-drssus,   p.    365.    Narcès    enseignait    à 

aux  statuts  di    i3i4  (  MarceJ  Fournier,  Stuluts  Toulouse  en  i3i8  (Moilat,  op.  lil..  n°  743o). 

(I    iiriviléyes   des    Universités   françaises,    t.    1",  '   \'oir  la  iioliie  qui  lui  est  loiisarréc  dans  le 

p.    '195)   et   les   noms   de   mailres  toulousains  présent  volume,  p.  364. 

indiqués  pai-  le  même   auteur  :   Histoire  de  In  '*'  Voir  ci-dessus ,  p.  348. 

science  du  droit  en  France,  p.  33i  et  suiv.  '    Marcel  FownivA,  Statuts  et  privilèges ,  I.  I", 

"    Sur    ce    personnage,   voir    Albe,  Prélats  loc.  cit. 

originaires   <ln    Quercy,   dans    les    Annales    de  "    Albe,  Prélats  originaires  du  Quercy,  loi. 

^uintLouis-desFrnnçais,    t.   Vlll,    i9o3-lyo'i,  cit.,  p.    i44elsuiv. 

p.   187  et  suiv.;   et   aussi   A.  Coulon,   Lettres  '"    C'est  probablement  a  ce  t'ait,  travesti  par 

secrètes  et  riirinles  de  Jean  XXII  relatives  à  la  des  récits  erronés,  que  lait  allusion   Trilheim 

France,  11°  iil>.  'De   viris   illaslribus   Ordinis   Sancti   Benedicti. 

'"  Voir  ce  qui  est  dit  de  lui  dans  la  notice  cap.    is6)  quand  il  dit  que  Montlauzun  fit  à 

consacrée    a     Guillaume    du    Cun,    ciMiessus,  Poitiers  l'éducation  des  fds  du  roi  de  Hougrie 

p.  366.  et  d'autres  jeunes  nobles. 


S\  VI K. 


'\ll 


de  l'Eglise,  il  dédiait  son  commentaire  sur  les  Clémentines.  Le  jeune 
prince,  alors  âgé  de  2"]  ans,  était  déjà  chanoine,  pourvu  d'un  arclii- 
diaconé  du  diocèse  de  Tolède,  doyen  de  Burgos,  abbé  conimen- 
dataire  du  monastère  bénédictin  de  Monlearagon,  au  diocèse  de 
Huesca,  en  même  temp^  (|uc  cliancelier  du  royaume  paternel'''. 
Est-ce  pour  accompagner  son  royal  élève  que  Montlauzun  IVancliit 
les  Pyrénées?  Il  est  permis  de  le  supposer,  sans  que  nous  soyons  en 
mesure  de  l'afTirmer.  L'antre  disciple  de  (luillaume  de  Montlauzun 
dont  le  nom  est  |)arvenn  jusqu'à  nous  s'appelait  Pons  de  Ville- 
mur.  Vraisemblablement  il  apjiartenait,  non  à  la  famille  de  Vil- 
lemur  qui  eut  pour  chef  un  neveu  de  Jean  XXIL'',  mais  à  une  autre 
famille  de  Villemur,  établie  dans  le  comté  de  Eoix,  dont  plusieurs 
membres  ])ortèient  successivement  le  nom  de  Pons.  Les  relations 
de  ce  personnage  avec  (luillauine  de  Montlauzun  s'expliquent  pro- 
bablement ])ar  le  voisinage  de  la  résidence  de  sa  famille  et  de  l'ab- 
baye de  Lézat.  l'aut-il  l'identifier  avec  un  prélat  du  même  nom  qui, 
après  avoir  été  abbé  de  LézaI,  fut  nommé  évèque  de  (louserans  et 
mourut  en  iSyo.^*  c'est  une  question  que  nou.s  ne  sommes  pas  en 
mesure  de  résoudre''*'. 


'  Begesluiit  démentis  papœ  V",  n"'  7078, 
1)717,  9797;  Mollat,  11°  3343;  Eubel,  Hier- 
nrehia  catkoliva ,  t.  1",  p.  ^79  «t  487.  Sur  l<'s 
négociations  entamées  par  la  cour  <r\ruf,'(iii, 
après  IVlectioii  du  Jean  XXII,  pour  poiirvoii- 
l'infant  de  bénéfices,  cf.  Finke,  Acta  Arngn- 
itensia,  passim,  et  Histoire  littéraire ,  t.  XXXiV, 
p.  i3i.  Il  fut  promu  à  l'archovéché  de  Tolède 
le  i4  novembre  i3i9. 

'*'  M.  Albe  incline  vers  cette  opinion  (Les 
prélats  originaires  du  Qaerey,  dans  les  Annales 
de  Saint-Louis-des-Français,  igo3,  t.  Vlil , 
p.  3o3,  en  note).  Nous  ne  croyons  pas  devoir 
nous  y  rallier  pour  les  motifs  suivants:  1"  Le 
neveu  de  Jean  XXII ,  Pierre  de  Via ,  qui  fui 
seigneur  de  Villemur  en  Toulousain  (au  dio 
lèse  de  Montauban],  n'acquit  cette  baronnie 
qLi'après  l'année  i3i7  (cf.  dom  Vaissete,  ///s- 
tnire  générale  de  Languedoc,  nou\.  édit. .  t.  IX, 
p.  343).  Par  conséquent  ce  n'est  pas  avant 
cette  époque  que  le  litre  de  Villemur  a  pu  être 
porté  par  un  membre  de  sa  famille.  Or,  le 
Sacrnmentale ,  que  Montlauzun  dédie  à  son 
ancien  élève  Pons  de  Villemur,  date  au  plus 
tard  de  1 317.  —   ?.*  Le  prénom  de  Pons  ne 


se  ietrou\e  pas  (lans  la  descendance  du 
neveu  de  ,lean  X.\ll  (cf.  Albe,  Autour  de 
Jean  Wll .  dans  les  Annales  de  Suint-  Louis - 
des- français,  lyoa ,  t.  VII,  p.  119  et  sui\.  . 
En  revanche  il  est  fréquent  chez  les  Villemur 
du  comté  de  Foix  ;  nous  v  trouvons  à  la  fin 
du  xiii'  siècle  et  en  i33i)  deux  chefs  de  la- 
mille  ainsi  désignés  :  Pontius  de  Villamuri. 
miles  et  baro  (\'aissete,  op.  cit.,  t.  X,  col.  Sa.'i 
et  85oj. 

Nous  connaissons  plusieurs  mentions 
d'ecclésiastiques  portant  le  nom  de  Pons  de 
Villemur,  qui  toutes  datent  de  la  première 
moitié  du  xiv'  siècle;  elles  désignent  sans 
doute  des  personnages  appartenante  la  famille 
du  comté  de  Foiv,  mais  il  est  difficile  de  les 
identifier.  En  i3o9,  '^"  sollicitait  de  Clé- 
ment V  pour  un  Pons  de  Villemur  un  béné- 
fice de  la  Seu  d'Urgel  (Finke,  Acta  Arac/o- 
nensia,  p.  "/ai)-  Est-ce  ce  personnage  que  nous 
retrouverons  plus  lard  chanoine  à  Lerida 
(Mollat,  n"  13498),  puis  archidiacre,  enfin 
évêque  de  cette  ville,  et  qui  mourut  en  iSaS 
(Eubel,  Ifierarcliia  catholirn,  t.  I",  p.  i8.3V;' 
—  En  13-17,  ""  Pons  de  Villemur,  chanoine 


'l7-2 


GULIAIMK   l)K   \K)\TL\l/l\,  CWOMSIK 


(iiiillaume  de  Moiiflauzun  ne  finit  pas  sa  carrier»^  à  Lezat.  I.t- 
■)<S  juillet  i-^i(),  dans  un  .itic  aulhfutique  '.il  prend  le  titre  d'ahlie 
du  monastère  clunisien.  dit  Mdntierneul,  dont  on  peut  voir  encore 
rantinue  église  à  Poitiers.  (!e])endanf,  c'est  seulement  a  la  date  du 
3o  mais  kvm  que  .lean  WII,  après  avoir  casse  deux  élections,  le 
préposa  par  une  bulle  à  la  conduite  de  celte  ahhaye.  vacante,  dit  le 
Pa])e,  par  la  nioil  de  1  ahhe  Marlin  '.  rden  n  es|  plus  embrouillé  ipie 
la  cliront)logie  des  abbes  de  Montierneuf  pour  celle  epo<pu\  telle 
que  la  donnent  les  auteurs  de  la  dallia  christiaiia.  Les  mentions 
insérées  dans  ce  recueil,  où  ne  lioiire  pas  l'abbe  Marlin,  et  où  lave- 
nemenl  de  Montlauzun  est  reporté  à  l'année  \^^'\  '.  soni  tout  à  lait 
incobérenfes  el  ne  inerilent  pas  d  être  prises  en  (on'>ider.tlit)u.  San> 
doute  les  auteurs  de  la  (uiUia  >e  sout  laisse  égarer  |)ar  les  indications 
coulradicloires  résultant  (relectit)ns  contestées,  (iuillaume  lui-niénie 
avait  été  vraisemblablenient  le  bénéficiaire  d'une  de  ces  élections,  ce 
(]ui  expliquerait  que,  dès  i.îiç),  il  se  soit  altribue  le  titre  dabbe, 
titre  infecté  de  quebpie  vice  dont  il  ne  put  être  purge  (pu^  par  l'inter- 
vention du  Saint-Siège.  Ciràce  à  sa  ipialité  de  quercinois,  Mout- 
lau/.un  était  en  bonne  position  pour  foblenir  :  c'est  viaisembla- 
blement  ce  qui  expliipie  la  bulle  de  i  3j  i. 

Par  l'acte  de  juillet  i .)  i  ()  '  où,  pour  la  premièie  lois,  il  parait  avec 
le  litre  d'abbé,  Guillaume  de  Montlau/.un  se  proposa  (facconq)lir 
>on  NO'u  de  pauvreté  en  icnoncant  à  sa  fortune  au  |)rolif  d'une  o'uxre 
pie.  D'accord  avec  st's  frères  et  neveux,  il  établit  dan^  Ibôtel  de  sa 
fouille,  sis  à  Toulouse,  le  Collège  qui  devait  porter  sou  nom;   il  lui 


le^'lilur    ili-     ,S;iilll  .Sci  iiill     .1     loiilciiiM',     i>blc- 

nilil        I  OXlMTlaliM'      (Moll.ll.        11  !StH)()    .       L<> 

lO  jainiiT  i.vi8.  (■  l'sl  ciuorc  un  Poii'^  de 
Villeninr  à  i|iii  osl  accoiilé  un  |)ri>ilèi,'o  en 
laMMii-  (II'  ses  ('hHlos  [Ibiil.,  »"  ,')0()()8);  jinil- 
èlro  Caiit-il  %oii'  en  lui  If  ilianoino  di- 
.Saint-Scniin.  Nous  ne  savons  si  c'est  le  même 
iiersoniiaye  nu  un  autre  qui  fut  abbe  «le  I.ezat 
et  i|uill«  celle  abbave  en  ilUli  p<iur  inonler 
sur  le  siège  é|)iseo|).il  de  (louseraiis  (F]ul>el. 
(>/>.  (If.,  I.  I".  |).  nii).  Nous  ii^nidons  d'ail- 
leiiis  à  <|iielle  é|>rK]ue  li-  ini^me  Pons  lui  ébi 
abbe  de  Le/ai  el  s  il  \  tut  (-onlem[XM  ain  de 
Miiiillauzun.  Pour  (ju'il  en  lïit  ainsi,  il  taiidrail 
i|U  il  eiil  passé  un  (leiiii->ii  ele  au  luoiiaslere  de 
l.('/al. 


'  Ade  de  loiidalioii  An  Coll.  !,'••  de  Mniill.iii 
/un  a  Toulouse:  <oir  ci-des-iiN,  |i.    '|6-,  note  •'. 

'  Mollat .  n"  1  .■?  I  5  1 .  (Test  le  ,'>  ih  lobre  I  ,'vi  i 
t|ue  Guillaume  |ia\a  a  la  eoiii  de  itonie  luie 
partie  du  iiwimunt'  servitiiiin  du  a  l'occasion  de 
••a  noiniiialion  :  Arch.  du  \atican,  liitroiliis  il 
Exituf .  iv^.  '|-j,  loi.  I  1  eommuilicalion  de 
M.  le  chanoine   VIIk-  '. 

'  Il  aurait  été  au|iara\aiit  [irieur  de  .Sainl 
Paul.  —  l.a  notice  de  (iiiillauiiX'  de  Mont 
lau/.im  ,  re^liijt'v  par  doni  K->tieiiiiol  et  lopie»'  |wi 
dom  Fonleiieaii  Bibl.  de  Poitieis»,  (ailledioii 
Fonleneau,  t.  I.WII,  |).  V>  i  el  suiv.  \  ii'eNl  |ws 
moins  erronée. 

'  Marcel  Fouriiiei.  Sliiliils  el  /•ririléijfy  ilfs 
I  nirei  'lies  /i (inriii'^ri .  t.  I",  p.  6->\  et  sui\. 


S\   \IK.  'l73 

assigna,  en  biens-fonds  provenant  de  ses  parents  ou  acquis  par  lui,  une 
dotation  dont  les  revenus  devaient  être  employés  à  l'entretien  de 
six  étudiants,  (les  étudiants,  cpie  la  générosité  du  fondateur  mettait 
à  même  d'acquérir  gratuitement  «  la  perle  si  précieuse  de  la  science 
catholique»,  devaient  être  choisis  de  préférence,  s'il  s'en  trouvait, 
dans  la  parenté  des  Montlauxun.  J/acte  de  fondation,  passé  le 
u8  juillet  i3i9,  fut  confirmé  par  le  testament  de  Guillaume,  daté 
du  ."^1  juillet  suivant'";  mais,  pour  des  causes  (|ui  nous  échappent, 
il  ne  reçut  effet  que  quelques  années  plus  tard.  C'est  le  21  juil- 
let i3*i9  que  la  fondation  fut  approuvée  par  Jean  XXll  ;  f  appro- 
bation de  f archevêque  de  Toulouse  ne  fut  donnée  que  le  3i  jan- 
vier i33o.  Désormais,  le  collège  fut  ouvert  suivant  l'intention  du 
fondateur  et  demeura  en  plein  exercice.  Tout(^fois,  à  la  fin  du  xiV^  siè- 
cle, sans  doute  par  suite  des  désolations  (piamena  la  guerre  de 
Cent  ans,  les  revenus  des  in» meubles  sis  dans  le  Toulousain  cl  le 
Qucrcy  se  trouvèrent  sensiblement  amoindris,  si  bien  qu'il  fallut, 
en  i3()7,  réduire  les  charges  auxquelles  ces  revenus  devaient  sub- 
venir. La  réduction  fut  importante,  car,  à  dater  de  cette  époque,  le 
collège  ne  dut  recevoir  que  deux  étudiants,  dont  un  prêtre  chargé 
d'assurer  le  service  des  fondations^-'.  (!ràce  à  cette  sage  mesure,  la 
volonté  généreuse  de  Montlauzun  ne  cessa  point  de  porter  ses  fruits. 
Au  surplus,  en  consacrant  la  portion  principale  de  sa  fortune  à  réta- 
blissement de  son  collège,  il  n'oublia  pas  ses  proches  parents  :  en 
février  1329,  il  afléctait  les  revenus  d'une  terre  du  Quercy  à  la  fon- 
dation d'un  anniversaire  pour  son  père  et  ses  frères  décédés*'''. 

Avec  son  élection  aux  fonctions  d'abbé  s'ouvrit  pour  Cuillaume 
de  Montlauzun  une  nouvelle  période.  A  la  dillerence  de  son  prédé- 
cesseur, qui,  vraisemblablement  en  qualité  de  commendataire,  se 
contentait  de  toucher  les  revenus  de  sa  mense,  il  prit  en  mains  le 
gouvernement  du  monastère  qui  lui  était  confié.  Nous  ne  voyons  pas 
qu'il  ait  accompli  d'autre  tâche,  si  ce  n'est  celle  que  lui  imposèrent 
quelques  missions  données  par  le  Saint-Siège  pour  fexécution  de 

'■'  Archives  de  la  Haute-Garonne,  série  1),  M.   Albe).   Cf.   sur  ces  fondations  l'acle  ton- 

(iiisse  «Divers  collègts».  serve  au  Trésor  <l('s  chartes,  cité  ci-dessus, 

'*' Marcel  Fournier,  op.  rit.,  I.  I',  p.  (igfî  p.  467,  note  3.  D'après  l'abbé  de   Foulhiac, 

el  suiv.  cité  par  Lacoste  dans  son  Histoire  da  QuercY, 

<''  Terre   de   Caminci,    commune    de    Le-  Montlauzun  aurait,  dès  i3a4,  fondé  une  ch;i- 

bii'il,  canton  de  Montcuq  (communication  de  jx-Henie  à  Cahors. 

iiisr.  i.rrriin.  —  \\\v.  (io 


47/1  GLILLALME  DE  MONTJ.Al'Zl  \ ,  flWONISTE. 

rescrits  pontificaux  concernant  en  général  des  ck-rcs  ou  des  moines 
(le  la  région'*'.  Le  succès  récompensa  ses  efforts  :  en  mars  i33o,  les 
visiteurs  de  l'Ordre  de  Cluny  constatèrent  le  bon  état  moral  et  maté- 
riel de  Montierneuf,  qui  comptait  alors  trente-neuf  religieux,  y 
comiîris  l'abbé'"^'.  Ils  n'y  avaient  point  trouvé  Guillaume,  occupé  lui- 
même  en  ce  moment  à  visiter  les  maisons  dépendant  de  son  abbaye; 
mais  ils  recueillirent  un  témoignage  de  l'estime  où  il  était  tenu,  hv 
sénéclial  de  Poitou  avait  été  saisi  de  plaintes  très  graves  contre  le 
prieur  de  l'Arlige,  maison  subordonnée  à  Montierneut.  S'il  ne  le  lit 
point  jeter  en  prison,  c'est,  déclara-t-il,  par  égard  pour  l'abbé, 
ob  leverenliam  ilicti  abbalis.  11  ajouta  c[u'il  ne  recourrait  à  ce  moyen 
extrême  que  si  Montlauzun  ne  réussissait  point,  par  sou  action  per- 
sonnelle, à  réprimer  le  désordre  et  à  en  cbâtier  l'auteur. 

L'abbé  de  Montierneuf  ne  se  borna  pas  à  maintenir  le  bon  ordre 
dans  le  couvent  qui  lui  était  conlle;  il  se  préoccupa  de  faire  des 
revenus  qu'il  percevait  un  emploi  conforme  à  leur  destination.  C'est 
ainsi  qu'il  établit  au  monastère  une  librairie  et  la  garnit  de  manuscrits 
dus  à  sa  libéralité'^'.  De  même  il  fonda  dans  l'église  une  cliapellenie 
dite  du  Saint-Sacrement  [Corpus  Christl),el  la  cbargea,  par  semaine, 
de  trois  messes  qui  furent  dites  les  messes  «du  point  du  jour»'''; 
remarquez  que  cette  fondation  s'accorde  bien  avec  le  développement 
de  la  dévotion  à  l'Eucharistie,  attesté  par  la  solennité  de  la  Fête-Dieu 
qui  se  généralisa  sous  le  pontificat  de  .lean  XXU. 

Montlauzun  était  libéral;  mais,  en  bon  juristt',  il  tenaità  maintenir 
intact  le  temporel  dont  la  défense  lui  était  conliée.  De  cela  nous  avons 
au  moinsdèux  témoignages.  En  i336,  il  fait  procéder  à  une  en(|uête 
sur  les  di-oits  fie  justice  ([ue  son  abbaye  prétend  posséder  à  Ghiré''''. 

'■'   Cl.  Mollat ,  11°  10385  ;  ahbc  Vidai,  /,c»/7;>  de    In    science  du  droit    eu    France,    p.    197)- 

loniniunes    de    Benoît    XII,    ri"    1117,    :!')'l>,  ''    d'illiii  chrislinud .  l.    Il,  col.    1270-1:171. 

tiqni),  53^1,  O738,  <>8o7.  '■'   "  lleni  est  iina  capellania  fundata  in  allaii 

'*'   Rédct,  Visite  des  tnona>lères  de  l'Ordre  de  «  ([iiod  diiitur  de  Coi  pore  Clirisli,   per  il.  (iiiil- 

('lariY  situés  dans  la  province  de  Poitou,   I^iSO,  «leliiiiiiii  de  Monte  Lauduno,  linjus  inonaslerii 

/."i'/ii,  dans  \e!i  Archives  historiques  du  Poitou,  «  abbateni,  oneiala  de  ii[  missis  cjualibet  hebdo- 

I.    IV,    p.    '107   et   siii\.   —   \  ers   le  temps  où  «  iiiada  diceiidis  in  auioia  diei,  et  vocalur  missa 

.Montlaïuun  la  gouvernail,  l'abbaye  de  Montiei-  «  r/»  point  du  jour  «   (entrait   d'une   notice  du 

neul    compta   iiarmi  ses   membres  un   moine,  xv'  siècle  copiée  par  doin  Fonteneau,  Bibl.de 

Pierre  Bonnelie,  solemnis  doctordecretorum,  ^u'i  Poitiers,  Colleclion  Fonteneau,  t.  XIX,  p.  5o8  ; 

fut    orofesseur   à   Angers   et   finit    sa   carriéiT  communication  de  M.  Léonce  Célier). 

en    '.349    comme   abbé    de    Saint-Aubin    en  '"'  Arcb.  de  la   Vienne,  série  H,    Monlier- 

celle   même   ville    (Marcel   Fournier,    Histoire  neuf,  liasse  9.'). 


SA  VIE. 


475 


Le  4  mai  i34'j,  il  oljfienl  du  Parlement  une  sentence  condamnant 
l'abbé  du  Jard*''  à  payer  à  Montierneuf  une  pension  annuelle  de 
5o  livres  tournois  pour  le  temporel  de  la  chapelle  de  Saint-Nicolas- 
du-Jard.  C'esi  au  hasard  cpie  nous  devons  la  conservation  de  ces  deux 
uicnlions'-*;  il  n'est  pas  impossible  que  Montlauzun  ail  soutenu  en 
justice  d'autres  procès  dont  la  mémoire  ne  nous  a  pas  été  conservée. 

Lougtem])s  il  garda  sa  lucidité  et  la  vigueur  de  son  esprit;  car,  à 
une  date  qui  ne  peut  êlre  antérieure  à  i3^(0,  il  écrivait  encore  un 
commentaire  sur  la  constitution  de  lîenoît  XII  réformant  les  moines 
noirs.  Son  gouvernement  abbatial  se  piolongea  jusqu'à  sa  mort,  sur- 
venue le  2  janvier  i343'^'.  Sou  corps  fut  inluimé  dans  l'église  du 
monastère,  à  la  droite  du  maître-autel.  Au  cours  de  sa  dernière  ma- 
ladie il  avail,  par  testament,  légué  2  5oo  livres  de  petits  tournois  à 
l'œuvre  de  l'église  du  monastère,  qui  avait  grand  besoin  de  répa- 
rations'*'. 

Quehjues  seuiaincs  plus  tard,  le  3  avril,  Montieiiieul  recevait  les 
visiteurs  chargés,  en  vertu  de  la  constitution  de  l'Ordre,  d'examiner 
la  situation  spirituelle  et  temporelle  de  la  maison.  Du  procès-verbal 
de  leur  visite'^',  il  résulte  que  la  communauté  était  aussi  nombreuse 
qu'en  i33o,  et  que  son  état  spirituel  ne  méritait  point  de  graves 
critiques''''.  Il  n'en  était  j)as  de  même  de  l'administiation  temporelle 
de  Guillaume  de  Montlauzun  :   les  visiteurs  constatèrent  à   reyrel 


'''  Monastère  de  Lieu -Dion- en -Jard,  des 
l 'remontres,  au  diocèse  de  Luçon. 

'''  Arch.  nat.,  X"  y,  fol.  298  v".  Nous  en 
devons  la  connaissance  à  l'obll^'cante  éiiidition 
de  M.  Léonce  Célier,  ainsi  que  celle  des  ren- 
seignements résumés  dans  la  note  qui  suit. 

''  On  lit  dans  le  cartulaire-obituaire  du 
w'  siècle,  conservé  aux  Archives  de  la  Vienne 
(H    ao5,  fol.  30  \°),   la   mention  suivante  : 

«Servicia  que  fiunt  in   Quadragesima 

«Reverendus  dominus  abbas  de  Monteloduno, 
«qui  glossavit  Clementinas  et  composuil  (rac- 
«  iatum  sjiper  sacramenta  ecclesie  et  luit  nota- 
«  bilis  doctor  in  dccrelis,  qui  sepelifur  ante  ma- 
l'gnum  allare  a  laleredexiro.  » 

Au  folio  149  \°,  on  lit:  «Die  iv"  nouas 
<>  januarii,  dcnosicio  dompni  Guillelmi  de  Mon- 
«telauduno,  riujus  monasterii  abbatis.  «  Le  suc- 
cesseur de  Guillaume  est  mentionné  au  cours 
de  l'année  i343  (Bibl.  de  Poitiers,  Coll.  Fon- 


leneau,  I.  XIX,  p.  477,  copie  d'une  pièce  (irée 
des  archives  de  l'abbaye). 

'*'  Voir  sur  l'exécution  de  ce  legs  et  la  dif- 
ficulté que  souleva  le  successeur  de  Guillaume, 
une  lettre  de  Clément  VI  (Déprez,  Lelircs  doses 
]Hitentes  cl  cuiialcs  de  Clément  17  se  rupporlnnl 
à  ht  France,  n°  aog).  Celte  lettre  est  du  3  juin 
i343.  Déjà,  à  cette  date,  Etienne,  qui  avait 
été  choisi  pour  succéder  à  Guillaume  comme 
abbé  de  Montierneuf,  était  venu  à  Avignon  et 
avait  été  transféré  par  le  pape  au  monastère 
de  Saint-Thibery,  diocèse  d'Agde,  en  qualité 
d'abbé. 

'■''  Rédet,  Visites  des  monastères  de  l'Ordre  de 
CUmy ,  etc..  .  ,  loc.  cit.,  p.  4i3. 

I'^'  Les  visiteurs  disent  que  les  vicaires  du 
nouvel  abbé  ont  pu  ramener  le  service  divin 
ad  statum  pristinum  ei  debitum;  comme  cela 
s'est  fait  en  quelques  semaines ,  il  y  a  lieu  de 
croire  que  le  mal  n'était  pas  grave. 

Go. 


/i70  GllJI.LXlJME  DE  MONTLALZDN,  CANOMSTE. 

qu  il  avait  laissé  dépérir  les  édifices  du  monastère  et  les  biens  de  la 
inense ,  faute  de  faire  les  travaux  d'entretion  qui  eussent  été  nécessaires, 
et  que  cependant  il  avait  épuisé  toutes  les  ressources  disponibles. 
Ils  lui  reprochèrent  donc  des  dépenses  exagérées,  qu'ils  paraisseut 
imputer  aux  divers  procès  soutenus  par  lui  à  l'occasion  des  droits 
tie  servitude  et  (le  justice  prétendus  par  les  représentants  du  domaine 
royal.  Ces  procès  auraient  coûté  fort  cher,  sans  compter  que,  par 
suite  des  incidents  qui  s'y  produisirent,  le  temporel  du  monastère 
avait  été  mis  sous  la  main  du  roi  el  y  était  demeuré  jusqu'au  jour 
où,  par  l'elfet  d'une  démarche  qui  suivit  immédiatement  la  mort  de 
Montlauzuii,  les  représentants  du  nouvel  abbé  réussirent  à  obtenir 
la  mainlevée.  N'y  a-t-il  pas  quelque  exagération  dans  ces  critiques? 
Les  visiteurs  n'ont-ils  pas  subi  l'inlluence  des  o])posanls  qui  ne 
|)Ouvaient  manquer  dans  une  communauté  nombreuse,  aux  dernières 
années  d'un  gouvernement  abbatial  qui  avait  duré  un  qu.ul  de  siècle!' 
Ont-ils  tenu  compte  du  legs  important  lait  par  Montlauzun  pour  la 
réparation  de  l'église.'  Il  est  difficile  de  répondre  à  ces  questions  :  ce 
qui  est  certain,  c'est  (pie  les  archives  du  Parlement  de  Paris,  poul- 
ies dernières  années  de  notre  abbé,  ont  gardé  la  trace  d'un  seul 
procès,  mentionné  ])lus  haut,  qui  le  mit  aux  prises  avec  le  monastère 
du  Jard. 

Quoi  qu'il  en  soil ,  il  semble  bien  ,  d'a|)rès  les  témoignages  que  nous 
avons  recueillis,  (jue  Montlauzun  lui  un  supérieur  dévoué  au  bien 
spirituel  et  temporel  de  son  Ordre  et  du  couvent  dont  il  était  le 
chef,  et  que,  en  ce  qui  le  concerne  personnellement,  il  se  montra  libé- 
i"al  et  désintéressé. 

SES  ÉCRITS. 

(iuillaume  de  Montlauzun  a  laissé  plusieurs  ouvrages  consacrés 
exclusivement  au  droit  ecclésiastique;  ce  sont  des  commentaires  des 
décrétales  publiées  de  son  temps.  En  outre,  on  lui  doit  une  œuvre  mi- 
théologique  mi-canonique,  'mli\.\i\ée\e Sacramentale. 

I.  —  Au  premier  rang  des  œuvres  canoniques  de  Montlauzun  se 
place  un  groupe  de  deux  ouvrages,  publiés  à  quelques  années  de  dis- 
tance, qui  sont  liés  par  des  rapports  étroits  et  .se  complètent  mutuel- 


SES  ECRITS.  /i77 

lement.  C'est,  avec  sa  Lccturasur  le  Sexte  de  Boniface  VIII,  l'œuvre 
portant  le  titre  d'Apparat  us,  qui  a  pour  objet  à  la  fois  les  Clémentines 
et  trois  des  plus  anciennes  des  décrétales  connues  sous  le  nom 
d'Extravagantes  de  Jean  XXII'''. 

Montlauzun  composa  d'abord  la  Lrc/n/'a  sur  le  Sexte.  Il  n'est  cepen- 
dant pas  le  premier  qui  ait  commenté  In  célèbre  recueil.  Jean  André, 
Gui  de  Baisio,  le  cardinal  Le  Moine  l  avaient  précédé;  lui-même  les 
cite  souvent.  Au  surj)lus,  d'un  passage  que  nous  avons  mentionné,  il 
résulte  clairement  que  son  œuvre  est  postérieure  au  couronnement 
de  Clément  V,  c'est-à-dire  au  i4  septembre  iSoS'''.  D'autre  part, 
ou  verra  plus  loin  qu  elle  esl  ;intérieure  au  Sa(  ramcntalc,  composé 
vraisemblablement  en  iSiy'".  Ainsi  la  Lertiira  date  d'une  année 
comprise  entre  i3o6  et  i3i6;  peut-être  pouvons-nous  préciser 
davantage  en  la  déclarant  antérieure  à  l'année  i  3  i  4,  époque  à  laquelle, 
pour  raison  de  santé,  Montlauzun  dut  suspendre  ses  leçons.  Pendant 
cette  période,  Montlauzun  enseigna  le  droit  canohicpie  à  Toulouse; 
ainsi  s'expliquent  ses  nombreuses  allusions  à  cette  ville  et  à  la  région 
f{ui  l'environne.  Il  s'en  faut  d'ailleurs  de  beaucotq)  que  l'œuvre 
de  Montlauzun  sur  le  Sexte  ait  exercé  une  influence  égale  à  celle  des 
œuvres  analogues  de  ses  prédécesseurs,  en  particulier  de  Y  Apparat  us 
de  Jean  André;  Montlanzun  est  venu  trop  tard,  à  un  moment  oi'i  la 
])lace  était  prise.  Nous  ne  connaissons  pas  de  manuscrit  de  sa  Lcctura 
sur  le  Sexte'*';  mais  il  en  existe  une  édition,  donnée  à  Toulouse 
en  1624,  et  considérablement  augmentée  d'additions  dues  au  juris- 
consulte Biaise  Auriol. 

Le  commentaire  sur  les  Clémentines'""',  connu  sous  le  nom  dAppa- 

'''  Nous  rappelons  que,  pour  nous  conl'oi-  |)()itant  le  n°  679,  ronime   ronlenaiit  lAppa- 

nier  aux  éditions,  nous  désignerons  le  premier  inlus  de  Guillaume  de  Montlauzun  sur  le  Sexte. 

de  CCS  ouvrages  parle  titre  de  Lectnra  super  '''   Inc.  :  «Magnifiée  bunitatis  niireque  pie- 

Sexto  et  le  second  par  celui  (Wippnniliis  Cle-         lalis Quia  a  Joiianne  et  de.Iohanne.n 

mcntinariim,  MAyvscniTS.  Bibl.  nal.,  lat.  4jo8,  /|1  i6(les 

'"'  Voir  ci-dessus,  p.  469.  Extravagantes  seulement),  i433i,  i69()3;Bibl. 

'''  Voir  ci-dessous ,  p.  48 1.  Sainte-Geneviève,  338;  Amiens,  369:  Arras, 

'''  D'après  Oudin,    il   en  existait    un   ma-  4^7,  5io,  54i;  Angers,  390,  Sga  ,  393;  Gam- 

nuscrit   à  Saint-Bénigne  de   Dijon    [Comineii-  brai,  628;   Chartres,   383;   Laoïi,  379,  386; 

Inriusdescriploribiis  ecclesiasticis  A. U\, col.  g66);  Reims,   743;  Rouen,   733,   752;  Metz,   112; 

cl'.  Catalogue  ge'néral  des  mamiscrits  des  l)iblin-  Saint-Omer,  44o,  44 1,  458;  Saint-Claude,  11; 

ihèques  publiques  de  France. l.\\[).  \53,col.->..  Oxford,  Corpus  Chrisli  Collège,  70;  Oxford, 

C'est   par  erreur  que  Schulte  (Gcscliiclile  der  Exeter  Collège,  17;  Cambridge,  Gonvilie  and 

Quellen  nnd  Literalnr  des  canonischen   Rechis .  Gains  Collège,  269;  Worcester,  Chapitre,  F  168 

t.  Il,  p.  197)  indique  un  manuscrit  d'Angers,  (fragnienti;   Esrurial,    (!  Il  5,   G  I  G,  Kl  4, 

3  3 


/i78 


GllLLAUME  DE  MONTLAUZUN,  CAPsOMSTE. 


mtiis,  est  un  ouvrage  analogue  au  précédent.  Il  est  consacré,  non 
seulement  au  recueil  des  constitutions  de  Clément  V,  promulgué  le 
2  0  octobre  iSiy"),  mais  aux  premières  en  date  des  Extravagantes  de 
Jean  XXII,  à  savoir,  les  décrétales  Suscepli  regiminis,  Exsecrabilis  et 
Sedes  ApostoUca.  En  deux  passages  où  l'auteur  traite  des  origines  de 
l'Islamisme,  il  nous  averti!  qu'il  écrit  au  juinlemps  d'une  année  qui 
ne  peut  être  que  i3ig  ou  i32o'^*.  Or  l'ouvrage  est  dédié,  comme 
on  l'a  dit  plus  haut,  à  l'infant  Je.Tu  d'Aragon,  auquel  l'auteur  donne 
le  titre  de  chancelier  du  royaume,  titre  qu'il  a  cessé  de  porter  à  la  lin 
de  l'année  iSig'^^  Nous  pouvons  en  conclure  que  Y Appnratas  sur  les 


H  1  1  ;  Berlin,  Bibl.  royale,  Coiliccs  clccloialcs, 
683  ;  Bamberp,  P  111  3  ^t  )  9  ;  Praf^ue ,  IV  D  3  ; 
Bamberg,  PII  23,  et  Berne,  4go;  Pérouse, 
3o6  (ces  trois  derniers  manuscrits  ne  com- 
prennent que  le  commentaire  sur  les  Extrava- 
gantes). J.  W.  Bickell,  à  la  p.  12  de  l'ouvrage 
cilé  ci-dessous,  signale  deux  nianusciits  du 
commentaire  sur  les  Extravagantes  conservés  à 
Stuttgart,  dans  la  bibliothèque  du  Boi.  On 
trouve  au  fol.  171)  du  manuscrit  Arundel  432 , 
au  Brilish  Muséum,  une  vepeùtio  sur  l'Extra- 
vagante Exsecrahilis. 

Editions.  Borne,  1/175  [Glossœ  in  lies 
H.Ttrindganles  Johnnnis  XXII:  Hain ,  Rcpcrlo- 
iinm,n°  1 1  ^gS)  ;  Bouen,  i5i2,  édition  frag- 
mentaire, avec  ce  litre  :  Appuiiilus  consliln- 
(ionum  Cknwntis  papœ  <iiiiiili  qiiœdnin  pai  iicuUe  ; 
Paris,  1517,  in  8°  ;  le  conrnientaire  sur  les 
Clémentines  est  imprimé,  du  moins  en  partie. 
Ml  tome VI  des  llcpelilioncs  jiiiis  canonki  (éd. 
de  N'cnise,  1587,  fol.  r3S;éd.  de  Cologne, 
1G18,  j).  282  et  suiv.).  Le  commentaire  sur 
les  trois  Extravagantes  ligure  dans  le  mémo 
lomc  VI  (Venise,  fol.  1  ,  23,  25  et  Cologne, 
p.  1,  48,  5i  de  la  seconde  pagination).  La 
glose  sur  les  Extravagairtes  a  aussi  été  insérée 
par  François  de  Pavinis  dans  son  Dacidits  pas- 
loralis  sive  Iractnlus  visilnlioiiiun,  ouvrage  im- 
primé à  Paris  en  1  5o3  et  en  r  5o8  (cf.  J.  W. 
Bickell,  p.  a5).  On  lira  plus  loin  ce  qui  est 
dit  de  l'insertion  du  commentaii-e  sur  les 
Extravagantes  dans  les  éditions  glosées  des  Ex- 
travagantes communes  au  Corpus  ji<ris  rniw- 
uici.  Sur  ces  diverses  éditions,  J.  W.  Bickell, 
Ueler  die  Entslehung  iiiid  dcn  heiitigen  Gc- 
hrnach  dcr  heiden  Extraïugoutensammlungen 
des  Corpus  jnris  canonici,  Marbourg,  1825, 
p.    25. 


'-  Pour  des  raisons  que  nous  ignor'ons, 
Morrtiauzun  s'est  abstenu' de  commenter  la 
célébr-o  l)ulle  de  Clément  V,  Exivi  de  Para- 
dlso,  concernant  l'interprétation  de  la  règle 
des  Frères  Mineurs  (  1 ,  Clément.,  V,  1  1  ).  A-t-il 
cru  devoir  étendi'e  à  celte  corrstitution  la  dé- 
lense  jiortée  par  Nicolas  111  dans  sa  bulle 
Exiit  qui  séminal  sur  le  même  objet (3, 5ex/e, 
V,  12)?  Le  pape  \  dit  formellement  :  ut  glosse 
non  fiant ,  sauf  pour  des  explications  relevant 
de  la  grammaire.  D  autres  commentateur's  des 
Clémentines  n'ont  pas  eu  ce  scrupule. 

'^'  Les  deux  passages  où  l'on  rencorrtre  cette 
indication  se  trouvent  dans  X Apparatm  sur  les 
Clémentines  :  sur-  1 ,  Clém.,  I,  i ,  et  sur  c.  un, 
Clem.,  V,  2  [Appar.  Clément,  fol.  3,  v°  et 
Bibl.  nat.,  lai.  16902,  loi.  167).  Ces  passages 
sont  corrompus;  mais  l'allusion  à  l'année  de 
rincarnalion  est  irrconlestabic.  On  y  trouve  une 
allusion  erronée  à  une  année  où  il  faut  voir 
l'année  709  tle  l'hégire,  coriespondanl  à  l'an- 
née   iSig  de  l'ère  chrétienne. 

■'  En  i32o,  le  royauirre  d'.\ragon  avait  un 
autre  clrancelier  (Finke,  Acta  Aragonensia . 
l.  1,  p.  xi.lll).  D'ailleurs,  .lean  fut  pourvu  de 
l'archeviVhé  de  Tolède  le  r4  novembre  i3r9 
(Eubel,  Ilierarchia,  t.  1",  p.  487).  C'est  sans 
doute  à  cette  occasion  qu'il  renonça  à  la 
chancellerie  d'Ar-agon.  Ainsi  VApparalas  est 
antérieur  à  cette  date,  ou  tout  au  moins  à 
l'époque  où  Monllau/un  eut  connaissance  de 
la  nomination  de  l'irrfant.  D'autre  part,r.4/i- 
pnratus  sur  les  ('lémentines  (voir  ci-dessous, 
et  fol.  2i5  \°  du  manuscr'it  lai.  1690a  de 
la  Bibl.  liai.)  l'ait  allusion  à  une  décrétalc  de 
Jean  XXll,  favorable  au  Tiers-Ordre  de  saint 
François,  qui  parait  être  celle  du  a3  février 
i3i9  (Eubel,   niillniinm  frnnciscannm ,    t.   V, 


SES  l'IClUTS.  479 

Clémentines  lut  composé  en  iSic).  Il  précéda  ainsi  de  quelques 
années  l'ouvrage  analogue  de  Jesselin  de  Cassagnes,  publié  en  i333, 
et  celui  de  Jean  André,  publié  en  iS^ô*''. 

L'œuvre  de  Montlauzun  lut  accueillie  favorablement  par  les  cano- 
nistes,  à  en  juger  par  le  nombre  des  manuscrits  et  des  éditions 
([ui  sont  parvenus  jusqu'à  nous.  Mais,  du  moins  en  ce  qui  concerne 
la  partie  (pii  traite  des  Clémentines,  son  succès  demeura  intérieur 
à  celui  qui  était  réservé  au  commentaire  de  Jean  André.  Il  n'en  lut 
pas  de  même  de  la  portion  de  \ Apparalus  de  Monllauzim  consacrée 
aux  trois  Klxtravagantes;  au  début  du  xvi''  siècle,  Cliappuis  la  fit 
imprimer  dans  le  Corpus  juns  canonici,  comme  commentaire  du 
texte  de  ces  mêmes  décrétales  insérées  dans  la  série  des  Ecctravcuiaiiles 
loininunes^'K  Son  exenqale  fut  suivi  par  d'antres  éditeurs  du  grand 
recueil  canoni([uc,  si  bien  ([u'on  ])eut  dire  ([ue  ce  commentaire  tle 
Montlauzun  devint  une  œuvre  classique,  familière  à  tous  les  juriscon- 
sultes. 

Dans  ses  divers  commentaires,  Guillaume  de  Montlauzun  suit  une 
marche  identique.  Se  conformant  à  l'ordre  des  décrétales,  il  les  étudie 
successivement,  en  commençant  par  indiquer  la  division  de  chacune. 
Puis  il  en  lait  connaître  les  origines,  qu'il  a  recherchées  dans  la 
législation  antérieure  ou  encore  dans  la  glose  ou  dans  les  écrits  des 
canonistes.  11  passe  ensuite  à  l'explication  du  texte,  eu  la  rattachant 
à  chacun  des  mots  importants  qu'il  met  en  évidence,  selon  le 
procédé  si  fréquemment  employé  par  les  juristes  à  cette  époc[ue. 
Le  commentaire  est  abondant,  et,  sous  la  plume  de  l'auteur,  se 
transforme  parfois  en  un  exposé  magistral. 

Outre  le  Corpus  juris  canoiùci,  le  Corpus  j uns  civilis  et  les  gloses 
qui  les  accompagnent,  Guillaume  de  Montlauzun  cite,  dans  ses 
commentaires,  de  nombreux  ouvrages  :  les  Livres  saints;  parmi  les 
écrits  des  canonistes,  ceux  de  Hugucio,  de  Vincent,  de  ÏAbbas  aiili- 

|).  i63).  Tout  compte  lait,  i'Apparatiis  sur  les  ''   l-e    texte    et   le    commentaire    paiiu'ont 

CIcinenlines  ilale  viuiseinblahlement  du  piii\-  en    i5oo,    à    Paris;    Clia[>puis    a    publié     les 

temps  flo  rain)éc  iSiQ.  E-vtravarfanles   cominaiwi ,   à    la  suite  des  E\- 

''*  C'est  à  toit  qu'on  a  présenté  VApixiiahis  travugantes  de  Jean   \.\II,  pour  l'édition  du 

de  Jean  André  sur  les  Clémentines  comme  le  Corpus  juris   cdiioniri    entreprise    par    Ulrich 

premier  en  date  des  commentaires  sur  ce  re-  Gering. 
cueil  (Schulte,  np.cit. .  t.  Il,  p.  317  et  2/(8). 


'i80  GUILLAUME  DE  MONTLAUZLN,  CANON JSTE. 

(juiis,  de  Bernard  de  Coiripostelle,  de  Guillaume  Durant  l'Ancien, 
de  Henri  de  Suse  dit  le  cardinal  d'Oslie,  de  Garcia,  de  Geofiroi  de 
Trani,  du  cardinal  Le  Moine,  de  Pierre  de  Sampson,  de  Gui  de 
Baisio  et  de  Jean  André;  parmi  les  écrits  des  légistes,  ceux  d'Azon, 
de  Dino  de  Mugello,  d'Albert  de  Pavie  et  de  ]acc\\iesBaIduiiii. 

Montlauzun,  dès  qu'il  eut  quitté  le  Languedoc  pour  Poitiers, 
semble  avoir  abandonné  ses  travaux  canoniques.  Alors  que  Jean  XXII 
promulguait  de  nombreuses  décrétales  qui  attiraient  l'attention  de 
tous  les  jurisconsultes,  il  s'abstient  d'en  donner  l'interprétation  : 
il  est  tout  entier  à  ses  devoirs  monasticjues.  Mais  c'est  la  considé- 
ration de  ces  mêmes  de\oirs  <|ui  devait  plus  tard,  le  ramener  an\ 
études  juridiques  ;  il  se  retrouva  canoniste  (juand  il  s'agit  d'e\- 
pliquer  un  texte  du  plus  grand  intérêt  pour  les  religieux  de  son 
Ordre. 

Entre  les  décrétales  de  la  première  moitié  du  xn*"  siècle,  l'une 
des  plus  célèbres  est  celle  par  laquelle  Benoît  XII  réforma  les  moines 
noirs,  c'est-à-dire  les  anciens  bénédictins  et  l'Ordre  de  Cluny. 
Elle  est  datée  du  .20  juin  i336  et  conq)rend  trente-neul  articles, 
qui  peuvent  être  ramenés  à  queKpies  points  :  organisation  des  cha- 
pitres généraux,  particuliers  et  de  visiteurs,  réorganisation  minu- 
tieuse des  études  des  religieux,  discipline  à  laquelle  ils  sont  soumis, 
administration  du  temporel.  Cette  constitution  de  i336  fut  com- 
plétée par  une  seconde  bulle  du  même  pontife,  en  date  du  3  dé- 
cembre i34o.  Montlauzun,  à  la  différence  de  quelques-uns  de  ses 
collègues,  supérieurs  d'abbayes  françaises,  n'avait  pas  été  appelé  à 
participer  aux  travaux  préparatoires;  mais  il  crut  bien  faire  de 
commenter  la  nouvelle  décrétale.  A  un  âge  avancé,  il  composa  un 
ouvrage  ini])ortant,  demeuré  inédit,  que  nous  ne  connaissons  que 
par  un  manuscrit  :  le  n"  Ai'^i  du  fonds  latin  de  la  Bibliothèque 
nationale '*\  L'auteur  avait  sous  les  yeux,  non  seulement  la  consti- 
tution de  i336,  mais  la  bulle  de  décembre  i34o;  c'est  dire  qu'il  n'a 
pas  achevé  son  œuvre  avant  i34i  :  or,  on  sait  qu'il  mourut  le 
2  janvier  i343.  Son  commentaire  est  donc  un  fruit  du  travail  des 
dernières  années  de  sa  vie'-'. 

'''   Manuscrit   du    xiv'    sièclr.  Ixc.  :   ii()uo-  '''  II  n'y  a  donc  pas  lieu  de  s'étonner  de  voir 

niani  de  clcmentissiino  papa  nostro.  .  .  »  <|u"il  mentionne  (Toi.  (5 )  les  chapitres  de  Cluny 


SI'.S  l'ICMITS. 


'|8I 


CoiMinc  dans  sfs  |)nT('(lriils  oux  rages,  \lonlIaii/uii  siiil  pas  à  pas  le 
U'\te  (le  la  bulle.  Il  s'y  montre  plus  que  jamais  écrivain  ahondant,  se 
livrant  à  de  nombreuses  dif)ressions,  souvent  intéressantes  pour  l'iiis- 
lorien  des  idées  et  des  nxeurs  du  XIV^siècle.  11  y  met  à  contrihution  les 
sources  du  droit  canonique  et  du  droit  civil,  comme  dans  ses  précé- 
dents ()uvra<,res;  on  y  reuKirrpie  même  une  citation  des  Lihri  Feudo- 
riim.  Ainsi  qu'on  peut  s'y  attendre,  il  y  l'ait  nsa<;('  des  textes  bibli- 
(pies;  il  y  invo([ne  aussi  les  règles  de  saint  Benoît  et  (!«•  saint  Basile, 
les  écrits  des  l'eres  et  (fU(d(pu's  légendes  de  saints. 

11.  — Les  liommes  du  moyen  âge  ont  moins  connu  (luillaume  de 
Montlauzun  par  ses  commentaires  sur  les  décrétales  (nie  par  son 
(cuvre  intitulée  Sacranirntnlc'^ \  d'un  caraclèi-e  mixte,  Itmant  à  la  l'ois 
de  la  tliéologie  et  du  droit  canon.  Il  coin])osa  cel  ouvrage  après  l'aNè- 
iienuMit  de  Jean  XXll;  nous  n'en  pouvons  douter  j)uls(|u'il  y  fait  allu- 
sion à  un  incident  (][f  conclave  où  lut  élu  ce  ])onlité<-).  Ainsi  \e  Sa<ra- 
inenlale  \\\'s[  ])as  antérieur  an  mois  d'août  i.'^it);  toutefois  il  l'ut  aciievé 
avant  la  composilio)i  de  1"  [ppnrnhis  sur  les  (Héntenlines,  c'est-à-dire 
avant  i3i().0n  peul  le  déduire  de  ce  que  l'auteur  ne  ])rend  pas  le  titre 
d'abbé,  (pi'ilporlaitdés  le  mois  de  juillet  i  3  i  9,  et  aussi  de  ce  que,  dans 
son  prologue,  il  renxoie  bien  à  son  commentaire  du  Sevle,  mais  non 
à  l'ouvrage  consacré  aux  Clenu'ntines.  Il  imus  semble  d'ailleurs  qu'il 
n'est  pas  im])ossible  de  préciser  davantage.  Nous  inclinons  à  croire 
(pie  le  SacrumeiHalc  date  de  1  3  1  7  ,  j)arce  (ju'il  resulie  d'un  passage  de 
cet  écrit'*^  que  l'auteur  considérait  encore  comme  en  vigueur  la 
décrétale  de  Benoît  XI    ////(■/•  'ciwctas^''\  Or   celte  décréatale,  réputée 


pl  de  (Jnioges,  tenus,  ilit-il,  au  lours  île  In 
première  année  iiui  siiisit  la  iiminul^alion  de 
la  bulle. 

*   Im;.  :   «Cai'issiiiKi  lilio  suo.  .  .   Si^naluni 
est  super  nos  lumen ...» 

MAyvscniTs.  Bibl.  nal.,  lat.  Saoi  à  0-207. 
■i/iVr),  iogS,  /|ioi  ,  /|io<S:  Ma/.arine,  iSaô; 
Amiens,  076 ;  Arras,  6()o;  Bayenx,  chapitre, 
■  )7;  Charti-es,  '.'>2-j  ;  Laon,  386;  Heiins,  .'iio. 
.")2i,  -jV);  Saint-Mihiel,  oq;  Tours,  487  et 
438;  Troycs,  1360;  \iitir.'  l'alat.  I.tl.  (i()3: 
HAle,  Cl.  i();  ()%i;ud,  Balliol  Colle-e, 
1 48;  Cambridge,  CorpuN  (,'hristi  Colle-e,  8'i 
(incomplet);   Escurial,    P  1    3;     Trêves.   a5i; 


Munich  ,  3.)()  I7,  •!()8()  I ,  etc.  jKiiurl ,  1  9/4  ;  l'.ain- 
berf,',  Q.  M.  48;  Mnf(deb()urg, Gymnase,  101  , 
3o(i;  Dresde,  P  .S.'i;  \ieiuie,  Schottenstil'l , 
IF  a,  5;  Prajjue,  l  niversité,  V  3  17.  Les 
derniers  manuscnts  ont  été  signalés  par  Schtille, 
op.  iit.,  l.  II,  p.   ic)8,  note  <). 

''  Il  s'agit  de  la  conduite  que  tint  alors  le 
cardinal  Bérengei  IVédol ,  qui  s'abstint  de  par- 
liciper  à  l'élection,  el  n'entra  jias  au  conclave. 

''  Bibl.  nal.,  lai.   .>!o5,foJ.  12. 

'*'  On  trouvi!  le  texte  de  celle  décrétale  dans 
les  Kxlra\agantes  communes,  où  elle  forme  le 
chajiitro  i  du  litre  Dr  prmhgiis  flib.  v). 


(il 


482  GUILL\111VIE  DE  MONTJ.AUZIN.  CWOMSTK. 

trop  favorable  aux  Ordres  nieiuliants,  fut  abrogée  jiar  une  bulle  ai- 
Clément  V,  la  bulle  Diidiun,  insérée  aux  Clénieulines'''  et,  par  consé- 
quent, publiée  le  25  octobre  1017.  H  serait  surprenant  que,  s'il  avait 
écrit  en  i3i8,  Montlauzun,  en  général  bien  informé,  eût  fait  état  He 
la  décrétale  Inter  ciinrtas  qui  dérogeait  au  droit  commuu,  si  déjà 
elle  avait  été  abrogée. 

Au  début  du  Sacramentale,  Montlauzun  fait  connaître  le  but  qu'il 
y  vise.  On  sait  que  jusqu'au  xi*^  siècle  le  droit  canonitjue  n'était 
qu'une  brandie  de  la  divinitas ,  comme  on  disait  alors,  c'est-à-dire  de 
lii  théologie.  C'est  surtout  sous  l'influence  du  puissant  mouvement 
d'idées  dont  la  querelle  des  investitures  fut  l'occasion  qu'il  pril 
l'allure  d'une  branche  distincte  et  autonome  de  la  science  sacrée. 
L'évolution  par  laquelle,  vers  la  même  époque,  fut  restaurée  la  con- 
naissance scientifique  du  droit  romain,  ne  fit  qu'acceutuer  celte  ten- 
dance en  fournissant  au  droit  canon  une  méthode  et  des  catégories. 
Au  xiiT''  siècle,  la  séparation  de  la  théologie  et  du  droit  canon  était 
accomplie.  Chacune  des  deux  disciplines  demandait  cinq  ou  six  ans 
d'études;  aussi  était-il  rare  de  rencontrer  un  clerc  qui  se  résignât  à 
un  long  et  fastidieux  travail  pour  acquérir  la  connaissance  approfon- 
die de  l'une  et  de  l'antre.  On  pouvait  être  canoniste,  voire  même 
docteur  en  décrets,  sans  être  versé  dans  la  théologie,  et,  réciproque- 
ment, il  arrivai!  souvent  que  les  théologiens  fussent  étrangers  au 
droit  canonique.  CepcMidanl,  comme  le  marque  bien  la  légende  d'après 
laquelle  Pierre  Louibarrl  et  Gratien  étaient  frères,  les  deux  sciences 
étaient  étroitement  apparentées;  elles  avaient  même  en  plusieurs 
provinces  un  domaine  commun.  Or,  (piand  ilsy  pénétraient,  les  cano- 
nistes,eu  contact  avec  les  nécessités  de  la  vie  pratique,  et  mal  habi- 
tués aux  raisonnements  des  théologiens,  s'étonnaient  de  quelques-unes 
de  leurs  conclusions  et  jwrfois  les  contestaient.  En  nwanche,  il  dut 
arriver  quelquefois  ([ue  l'ignorance  des  jurisconsultes  en  matière  de 
théologie  causa  du  scandale.  On  connaît  le  jiassage  où  un  contempo- 
rain, le  continuateur  de  Guillaume  de  Nangis,  place  les  maîtres  en 
héologie  de  Paris  bien  au-dessus  des  juristes,  dont  il  y  avait  alors  un 
si  grand  nondjre  en  Avignon,  parce  ({ue  ceux-ci  ne  savent  guère  de 

''  2,  (liéineiit.,  III,  7.  —  Dans  son  coin-  tiit  liirl  bien  que  la  bulle  de  Benoit  \l  a  été  abio 
inenlaiie  sut  la  constitution  de  Benoit  XII  j;ce  par  Clément  V  (Bil)l.  nat.,  Int.  'util. 
|>our  la  ri'fornie  (les  moini";  noirs,  MontliUl/uii  loi.   'i  i    v"). 


SES  ÉCKITS.  /i8;i 

théologie,  tandis  ([uc  ceux-là  mclias  sciant  (juod  débet  tcneri  et  credi  in 
Jide  '". 

Out'hjues  années  avant  l'époque  où  lurent  formulées  ces  critiques, 
Monllauzun  avait  estin)é  indispensable  de  réunir  en  un  volume 
les  notions  nécessaires  pour  donner  à  ses  confrères  canonistes  une 
intelligence  plus  complète  de  l'enseignement  théologi(jue  sur  les 
matières  mixtes.  Tel  est  l'objet  du  Sacrameiitale.  L'auteur  annonce, 
dès  la  première  page,  qu'il  y  traite  de  certains  points  ihéologiques 
[(juedum  pnncta  theologica]  dont  les  canonistes  n'ont  pas  l'intelligence 
claire,  autant  parce  qu'ils  ne  connaissent  pas  le  vocabulaire  des  théo- 
logiens que  parce  qu'ils  ne  savent  point  suivre  leurs  raisonnements  sub- 
tils {propter  subtilem  eoium  inodnm  Iradendi  vel  tractandi).  Monllauzun 
e-nlend  d  ailleurs  n'en  faire  qu'un  bref  exposé,  se  restreignant  aux 
matières  qui  sont  en  relations  étroites  avec  les  cas  étudiés  par  les 
(•anonistes  et  avec  les  principes  de  leur  science'"'. 

Ayant  ainsi  indiqué  l'objet  de  son  livre,  l'auteur  donne  la  table 
des  chapitres  dont  il  est  conq)osé.  En  la  parcourant,  le  lecteur 
s'aperçoit  bien  vite  que,  conformément  au  titre  de  son  ouvrage,  c'est 
surtout  la  matière  des  sacrements  que  l'auteur  étudie  :  c'est  d'ailleurs 
vraiment  le  domaine  mixte,  relevant  à  la  fois  des  deux  disciplines, 
comme  on  peut  s'en  convaincre  en  ouvrant  les  écrits  de  Gratien  et  de 
Pierre  Lombard.  Les  six  premiers  chapitres  sont  consacrés  à  la 
îhéorie  générale  des  sacrements:  «de  caractère,  de  clave  ordinis,  de 
clave  juridictionis,  de  verbis,de  signis,  de  sacramentis  in  génère...  » 
Les  chapitres  (pii  suivent  traitent  successivement  des  sept  sacrements  : 
baptême,  confirmation,  ordre '^',  eucharistie,  mari;)ge,  pénitence  et 
l'xtrème-onction.  L'ouvrage  se  termine  par  divers  chapitres  où  sont 
exposées  des  matières  connexes  à  la  théorie  des  sacrements,  parce 
qu'elles  concernent  ou  ceux  qui  en  sont  les  ministres  ou  les  fidèles  qui 
les  reçoivent  :  ces  matières  sont  celles  des  indulgences,  qui  se  ratta- 
chent à  la  pénitence,  les  causes  diveises  qui  peuvent  rendre  le  n)inistre 

■'•   ('hiuni(iiie  latine  ib;  Guillaume  de  Nnngis ,  sncremenl  remplissent   oii/.e    rhapitres,   à  sa- 

imI.  lie  la  Soriélé  de  l'histoire  de  France,  I.  Il,  \oir  :    «De  sacraniento  onliiiis  in  génère,  de 

]>■  1-58.  ordine     psalmistatus,    de    ordine    clericalus, 

'    Nous    analysons    iri     le   préambule    du  de  ordine  hostiariatus,  de  ordine   lectorialus, 

Sacramentale.  de  ordine  exorcislalus,  deolFicio  acolitalus,  de 

-''  L'ordre  l'ournil  la  matière  de  plusiiiiis  ordine  subdiaconatus,  de  ordine  diaconatus, 

rhapiires.  les  développements  concernant  ce  de  ordine  presbiteratus,  de  ordine  episcopali.  « 

61. 


484  Gllll-LVLIMK  DE  VIONTLM/IN.  CWOMSTK. 

du  sacrement  irrégulier,  les  censures  ecclésiastiques,  qui  soiil  «les 
causes  d'incapacité,  soit  pour  le  ininlslrc,  soit  pour  le  suj(!l  des 
sacrements,  et  enfui  la  théorie  générale  de  la  dispense. 

Outre  les  textes  et  les  gloses  de  l'un  el  d«>  l'autre  droits  et  les  écrits 
des  canonistes  mentionnés  dans  les  précédents  ouvrages  (aux(|(iels  il 
faut  ajouter  le  traité  De  eacomnianicalloiu'  cl  inlerdicto  de  liérenger  Fré- 
dol),  l'auteur  invoque  f autorité  de  la  Bible,  celle  d'un  livre  lifurgi- 
(lue, le  Ponlillcal,  celle  de  saint  Augustin,  de  saint  Ambroise,  de  saint 
Grégoire,  du  pscudo-Areopagite,  de  saint  (Juvsostome,  de  Pierre 
Lombard,  de  Hugues  de  Sainl-Viclor,  de  fnreTlioinas,  qui  n'est  autre 
que  saint  Thomas  d'A([uin,  canonise  eu  ['^■^'^,  de  hère  Raymond, 
c'est-à-dire  de  saint  Raymond  de  Peiiafort.  Enfui  on  rencontre  dans 
le  Sacramentale  le  nom  (f  Arislote. 

Il  convienl  de  Faire  remarquer  (pif  Montlauzun  ne  s'est  ])as  ciu 
obligé  de  présenter,  sur  chacune  de  (^es  matières,  un  aperçu  (fen- 
semblede  l'enseignement.  Souvent  il  s'est  restreint  à  ce  qui  lui  a  paru 
nécessaire  pour  atteindre  sou  but.  Ainsi,  à  propos  du  mariage,  il 
<X)ncentre  sou  attention  suc  les  liaucaillcs,  sur  la  formation  du  lien 
conjugal,  sur  l'indissolubilité  de  ce  lien  et  sur  le  pouvoir,  appartenant 
à  l'Eglise,  de  tranchei- les  questions  mafiimoniales,  parce  (pif  tout  cela 
dépend  étroitement  de  la  théologie;  en  revanche  il  néglige  les  euq)('- 
chemenls  au  mariage  (|ui  relévenl  surtout  du  droit  canonique  et 
u'olfrent  guère  de  dillicultés  d'ordre  théologi([ue.  Il  lui  arrive  d'ail- 
leurs de  ne  pas  traiter  ex  projesao  les  questions  im|)Oitantes  (jui,  sur 
la  matière  des  sacrements,  divisent  les  théologiens  de  son  temps;  il 
se  contente  souvent  de  faire  connaître  en  brel  les  diverses  solutions 
(fune  controverse,  sans  nommer  les  auteurs  au\(|uelsil  les  emprunt(!. 
Encore  qu'il  se  montie  jiarfois  é(lecti([ue.  il  piMiche  le  plus  sou\ent 
vers  les  opinions  communément  admises,  et  il  lui  arrive  de  ne  pas 
indiquer  la  solution  cpii  a  ses  préféiences.  Sou  (BUvre  est  plus  un 
répertoire  qu'un  ouvrage  scientilique. 

Les  chapitres  du  Sacrainenlule  sont  de  longueur  loit  inégale  : 
])lusieurs  (l'entre  eux  présentent  de  très  abondants  développements, 
tandis  (pie  d'autres  sont  beaucoup  plus  brels.  (le  (jui  accroît  encore 
ladillér(>nc(;  entre  les  divers  chapitres,  c'est  que  l'œuvre  de  Montlau- 
/.un  n'est  pas  homogène,  f-ia  plupart  des  chapitres  sont  des  exposés 
didactiques,  construits  méthodiquemenl,  oii  les  textes  sont  invoqués 


SES  KCKITS.  4Hr) 

comme  des  ai-<;uin«'nls  à  l'appui  des  conclusions  proposées.  Mais 
(pielques  chapitres  ne  sont  autre  chose  que  des  commentaires  de 
décrétales,  doni  ranlcnr  se  borne  à  interpréter  le  texte.  C'est  ainsi 
((ue  l'important  chapitre  sur  le  baptême  est  un  comnientaire  de 
la  décrétalc  Majores  du  pape  innocent  III  (c.  3,X,  ni,  /^i);  de 
même  le  cha])ilre  sur  l'eucharistie  est  lait  du  commentaire  sur  la 
décrétale  Cuin  Marthœ  du  même  pontile  (c.  () ,  X,  in,  4i)-  H  semble 
(pie  l'auteur  ait  emprunté  ces  chapitres  à  un  Apparalm  sur  les  décré- 
tales de  (jrcgoire  I\,  non  connu  de  nous  '  ,  qu'il  avait  peut-être  coin- 
po.séen  vue  de  son  enseignement,  quand  il  était  professeur  à  Toulouse, 
et  qu'il  les  ait  transportes  dans  son  œuvre  sans  se  donner  la  peine 
de  les  relondre.  lien  résulte  que  ces  portions  du  Sacrameiitale  ne  sont 
pas  en  harmonie  avec  les  autres  :  l'auteur,  suivant  pas  à  pas  le  texte 
de  la  décrétale,  se  trouve  amené  à  des  hors-d'œu\ re  et  à  des  dijrres- 
sions  -',  au  lieu  d'observer  la  méthode  à  laquelle  il  se  conlbrme  dans 
les  autres  parties  du  Sacraincntale.  H  a  sans  doute  simplilié  son  tra- 
vail, mais  la  composition  de  son  œuvre  n  y  a  pas  gagné. 

Il  n'est  pas  dilîlcile  d'apercevoir  les  motils  (pii  ont  valu  au  Sacra- 
meiitale le  succès  (pi'il  a  obtenu.  D'une  |)arl,  il  précise  les  points  sur 
les({uels  les  théologiens  et  les  canonistes  étaient  j)lus  ou  moins  en 
désaccord;  à  titre  d'exemple,  on  peut  citer  les  controverses  sur  les 
formules  du  baptême"'',  sur  l'institution  de  l'Extrême-Onction '"', 
sur  le  nombre  des  ordres  sacrés  "',  sur  la  nécessité  plus  ou  moins  im- 
périeuse de  la  confession  ''' et  sur  la  prétention  des  curés  à  prononcer 
des  excommunications'' .  Kn  second  lieu,  Montlauzun  évite,  autant 
qu'il  le  peut,  les  questions  qui,  de  son  temps,  donnent  lieu  à  de  vives 

<''    \u  couis  (lu  comiiifiilairf  i\f   la  flétri'-  1-ilii    et    l'iilris  cl  Siiirilns   Sniirli   (Bibl.    nal., 

lalo  Cum  Maiilue  (fol.    la   \°),  mi  trouve  un  lai.    o2o5,  lot.   ?..'>  et  a4).  Sur  ces  lonliover- 

ifiivoi  a  ce  qui  est  dit  supin  in  pinhemio  liiijifi  ses  cl  celles  indiquées  plus  loin, cl.   J.Turmel, 

lihri.  qui  semble  bien  viser  la  dernière  partie  Hisloirc  dr  lu  Théoloijic  jmsilivi-  depuis  l'oriyiiir 

(le   la   décrétale    He.v    iKiii/icus,   prologue    des  jusqu'au  nmiilc    dr   Tronic.  Védil.,  p.  /ii^el 

décrétales    de    (in'goire  l\.   Ce   t'ait  conlirme  suiv. 
notre  hypothèse .  d'après  laquelle  Monllauzuii  '*'   Ihid..  fol.  G3  v". 

aurait   utilisé  un  commentaire  des  décrétales  <''   La   tonsure    est-elle    un     ordi»;.'    (Ibiil.. 

de  Grégoire  IX.  fol.   Stî    v  ).    La    même  question  se  pose  pour 

'-'   Ainsi,  en  connncntanl  la  décrétale  Cunt  ré|iiscopal  ;  cf.  Lerlnni  super  Sexio ,  fol.  3,  cl 

Miirthœ ,  ii  traite  de  la  limite  des  pouvoirs  du  Sacrnmentnle .  fol.  ^i. 
pape  et  de  certaines  questions  qui  concernent  ''■   Ihid.,  fol.  62. 

les  fins  dernières.  >'    Ihid.,  M.  -]{)  \". 

'^'    Baptême  /»    uoininc   Cliristi,    in    nouùiic 


480  GUILLAUME  DE  MONTLALZUN,   CANOMSTE. 

cuiilioverses,ou  tout  au  moins  ne  s'y  engage  pas  à  fond;  par  exemple, 
la  question  alors  brûlante  des  droits  réciproques  des  curés  et  des 
religieux  mendiants'*',  ou  encore  la  discussion  relative  à  l'immaculée 
Conception ,  dont  il  eût  pu  être  tenté  de  s'occuper  à  propos  du  baptême; 
grâce  à  cette  prudente  réserve,  il  ne  iieurte  aucun  de  ses  lecteurs. 
En  troisième  lieu,  l'auteur  trait»'  d'un  grand  nombre  de  dilTicultés 
|)ratiqucs  (|ue  soulève  l'administration  dt-s  sacrements'"^*;  il  sulïit, 
pour  s'en  rendre  comjjte,  de  parcourir  les  pages  où  est  exposée 
la  théoiie  du  baptême.  Pour  ces  divers  motifs,  le  Sacramentale  lut 
accueilli  très  favorablement,  et,  dès  sa  publication,  se  répandit  dans 
les  diverses  églises  d'Occident;  la  quantité  des  manuscrits  qui  en  ont 
été  conservés  jusqu'à  nous  le  démontre  suffisamment.  Ce  succès  ne 
s'est  d'ailleurs  pas  maintenu  jusqu'à  l'époque  moderne.  Baluze  faisait 
remarquer  qu'il  ne  connaissait  pas  d'édition  du  Sacramentale''^\  cl 
là-dessus,  nous  en  sommes  au  même  point  que  Baluze.  Il  n'en  est 
pas  moins  vrai  que  le  iSucramenlalc  mérite  l'attention  des  théologiens, 
et  plus  encore  celle  de  quiconque  s'intéresse  à  l'histoire  du  droit 
canonique  dans  ses  rapports  avec  la  théologie. 

Essayons  maintenant  de  dégager  des  ccritsde  Montlauzun  quelques- 
uns  des  traits  qui  caractéris<:'nt  son  originale  personnalité. 

Montlauzun  est  avant  tout  un  canoniste.  H  s'est  fait  une  haute  idée 
de  la  science  à  laquelle  il  s'est  consacré.  Lorsqu'il  traite  des  études 
des  jeunes  religieux,  il  a  l'occasion  de  montrer  l'importance  et  les 
difficultés  de  cette  science.  H  ne  suffit  pas,  dit-Il,  que  le  canoniste  soit 
familier  avec  les  lois  de  l'Eglise,  dont  le  nombre  s'augmente  chaque 
jour  par  la  publication  de  nouvelles  décrétales;  encore  laut-il  qu'il 
soit  versé  dans  la  connaissance  de  la  Bible  et  du  droit  civil ''*',  qu'il 
possède  des  notions  suffisantes  de  la  théologie  des  sacrements,  de  la 
morale,  du  gouvernement  desames,  et  pour  cela  qu'il  n'ignore  point 
les  conclusions  du  Maître  des  Sentences,  avec  lequel  Gratien  s'accorde 

''  Voii"  ce  qaen  onl  dil  nos  predecesseuis ,  *    Ailleurs,  dans  son  Apparatus  sur  la  con- 

à  pro[)osde  Jean  de  Pouilli ,  t.  XXXIV,  p.  aSa  ^litlltion  de  Benoit  XII  (Bil)l  nat.,  lat.  4i!i, 

et  suiv.  toi.  ô  v°),    Montlanzun   montre  qu'il   sait   de 

'*'  Chemin   taisant,  il    donne  son   avis   sur  «piel  prix  est  pour  le  canoniste  la /eja/ij  itien/ia, 

l'âge  moyen  de  la  premii^re  communion,  qu'il  c'esl-à-dire   la   connnissann'  du  droit  romain, 

fixe  à  dix  ans  et  demi  (Ms.  cité,  foi.  /igj.  '|"''  dit  il,   a  été  si  utile  ;i  Gratien  et  à  Ray- 

'     Viiw.  I.  I",  p.  809.  inond  de  Penal'ort. 


SKS  RCniTS.  487 

assoz  bien'''.  La  lâche  esl  considérable;  VIontlauzun  estime  qu'il  esl 
raisonnable  d'y  consacrer  six  années.  Il  se  méfie  ajuste  titre  a  études 
faites  trop  hàtixenient.  Pour  en  détourner  ses  lecteurs,  il  cite  l'exem- 
ple d'une  trentaine  de  légistes  venus  d'Orléans  à  Toulouse;  ils  aban- 
donnaient le  droit  civil  pour  le  droit  canonique,  gràceauquel  ils  espé- 
raient arriver  plus  rapidement  aux  prébendes  et  aux  prélatures.  Dr  ils 
étaient  si  pressés,  qu'ils  ne  prirent  pas  le  temps  de  se  débarrasser  des 
mauvaises  habitudes  de  l'école  orléanaise,  où  l'on  négligeait  le  texte 
pour  ne  connaître  que  la  glose '■^\  Nous  ne  savons  si  Montlauzun  lui- 
même  avait  donné  à  l'étude  du  droit  canonique  les  six  années  qu'il 
demandait  aux  jeunes  clercs.  En  tout  cas,  il  avait  maîtrisé  les  cnlfi- 
cultés  de  cette  science,  dont  il  possédait  les  textes,  les  principes  et 
les  méthodes;  ses  écrils  attestent  qu'il  avait  acquis  la  connaissance 
approfondie  (\n  droit  romain,  qu'il  juge  indispensable  au  canoniste. 
\']n  tout  cela  il  ressemble  à  nombre  de  ses  contemporains;  ce  qui  lui 
appartient  en  propre,  c'est  la  clarté  et  la  finesse  du  raisonnement; 
c'est  le  souci  de  ramener  les  solutions  de  détail  à  une  idée  générale; 
c'est  enfin  la  tendance,  accusée  dans  toute  son  œuvre,  à  tenir  compte 
des  faits  et  à  les  placer  en  regard  des  règles  juridiques.  Cela  est  vrai, 
qu'il  s'agisse  des  faits  du  passé,  que  Montlauzun  allait  chercher  dans 
l'histoire,  ou  des  faits  du  présent,  qu'il  avait  pu  observer  au  cours  de 
ses  voyages.  Il  n'est  pas  inutile  de  demander  à  (pielqnes  (>\emples 
la  preuve  de  cette  dernière  assertion. 

Le  goût  de  Montlauzun  pour  l'histoire  se  traduit  en  plus  d'un  pas- 
sage de  son  œuvre,  ("est  ainsi  que,  dans  son  commentaire  sur  les 
Clémentines,  il  s'occupe  de  l'origine  des  religions  juive  et  musul- 
mane et  esquisse,  avec  les  idées  de  son  temps,  une  biographie  de 
Mahomet'^'.  Pour  justifierles  prétentions  du  roi  de  France  à  l'indépen- 
dance vis-à-vis  du  pouvoir  impérial,  il  fait  remarquer  que  c'est  dans 
la  personne  de  Charlemagne  que  l'Empire  lut  transféré  aux  Germains; 
or,  dit-il,  il  est  peu  probable  que,  en  acce])tant  l'honneur  qui  lui  était 
lait,  Charles  ait  voulu  soumettre  à  une  puissance  supérieure  son 
])ropre  héritage,  (juod  est  rcgnum  Fmncomm.  Jean  le  Teutonique, 
ajoute  Montlauzun,  est  d'un  autre  avis;  mais  on  peut  croire  qu'il  cède 
à  son  inclination  ou  à  la  voix  de  la  chair  et  du  sang''"'. 

'''  Ibid.,  fol.  19.  —  -■  Ibid.,  Fol.  19  et  k)  :  «  (|iiasi  «oiilisl  de  ^dossls  juris  caiiuiiici,  .  .  .  non 
•  ciirabantde  levlii.»  —    "    Appar.  ('lemrnt. ,    loi.  8'!.  —    '    Appai:  Clément. .  M.  3'>.  \°. 


'l88  CIIIJ^MMK   l)K   MOMLAIZIN,  (.WOMSIK. 

(  !o  II  t'st  pas  sciileinenl  ;i  l'occasion  fies  ('Néiioioents  d  ordre  i^f- 
néral,  c'est  aussi  à  propos  du  déveloj)penient  des  iiisfitutions  ecclé- 
siastiques (pie  Montlauzuii  en  appelle  à  l'histoire.  Lorsqu'il  doit 
traiter  des  inesui'es  ])rises  contre  les  hérétiques,  il  expose  en  hrel  ce 
qu'il  sait  des  lois  dirigées  contre  eux  par  Frédéric  11  et  de  la  destinée 
de  ces  lois  an  xiiT  siècle'''.  S'il  s'occupe  du  personnel  exerçant  la  juri- 
diction dans  l'Mglise,  il  ne  niaïupie  pas  de  faire  reinarcpier  ([ue  l'ol- 
licial  est  un  ])ersoiiiia}^c  de  création  récente,  (piil  a  le  tort  de  taire 
remonter  seulement  an  ponlillcat  fllnnocent  1\  '.  Quand  il  en  vient 
à  l'élude  du  sacrement  de  l'ordre,  il  rappelle  (pie  la  lormfî  primitive 
de  C(>  sacrement  se  réduisait  à  l'imposition  (l(>s  mains  accompagnée 
d'une  prière;  il  ajoute  (pie  cette  lormi'  snlTirail  eiicoie  à  créer  des 
prétics,  si  l'Ilglise,  cédant  plus  lard  à  des  inllnences  parmi  lesquelles 
celle  de  Denys  rAréo])agite  lui  semble  prépondérante,  n  y  avait  ajouté 
d'autres  lormes  qu'il  est  nécessaire  d'observei-  '''.  Traitant  des  sons- 
diaci'es,  il  fait  remarquer  que  la  régie  (pii  leur  im|)ose  la  chasteté  ne 
remonte  pas  aux  t(Mnps  primitifs,  et  (pi'elle  résulte  seulement  des  dé- 
crélales  de  quelques  papes,  parmi  les(piels  il  nomme  Grégoire  le 
drand'''.  A  |)ropos  d'une  décrétale  contenue  au  Sexie,  il  fait  uiu! 
courte  histoire,  d'ailleurs  erronée,  de  l'origine  des  élections  épisco- 
pales''\  lue  fois  élu,  le  nouvel  e\è(pie  doit  obtenir  la  confirmation 
de  l'autorité  ecclésiastique  su])érieure;  Montlaiizun  lait  remar(puM' 
que,  /«/('  anninwii ,  cette  autorité  est  le  métroj)olilain  assisté  de  ses  suf- 
Iragants,  et  rjue,  si  le  pouvoir  de  confirmera  passé  au  ])ape,  c'est  par 
prescription  que  le  Pontife  romain  l'a  acquis*''.  (!(;tte  obseivation  lut 
relexée  par  Balu/.e,  (jui  crut  \  trouxer  un  argument  (mi  faveur  des 
thèses  gallicanes'^*. 

S'il  évoque  volontiers  le  |)assé,  M(jntlauzun  .s'adresse  bien  plus  fre- 
(piemment  au  présent.  Il  n'a  pas  lais.sé  dans  rond)!e  le  fait  que,  à  la 
mort  de  (Hément  V,  le  cardinal  Rérenger  J^'rédol  a  pu  continuer 
d'exercer  ses  fonctions  de  grand  pénitencier  en  s'abstenant  d'entrer 
au  conclave;  ce  fait  constitue  un  précédent  (|ui  pourra  être  utilisé'"*. 

'     Lvrtuiii  super  Sf.vlo ,  (ol.  i>.>..  »  l'aj);i    liiiiuii     jaiii    prebCiipsil     ciiiitra, 

'*'     \ppt)r.  Clenifiil.  ,  loi.   1  o.  <  iijiis  ;iiir|<iill;il('  liddie   coiiscriaiilur  »  [Snrnt- 

''   Sanamentale ,     lîibl.     nal..    Lil.  .'v'm.'),          ;/ich((i/c,  Bil)i.  iial. .  lat.  ."ÎTof),  loi.  /|i  v"). 

li)I.  'lo  et  suiv.  ''   Ndlo   (le    l>alii/.e    sur    Maica,    De    <<>»- 

'     Ibid.,  loi.  j8   \".  lonlin  iSncerilolii  et  Inipcrii,  t.  Il ,  p.   190. 

'"    LecUini  super  Srjcio ,  \\>i.  ■'.■'.  \ '.  '      \ppar.  (  Iriiirnl..  B\h\.  uM. ,  lat.    ifi^O'!, 


SKS  KCRITS.  'l89 

Dm  procès  des  Templiers,  il  ne  dit  (pi'un  mot;  pour  démontrer  les 
dniigers  des  associations  secrètes,  après  avoir  cité  les  paroles  du 
Psalmiste  :  Non  conyregabo  conventicula  conim  de  san<jmmhiis^^\  il 
rappelle  que  la  ruine  de  l'Ordre  du  Temple  lut  le  résultat  des  dé- 
sordres dont  étaient  l'occasion  les  assemblées  mystérieuses  tenues 
pour  la  réception  des  nouveaux  adeptes*'',  (^e  sont  là  des  faits  qui 
concernent  l'histoire  générale  de  l'Eglise;  grâce  à  ses  nombreux 
voyages,  Montlauzun  n'est  pas  moins  informé  de  tout  ce  qui  peut 
intéresser  le  canoniste  dans  la  vie  des  églises  particulières.  Non  seule- 
ment, comme  il  est  nilurel,  il  cite  fré([uemment  les  hommes  et  les 
choses  de  Toulouse  et  de  la  région  dont  Toulouse  est  le  centre,  non 
seulement,  pour  un  motif  (jui  a  été  indi<pié  plus  haut,  il  fait  de  nom- 
breuses allusions  à  Poitiers'^',  la  \iHe  aux  cent  Aingt  églises*',,  à  ses 
chapitres,  et  à  ses  monastères,  au  clergé  du  Poitou,  aux  mouirs  de  ce 
|)a^s,  où,  dit-il  en  gémissanl,  les  seigneurs  i'e<;us  dans  les  maisons 
religieuses  à  litre  d'Iiôtes  n'estimeraient  pas  digne  d'eux  un  repas 
comprenant  moins  de  sept  à  huit  ])lats  '',  mais  il  signale  des  laits  qui 
concernent  Rouen,  Tours,  Técamp,  Beanvais,  La  Charité,  Aulim, 
(]|ini\  ,  le  prieuré  de  Saint-Musèbe  à  Auxerre;  il  est  renseigné  sur  les 
pri\iléges  des  chanoines  de  Bayeux  et  de  Chartres,  qui  exercent  la 
juridiction  spirituelle  sur  les  habitants  des  domaines  qui  constituent 
leurs  prébendes.  A  Paris,  il  a  nMnarqué  les  prérogatives  des  aichi- 
diacres,  qui  possèdent  la  juridiction  ordinaire  ;  mais  ce  qui  l'a 
le  plus  frappé,  sans  qu'il  en  soit  nullenn'tit  choqué,  c'est  le  mode 
singidierde  répression  de  l'adultère  qui  v  est  en  usage'''',  et  qui  semble 

r<»l.    171;  Sacramcntale ,  Wi\A.  iial.,  hit.   .'>>.o.),  (Appar.     Clément.,    BihI.     imt.,     lat.     ifigo!. 

loi.  yi  v". — -CI.  Histoire  liltirain-,   I.  X\XU  ,  loi.   1G8  v°);   inciition  de  la  prison  di'  r(''\i'(|iic 

|).  n8.  (le  Poilieis  .ui  rhàteaii  de  Cli.iinii^iiy,  qui  l'sl 

''   Ps.  )!i,  \.  4.  'l't"»  malsaine  (Ibid.,  rd.,  loi.  ()(j  v");  ineiitioii 

"'  Apparat.     Clément.,     Bil>l.      iial. ,      lai.  relative   aux    prébendes  de  X.-D.    de    Poilieis 

16903,  (cl.  30i).   Nos  prédécesseurs  oui  rap  {Ibid.,    \'(>l.    116);  inenlion  relative  aux  dîmes 

[lelé  que  Jean  de  Pouilli  croyait  aussi  à  la  cul-  de  Poitiers  (Bibl.  nat.,  lat.    i(ii(03,  toi.  i^q^. 

pabilité    des    Templiers     (Histoire    littéraire,  ''   lhid.,io\.  175. 

I.  XXXIV,  p.  328  et  suiv.).  '    Appaiatus  sur  la  Bénédirline  :  Bibl.  n.il., 

''   En  voici  quelques  exemples  :  mention  de  lat.  /ii2i,  loi.  3o. 

particularités  concernant  la  coUation  des  pré-  ■"'   D  après  le  récit  de  Montiaiuuu,  le  mari 

l>endes  dans  les  divers   chapitres    de  Poitiers  trompé   était  juché   sur    un     àne,   le    vi.sage 

(  Lertnra  saper  Se.rto,  (ol.  81,  86,  1  3(i,  et  Ap-  tourné  vers  la  queue  de  l'animal,  et  l'àne  était 

parât.    Clément.,     Bibl.     nat.,      lat.      1  (ic)(j! ,  «onduit  par  la   femme  coupable.  En  cet  équi- 

fol.     175);     mention    de    l'abbé    de    Notre-  pa^'^-  1»-  couple  parcourait  les  rues,  précédé 

Dame  [-la-Grande]  de  Poitiers,  qwi  est  séculier  d'un   héraut  qui   le  signalait  à  la  risée    et  au 

Misr.  i.rrTKn.  —  x\\\.  63 


fim)  GUfLI.MMK   l)K   MONTLAIZIN.  C  WOMSTl.. 

destiné  à  laire  lioute  au  mari  trompé  autani  ([u'à  la  feiimif  iiifulclc. 
Montlauzun  à  séjourné  sans  doute  plus  d  une  fois  en  \\if>ii()n;  en 
fout  cas,  il  connaît  le  style  de  la  Cour  romaine,  et  n'ignore  pas  le  nom 
des  auditeurs  chargés  de  l'instruction  des  causes  importantes.  De 
Naples,  il  a  appris  que  le  Pape  a  accordé  cent  jours  d'indulgence  a 
chacun  des  fidèles  qui  entendraient  un  sermon  prêché  par  les  prédi- 
cateurs du  roi  Robert.  Il  ne  sait  si  cette  faveur  s'étend  aux  sermons 
prêches  par  le  monarque  lui-même,  qui,  comme  on  le  sait,  aimait  a 
cultiver  l'éloquence  de  la  chaire;  puis,  nialicieuseiuent,  il  se  demanda 
si  le  sage  roi  a  bien  reçu  de  l'autorilc  ecclésiastique  la  mission  qui 
lui  est  nécessaire  pour  annoncer  la  j^arolr  de  Dieu  '  .  Montlauzun 
n'ignore  pas  les  événements  qui  se  passent  dans  l'Empire,  non  seule- 
ment les  faits  gi'aves,  mais  ceux  d'ime  importance  secondaire,  comme 
par  exemple,  le  procès  soulevé  récemment  à  propos  de  l'élection  du 
i)révôl  du  chapitre  de  Mayence  ''.  Il  rappelle  qu'au  cours  de  son 
voyage  en  Allemagne,  il  a  vu  des  évèques  coilFés  d'un  bonnet  de  lin, 
ce  qui  semble  peu  conforme  aux  règles  posée  par  les  Décrétales. 
\u  surplus,  il  a  été  témoin  du  même  fait  el  de  faits  analogues  au 
cours  d'un  voyage  au  delà  des  Pyrénées.  Les  habitants  de  ce  pa\s 
sont  épris  de  couleurs  voyantes,  si  bien  rjue  les  clercs  en  égaient  leur 
somhre  costume  et  que  quelques-uns  vont  jusrju'à  remplacer  la  roix' 
noire  j)ar  une  robe  verte  ou  rouge;  en  bon  méridional,  .Montlauztui 
ne  s'en  scandalise  pas  trop  '■.  En  revanche,  il  blâme  la  coutume,  sui\i(' 
dans  ces  régions,  de  tenir  dans  les  églises  des  parlements,  c'est-à-dire 
des  réunions  générales  de  corporations  ou  de  communautés'''.  Il 
semble  d'ailleurs  prendre  plaisir  à  rapportei'ce  qu'il  a  vu  au  cours  de 
ses  voyages  à  travers  la  péninsule  11  a  connu  les  recteurs  séculiers 
des  églises  de  Castille  qui  se  donnent  le  titre  d'abbés,  et  ceux  de  Lé- 
rida  qui  prennent  celui  de  prieurs;  il  a  scruté  les  titres  des  décioia- 
leurs  de  Catalogne,  dont  beaucoup  ne  peuvent  se  fonder  que  sur  la 

lihiriic    (   Iniiar.    Clciiuiil.,  loi.  91)    v').     Mont-  1  itMJ  (|iie  >/ .■.// //(((((/u/i/ci  «ik  n/H* ,  c  l'sUwliie  s'il 

l;ni/iiii  t'ilc  aussi,  sans  les  nUiquor,  il  s'en  laul,  est  liaiidic'  outre  mesure.    En  ce  cas,  la  cousi- 

les  nsai;cs  de  Calal()';ne,   d'après  les(|U('ls  une  i(uence  osl  fjrave;  elle  n  est  autre  <(ue  la  perle 

ameiide  est  intli^^'éeau  mari  trompé.  Cl.  Appui .  dos   imnumités  cléricales,  (ie  qui  est  répréhen 

(Iriiiciit.  ,  IVihl.   nal.,   lat.   i6i)i)'.,    fol.   •'.  1 5  v".  sible,  aux  Neu\    de   Monllau/.un,  c'est    le  port 

'    Sdirnmeiitdle,     Bibl.     nat.,     lai.     ."iao."».  d'un  habit  bariolé;  il  n'en  a  va  pas  <le  même  de 

fol.  ()fi.  la  robe   uniformément  \erle  ou  roujfe  (  {ppm . 

''     l.eilinn  ^iiper  Sexio ,  loi.  f»  v".  Clément.,  fol.  /(Ci  v"). 

^     Il  .iilinel  (pie  riiabil    ne  cesse  d'èlre  cle-  ■'     /./•iliirii  siiprr  Sr.rto,  fol.   111   v". 


SlvS  KCRITS.  'l'.H 

j)osscssion  prolonj>;<'e.  U  est  informé  des  usages  agricoles  de  ce  pa^ s;  il 
sait  aussi  les  règles  d'abstinence*'',  moins  rigoureuses  que  celles  sui- 
vies en  France,  auxquelles  sont  soumis  les  lidèles,  dispensés  de  l'absti- 
nence du  samedi'^'.  H  critique  l'avarice  du  roi  d'Aragon,  Jaime  11, 
qui,  en  échange  d'un  tribut  levé  sur  les  Juifs,  leur  laisse  la  licence 
(le  pratiquer  l'usure'''',  ou  encore  les  exactions  con)inises  par  son  liis, 
qui  a  n)is  la  main  sur  les  sommes  réunies  pour  subvenir  aux  fiais 
de  la  ci'oisade'*''.  Surtout,  il  est  scandalisé  de  l'extrême  liberté  doni 
jouissent  les  sectateurs  de  Mahomet  dans  les  i-égions  afiranchies  de 
la  domination  de  l'Islam'^'.  H  les  a  vus  à  l'œuvre  dans  les  pays  soumis 
à  la  Maison  d'Aragon,  dans  les  royaumes  de  Valence  et  de  Murcie, 
parfois  mêlés  à  la  population  chrétienne,  comme  à  lluesca,  parfois 
retirés  dans  des  cpiartiers  séparés,  comme  cà  Lérida,  mais  toujours 
alfectant  de  n'avoir  point  d'égards  pour  les  chrétiens,  et  troul)lanl 
inq)udemmenl  la  célébration  de  leurs  ])lus  grandes  fêtes  par  des 
clameurs  bruyantes,  au  milieu  desquelles  retentit  l'appel  que  le 
muezzin  lance  du  haul  des  minarets.  Nombreuses  sont  les  observa- 
tions de  ce  genre  qui  se  rencontrent  dans  les  écrits  de  Montiauzun; 
elles  [)rouvent  avec  évidence  cjue  leui'  auteur  ne  s'est  pas  borné  à 
pâlir  sur  les  livres,  mais  qu'il  s'est  mêlé  aux  hommes  et  a  regardé 
la  vie. 

Aussi,  s'il  se  montre  partisan  zélé  des  légies  que  la  njorale  el  la  loi 
canonique  imposent  aux  clercs  et  aux  laïques  et  s'il  n'hésite  pas  a 
flétrir  les  abus, où  qu'il  les  rencontre,  sou  expérience  le  met  en  garde 
contre  les  opinions  extrêmes  et  lui  inspire  plutôt  des  appréciations 
modérées**''.  Un  passage  de  son  commentaire  sur  le  Sexte  prouve  qu'il 
n'a  guère  de  sympathie  pour  Boniface  Vlll  ;  (piand  il  en  vient  à  la 
décrétale  Ad  succideridos  '^'  (c.  un.,  Sexte,  V,  .i),  dirigée  par  le  pontife 
contre  ses  adversaires  les  Colonna,  Montlauzun  écrit:  «A  nous. 
Il  Toulousains,  le  souvenir  en  est  odieux,  à  cause  de  l'épouse  de 
«  Jacques  Colonna,  qui  était  une  Franc;aise,  originaire  de  notre  pays*'*. 

'"   Bibl.  liai.,  lat.  /|i:!i,  loi.  3o  v°.  cViils.  Il  en  l'sl    un    {Sacrainentale,  liibl.  nat., 

'■'  Appui:  Clément. ,  {o\.  78.  lat.  3-.!()5,   loi.    iG)  où,   sous   une  forme  dii- 

■^'  Appav.  C/emen(. ,  loi.  86.  bitalive  qui  seiiilile cacher  l'ironie,  il  s'en  prend 

''   Bibl.  nat.,  laf.  /iiai.fol.  i5.  aux  su|KMieurs  «cclésiastiques  qui  accuniiileiil 

'"'   Appar.  Clément.  (  sur  c.  un.  \',  :>.,  de  Jmlti'is  les  bénéfices  sur  la  lète  de  leurs  parents. 
et  Saracenis).  Bibl.  nat.,  lat.   1690a,  fol    'HjS.  ''  Lectura  super  Sewto,  fol.  laS  v". 

"'  Cela  résulte  de  nombreux  passajjes  de  ses  "'   Montlauzun  coinniet  ici  une  légère  erreur. 

6a. 


492  (;iJlLL\UME  DE   VIONTLMZIN.  CANONJSTK. 

<i  Aussi  nous  n'avons  souci  de  lire  cette  décrélale  ni  dans  les  écoJes  ni 
«ailleurs,  aula  ex  mala  parte  nobis  altinet.  «  D'ailleurs  Vlontlauzun 
se  délie  des  dangers  de  l'omnipotence,  qu'il  voudrait  contenir  dans 
les  limites  lixées  par  la  prudence.  "  S'il  est  vrai,  écrit-il,  que  le  prince 
"  soit  allranchi  des  lois,  il  n'en  est  pas  moins  tenu  de  vivre  suivant  les 
«lois.»  Quant  au  pape,  il  a  sans  dou[(;  la  plénitude  dr  la  puissance, 
il  est  la  lex  animata,  c'est  lui  qui  assigne  à  tous  les  mendjres  de  la 
hiérarchie  la  part  de  juridiclion  qu'ils  devront  exercer'",  mais  il  ne 
doit  point  agir  sans  ])rendre  le  conseil  des  cardinaux,  (j'esl  là  une 
règle  souvent  violée,  (jue  Célestin  \  lui-même  eut  le  tort  d'enfreindre 
([uelquefois.  Sans  doute  celle  impoitatu'e  donnée  au  Sacré  Collège 
répond  à  une  tendance  du  temps,  mais  ce  n'est  pas  seulement  poui- 
obéir  ta  cette  tendance  que  Montlauzun,  hostile,  comme  on  le  verra, 
aux  Franciscains  et  surtout  à  ceux  d'entre  eux  qui  appartiennent  au 
i)arti  des  Spirituels,  décoche  en  passant  ce  trait  au  |)ontile  dont  la 
mémoire  leur  était  particulièrement  chère. 

Un  tel  esprit  était  naturellement  ennemi  des  excès  de  zèle.  On  ne 
s'étoniuîra  point  de  le  voir  recommander  aux  supérieurs  ecclésias- 
tiques de  n'être  point  faciles  à  admettre  les  accusations  d'hérésie  -', 
ou  critiquer  un  statut  de  l'évèque  de  Bnrcelone,  auquel  il  re[)roche 
d'amoindrir  la  liberté  (pii  doit  ètic  laissée!  à  la  défense".  Les  idées 
dont  il  s'ins|)ire  se  niontrent  bien  lorsqu'il  traite  du  privilège  du  for, 
qui  fut,  dans  la  première  moitié  du  xiv'  siècle,  l'occasion  de  tant  de 
conflits  entre  les  deux  pouvoirs  :  Montlauzun  propose  des  solutions 
modérées,  qu'en  bon  jurisconsulte  il  essaie  de  rattacher  <à  une  idée 
générale.  Contrairement  à  l'opinion  de  certains  canonistes,  il  refuse 
nettement  le  privilège  aux  membres  du  Tiers-Ordre  de  saint  {''lançois 

Le  mariage  auijiici   il  iaii    allusion    est  celui,  3t()5,  lui.  i  ■!  :  «  Solam  pott-stalcrn  coriunilIciRll 

lion  (le  Ja<ques  Coloiuia,  mais  (lElicimi',   fils  |)oj>uluni   vel    sublialiondi    lominissum    iX'Us 

(le  Jean  Colonna  et  neveu  du  caidiual  Jac(|ues,  conunisll  soli  Pelro»;  donc,  cVsl  aux  surns- 

qui,   le  8  janvier    i-i86,  épousa  Gaiicerandc,  seurs  de   Pierre  qu'il   ap|iarlicnl   lio   lonléii'i' 

lillf  de  Jourdain  de  liste- Jourdain  ,  dont  la  fa  celle  [luissance  cl  de  la  retirer.    (ïiiillaume  de 

mille  était  originaire  de   la    région  toulousaine  Montlauzun   est   aux  antipodes  de    la  doclrine 

et  a>  ait  récemment  fourni  un  évêque,  Bernard,  sur  laquelle  des  canonistes  du  xiv*  siècle  oui 

a  l'église  deToulouse(renseignemenlsdus  à  l'o^  tenté  d'établir  le  droit  divin  des  cures, 
hligeance  de  M.  fi.  Digard,  d'après  la  Collection  ''     »  Nec   dehel  cpiis  niuiiuin  facile  judicari 

de  Languedoc  à  la  Bihl.  nat.,  I.  VI,  fol.  iVf^)-  hereticus»  [Lectura  super  Sextn,  fol.  i  i-  v"  ). 

'''   Sur  ce  droit  du  pap-  de  donner  et  de  re-  ''     ipparatiisCleiiieiit.,Wth\.  nat.,  lat.  itigo! , 

tirer  la  juridiclion  que  Jésus-Clirist  a  confiée  à  fol.     l'j-j    v°.    Ce    passage   esl     résumé    dans 

saint  Pierre,  \oir  le  STriïjnie;i^(/c,  Bihl.  nat,  lai.  l'éKJition,  fol.  -m   v". 


SKS  HXRITS.  493 

d'Assise,  aux  eruiiles  de  Montserrateii  GatalogiH",  el  aussi  aux  lépreux, 
encore  qu'ils  soieul  placés  sous  la  surveillance  du  clergé;  quant  aux 
laïques  affectés  au  service  des  hôpitaux,  il  ne  les  admet  à  en  jouir 
pour  leur  personne  qu'à  des  conditions  spéciales,  sans  étendre 
l'iinniunité  à  leurs  biens  personnels.  C'est  qu(%  comme  il  le  dit, 
tous  ces  personnages  ab  ntero  matris  sunt  laici  el  siib  putestate  secidaii. 
Pour  échaj)])er  au  for  séculier,  qui  est  le  droit  commun,  il  faut 
prouver  la  (pialité  de  clerc  ou  de  membre  d'un  Ordre  religieux 
approuvé;  or,  de  ceux  ([ui  viennent  d'être  énuniérés,  l'auteur  peut 
écrire  ce  c[u'il  a  écrit  des  lépreux  :  «  Indiqnez-moi  le  motif  pour 
lequel  ils  auraient  cessé  d'a])partenir  au  morule  laïque»  [Da  mihi 
modurn  per  iiueiii  sublati  sniit)'^K  Quant  aux  clercs  mariés,  lorsqu'il 
commente  la  décrétait' de  BonifaceVIll,  insérée  au  Sexte,  qui  règle 
leur  condition,  il  part  du  principe  que,  même  en  se  mariant  cuiit 
tinica  et  vinjiiie,  ils  ont  renoncé  à  la  cléricature  et,  par  conséquent,  à 
ses  privilèges,  à  moins  qu'ils  ne  fournissent  la  prt'uve  contraire  en 
portant  la  tonsure  et  le  costume  ecclésiastique''.  Visiblement  il  ne 
tient  pas  à  outrance  à  maintenir  ces  personnag(!s  sous  la  juridiction 
de  l'official.  Aussi  ne  reproduit-il  pas  les  crilicpies  que  ses  contem- 
porains, Guillaume  Durant  le  Jeune'' et  Pirrre  ./rtro6<  "''.avaient  adres- 
sées à  la  décrétale  de  Bonilace  Mil,  au(juel  on  reprocbait  d'avoir 
sacrifié  les  droits  et  les  intéiéts  dh  la  juridiction  de  l'Eglise.  Sans 
doute  Montlauzun  admet  les  règles  posées  par  le  droit  canonique; 
mais  il  n'est  pas  disposé  à  les  étendre  non  plus  qu'à  les  exagérer.  C<* 
n'est  pas  lui  ([ui,  sans  raison  grave,  proxoqnerait  sur  ce  point  des 
conflits  entre  les  deux  juridictions. 

Montlauzun  est  ])r()londément  pénétré  des  devoirs  du  clergé,  tant 
régulier  que  séculier.  Mais,  parce  qu'il  est  habitué  à  tenir  compte  des 
l'éalités,  et  sait  que  les  vertus  héroïques  ne  courent  [)as  les  rues,  il  ne 
dépense  pas  ses  forces  à  la  ])onrsuite  d'un  idéal  tro])  ('levé.  Facile- 
ment, d'aucuns  diront  trop  facilement,  il  est  enclin  à  faire  des  con- 
cessions à  la  laiblesse  humaine.  De  tous  les  prélats  pourvus  de  riches 
bénéfices,  il  n'attend  pas  le  désintéressement  et  l'abnégation  qui 
conviendraient  à  leur  vocation;  il  ne  se  dissimule  pas  qu'en  paissant 

-''  Appar.  Clément.,  fol.  '(8.  —  ''  Lertnra  super  Sexto  Jol.  -jS.  Us  ne  gardent  dioit  au  for  ecclé- 
siastique qu'en  matière  «le  délit.  C'est  la  doctrine  de  Boiiiface  VIII ,  e.  i ,  Sexte,  III ,  -j.  —  ■''  Voir 
ci-dessus,  p.  87.  —    '      \iiren  Prnrtiia  (éd.  de  Cologne,  i.">-5),  p.  ?n)^. 


494  GIILLAIME  DE  MONTLAIZIN,  CANOMSTK. 

les  brebis,  il  en  esi  qui  les  tondront  quelque  peu.  Passe  encore  s'ils 
les  tondent  cnrialiter,  comme  dit  Montlauzun,  c'est-à-dire  avec  modé- 
ration ;  il  réserve  son  bLàme  le  plus  sé\ère  pour  ceux  qui  dévorent  à  la 
fois  la  chair,  la  peau  et  la  laine  de  leurs  ouailles''.  Quand  il  traite  de 
la  réforme  des  Bénédictins,  il  n'a  point  de  peine  à  reconnaître  que, 
dans  les  monastères,  la  préoccupation  du  temporel  alourdit  sinj^ni- 
lièrement  l'élan  vers  la  vie  parfaite,  et  que  souvent  Marthe  fait  grand 
tort  à  Marie'-'.  Il  ne  reconnaît  pas  le  moine  des  temps  anciens  dans 
ce  personnage  qui,  sans  souci  de  son  habit  et  de  sa  condition,  fré- 
quente les  cours  des  princes  et  des  hommes  j)uissants.  Cependant  ce 
soin  donné  au  tenqwrel  est,  de  l'avis  de  Montlauzun,  un  mal  néces- 
saire  à  l'époque   où  il   vit;    aussi,   commentant  la   constitution   de 
Benoît  XII,  il  s'occupe  sans  doute  du  spirituel,  mais  ne  néglige  pas 
l'exposé  des  règles  qui  assurent  la  conserxation  et  la  bonne  adminis- 
tration des  biens.  Il  semble  même  estimer  que  quelques-unes  des 
prescriptions  édictées  par  le  pape  ahn  de  maintenir  la  pratique  de  la 
pauvreté  sont  d'une  exécution  très  difficile  :  pour  que  les  moines 
n'aient  rien  en  propre  et  ne  cherchent  pas  à  se  créer  des  ressources 
personnelles,  il  faudrait,  dit  Montlauzun,  qu'ils  fussent  assurés  de 
recevoir  régulièrement  de  leurs  supérieurs  ce  qui  leur  est  strictement 
nécessaire'^'.  Or  il  n'en  peut  être  ainsi,  à  cause  de  l'avidité  des  princes 
et  des  puissants   de  ce  monde  ffui,  sous  l'influence  de  Satan,  s'at- 
tachent à  détruire  l'ordre  monastique,   à  la  fondation  duquel,  sous 
l'inspiration  de  l'Esprit  Saint,  leurs  prédécesseurs  ont  puissamment 
contribué.  Que  peut  faire  un  abbé  ou   un  prieur  pour  ses  subor- 
donnés quand,  axant  rénni  les  revenus  et  fruits  indispensables  à  leur 
entretien,  il  voit  venir  un  officier  qui,  au  nom  du  roi  ou  de  quelque 
autre  haut  personnage,  grand  seigneur  ou  prélat,  lui   extorque  en 
une  heure  les  lessources  si  péniblement  amassées  ?  Le  fait  est  fré- 
quent, et  les  religieux  le  savent  ''"'.  Si,  en  vue  de  cette  éventualité  qui 
les  expose  à  mourir  de  faim,  ils  songent  à  prendre  quelques  précau- 
tions, faut-il  leur  réserver  tout  le  blâme  et  les  accabler  des  anathèmes 
dont  les  anciens  Pères  frappaient  le  moine  coupable  du  vice  de  pro- 

''  Appar.  Clément..   Bibt.  iiut.,  hil.   i6gO!,  ''    Sm   des  \c\iitioiih  du  luème  genre,   \oir 

(ol.  iq/i  v°.  ce  qui  est  dit  dans  l'article  consacré  par  nos  pié- 

'"'    Bil)l.  nal. ,  lat.  4iïi,  loi.  i.  décesscurs  à  Jacques  de  Tliërines,  t.  XXXiV, 

'      lhl,L.    fol.   n/j-'lb.  p.    :!l6. 


SKS  KCKITS.  ^195 

nriété?  Au  lieu  de  resserrer  la  discipline  à  laquelle  ils  sont  soumis, 
n'y  aurait-il  pas  lieu  de  leur  appliquer  la  parole  fie  saint  Grégoire, 
empruntée  à  un  texte  qui  fi^niredans  le  Décret  de  Gralien  :  «  Ideo  cum 
\enia  suo  ingenio  relinquendi  suiit,  ne  forte  |)ejores existant,  si  atali 
consuetudine  prohibeantur  '  «P  11  faut  tenir  conqjte  des  circonstances 
aussi  bien  que  des  principes  :  une  longue  expérience  des  hommes 
et  des  choses  en  a  convaincu  \Iontlau/.uii.  Sans  doule  il  ne  veut  rien 
abandonner  de  ce  (pi'il  estime  essentiel  au  mainlieii  el  au  dévelop- 
pement de  la  vie  religieuse;  mais  le  supérieur  doit  se  garder  de  de- 
mander l'impossible  et  de  s'acharner  à  défendre  des  préceptes  que 
saint  Benoît  mitigerait  s'il  re\enail  au  monde''.  Monllauzun  se  peint 
lui-même  dans  cette  ap|)réciati()n,  placée  cà  la  suite  du  commcn- 
laire  de  l'une  des  prescriplions  de  Benoît  XII:  "  Talia  non  niniis 
Il  a  mare    traclanda  sunt,  scd  cum  ([uodam  temperamento '^'.  » 

Il  send)le  (rue  la  vie,  doni  Montlanznii  a  la  notion  si  complète,  ait 
pénétré  son  style;  il  est  alerte,  mordant  et  se  laisse  entraîner  par  sa 
\erve  au  point  de  dépasser  parfois  la  mesure.  Aussi  ses  écrits  n'ont 
ni  la  monotonie,  ni  la  sécheresse,  ni  le  pédantisme  qui  rendent  sou- 
vent fastidieuse  la  lecture  des  onivres  des  jurisconsultes  de  son  tenqjs. 
Il  sait  d'ailleurs  les  animer  par  des  jM'océdés  ([ui  lui  sont  propres, 
et  (lui,  comme  on  le  verra,  ne  sont  pas  tous  à  l'abri  de  la  critique. 
Il  a  volontiers  recours  à  des  élymologies,  en  général  fantaisistes, 
dont  beaucoup  sont  empruntées  à  Isidore  de  Sévill»-  et  (pielques-unes 
au  Digeste'''';  d'autres  sembleni  lui  appartenir  en  propre,  l'ai  le  lisanl 
on  apprend,  non  sans  surprise,  que  caslrum  vient  de  castrare ,  parce 
que,  (lit-il,  dans  les  forteresses,  «  castratur  licentia  habitantium  ne  H- 
ceat  eis  vagari  »''"';  que  mcndtcatis  vient  de  mène,  (fiiod  est  defecliis"  , 
el  jociiïator,  de  jocn  et  aclor.  Quant  au  mot  itnmenis,  il  a  pour  origine 
Numa  imperator,  ce  qui  s'expli<[ue  parce  (jue  Numa  a  donné  aux 
Romains  la  numération.  Peut-être  la  plus  remarquable  de  ces  étymo- 
logies  est-elle  celle  du    mol   papa.  Le   Pontife  romain,   écrit    Mont- 

"'   D.  IV,  c.  G.  riMiiiiin     Guliis    :     18,    pi.,    Ditjc.ile ,    X\l ,     1. 

'    Ces  idées  soni  lus  clièifs  à  Moiitlaii/iin  :  '     Mimllauzun     s'est     notaiiiinciil     iiispiié 

il  les  développait  déjà  cii  i,'ii()   dans  son     l/j  .li>  élymologies  données  par  Pomponiiis  :  :i39, 

pumliis  Cleinentiniiruin  .  loi.  68.  *•  ''•  7  ''  ''''  n'Kjcfle ,  I.,  i(i. 

'•''   Appar.  sur  la    Bénédicline  :   Bilil.    iial.,  Lpiliirti  super  Sn.vto,  fol.    i\:. 

lai.    /U3I,   fol.    '(S    v'.   Celle   pluase    est    lac  "     U'i'l.,  loi.   108  \'. 
eninniodalion     d'nn      le\le     du    jni  isconsnllc 


/|96  (ILIIJ.ALMK   DE  MOiNTLAUZLiN ,  CANOMSTK. 

lauzun,  esl  le  somiiK^I  de  riiunianité,  le  vicaire  de  Dieu  sur  la  leire; 
en  approchant  fie  lui,  les  hommes,  saisis  d'admiration,  exprimèrent 
leurs  sentiments  par  une  interjection  qui  devint  la  désio^nation  de  sa 
dignité'*'.  On  pourrait  multiplier  ces  exemples''  et  \  ajouter  certains 
jeux  de  mots  parfois  puérils  ou  grossiers''^ 

L'auteur  aime  aussi  les  comparaisons  et  s'en  seit  volontiers.  Toutes 
ne  sont  pas  d'égale  valeur;  il  en  esl  qui  sont  justes  ou  tout  au  moins 
ingénieuses;  d'autres  forcées  ou  insignifiantes.  En  \oici  quelcjues 
exemples.  (Certains  sacrements  marquent  d'un  caractère  ceux  qui  les 
reçoivent;  mais  ce  caractère  n'est  jias  le  même  pour  tous.  Ainsi  celui 
qu'imprime  l'ordie  sur  l'àme  du  ])rèti-e  n'est  pas  le  même  ([ue  celui 
que  le  baptême  ou  la  confirujation  communique  au  simple  fidèle;  de 
•même  la  llenr  de  lys,  emblème  du  roi  de  France,  a  une  signification 
différente  sur  le  vêtement  du  sénéchal  on  sur  celui  de  l'humble  ser- 
gent'*'. L'évêque  et  le  prêtre  ont  reçu  de  l'ordination  le  même  pouvoir  ; 
et  cependant  leur  action  est  fort  inégale,  parce  que  la  matière  sur 
laquelle  s'exerce  cette  action  leui-  a  été  inégalement  répartie  par  l'au- 
torité supérieure;  uti  for-geron  ,  si  excellent  qu'il  soit,  ne  peut  tra- 
vailler que  le  fer  (pi'on  lui  donne  à  forger*"'.  Le  commendataire  auquel , 
pour  un  lenqis  très  bref,  est  confiée  l'administration  d'une  paroisse, 
n'est  pas  soumis  aux  mêmes  règles  que  le  curé,  dont  le  titre  est  ])er- 
pétiiel;  d(>  même  le  régime  de  la  courge  dilîére  de  celui  (\\i  dattier''"'. 
S'agit-il  d'expliquer  la  déchéance  originelle,  en  vertu  de  laquelle 
l'homme,  jadis  gouverné  par  la  loi  de  la  raison,  est  tombé  sous  la 
loi  des  sens,  Montlauzun  le  compare  au  chevalier  félon,  que  le  roi, 
en  le  dégradant,  réduit  à  la  condition  des  paysans,  siib  lecjc  rusttco- 
riim^^K  Le  bois  du  pin  garde  toujouisuiu'  odeur  désagréable;  faites-en  un 
tonneau  et  remplissez-le  d'excellent  vin,  le  tonneau  et  le  vin  seront 
bientôt  gâtés  ;  ainsi  l'âme  infusée  dans  le  corps  humain  («infusa  in 

''   Ajifxtr.  Clément.,  fol.  i oo  v".  Icrniis  /loicoc  iiihuhilal  ».  Montlauzun,  ù  |)r()|(0> 

'"'   Qu'il  nous  soit  permis  d'en  citer  encore  «lu  Tiers-Ordre  franciscain,  dit  que  ce  n'est  pas 

un  ,  à  propos  du  mot  Jisinnsatio.  Il  vient  de  (lis,  .'i  proprement  parler  un  Ordre,  non  est  propiit: 

quodestdiversum.el  de^p;iîo/f,  «  nam  mullaet  onio .     sed    sewpitcrnns    liniror   [Apparat.    Cle- 

diversa  cogitare  et  jiensare  quis  habet  qui  vull  ment.,  fol.  ()()  \°). 

ulililer  dispcnsare»  (Siic;ome;ifn/f,  Bihl.  liai.,  '*'   Sairtnnenlidr ,       Bil)l.      nat. ,    lat.     il'ioâ, 

lai.   ."iaoS.fol.  88).  loi.  \  v". 

''  Voici  un  de  ces  jeux  de  mois.  Lelixiede  ' ''  Ibid.,  loi.  12. 

.lob    (X,    aa)    décrit    l'enfer  commis    un  lieu  "    Leituin  super  Sexio ,  (oi.  16  v". 

c  ubi  umbra  niorlis  et  iiiillns   011I0,  sed  scnipi-  ''   Appnr.  Cleincnl.,    lai.   i()()oa,  fol.  iC()  v'. 


SKS  KCHITS.  407 

coipore»)  m  conliaclf  l;i  souilliiie,  et  c'e.sl  ainsi  (|iie  se  Irausinel 
le  péché  originel''',  l^e  jardinier  lait  une  blessure  à  l'arbre  ([u'ilgrefle, 
mais  c'est  une  blessure  salutaire;  il  en  est  de  même  de  la  dispense, 
qui  ne  porte  atteinte  au  droil  commun  que  p(^)Ui'  le  plus  grand  bien 
des  âmes'''^l  Longue  serait  cette  énumération,  s'il  fallait  mentionner 
toutes  les  comparaisons  au\([uelles  se  complaît  notre  auteur. 

Montlau/,un,  (pii  ne  manque  ])as  d'esprit ,  s'en  croit  j^eut-être  plus 
(pi'il  n'en  a:  en  lous  cas,  il  ne  laisse  pas  <''clia])per  l'occasion  de 
lancer  un  trait  malicicîux.  L^st-il  amené  à  parler  de  la  lemme,  il  dit 
que  si  l'homme  est  l'image  de  Dieu,  elle  n'est  (jue  l'image  de 
l'iiomme*"".  Décrivant  l'embarras  du  mari  qui,  vis-à-vis  d'une  épouse 
coquette,  ne  sait  s'il  doit  enq)loyer  la  douceur  ou  la  manière  forte, 
il  signale  les  inconvénients  des  deux  partis  et  il  ajoute  :  «  Les  maris 
demeurent  perplexes;  aussi  les  laisserons-nous  à  leui*  perplexité  ''.  » 
Pour  exprimer  l'idée  ([ue  ton  les  les  hérésies  se  tiennent,  il  fait  remar- 
quer qu't'lles  sont  al  lâchées  les  unes  aux  aulres  par  la  (jueue'*'.  Ti"ai- 
tanf  du  droil  fie  délensc,  (|ni  à  juste  titre  esl  sacré  j)our  lui,  il  ajoute 
([ue  si  le  diable  avail  nu  procès,  il  faudrait  en  sa  personne  protéger 
ce  droit"''.  Il  compare  irrévérencieuseuuMit  à  des  chapons  les  abbés 
mitres  qui,  ressemblant  au\  évoques  parles  insignes,  n'ont  point  la 
prérogative  d'engendrer  par  l'ordination  une  postérité  spirituelle'''; 
il  est  piquant  de  constater  que  ce  trait  a  été  lancé  par  \lontlauzun 
fort  peu  de  temps  avant  le  jour  on  lui-même  devint  abbé  de  Mon- 
lierneuf. 

Ce  n'est  point  d'ailleurs  l'habitude  de  Montlauzun  de  retenir  un 
mot  qu'il  croit  spirituel  quand  ce  mot  peut  porter  ombrage  ou  causer 
des  froissements.  Il  a  fort  peu  de  sympathie  pour  les  Ordres  men- 
diants dont  il  bl.àme  les  rivalités  et  les  dissensions,  et  en  particulier 
pour  les  plus  importants  d'entre  eux,  les  Dominicains  et  les  Fran- 
ciscains; aux  membres  de  ces  deux  Ordres  il  reproche  d'être  des 
confesseurs  trop  indulgents ,  notamment  pour  les  lidèlesqui  s'acquit- 
tent mal  de  l'obligation  de  payer  la  dîme,  et,  quand  il  leur  arrive  de 
bâtir  une  église,  de  prolonger  plus  qu'il  n'est  nécessaire  la  période 

'''  Sacra meii tnle ,     Bibl.     iial.,  lat.     oQof),              '*'  Ibid.,  loi.  loo. 

foi.  38.  ''■'  Lecliira  super  Sexio .  iol.  i  ic)  v°, 

<-'   Ibiil..  loi.  88.  f)  Ibid..  loi.  «7   v'. 

''  Appar.  Clément.,  loi.  84 V.  i')  Ibid.,  fol.  26. 

iirsr.  i.riTKii.  —  \\\v.  63 

3  ;  *  --."•»  >",„<„,. 


498  GIIFJ.AUMK  DK  VIONTLMZLN,   C  VNOMSTI.. 

de  conslructioii  pour  prolonger d'aiilanl  c('ll(^  des  qiiAtos  '  .  (l'est  siir- 
lout  pour  les  Franciscains  qu'il  a  la  deni  dure.  Les  l'rcrcs  Mineiiis, 
dit-il,  portent  des  vêtements  bruns  mal  lails  el  pins  mal  ornes  :  sed 
fréquenter  griites  sah  specie  a(jni  (jeninl  lupuin- .  Il  ne  manque  pas 
de  rappeler  que  la  thèse  qui  leur  était  chère,  sur  la  |iauvreté  absolue 
du  Christel  des  apôtres,  a  été  condamnée  par  Jean  XXll;  lui-même 
s(>  montre  assez  sceptique  sur  la  manière  dont  ils  pratiquent  cette 
pauvreté,  el  rappelle  plutôt  ironiquement  que,  à  les  entendr(>,  les  ali- 
ments qu'ils  mangent  ne  leur  appartiennent  pas  en  propre  "'.  D'ail- 
leurs, si,  individuellement,  chacun  d'eux  s'eilorce  de  ne  connaître 
aucune  appropriation  et  d'ignorer-  l'usage  de  l'adjectil  jiossessil, 
leur  Ordre,  comme  les  autres  Ordres  mendiants,  fait  tout  le  con- 
traire; aussi  leur  prospérité  s'accroît  chaque  jour,  tandis  (pie  les  an- 
ciens Ordres  déclinent*''.  En  particulier,  le  Tiers-Ordre  de  saint  Fran- 
çois d'Assise  excite  sa  verve  satirique.  C'est  un  groupement  anormal, 
dont  les  membres,  dit-il,  n'étant  ni  clercs  ni  religieux,  ne  reçoivent 
aucune  direction,  et  marchent  désordonnés  a  la  manière  des  saute- 
i-elles.  Sans  doute  ils  peuvent  se  donner  un  chef;  mais  l'élection, 
encore  qu'elle  soit  pratiquée  dans  les  Ordres  religieux,  n'a  nuHemenI 
les  faveurs  de  Montlauzun'^'.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  lui  laui  bien  tolé- 
rer les  tertiaires,  puisque  leur  règl(>,  approuvée  par  Nicolas  III. 
ainsi  qu'il  le  rappelle,  a  été  tout  récemment  confirmée  par  Jean  XXII"'. 
Montlauzun  lance  nneépigramme  assez  leste  aux  gens  mariés  qui  lonl 
partie  du  Tiers-Ordre;  on  sent  qu'il  serait  plus  acerbe  encore  s'il  s'agis- 
sait des  communautésde  béguins  et  de  béguines  condamnées  par  Clé- 
ment V'',  avec  lesquelles,  très  correctement,  il  ne  confond  pas  le 
Tiers-Ordre.   Mais,  à  coup  sni-,  toute  cette  végétation  d'associations 

l''    Lcclurn  super  Seuto  ,  {(>].  7.  '"■    .'l/)/iar.  67<';»f»/.  ,  fol.  ()9,  et  Ribi.  nal.,  lat. 

'■-'   .^/Y«ir.  C/(';(irH(.,  Bibl.  nat.,  lat.    i(j()()!,  1  (p()o>.  ,    loi.     un    v",    ?.  1  5   v".    I.e    ^3    l'évriei- 

liil.  -joi    v°.  '  •'"  i)  '  •'''""  ^^^"  a  puhlii-  une  bulle  favorable 

''    Appar.   sur  la   Bénédicliiie,    Ribl.    nat.,  an    Tiers-Oi-die    :    F^ubel ,    Ihillnniiw   frnnvh- 

liil.  '1121,  fol.  4i  v".  ((iniiiii ,  t.  V,  |).  I'>'S. 

'■'   //),VZ.  ,lol.   25.  '1,  Clénienl.,   III,     11.    Cf.    Appar.  Cle 

'^'  Dans  son  coninienlaire  sur  les  (Ilétneii-  uiciil..    Kibl.    nat.,    lai.    i6i)oa,    fol.    aoi    cl 

fines   (IVibl.    nat.,    lat.     rr)()0>,    fol.     i(|/|\"),  -îoi     v°.    L'auteur  n'a  pu  connaître  la  constilii- 

MoMtlnu7.un  dépeint  le  désarroi  |)roduil  dans  les  tion  du  inènie  pape, du  •>.()  février  i3''.2  ,  ré|)ri- 

inonaslères  pai-  la  piatique  des  élections.  Les  inant  les  e\ces  et  les  ern-urs  de  certains  grou- 

inoines,  incapables  de  se  dirif^er,  s'éparpillent  |k>s  du  Tiers  Ordre  franciscain  (Coulon,  Lcltrrs 

comme  des  souris  dans  la   paille.    Celte  pi.i-  si-iretrsrl  rininlrs  dcJenii  XKl!  ,n°  i,38i). 
li(pie  aboutit  à  la  desliuclion  des  moines  noirs. 


SES  ECRITS.  'H) 9 

nées  (lu  niouvfniciit  fraïuiscaiii  n'est  point  de  son  f^oùt,  et  il  n'en 
lait  pas  mystère. 

Il  ne  caclie  pas  non  plus,  (juoiqu'il  l'expiinie  avec  réserve,  sa 
(lésapprobalion  aux  prélats  (jui,  sous  prétexte  qu'il  leur  est  permis 
(le  faire  la  charité  à  leurs  parents  besogneux,  accumulent  les  béné- 
lices  sur  des  membres  de  leur  famille;  cette  criticpu;  \enait  à  point  à 
l'époque  où  vivait  Montlauzun.  Ailleurs,  commentant  la  décret  aie  où 
le  pape  Clément  \  déclare  louable  la  coutume  (|ui  lui  réserve  les 
bénéfices  vacants  in  curiu,  il  ajoute  :  «Tout  curé  vante  ses  reliques, 
chacun  tire  l'eau  à  son  moulin*'  .  "  Quand  il  établit  les  conditions 
auxquelles,  à  son  avis,  les  supérieurs  peuvent  user  du  droit  de  dis- 
pense, il  les  laméne  à  cjnelques  règles  destinées  à  maintenir  l'exercice 
de  ce  droit  dans  des  limites  raisonnables;  mais  il  ne  se  fait  pas  d'illu- 
sion et  continue  (l'un  ton  mélancolique  :  "  Aujourd'hui  nobles  et  puis- 
sants obtiennent  les  dispenses  sans  qu'elles  soient  justifiées  par  la 
moindre  de  ces  raisons;  encore  passerons-nous  sous  silence  l'argu- 
ment le  plus  souvent  employé:  l'argent  maîlreet  roi,/)etu/i/a  recjina -K  « 
C'est  par  ce  mot  que  Montlauzun  termine  son  Sacrantentale. 

En  somme,  encore  que  nous  ne  lermions  pas  les  yeux  sur  ses 
travers,  Montlauzun  nous  laisse  rinq)ression  d'un  homme  à  l'esprit 
vif,  original,  primesautier,  d'ailleurs  mûri  par  l'expérience;,  bon 
canoniste,  d'aspirations  modérées,  d'humeur  plutôt  satirique,  et 
religieux  fidèle  aux  devoii's  de  son  état. 

L'œuvre  canoniciue  de  Montlauzun  se  distingue  par  des  qualités 
assez  rares  pour  ([u'elle  ne  soit  |)as  demeurée  sans  iniluence.  On  a  pu 
constater, par  le  nombre  de  manuscrits  qui  ont  été  conservés,  la  dii- 
fusion  large  du  commentaire  sur  les  Clémentines  et  les  Extravagantes 
de  Jean  XXII;  le  Sacramenlale  fut  répandu  plus  largement  encore. 
Dès  le  \i\''  siècle,  les  canonistes  ont  marqué  l'estime  où  ils  tenaient 
les  écrits  de  l'abbé  de  Montierneuf.  Simon  Vairel  lui  emprunte  les 
(déments  d'une  compilation  sur  les  Clémentines'';  vers  le  même 
temps,  son  explication  du  Sexte  fournit  des  matériaux  à  Jean  de  Bour- 
bon et  à  Gaillard  de  Durfort  ';  Pierre  Bertrand  et  d'autres  invoquent 
son    autorité.    Leurs   successeurs   ne    manquent    j)as    de   le    citer  : 

'''  Lecturii  sapei-  Sexto,  loi.  80.  —  '''  l.iil.  ^^20"),  loi.  gS  v°.  —    '    Maniisnils  île  Reims,  u"  -/x'^. 
—  •'    IhiJ.,  I."  -?,H. 

(j.) . 


500  (iLILLAUiVlE  DE  MONTJ.ALZL.N,  CANOMSTE. 

voyez,  par  exemple,  les  écrits  de  Henri  Bohic*''  et  de  Gilles  Belle- 
inère'""^.  Au  déclin  du  xiv*'  siècle,  Montlauzun  est  mentionné  avec 
éloge  par  François  de  Zabarella*"*'  et,  plus  tard,  par  le  juriste  Arnold 
(iheyboven,  de  Rotterdam,  dans  son  Remissoriumjuns  utrius(jue^'*K  Au 
XVI*  siècle,  le  Sacrumenlale ,  qui  n'a  pas  eu  les  honneurs  de  l'impres- 
sion, semble  n'être  plus  connu  ;  il  n'en  est  pas  de  même  des  commen- 
taires sur  les  décrétales.  Sans  doute  le  commentaire  sur  le  Sexte, 
ainsi  qu'on  l'a  dit  plus  haut,  n'a  été  ])ublié  qu'une  fois;  mais  on  con- 
naît plusieurs  éditions  de  ÏApparatiis  sur  les  Clémentines  et  les  Extra- 
vagantes; bien  plus,  la  partie  consacrée  aux  Extravagantes  lut, 
nous  l'avons  indiqué,  ioiprimée  comme  glose  dans  les  éditions  du 
(Cornus  jiiris  canonici  données  au  xvi"  siècle.  11  n'est  pas  étonnant  dès 
lors  que  les  ex])lications  dues  à  Guillaume  de  Montlauzun  soient 
souvent  citées  par  les  canonistes  qui  commentent  ces  décrétales*^'. 
11  n'y  a  pas  qu'eux  pour  invoquer  ses  opinions  :  Bernard  Lauret, 
premier  président  au  Parlement  de  Toulouse,  dans  son  traité  sur 
l'arrestation  des  clercs  par  le  juge  séculier'"',  et  Arnoul  Ruzé*^',  dans 
son  traité  sur  la  régale,  lont  appel  à  son  autorité.  Biaise  Auriol, 
jurisconsulte  de  Toulouse,  qui  édita  le  commentaire  de  Montlauzun 
sur  les  Clémentines,  ne  manque  pas  de  louer  sou  prédécesseur. 
Cependant,  en  déjiit  de  l'épithètc  de  doclor  eleganlissimus  que  lui  avait 
décernée  un  contemj)orain  **'  et  (jue  répétait  un  érudit  toulousain 
du  xvi*  siècle,  ^icolas  Bertrand*'^',  Montlauzun  ne  devait  pas  conserver, 
i)armi  les  canouisles  français,  la  place  qu'avait  paru  lui  assurer  le 
succès  de  son  ceuvre.   Peut-être  esliinera-t-on  qu'il   méritait  mieux 

'''   Dans  ses  DistiiK  lianes  in  \  liOivs  Décréta-  swniiiii  iiiiii  siijicr  lùelesiis ,  au   t.  \VI  îles  Triu- 

lium;  cf.  Schullc,  o/).  ( /(. ,  I.  Il,  p.  t68.  (nlits  itniieisijiii  is. 

'""     Voir  sou  commcnlairi'  sur  les    Clénicn-  '*'   l'iisns  e.riinii  iii  qiiihusjudcx  sieenlaris  po- 

tiiies,dans  les  Repetitioiies  juiis  canonici,  éd.  test  niaims  iiuponere  in  personas  clericoruni.  Kd. 

de  Cologne,  1618,  t.  \.  île  1  .'ny,  non  loliotée.coiisil.  \mi  et  consd.  i  i\. 

"'   Leelnin  saper  (leiiieiiliiiis ,   éd.  de  l,\(>n,  '     Tructatns  juris  reyalite  .  w"'"  privilegjiuni , 

i,");ri,  loi.  •.:.  éd.  ileTuiin,  in-lol.,  i664,  J).  ao,  ai,  56,67. 

*'   (^1.  Ri\ier,  dans  la  Xrilselirift  Jiir  Revlits-  1.05   ouM'ages  de    Montlauxuii    cilés   par    Ru/.é 

ijcsrhiehie ,  t.  XI,  p.  /|5().  sont  ses  commentaires  sur  le  Se\te  elles  E\lia- 

-''   On  pourrait  citer  la  piupai-t  des  coniuieii-  vagantes. 

lalenrs  des  Clémentines  et  des  Extravagantes.  ''    Vila  /"  de  Benoit  \ll,  dans  Baluze,  Vilw 

\  oii',  par  exemple,   le  «oiunierUaiie  d'Pjlienno  fuipariiin  Arenioncnsium ,   t.  I",  j).  lo8. 

Aajreri  sur  la  (îléinenline    Ut    rlericaram  (  i  ,  '*'   Nicolaus  Bertrandi, /)e  To/oianoru/ii  y«fi.« 

Cléui. ,    1,    (();  cl.    I\ei}elilioncs  juvis   canon  ir  i ,  ul>   m  lie  eumiila  ,   Touloust-,    i.)a5. 
Cologne,    1618,  I.  \l,  p.   7.')  el  suiv.  — Voii 
aussi  le  mémoire  du  inêinc  anleui'  :  De  polestatc 


SES  KCKITS.  501 


que  les  quelques  lignes  (ju'il  a  obtenues  des  historiens  du  droit  cano- 
nique au  xix'^  siècle. 


ÉCKITS  DOUTF.UV  OU    APOCRYPHES 

ATTRIBUÉS  À  Guillaume  de  Montlauzln. 

i"On  trouve  cité,  parmi  les  manuscrits  conservés  autrefois  à 
labbaye  de  Saint-Bénignii  de  Dijon  :  Gudlelmi  de  Montelaudaiio  Ap- 
paratns  in  libro  de  Agno  dominico  Joannis  pape  XKfl  *".  Nous  ne  connais- 
sons pas  autrement  cette  œuvre  de  Montlauzun,  non  plus  que  l'ou- 
vrage attribué  ici  à  Jean  XXll. 

2°  Le  manuscrit  4  108  du  fonds  latin  de  la  Bibliothèque  nationale 
de  Paris  "  et  le  manuscrit  l'S/i  de  la  librairie  de  la  cathédrale  de 
Cologne  nous  ont  conservé  un  traité  en  4i)  articles  :  De  modo  obser- 
vandi  (fuodlihet  interdictum;  inemor'ialc  (juaddam  pro  sinpiicibus^^K  Ce  mé- 
moire est  anonyme  dans  le  manuscrit  de  Paris;  dans  le  manuscrit  de 
Cologne,  le  scribe  a  ajouté  après  les  derniers  mots  :  «  Willclmus 
de  Lauduno  ». 

En  dépit  de  cette  indication,  nous  ne  pouvons  nullement  affirmer 
que  le  mémoire  précité  doive  être  attribué  à  Guillaume  de  Monl- 
lauzun.  Le  droit  qui  y  est  exposé  remonte  aux  premières  années  du 
XIV'  siècle,  et  en  tous  cas  n'est  pas  postérieur  au  pontificat  de  Ikmi- 
faceVlll;  l'auteur  annonce  d'ailleurs  qu'il  traite  de  la  matière  de 
l'interdit  usecundum  jura  que  vigent  et  viguerunl  anno  Domini 
M"  CGC"  primo».  Cette  époque  est  antérieure  à  celle  où  se  déploya 
l'activité  de  Montlauzun  dans  le  domaine  du  droit  canonique.  Au 
surplus,  le  mémoire  ne  présente  aucun  des  caractères  qui  donnent 
aux  écrits  de  Montlauzun  une  allure  si  personnelle. 

3°  Le  manuscrit  4557  du  fonds  latin  de  la  Bibliothèque  nationale, 
exécuté  au  \r  siècle**^,  offre  (fol.  96  v"  et   97)    un  court  traité  sur 

'''  Catnloijue  gciicnit  des  manuscrits  des  îiibUn-  sm  l'excommunication  el  l'interdit  (E.  \  eina^ , 

Ihéques  publiques  r/cv  départements,  t.  V  (Dijon),  Le  Liber  de  excomnnmicatione  du  cardinal  lîi- 

p.  456.  Ce   manuscrit  faisait,  au  xvii'  siècle,  remjer  lùédol,   Paris,    1912),  el  le   texte  que 

partie  de  la  Bibliotlieca  Janiniana  ;  le  sort  n'en  nous  signalons.  Le  manuscrit  de  Cologne  con- 

est  pas  connu.  lient  les  statuts  du  chapitre  métropolitain. 

^''  Ce  manuscrit  contient  ri/)/)((r«(«.s  sur  le-,  <"   Ms.de  Paris,  foL  86-88. 

('/emenfmwel  le  .Smromentnfc  de  Guillaume  di-  '*'  Ce   manuscrit   contient  divers   IrnTnunts 

Montlauzun  ;  le  mémoire  de  Bt-renger  Frédol  et  disserlations  canoniques. 


502  GLILLALAJE   l)K  MO.NTLAIjZLN,  C\.N()MSTE. 

l'obligation  qui  s'impose  aux  juges  séculiers  de  restituer  les  clercs 
arrêtés  par  eux.  Ce  traité  commence  par  les  uiots  :  «  Queritur  an 
captus  per  judicem.  .  .  m  C'est  une  consultation  sur  les  dilTicullés 
])ratlques  que  soulevait  l'application  du  célèbre  décret  Si  judex 
lahiis,  rendu  par  Bonilace  VllI  ".  Le  scribe  ipii  la  transcrivit  a 
ajouté  a  la  fin  ces  mots  :  «Giiillelmus  de  Moiitelauduno  ».  Les  idées 
développées  dans  ce  mémoire  ne  sont  pas  en  désaccord  avec  celles  de 
iVlontlauzun  ;  mais  on  n^  reconnaît  nullement  la  manière,  non  plus 
que  le  style,  du  jurisconsulte  toulousain. 

4°  Tritheim  ^'  et  Forster'''  placent  sous  le  iion\  de  Montlauzun, 
outre  le  Sncramevlale,  une  Siimma  Je  casihvs  (ce  n'est  peut-être  qu'un 
autre  titre  du  même  ouvrage),  et  beaucoiq)  d'opuscules  de  droit  et 
de  gloses  qui  n'ont  pas  été    retrouvés. 

3°  Baluze  lui  impute  un  traité  De  cardinuhbus ,  ([u'il  dit  cité  par 
Gilles  Le  Maistre,  en  un  chapitre  de  son  tiaité  De  rerjalibus^'^K  Cette 
attribution  est  erronée.  Que  l'on  Aeuille  bien  se  reporter  à  l'édition 
des  œuvres  de  Le  Maistre,  donnée  à  Paris  en  i  (iyS  par  Claude  Bernard. 
A  la  ])age  3io  on  trouvera  une  citation  de  Mar.  Laud.,  c'est-à-dire 
Martin  de  Laon,  qui  est  bien  l'auteur  d'un  traité  De  cardmalibiis,  à  la 
composition  duquel  Montlauzun  n'a  eu  aucune  part. 

6"  Sanders  'BiLhotlicca  lielijica,  t.  H,  ]i.  ic)i)  signale  l'existence, 
dans  la  bibliothèque  des  chanoines  de  Tongres,  d'un  ouvrage  énigm- 
atique  ainsi  intitulé  :  «  Guillelmus  deMontelauduno,  De  gloria  cœlesti. 
Nous  ne  pouvons  attacher  aucune  valeur  à  cette  indication  que  rien 
ne  confirme. 

7"  II  en  est  de  même  de  cette  autre  indication  que  Bethmann^'' 
donne  d'après  le  manuscrit  6667  de  sir  Thomas  Phillipps  :  Cfiromcon 
G.  de  Montelaudimo.  L'auteur  de  cette  mention  a  vraisemblablement 
commis  une  erreur  sur  le  titre  de  l'ouvrage  contenu  dans  ce  ma- 
nuscrit ^dont  le  sort  actuel  est  ignoré). 

8"  On  a  parfois  placé  à  tort  sous  le  nom  de  Guillaume  de  Mont- 
lauzun un  recueil   de  sermons  ([ui  ont  été  aussi    imputés   au  frère 

'     la,  St'xie,  V,  II.  ('éd.;  voir  aussi  la  noti?  ajoutée  par  Baluze  ;i 

'"    Calaloqus  scriplorum  ecclesiasticorum  (i':i-  l'ouvrage  fie    Marca,   Concordia    Sncerdotii  <■( 

ris,  i5i2),  loi.  ii8v°.  Imperii ,  livre  VI,  c.  \. 

'^'  De  historia  juris  civilis  Roinaiii  lihri  très  (*'   Archiv  der  Geselhchaft  fiir  ûltcre  deaisriir 

(Bàle,  i565),  p.  337.  (ieschichtsliiinde.  f.  IX  ,  p.  5oi. 

■'    Vitœ  pnparam  Avenionensium ,  1. 1",  p.  8o()  ; 


SKS  KCIUTS.  r,()3 

|)ièclieur  (luiHaunic  fie  Latiduno,  el  qui  apparticnneiil  à  son  confifMc 
(luillaume  Péraull  *". 

9"  On  a  atlrihiip  à  GuiUaiime  de  Moutlauztm  un  liailé  De 
pro/essione  monaclioniin,  conscivc  dans  Irois  manuscrils  :  Bibl.  nal., 
lalin  12402;  Douai,  1267;  Troyes,  37/).  Celte  atlribution  résulte 
sans  doute  de  ce  que  le  traité  De  pro/essione  monaclionim  est,  dans  !<• 
manuscrit  de  Iroyes,  donné  comme  l'ouvrage  de  Guillaume  de  Lau- 
duno^'^l  II  sulFil  de  parcourir  cet  écrit  pour  se  convaincre  qu'on  n'y  re- 
trouve en  aucune  façon  la  manière  caractéristique  de  notre  auteur. 
Au  surplus,  Montlauzun  avait  lail  pi-ofession  a  Cluny:  or,  le  religieux 
qui  a  composé  le  De  professume  monachonun  n'appartenait  sûrement 
pas  à  l'Ordre  de  Cluiu.  En  ellet,  dans  le  cliapiti-e /)r  transita  mniiasterii 
ad  munasteriiun ,  il  écrit  ''  :  "  l'orle  vult  alicpiis  de  GInniaceiisihus 
institutis   ad  nosiram    \enire   pauperlalem.  » 

10"  Nous  croyons  devoir  signaler  enfin  un  opuscule  contenu  dans 
le  manuscrit  2701  des  manuscrits  d'Auguste  [de  Brunswick], 
à  Wolfenbùtlel,  ([ui  est  intitulé  (fol.  38-92)  :  Régula  beati  Bencdicli , 
cum  reportatis  11  illielmi  de  Montelaiiduno  ''  —  Nous  ne  connaissons 
aucun  ouvrage  de  Guillaume  de  Montlauzun  sur  la  règle  de 
saint  Benoit.  Sans  doute  faut-il  voir  dans  ce  titre  une  indication  erro- 
née du  commentaire  de  Montlauzun  sur  la  constitution  de  Benoît  XII 
réformant  les  moines  noirs;  le  même  manuscril  contieni  le  texte  de 
la  conslitutitm  de  Benoit  \ll. 

1».   F. 


'    Cf.  Sanders,  BiW.  Behiica.  t.  II,  p.  139  ;  '  Bihl.  nal.,  lat.  i3?io2,  liil.  iS;. 

(^)in-tif  et  Echard ,  Srnyoip«   Onlims  Piwdiio-  "    ().   \oii    Ileineinann,    !)lc    Haiidsduiflci 

/onim,  t.  1",  p.  Go().  lier    herzoylichen     Bihliolhek    zu   Wolfenbùtlel. 

'■    Voir   h   ('nlnlniiiic    di">    manuscrits     de  2'    partie.    Die    Aiuinsleisctien     Handsilnipen . 

Troyes,  p.  520.  t.  VI.  p.  .17'!. 


504  liER.NAUl)  1)K  l'WASSAC,  TR()LMJX)IH. 

BKRNAHD   l)K  PAAASSVC,  TROl  lUDOl  R, 

UN    DES    KOÎVDATEIRS    f)ES  JEUX  FLORVUX. 


Les  Jeux  l'Moraux  de  roidouso,  aii\(juels  nos  devanciers  ont 
fait  denx  rapides  allusions  '',  furent  célébrés  pour  la  première  fois 
au  mois  de  mai  i3qV  T^e  moment  est  donc  venu  de  j)arler  plus  au 
long  de  l'origine  de  cette  institution.  C'est  ce  que  nous  allons  faire 
d'après  les  documents  authentiques''',  et  sans  nous  ai-rêter  au  per- 
sonnage légendaire  de  Clémence  Isaure,  que  la  critique  a  depuis 
longtemps  banni  de  l'histoire  du  xiv"  siècle. 

La  poésie  en  langue  vulgaire  du  Midi  ou  langue  d'oc,  qui  avait  jeté 
un  si  vif  éclat  pendant  près  de  deux  siècles,  s'éteignait  lentement 
sous  les  règnes  de  Philippe  le  Bel  et  de  ses  fils''*'.  Là  même  où 
subsistait  un  reste  de  ferveur  pour  les  anciens  troubadours  —  los 
antics  trohadon,  comme  l'on  disait  déjà,  ayant  conscience  de  la  déca- 
dence de  leur  art  —  et  où  l'on  s'elVorçait  de  maintenir  la  tradition  en 
cultivant  la  langue  qui  leur  avait  servi  d'organe  et  qui  avait  conquis, 
grâce  à  eux,  une  partie  de  l'Italie  et  de  l'Espagne,  la  masse  du  public 
méridional  devenait  de  ])lus  en  plus  indifférente  aux  efforts  de 
quelques  cénacles  isolés. 

Tel  était  l'état  de  choses  qu'on  pouvait  constater  à  Toulouse,  uu 
des  derniers  foyers  littéraires,  en  i  .'i23.  Il  s'v  trouvait  encore  sept  ama- 
teurs passionnés  pour  «  le  gai  savoir  de  composer  en  roman  »,  et  con- 
vaincus qu'en  chantant  ils  travaillaient  m  à  la  gloire  et  à  l'honneur  de 
"  Dieu,  de  sa  glorieuse  mère  et  de  tous  les  saints  du  paradis  ".    \yant 

''    Histoire    lilléroire,    I.    .\\l\  ,    p.    43/j  ;  est  de  noire  de>oir  de  faire  reinaniuer  <jue  les 

t.  XXXII,  p.  58.  dofails   donnés   par  Jean  de  Noslredame   sur 

'''   Publiés  en  dernier  lieu  par  (>aiTii!le  (]ha-  les  prétendus  poètes  provençaux  de  la  cour  de 

hanean,  Histoire  de  Languedoc ,  éd.  Privât,  t.  X  Philippe   le    Long,    et    trop  complaisaniment 

(iSSÔj.p.  177  et  s.  La  iéi:eale  Histoire  critique  accueillis  par  nos  de\anciers  [Histoire  littérnire, 

(les  Jeux  Floraii.r ,  de  M.  F.  de  fiélis  'Toulouse,  t.  \X1V,  p.  43.")),  sont  absolument  apocryphes, 

1 1)1  r?  ),  ne  contient  rien  de  nouveau  ;  cf. /?o/im-  bien  qu'un  historien   récent  semble   encore  y 

iiji3,  t.  XLII,  p.  'i^l).  .njouler  loi  (P.  Lehugeur,  Histoire  de  PliHipi>c 


nui 


■''  ('f.  H  if  taire  littérnire ,  t.  \\\ll,  p.  Ôy.  Il         le  l^ouij ,  181)7.  P-  ''•'**))• 


SA  ME.  505 

rrussi ,  grâce  à  la  pratique  de  leur  art ,  à  «  vivre  en  joie  et  allégresse  et  à 
"fuir  mélancolie  et  tristesse,  eiHiemiesdu  gai  savoir  »,  ils  ne  se  tenaient 
j)aspour  satisfaits.  Ils  voulaient  non  seulement  un  public  plus  étendu 
pour  leurs  œuvres,  mais  encore  un  culte  plus  solennel  el  des  hom- 
mages plus  éclatants  pour  la  Muse  elle-même.  Aussi  prirent-ils  l'ini- 
tiative hasardeuse  de  convoquer  une  sorte  de  congrès  de  troubadours 
pour  le  i"  mai  i3i4,  s'engageant  à  donner  une  violette  d'or  en 
prix  à  la  pièce  de  poésie  «  romane  »  qui  serait  jugée  la  plus  parfaite. 
La  convocation  qu'ils  lancèrent  nous  a  été  conservée.  Elle  est  datée  du 
mardi  8  novembre  i3'j3,  au  pied  d'un  laurier,  au  faubourg  des 
Augustines  de  Toulouse.  En  voici  le  début  : 

Als  Iiuiioral)los  ri  als  pms  Sens  c  valois  c  cortezia , 

Scnhors,  ami\  c  ronipanlios,  La  sobrcgaya  companhia 

Ats  (pials  es  donatz  le  sabois  Dois  set  ti<)l)adors  de  Thotoza 

Don  creysh  als  l)Os  f;augz  c  pla/cis.  Salut  e  inays  vida  joyoza'". 

L'appel  des  se])t  troubadours  lut  entendu.  Le  «  gai  savoir»  tint  ses 
assises  à  Toulouse  au  jour  dit.  Aux  promoteurs  de  la  solennité 
se  joignirent,  ])our  recevoir  les  amateurs  accourus  delà  région  voisine, 
en  même  temps  que  beaucoup  de  notables  personnages,  chevaliei's, 
docteurs,  licenciés,  bourgeois  et  marchands  de  la  ville,  les  membres 
du  (1  capitoL'^' » ,  qui  décidèreut  de  prendre  à  leur  charge  les  frais 
de  la  violette  promise  au  lauréat.  La  journée  du  i*"'  mai  fut  con- 
sacrée à  la  réception  des  compositions;  le  lendemain,  après  avoir 
entendu  la  messe  en  corps,  les  Sept  examinèrent  à  huis  clos  les  œuvres 
qui  leur  avaient  été  soumises;  le  3  mai,  ils  proclamèrent  publique- 
ment que  la  violette  était  attribuée  à  maître  Arnaud  Vidal,  de  Castel- 
naudari,  pour  une  chanson  en  l'honneur  de  la  Vierge'"*'.  El  l'on 
s'ajourna  à  l'année  suivante.  Les  Jeux  Floraux  étaient  fondés. 

Dès  cette  première  session,  le  «congrès»  avait  fait  place  à  un 
«concours»;   les  initiateurs,  cpii  prirent  bientôt  le  titre  de  «  mante- 

'"'   Ilist.  (le  l.anyiiedoi- ,  t.  X,  p.  i8i.  ilu  latin  cupiloUum,  on  créa  le  mot  de  cupitole 

'''   C'<(/)i<o/,t  chapitre», écrit  plus  récemment  poiu'  designer  rhôtel  de    ville.    Voir  Eugène 

cii/)i<ouJ,  était  le  nom  donné  nlors  à  l'assemblée  Martin-Chabot,   La  tradition  capiloline  à  Tou- 

niunicipale  de  Toulouse,  dont  chaque  membre  loiise ,  dans  les  Annales  du  Midi,    ic)i-j-ii^i8, 

était  dit  cupilolwr.  Bientôt,  par  abréviation,  on  I.  XXIX  .  p.  345  et.  s. 

qualifia  de  capital  ou  cupiloiil  chaque  membre  '''   Voir  plus  loin,  p.  .>i3,la  notice  consacrét- 

de  cette  assemblée^  [''inalcmeot ,  à  l'imil;ilion  .i  ce  troubadour. 

iliST.  i.iTTÉH.  —  \\x\.  64 


506 


l^KKWUI)  DK   I^VN'VSSXC,  TllOl  15  \l)()l  li. 


«  nedors  del  <^ay  saber»,  s'en  constlluèreiil  naturellement  les  juges. 
C'était  une  mainmise  sur  la  poésie,  (jui  n'allait  pas  sans  dommage 
pour  celle-ci;  mais  pouvait-il  en  être  autrement?  Une  institution  qui 
veut  durer  ne  s'accommode  pas  du  i-egime  de  l'anarchie.  Le  nouveau 
tribunal  eut  le  mérite  de  s'organiser  rapidement.  Il  se  donna  un  chan- 
celier, un  «bedeau»  faisant  fonction  d'appariteui'  et  de  secrétaire, 
et  il  se  lit  graver  un  sceau.  Se  considérant  comme  une  manière  d'Uni- 
versité, il  décerna  des  diplômes  de  bachelier  et  de  docteur  «en  gai 
«  savoir  1'.  A  la  violette,  seul  prix  ])rimitif  et  qui  resta  le  plus  élevé,  s»' 
joignirent  bientôt  l'églantine  et  le  souci,  sans  préjudice  de  prix  extra- 
ordinaires, décernés  à  l'occasion.  Enlin  la  compagnie  assura  la  rédac- 
tion d'un  code  doctrinal,  les  Levs  (l'Ainurs ,  ([iii  fut  confiée  au  zèle  du 
chancelier,  maitr»'  Guillaume  Moliniei-,  cl  achevée  en  i356.  C'est 
à  cette  date  qu'il  conviendra  de  parler  en  détail  de  ce  code  et  d'ap- 
précier en  même  temps  le  rôle  littéraire  de  la  nouvelle  institution. 
Au  point  où  nous  en  sommes,  nous  devons  nous  borner  à  faire 
connaître  les  documents  relatifs  à  la  personne  et  aux  écrits  des  fou- 
dateurs. 

Le  matiuscrit  de  TAcadémie  des  .leux  Floraux,  auquel  nous  avons 
emprunté  les  détails  qui  |)réccdent,  nous  a  conservé  leurs  noms  dans 
l'ordre  suisanl  :  "  iiernat  de  Panassac,  donzel  ;  Guilhem  de  Lobra,  bor- 
•1  gués  ;  Ijercnguier  de  Sant-Plancat,  Pevre  de  Mejana-Seira,  cam- 
«biayi-es;  Cuilhem  de  Contant,  Pey  Camo,  mercadiers;  mestre  Bei- 
«  nat  Oth,  notari  de  la  cort  del  viguier  de  Tholosa  ».  Donc,  un  noble, 
un  bourgeois,  deux  changeurs,  deux  marchands  et  un  notaire.  Des 
six  derniers  nous  ne.  connaissons  que  le  nom  et  la  ]iosition  sociale  ''. 
Nous  sommes  mieux  partagés  en  ce  qui  concerne  Bernard  de  Panas- 
sac.  L'article  (pii  lui  est  consacré  dans  la  liituirapltic  Toiiloiisainc , 
publiée   à  Paris   en    i8'J.V"^',    est  sans    valeur,    mais,   dès    1862,   le 


''  lia  l'U-  qiiestidn  ici  iiiêine  (Histotie  lille- 
Kiivc,  I.  W,  11.  ri()8j  (l'un  troubadour  appelé 
Pierre  ('nmor  [\;\  varianle  Cariier  est  fautive) 
couiiiie  auteur  dune  chanson  amoureuse  délui- 
lant  par  ce  vers  : 

liai/,  clianl  i-   ilianlan  mirais. 

{.'attribution  est  incertaine  (voirR.  Bai  tscli , 
(iruiidriss  (1er  proecnz.  Litenitiir,  Elherteld, 
i87'.(,    p.    167,    arl.    .'>3i),  n"   7).    I.e    tniiili.i- 


dour  en  question  ne  saurait,  en  tout  cas, 
être   idenlilié    avec     le   Pey    Ciiino   de    i.'>''..'5. 

Il  s'est  conservé  en  original  un  acte  pri\é 
ilu  iO  octobre  i3i3,  muni  du  sceau  de  \a 
sénéchaussée  de  loulonse,  qui  a  été  passé  et 
signé  par  B.  Oth  (  lieriinnlus  Ollioitis,  pnhllni^ 
ilotniiii  re(ji:i  et  curie  iliili  sinilli  notiirins)  ;  on  en 
trouve  une  analyse  dans  (labié  et  Mazcns,  Cur- 
tnlaire  lies  Aldmnn  ,  i883,p.  i82-i83. 

"'    l'onie  II ,  p.   1  iS-i  21). 


S\  VIK.  5o: 

D'  .J.-B.  Noulet  a  écrit  sur  lui  une  notice  consciencieuse''*,  qui  ne 
demanfle  qu'à  être  complétée  à  l'aide  de  documents  récemment 
découverts. 

SA   VIK. 

Bernard  de  Panassac  appartenait  à  une  famille  noble  qui  tire  son 
nom  de  la  localité  de  Panassac'^',  jadis  comprise  dans  le  comté  d'As- 
larac.  Les  «  de  Panassac  »  pullulent  dans  les  documents  gascons,  surtout 
dans  les  cartulaires,  du  x"  au  xiii*  siècle,  sans  qu'il  soit  possible  d'en 
dresser  un  tableau  généalogique.  Un  fait  seul  est  à  retenir,  qui  a 
été  cité  par  M.  l'abbé  (lazauran  d'après  un  acte  perdu  dont  l'ana- 
lyse nous  est  parvenue  :  en  i2l\2,  un  lîernard  de  Panassac  fit  liom- 
mage  au  comte  d'Astarac  Jean,  dit  Centulle,  pour  le  cbâteau  d'Ar- 
rouède,  limitrophe  de  Panassac'*'.  (leleudalaire  est  vraisemblablement 
le  grand-père  du  troubadour,  car  ce  dernier,  comme  nous  leverrons, 
lut  lui  aussi  seigneur  d'Arrouède. 

Nous  ignorons  les  raisons  qui  déterminèrent  notre  Bernard  de 
Panassac  à  venir  à  Toulouse  et  à  y  fixer  sa  résidence  dès  avant  i  32  3. 
«  Peut-être,  dit  le  D'  Noulet,  tout  seigneur  gascon  qu'il  était,  remplis- 
II  sait-il  à  Toulouse  quelque  charge  publique;  on  sait  que  Galambias 
i<  de  Panassac  y  était  sénéchal  pour  le  roi  (iharles  VW  ,  en  i  ^/|o  ''*'.  «La 
remarque  n'a  pas  la  portée  qu'on  semble  lui  attribuer,  et  l'hypothèse 
n'a  aucune  vraisemblance.  Si  Bernard  de  Panassac  avait  eu  une  fonc- 
tion publique  à  Toulouse,  l'anonyme  qui  nous  a  transmis  le  récit  de 
la  fondation  des  Jeux  l'Moiaux  n'aurait  pas  manqué  de  le  jiarerdu  titre 
de  cette  fonction.  Or  il  le  qualifie  simplement  de  don:el,  damoiseau. 
C'est  le  premier  degré  de  la  hiérarchie  féodale.  Bernard  de  Panassic 

'''  Elle  a  paru  dans  tes  Mém.  de  l'Académie  avec  le  verbe  panni-,  voler,  el  le  substantif  snc. 
des  Sciences  de  Toulouse,  année  iS.^s,  p.  85,  '^*   Cartuliiire  de  /Jert/oHes  (I.a  Hase,  uioj), 

ol  a  c'ié  réimprimée  dans  le  volumo  intitulé  :  p.  .')iio.  Une  analyse  conservée  dans  le  dossier 

Deux  manuscrits  provençaux  du  xiy'  siècle .  .  .  ,  Panassac  du  Cabinet  des  titres  de  la  Bibliothè- 

par  J.-B.  Noulet  et    Camille    Chabitneau  (Pu-  que  nationale  (iiis.  Ir.  28  673,  dossier  49^97, 

bliralions  de  la  Société  des  langues  romanes,  n°  33)  porte  que  l'hommage  lut  rendu  pour  les 

Montpellier  et  Paris,  1888),  p.  xi-xv.  deux  châteaux  de  Panassac  et  d'Arrouède. 

'*'    Commune  du   canton  de  \fasseube,  ar-  **'   Deux  manuscrits  prov.,  p.  xiv.  Galambias 

roiidissement  de  Mirande.   Notons  en  passint  est  une  mauvaise  leçon  pour  (xn/(/utias,  prénom 

que    ce    nom    de    lieu     ne    correspond     pas ,  gascon ,  rare  en  dehors  de  la  famille  de  Panassac , 

malgré  les  apparences,  à  un  nom  gallo-romain  qui  parait  se  rattacher  au  substantif  galaubia , 

en   -iacus.    Il    a   été   formé,    au    moven    âge,  magnificence. 


508  lîEUNVKI)  DE   l»\\\SS\C.  THOMBADOl  li. 

mourut  sans  avoir  été  adoulié  chevalier,  trop  pauvre,  spmhlc-t-il, 
plutôt  que  trop  jeune,  pour  avoir  ambitionné  et  obtenu  cet  honneur. 

Le  séjour  à  Toulouse  d'un  seigneur  de  l'Astarac  n'a  rien  d'extra- 
ordinaire. La  grande  ville  attirait  nalurellenunità  elle  la  noblesse  des 
environs,  qui  ne  dédaignait  pas  d'y  venir  suivre  les  cours  de  l'Uni- 
versité, et  qui  s'y  faisait  trop  souvent  remarquer  par  sa  turbulence  et 
par  sa  facilité  à  jouer  du  couteau'"'.  Nous  ignorons  si  Bernard  de 
Panassac  fréquenta  l'Université;  en  tout  cas,  te  milieu  bourgeois,  où 
se  maintenait  encore  le  culte  de  la  poésie  des  troubadours,  exerça 
sur  lui  une  influence  incontestable.  Il  oublia  son  dialecte  gascon  et 
emprunta  le  dialecte  languedocien  pour  s'essayer  lui  aussi  dans  l'art 
du  M  gai  savoir».  Les  deux  |)oésies  qui  nous  sont  parvenues  sous  son 
nom  remontent  vraisemblablement  à  cette  épocpie.  Il  prit  part,  comme 
nous  lavons  dit,  à  la  fondation  des  Jeux  Floraux  en  i  3^  3- 1  .^2  4.  Depuis 
lors,  nous  ne  savons  rien  de  son  activité  liltéraire;  il  est  probable  qu'il 
ne  tarda  pas  à  regagner  ses  terres  d'Astaiac,  où  des  soucis  jilus  graves 
agitèrent  tragiquement  ses  derniers  jours.  Nous  possédons  en  ellet 
sur  son  compte  des  documents  d'ordre  judiciaire,  que  nous  allons 
brièvement  résumer'-'. 

Au  cours  de  l'année  i33o,  un  procès  retentissant  se  déroula  devant 
le  tribunal  du  sénéchal  de  Toulouse  et  d'Albi.Les  confins  de  la  Gas- 
cogne et  du  Languedoc  avaient  étéle  théalrcde  nombreux  assassinats, 
parmi  lesquels  celui  du  baile  royal  de  Roulaur'*',  (léraud  d'Aguin, 
damoiseau,  criait  surtout  vengeance.  La  liste  des  accusés  est  longue;  elle 
comprend  une  trentaine  de  noms,  dont  le  premier  est  celui  de  Bernard 
de  Panassac.  Port d'aimes prohibées, infraction delasauvegarde  royale, 
complicité  d'incendie  et  d'assassinat  par  recel  de  criminels  bannis  du 
rovaume,  tels  étaient  les  principaux  chefs  d'accusation.  Ne  retenons 
(Hie  ce  qui  concerne  notre  ])ersonnage:  le  sénéchal  le  condamna  aune 
double  amende,  montant  à  liooo  livies  tournois,  et  décréta  que  son 
château  d'Arrouède  serait  rasé.  Panassac  fil  appel  du  jugement  devant 

''  (iiiKi  l'rères  de  la  noble  maison  de  Pennt',  sur  la    claicel   décapité  trois    \oi\n   a|iiès,  le 

en     Mhigeois,    étaient  étudiants    :i     IVjulouse  i8  juillet     iS.'iJ  ;     voir    Ilisl.    de    l.anijHedoc , 

en  i333.  Ils  lialtitaient  la  même  maison,  a\ec  l.    I\,  |>.  4^1-483. 

un  nombreux  personnel  d'amis  et  de  serviteurs,  '    CI'.  Annales  du  Miili,  kji  .')-i()i6,  t.  XXVII- 

itu  moment  où  leur  familier,  noble  lui  aussi,  XXVIII, p.  S-j-.^)!  et  p.  SSçj-SgS;  uji^-igiB, 

\imeri  Bcrenpuier,  commit  sur  la  personnedu  I.  XXIX  XXX,  p.  ■(:î.')-'>3i  et  3()3-3(i4;  '<)'9" 

•  capiloul»  François  de  (iaure  un  assassinai  pour  ig'>.o,l.  \XXIXXXII,p.  /|3()-/|3.>. 
li'iiiR'l  11  i'iil  prêt  ipitiiminenl  jugé ,  ituilllé,  Irainé  ''  C.anl.  de  Saramon,  arr.  (rViicli. 


SA  VIE.  301) 

le  Parlement  de  Paris,  ainsi  que  ses  coaccusés,  mais  il  mourut  avant 
que  la  cour  su|)rême  eût  rendu  son  arrêt  définitif.  Sa  mort  doit-sc 
placer  entre  le  Si  mai  i333  et  le  23  janvier  i336.  Il  laissait  une 
veuve,  Englesia  d'Orbessan,  et  deux  filles,  Albria  et  Mascarosa,  dont 
la  première  était  fiancée,  ou  se  fiança  peu  après,  à  un  fidèle  serviteur 
du  roi, Guillaume  de  Villers'"'. 

Sur  ces  entrefaites,  le  roi  Philippe  VI,  étant  venu  cà  Toulouse,  reçut 
une  supplique  en  faveur  de  la  famille  de  Panassac  et  y  fitbon  accueil. 
Par  lettres  patentes  du  23  janvier  i33G,  en  considération  du  futur 
mariage, le  souverain  remit  l'amende  encourue  parle  défunt. (lommc 
bien  on  pense,  la  cérén^onie  matrimoniale  ne  tarda  guère.  Une  fois  le 
mariage  consommé,  nouvelle  supplique,  nouvelle  faveur.  Philippe  VI, 
poursuivant  sa  tournée,  était  à  Montpellier  :  par  d'autres  lettres 
patentes,  datées  de  cette  ville,  au  mois  de  février,  il  fit  grâce  de  la 
flémolition  du  château  d'Arrouède.  Mais  le  Parlement  instruisait  tou- 
jours la  cause  d'appel  et  poursuivait  son  enquête.  Le  résultat  ne  fut  pas 
favorable  à  la  mémoire  de  Panassac,  car  la  cour  maintint  d'abord  rigou- 
reusement les  condamnations  prononcées  par  le  sénéchal  de  Tou- 
louse, bien  qu'elle  n'ignorât  pas  les  deux  lettres  de  rémission  accordées 
par  le  roi.  Toutefois,  elle  finit  par  s'incliner,  pour  des  motifs  qu'il  est 
facile  de  deviner.  La  rédaction  définitive  de  l'arrêt,  rendu  le  23  dé- 
cembre i338  et  dont  la  date  ne  fut  pas  modifiée,  porte  que  la  cour 
s'abstient  de  se  prononcer  sur  le  cas  de  Panassac,  couvert  par  un 
double  témoignage  de  la  faveur  royale. 

Inclinons-nous  à  son  exemple.  Le  roi  de  France  a  le  droit  de  faire 
grâce  et  de  suspendre  le  cours  de  la  justice,  laquelle  émane  de  lui. 
Si  d'ailleurs  la  culpabilité  de  Panassac  semble  établie,  une  condani 
nation  de  ce  genre,  dans  les  idées  de  l'époque,  n'avait  rien  de  désho- 
norant pour  un  gentilhomme.  Il  ne  faut  pas  oublier  qu'il  s'agit  de 
choses  <le  Gascogne,  et  que  la  noblesse  gasconne,  revendiquani 
hautement  devant  les  tribunaux  le  droit  de  se  faire  justice  elle-même, 
proclamait  encore  la  légalité  des  guerres  privées'-'. 

Cl  En   l'appelant   de    Villers,   nous  suivons  maître  des  requêtes  de  l'hôtel,  peu  après  i344 

l'exemple  qu'il  donna  lui-même  dans  la  seconde  (André  Guillois,  /{ec/i.  sar  les  maîtres  des  reqnè 

partie  de  sa  carrière  ;  mais  il  est  possible  qu'il  tes  de  l'hôtel Paris,  1901,,  p.  :>.56-3  57). 

lut  originaire  du  Languedoc  et  que  la  forme  '''  \'oici  ce  qu'on   lit  dans    le  résumé  «les 

primitive  de  son  nom  de  famille  fut  de  ViUar^  moyens  produits  devant  le  sénéchal  de   lou- 

{ Histoire  litléniire .  t.  XXIV,  p.  -i  1 4 )•  H  mourut  louse ,  vers  la  m.'n.o  époque,   par  un  seigneur 

3   S 


510  liKK.WlU)  DE  PANASSAC,  TROLDVDOLH. 


SES    ECRITS. 

L'iiunieur  batailleuse  de  Bernard  de  Panassac  n'a  laissé  aucune 
trace  dans  les  deux  pièces  lyriques  qui  nous  sont  parvenues  sous  son 
nom.  Elles  pourraient  aussi  bien  avoir  été  composées  par  l'un  quel- 
conque des  paisibles  bourgeois  qui  fréquentaient  avec  lui,  en  i323, 
le  poétique  verger  du  faubourg  des  Augustines  de  Toulouse. 

La  plus  anciennement  publiée  est  un  «vers»*'*  en  décasyllabes, 
qui  débute  ainsi  : 

Eli  vos  lauzar  es,  dona,  nios  aturs'-'. 

Celte  composition  comprend  cinq  couplets  de  huit  vers,  suivis 
d'une  lornada  ou  envoi  de  quatre  vers.  Elle  se  rapproche  du  cadre  que 
les  Leys  d'Amors  assignent  auxcoblas  retrocjradadas  per  acordansa,  avec  in- 
troduction d'une  rime  nouvelle  de  deux  en  deux  couplets'^*.  Cette 
dernière  particularité  donne  un  certain  cachet  d'originalité  à  la 
poésie  au  point  de  vue  de  la  forme.  Pour  le  fond,  il  est  bon  d'avertir 
le  lecteur  que  Panassac  n'a  pas  en  vue  un  amour  profane  :  sa  dame 
n'est  pas  une  créature  terrestre;  c'est  la  Vierge  Marie  qu'il  encense. 
I*'rère  Raimond  de  Cornet  admirait  la  «gran  maestria  »  dont  Panassac 
avait  fait  preuve  dans  son  «vers».  Mais  comme  il  craignait  qu'on  se 
méprît  sur  l'intention  de  l'auteur,  il  conqDOsa  un  commentaire  poé- 
li(ine  pour  démon Irer  qu'il  s'agissait  effectivement 

De  la  \'orge  plazen 
Mayre  di'  Dieu,  Maria. 

Pourtant,  il  ne  faut  pas  une  grande  perspicacité  pour  comprendre 
que  c'est  dans  le  Paradis  que  réside  la  «  dame  »  de  Panassac,  et  que 

de  1  liauzaii  (Oton  de  Pardaillan)  et  ses  nom-  '''  C'est  le   nom  que  le  poète  donne  iui- 

l)rcu\  complues,  arcusés  de  violences  analo-  m^me  à  son  œuvre,  v.  6  : 

gués  :  ..prediclis  rei-,  ad  sui  defensloneni  propo-  Soplogui  vos  que  prensjalz  aquest  .ers. 

«  nentibus .  .  .    quod ,   si    alirpia   commiserant , 

•  hoc  fecerant  giierreiando,  prout  sibi  licitum  Chez  les  troubadours  de  la  décadence,  il  n'y  a 

«erat    secundum    consueludinem   terre  Arma-  plus  de  distinction  entre  le  re/v.  et  la  cnnio. 

«niaci  et  Fiixensis  in  talil)iis  approbatam  et  in  '''   Dernière   édition    dans   Noulet   et   Cha- 

«contradictoriojudiciooblenlam»  (ArrêtduPai-  baneau,  ouvr.  cité,  p.  56-Gi. 

lemenl,  du  1 6  janvier  i339,  Arch.nat.,  X"  8.  ''' Cf.  .leanroy,  dans  flomanm,  igiS.t.XLII 

fol.    19  \''-3  1).  P-   487-481). 


SES  ECRITS.  511 

c'est  là  que  le  poète  aspire  à  se  trouver  à  ses  pieds.  Le  deuxième 
couplet  suffit  à  en  persuader  le  lecteur  : 

Pivcios  cors,  blaiix  i-  lis,  lufz  e  clars,  E  sini  pogiics  valer  gienhs  o  conjiiis 

Cogitan  vt-y  mot  soen  de  travers  Qu'aïs  vostres  pos  estes,  doua,  rèpaiis 

Vostias  fayssos  Hins  un  mantel  de  pers  Me  fora  grans,  que  vos  etz  ferma  naus 

Estelat  (l'aur,  foldrat  de  menutz  vars.  On  vuelti  passar  a  l'estreg  porl  segiu's. 

Peut-être  Kainiond  de  Cornet  a-t-il  pris  un  soin  superflu;  mais 
comme,  sans  son  commentaire,  le  «vers»  de  Bernard  de  Panassac 
aurait  sombré,  nous  lui  devons  delà  reconnaissance.  Laissons  aussi 
au  chantre  de  la  Vierge  le  bénédce  du  jugement  favorable  de  son 
commentateur  sans  le  chicaner.  Nos  idées  sur  la  poésie  sont  troi) 
diilérentes  de  celles  qui  régnaient  alors  à  Toulouse  pour  qu'il  n'ait 
pas  le  droit  de  nous  récuser. 

La  seconde  pièce  de  Bernard  de  Panassac  n'a  pas  eu  l'honneur  d'être 
commentée.  Le  scribe  catalan  qui  l'a  transcrite,  dans  le  seul  manuscril 
qui  nous  l'ail  transmise'"',  l'a  accompagnée  de  cette  mention:  «  fo 
«coronada».  Dans  sa  pensée,  il  s'agit  évidemment  d'un  prix  obtenu 
aux  Jeux  Floraux  de  Toulouse;  mais  ce  que  nous  savons  du  rôle  de 
notre  poète  dément  ce  que  le  scribe  veut  nous  faire  accroire.  On  ne 
peut  être  en  même  temps  juge  et  lauréat  d'un  concours. 

Écrite  en  décasyllabes,  cette  poésie  comprend  six  couplets  de  hui! 
vers  et  deux  Inriiadas  de  quatre  vers.  Les  couplets  sont  adressés  alter- 
nativement à  Amour  et  à  la«dame».  Cette  fois,  il  s'agit  indubita- 
blement d'une  dame  en  chair  et  en  os,  et  non  de  la  Vierge  Marie. 
L  amour  prolane  a  moins  bien  inspiré  Panassac  que  l'amour  divin 
On  jugera  de  la  banahté  de  ses  pensées  et  de  la  médiocrité  de  sor. 
style  par  la  première  déclaration  qu'il  fait  cà  sa  dame  (deuxième 
couplet)  : 

Doua  gentils,  plena  d'umilitat,  Faus  a  saber,  flors  de  grau  gentilcza. 

Monda  d'erguyl,  compliinen  de  tolz  Les,  C'Ainor  nii  fay  gaya  canso  hastir 

Cambra  d'onor  hoii  pretz  albergatz  ses,  Amb  laquai  vuyl  far  sab.r  ses  mentir 

Digna  d'amar,  gaya  (lors  d'onestal,  Als  fis  aymans  quais  es  vostra  nobleza. 

'''Chansonnier  Gil  y  Gil,  conservé  aujoui-  p.  4 a-44, d'après  une  copie  do  M.  J.Massô  Tor- 

d'hui  à  Barcelone,    Bibl.   de    Calalof,'ne,    nis.  rents,  débute  ainsi  : 
n"  1/(6.  La  chanson,  publiée  pour  la  première 
(nis  dans  les    innnlrs  (lu   Midi,    if)l5,  I    XWir,  Amors,  car  saj  que  farci/  piclal. 


512       BERNARD  DE  PANASSAC,  TROUBADOUR.—  SES  KClillS. 

Ailleurs,  le  poète  fait  eilort  pour  atteindre  à  une  certaine  origi- 
nalité, sinon  dans  la  pensée,  du  moins  dans  l'expression,  mais  l'effort 
n'est  pas  toujours  heureux.  Par  exemple,  le  pouvoir  d'Amour  est  dit 
trop  pus  forlz  cjue  hetams,  «  beaucoup  plus  fort  que  béton  »,  image 
nouvelle,  sinon  poétique,  mais  qui  ne  s'est  probablement  présentée 
à  l'esprit  de  l'auteur  que  sous  la  contrainte  de  la  rime. 

Un  autre  procédé  consiste  à  renchérir  sur  les  idées  familières  à  la 
lyrique  amoureuse.  Maint  troubadour  avait  déclaré  que,  le  jour  où 
il  avait  le  bonheur  devoir  sa  dame,  rien  ne  pouvait  lui  arriver  do 
Jacheux''*;  Panassac  étend  à  toute  l'année  la  vertu  de  ce  talisman  : 

Lo  jora  qiieiis  ve.y,  gazayiii  tal  ricjucza 
One  ])uys  nom  pot  de  lot  l'an  mal  vcnii-. 

Plus  d'un  aussi  s'était  plaint  de  ses  propres  yeux  et  les  avait  accusés 
de  trahison''^';  aucun  n'avait  assez  manqué  de  goût  pour  souhaiter 
(lue  sa  dame  voulût  bien  en  garder  un  et  lui  renvoyer  l'autre  : 

l^ii'gatz  li  doiirhs,  Amers,  tan  qncus  en  creza. 

Pus  ha  In  roi-,  (juclam  vuyia  laissai' 

L'ii  (Iris  meus  liuyls  quez  am  ley  van  e^^tar. 

En  somme,  les  deux  échantillons  conservés  ne  nous  donnent  pas 
une  haute  idée  du  talent  poétique  de  Bernard  de  Panassac,  bien 
que  l'auteur  se  vante  de  «  tenir  les  droits  chemins  d'Amour  »  et  d'avoir 
«  bien  appris  lart  de  trouver  »,  ce  qui  l'a  fait  considérer  par  un  cri- 
tique moderne  comme  un  chef  d'école '■'l 

Nous  nous  consolons  de  ne  rien  posséder  de  ce  qu'avaient  composé 
les  autres  membres  de  la  «  sobregaya  companhia  ».  S'il  est  établi 
historiquement  qu'il  y  avait  sept  troubadours  à  Toulouse  en  iSsS, 
il  n'est  pas  sûr  qu'il  y  eût  parmi  eux  un  vrai  «  poète  ».  Aucun  docu- 
ment, du  moins,  ne  l'a  révélé  jusqu'ici. 

A.  T. 


'"'  Voir    A.   Jeani'oy   et    J.-J.    Satverda   de  '^'  J.  Aiiglade,  Les  oiiyines  du  gai  savoir, 

(irave.  Poésies  de  Uc  de  Saint-Cire  (Toulouse,  dans  Rfliiieil  de  l'Académie  des  Jeux  Floraux, 

i<ji3),  p.  173.  1919,  p.  1 83. 

'*'  Ihid.,  p.  169  et  17a. 


AKNALD  \ll)\t.,  TROUBADOUR  —  S\   VIK.  513 

ARNALI)    VIDAL,    TROUBADOUR, 

PREMIER   LAURÉAT   DES  JEUX  FLORAUX. 


Le  nom  d'Arnaud  Vidal,  premier  lauréat  des  Jeux  Floraux,  avait 
l'té  tiré  de  l'oubli  depuis  plus  de  deux  siècles''*,  et  la  chanson  à  la 
Vier<i;e,  qui  lui  valut  la  violette  d'or,  avait  été  publiée  et  traduite  de- 
puis soixante-dix-sept  ans*^',  lorque  Paul  Meyer  eut  la  bonne  fortune, 
en  1866,  de  découvrir  le  manuscrit  d'un  roman  en  vers,  Guillaume 
de  La  Barre,  composé  par  le  même  auteur  et  dont  personne  ne  soup- 
çonnait l'existence'".  Une  chanson  pieuse  et  un  roman  d'aventures  : 
de  ces  deux  ouvrages  découle  le  peu  que  nous  savons  sur  le  compte 
du  poète,  son  nom  n'ayant  été  rencontré  dans  aucun  document  d'ar- 
chives. 

SA    VIE. 

Arnaud  Vidal  était  de  Castelnaudari.  11  n'a  pas  tenu  à  faire  connaître 
sa  patrie  en  se  nommant  à  la  fin  de  son  roman  : 

Aqufst  romans  fe  ses  enueg 
Vj  ses  trebalh  n'Ar[naut]  Vidal, 
Cuy  Dieus  defenda  de  tôt  mal'*'. 

'''   Le  premier  érudit  qui  lait  prononcé  pa-  M.  le  marquis  de  La  Garde,  par  Paul  Meyer 

rail  être  Guillaume  Catel;  voir  ses  Mémoires  de  (Paris,  A.  Franck,    1868  ;  extrait  de  la  Revue 

/'/listoircrfuLan^uei/of  (Toulouse,  i633), p. 4o3.  de  Gmcotjne,  années   1867-1868).  Acquis  par 

'*'   Par  l'abbé  Magi, dans  le  fleruei/ de  l'Aca-  le  duc  d'Aumale,  en    i8G(),  le  manuscrit  est 

demie  des  Jeux  Floraux,  année  1  78g.  Cf.  J.B.  aujourd'hui  au  Musée  Condé,  à  ChantiUy,  où 

Noulet,  Las  Joyns  del  Gay  Saber  (Paris  el  Tou-  il  porte  le  n°  1571.  En  iSy.'î,  Paul  Mejer  en 

louse,  [1849]),  p.  3.  Une  nouvelle  édition  de  a  donné  une  édition  intégrale,  précédée  c''une 

l'ouvrage  de  Noulet,  où  les  textes  ont  été  revus  introduction  et  suivie  d'un  vocabulaire,  dans 

sur  les  manuscrits,  a  été  donnée  récemment  la  collection  de  la  Société  des  anciens  textes 

par  M.  Jeanroy  dans  la  Bibliotlièqae  méiid'wiude ,  français  (  Guillaame  de  La  Barre,  roman  d'aven- 

1"  série,  t.  XVI  (Toulouse,  i<)i4).  tares,   par   Arnaad   Vidal,    de    Castelnaudari). 

'''   Giiillauwe  de  La  Barre,  roman  d'aventure  Nous  imprimons  «La  Barre»  avec  L  majuscule, 

idiniHisécn  1,'ilS  jinr  Arnaud  Vidal,  de  Castel-  contrairement  à  la  pratique  de  l'éditeur  el  de 

iKHidiiry,  notice  accompagnée  d'un  glossaire,  sa  génération, 
publiée  d  'apicsie  ms.  unique  appartenant  à  '*'  Vers  .')338-534o. 


514  \UNAUD  VIDAL,  TROUBADOLIH. 

Mais  le  scril)e  n'a  pas  iinilé  sa  réserve,  car  on  lit  en  [ête  du  manu- 
scrit (Musée  (iondé,  n"  lôyi)  :  Aciiwst  libre  Je  Ar[naut]  Vidal  deJ  CastrI 
Non  d'Ali.  La  même  indication  (igure  dans  le  titre  de  la  chanson  à  la 
Vierffe'''  et  dans  le  récit  officiel  de  la  fondation  des  Jeux  Florauv'-'. 
Il  n'v  a  donc  pas  lieu  de  la  révoquer  en  doute;  mais  on  peut  s'étonner 
que,  s'adressant  à  la  Vierge,  le  poète  se  donne,  dans  le  dernier  couplet 
de  sa  chanson,  pour  un  dévot  du  sanctuaire  d'UzesIe,  lequel  est  à 
quelque  soixante  lieues  de  Castelnaudaii'*'  : 

Si  cum  soy  lay  autreyatz  h'ii  vostra  ciiinbra  onrada 

On  verlalz  es  aiitiTyada,  l)'LIz<;ila. . .  ' 

Chahaneau  suppose'^*  qu'Arnaud  Vidal  avait  été,  dans  son  enfance, 
consacré  à  la  Vierge  dans  cette  église,  où  le  pape  Clément  V,  né  aux 
environs,  institua  un  collège  de  chanoines  en  i  3  i  3 ,  et  où  il  fut  inhu- 
mé l'année  suivante.  ïl  est  plus  naturel  de  croire  que  le  poète  fait 
alhision  à  un  pèlerinage,  dont  il  a  tenu  à  rappeler  le  souvenir  dans 
sa  chanson  comme  un  hommage  personnel  à  la  Vierge.  La  dévotion 
à  Notre-Dame  d'Uzeste  ne  dut  se  répandre  au  loin  qu'après  l'élé- 
vation de  Clément  V  à  la  papauté  (i3o5),  quand  la  reconstruction 
du  sanctuaire  eut  été  entreprise  par  le  souverain  pontife'^'.  La  visite 
d'Aiiiaud  Vidal  à  (Jzeste  est  probahlcment  postérieure  à  i3i4;  à  cette 
date,  il  n'ét.iit  plus  un  enfant. 

Notre  p()ètf>  t\st  (jualifié  n  maître»  dans  le  récit  de  la  fondation  des 
.leux  Floraux'' ,  tandis  (pi'il  se  contente  de  placer  la  particule  hono- 
rable /)'  devant  son  nom  dans  l'épilogue  de  Gnillaume  de  La  Barre  cité 
ci-dessus.  Laut-il  croire  qu'il  a  conquis  ce  titre  entre  i3i8  et  xZilx  .' 
Et  quelle  en  esl  au  juste*  la  portée?  Au  bas  de  la  hiérarchie  univer- 
sitaire, on  était  inailre  es  arts.  Arnaud  Vidal  a  nécessairement  coni- 
tnencé  parla,  mais  il  a  pu  s'élever  plus  haut  et  être  gradué  en  droit, 
ne  fût-ce  (pie  bachelier  en  lois.  Paul  Meyer  a  justement  remarqué 
(ine  certains  ])assages  de  Giilllawne  de  La  Barre  témoignent  que  fau- 
teur est  familier  avec  la  procédure  et  qu'il  tient  à  le  montrer'*'.  On 

'''  Ci-dessous,  |).  ôaf).  '"'   Cf.  Abbé  Biun,  Vzesle,  notes  historiques. 

'■''   Ci-dessous,  p.  .')i3.  dans    Société    (ircliéol.    île     Bordeaux,    \dn)?> , 

'')  Çaulon  do  VillaïKiiKut,  an.  de  Bazas.  I.  XVIII,  |i.  i  et  s. 

'*'  Édition  .loanroy,  |i.  5,  vers  66-6().  '''   Ci-dessous,  p.  5 16. 

''    UniL,  p.  •>.{)?<■,  cf.  Revae  des  knyiies  ro-  '"'   Guillaume  de  La  Barre,  intiod.,  p.   la- 


manes 


i8i)7,  I.  XI.,  |i.  .'175,  note  4.  1.^. 


S\  VIE.  515 

l'imogine  volontiers  exerçant  un  office  de  notaire  et  attaché  à  quelque 
cour  (le  justice,  comme  l'était  un  des  fondateurs  des  Jeux  Floraux, 
«  mestre  Bernât  Oth»,  notaire  de  la  viguerie  de  Toulouse''',  et  cela 
dès  le  temps  même  où  il  travaillait  à  son  roman.  En  tout  cas,  un 
notaire  n'aurait  pas  mieux  précisé  la  date  cà  laquelle  en  lut  achevée 
la  rédaction  : 

A  l'issida  dei  mes  de  may  De  Nostre  Seiiher  Jhesu  Crist... 

Fo  faitz  e  coriipHtz  est  romans,  .M.  e  .CGC.  e  .XVIII'^'. 

En  l'an  qu'om  comtava  dels  ans 

Donc,  dès  la  lin  de  mai  i3i8,  Guillaume  de  La  Barre  dut  prendre 
le  chemin  d'Auterive'*l  Là,  en  etl'et,  résidait  un  ondrahle  haro,  Sicaid 
de  Montaut,  à  qui  le  poète  avait  tenu  à  en  faire  hommage,  et  dont 
il  célèbre  sans  mesure  et  les  vertus  et  les  aïeux,  allant  même  jusqu'à 
le  dire  (Dieu  sait  sur  quel  fondement!)  «  né  de  lignage  royal  »'"'.  La 
lamille  de  Montant  est  souvent  mentionnée  dans  les  documents  de 
la  région  toulousaine,  mais  nous  ne  savons  presque  rien  sur  le  baron , 
probablement  Sicard  II,  que  se  choisit  Arnaud  Vidal  comme  pro- 
tecteur. Pourtant  le  poète  se  llattait  —  et,  en  fin  de  compte,  il  a  eu 
laison  —  que  sa  dédicace  tournerait  à  l'honneur  de  celui  qui  devail 
la  recevoir  : 

Al  pros  Sicarl  \ay  de  Montaut,  E,  quan  seias  alhors  legitz, 

Mo  romans,  dirg  a  Autariha,  Tu  lausa  sos  taitz  c  sos  ditzf^l 

E  am  luy  por  estar  t'ariba  ; 

Ce  qui  est  plus  honorable  encore  pour  cette  famille,  c'est  qu'un 
autre  de  ses  membres,  RaimondAt,  seigneur  de  Fuydaniel'''',  a  cultivé 
lui-même  la  poésie  provençale  et  que  deux  de  ses  chansons,  encore 
inédites,  nous  sont  parvenues'^'.  Mais  il  y  a  autre  chose  à  retenir  dans 
l'épilogue  de  Guillaume  de  La  Barre,  et  qui  tire  à  conséquence  pour 

(')  Cf.  ci-dessus,  p.  5o6.  '''  Vers  53 1 3-53 18. 

'»'  Vers  5326-5337.  *"   Canton  d'Auterive. 

'''  Aujourd'hui  ch.-l.  de  canton  de  Tarr.  de  •''  Voir  une  noie  sur  la  famille  de  Montaul, 

Muret.  où  ce  fait  est  précisé,  Aniinles  da  Midi,  1920, 

'*'  Mogatz  de  rnsilz  Para,  fina  e  iintarnl ,  t.  XXXI,  p.  336-338. 
E  nalz  de  linnije  reynl  (  vers  5a98-53oo). 

6.-) . 


510  ARNAUD  VIDAL,  TROUBADOUR. 

la  biographie  de  l'auteur;  c'est  l'aveu  d'une  raison  intime  qui  l'a  dé- 
cidé à  s'adresser  au  baron  d'Auterive  : 

Quar  Dieus  m'a  volgut  revelar  Viiclh  que  sia,  si  a  luy  platz , 

Qu'ieu  en  luy  trobaray  dreitura  Qu'estât  ay  un  temps  cncaiitatz 

O  correctiu  de  desmesuia  Ab  lot  jorii  prometif  ses  dar; 

Que  ai'an  fâcha  alcus  baros. ..  E  iio'ii  vuelh  aidres  declaiar, 

Et  ieu  tDStenips,  e  uios  cantars,  Mas  sieus  seray  tant  cant  viuray"'. 
Mo  senhor  en  tntz  mos  affars 

Pas  n'est  besoin  de  lire  entre  les  lignes.  Arnaud  Vidal  a  beau 
déclarer,  vers  la  fin,  qu'il  ne  dit  pas  tout;  il  en  a  dit  assez  pour  nous 
apprendre  qu'il  avait  eu  des  déceptions  avec  certains  barons,  qu'on 
lui  avait  fait  tort  (^des mesura),  et  que,  pendant  un  temps,  il  avait  été 
abusé  iencantatz)  jiar  des  promesses  non  suivies  d'elfet.  \ous  n'hésitons 
pas  à  voir  dans  ce  passage  une  allusion  à  des  compositions  dédiées 
à  d'autres  seigneurs,  et  qui  ne  lui  avaient  pas  valu  le  succès  qu'il 
en  espérait.  11  comptait  sans  doute  sur  sa  nouvelle  (euvre  et  sur  celui 
à  qui  il  l'offrait  pour  obtenir  sa  revanche-. 

Nous  ne  savons  quel  accueil  trouva  le  roman  de  Guillaume  de 
La  Barre  à  \uterive.  Mais  si,  au  début  de  mai  i32;^,  le  poète  n'avait 
pas  encore  eu  cette  revanche  qu'il  escomptait  dès  la  fin  de  i3i8,  il 
pouvait  difficilement  la  rêver  plus  éclatante  que  celle  qui  lui  fut 
donnée,  en  la  royale  et  noble  cité  de  Toulouse,  par  le  jugement 
solennel  des  sept  «vaillants,  sages,  sidotils  et  discrets  seigneurs»  qui 
venaient  de  prendre  l'initiative  d'un  congrès  de  la  «gaie  science», 
auquel  Arnaud  Vidal  ne  pouvait  manquer  de  participer.  Laissons  la 
parole  au  narrateur  anonyme  qui  en  a  perpétué  le  souvenir  en  têle 
d'une  rédaction  des  Leys  d'Amors,  premier  code  des  .leux  Floraux  : 

Lo  primier  joni  de  may,  li  dit  set  senhor  receubero  los  dictatz,  de  mayti  e  de 
vespre;  e  l'endema,  auzida  lor  messa,  ilh  s'ajustero  per  vezer  los  dictatz  e  per  elegir 
lo  mays  net.  Et  l'autre  jour  après,  so  fo  le  ters  jorii  de  may,  festa  de  santa  Crotz, 
jutjero  en  public  e  donero  la  joya  do  la  viuleta  a  nieslre  Ar[naut]  Vidal  de  Castel- 
noudarri  (loqual,  atjuel  ineteys  an,  de  fag  creero  doclor  en  la  gaya  sciensa)  per  una 
noela  canso  ques  hac  fayta  de  Nostra  Dona'^'. 

'''  Vers   53o8-53ii    et    5.3i9-53a5.   Nous        Leys    d'Anwrs,    éd.    i.    \nglade  (Toulouse, 

modinous  la  ponrtviation  fie  l'éditeur.  '()'9'  '■  '  •  !'•  '  '')■  Pour  p'"s  de  clarté,  nous 

'''    Hist.   de    Lnnrjuedoc ,    t.    X,  p.    i8.^;  cf.         mettons    entre    parenthèse     une    proposition 


SES  KCRITS.  517 

La  violette  d'or  et,  peu  après,  le  titre  de  docteur  en  la  gaie  science  ! 
Il  y  avait  là  de  quoi  dissiper  l'amertume  de  bien  des  déboires.  L'an- 
née 1  32^  dut  être  douce  à  Arnaud  Vidal.  Le  reste  de  sa  carrière  fut-il 
illuminé  de  ce  rayon  de  gloire?  Nous  l'ignorons,  car  nous  ignorons 
tout  de  sa  vie  après  cette  date  mémorable.  Peut-être  vaut-il  mieux 
{ju'il  en  soit  ainsi,  et  qu'il  disparaisse  à  nos  yeux  comme  enseveli 
dans  son  trionq)lie.  Lia  génération  suivante  conserva  son  souvenir, 
car  la  chanson  couronnée  en  i3a4  prit  place,  vers  i35o,  dans  un  re- 
cueil qui  nous  l'a  transmise  avec  le  nom  de  l'auteur  et  cette  mention 
fort  exacte  :  «  gazanhet  ne  la  violeta  del  aur  a  Toloza,  so  es  assaber 
la  premicra  que  s'i  donet,  e  fo  en  l'an  M.CCCXXIV"  ».  Puis  l'oubli 
vint,  mais  non  définitif.  L'érudition  moderne  ayant  commencé  son 
œuvre  réparatrice,  une  rue  de  Toulouse  reçut,  en  i834,  le  nom 
d'Arnaud  Vidal,  qu'elle  porte  encore  aujourd'hui'^'. 


SES  ECRITS. 


1.  OviLLAUME  DE  La   HaRRE  ,   ROMAN  d'aVENTURF.S. 

Inconnu  de  la  légende  aussi  bien  que  de  l'histoire,  le  personnage 
qui  donne  son  nom  au  roman,  Guillaume  de  La  Barre'^',  parait  être 
sorti  de  l'imagination  d'Arnaud  Vidal.  Le  romancier  affirme  que  son 
héros  fut,  à  la  fin  de  sa  carrière,  le  premier  duc  de  Guïenne  par 
la  grâce  du   roi   d'Angleterre,  et  qu'il    «régna»  vingt  ans*'^'.   Nous 

incidente  qui  fait  partie  de  la  dernière  phrase:  le  nom  du  héros  par  la  seule  initiale  G,  quand 

celle  proposition  a  donné  lieu  à  un  contre-sens  il   est  suivi  de  son  surnom,  exprimé  ou  sous- 

dont  ilsera  question  plus  loin,  p.  5a6.  entendu;    mais    ailleurs    il    écrit    Guillem   en 

'■'   Edition  Jcanroy,  p.  i.  toutes  lettres  (vers  i654,  ao3l,  etc.). 

'*'  Délibération  municipale  du  17  mai  i834.  Notons  que  l'auteur  abrège  souvent  Gaillem 

el  arrêté  conforme  du  maire  de  Toulouse,  pris  de  La  Barra,  en  Gaillem  Barra  pour  la  mesure 

le  32  mai  suivant.  Cette  mesure  administrative  du  vers.  Le  cri  de  guerre  de  Guillaume  est  : 

a  mieux  servi  la  mémoire  d'Arnaud  Vidal  au-  Barra,  Barra!  (vers  4'i53,  etc.). 
près  do  ses  compatriotes   que  le   fait  d'avoir  '*'  Vers  5264-5273.  Cette  affirmation  repose, 

trouvé  place  dans  un  roman  du  baron  de  La-  semble-l-il,  sur  un  vague  souvenir  de  Texis- 

mothe-Langon  depuis  longtemps  oublié ,  My-  tence  de  nombreux  ducs  de  Guïenne  du  nom 

Mtères  de  la  tour  de  Saint-Jean,  oa  les  Chevaliers  de  Guillaume,  dont  le  premier,  Guillaume  dit 

du  Temple  (Paris,  1818,  4  vol.  in-ia).  le  Pieux,  mourut  en  918,  et  le  dernier,  Guil- 

•''  Le  scribe  du  roman  représente  toujours  laume  X,  en  1137. 


518  AliNAlU  VIDAL,    I  IU)l  lUDOU',. 

sommes  pourtant  bien  loin  de  la  Guïenne  quand  le  roman  commence, 
en  ces  termes  : 

En  una  terra  lay  tll  ngria  E  laysscc  so  lllli  lieretiei-, 
Ac  un  rey  (luVMa  de  Suriu,  \dn>it  e  franc  e  plascnticr, 

Qiies  ac  nom  lo  rey  de  I^a  Serra,  .Itne  dVtat  eiitro  \iiit  ans. 
Le  (|uals  estec  lonc  temps  ses  gucrra, 

La  scène  s'ouvre  en  llonj^rie*",  ])ays  assez  vague,  dont  le  souverain 
porte  le  titre  de  «  roi  de  La  Serre  »,  d'après  le  non)  de  la  ville  où  il 
réside  ordinairement ''').  Le  jeune  roi  de  La  Serre  s'étant  résolu  à 
prendre  temme,  deux  de  ses  vassaux,  Chabert  le  Roux  et  Guillaume 
de  La  Barre,  partent  en  ambassade  pour  l'Angleterre;  accompagnés 
de  cinquante  bommes  de  bonne  naissance,  outre  les  valets,  et  menant 
avec  eux  vingt  sommiers  cbargés  d'or  et  d'argent,  ils  vont  demander 
la  main  de  la  fdle  du  loi  pour  leur  maître. 

Ce  i)réambide  tient  dans  une  centaine  devers;  mais  il  en  faut  lire 
ensuite  plus  de  deux  mille  avant  d'arriver  à  la  célébration  du  mariage 
projeté,  qui  a  beu  à  La  Serre,  en  présence  du  roi  el  de  la  reine  d'An- 
gleterre, venus  pour  assister  leur  fdle.  L'ambassade  du  roi  de  La  Serre 
s'était,  en  ellèt,  heurtée,  en  débarquant  en  Angleterre,  aux  gardiens 
du  port  de  Malléon,  dont  le  maître  était  un  puissant  Sarrasin  :à  lorce 
de  cou|)s  d'épée  et  de  miracles,  grâce  aussi  cà  l'aide  sournoise  fournie 
aux  chrétiens  par  la  dame  de  Malléon,  le  Crucifix  avait  triomphé  des 
faux  dieux  liafom  et  Tarvagan,  et  tous  les  Sarrasins  avaient  reçu  le 
baptême.  Dans  cette  première  partie,  Chabert  le  Roux  n'est  pas  moins 
exalté  que  Guillaume  de  La  Barre;  mais  il  n'est  plus  question  de  lui 
par  la  suite,  et  tout  l'intérêt  se  concentre  sur  son  compagnon. 

C'est  à  Guillaume  de  La  Barre,  letiré  dans  son  château  pour  soigner 
une  maladie  survenue  inopinément  avant  le  mariage,  que  s'adresse 
le  roi  de  La  Serre  pour  lui  offrir  le  gouvernement  du  royaume,  pen- 
dant que  lui-même  dirigera  une   expédition    militaire.   Bien  qu'on 

'''   Le  picinier  veis  signifie  :  aLà-bas,  dans  Qm-  no  --iaTi  (li«'s|)<rat , 

une  leire  df  Hongrie»,  el  non,  comme  le  dit  ^'»s  que  i;ar<lu  lur  hallal 

l'éditeur  :  .Dans   une  terre  par  delà   la   Hon-  ^^  .a^ram.nl  que  ...an  pro.nos. 

^lien.  Quand  les  habilanls  d  une  autre  cité  de  ''   Un  royaume  de  Serre,  non  moins  l'antai 

Hongrie,  non  di^ignée  noniinafivenicnt ,  sont  siste,   figure  dans  les    romans  de  Mél'uicm   el 

assiégés  et  demandent  du  secours  au  roi  de  La  d'£.«Yinor,  qui  ont   pour    auteur  Girard    d'A- 

Serre,   rrlui-ci  leur   envoie  dire   (vers    sSk)-  miens  (Histoire   lilltrnire ,    l.    XXXI,    p.    174- 

9.53  1  )  :  iS'')). 


SKS  l-XRITS.  519 

ail  oublié  de  l'invilcr  aux  uoces  et  (ju'il  en  manifeste  son  dépit,  bien 
qu'il  vienne  de  perdre  sa  femme  et  qu'il  ait  à  veiller  sur  deux  enlants, 
un  lils  de  sept  ans  et  une  fdle  de  trois  ans,  Guillaume  finit  par  accepter 
l'offre  qui  lui  est  faite,  el  il  ])art  pour  La  Serre.  Jamais  gouverneur 
ne  s'acquitta  aussi  ])ien  de  ses  fondions  (vers  2754  et  s.)  : 

Aiic  no  cug  que  iiegus  hoin  vis  Ni  miels  se  saubes  far  gausir. 

Cavalier  ayssi  govornar.  Ni  miels  se  saubes  perregir 

Ni  (jue  tant  geni  o  saubes  lar,  (^om  fey  Eu  (î[uilleinl  de  l^a  BariH. 

Mais  la  reine,  l'inflammable  Eglantine,  qui  s'était  éprise  du  gou- 
verneur, sans  atten(h'e  son  arrivée,  dès  que  le  roi  avait  fait  son  éloge 
devant  elle'"',  le  mande  dans  sa  chambre  et  s'olïre  impudemment  à 
lui  (vers  2797  et  s.)  : 

«  El  cor  m'avetz  mes  un  désir  «  Que  fassatz  de  mi  (jueus  vulhatz, 

"  De  fin'  amor  (jue  ve  de  vos,  «  Et  que  tant  sïatz  mes  j)rivatz 

»  Qu'ades  vos  die  lot  ad  estros  «  Cum  fora  mos  maiitz,  <i  y  los.  " 

Guillaume,  in\o(juanl  la  foi  qu'il  doit  à  son  seigneur,  lefuse  de 
l'écouler  davantage.  La  dame  crie  à  l'aide  et,  devant  ses  gens  accou- 
rus, joue  la  comédie  du  viol  et  ordonne  de  saisir  «  le  traître  ».  Guillaume 
n'a  que  le  temps  de  sauter  à  clieval  et  de  s'eiduir  à  La  Barre,  où  il  se 
tortille  après  avoir  conté  cette  lamentable  aventure  à  ses  sujets. 
Prévenu  el  circonvenu  par  la  reine,  le  roi  revient  à  La  Serre  et  fait 
citer  le  prétendu  coupable  selon  les  usages.  Guillaume,  qui  n'a  garde 
de  comparaître,  est  condamné  par  contumace  à  être  pendu  à  la  porte 
de  son  château,  qu'une  armée  vient  aussitôt  assiéger.  Pour  épargnera 
ses  hommes  les  borreursd'un  siège,  il  se  résout  à  prendre  le  chemin  de 
l'exil,  et  il  leur  lait  part  en  ces  termes  de  sa  résolution  (vers  '^9^3  et  s.)  : 

"  Senhors,  lo  reys  mi  \ol  aucir;  «  E  prestalz  mi  mon  bon  cavalli, 

«  E  pus  quem  coven  a  morir  «  E ,  ses  garsso  e  ses  vassalh, 

»  Per  liahat  de  mo  senbor,  «  Ab  mos  efantetz  m'en  iray; 

«  Mais  vuelh  morii  a  gran  dolor  «  E  ,  quan  dos  jorns  anat  auiay, 

«  Que  si  vos  autri  inoiïatz.  «  E  vos  li  rendetz  lo  castel.  » 
«  Le  filh  e  la  filham  layssatz 

'''  Le  poète  n'établit  aucun  lien  entre  cet  future  reine  de  La  Sei-re  dans  sa  nudité  pour 

amour,  qui  éclate  si  brusquement,  et  l'épisode  s'assurer  de  sa  perfection  corporelle  (vers  1912- 

singulier  de  l'ambassade  matrimoniale,  où  Guil-  1927). 
lanme  de  La  Barre  est  admis  à  contenipler  la 


520  ARWl'D  VIDAL,    I  H0L1UIX)I:R. 

Ainsi  fut  fait.  Chevauchant  dans  la  nuit,  sa  fiHe  devant  la  selle  et 
son  fils  derrière,  le  loyal  chevalier  s'en  va  à  l'aventure.  Il  est  hébergé 
huit  jours  dans  une  maison  de  lépreux'*',  où  il  apprend  que  ses  sujets 
se  sont  rendus  au  roi,  et  il  s'en  réjouit  en  disant  à  voix  basse,  mais 
avec  des  larmes  dans  les  yeux  (vers  3o3i  et  s.)  : 

"  Aqiiel  ver  Dicus  (jue  venc  en  crolz  <  Çhtav  mos  pobifs  ikid  is  delitz! 

■>  En  sia  lausatz  e  grasitz  >  Trop  haii  be  lait  toi  so  ([ii'ieu  vuelli.  » 

Plus  loin ,  une  lecluse  acce|)te  de  se  charger  de  sa  lilie  et  de  l'élever. 
Puis,  il  lui  faut  soutenir  une  lutte  inégale  contre  douze  larrons;  il  en 
tue  six,  mais  llnalemcnt  il  a  le  dessous;  on  le  dépouille  et  on  le  laisse 
pour  mort  auprès  de  son  his,  que  les  six  larrons  épargnent  et  auquel, 
par  pitié,  ils  font  une  aumône  de  vingt  llorins.  Suit  une  scène  tou- 
chante entre  le  fds,  c|ui  se  désole,  ei  le  père,  qui  reprend  ses  sens. 
Persuadé  qu'il  va  mourir,  Guillaume  révèle  son  nom  à  l'enfant  et  lui 
ordonne  impérieusement  de  continuer  sa  route.  Tout  le  passage 
mériterait  d'être  cité;  en  voici  l'essentiel  (vers  SaSo-SiSg;  3246- 
3293): 

\ra  fo  la  nueytz  trop  osciira; 

El  paire  so  inoc  un  petit 

Quant  ausic  del  lilh  un  gian  crit, 

El  fils  val  (Icsrubrirla  rara  : 

«  Ara,  lo  inieu  planlet,  ara, 

"  Qu'ieu  soy  \ius  c  non  vali  mens, 

«  Mas  ([u'estiam  tôt  siniplaniens 

'<  E  vejam  (juc  Dieus  nos  dara.  » 

Ab  tant  l'efant  colar  se  va 

E  mieg  dels  brasses  de  son  paire. 

I^ejorns  fon  bels  e  clars  e  gpnt, 
(Juel  solels  se  fo  ja  levatz. 
E,  quan  le  jorns  fon  escalfafz, 
El  se  sentie  alrevolir 
iiO  cavaliers,  e  pueyss  vay  dir 

'''  Vers  MjSS  et  s.  l.fi  chef  de  lu  lépr'oseric 
est  un  clirvalier,  et  on  n'y  donne  l'hospitalité 
qu'à  des  chevaliers,  lesquels  doivent  s'engager 
à  V  séjourner  au  moins  huit  jours.  Celte  hospi- 
t.ilité  est  somptueuse  :  le  |iain,  le  vin  et  le  piment 
viennent  de  la  ville  voisine,  et  Guillaume  est 


A  so  lilh  :  «  Le  mieus  cars  élans, 

"  [eu  me  senti  trop  nialenans 

«  E  suy  trop  près  del  Irespassar, 

"  Per  (pi'ieu,  fils,  te  vuelli  coniandar, 

>  E  menibrct  be  so  (piet  diray  :. 

"  Tu  non  sabesges  (jual  nom  ay 

"  Ni  no  sabes  nio  sobrenoni  : 

u  G[uillem]  de  La  Barra  per  nom. 

Un  cavalier  d<?zeretal 
"  Per  portar  a  senhor  liallat. 
"  Et  aquest  nom  niembret  tostemps, 
n  Quar  enqueras  seras  cssems, 
«  Si  Dieu  platz,  am  nostre  linage. 
«  \ra  vay  foras  del  boscage, 
11  Qu'ieu  no  vuelh  quem  vejas  morir.  » 
E  l'efant  se  pren  esmarrir 

servi  par  un  homme  sain,  iîien  qu'Arnaud 
Vidal  écrive  en  i3i8,  rien  ne  fait  prévoir  les 
indignes  traitements  que  la  superstition  popu- 
laire, exploitée  par  la  cupidité  du  fisc,  devait 
attirer  aux  lépreux,  trois  ans  plus  tard,  dans 
toute  la  France. 


SES  ÉCRITS.  :,2l 

E  vay  son  paire  tan  baysar  Vay  dir:  «  Senher,  a  Dieu  sïatzl 

Que  no  s'en  podïa  layssar,  «  E,  sius  platz,  senher,  vos  mi  datz 

Ni  pariar  mot,  ni  pauc  ni  <^ran.  ..  La  vostra  benedictïo. 

Kl  paire  vay  dir  a  i'efant  :  —  Benasiguat  lo  Rey  del  tro 

«  Jhesu  Crist  te  puesca  valer,  «  El  sieu  Filh  ei  Sant  Esperit  ! 

«  Qu'ieu  not  puesc  autre  pro  lener,  ..  E  no  metas  ges  en  oblit 

«  Ni  not  puesc,  fils,  acosselhar  «  Lo  mieu  nom,  per  negu  allar. 

«  Mas  que  pesses  tost  de  l'anar,  «  Dieus  te  do  tal  rey  encontrar 

.'  E  que  tostemps  sïas  liais,  «  Quet  prenha  per  son  escudier!  » 

«  Quel  linages  es  naturals  Adonc  plorec  lo  cavalier 

"  Don  vfs,  per  paire  c  per  maire.  Al  partiment  de  son  effant. 

«  E  tôt  filh  dou  croire  son  ])aire,  L'efantel  s'en  vay  ab  aytant, 

«  Per  quem  crey,  e  faras  ton  pro.  >>  'l'ot  de  pas,  regardan  son  paire .  .  . 

L'efantet,  ses  autra  razo, 

Soyons  sans  inquiétude  sur  le  soil  de  l'enfant.  Recueilli  et  récon- 
forté par  des  bergers,  il  est  immédiatement  pris  comme  écuyer  par  le 
roi  d'Arménie,  qui  se  trouve  là  fort  à  point,  et  qui,  n'ayant  ni  lils,  ni 
fille,  en  fait  son  héritier.  Quant  à  sa  sœur,  Braylimonde  (vers  3802), 
elle  n'a  pas  une  moins  brillante  fortune,  quoiqu'elle  en  attende  plus 
longtemps  l'aubaine.  À  l'âge  de  dix  ans,  elle  épouse  le  jeune  comte  de 
Terramade,  dont  le  père  défunt  avait  fondé  la  recluserie  où  elle 
avait  été  recueillie  (vers  Sôog-SSôg). 

Guillaume  de  La  Barre,  comme  bien  on  pense,  ne  succombe  pas 
à  ses  blessures.  Un  «  mege  natural  »  le  soigne,  le  guérit  et  le  garde 
auprès  de  lui  pendant  sept  ans.  Après  quoi  le  bon  médecin  meurt,  et 
ses  héritiers  invitent  Guillaume  à  faire  «son  pro»,  c'est-à-dire  à  se 
tirer  d'affaire  tout  seul.  Pendant  quinze")  ans  et  plus,  il  va  à  l'aventure, 
mendiant  son  pain  et  répétant  le  même  refrain  pitoyable  (vers  388o- 
3885): 

Et  ac  près  un  aytal  usage ,  Al  cavalier  dezeretat 

Quan  querïa  qu'om  li  fes  be,  Per  portar  a  senor  lialtat, 

E  dizia  qu'om  l'agues  merce  Qu'estiers  no  sabia  quérir,      . 

Mais  un  jour,  ayant  rêvé  que  sa  (ille  était  devenue  comtesse  et  son 
his  roi,  il  se  résout  à  revenir  vers  «  sa  terre  ».  Terramade  se  trouve  sur 
sa  route.  La  comtesse  ne  le  reconnaît  pas;  mais  émue,  au  souvenir  de 

'■'  Sur  la  chronologie  de  ses  aventures,  qui  laisse  lieaucoup  à  désirer,  voir  Annales  du   Midi 
1919-1920,  t.  XXXI-XXXn,p.33/|.  ' 


IIIST.   I.ITTBB.  XXXV. 


66 


522  ARNAUD  VIDAL,  TROUBADOUK. 

son  père,  en  entendant  la  prière  fin  Grntil  home  dezerctat  Per  porlar  a 
senhor  lialtat ,  elle  lui  donne  sa  bouise,  et  elle  l'invite  à  passer  les  fêtes 
de  Noël  à  sa  cour.  Puis,  d'un  commun  accord,  le  comle  et  la  cou)- 
tesse  de  Terramade  lui  demandent  de  diriger  l'éducation  de  leurs 
quatre  enfants.  Guillaume  accepte,  et  remplit  ces  fonctions  pendani 
trois  ans;  après  (juoi,  il  se  laisse  faire  chevalier  une  seconde  lois,  de 
crainte  de  se  trahir  en  refusant,  et  il  reçoit  l'ofiice  de  grand  sénéchal, 
avec  un  château  comme  dotation. 

Sur  ces  entrefaites,  le  roi  d'Arménie  ayant  réclamé  l'hommage  dti 
comte  de  Terramade,  ce  dernier  charge  le  grand  sénéchal  de  répondre 
par  un  refus  hautain  à  cette  demande.  Un  combat  singulier  est  décidé 
pour  trancher  la  question;  chaque  partie  choisit  son  champion,  et 
l'on  devine  que  le  père  et  le  (ils  vont  combattre  l'un  contre  fauti<'.  La 
fantaisie  géographique  du  rotnancier  veut  que  le  roi  de  Cornouaille 
ait  la  garde  du  champ  clos. 

\près  quelques  passes,  les  champions  s'étant  réciproquement  dés- 
arçonnés et  combattant  à  pied,  le  fils  terrasse  le  père  et  lui  saute  sur 
le  corps,  fépieu  lève  Mais  à  sa  demande,  par  grande  courtoisie,  il 
l'aide  à  se  remettre  sur  pieds  pour  reprendre  la  lutte  à  chances  égales. 
C'est  alors  que  Guillaume,  liahissant  son  incognito,  pousse  son  cri 
de  guerre  (vers  445.'î)  : 

«  tîarra ,  Barrn  !  ([iie  Dieus  o  vol  !  » 

Le  fils  a  enfin  reconnu  son  père  :  il  lui  cède  le  terrain,  puis,  pour- 
suivi, il  s'agenouille  et  crie  merci.  Étonnement  de  Guillaume,  qui 
demande  (vers  4468-9): 

"...  Don  est,  ni  per  que 

«  Mi  voies  tant  merce  claiiiar:' 

Et  le  fils  répond  (vers  44 70-^)  47 5)  : 

•  Payre,  tura  volguist  enjendrar,  »  E  quoi  layssei  et  bosc  niieg  mort 

•  Et  ieu  soy  le  lieu»  verays  fils ,  «  Quan  li  doze  lairo  per  tort 

•  Qu'avem  passait  mans  grans  périls,        «  El  bosc  t'aneron  assautar.  » 

Le  roi  de  Cornouaille,  entrant  dans  le  champ  clos  pour  demander 
ce  qui  se  passe,  les  trouve  dans  les  bras  l'un  de  l'autre,  el  l'on  s'e\- 


SES  liCRlïS. 


52:5 


plique.  Le  roi  d'Arménie  et  le  comte  de  Terramade  prennent  très  bien 
ce  dénouement  imprévu  (vers  45 1  2-^5 1  7)  : 


Lo  reys  el  pros  coms  cascus  plura 
De  gaug,  que  cascus  hac  trop  gran. 
Tug  essems  se  van  alegraii, 


E  leiron  aqiii  patz  jurada 
Lo  reys  el  coms  e  sa  mainada 
Cum  si  fossan  fraires  girmas. 


Guillaume  ayant  narré  ses  aventures  et  embrassé  sa  fille,  un  souper 
a  lieu,  suivi  d'une  «  cour  »  qui  ne  dure  pas  moins  d'un  mois  et  où  les 
dons  sont  j)rodigués  à  tout  venant  (vers  4654-4662]  : 


E,  sertas,  semblarian  (aulas 
Dels  dos  ques  deron  en  la  cort , 
Quar  non  i  ac  ni  clop  ni  sort 
Ni  luns  jocglars  que  no  fos  ries; 
Ane  us  no  s'en  tornec  mendiiîs 


De  ia  cort ,  per  pauc  que  valgues  ; 

Complida  fon  en  totas  res, 

E  senes  tôt  defalhiinent 

Un  mes  durée  complidament. 


Le  roi  d'Arménie  envoie  alors  un  baron  auprès  du  roi  de  La  Serre 
pour  le  sommer  de  rendre  à  Guillaume  son  château  et  de  lui  faire 
droit.  Grâce  à  l'entremise  d'un  bourgeois  de  La  Barre,  tout  s'arrange 
au  mieux.  Le  roi  de  La  Serre  se  déclare  prêt  à  pardonner,  si  la  reine 
y  consent.  L'astucieuse  Eglantine,  qui  brûle  toujours  pour  notre  héros, 
trouve  le  moyen  de  sauver  la  face  en  avouant  qu'elle  lui  a  fait  des 
propositions  déshonnêtes,  mais  seulement  pour  mettre  à  fépreuve  sa 
loyauté  vis-à-vis  de  son  seigneur,  et  qu'il  y  a  répondu  avec  indi- 
gnation. Guillaume  est  reçu  triomphalement  à  La  Barre  et  à  La  Serre. 
Puis  l'auteur  imagine,  sans  doute  pour  ôter  à  la  reine  toute  occasion 
de  pécher  de  nouveau,  que  le  roi  d'Angleterre  appelle  Guillaume  de 
La  Barre  à  sa  cour,  où  il  le  garde  pendant  sept  ans,  et  le  fait,  en  mou- 
rant, duc  de  Guïenne  (vers  5260-5277]  : 


Lo  reys  fo  malautes  greument 
De  la  malautia  que  moric. 
A  mosenti'en  G[uillem]  gequic 
Una  terra  rica  e  plana  : 
Aquil  vai  far  duc  de  Guïana. 
El  reys  vay  passar  e  morir, 
El  cavaliers  vay  possezir, 
Aytant quant  vise,  aquel  dugat. 
Le  premiers  ducs  fo,  per  vertat, 


Mosenli'en  ri[uillem],  ses  falcia, 
E  visquet  ab  eavalaria 
Et  am  compliment  de  tôt  be, 
E  moric  ducs  ab  liai  te , 
Quant  bac  ayssi  renhat  vint  ans. 
E  vay  morir  al  Vendre  Sant 
Mosenli'en  G[uillem]  de  La  Barra , 
Del  quai  fo  sa  mort  mot  amara, 
Et  es  eneara,  quan  sove. 

66. 


524  MWAUl)  VIDAL,  TROUBA[)OUR. 

Tel  est  le  poème,  comprenant  5344  vers,  qu'Arnaud  Vidal  acheva, 
comme  nous  l'avons  dit,  à  la  fin  de  mai  1 3 1 8  et  qu'il  dédia  à  Sicard 
de  Montant,  seigneur  d'Auterive.  H  appartient  au  genre  des  romans 
d'aventures,  abondant  dans  la  littérature  en  langue  d'oïl,  mais  dont 
la  littérature  en  langue  rl'oc  ne  possède  que  deux  autres  spécimens, 
Jaiifré  et  Blandin  de  Cornouaille.  Très  inférieur  à  Jaii/ré,  noire  poème 
oflFre  plus  d'intérêt  que  Blandin  de  Cornouaille ,  mais,  en  somme,  il  fait 
peu  d'honneur  à  une  littérature  qui,  dans  un  genre  voisin,  le  roman 
de  mœurs,  avait  produit,  un  siècle  auparavant,  le  chef-d'œuvre  de 
Flamenca.  Son  éditeur  n'a  d'ailleurs  pas  cherché  à  en  surfaire  la  valeur. 
Aiirès  l'avoir  analysé  minutieusement,  il  écrit  :  «  On  a  pu  y  reconnaî- 
«  tre  bien  des  situations,  bien  des  traits  (jue  des  récits  plus  anciens 
«  olfraient  déjà.  C'est  dire  que  le  poème  d'\rnaut  Vidal  est  formé  de 
«lieux  communs;  et,  comme  d'ailleurs  le  style  en  est  très  faible,  le 
«  roman.  .  .  n'est,  à  aucun  égard,  destiné  à  occuper  un  rang  élevé 
"dans  la  littérature  dn  moyen-âge,  ni  niéme  dans  le  genre  auquel 
«  il  appartient.  Toutefois,  par  cela  seul  qu'il  est  écrit  en  langue  d'oi  , 
«  il  mérite  une  attention  particulière'*'.  » 

f^étude  de  l'éditeur  s'est  portée  spécialement  sur  deux  points  : 
rechercher  où  Arnaud  Vidal  a  jiu  prendre  quelques-uns  des  lieux 
communs  qu'il  a  introduits  dans  son  roman,  et,  avant  tout,  le  thème 
de  l'épouse  infidèle  et  calomniatrice,  qui  en  est  le  ressort  principal'^'; 
étudier  en  détail  le  style  ,  la  versification  et  la  langue  de  l'auteur'^'. 
Sur  le  premier  point,  Paul  Meyer  a  institué  une  comparaison  in- 
structive entre  Guillaume  de  La  Barre  et  la  huitième  nouvelle  de  la 
deuxième  journée  du  Décaméron.  Que  l'œuvre  d'Arnaud  Vidal  ait 
franchi  les  Alpes  et  servi  de  modèle  cà  Boccace,  ce  serait  pour  elle 
—  quelle  que  soit  sa  faible  valeur  intrinsèque  —  une  biillanle 
recommandation.  Mais  la  preuve  reste  à  faire,  et  il  faut  avouer,  avec 
l'éditeur  de  Guillaume  de  La  Barre,  que  fhypothèse  d'une  source 
commune,  bien  que  cette  source  n'ait  pas  été  retrouvée,  est  beaucoup 
plus  vraisemblable  que  celle  d'un  emprunt  direct. 

Le  second  point  a  été  traité  d'une  manière  approfondie  par  Paul 
Meyer,  qui  lui  a  consacré  trente-deux  pages,  et  qui  a  jugé  très 
sévèrement  la  manière  d'écrire  de  notre  auteur.  Arnaud  Vidal,  dit-il, 

<')  Édition  citée,  introd.,  p.  wxi.  —  '''   /ftiV/. .  p.  \xxi-xi.vii. —  "'   //»trf. ,  p.  xr.vii-i.x\n. 


SES  ÉCRITS.  525 

«conte  lourdement  et  sans  esprit;  il  n'y  a  pas  clans  tout  son  roman 
«une  fine  observation,  un  sentiment  exprimé  avec  délicatesse,  unf 
"  image  vraiment  poétique;  on  peut  lire  des  pages  entières  sans  ren- 
"  contrer  un  vers  à  mettre  en  relief;  tout  ce  qui  découle  de  sa  plume 
"  est  uniformément  banal  et  plat  ».  Nous  sommes  plus  enclins  à  l'in- 
dulgence, et  quelques  épisodes  nous  paraissent  faits  pour  plaire.  Si 
l'auteur  n'a  ni  élévation  ni  piofondeur,  il  nous  émeut  parfois  en  se 
tenant  à  fleur  de  terre,  tout  près  de  la  nature,  et  il  arrive,  comme 
à  son  insu,  à  produire,  à  force  de  simplicité,  une  impression  durable 
sur  l'esprit  du  lecteur.  Sa  versification  a  certaines  particularités  qui  la 
distinguent  de  celle  des  troubadours  antérieurs;  il  manie  l'octosyllabe 
avec  dextérité.  Sa  langue  abonde  en  singularités;  néologismes  e( 
archaïsmes  y  voisinent  pêle-mêle,  ce  qui  n'est  pas  à  son  avantage  au 
point  de  vue  esthétique.  Seuls  les  linguistes,  épris  des  questions 
d'évolution  grammaticale,  y  trouvent  leur  profit;  après  Paul  Meyer, 
Camille  (habaneau  y  a  relevé  plus  d'une  particularité  curieuse''  , 
sans  épuiser  complètement  la  matière'^'. 

II.   (inANSON  À  LA  Vierge. 

Cette  poésie,  couronnée  solennellement  le  3  mai  i3q4,  comme 
«  la  plus  nette  .>  de  toutes  celles  qui  furent  présentées  au  premier  con- 
cours de  Toulouse,  est  qualifiée  de  cirvenlés  par  le  scribe  qui  nous  l'a 
conservée,  mais  le  terme  est  impropre.  C'est  bien  une  canso,  comme 
le  dit  l'auteur  du  récit  de  la  fondation  des  Jeux  Floraux.  Elle  se  con»- 
pose  de  73  vers,  répartis  en  cinq  couplets  sln(jidars  de  i3  vers, 
suivis  d'une  tornada  de  8  vers;  les  rimes,  sauf  trois,  sont  de  celles 
que  les  Leys  d'Amors  appellent  dictionals  derivativas  per  meimamen  v 
creissemen  '^l 

Les  chansons  à  la  Vierge,  qui  souvent  se  bornent  à  paraphraser 
des  hymnes  latines,  échappent  à  l'analyse  par  leur  nature  même. 
Inconnues  à  la  plus  ancienne  lyrique  provençale,  elles  ont  sup- 
planté à  la  longue  les  chansons  profanes'*'.  La  recherche  de  l'allité- 

•'1   Bévue  des  langues  romanes.  1897,   t.  XL,  <')  Revae  des  langues  rowmes .  1807,  t.  XI. 

H-  574-584.  p.  5^5.  ^  J/'  • 

J'r  ^°""  "°^  '""'""^tv ,'v  t tT'  '  ^o"","'"'  ''"  '"  •'•  ^&*^^«  '  ^  troubadour  Guivaut  Riguier 

Muh,  .9.9-20.  t.  XXXI-XXXII,  p.  3a3-336.        (Bordeaux  et  Paris,  .905),  p.  a83  et  s: 

3  5 


520 


BERNAIU)    WIOUOS. 


ration  a  fini  par  y  étoufler  les  élans  de  piété  naïve  et  les  traces  de 
poésie  sincère  qu'on  remarque  dans  les  premiers  modèles  qui  nous 
sont  parvenus.  Arnaud  Vidal  ne  se  distingue  pas,  à  ce  point  de  vue, 
de  ses  contemporains  :  il  n'est  ni  un  novateur  ni  un  rénovateur.  Toute 
sa  maîtrise  réside  dans  la  forme,  et  il  suflira  de  citer  le  premier  cou- 
plet de  sa  chanson  pour  que  le  lecteur  s'en  fasse  une  idée: 


Mayres  de  Dieu,  Verges  pura. 
Vas  vos  me  vir  de  cor  pur, 
Ab  esperansa  segiira, 
Tant  qu'ab  nierse  m'assegur 

Que  m'escur 
Say,  tan  qu'a  la  fi  s'atui- 
M'arma  lay  on  gaugz  s'atura. 


Verges,  ab  dreyta  inezura, 
Prec  preguetz  Dieu  nom  mezur, 
Car,  per  dreg,  en  loc  escur 
M'arm'  auria  cambr'  escura  ; 
E,  car  d(^  vos  nom  rancur, 
Dels  gaugz  dels  sels  non  endur  '' 

A.  T. 


BERNARD  AMOROS, 

COLLECTIOIN^E^jR  DE   POÉSIES   EN    PROVENÇAL  ET   EN   LATIN. 


I.  On  sait  depuis  longtemps  que,  vers  iSSg,  Jacques  Tessier,  de 
Tarascon,  a  copié  un  chansonnier  provençal  très  considérable,  dû  à 
un  clerc  du  moyen  âge,  nommé  Bernard  Amoros,  qui  l'avait  fait  pré- 
céder d'une  préface,  et  qu'une  partie  de  cette  copie  est  conservée 
à  la  Riccardiana  de  Florence.  On  possède  maintenant,  du  reste, 
la  copie  complète  de  ce  chansonnier,  telle  qu'elle  fut  exécutée  au 


'''  D'après  Paul  Meyer  {Guilluume  de  La 
liane,  intiod.,  p.  x-xi),  Arnaud  Vidal  aurait 
composé,  outre  la  chanson  dont  nous  venons 
de  |)arle)-,  couronnée  le  3  mai  i3a4,  une  autre 
chanson  à  la  Vierge,  pour  laquelle  il  aurait  été 
lait  doctor  en  la  gayo  acietisa,  et  qui  ne  nous 
aurait  pas  été  conservée.  Cette  alTirmation, 
contre  lai|uelle  Chabaneau  ne  s'est  pas  expres- 
sément inscrit  en  faux  [lievue  des  lancjues 
romanes,  1897,  t.  XL,  p.  575,  note  i),  ne  re- 
pose que  sur  une  interprétation  erronée  du 
récit  des  Leys  d' A  mors  que  nous  avons  cité  tex- 


luellemenl  ci-dessus,  p.  5 16.  C'est  la  chanson 
que  nous  possédons  qui  valut  à  son  auteur  et 
la  violette  d'or  et  le  titre  de  doctor  en  la  gaya 
sciensa.  J.-B.  Noulet  s'est  encore  plus  grave- 
ment mépris  en  écrivant  [Mémoires  de  la  So- 
ciété archéologique  du  Midi  de  la  France,  i8()/i. 
2*  série,  t.  X,  p.  laa)  :  «Arnaud  Vidal  fut 
deux  lois  encore  lauréat  et  enfin  docteur  en  la 
gaie  science  sans  que  les  dernières  cumposi- 
lions  lyriques  qui  lui  méritèrent  cette  distinc- 
tion  aient  été  retrouvées.  • 


SES  ECRITS.  527 

xv!*^  siècle  par  Jacques  Tessier.  Ce  qui  u)anque  à  la  Riccardiana  a  été 
retrouvé,  en  efTei ,  flans  la  Collection  Campori,  à  l'Estense  de  Modène, 
par  M.  le  professeur  Giulio  Bertoni,  en  1898  '". 

Le  manuscrit  original  de  Bernard  Amorosest  perdu;  mais  la  pré- 
lace (|uc  le  compilateur  avait  mise  en  tête  de  sa  collection  figure  dans 
la  copie  de  la  Riccardiana.  Quoiqu'elle  ait  déjàété  imprimée,  toutau 
long,  au  moins  troisfois^^),  nous  en  reproduisons  les  premières  lignes  : 

Eu  Bernartz  Ainoros,  ciergues  '■^K  scriptors  d'aquest  libre,  si  fui  d'Alvergna,  don 
son  estât  maint  hou  trobador,  e  fui  d'una  villa  (fue  a  nom  Saint  Flor  de  Planeza,  e 
sui  usatz  luenc  temps  per  t^roenza,  per  las  eticontradas  on  son  moût  de  bonz  troba- 
dois,  et  ai  vistas  et  auzidas  maiiifas  bonas  chaiisos.  Et  ai  après  tant  en  l'art  de  Irobar 
qu'eu  sai  cognoisser  c  de\ezir  en  rimas,  et  en  vulgar  et  en  lati,  per  cas  e  per  verl)e 
lo  dreiz  trobar  del  fais.  Per  qu'eu  die  qe  en  bona  fe  eu  ai  escrig  en  aquest  libre 
drechamen  lo  miels  q'ieu  ai  sauput  e  pogut.  E  si  ai  moût  eraendat  d'aquo  q'ieu  trobei 
en  l'issemple 

Le  clerc  Bernard  Amoros  était  donc  de  Saint-Flour;  il  séjourna 
longtemps  «  en  Provence  »  ;  et  c'était  un  amateur  de  poésies ^"^  Il  s'es- 
timait connaisseur  en  matière  de  versification  et  de  langage,  tant  en 
latin  (pi'en  langue  vulgaire.  C'était  non  seulemenl  un  collectionneur, 
mais,  pour  ainsi  dire,  un  philologue,  car  il  s'appliquait  à  reproduire 
exactement  les  textes  qui  lui  paraissaient  dignes  de  figurer  dans  son 
recueil.  11  le  faisait,  ou  croyait  le  faire  (car  les  modernes  ne  sont  pas 
tous  d'avis  qu'il  ait  toujours  bien  agi  en  cette  matière),  avec  prudence  : 

fiiGranz  faillirs  es  d'ome  que  si  fai  emendador  sitôt  ades  no  n'a  l'entencion,  qe  main- 
tas  vefz  per  fracbuia  d'i-ntendimen  \cnon  afollat  maint  bon  mot  obrat  priinamen  e 
d'avinen  razo,  si  coin  dis  uns  savis  : 

Blasmat  venon  <"  per  frachui'a  Maintas  vetz  de  razon  prima 

D'entendimen  obra  pura  Per  raaintz  fols  qes  tenon  lima. 

'"   Des  éditions  diplomatiques  ont  été  don-  t.  XLt  (  1898),  p.  35o.  KJition  partielle  dans 

nées  des  manuscnls   de  la   Kiccardiana  et  de  G.  Bertoni,  Il  canzoniere  provenzak di  Bernarl 

ILslense  par  E.  Stengel   et   G.  Beiloni;   l'in-  .  1  moros  (Friburgo,  Svizzera     191  i)    p   ix 

dicati.m  détaillée  s'en  trouve  dans  A.  Jeanroy,  W  G.    Bertoni    qualifie     toujours    Bernard 

Bibhoçjraphie  sommaire  des  chansonmcrs  proven-  Amoros  de  «  moine»;  mais  il  le  fait  d'autorité 

f"^  if""!*'  '9'^)'  P-  '9  et  suiv.  sans  preuves,  et'à  lencontre  de  cette  indication 

Par  Grutzmacher(/lrc/(ii>/((r  (/as  S(U(/i«m  précise. 

derneuerenSprachen.  t.  XXXIU,   p.  à'ij);  pai-  W   Son  recueil,  classifié  par  genres,    com - 

ri.- Bartich  dàm  le  JdhrhiK  h  fur  lomanischv  und  prend,  avec  des  chansons   proprement  dites 

eiighsche  Literatur.  t.  XI  (  1 870) ,  p.  1 2  ;  et  par  des  sirventes.  des  desrortz  et  des  tenzo^. 

h    .Slengel  dans  la  Revue  des  langues  rommrs .  O  .Sic.  Poni-  HInsniadn  ven.  .  .  '> 


528  BKRNARD  AMOllOS. 

Mas  ieu  m'en  sui  ben  gardatz,  que  maint  luec  son  q'eu  no  n'ai  ben  aut 
l'entendimen ,  per  q'ieu  no  i  ai  ren  volgut  niudar,  per  paoi'  (ju'ieu  non  pejuits 
l'obra 

A  quelle  époque  le  clerc  Bernard  A moros  travaillait-il  de  la  sorte? 
Au  xin"  siècle,  selon  K.  Bartscli,  «car  il  était  sans  doute  contempo- 
rain du  bel  âge  de  la  lyrique  provençale  »''|.  Mais  il  ne  dit  nulle  ])art 
qu'il  ait  été  contemporain  de  ce  bel  âge.  A  cheval  sur  le  xiii*^  et  le 
\iv'  siècle,  d'après  G.  Bertoni'-^.  11  est  certain  que  les  collections  an- 
térieures dont  Bernard  Amoros  s'est  servi  («  l'issemple  »)  ne  contenaient 
pas  de  pièces  postérieures  à  la  fin  du  xiii"  siècle,  ni  même  aucune 
])ièce  précisément  datée  et  postérieure  à  la  bataille  de  Tagliacozzo 
(  1  268);  et  il  est  j)robable  que  la  préface  du  compilateur  est  antérieure 
à  l'érection  de  Saint-Flour  en  évêclié  (  i3 1  7),puisque  la  ville  de  «Saint 
Flor  de  Planeza  »  est  nommée,  par  lui,  enfant  du  pays,  sans  qu'il 
soit  fait  mention  de  sa  dignité  épiscopale.  Il  est  difficile  de  préciser 
davantage;  mais  la  plupart  des  grands  chansonniers  ])rovençau\, 
analogues  à  celui  de  Bernard,  datent  des  premières  décades  du 
XIV"  siècle;  il  n'y  a  aucune  raison  de  croire  que  celui-ci  ne  soit  pas 
du  même  temps. 

M.  Boudet  a  écrit  dans  la  préface  de  ses  Reciisli es  consulaires  de  Saint- 
/'7ou/  '^' :  M  Bernard  Amouroux,  de  Saint-Flour,  l'auteur  de  l'ample 
collection  des  poésies  des  troubadours,  vit  encore  en  i338  dans  sa 
ville  natale.  .  .  »;  mais  il  n'a  pas  donné  de  référence.  M.  Bélard,  archi- 
viste municipal  de  Saint-Flour,  a  bien  voulu  chercher  pour  nous  la 
source  de  cette  alhrmation;  et,  dans  les  comptes  municipaux  de  son 
dépôt  (Ch.  X,  t.  I,  art.  3),  il  a  trouvé  en  effet  un  «  B.  Amoros  »  inscrit 
parmi  les  contribuables  imposés  à  la  taille  au  quartier  de  «  La  Bastide  % 
à  Saint-Flour,  en  i324,  133/  et  1 338.  Mais  il  n'est  nullement  certain, 
il  n'est  môme  pas  probable  (pie  ce  contribuable  soit  le  compilateur 
du  chansonnier:  notre  Bernard  Amoros  était  clerc,  et  les  clercs 
n'étaient  pas  inscrits  sur  les  rôles  de  la  taille.  Retenons  seulement  que 
les  Amoros  du  cpiarlier  de  La  Bastide  étaient  sans  doute  parents  de 

''1  Jahrbuch  f.  rom.  iiitd  ciujl.  Lit.,  loc.  cil.,  cantaliens,  t.  I"  (Aurillac,  1910),  p.  4d9-/i59. 
|).  i3.  Opinion  adopU-e  dans  {'Histoire  générale  '''  G.  Berloni ,  op.  cit.,  p.  xx. 

ili:   Languedoc   (éd.    Privât),   t.    X,   p.    aaa,  ''>  M.  Boudet,  Registres  consalairet  de  Saiiit- 

II.  .'î,  l'I   par  le  duc  de  la  Salle,    Troubatlonrs  f'/onr  (Paris  et  Riom,  1900),  p.  xxiv. 


SES  ECRITS.  529 

celui  qui  nous  occupe''^  et  qu'il  était,  par  conséquent,  originaire,  lui- 
même,  de  ce  quartier. 

II.  D'autre  part,  le  relieur  Brade!,  chargé,  vers  1880,  de  restaurer 
le  plus  ancien  registre  des  Archives  de  la  Faculté  de  Droit  de  Paris, 
en  retira  plusieurs  feuillets  d'un  manuscrit  en  papier  du  xv*  siècle, 
de  vingt-cinq  lignes  à  la  page,  glosé,  qui  sont  aujourd'hui  conser- 
vés sous  ie  n°  122  aux  Archives  (et  non  pas,  comme  il  conviendrait, 
dans  la  Bibliothèque)  de  la  l'acuité'^'.  En  voici  le  titre  et  le  début  : 

liNCIPIT   LIBEH    l'KOVERBIORUM   VCLGARIUM  ET  SAPIEMUM. 

Scribo  tibi  meti'ice  proverbia ,  dulcis  amict' , 
A  vulgo  ficta,  cur  sunt  vulgaria  dicta, 
A«l  coiidimentum  miscens  quedam  sapientum. 
Dogmala  prisconim  redolet  mixtura  bonoruin. 

A  la  lin  de  celte  préface  (et  non  pas  du  recueil,  comme  il  a  été 
dit'^'),  l'auteur  se  nomme  et  indique  avec  précision  le  contenu  et  la 
date  de  sa  composition  : 

Aniio  miileno  ter  centum  quoque  deno 
Adjuncto  terno,  complevit,  tempore  verno, 
Dirtus  Amorosus  Bernardus,  in  bis  studiosus , 
I^ibrum  presentem,  proverbia  mille  tenentem, 
Milleque  qiiiiigentos  versus  bic  ordine  juiictos. 

Un  certain  Bernard  Amoros  a  donc  composé,  au  printemps  d'une 
année  que  L.  Delisle  a  dit  être  i333,  et  dont  le  millésime  peut  aussi, 
et  même  mieux,  être  déchififré  <ii3i3i),  ce  recueil  de  proverbes 
populaires  et  d'adages  empruntés  à  la  littérature  classique,  suivant  la 
méthode  inaugurée,  dès  le  premier  quart  du  xi*  siècle,  dans  la  Fecanda 
ratis  d'Egbert  de  Liège.  Mille  apophtegmes  en  tout,  et  quinze  cents 

'''  M.  Bélard  nous  signale,  dans  la  même  (Paris,    1918),  p.  488.  Le  nom  de  Bernard 

séi-ie   de   comptes ,  d'autres  contribuabiA  du  Âmoros  n'est  pas  relevé  à  l'index, 
quarlier  de  La  Bastide,  nommés  Jean  et  Tho-  '''  L.  Uelisle,  Mélanges  de  paléographie  et  de 

mas  Amoros.  bibliographie  {Paru,  1880),  p.  ^39. 

'*'  Catalogue  général  des  iiianasciits  des biblio-  '*'  Dans  ie  ms.  12a,  qui  contient  les  frag- 

ihéqnes  publiques  de  France.   Université  île  Paris  ments   de  deux  manuscrils   distincts,  trouvés 

IlISr.  I.ITTKB.  —  xwv.  ()7 

3  t  * 


530  BERNARD  AMOROS. 

vers.  De  ces  quinze  cents  vers,  les  fragments  conservés  en  contien- 
nent un  peu  plus  de  trois  cents  *',  tous  aussi  mauvais  que  ceux  que 
nous  avons  cités  et  que  ceux-ci,  détachés  au  hasard  : 

Qui  cubât  et  surgit  tarde  lit  deiiique  pauper. 
Sepe  minus  liuut  que  muitum  jussa  fueruut. 
Qui  siiif  letitia  vivit,  mors  est  sua  vita. 
Franguntur  sepe  dentés  homini^  sine  casu. 
Femina  tristatur  dum  que  vuh  non  operafur. 

Bernard  Amoros,  sic  est  lui  qui  a  écrit  ainsi,  était  tout  à  faitinexperl 
dansTart,  dont  il  savait  pourtant  le  prix"\  de  circonscrire  une  pensée 
dans  un  hexamètre,  et  de  Ty  frapper  en  médaille.  Mais,  en  ce  cas,  il 
n'aurait  pas  été  le  seul  amateur  de  j)roverhes  mis  en  vers  latins  qui ,  an 
moyen  âge,  ait  été  aussi  maladroit,  comme  on  s'en  convainc  aisément 
en  parcourant  la  collection  que  M.  J.  Werner  a  formée  naguère  en 
dépouillant  un  certain  nombre  de  manuscrits  parémiologiques  des 
bibliothèques  de  France  et  d'Allemagne  qui  contiennent  des  guirlandes 
analogues  à  celle  de  notre  Bernard  '^'.  Dans  cette  collection  générale, 
qui  est  un  florilège,  il  y  a  certainement  quelques  vers  heureux;  ils 
sont  très  rares.  Notons,  en  passant,  qu'un  assez  grand  nombre  de  pau- 
vretés figurent  à  la  fois  dans  le  Lihev  proverhiomin  de  Bernard  Amoros 
et,  par  exemple,  dans  le  ms.  A.  XI.  67,  anonyme,  de  l'Université  de 
Bàle  (premier  quart  du  xv"  siècle'^').  Bernard  Amoros  n'est  sans  doule 
|)as  coupable  du  tout,  il  ne  l'est  peut-être  pas  de  la  majeure  ou  même 
de  la  moindre  partie  de  ce  qu'il  a  fait  entrer  dans  son  recueil;  beau- 
coup de  ses  «proverbes»  sont  des  maximes  qui  couraient  dès  long- 
temps dans  les  écoles.  Si  même  la  comparaison  méthodique  de  son 
ouvrage  avec  les  opuscules  antérieurs  du  même  genre  démontrait 
qu'il  n'y  a,  dans  le  sien,  presque  rien  ou  rien  de  lui,  nous  n'en  serions 
pas  surpris. 

dansla  reliure  (lu  pretnicr  registre  de  la  Faculté,  '''  J.  Werner,  Lateinisclie  Sprnbwôrter    ainl 

on   a  indûment  mélangé    ce    qui   provient  de  Sinnspriiche  des  Mittetnlters ,  «us  HandsclirKU'ii 

l'un  et  de  l'autre.  Les  Cragments  de  l'opuscule  gesnmmeit  (Heidelberg,   1912). 

de  Bernard  Amoros  figurent  sous  les  numéros  ''  Exemples  : 

d  ordre  1  a  7  et  19.  Sepe  rogare    roeala  lenere  el  retenu  docere  ; 

<''    «  Non  bene  lit  gratus  sermo  nisi  sit  bre-  Her  tria  Hiscipulura  faciiint  saperare  magistrum. 

viatus  ■  (fol.  a).  Pelle  siib  agnina  latiut  mens  sepe  iupina. 


SES  KCIUTS.  531 

Le  Liber  pwverbiorani  de  Bernard  Ainoros  n'élail  pas  classé,  comme 
l'est  celui  de  J.  Werner,  par  ordre  alphabétique  des  premiers  mots 
de  chaque  vers;  et  les  fragments  conservés  ne  laissent  pas  apercevoir 
clairement  le  plan  suivi  par  le  compilateur,  s'il  y  en  a  un. 

m.  La  chancellerie  pontificale  a  expédié,àpartirde  Jean  XXII,  plu- 
sieurs lettres  en  faveur  d'un  clerc  nommé  Bernard  Amoros.  Le  12  oc- 
tobre 1^22,  Jean  XXII  conféra  à  ce  personnage  un  canonicat  dans 
l'église  de  Mirepoix,  nonobstant  l'/'glise  paroissiale  de  Moussoulens 
[de  Mossolineliis)^^\  au  diocèse  de  Carcassonne,  dont  il  était  déjà 
pourvu '-^  Le  8  décembre  1824,  nouvelle  grâce  expectative,  au 
même,  d'un  bénéfice  «  dans  la  ville  ou  diocèse  de  Béziers»,  à  la  colla- 
tion de  févêque,  sous  la  condition  qu'il  ne  le  cumulerait  pas  avec 
ceux  qu'il  avait  déjà  '^'.  Mais,  le  5  mars  i337,  Bernard  Amoros  était 
encore  recteur  de  Moussoulens.  Le  pape  lui  accorda  ce  jour-là,  par 
une  faveur  assez  rare,  l'indulgence  plénière  in  articulo  mo/fj5 ''"'. 

Mahul,  dans  son  (jartiilaire .  .  .  des  communes  de  l'ancien  diocèse  de 
(larcassonne  '^',  a  connu  Bernard  Amoros  comme  recteur  de  Moussou- 
lens, mais  seulement  à  la  date  du  1 4  juillet  i32  1.  Ce  jour-là,  la  pré- 
sence de  Bernard  est  signalée  dans  ïaula  de  l'Inquisition,  à  Carcas- 
sonne, au  prononcé  de  la  sentence  portée,  pour  hérésie,  contre  maître 
Guillaume  Garric  '**'. 

Reste  à  savoir  maintenant  si  tous  ces  Bernard  Amoros  contempo- 
rains, le  compilateur  de  chansons  provençales,  le  collectionneur  de 
proverbes  et  le  recteur  de  Moussoulens,  n'en  font  qu'un. 

Il  paraît  évident  que  le  compilateur  de  chansons  et  le  collectionneur 
de  proverbes  sont  une  seule  personne.  Mais  cette  personne  est-elle  le 
«  B.  Amoros  »  inscrit  au  rôle  des  contribuables  du  quartier  de  La  Bas- 
tide à  Saint-Flour,  ou  le  recteur  de  Moussoulens,  ou  un  tiers .3  Nous 
avons  déjà  indiqué  la  raison  qui  nous  fait  pencher  à  croire  que  le 
contribuable  de  La  Bastide   n'est  pas    notre  homme.  D'autre  part, 

'''   Moussoulens,  commune  du  canton  d'Al-  par  J.-M.  Vidal,  n°  47i4-  Cf.  Lettres  closes  et 

zonne  (Aude).  patentes,  n°  11^6. 

'^'  Jean  XXII.    Lettres  communes,  iinal^&ôes  ■*'   T.  1"  (1857) ,  p.  162. 

par  G.  Mollal,  n*  16417.  '*'   R.  P.  Bouges,  Histoire  ecclésiastique  et  ci- 

'■''  Ibid. ,  n°  a  1 1 83.  vile  de  la  ville  et  da  diocèse  de  Carcassonne  (Paris , 

'*'   lienoît  XII.  Lettres  communes,  analystes  17/n),  p.  6a5,col.  2. 

67. 


b'd'l  JEAN  GOBI  L'ANCIKN. 

pourquoi  le  recteur  de  Moussoulens  ne  se  serait-il  intitulé  que 
«clergues»?  Il  est  sage,  semble-l-il,  de  ne  rien  alFirmer.  Le  nom  de 
«Bernard  Délicieux»  était  sans  doute,  à  l'époque  dont  il  s'agit,  plus 
rare  encore  en  Languedoc  que  celui  de  «  Bernaid  Amoros  »,  et  cepen- 
dant les  registres  de  Jean  XXII  révèlent  ({u'il  fut  porté  alors,  non 
seulementparle  célèbre  tribun  franciscain,  adversaire  de  l'Inquisition 
(+  iSig),  mais  par  un  clerc  séculier  du  diocèse  de  Rodez,  qui  est 
cité  de   i326  à  i3'i8  '". 

CL. 


LES  DEUX  JEAN  GOBI, 

FRÈRES    PRÊCHEURS. 


Les  Gobi  étaient,  au  xiii*  et  au  xiv^  siècle,  une  des  principales 
familles  d'Alais;  leur  nom  figure  constamment  dans  les  listes  consu- 
laires depuis  le  milieu  du  xiii^  siècle  jusqu'à  i36o  ^^K  Deux  des 
membres  de  cette  famille,  l'un  et  l'autre  j)rénommés  Jean,  ont  laissé 
des  écrits. 

I 

Jean  Gobi,  senior,  parcourut  les  divers  degrés  de  la  hiérarchie  dans 
les  couvents  de  son  Ordre,  celui  de  saint  Dominique.  On  le  trouve 
sous-lecteur  au  couvent  de  Sisteron  en  1278,  lecteur  à  Marvejols 
en  1381  et  à  Alais  en  ii85,  étudiant  à  Paris  en  1291,  lecteur  à 
Béziers  en  1298,  prédicateur  général  en    i3oo,  prieur  du  couvent 

'•'  Jean  XXII.  Lettres  communes,  n"  a5857  ,  le  délenscur  des  Albigeois,  le  clerc  séculier,  ou 

aGgaS,  4i665.    Ajoutons  qu'un   «Bernardus  un  tiers  ? 

ileliciosi  ■    figure   dans    la    nomenclature  des  '*'  Voir  les  relevés ,  faits  d'après  les  archives  lo- 

I  Scolares  illustres»  de  l'Université  de  Bologne  cales,  par  A.Bardon,  Histoire  de  la  ville  d'Alais 

à  la  <late  de   ia86  (M.  Sarti  et  M.  Fattorini,  de  1250  à  1M0  (Nlrne»,  1894).  Cf.  Historiens 

DecliirisarchiciYmnasii  Bononiensisprofessoribtts.  de  lu  Fniiiic,  t.  X\IV,  p.  SgS. 
t.  Il,  BononiiK,  1896,  p.  3a5,col.  1).  Est-ce 


SA  VIE.  blVi 

(l'Avignon  avant  1003  et  (Je  celui  de  Montpellier  entre  i3o2 
et  i3o4.  Invité,  en  qualité  de  prieur  de  Montpellier,  le  a8  juil- 
let i3o3,  à  adhérer  à  l'appel  du  roi  conire  Boniface  Vlll,  il  refusa, 
«  nisi  de  exprossa  voluntate  et  assensu  Prioris  generalis  tocius  Ordi- 
«  nis  »  '''.  De  Montpellier,  il  passa  à  Sainl-Maximin,  en  Provence,  et  il 
resta  prieur  de  cette  grande  maison  de  1  3o4  jusqu'à  sa  mort,  arrivé»! 
en  1  S-^S  ;  pendant  deux  ans  (  1  3  1  2- 1  3  1  V  ,  il  exerça  les  fonctions  d<î 
prieur  provincial  de  la  seconde  province  de  Provence,  mais  il  ne 
semble  pas  qu'il  ait  été  remplacé,  même  alors,  comme  prieur  de 
Saint-Maximin  '"''. 

En  juin  i3o3,  Jean  Gohi,  prieur  de  Mont])ellier,  de  passage  à 
Mais,  rédigea,  dit-on,  le  texte  d'une  transaction  entre  le  seigneur  et 
les  habitants  d'Alais  au  sujet  de  la  leude  du  blé  '^'. 

Les  anciens  bibliographes,  comme  Echard,  n'ont  parlé  de  Jean 
Gobi ,  senior,  que  pour  mettre  en  garde  contre  la  tentation  de  confondie 
ce  personnage  avec  son  homonyme,  l'auteur  de  la  Scala  celt.  Car  ils 
ne  savaient  pas  qu'il  eût  écrit  lui-même.  Il  a  composé,  cependant,  un 
livre  intitulé  Miracula  béate  Marie  MaçjdaJene ,  dont  la  copie,  apparem- 
ment unique,  jadis  conservée  à  Saint-Maximin,  appartenait  en  i  880, 
lorsqu'elle  fut  décrite  par  J.-H.  Albanès,  à  M.  le  marquis  de 
(ilapiers  **'.  Il  n'est  pas  douteux  que  celui  qui  a  tenu  la  plume  pour 
composer  ce  recueil  est  Jean  Gobi  l'ancien,  (juoiqu'il  ne  se  soit  pas 
nommé;  en  ellét,  à  propos  d'une  visite  faite  à  Saint-Maximin,  le  2  juil- 
let i3io,  par  un  miraculé,  il  déclare  :  «  Michi  priori  ostendit.  .  .  ". 
Il  a  dû  se  servir  d'un  recueil  antérieur,  où  les  miracles  étaient  consignés 
suivant  l'ordre  des  temps  où  ils  s'étaient  produits;  mais,  en  les  racon- 
tant, au  nombre  de  quatre-vingt-cinq,  il  les  a  classés,  et  d'une 
manière  assez  bizarre,  en  groupant  les  faits  de  même  espèce  :  miracles 
en  faveur  de  prisonniers,  d'aveugles,  de  sourds,  de  muets,  de  goutteux, 

'''    G.  Picot,  Documents  relatifs  aux    Etats  jubilé  épiscopal  de  Monseigneur  de   Cabrières , 

yendraux  et  assemblées  réunis  sous  Philippe  le  Bel  t.  II  (  iSyg),  p.  567.  —  Sur  son  œuvre  admi- 

(Paris,    igoi),  p.    igi.  Cf.   A.  Bardon,  Listes  nistralive  à  Sainl-Maximin,  qui  fut  très  consi- 

cbronologiques  pour  servir  à  l'histoire  de  la  ville  dérable,  voir  J.-H.  All)anès,  Histoire  du  couvent 

d'Alais,  fasc.  3  (Nîmes,  jSgâ),  p.  62.  royal  de  Sainl-Maximin  (Draguignan,    1880), 

'''  Sur  son  CBrriVu/um,  voir  C.  Douais,  Lf.';  p.    60-81.    Eitr.    du    Bulletin    de    la    Société 

frères  Prêcheurs  en   Gascogne,  p.  438;  et  le  d'études.  .  .delà  ville  de  Draguignan ,  1.  XII. 

même,  Acta  capitulorum  provincialium  Ordinis  '"'  A.  Bardon,  Histoire  de  la  ville  d'Alais  de 

Fratram  Prœdicatorum  (Taaloaie,  1895),  à  la  1250  à  1 3i0  (Nimei,  1894),  p.  io5. 

table.   (>!".  Mélanges.  .  .publiés  à  l'occasion   du  '''  J.-H.  Albanès,  op.  cit.,  p.  385  et  suiv. 


r)3'i  LE  SE(;0\[)  .IK\.N  GOlil. 

(raiiéués,  de  lépreux,  etc.  Dans  un  dernier  chapitre,  deux  faits 
particuliers  ont  été  insérés  :  l'apparition  de  la  Madeleine  à  un  reclus 
de  Lyon  pour  lui  indiquer  l'emplacement  convenable  à  rétablissement 
d'un  couvent  de  Dominicains  dans  cette  ville;  et  «l'exorcisme  d'un 
'<  possédé  qui  se  fit  à  Lausanne  avec  une  relique  de  sainte  Madeleine 
Cl  venue  de  Vézelai,  pendant  letjuel  les  exorcistes  entendirent  le  démon 
M  se  moquer  d'eux ,  en  leur  reprochant  d'employer,  comme  authentique, 
Il  une  relique  ([ui  n'avait  rien  de  commun  avec  la  sainte».  —  Quel- 
ques-uns des  miracles  sont  datés:  le  yS*"  de  i3io,  le  85*  de  i3i3, 
(il  s'agit,  dans  ce  85*^  récit,  d'une  faveur  accordée  à  l'auteur  lui-même, 
alors  qu'il  se  rendait  au  Chapitre  général  de  i3  i3,  convoqué  à  Metz). 
Un  ancien  annaliste  de  Saint-Maximin,  le  P.  André  Lombard,  qui 
écrivait  pendant  la  première  partie  du  xviii^  siècle  d'après  des  sources 
perdues,  dit  d'ailleurs  que  Jean  Tiobi  avait  «  recueilli  les  miracles 
'<  arrivés  de  1279a  1 3 1 5  ». 

M.  Albanès  a  exprimé,  en  1880,  le  vœu  que  l'œuvre  de  Jean  Gobi, 
senior,  fût  livrée  à  l'impression  :  «C'est,  disait-il,  un  véritable  service 
«à  rendre  à  l'hagiographie  en  général  et  à  notre  histoire  locale  '"'.  » 
H  ne  paraît  pas  que  ce  vœu  ait  été  réalisé  depuis  quarante  ans.  —  Le 
manuscrit,  prêté  par  M.  de  Clapiers  avant  1887  ,  n'a  pas  été  retrouvé 
dans  sa  succession,  et  la  trace  en  est  perdue  '"■^'. 


II 

Jean  Gobi ,  junior,  sans  doute  neveu  du  précédent,  appartint  aussi 
à  l'Ordre  de  saint  Dominique.  Mais  sa  biographie  est  restée  long- 
temps plus  obscure  que  celle  du  prieur  de  Saint-Maximin. 

I.  Sa  vie.  —  Le  P.  Echard  considérait  que  l'on  n'avait,  pour  situer 
dans  le  temps  ce  second  Jean  Gobi,  d'autre  élément  que  la  dédicace 
de  son  livre  intitulé  Scala  celi  à  Hugues  de  Collobrières,  prévôt  de  la 
métropole  d'Aix;  encore  ignorait-il  les  dates  extrêmes  entre  lesquelles 
Hugues  de  Collobrières  avait  exercé  ces  fonctions'^'.  Quant  à  B.  Hau- 
réau,  il  penchait  encore  à  croire,  en   1891,  que  Jean  Gobi,  /H/iicr, 

'•''   J,-ll.  Albanès,  p.  iig.^.  —  '"'  Communiralion  de  M.  le  manjuis  de  Clapiers  à  M.  Alexaiulrt- 
<le  I. aborde  (df'c.  1919^ —  '''  Scri/itorcs  Orillni.^  Vreedicntoram ,  t.  F",  p.  633. 


SES  ÉCRITS.  535 

n'avait  jamais  (juitté  Alais;  et  citani  une  copie  de  la  Scala  cet! ,  datée, 
selon  lui,  de  «  i3oi  »,  il  semblait  par  là  rapporter  la  composition 
de  l'ouvrage  à  une  époque  antérieure  à  cette  année  ''>. 

Cependant,  dès  1880,  J.-H.  Albanès  avait  signalé,  dans  les  archives 
de  Saint-Maximin,  des  pièces  <|ui  établissent  que  Jean  Gobi  junior 
était  «lecteur.,  dans  ce  couvent  en  1827,  et  prouvé  que  Hugues  de 
Collobrières  a\ail  été  prévôt  d'Aix  de  182 2  jusqu'à  sa  mort  (5  fé- 
vrier i33o''^*).  Le  lecteur  de  Saint-Maximin  était  d'ailleurs  en  relations 
intimes  avec  la  famille  du  prévôt,  puisque,  du  8  octobre  1327  ^u 
12  février  1828,  on  le  voit  procéder  à  des  acquisitions  de  cens  comme' 
Itères  universalis  de  Béatrice  de  Collobrières'^'. 

Le  second  Jean  (iobi  fut  aussi  prieur  du  couvent  d'Alais,  sa  ville 
natale.  A  quelle  époque .^  En  1 323-1 32^,  comme  il  sera  établi  tout  à 
l'heure.  Mais  comment  se  fait-il  que,  prieur  dès  i323  à  Alais,  il  soit 
redevenu  simple  lecteurà  Saint-Maximin  en  1827  .^  Nous  le  constatons, 
sans  l'expliquer.  Qu'un  prieur  soit  redevenu  lecteur,  cela  n'a  d'ailleurs 
rien  d'impossible:  c'est  arrivé,  notaujment,  à  liernard  Gui.  Le  second 
.lean  Gobi  a  peut-être  trouvé  naturel  de  quitter  le  prieuré  d'Alais  pour 
rejoindre,  dans  ujie  position  subordonnée,  son  aîné  à  Saint-Maximin. 
Quant  à  la  date  de  sa  mort,  elle  est  inconnue. 

II.  Ses  écrits.  —  Le  nom  du  second  Jean  Gobi  est  attaché  à  des 
ouvrages  dont  le  succès  a  été  très  grand. 

\.  ScALA  CEu.  — On  lit,  dans  la  dédicace  de  ce  hvre,  certainemeni 
composé  à  Saint-Maximin  après  1822  et  avant  i33oW: 

Cum,  revertndc  pater,  inipossibile  sit  nobis superlucere (sic) divinum  radium  nisi  sul) 
velamine  simililudinis  et  figure  ; tiinc  est  quod  mentis  nostre  acies  invalida  in 

<''  B.  Ilauréau,  /Vo<,.«  cl  estraih  de  quelques  Ce  qui  précède  était  composé  lo«que  les 

manuscrits  latins  de  la  Bibliothèque  nationale,  épreuves  d'un  nouvel  article  de  G.  Huet    Le^ 

t.   n     p^335.  Opinion   formellement  adoptée  rédactions  de  la  .Scala  <eli..qai  doit  par'ailrf 

?^''J^-,^'f^^'^']''f,<;}'''^l"'ScalaCeli..d^s  dans    la    Bibliothèque   de  l'École    des    chartes 

h  Bibhotliequedeltcole  des  chartes,  l.LX^Yl  pour     ,^.o,     nous    ont    été    communiquées. 

(  '9»3).  P-  399.  —  L  ejiilictt  du  ms.  lat.  35o6  G.  Huel  y  reconnaît  son  erreur 
est   ams.  conçu  :   .  Iste  liber   fuit  scriptus   et  <'»  J.-H.  Albanès,  on.  cit.,  p.  3û4  et  suiv 

compilatus  Trecis  per  fratrem  Guillermum  de  cf.   Gallia  christ iana  uovissima,  t.  l"    col   165' 
Madliaco, Ordinis  Fratrum  Predicatorum,  Autis-  '''  Ibidem. 

siodorensem ,  anno  Domini  m»  ccc»  primo ,  in  die  <«)  C'est  d'autorité ,  et  sans  motif,  que  G.  Grô- 

beati  Georgu ..  Mais  un  quatrième c  a  été  giatté ,  ber,  Grundriss  der  romanischen  Philologie,  t.  Il 

au  mdlesime.  J.-H.  .\lbanès  (p.  4o3,  note   ,  )  a  1,  p.   a8o,  assigne  i  la  Scala  celi  la  date  de 

bim  lu  .  1401  ».  Lccrilure  est  de  colle  diilc.  i3i6. 


536  LK  SKCOM)  JKAN  GOBI. 

lani  ixcellenti  luce  non  figitur,  nisi  oani  aspiciat  per  simiiitudines  et  ixetnpla 

Quia  vero  videtur  animus  ad  cilrsfia  inhiare,  eo  quod  dtlectctur  narrationibus  et 
oxemplis  sanctorum,  idcirco  tgo.  .  .  hanc  Scalam  celi  composui  ut  per  eam  interduni, 
posiposito  alio  curioso  vcl  terreno  studio,  ascendamus  ad  conteniplandum  aliqua  dr 
rlernis. 

I,ateni  auteni  hujus  scale  sunl  duo,  secundum  duas  hujus  opcris  partes.  —  l'ri- 
rnuni  latus  est  cognitio  siipi'rnoruni  cuni  ainorc,  secunduni  cognitio  inferiorum  et 
pretcritorum  cuni  timoré.  Ex  primo  laterc  e\cluduntur  peccata  et  iecundantur  virlutts  ; 
sed,  ex  secundo,  breviter  radicantur  in  nu  nte  omnes  illustres  operationes  lacté  ah 
inicio  mundi  usque  ad  iiostra  tempora ,  secundum  aiuiorum  iiumeruin  et  septcm 
.étales. 

(îradus  autem  hujus  scale  sunt  diverse  materie  que  in  ea  secundum  aiphabeti  or- 
«linem  conlt'xuntur. 

La  Scalaceli  est  donc  un  recueil  d'exemples  édifiants  à  l'usage  des 
prédicateurs,  en  forme  d'historiettes  moralisées,  sous  des  rubriques, 
disposées  suivant  l'ordre  alphabétique,  telles  que  :  Abstinentia,  acedia, 
adidalio,  adulterium,  advocatns ,  amhilio ,  amicitia,  ainor,  anfjeli,  etc.  On  y 
a  compté  plus  de  six  cents  historiettes,  sous  cent-dix-neuf  rubriques. 
Le  nond)re  des  historiettes  et  des  rubriques  n'est  pas  du  reste  uni- 
forme dans  tous  les  exemplaires. 

Les  ouvrages  de  ce  genre  ne  sont  pas  rares,  comme  on  sait,  dans 
la  littérature  du  temps  :  il  suffit  de  rappeler  les  noms  de  Thomas  de 
Canlimpré,  d'Eudes  de  Cheriton  et  de  Robert  Holkot  ''.  Mais  que 
[)eiiser  de  celui-ci.^  —  D'al)ord,  le  nombre  des  exemplaires  manu- 
.scrits  ([u'on  en  a  ne  mesure  pas  exactement  la  popularité  dont  il  a 
joui.  Le  P.  Echard,  au  wiii""  siècle,  n'en  a  connu  que  trois.  Le  Cabinet 
des  manuscrits  de  la  Bibliothèque  nationale  n'en  possède  qu'un 
(lat.  3.S06),  avec  un  abrégé  (lat.  16517).  Quoique  M.  Albanès  ait 
allirmé  qu'"  il  ne  serait  pas  difficile  d'en  dresser  «  une  bste  assez  longue 
«  en  consultant  les  catalogues  »  '-*,  cela  n'est  qu'une  hyjîolhèse  ;  car,  en 
fait,  nous  en  connaissons  assez  peu  :  Lons-le-Saulnier,  n"  i  ;  Marseille, 
n"  98;  Metz,  n"  ^38;  Strasbourg,  n°  82;  Troyes,  n°  i345;  Bruges, 
n  "494  ;  Vienne  en  Autriche,  suppl.  2636;  Munich,  lat.  8976,  fol.  189. 
La  grande  popularité  de  la  Scala  celi,  principalement  en  Allemagne, 

'' Voir  J.  A.  Ilerbeil,  C'((/ii/o'yi(c  0/ lo/im/ict'.'i  des  autres  ouvraf^es   aiialo;(ues   sont    soigiieu- 

iii  ihe  (lepartment  of  manascripts  in  (lie  liritish  ment  décrits. 

Muséum,  t.  III  (London,  1910),  où  il  n'est  pas  <''  J.-H.  Albaiies,  op.  cit.,  |>.  4oa. 

>|m'slion  (le  la  Sailn  celi ,  mais  où   la   plupart 


SES  ECRITS.  537 

qui  n'est  pas  douteuse,  date  du  temps  où  l'iniprimerie  en  multiplia  les 
copies.  lien  parut  ainsi,  coup  sur  coup,  des  éditions  à  Lubeck  (i  476), 
à  LJlm  (i48o),  à  Strasbourg  (i483),  à  Louvain  (i485) '*'.  —  De 
nos  jours,  des  opinions  contradictoires  ont  été  exprimées  sur  la 
valeur  de  la  composition  dont  il  s'agit  :  «The  Scahi  celi  is,  after  the 
«  Gesta  Romanovam ,  ihe  most  intcresling  of  ail  the  mediaeval  story- 
M  books»,  dit  T.  F.  Crâne  *^';  «  livre  sans  mérite  »,  a  prononcé  B.  Hau- 
réau  *^'.  11  est  du  moins  certain  que  cet  ouvrage  contient  une  foule 
de  renseignements  intéressants  pour  l'histoire  de  la  littérature  com- 
parée et  du  folklore, 

11  est  certain  aussi  que  la  Scala  ccli  est  une  compilation.  «  Ne 
«  scripla  bec  legentibus  contempnantur  »,  dit  l'auteur  dans  sa  préface, 

I  in  Une  liujus  libri  auctores  et  hbri  ex  (|uibus  bec  extracta  sunt  po- 
«  nuntur  et  ordinantur  ».  Jean  Gobi  a  pris  garde,  en  elïét,  d'indiquei 
expressément,  dans  un  paragraphe  à  part '*\  ses  sources,  qui  sont 
les  Vitœ  Patruni,  saint  Jérôme,  les  Dialogues  de  saint  Grégoire,  les 
Fleurs  des  Saints,  les  Histoires  scolastiques,  le  Spéculum  exemplorwa 
de  Jacques  de  Vitri,  la  Somme  de  frère  Vincent  [de  Beauvais  j,  le  Livre 
De  scpteni  doms  d'Etienne  de  Bourbon,  le  Marialc  maynum,  le  Libev  de 
vita  et  perfectione  Fratrum  Predicutorum,  YAlpItabelam  narrationam.  Ha, 
en  outre,  utilisé  ou  cité,  çà  et  là,  une  foule  d'autres  ouvrages  :  Pierre 
Damien,  Pierre  Alfonse,  Hélinand,  les  Miracula  beali  Dominici,  les 
Gesta  comitis  Monlisjorûs ,  etc.  Il  apparaît  par  là  que  la  bibliothèque 
de  Saint-Maxim  in,  ou  celles  auxcjuelles  l'auteur  a  eu  accès,  étaient 
fort  bien  montées  **'. 

Jean  Gobi  ne  s'est  pas  interdit,  du  reste,  de  recourir  à  d'autres 
sources  :  «  Aliquando  aliqua  inserui  applicando  ad  mores  vel  reci- 
"  tando  que  ita  scripta  non  reperi,   sed  iu  predicationibus  audivi.  » 

II  a  même  inséré,  à  l'occasion,  quelques  phrases  dans  la  langue  vul- 
gaire de  son  pays,  c'est-à-dire  en  provençal  '^'. 

'"' M"' Pellechet,  C'afa/ojfue  jfe'ne'ra/ d«  incii-  '*' Bibl.  nal.,  lat.   35o6,  fol.    94-    Passage 

imhles    des    bihlinthéques    publiques  de  France,  imprimé  par  G.  Huet, /oc.  ci*.,  j).  agg-Soo. 

t.  III  (1909),  p.  594.  ''■'  Voir  le  Catalogue  de  cette  bibliothèque 

'-' T.  F.  Crâne ,  The  Exempta  of  Jacques  de  en     i5o8   (Archives    des   Bouches-du-Rhône, 

Vitry  (London,    1890,  p.  i.xxxix).  Quarante  B  iaa6). 

des  six  cents  historiettes  de  Jean  Gobi  se  re-  ''^'  Deux  passages  en  provençal  ont  été  relevés 

trouvent  d'ailleurs  dans  les  Gesta.  par  J.-H.  Aibanës,  p.  4oi  ;  cf.  Revue  des  langues 

'■'  Loc.  cit.,  p.  335.  romanes,    1881  ,  p.  101,  et  Romania,  t.    XLV 

HIST.   l.ITTKI».  —  XXXV.  68 


538  LE  SECOND  JEAN  GOBI. 

Toutes  ces  historiettes  sont  racontées  sous  une  forme  assez  claire, 
mais  très  sommaire,  et  parfois  peu  intelligente  '"'. 

A.  Hilka  a  annoncé  récemment  une  nouvelle  édition  de  la  Scala  celi 
dans  sa  Collection  de  textes  latins  du  moyen  âge  [Sammianfj  mittel- 
lateinisclier  Texte.  Heidelberg,  depuis  1912).  De  son  côté,  G.  Huet 
a  institué  une  comparaison  entre  l'édition  incunable  et  les  deux 
manuscrits  de  la  Bibliothèque  nationale'^'.  Il  a  conclu  de  cette  com- 
paraison :  1"  que  le  ms.  lat.  35o6,  plus  bref  que  l'édition,  n'est 
pas  un  abrégé,  mais  représente  une  première  rédaction,  primitive; 
2°  que  Jean  Gobi  est  l'auteur,  non  seulement  de  la  première,  mais 
de  la  seconde  rédaction,  celle  des  éditions;  3°  que  le  ms.  lat.  iGSiy 
«  serait  une  copie  corrigée  d'une  troisième  rédaction  de  l'ouvrage,  faite 
aussi  par  l'auteur  lui-même»,  après  la  première  et  avant  celle  des 
éditions.  Mais  il  manque  à  G.  Huet  d'avoir  pris  connaissance  de  tous 
les  manuscrits  conservés,  ce  que  l'éditeur  a  fait  ou  fera  sans  doute. 

2.  Dt:  spiRiTU  GviDONis.  —  Tel  est  le  titre,  dans  l'incunable  paru 
à  Delft  en  i486,  cliez  Jacobszoon  van  der  Meer '^',  d'un  opuscule 
dont  les  exemplaires  manuscrits,  qui  présentent  entre  eux  des  dif- 
férences, sont  nombreux  dans  les  bibliothèques  anciennes  (Inc.  : 
«  Ouoniam,  ut  dicit  Augustiuus  in  libro  de  Fide...  »). 

iiii8-i()i()   ,  |>.    i56.  —  Kn  \oici  eiicoiT  un  '''  T.  F.  (irane  en  a  ia|i|)roclic  plus  de  soi- 

ylat.   35o6.   fol.   3^   v°,  sous    le  mot    (Iorea).  \anle-dix  des   Exeinphi  de   Jacques    de    Vitrv 

Jean  Gobi  raconte  là,  d'après  le  De  M /)/("/im/(ihi>  .  qu'il   a   publiés.  —   \  oir   aussi,    notamment, 

l'histoire  des  danseurs  engloutis  dans  lenfer  :  A.  Mussalia,  dans  les  Sitzuiijsbericlitc  du  l'Aca- 

,  ,  .  ■.  ,  ,1  .     ,       „  demie  de  Vienne,  t.  LXIVfiSvo),  p.  6n3,  cl 

•  In   quadam  cintate    consuetudo  erat   ut  coree  f^v^r      t -l        j     i       c-         ci-        j      n 

ducerenlur  por  villam,  et  juvenes  cum  larvis  lur-  t-  ^^^  ;    Lxbro  de  los  Swtc   Snbu>s    de   Homo. 

pissimc  starent  super   ligneos  equos.   Cum   autem  Novela  Iniducida  de  latin    {de  un  libro  llnmad» 

qui<lam  predicali>r  lios  reprehendisset  eo  quod.  .  .  Soihi  Cirll)  en  romance  por  Dieyo  de  Caiiizares 

in  plalea  civitatis  in  quadam  sollerapnilate  coreiia-  (Madrid,  iSija.  «  Sociedad  de  Bibliofilos  Kspa- 

n-nl,  venil  quedam  muititudo  demonum  in  specie  noies.);   Zeitscbrift  fur   romanbrhe  Philologie, 

juvenum  et  mulieruni  coreiîando,  et  niisriierunt  se  ^    \W'|I     i(n3     n.  46o'  et  G.   Huet    articles 

loreiianlibus  iliis  de  illa  civitale.  Et  unus  illnrum  ...  '      .        '  1 

demonum  incepit  rantarc  et  dicere  sic  :  ,,,'   „■,,■  ,,  ,  .    ..r'.     ,     j         .      , 

'^  '"'   liibUolkeque  de  l  hcole  des  rharles ,  ic^'io, 

Aysels  qui  mi  enamat  [lisez  an  amatj.  p.   3o5-3  i  o. 

Per  mi  sera[n]  desonrat.  (>)  ^ii.  PeUechet,    Cataloifue  cité,   n*   527a. 

De  mon  joc  avcU  usât;  ^■^^^^  ^,IHj^^  ^  ^^^  reproduite,    plus  tard,  en 
Per  so  vulri  qu  en  siati  nasal.  •  i-        i-     .  1  b    îi 

'  '   '  a])pen(ii(e  (1  autres  ouvTaf;es(n.  Ilaureau,   (ip. 

Le  copiste  du  ms.  lat.  3,')o6,  Guillaume  de  ri'r.f.  Il,  p.  33a;  cl.  lUbliolhéqac  de  l'Ecole  des 

Mailli ,  a  noté  qu'il  ne  comprenait  pas  tes  pas-  charlef ,  1891,  p.  45t)-  La  pagination  de  l'exeni- 

sages  en  laiitrue  >ul^'aire:  «  Nescio  quid  est  hoc  plaire  de  la  Bibliothèque  nationale  est  Iroiihlée 

dictum.  »  après  la  sitrnature  b  m. 


SES  ÉCRITS. 


539 


Cet  opuscule  a  eu  la  bonne  fortune  d'attirer  l'attention  de 
B.  Hauréau  qui  en  a  fait  connaître  en  i89o,daprès  quelques  exem- 
plaires ('),  une  forme  très  analogue  à  celle  qu'olfre  l'édition  incunable. 
G.Schleich,en  1898,53118  avoirentendu  parler  du  travail  d'Hauréau, 
a  publié  ce  texte  une  fois  de  plus,  d'après  d'autres  manuscrits  (^). 

B.  Hauréau  savait  qu'il  en  avait  été  fait,  dès  le  xiv«  siècle,  une  tra- 
duction en  prose  française  '^'.  Mais  il  ignorait  que  le  De  spiritu  Guidonis 
eut  eu  un  succès  extraoïdinaire,  vraiment  européen  ,  pendant  plus  de 
deux  cents  ans.  Non  seulement,  en  ellet,  il  en  existe  une  traduction  en 
prose  française,  mais  Jean  Baudouin  de  Hosières-aux-Salines  en  a  fait 
entrer,  au  xv'^  siècle,  une  paraphrase  en  vers  français,  à  titre  d'épisode, 
dans  la  cinquième  partie  de  sa  monumentale  Instruction  de  la  Vie 
mortelle  '*'.  H  en  existe  aussi  des  traductions  et  des  paraphrases 
anciennes,  prose  ou  vers,  en  haut-allemand ''',  en  bas-allemand <"' 
en   moyen  anglais  '^',  en  suédois '«',  en  gallois'",  en  catalan""'. 


'"'  Il  a  indiqué  (dans  le  Recueil  des  Nolues 
et  exlniits  des  manuscrits,  t.  XXXIlf,  i"  p., 
1890,  p.  1 1 1 ,  et  dans  ses  propres  Notices  et 
extntils  de  quelques  manuscrits  latins  de  la  Bi- 
bliothèque nationale,  t.  Il,  1891,  p.  339)  les 
manuscrits  suivants  du  texte  latin  de  cette 
rédaction,  à  propos  de  lexemniaire  dont  il  se 
servait,  lat.  1  .'^tioa  (!.■  la  BU)liothèque  natio- 
nale : 

Bibl.  roy.  de  Bruxelles  n°'  i5'!i,  4361,  8769. 
British  Muséum:  Vesp.  El,  fol.  219-230;  \  esi). 
A  VI,  fol.  i34-i40;  llarl.  2879,  loi.  73-80.  Oxford, 
C.C.C,  n°  218.  Oxford,  Mertoti,  n"  i3.  Vatican! 
Bibl.  palatine,  n°  397. 

B.  Hauréau  ne  savait  pas  que  H.  Brandès 
avait  publié,  dès  1887,  dans  le  Jahrbuch  des 
Vereins  fur  niederdeutsctie  Sprachjorscliuny , 
t.  XIII,  p.  83,  une  liste  de  manuscrits  latins 
du  De  spiritu  Guidonis.  H.  Brandès  cite  là  des 
manuscrits  conservés  dans  les  bibliothèques  de 
Berlin,  de  Kiel,  de  Mulhouse,  de  Munich, 
d'Osnabrûck ,  de  Wolfenbùltei. 

•''  G.  Schleich,  The  Gast  oj  Gy  (Berlin, 
1898).  T.  I"  de  la  Collection  Palœstra,  publiée 
sous  la  direction  d'Alojs  Brandi  et  Eric 
Schmidt.  —  G.  Schleich  s'est  servi  de  trois 
manuscrits  seulement,  et  en  cite  quelques 
autres  (Fairfax,  n"  a3;  etc.). 

Un  assez  grand  nombre  de  manuscriu  n'ont 
été  connus  ni  de  Brandès,  ni  d'Hauréau,  ni  de 


Schleich.  Citons,  entre  autres,  au  British  Mu- 
séum :  Old  Royal  Mss.,  7  B  xiii,  fol.  239-344; 
Additionai  Manuscripts ,  n°  34 1  ^3 ,  foL.i o  1  - u)6. 
'^'  H  en  signale  trois  manuscrits  (Vatican, 
Bef^in.    1389;  Bibl.  nat.,  fr.   iSaiy,  qui  est 
incomplet;  Arsenal,  n°  2680).  Ajoutez:  Cam- 
brai, n°  2i3,  fol.  i58  ,  et  Troyes.  n°  i465 
'*'  Romania.  t.  XXXV  (1906),  p.  552. 
'''  H.  Brandès,  lac.  cit.,  p.  84. 
'*'  Ibidem.  —  Une  preuve  de  la  popularité 
du    De    spiritu    Guidonis   en    Allemagne    au 
XV'  siècle  est  l'usage  qu'en  a  fait  Hermann  Kor- 
ner  dans  sa  Chronica  novella  (éd.  I.  Schwahii, 
Gôltingen,  1895). 

'''  Traduction  en  prose  et  paraphrase  en  octo- 
syllabiques.  L'une  et  l'autre  ont  été  publiées 
par  C.  Horstmann,  Richard  Rulle  de  Humpolc 
and  hisJollowers,t.  II(London,  1896),  p.  292, 
et  dans  l'ouvrage  cité  de  G.  Schleich.  Zupitzà 
s'est  intéressé  aussi  à  cet  ouvrage  (  Literarisches 
Centratblatl .  1897,  col.  GSy).  —  Sir  David 
Lyndsay,  roi  d'armes  d'Ecosse  (i490-i555), 
dit,  dans  i'épitre  liminaire  de  son  poème  intitule 
The  Dreme,  comment  il  amusait  le  jeune  roi 
Jacques  V  en  chanUnt,  en  dansant,  en  contre- 
faisant le  diable  ou  «the  greislie  (iaislof  Gye.. 
Cité  par  W.  H.  SchoGeld,  ,]fytl,ical  bards  and 
the  lifc  of  William  Waltace  (Cambridge,  Mass., 
1920),  p.  42. 

'•'""''     '*'    H.  Brandès,    loco   citato,   p.  85. 
68. 


5'j()  LE  SECOND  JEAN  GOBI. 

Enfin,  B.  Hauréaii  a  étudié  la  forme  du  De  spiritu  Guidonis  qu'il 
connaissait  sans  soupçonner  qu'il  y  en  eût  une  autre.  Or,  il  y  en  a 
une  autre,  certainement  antérieure  et  primitive,  et  qui  fournit  la  clé 
de  faits  inintelligibles  sans  son  secours.  On  ne  peut  pas  dire  que  cette 
rédaction  soit  tout  à  fait  inconnue,  car  quelques-uns  des  manuscrits 
qui  font  conservée  ont  passé  dpj)uis  trente  ans  sous  les  yeux  d'érudits 
apparemment  qualifiés  pour  en  tirer  parti  (G.  Schleich,  A.  Bardon). 
(leiHMidant  la  valeur  n'en  a  pas  encore  été  misé  en  lumière.  Il  convient 
d'en  parler  d'abord. 

Le  manuscrit  j  i-3-2  de  la  Bibliothèque  universitaire  de  Barcelone, 
qui  contient  une  traduction  en  catalan  du  texte  le  plus  répandu  du 
De  spiritu  Guidonis  '",  présente  (fautre  part  —  dans  un  cahier  distinct, 
(lui  ne  faisait  pas  partie  du  manuscrit  primitif —  une  rédaction  en 
latin  (le  la  même  historiette,  qui  en  diflère  beaucoup.  Elle  est  insérée 
dans  une  lettr«>  d'un  catalan,  frère  Beiiiard  de  Ribera,  de  l'Ordre  des 
frères  Prêcheurs,  familier  du  cardinal  de  Pellegrue,  à  févêquc  Gui 
(l(^  M  ijorque. 

Voici  le  commencement  de  cette  lettre  '"^'  : 

llevenndo  in  Cliristo  patri  domino  (luidoni,  Dei  gratia  opiscopo  Majoricarum 
nicnon  et  fotius  sacre  pagine  egregio  prolessori  ''',  suus  in  oninil)us  fraler  Beinardus 
lie  Hiparia,  Ontinis  Predicalonini ,  familiaris  reverendi  palris  aniici  vestri  carissiini 
<loinini  eardinalis  de  Peiiagrua,  se  toluni  cum  recomendacione  tiuinili  ac  devota. 

llevennde  pater  ef  domine,  vobis  scribere  et  signilTicare  voliii  ipicddam  mirabile 
(|uo<l  non  recordor  me  audisse  née  legisse  ita  continualum  diutine  sicut  in  pre- 
srnti  rutulo  ronlinetur.  Que  omnia  pleiiarie  veritatem  continent  secundum  (|Uod 
(tomino  Summo  t\>iitiflici  est  Iiosfiiisnm  et  dominis  cardinalil)us  per  rotulum 
infrascriptum. 

—  '•'  Dans  un  manuscrit  des  premières  an-  a,  y.  lua.  —  La  traduction  catalane  a  été  pu- 
iiées  du  XV*  siècle.  (|ui  appartient  à  la  Shrews-  hliée  depuis,  d'après  ce  manuscrit,  parR.Miquel 
Imrv  School.  Voir  le  tome  I"  des  Reports  on  y  Planas, dans  son  recueil  intitulé;  lAetfcndes  de 
innmi^cviph  in    thc  WeUh   Innjnn'je ,   p.    1117.  /'n/Jni  riWn  ( Barcelona ,  i()i/|),p.  17.'». 

—  '"■'   Ms.  n°  3ii   des  Carmes  dérliaussés  de  •''  Voir  la  note  précédente. 

Barcelone,  aujourd'Itui  à  la  Biiiiiothèque  de  ''*  D'après  la  copie  que  nous  devons  à  l 'obii- 

rUniversité  de  cette  ville.  —  Ce  manuscrit,  si-  geance  de  M.  F.  Valls-Taberner,  des  .\rcluves 

1,'nalé  par  le  P.  Villanueva  (  Vinje  lilerario  à  les  de  la  Couronne  d'Arapon. 

ù/foi'io  dr  Ë':pnnii.  t.  XVIII,  p.  34i)<   *  ^'*'  ''  '^.e  carme  Gui   Terrien,   de   Perpignan, 

idenlilié  à   la   Ribliollièqno  di-  l'Université  de  évècjue  de  Majorque  (  1  ,^3  1 -iSSî),  qui  aura  sa 

IVircelone  par  \.  Morcl-Kalio,  dans  le  Giuiiiliis^  notice  dans  notre  i-ecueil. 

i/<7-  roinnnisriien  l'hilologie  de  G.  Grôber,  t.  Il, 


SES  ÉCRITS.  541 

Suit  le  texte  du  «  rouleau  »  annonce,  procès-verbal  qui  est  précisé- 
ment la  rédaction  nouvelle  que  nous  nous  proposons  de  taire  connaître. 
La  lettre  s'achève  en  ces  termes  : 

Bene  vaieat  vestre  reverencia  paternitatis,  quam  consenet  Dominiis  per  tempora 
longiora.  Datum  Avinione,  in  festo  beati  Georgii  martiris  '". 

Conventum  nostrum  Majoricarum  vestre  gracie  recomendo.  Dominas  meus  cardi- 
iiaiis  dePeiiagrua  miiltum  vos  comendat  et  tiabet  vos  pro  certo  in  visceribus  caritatis 
et  totum  Ordinem  vestmm,  quare  pUiceat  vobis  quod  pro  ipso  orelis  et  orare  faciatis 
et  pro  me  f'amulo  \estro.  Deo  gratias.  Amen. 

Le  même  procès-verbal  a  été  transcrit  dans  le  manuscrit  167  de 
Ripoll,  conservé  aux  Archives  de  la  Couronne  d'Aragon,  à  Barcelone 
(xiy"  siècle,  sur  papier)  i^'.  Là.  il  n'est  précédé  d'aucun  préambule; 
mais  il  est  suivi  d'une  note  ainsi  conçue  '^  : 

Revelationem  raissam  domino  Sunmio  Pontifici  et  dominis  cardinalibus,  lectani 
in  pleno  Consistorio,  ego  frater  Beniardus  de  Riparia  mito  vobis:  inno  Domini  M 
CGC  XX'  m-,  etc. 

Scire  vos  volo  quod  frater  Petrus  Caiterii,  procurator  Ordinis,  diiit  michi  in  \' 
die  f'ebruarii  quod  dominus  Papa  mandavit  sibi  qiiod  predictus  frater  Johannes  Gobi, 
prior  Alestensis,  cum  melioribus  personis  tocius  ville,  inquisitionem  diligenter  fa- 
ciant  '^'  sub  juramento,  requisiti  ab  Hlis  qiii  audierunt  illam  vocem  quod  diligentissime 
inquirerent  si  ibi  est  vel  iatet  aliquid  figurationis.  l'nde  de  piedictis  que  vobis  mito 
firma  fides  invenitur  per  testes  innumeros  fidedignos.  Et  fratres  eciam  inissi  sunt  de 
Avenione  qui  inquestam  redactam  in  formam  publicani  représentent  domino  nostro 
Pape  et  coiiegio  dominonmi  cardinalium.  Nam  adhuc  illa  vo\  continuatur;  et  sive  a 
l>arbaris  Angticis,  Scotis,  Alamaimis,  interrogetur,  unicuiqiie  dat  responsionem  in 
cujuslibet  proprium  idioma. 

Frère  Bernard  de  Ribera  n'est  pas  le  seul  hôte  de  la  Curie  qui, 
ayant  eu  communication  du  procès-verbal  en  question,  en  ait  envoyé 
copie  dans  son  pays  ou  à  ses  confrères.  Le  même  procès-verbal  a  été 
copié,  au  moyen  âge,  dans  un  manuscrit  de  la  Chartreuse  de  Bellary, 
au  diocèse  d'Auxerre  '^'  ;  il  est  probable  qu'il  avait  été  adressé  aux 

m  ^e  r^t  '■  '  ^'■^"^  t  '''  ^*"'  1*  commune  de  Chàteauueuf-\"al-de- 

l-ol   78  V  .  —  Voir  sur  ce  manuscrit,  les  Bargis  (Nièvre).  —  Une  transcription  de  cette 

.^Uzungsberuhte  de,-  k.   Akadem.e  der  Wissen-  partie  du  manuscrit  de  la  Chartreuse  de  Bellarv 

schajten  m  M  ,en  .  Phil.  -  hist.  Klasse,  t.  CLXIX  (cité  doripnal.  sombie-t-U,  jw  labl.e  L.  Char'- 

(>)*r  ' '''  ï^M    u-   1-  Il    -r  L  '*"''•    ^*^   dernier  historien   de   cette    maison, 

Copie  de  M   t .  \  allâ-Taberner.  mais  dont  nous  n'avons  pas  réussi  à  déterminer 

61e,  pour  .lecerunt..  le  sort  actuel)    se  trouve  dans  les  papiers  do 

3  7 


542  LE  SECOND  JEAN  CiOBl. 

Cliailreiix  de  Bellary  par  un  de  leurs  correspondants  en  Avignon. 
D'autre  part,  maître  Jean  de  Uosse,  évêque  de  Carlisle  (dont  le  pré- 
décesseur mourut  le  i"  novembie  i324),  fit  tenir  d'Avignon  ce 
document  à  l'archevêcjue  de  Cantorbéry,  Walter  Reynolds  (t  16  no- 
vembre 1327)'''.  Un  autre  exemplaire  parvint  encore, à  notre  connais- 
sance, en  Ecosse,  où  Walter  Bower,  le  continuateur  dix  Siuticlironicon 
de.lean  deFordun,  l'inséra, au  xv"  siècle,  dans  sa  Chronique'"-'.  Enlin 
le  procès-verbal  a  été  connu  aussi,  de  bonne  heure,  en  Italie,  puisque 
le  chroniqueur  llorenlin  Villani  en  a  eu  vent  '■'l 

Dans  le  manusciit  écossais  que  Bower  a  transcrit  pour  sa  conti- 
nuation de  la  Chronique  de  Jean  de  Fordun,  le  texte  du  rouleau  était 
précédé  d'un  billet  de  l'expéditeur  anonyme  à  un  prélat  non  dénommé, 
en  ces  termes  : 

Sciil)it  iralor  Joliaiines  (îoby  domino  Joliaiini  XXII,  summo  puiitifiri,  su!)  atles- 
lalioiu'  sigilli  communis  civilalis  Alesli,  quoddam  quod  scquilur  niiratiile  prope 
(iUriani  Romanam,  de  (|Uo  stupor  magnus  exortus  est  in  partibus.  Mira[n]tur 
eccitsia,  dominus  Papa  tt  taidinaies  de  quodam  spirilu  cujusdain  l>oni  liominis  <|ui 
dcct'sserat,  cujus  spiritus  frequenttr  auditus  est,  et  non  tantuni  in  secreto,  sed 
pnsenlibus  tam  rriigiosis  (jiiani  laïcis  in  mulliludinc  copiosa,  et  non  lantuni  semel 
vel])i,s,  sed  eliani  pluries,  (juia  loties  venit  ad  locum  ul)i  manere  consuevit.  Iden 
l'acte  siint  sibi  inlei  rogationcs  pcr  viros  religiosos  et  fidedigiios.  Et  quomodo  inquit , 
respondit,  et  copiam  responsioii[um]  ipsius,  vestre  sanctilati  tiansniitto.  Ad  secretiora 
vero  (|ue  de  mysteriis  fidei  suiit  est  inlerdicta  sibi  poteslas  ut  débet  (iic)  respondtrc, 
etc.  —  Senipcr  conservet  vos  Clnistus  ad  regimen  ecclesie  sue. 

Les  excm()laires  du  rouleau  commencent  ])ar  :  «Anno  Domini 
1  millesimo  trecentesimo  vicesimo  tertio,  in  feslivitatibus  Natalis  Do- 
.1  mini  M,  ou  par  :  «  Ego  frater  Johannes  Gobi,  prior  Predicatorum  in 
«  conventu  Alestensi,  rogatus  per  meliores  homines  de  Alesto.  .  .  ». 

riiilibc^rl  (io  La  Maiv,,  conseiller  au  Parlement  note  :  «  Nolandum  quoil  in  lileia  quadam  missa 

de     Dijon,    à     la     Bibliollièc|ue    de     l'Arsenal  archicpiscopo  Canluariensi  (e»  morjfe  :  Waltero 

(nis.  tSiio,  fol.    11)8).  —  (ielte  Iranscripliuii,  Rej^inaldi)  de  (!iiria  lioniana  ab  e[)isco|Ki  Kar- 

quioHVe des  lacunes,  a  été  assez  incorrccleinent  leolensi,  videlicet  mafjistro  Johanne  de  Hosse, 

publiée  par  A.  Bardon,  uft.  cit..  p.  yo4-20().  continebatur  quoil  sequitur.  »  —  La  pbolo;,'ra- 

L'ouvrai^e  del'abbé  L.  Cliarraull  a  été  pui)lié  phie  de  ce    texte    est   à   la     l^ibliolhè(|ue    des 

i\i\ns  le  liuUclin  de  lu  Sniiclé  invpiniiisc  des  Icllrc.': ,  .\rchives  nationales,  sous  la  cote  M  m   lit). 

.<cic'«c«  £'(  ((/'(i,  t.  XXII  (  1  ()<)8),  p.  38()-47*>.  '■'  Jolmnnis   de    Forduii   Smlichrnnicon ,   éd. 

'''  Le  tevte  abréf,'édu  procès-\erbal,  transcrit  \V.  (ioodall,  I.  Il  (Kdinburj^i,  1759).  Reproduit 

dans  le   nis.    Harléien   ()  1 2   (fol.   3.'Vj    /)-335j  par  G.  Sclileich,  op.  ci/. ,  p.  i.\. 

du   Musée  britannique,  y  est  précédé  de  celle  '''  (.f.  plus  loin,  p.  ôSf),  note  i. 


SKS  ECHITS. 


543 


Mais  c'est  en  véiilé,  dans  lous  les  cas,  le  même  incipit  :  «Ego,  frater 
«.fohannes  (iohi»,  précédé  ou  non  d'une  date.  On  reconnaîtra  à  ces 
mots  les  exemplaires  nouveaux  qui  restent  peut-être  encore  à 
signaler'''. 

Analysons  maintenant  ce  document  singulier,  dont  l'auteur  s'est 
ainsi  nommé,  sans  ambiguïté  possible,  dès  la  première  ligne*^'^'. 

La  scène  est  à  Alais'^',  en  décembre  iSaS  et  janvier  i324'*).  Un 
honorable  bourgeois  de  cette  ville,  nommé  Gui  du  Tour*^),  est  mort 


'''  iNotoiis  en  passant  que,  d'après  un  des 
inanuscrils  de  Barcelone,  Jean  Gobi  avait 
adressé  d'iil)ord  son  procès-verbal  à  frère  Pierre 
Gantier,  piocureur  de  l'Ordre  de  saint  Domi- 
nique en  cour  de  Home  : 

Annci  Doinini  millesiino  trecenlesimi)  viccsimo 
lercio,  in  lèsli\ilatil)iis  Nalali's  Dominl,  Iratcr  Jo- 
hannt's,  Ordlnis  Piediratoruin,  prior  in  convenlu 
lie  Aleslo,  srri()sit  fralri  Peiro  Galterii,  procura- 
lori  Ordiiiis  predicii,  evislcnli  in  Romana  Curia, 
omnia  que  ^eciintur 

D'après  le  manuscrit  écossais,  l'envoi  avait 
été  fait  à  Jean  XXII  directement,  siili  nltesla- 
lionc  si(jiHi  cnmnim  civitatis  Ale^ti.  11  est  vrai- 
semblabii'  (pie  ces  renseignements  sont  exacts 
l'im  et  l'autre. 

•''  Nous  suivons  les  manuscrits  de  Bellary 
l't  de  Barcelone,  en  tenant  compte  du  texte  de 
W  .  Rowci-,  qui  contient  un  passage  de  plus  au 
pnilieu  et  qui  est  tron(|ué  à  la  lin. 

'^'  H.  Brandès,  dont  l'article  est  intitulé 
(iiiido  voit  Alet,  a  cru  qu'il  s'agissait  de  la  ville 
c'piscopale  d'Alet  (.\ude).  G.  Schleich  s'est 
l'scrlmé  assez  longuement  dans  i'Archiv  de 
Herrig,  t.  XCVIll  (181,7),  P-  ^ç)»,  pour  dé- 
montrer qu'il  s'agit  d'Alais  (Gard);  ce  qui  est 
(•vident. 

Il  est  spéciliédans  la  rédaction  remaniée  que 
la  «civitas  Alesti»  est  à  vingt-quatre  (ou  trente) 
milles  (ou  li('ucs)  de  la  Cour  romaine,  c'est- 
.i-diro  d'Avignon. 

Le  dernier  érudit  qui  ait  parlé  de  l'Esprit 
de  Gui,  W.  H.  Scholield  écrit,  dans  son  ou- 
vrage cité  (1930)  :  «Guy  was  a  citizen  of 
Alexti,  near  Bayonne...»  Pour  s'expliquer 
celte  sin^'ulière  afFu-mation,  voir  plus  loin, 
p.  55/j,  note  3. 

'''  Les  manuscrits  de  Barcelone  et  la  Chro- 
nique de  Bower  ont  «  iSaS  »,  celui  qui  dérive 


de  la  lettre  de  l'évêque  de  Carlisle  et  celui  de 
Bellary  f  i334  ••  —  Les  manuscrits  de  la  rédac- 
tion la  plus  répandue  offrent  des  millésimes 
variés:  1 .5 1 /i,  i  S-îS,  iSi^i,  .334,  K^-iLMais 
il  est  à  remarquer  que  la  plupart  des  exem- 
plaires s'accordent  à  indiquer  un  millésime 
qui  se  termine  par  un  4;  les  leçons  i3i4 
et  1 334  sont  pour  1 324  >  par  omission  ou  addi- 
tion d'un  X.  —  .lean  Baudouin  de  Bosières- 
aux-Salines,  qui  a  versilié  en  français,  au 
xv*  siècle,  l'histoire  du  Bevenant  d'Alais,  la 
date  aussi  de  1 3a4  (  nom<ini(i ,  loc.  cit. ,  p.  55^  ). 
B.  Hauréau  a  adopté  la  leçon  «  i333»,  parce 
qu'elle  est  fournie,  dit-il,  par  le  plus  ancien 
manuscrit  (Vesp.  K  1)  ;  mais  les  maïuiscrits  ne 
sont  pas  datés  ;  Vesp.  E  1  est  du  commence- 
ment du  XV*  siècle  ;  et  il  est  clair,  dans  ces  con- 
ditions, (pie  l'argument  n'a  pas  de  force  pro- 
bante. Cependant,  il  tombe  juste. 

'*'  Dans  plusieurs  manuscrits  de  la  rédaction 
commune  les  scribes  n'ont  gardé  <pie  le  pré- 
nom,  en  supprimant  le  surnom,  d'une  lecture 
embarrassante  ou  douteuse.  Dans  ceux  où  le 
surnom  est  rapporté,  on  lit  de  Tornu,  tic  Tniu-iin 
ou  de  Ttirno,  de  Curno  ou  de  Corvo.  Les  ma- 
nuscrits de  Barcelone  et  le  manuscrit  Har- 
léien  ()i-j  portent  nettement  «Corvo».  Il  n'\ 
a,  bien  entendu,  aucun  compte  à  tenir  de  la 
forme  «Gui  de  Tarnol»,  <pii  est  dans  certains 
exemplaires  delà  traduction  (ranc^aise  en  jirose 
(Cambrai,  n°  a  10),  ni  du  «  Guido  vanTermen  » 
des  traductions  en  bas-allemand. 

A.  Bardon  restitue,  arbitrairement,  «de 
Tournon  »  ;  P.  Meycr  propose  aussi ,  de  son 
côté,  cette  restitution  hypothétique  (Roiiuinia. 
loc.  cit.,  p.  55a).  Mais  il  y  a,  dans  le  départe- 
ment du  Gard,  des  lieux  dits  «La  Tour»  ou 
«Le  Tour»,  dont  Tiirniim  est  le  nom  ancien. 
Le  surnom  de  Corvo  [de  Corp';  a  été  porté  à 


544 


LE  SECOND  JEAN  GOBI. 


récemment.  Mais  la  veuve  entend ,  la  nuit,  la  voix  du  défunt.  Sur  l'avis 
de  ses  voisins,  qui  l'entendent  aussi,  elle  est  allée  consulter  les  Frères 
Prêcheurs.  Le  prieur  Jean  Gobi,  qui  raconte,  accompagné  de  frère  Jean 
Bonafous,  «  lecteur  en  philosophie'''»,  de  frère  Déodat  Durand,  de 
frère  G.  Raoul  de  Millau,  et  de  plus  de  cent  séculiers,  dont  le  sei- 
gneur d'Alais  et  maître  Pierre  de  la  Bruguière,  notaire'^',  se  transporte 
sur  les  lieux.  Toutes  les  précautions  ayant  été  prises,  jusque  sous  les 
tuiles  et  dans  les  environs,  pour  éviter  la  fraude  et  l'illusion,  et  infor- 
més que  la  voix  part  de  la  chambre,  voire  du  lit  du  défunt,  les  quatre 
moines  s'enferment  dans  ladite  chambre,  chacun  avec  sa  lanterne,  et 
s'assoient  en  rang  d'oignon  sur  le  lit  mortuaire,  en  récitant  les  neuf 
lectiones  mortuorum  cuin  Utania.  Ils  étaient  seuls  dans  la  maison  avec  la 
veuve,  qui  était  couchée  et  qu'ils  avaient  eu  soin  de  flanquer  d'une 
duègne,  ncforsilan  posset  nobis  frandem  aUcjuamfacere.  Le  prieur,  sans 
en  avertir  personne,  s'était  d'ailleurs  muni,  à  tout  hasard,  d'une 
hostie  consacrée.  Cependant  un  souflle  passe,  comme  un  bruit  de 
balai  sur  le  sol,  et  la  veuve  s'écrie  :  «Le  voilà!»  Une  voix  se  fait 
entendre,  en  effet;  elle  est  faible,  mais  distincte  :  c'est  bien  la  voix  de 
feu  Gui.  Les  quatre  moines  s'arrangent  pour  cerner  l'endroit  d'où 
elle  semble  émaner;  et  la  conversation  s'engage  entre  le  prieur  et 
l'Esprit.  Celui-ci  répond  volontiers  aux  questions  qui  lui  sont  posées: 
il  connaît  le  prieur;  il  ne  connaît  pas  frère  Jean  Bonafous;  il  est  en 
purgatoire  pour  avoir  oflensé  sa  mère;  mais  il  n'est  pas  in  purgatonu 
commuiii  :  il  est  astreint  à  faire  son  purgatoire  «  particulier»,  pendant 
deux  ans,  dans  les  lieux  mêmes  où  il  a  péché,  à  moins  qu'on  ne  le 
soulage.  Mais  quel  soulagement,  quels  «  sufirages  »  désire-t-il?  Des 
messes,  et  d'autres  prières,  comme  les  sept  psaumes  de  la  pénitence  ; 
cent  messes,  par  exemple'^'.  L'âme  déclare  qu'elle  est  soumise  au 


celle  époque  par  divers  personnages;  voir  la 
liio-hibtio(fraphie  d'Ulysse  Chevalier  à  l'article 
«  Jean  de  Cors  «  et  Jcnn  XXII.  Lettres  communes, 
analysées  par  G.  MoUat,  n°'  ^o,  878 ,  etc. 

'"'  »  Johannes  Genofossi  • ,  dans  la  Chronique 
rcossaise,  où  tous  les  noms  sont  estropiés. 

'*'  Consul  en  i328.  H  y  a  des  pièces  signées 
de  ce  notaire  aux  Archives  municipales  d'Alais 
(A.  Bardon,  p.  4i). 

O  Ici,  le  prieur  cherche  à  prendre  l'Esprit 
on  défaut.  Il  avait  célébré  ce  jour-là,  dans  la 
matinée,  une  messe  à  l'intention  de  feu  Gui. 


«  Elgo  hodie  celebravi  pro  te  ;  rogo  le  ut  dicas 
«  michi  de  quo ?»  —  Respondit  :  •  De  Spi- 
«  ritu  sancto».   —  Tune  ego,  in  ista   respon- 

•  sione  non  perfecte  ipsum  intelligens ,  aiii  : 
itMentiris.  nam,  licet  in  missa  mea  dtias  oni- 
tciones  de  Spiritii  sancto  dixerim,  tamen  prin- 
ticipale  ojjicium  fait  de  mortais. —  Verumtamen 

•  illi  qui  stabant  dixerunt  mihi  quod  mortuus 
■  bene  responderat,  quod  virtute  Spiritos  Sancti, 

•  cujus    in    missam   memoriam    feceram ,   sua 

•  pena  multum  fuerat  alleviata;  quamvis  hoc 
«  ego  perfecte  non  intellexerim.  • 


SES  ECRITS.  5/i5 

supplice  du  feu;  et  le  prieur  s'en  étonne  :  «Quomodo  spiritus  incor- 
«  poreus  potesl  pati  a  flamma  corporea?  »;  «  C'est  la  volonté  de  Dieu  » , 
dit  la  voix.  Jean  Gobi  demande  ensuite  au  patient  s'il  est  possible  de 
lui  transférer,  à  lui,  patient,  le  bénéfice  des  indulgences  que,  lui, 
prieur,  s'est  acquises  pendant  tout  un  an.  Sur  la  réponse  affirmative 
de  l'intéressé,  l'opération  a  lieu  sur  le  champ.  La  glace  ainsi  rompue, 
le  bon  prieur  profite  d'une  occasion  si  rare  pour  s'enquérir,  auprès  de 
celui  qu'il  vient  d'aider  si  efficacement,  des  choses  de  l'autre  monde.  H 
apprend  ainsi  qu'au  moment  de  passer,  les  mourants  sont  environnés 
d'un  horrible  concours  de  démons;  que  les  démons  croient  à  la  Sainte 
Trinité;  que  les  péchés  confessés,  mais  pour  lesquels  on  n'a  pas  encore 
satisfait,  sont  comptés  au  passif  des  morts;  que  l'àme,  délivrée  du 
corps,  habet  scienliain  de  rébus  naturalibiis.  Sur  quoi  le  prieur  :  «  Ex  quo  tu 
«  habes  talem  scientiam ,  quare  ergo  non  loqueris  michi  litteraliter'''.-^  »  ; 
mais  l'Esprit  s'en  déclare  incapable,  en  alléguant  seulement,  pour 
toute  excuse,  que  Dieu  ne  le  veut  pas,  et  en  ajoutant  :  «  Maintenant, 
«laissez-moi  tranquille».  Cependant  le  prieur  confie  à  son  interlo- 
cuteur l'étonnement  qu'il  éprouve  :  Quoi!  une  pauvre  àme  a  besoin 
de  secours  et  ce  n'est  pas  aux  religieux,  c'est  à  sa  femme  qu'elle 
s'adresse ,  au  risque  de  la  tourmenter  et  de  la  compromettre.  «  C'est  que 
«je  l'aime  beaucoup,  dit  l'Esprit;  et  puis,  elle  n'ignore  pas  ce  qui  me 
«trouble.  «Jean  Gobi  voudrait  bien  savoir  encore  si,  depuis  son  décès. 
Gui  a  vu  tels  ou  tels  de  leurs  communes  connaissances,  récemmenl 
décédées,  parmi  les  élus  ou  parmi  les  damnés;  mais  l'Esprit  répond 
que  Dieu  ne  veut  pas  qu'on  sache,  ici-bas,  ces  choses-là.  Infatigable, 
le  prieur,  au  nom  de  l'hostie  dont  il  est  porteur,  ordonne  alors  de  le 
suivre  à  l'Esprit,  qui  se  dispose  à  obéir,  et  il  lui  demande  en  même 
temps  s'il  est  mort  en  état  de  contrition, ef  aîicjua  alia  de virtute confes- 
sionis,  et  pourquoi  c'est  lui  qui  «  revient  » ,  non  pas  un  autre .  .  .  Mais  la 
veuve,  effrayée,  s'évanouit  quand  la  voix  passe  devant  elle.  Et  alors, 
silence. 

A  partir  d'ici,  il  y  a  divergence  entre  les  textes  du  procès-verbal  à 
notre  disposition.  On  lit,  dans  le  manuscrit  de  Bellary  et  dans  les 
manuscrits  de  Barcelone,  que,  après  l'évanouissement  de  la  veuve, 
les  spectateurs  n'entendirent  plus  qu'une  voix  lamentable  errant  dans 

'*  C'est-à-dire  en  laliii. 

HIST.  I.ITTlin.  —  \\\v.  Gq 

3  7  * 


546  LK  SECOND  JEAN  (;OBi. 

la  maison;  puis,  rien  du  tout,  et  Ton  s'en  alla;  mais,  dans  le  procès- 
verbal  que  Bower  a  connu ,  la  séance  continuait  comme  il  suit.  La  veuve 
commence  à  grincer  des  dents  et  à  pousser  des  cris  furibonds,  ad  mo- 
dum  mnUeris Jnnbunde.  Le  prieur  interpelle  l'Esprit  :  «In  virtute  pas- 
«  sionis  Christi,  quero  a  te  causam  hujus  perlurbationis  uxoris  tue.  » 
L'esprit  répond:»  Ipsamet  scit  causam;  pete  ab  ea.  »  Alors,  au  milieu 
d'un  profond  silence,  la  veuve  commence  à  entrer  en  convulsions  et 
à  clamer  hautement  :  «  Domine  Jesu  Cliriste,  adjuva  me  in  isto  labore 
«in  quo  graviter  suni  vexata.  »  Le  prieur  s'adresse  à  elle,  mais  elle 
était  «comme  en  extase»  et  ne  répondait  rien.  Alors  Jean  Gobi,  indi- 
gné, dans  un  élan  de  son  cœur  [cum  impetu  animi  sai),  se  retourne 
vers  l'Esprit  :  «  Adjuro  te,  creatura  Dei,  per  virtuteni  vulnerum  et  cor- 
«  poris  Jesu  Christi,  et  per  lac  et  iacrynias  matris  ejus,  ut  nunc  mihi 
«  dicas  hujus  rei  veritatem.  »  L'Esprit  se  décide  à  entrer  dans  la  voie  des 
aveux.  S'il  est  là,  ce  n'est  pas,  comme  il  l'a  déclaré  d'abord,  pour  avoir 
offensé  sa  mère,  c'est  à  cause  d'un  énorme  péché  qu'il  a  jadis  commis, 
en  ce  lieu,  avec  sa  femme,  pour  lequel  elle  n'a  pas  satisfait.  Quel 
péché?  dit  le  prieur  ;  indique-le  nous,  pour  que  nous  puissions  en 
détourner  nos  ouailles.  Non  pas,  non  pas,  répond  l'Esprit;  nous  nous 
en  sommes  confessés,  ma  femme  et  moi  ;  ledit  péché  est  donc  oublié 
de  Dieu  (fiioad  culpain;  seulement  il  ne  l'est  pas  (juoad  penam,  et 
c'est  ce  qui  fait  mon  malheur.«  Tamen  dicas,  prior,  conjugatis  et  pre- 
«  dica  senjper  ut  melius  inter  se  teneant  régulas  matrimonii;  sunl 
«  enim  diversi  casus  in  ([uibus  peccant  conjugati,  et,  nisi  melius 
«se  abstincant,  Deus  capiel  inde  gravem  vindictam.  »  Puis,  lout  se 
tait,  et  on  s'en  va,  comme  dans  les  autres  textes.  —  Cet  épisode 
est-il  une  intrusion  dans  le  procès-verbal  qui  parvint  en  Ecosse,  ou 
bien  a-t-il  été  volontairement  supprimé  du  procès-verbal  original,  où 
il  figurait,  par  frère  Bernard  de  Ribera  et  par  le  correspondant  des 
moines  de  Bellary?  II  y  a  bien  des  raisons  de  pencher  pour  la  seconde 
hypothèse;  l'une  d'elles  est  que  le  rédacteur  du  De  spiritn  Gaidonis 
remanié  dont  nous  parlerons  plus  loin,  lequel  suit  fidèlement  le 
procès-verbal  original  en  le  développant  et  en  l'arrangeant  à  sa 
guise,  a  connu  le  morceau  complémentaire  dont  il  s'agit'''. 

'"'  Comparer  le  texte  de  M.  Bower  (cf.  que  le  passage  rapporté  par  M.  Bower  n'était 
G.  Silileich,  p.  i.ix)  et  celui  de  la  rédaction  pas  dans  le  procès-verbal  primitif,  il  faut 
remaniée   [ib. ,    p.    -ji)).  —    Si   l'on    suppose         admettre  que  Bower  a  combiné  le  procès-verltal 


SES  KCRITS.  5'i7 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  semble  que  Jean  Gobi  avait  pris  goût  à  ces 
entrevues;  car  il  n'eut  rien  de  plus  pressé  que  d'accepter  ou  de  pro- 
voquer une  seconde  séance,  ad  majorem  cértitndinem.  La  veille  de  l'Epi- 
phanie, après  matines  sonnées  au  monastère  de  Saint-Germain  de 
Montaigu,  qui  domine,  sur  sa  colline,  le  couvent  des  Dominicains 
d'Alais''',  toujours  escorté  de  frère  Jean  Bonafous,  «  lecteur  en  philo- 
(I  Sophie»,  et  aussi,  maintenant,  de  frère  Raimon  Cabassa,  «second 
lecteur  en  philosophie  »,  et  d'un  troisième  acolyte,  le  prieur  se  rendit 
de  nouveau  au  domicile  de  feu  Gui,  où  la  veuve,  entourée  de  dames, 
se  trouvait  engagée  dans  un  dialogue  avec  l'Esprit.  Cette  fois,  la  veuve 
commença  elle-même  l'interrogatoire.  Mais  le  prieur  ne  put  bientôt 
se  tenir  de  s'en  mêler '^^  Ayant  manœuvré  de  rechef,  lui  et  ses  con- 
frères, de  manière  à  ce  que  le  point  d'où  partait  la  Voix  se  trouvât 
entouré  par  eux,  in  medio  nostrnm,  «  Reste-là  » ,  dit-il  alors  à  l'Invisible  ; 
M  tu  me  connais;  qui  suis-je!'».  La  Voix  répondit  :  «  Lo  yjnour  »  *^' !  — 
«  (îrois-tu  à  l'Incarnation?  »  —  «  Très  certainement  ».  —  «  Les  sufl'iM- 
«  ges  de  l'Eglise  ont-ils  raccourci  ta  peine  .-^d  —  «Oui,  je  n'ai  plus 
«  à  souffrir  ici  que  jusqu'à  Pâques  ».  —  Cependant  Jean  Gobi  tient  à 
éclaircir  cette  étrange  circonstance  que  le  patient  subit  sa  peine,  du 
moins  en  partie,  hors  du  purgatoire  commun  :  «  Habes  tu  ergo  aliani 
II  penam  prêter  illam  qnam  habes  in  isto  hospicio  .►^  »  Hélas!  oui,  l'Es- 
prit a  encore  à  subir  d'autres  peines  que  celles  qu'il  endure,  la  nuit, 
dans  son  ancien  domicile;  il  les  subit  pendant  le  jour  dans  le  purga- 
toire commun.  Le  prieur,  ([ui  l'avait  deviné,  demande  brusquement  à 
son  captif,  lequel  avait  refusé  antérieurement  de  faire  le  signe  de  la 
croix,  sous  prétexte  qu'il  n'avait  pas  de  mains  :  «  As-tu  des  oreilles?  " 
—  «Non».  —  «Cependant,  tu  m'entends».  —  «Parce  que  c'est  la 
«volonté  de  Dieu».  —  Là-dessus,  l'auditoire  ouït  comme  un  souille, 
puis  plus  rien. 

Ces  deux  procès-verbaux  peignent  à  nos  yeux  le  bon  prieur  inter- 
rogant,  dans  sa  parfaite  ignorance  de  cette  scientia  de  reluis  natu- 
ralihiis  —  dont  l'Esprit  de  Gui  n'attribuait,  du  reste,  la  connaissance 
qu'aux  défunts  —  et,  en  particulier,  de  l'art  du  ventriloque.  Mais, 

procès-verbal  primitif  avec  la  rédaction  renia-  brusquement  :   «  Post  hujusmodi    muitos  dia- 

niée,  ce  dont  il  n'y  a  pas  d'autre  indice.  logos 

'''  Ce  détail  topopraphique  est  très  exact.  '''  Nouvelle  preuve  que  la  conversation  avait 

'''  A   partir  d'ici,  le  texte  écossais   s'arrête  lieu  en  langue  vulgaire. 

Go. 


548  LE  SECOND  JEAN  GOBI. 

en  leur  temps,  lus  en  Consistoire,  devant  le  pape  et  les  cardinaux, 
sans  doute  par  le  procureur  de  l'Ordre  dominicain,  à  qui,  comme 
on  l'a  vu  plus  haut,  ils  avaient  été  adressés,  ils  parurent  très  consi- 
dérables. On  jugea  urgent  d'éclaircir  l'affaire  par  une  nouvelle 
enquête,  indépendante  de  la  première  et  confiée,  en  partie,  à  des 
hommes  nouveaux. 

La  suite  immédiate  des  événements  nous  est  connue  par  la  lettre 
précitée  de  frère  Bernard  de  Ribera,  dont  la  dernière  partie  doit  à 
présent  être  citée  tout  entière  : 

Lecto  vero  predicto  rotulo  in  Consistorio  coram  domino  nostro  Suramo  Pontiflice , 
et  cardinalibus  admirantibus  super  premissis,  dominas  Summus  Pontifex  mandavit 
archiepiscopo  Aquensi '"  quod  mitteret  ibi  duos  fratres  Ordinis  nostri,  qui  auctori- 
tate  papali  mandarent  domino  loci  predicti  de  Alesto  et  judici  domini  régis  Francie 
necnon  et  omnibus  consulibus  dicti  loci  quod  facerent  inquestam  diligentissirae ,  sub 
virtute  obediencie  et  prestiti  juramenti,  si  contenta  in  [dic]to  rotulo  habeant  verita- 
tem.  Fada  vero  inquesta  ut  dominus  Summus  Pontiffex  preceperat,  inventum  est 
plus  quam  per  quinque  milia  personài-um  quod  predictus  rotulus  in  omnibus  plenarie 
continebat  veritatem,  mullaque  admiracione  digna  audita  sunt  per  illos  qui  inques- 
tam faciebant.  Nam  dominus  Johannes ,  doctor  legum,  judex  domini  régis  Francie, 
cum  inquisivisset  si  ipse  aliquid  boni  portaret  supra  se,  respondit  dictus  spiritus  : 
«  Certe  sic,  domine  judex;  vos  enim  portatis  horas  béate  Marie  Vii'ginis,  in  zona 
«  vestra.  »  Et  tune  ipse,  manum  ad  zonam  aplicans,  invenit  horas  quas  plus  quam 
ducentis  personis  hostendit.  Et  predictus  spiritus  seniel  apparuit  cum  magno  lumine, 
et  tamen  alias  non  apparuerat.  Interrogavit  predictun»  spiritum  quidam  frater  Béate 
Marie  Virginis  de  Carmelo,  qui  erat  ibi  cum  muitis  aliis  religiosis  et  secularibus  : 
«  Adjuro  te,  spiritus,  dixit  ille  frater  de  Carmelo,  quid  signifficat  illud  lumen  quod 
"  nos  videmus,cum  alias  non  hostenderis  te  cum  lumine,  sed  solum  viva  voce.  ȕunc 
spiritus  respondit  alta  voce  :  «  Istud  lumen  quod  videtis  est  angélus  meus  bonus  qui, 
«  compléta  penitencia,  perducet  me  ad  gaudia  paradisi.  "  Demum  duo  fratres  nostri, 
qui  iverant  ad  predictum  locum  de  Alesto  ex  parte  Summi  Pontificis,  cum  per  très 
iioctes  cum  meiioribus  de  villa  interrogassent  predictum  spiritum,  cum  canonicis 
regularibus,  monachis  nigris  et  aliis  religiosis  de  Pauportate  necnon  et  in  presencin 
plus  quam  trescentarum  personarum,  unus  de  fratribus  interrogavit  predictum  spiri- 
tum :  «  Adjuro  te  per  Creatorem  et  per  virlutem  Coqioris  Cbristi  ut  dicas  nobis  sub 
«  qua  specie  joqueris  nobis.  »  Qui  respondit  :  »  Sub  specic  columbe  »,  omnibus audien- 
tibus.  Et  dictus  frater  adjurans  eum  dixit  sic  :  «  Per  virtutem  Christi  precipio  tibi 
«  quod  hostendas  nobis  aliquod  signum  quod  sub  specie  columbe  loquaris  »  ;  et  spiri- 
tus respondit  :  «  Faciam.  »  Et  statim,  cum  esset  bora  circa  gallicantum  et  nulla 
plumma  esset  in  toto  hospicio,  subito  invenit  se  totum  cohopertum  plummis  albis: 

'''  Jacques  de  Conçois  (i323-i32i)),   frère  pn-clii-ur. 


SES  ECRITS.  549 

quod  videntes  seculares  et  religiosi  in  admiracione  quamplurima  sunt  conversi.  Dictus 
vero  frater  voccatur  (rater  Arnaldus  de  Pcrpiniano'",  de  conventu'*>  Fratrum  Predi- 
catorum  de  Pc[r]piniano,  et  bonus  clericus  et  fama  clarus  et  predicacione  facundus. 
Quid  plura?  Voces  ille  et  responsiones  continuate  sunt  a  festo  Nativitatis  Domini  usque 
ad  septimanani  sauctam.  Si  ex  tune  aliquid  audituni  fuerit,  vobis,  doiniiio  meo, 
scribam. 

Ainsi  une  nouvelle  enquête  fut  ordonnée,  et  à  cette  occasion ,  frère 
Bernard  de  Ribera  l'affirme  le  2 3  avril,  un  peu  plus  de  quatre  mois 
après  la  mort  de  Gui  du  Tour,  le  bruit  ne  tarda  pas  à  se  répandre 
qu'elle  avait  révélé  et  révélait  des  merveilles  bien  plus  étonnantes 
encore  que  celles  qu'attestent  les  honnêtes  procès-verbaux  de  Jean 
Gobi,  lesquels,  dès  décembre  et  janvier,  avaient  attiré  l'attention  sur 
le  revenant  d'Alais.  Les  instruments  de  cette  nouvelle  enquête  offi- 
cielle sont  perdus.  Mais  l'extraordinaire  histoire  avait  déjà  aupa- 
ravant pris  son  vol  dans  toute  la  chrétienté.  Et  elle  ne  devait  plus 
cesser  dès  lors,  naturellement,  de  s'embelhr  à  travers  les  transmis- 
sions. Or  le  texte  le  plus  répandu  du  De  spiritii  Guidonis,  celui  dont 
le  succès  a  été  si  grand,  vraiment  européen,  durable  jusqu'en 
plein  xv!*"  siècle,  et  qui  a  même  fait  oublier,  jusqu'à  maintenant,  les 
textes  primitifs,  n'est  autre  chose  qu'un  des  arrangements  dont 
l'aventure  d'Alais  fut  de  bonne  heure  1  objet.  Il  reste  à  faire  voir  dans 
quelles  conditions,  dans  quelles  intentions  et  comment  ce  travail  a 
été  exécuté. 

Dans  le  texte  le  plus  répandu  du  De  spiritu  Guidonis,  ce  n'est  pas 
Jean  Gobi  qui  parle.  Un  narrateur  anonyme  rapporte  les  conver- 
sations d'un  prieur  des  dominicains  d'Alais  —  parfois,  mais  non  pas 
toujours,  désigné  sous  le  nom  de  Jean  Gobi  —  avec  l'Esprit  de 
feu  Gui.  La  mise  en  scène  et  les  circonstances  sont  à  peu  près  les 
mêmes  que  dans  le  procès-verbal  primitif,  qui  est  en  général  suivi; 
elles  sont  simplement  banalisées;  mais,  d'une  part,  les  noms  propres 
des  assistants  du  prieur,  si  précisément  énoncés  sous  la  plume  de 
Jean  Gobi,  ont  été  supprimés'^'  ou  écorchés;  de  l'autre,  le  récit  est 
plus  développé  :   le  prieur  pose  beaucoup  plus  de  questions,  et 

''  Ms.  :  Papiniano.  guière  («  Pefru»  de  Urugeria  »)  ;  mai»  ce  nom  est 

>''  Ms.  -.predicacione.  écorché  dans  l'édition  incunable,  et  dans  la  plu- 

'*'  Sauf  celui  da  notai re'Pierre  de  La  Bru  part  des  manuscrits,  en  •  Petnis de  Burgundia». 


550  LE  SECOND  JEAN  (;0B1. 

l'Esprit,  au  lieu  de  répondre,  pour  ainsi  dire,  par  monosyllalies,  se 
répand  en  dissertations;  au  lieu  de  parler  avec  une  simplicité  de 
])onne  femme,  ses  réponses  sont  amples,  subtiles,  parfois  imper- 
tinentes''\  et  enfin,  ça  et  là,  tendancieuses. 

L'intention  pour  ainsi  dire  doctrinale  et  catécliétique  s'allirme  dès 
les  premiers  mots  : 

Quoniam,  ut  dicit  beatiis  Augustiiius  in  Ubro  Di'  fide  ad  Pctrum,  niiraculum  est 

quir(|uid  arduiim  vel  insolitum ad  fidei  roboracionem ,  <t  quia    Qiwrumtjiie 

scripta  sunt,  ad  nosb-am  doctrinam  scriptn  sunt 

La  méthode  du  rédacteur  s'affirme  aussi,  très  clairement,  à  propos 
de  l'une  des  premières  questions  du  prieur.  Dans  le  procès-verbal, 
Jean  Gobi  déclare  cpi'il  demanda  d'abord  à  l'Esprit  s'il  était  un  bon 
ou  un  mauvais  Esprit  :  «  Ego  interrogavi  si  esset  bonus  Spiritus  aut 
(I  malus.  »  L'Esprit  répondit  :  «  Bonus  »  ;  et  c'est  tout.  Or  voici  ce  cpie 
le  rédacteur  du  De  sptritii  Gauloms  a  brodé  sur  ce  canevas  si  court  : 

Prior  proposuit  haiir  qiieslionfm  :  "  Onis  ps  tu,  spiritus  bonus  an  malus?»  Res- 
pondit  Vo\  :  «Spiritus  bonus  sum,  quia  Dei  creatura  sum.  Omnis  crealura  Dci ,  in 
«quantum  crealura  est,  bona  est  secundum  illud  :  Vidit  Deus  cuncla  qac  faccrat  et 
«  eiaiil  valde  bona.  Et  onuiis  spiritus  est  creatura  Dei.  Ergo  omnis  spiritus,  in  quan 
«  tuni  crealura  Dei  est,  l)onus  est  et  non  malus.  Cum  ergo  ego  sum  spiritus  Guidonis 
«  nupiT  morlui,  bonus  spiritus  ego  sum  et  non  mahis,  quantum  ad  meam  naturam. 
i<  Sed  malus  sum  ego  modo,  quantum  ad  meam  penam  malam,  quam  pacior.  »  — 
Cui  prior  :  «  lu  bac  responsione  tu  reddes  le  malum  spirilum  esse,  quod  prol)o  sic. 
Il  Omnis  pena  est  bona,  que  recte  infligitur  alicui  pro  peccalo  suo,  quia  bonum  est 
<i  el  justum  (|Uo«l  peccalum  punialur.  Sed  tu  dicis  cjuod  suslines  nunc  penam  pro  pec- 
«  calo  luo  ;  ergo  pena  in  se  bona  est,  quia  est  juste  libi  a  Deo  inflicla.  Falsum  ergo 
«  dicis  quod  tu  es  spiritus  malus  in  boc  quod  lu  malam  penam  suslines.  »  —  Respon- 
dit  \o\  (licens  :  «Omnis  pena  est  in  se  jusla  et  bona,  in  rjiiantum  a  l\'i  judiciu 
«  procedil  ;  sed  mata  est  ad  illum  cui  datur,  quia  datur  nulli  sine  merito  pecca- 
«  torum  suorum.  Unde  isla  pena,  quam  pacior,  nunc  est  michi  mala,  (juia  micbi 
dalur  pro  peccatis  meis  prius  perpetralis.  [Etc.].  » 

Autre  exemple.  Le  prieur  s'informe  curieusement  de  l'endroit  précis 
où  se  trouve  le  cummiine  Pnrgatorium  (rien  de  pareil  dans  le  procès- 
verbal  original  de  Jean  Gobi).  Et  comme  l'Esprit  répond  :  «  Au  centre 
«de  la  Terre  »,  ilrépli(jue  :  «  Quomodoposset  Purgatorium,  locus  spiri- 

'''  Lb^prit  du  procès -verhal,  courtois  et  comme  celui  Je  la  rédaction  commune  :  «Ad- 
oboissant.à  peine  impatieiU,  n'aurait  pas  dit,  «  hue  mudicuni  lumen  sapientie,  prior,  est  in  te». 


SES  ECRITS.  551 

«  tualis,  et  Terra,  locuscorporalis,  esse  in  eodem  loco?  »  L'Esprit  n'est 
pas  désarçonné  :  «  Sicut  anima  est  tota  in  toto  corpore,  ita  locus 
"  spirituaiis  est  unitus  loco  corporali.  » 

Encore  un  exemple.  Le  prieur  demanda  :  «  Pour  combien  d'âmes 
un  prêtre  peut-il  célébrer?»  (il  n'y  a,  naturellement,  rien  de  pareil 
dans  le  procès-verbal  original  de  Jean  Gobi).  L'Esprit  répond  : 

Unus  sacerdos  potest  semel  et  semel  celebrare  missam  pro  omnibus  vivis  et 
defunctis,  quia  virtus  sacramenti  Corporis  Christi  extendit  se  ad  omnes.  Et  ista  est 
causa.  Sicut  Christus  Deus  semel  levatus  est  orans  in  cruce  et  tune  totaliter  obtulit 
se  Deo  patri  suo,  non  solum  pro  salvatione  unius  nacionis,  immo  pro  salufe  tocius 
humani  generis,  sic  in  missa  cujuslibet  sacerdotis  confertur  Christus  totaliter  Deus 
et  débet  in  sacramento  altaris  offerri  pro  salute  omnium  fidelium  lam  vivorum  quam 
mortuorum.  Unde  ita  bene  potest  sacerdos  celebrare  pro  omnibus  quam  pro  duobus, 
et  mullo  melius,  quia  hec  est  difierentia  inter  bonum  spirituale  et  bonum  temporale  . 

bonum  temporale,  quando  plus  partitur,  in  tanto  minus  est  in  se Sed  non  sic 

de  bono  spirituali,  quia  quanto  magis  partilur,  tanlo  magis  in  se  augmentatur 

C'en  est  assez.  Il  est  évident  que  les  procès-verbaux  de  Jean  Gobi 
sont  tombés  entre  les  mains  d'un  homme  d'Ecole  qui  s'est  amusé  à 
les  «développer»  en  instituant,  entre  «le  prieur»  et  «l'Esprit»,  des 
colloques  analogues  à  ceux  qui  étaient  en  usage  dans  les  Universités 
de  son  temps;  à  quoi  rien  n'est  à  comparer  aujourd'hui,  heureuse- 
ment, en  fait  de  puérilité,  si  ce  n'est,  peut-être,  les  exercices  scriplu- 
raires  et  lalmudiques  des  synagogues  les  plus  arriérées  de  l'Europe 
orientale ''^  L'Esprit  de  Gui  discute,  ergote,  déploie  son  érudition, 
coupe  et  recoupe  des  cheveux  en  quatre.  G.  Schleich  a  dressé  la  liste 
des  questions  controversées  de  foi  et  de  discipline  que  l'auteur  du 
remaniement  traite  ainsi  en  les  accrochant  tant  bien  que  mal  aux 
naïves  interrogations  authentiques  du  prieur  ;  il  n'y  en  a  pas  moins 
de  trente'^*.  Mais  nous  n'en  rapporterons  qu'une,  la  plus  caracté- 
ristique. 

La  douzième  question  du  prieur,  dans  le  De  spirita  Guidonis,  est  : 
Il  Utrum  Deus  esset  in  celo  in  quo  erunt  sancti.**»  L'Esprit  répond  : 
M  Dixit  mihi  angélus  meus  :  Eslo  in  hac  pena  uscjue  Pascfia  et  tanc  videbis 
'(  recjem  celonim  in  diademate  suo  cnm  angelis  et  sanclis  suis.  >>  Il  tranche 

'"'  L'Esprit  se  sert  des  formules  en  usage  dans  l'Ecole;  il  dit  :  «  Maie  arguis,  o  prior.  .  .  »  Et  le 
prieur  réplique  :  «Modo  capio  te  in  verbis  luis.  .  .  ».  —  '*'  G.  Schleicli ,  o/i.  cit.,  p.  Lxni. 


552  LE  SECOND  JEAN  COBJ. 

donc  par  là,  iniplicitemeul,  la  question  fameuse  de  la  Vision  béati- 
fique,  qui  a  fait  couler  tant  d'encre  au  commencement  du  second 
quart  du  xiv*"  siècle,  c'est-à-dire  celle  de  savoir  à  quel  moment  les 
élus  entrent  en  jouissance  de  la  pleine  béatitude  céleste  (voir  Dieu 
face  à  face) ,  aussitôt  qu'ils  n'ont  pluS  rien  à  expier,  ou  seulement 
après  le  Jugement  dernier.  Il  la  tranche  dans  le  sens  que  les  hommes 
d'Université  devaient  choisir  lors  des  controverses  déchaînées,  surloul 
à  partir  de  1 33  i-i  332 ,  par  le  pape  Jean  XXII,  protagoniste  de  l'opi- 
nion contraire'"'.  Et  l'autorité  surnaturelle  qu'il  invoque,  celle  d'un 
ange,  n'a  pas  manqué  d'être  alléguée,  par  la  suite,  on  le  pense  bien, 
à  la  confusion  de  Jean  XXII  '"^'. 

La  rédaction  remaniée  est  tout  entière  de  cette  teneur,  à  l'excep- 
tion des  passages  purement  et  simplement  copiés  dans  les  procès- 
verbaux  que  le  remanieur  avait  sous  les  yeux  comme  nous  les  avons 
maintenant,  et  de  quelques  lignes,  à  la  (in,  que  l'on  peut  croire,  en 
raison  même  de  leur  couleur  analogue  à  celle  desdits  passages,  em- 
pruntées à  un  procès-verbal  perdu.  11  est  question,  par  exemple,  à  la 
fin  de  la  rédaction  remaniée,  de  ce  qui  paraît  être  la  mise  en  scène 
d'une  dernière  entrevue  de  Jean  Gobi  avec  l'Esprit,  dont  il  n'y  a  pas 
trace  dans  les  rouleaux  conservés.  Le  lendemain  de  l'Epiphanie'^',  à 
la  prière  de  la  veuve,  le  prieur  se  rend  de  nouveau  chez  Gui  du  Tour, 
cette  fois  avec  des  Augustins,  des  Mineuis,  des  écoliers,  en  enton- 
nant Placebo  et  Dirige.  Bruit  de  balai.  Une  voix  faible,  comme  d'un 
malade,  prononce:  «Pourquoi  me  tourmentez- vous. ^  Qu'avez-vous 
«  encore  à  me  demander.^  »  Alors  le  prieur  : 

Ecce  congrogati  sumus  hic  ut  testimonium  perhibeamus  de  diclis  tuis  corani 
domino  papa,  cuin  tempus  postulaverit.  Die  ergo  nobis  aliquid  mirabile  ! 

Mais  si  cette  exhortation  incongrue  a  figuré  réellement  dans  un 
procès-verbal  de  Jean  Gobi,  la  réponse  qu'y  fait  l'Esprit,  dans  la 
rédaction  remaniée,  n'est  assurément  pas  de  la  même  provenance. 
L'exhortation  provoque,  en  effet,  un  accès  de  colère  et  un  flot  de 

f'i     Voir    Histoire    littciaire,     t.    XXXIV,  •  el  faciem  Christi  ante  dietn  Judicii  ;  unde ipse 

11.  r)54.  •  papa  eliam  erroneus  creditur,  per  prescriptn 

'''  On  lit  à    la  fin    do  l'édition  de    i486:  tcorreclus.» 

«Tempore  Johannis  pape  WII  quidam  erronée  '^'  La  deuxième  entrevue,  dont  le  procès-ver- 

•  sentiebant    de    animabus   purgatis  etiam   et  bai  a  été  conservé ,  est,  non  pas  du  lendemain, 

«s.inctis,  se.  quod   non  vidèrent  gtoriam  Dei  mais  de  la  veille  de  l'Epiphanie. 


SES  ÉCRITS.  553 

paroles  de  la  part  de  l'Esprit,  dont  la  langue,  et  pour  cause,  n'est 
jamais  si  bien  pendue,  si  l'on  peut  dire,  dans  les  procès-verbaux 
authentiques.  Accès  qui  se  traduit  par  une  sortie  dans  le  goût  des 
déclamations  de  certains  précurseurs  de  la  Réforme,  contemporains 
de  Jean  Gobi  : 

Ego  non  sum  Deus  ;  ipse  enim  est  qui  ioquitur  et  tacit  mirabiUa  !  Sed  tioc  dico 
vobis  ut  melius  predicetis,  et  scitote  lioc  :  nisi  essent  preces  Béate  Marie  Virginis  et 
mérita  sanctonim,  Deus  acciperet  vindictam  de  majoribus  commorantium  in  terra 

Non  est  enim  ventas  neque  scientia  Dei  in  terra Vadatis  vias  vestras  et  orate 

pro  me. 

L'Esprit  refuse  enfin,  à  bon  droit,  de  répondre  à  une  suprême 
indiscrélion  de  son  interlocuteur,  dont  le  remanieur  est  l'auteur  cer- 
tain :  «  Quot  pape  debent  esse  ante  finem  mundi  ? ..  Et  on  s'en  tient  là. 

Le  De  spiritu  Guidonis  s'achève  d'ailleurs,  dans  la  plupart  des  ma- 
nuscrits et  des  éditions,  par  l'information  suivante  :  «  ffec  omnia  pro- 
«  bala  sunl  coram  domino  papa  Johanne  XXII  ;  et  iterum  in  Pascha 
«  inisit  illuc,  et  non  invenei  uni  diclum  Spiritum;  unde  igitur  creditur 
»  quod  jam  régnât  in  celis.  » 

Est-il  possible,  maintenant,  de  savoir  où  cette  adultération  fla- 
grante des  procès-verbaux  de  Jean  Gobi  a  été  consommée?  Peut-être. 
En  effet,  il  est  fait  mention  à  plusieurs  reprises,  dans  l'édition  pour 
ainsi  dire  scolastique  du  De  spiritu  Guidonis,  de  la  ville  de  Bologne, 
dont  il  n'est  pas,  bien  entendu,  soufflé  mot  dans  les  procès-verbaux.' 
Au  sujet  du  problème  de  la  valeur  des  messes  pour  le  soulagement 
«les  défunts,  par  exemple,  fEspril  de  Gui  se  permet  d'appuyer  des 
conseils  qu'il  adresse  au  clergé  par  un  fait  qui,  déclare-t-il,  lui  est 
[lersonnel  : 

Et  isto  modo  ego  Guydo  sum  liberatus  a  pena  Purgatorii  per  .nu.  annos  cicius 
quam  deberem.  Habeo  unum  pauperem  iratrem  vaide  religiosum,  quem  tu  prior 
bene  nosti.  Ego  eum  sustentavi,  postquam  fuerit  in  scoiis  Bononie")  per  quinque 
annos,  et  ipse  pro  me  tune  spccialiter  oravit  et  nunc  devotas  oraciones  adDeum  pro 
me  facit,  cujus  oracionibus  sic  sum  modo  adjutus  quod  non  ero  in  pena  Purffatorii 
iHsi  ad  Pascha r  o 

'■>  Un  des  manuscrits  dont  .'est  servi  G.  Schleirh  lournit  ici  la  variante  :   .in  schola  romana. 
(  op.  cit. ,  p.  57). 

BIST.   IITTÉR.    XXXV. 

70 


55'! 


r.E  SECOND  JEAN  GOBI. 


El  plus 


Sicut  fiebal  hodie  iii  villa  Bononie'"  de,  quodam  tratre  mortuo  qiiod  adjudicatus 
liierat  per  angelum  ad  commune  Purgatoriura 

Enfui,  dans  la  Iraduction  catalane,  entre  autres,  le  nom  de  la  ville 
d'Alais,  théâtre  certain  de  l'apparition,  est  remplacé  tout  bonne- 
ment par  celui  de  la  ville  de  Bologne  au  titre  même  de  l'opuscule  : 
(  Tractn  <ie  iina  disputa.  Demandes  fêtas  pei-  un  prior  dels  frares  de 
la   «  Orde  dels  Preliicadors   del  covent  de  Bolonya  ab  la  anima  ho 

«  spirit  de   Guido  de  Corvo,  ciutada  de  Bolunya »  D'anciens 

lecteurs,  qui  n'ignoraient  pas  que  favenlure  de  fécbappé  du  Pur- 
gatoire s'était  passée  à  Alais,  ont  été  surpris  et  embarrassés  de  ces 
mentions  répétées  de  Bologne.  Mais  ils  en  ont  conclu,  ou  feint  d'en 
conclure,  à  la  synonymie  des  deux  iionis.  On  lit  dans  un  manu- 
scrit cité  par  B.  Hauréau  :«  In  civitate  Allecti,  que  jam  Bononia 
«  vocatur'*'.  » 

Tout  se  présente,  en  somme,  comme  si  le  procès-verbal  de  Jean 
Gobi,  prieur  d'Alais,  ovail  été  de  bonne  heure,  en  Italie  ou  ailleurs. 
i)ar    les   soins    d'un  ancien    étudiant  de   Bologne  '"^l,  l'objet    de   re- 


"'  (i.  Sclileicli  a  rejeté  iri  «Bononie>  parmi 
les  variantes  (|>.  (jt  \  quoique  ce  soll  la  leçon 
normale  des  manuscrits,  pour  adopter  la  for- 
me absurde  «simonis»  (assurément  pour  «Si- 
monie», c'esl-:'vdire  un  synonyme  péjoratif  du 
nom  de  l\ome 

"I  Notices.  ...  t.  II,  p.  33a.  Cf  Villanueva, 
toc.  cil.  :  «  Prior  Mestensis,  <juod  idem  dicit  ac 
Bononiensis.  • 

Synonymie  im. liminaire,  cola  va  sans  dire.  Le 
nictinnnairc  Inpi^ijrnptiiqncitn  Gard  ne  connaît, 
au  mot  0  Alais»,  aucune  lorme  de  ce  f^enre. 
I, 'ancien  nom  de  Bologne  est  Fetsina. 

^'  Les   arguments  énoncés  ici  à  l'ap|iui  de 

•  elle  conclusion  ne  sont  pourtant  pas  tous 
décisifs  au  même  degré,  et  voici  pourquoi. 

On  lit  dans  un  certain  nombre  de  manu- 
scrits, notamment  dans  \esp.  E  i  :  •  In  civitale 

•  Alestie,  que  distat  a  Curia  a|)ostolica  ,  que  .\ve- 
■  niona  [sic]  \ocatur,  per  .xxiv.  milliaria». 
Dans  le  manuscrit  Hiez  de  la  Bil)li()thè(|ue  de 
Berlin,  ce  texte,  assurément  primitif,  est  de 
venu  :  «In  civitate  Allecti,  que  distal  a  Curia 
«  a|K>sl()lica ,  que  jam  Baiona  vocatur.  jwr.   ...» 


Dans  Harl.  ulyg  :  «In  civitate  Aylesley,  que 
■  distat  a  Curia  apostolica,  que  Vncon.i  vocatur, 

«jier ".  Le  nom  d'Avignon  a  été  altéré 

de  même,  dans  d'autres  manuscrits,  en  Vcrniid. 
l'aronii ,  Bnicnu,  Doiana,  Vizoniie.  etc.  Mais 
c'est  toujours  «  .\vignon  n  qui  est  le  sni)strat  de 
ces  leçons  bi/.arres.  Or  il  a  pu  exisliT  des  nu 
nuscrits  —  nous  n'en  connaissons  pas,  en  fail 
—  où  l'on  lisait,  de  même  :  »  In  civitale  Allesti. 
uque  distat  a  Curia  apostolica,  (|U(^   jam   Bo- 

•  nonia  vocatur,  per ».  L'incise  que  tlistul 

n  Ctiriii  apusinlicii  a  pu  tomber  aisément,  par 
mégarde,  et  il  serait  resté  ce  (jui  se  voit  dans 
beaucoup  d'exemplaires  :  uln  civitate    Vllesli. 

que  jam  Bononia  vocatur ».    \insi  s'ex|)li- 

querait  très  bien,  par  un  simple  bourdon, 
l'absurde  synonymie. 

I,«s  deux  mentions  de  Bologne  dans  le  corps 
même  de  la  rédaction  remaniée  sont  donc  plus 
considérables,  pour  faire  penser  (|u'elle  a  été 
composée  en  Italie  ou  par  un  étudiant  bolo- 
nais, que  le  titre,  en  apparence  si  clair,  (l<'  la 
traduction  catalane. 


SES  ECRITS.  555 

maniements  qui  l'allongèrent  fort  et  qui  en  altérèrent  gravement  le 
caractère  et  Téconomie. 

Il  est  à  noter  (lu  reste  que  le  chroniqueur  florentin  Villani  (ti348], 
qui  a  parlé  à  loisir  de  l'ksprit  de  Gui  du  Tour,  situe  ce  miracle  à 
Alais,  non  à  Bologne,  et  ne  sait  rien,  semble-t-il,  de  la  rédaction 
remaniée'"'. 

B.  llauréau  ne  connaissait  que  la  rédaction  remaniée.  Or  noire 
illustre  confrère  était  un  homme  dans  la  tradition  du  xviii"  siècle 
français;  il  ne  croyait  pas  aux  miracles;  par  contre,  il  soupç<jnnait 
aisément  limposlure.  En  conséquence,  persuadé,  comme  tout  le 
monde,  que  la  rédaction  remaniée  était  de  Jean  Gobi'^',  il  a  accusé 
le  prieur  d'Alais  d'avoir  voulu  tromper  ses  contemporains.  «On  vent 
«bien  admettre,  dit-il'^',  que  la  femme  et  les  amis  du  défunt  aient 
«  pris  pour  sa  voix  un  bruit  par  eux  entendu  pendant  une  ou  phi- 
(I  sieurs  nuits,  et  qu'ils  soient  venus  ensuite,  pleins  de  trouble,  en- 
«  trctenir  le  prieur  Jean  Gobi  de  ce  fait  singulier.  Mais  on  ne  peut 
(douter  que   celui-ci  n'ait   inventé  le  reste.  Le  reste  est  donc    une 

«fiction ))   Hauréau    ajoute  :  «Constatons    ce   que   Jean   Gobi 

«  s'est  proposé  lorsqu'il  a  rédigé  ce  débat  imaginaire.  Estimant  sans 
M  doute  qu'on  négligeait  trop,  dans  sa  ville  natale,  de  prier  et  de 
«faire  prier  pour  les  morts,  il  a  jugé  qu'il  était  bon  de  prouver 
«l'utilité  de  ces  prières.  Voilà,  comme  il  nous  semble,  son  prin- 
«  cipal  dessein,  mais  non  pas  le  seul.  ...»  Et  le  savant  historien, 
>oulignant  le  passage  précité  qui  touche  au  problème  de  la  Vision 
béatifique,  y  voyait  ce  qu'il  appelle  une  «  malice»  du  bon  prieur''''. 

Que  Jean  Gobi  soit  donc  aujourd'hui  lavé  de  ces  imputations. 
Il  y  a,  en  effet,  dans  la  rédaction  remaniée  du  De  .spiritu  Gaidonis , 
beaucoup  d'inventions,  et  l'intention  frauduleuse  n'y  nmnque  pas 
dans  plusieurs  passages,  notamment  dans  celui  qui  a  trait  à  la  Vision 

'''   Historié  universali,  I.  IX,c.  a33  :  «  D'uno  «leur.  •  L.  Delisle  avait  dit  vingt-cinq  ans  plus 

«  grande  miracolo    che   apparve  in   Proenza.  »  tôt  :     «  très     probablement  «     (  Bibliothèque  de 

Cf.  Raynaldi,    Annales  eccîesiastici ,  sous  l'an-  l'Ecole  des  chartes,  i89i,p.  491). 
née  i3a4  (d'après  Villani).  '''  Notices  et  extraits  de  quelques  manuscriti 

'''  G.  Huel  a  écrit  en  1916,  en  parlant  de  latins  de  la  Bibliothèque  nationale,  t.  11,  p.34a- 
la  seconde  rédaction,  sans  connaître  la  pre-  '*'  A.  Bardon  (p.   aoy)  conclut  de   même  : 

inière  {loc.  cit.,  p.  299)  :  «Le  récit  de  l'appa-  «Jean  Gobi  connaissait  sa  théologie;  c'est  tout 

«  rition  d'une  àme  du  Purgatoire ,  dont  «  ce  qu'il  fallait  [c'est-à-dire  tout  ce  qu'il  a  voulu] 

•  Jean  Gobi  est  à  peu  près  certainement  l'au-  «prouver.» 

70. 


550  JEAN  FAURE,  LEGISTE. 

béatifique.  Mais  le  bon  prieur  n'est  pour  rien  dans  tout  cela.  C'est  un 
pédant  anonyme,  peut-êlre  étranger,  probablement  novice  (plusieurs 
indices  le  laissent  soupçonner)  et  fort  peu  intelligent,  qui  a  défiguré 
ainsi  les  interrogatoires  que  Jean  Gobi  a\ait  cru,  de  bonne  foi,  adres- 
ser à  feu  Gui  et  qu'il  avait  fait  subir,  en  réalité ,  à  sa  veuve ,  per- 
sonne sans  doute  hystérique,  et,  en  même  temps,  pourvue  d'un  talent 
particulier  pour  se  faire  entendre  à  distance.  Hystérie  et  parole  à  dis- 
lance, avec  dédoublement  épisodique  de  la  personnalité,  sont  des  phé- 
nomènes dont  l'association  pathologique  a  été  observée  plus  d'une  fois , 
de  nos  jours,  à  la  Salpêtrière. 

C.  L. 


JEAN    FAIRE,  LEGISTE. 

Le  juriste  connu  sous  le  nom  de  Fabri  —  en  langue  vulgaire  de  son 
pays,  Faure  — a  joui,  auprès  de  nos  anciens  jurisconsultes,  d'une 
réputation  méritée.  Un  de  ses  compatriotes  n'a  pas  craint,  dès  le 
XVI*  siècle,  de  le  proclamer  «  le  premier  des  jurisconsultes  gaulois  »  '''. 
Tout  au  moins  peut-on  dire  que  Jean  Faure  tient  une  place  très 
lionorable  parmi  les  hommes  qui,  en  France,  ont  contribué  au  pro- 
grès de  la  science  du  droit.  On  ne  s'en  douterait  guère,  en  lisant  la 
maigre  notice  que  Savigny  lui  a  consacrée  ''^'. 

Au  début  de  son  Commentaire  sur  les  Institutes*^^  l'auteur  se 
désigne  lui-même  sous  le  nom  de  Joannes  Fabri,  de  Monleberulphi^''^ 
dictas,  diotesis  Enfjolisme,  provincie  Burdecjalensis.  Le  lieu  auquel  il  se 
rattache  par  cette  désignation  est  la  petite  ville  de  Montbron , 
chef-lieu    d'une    baronnie    de   l'Angoumois,    où    sa    famille   était 

'*'  François  de  Coriieu,  ouvrage  cité  p.  557,  titre  (Jétermiiié.  Les  manuscrits  et  les  éditions 

note  I,  3'  éd.,  p.  106.  le  désignent  sous  les  noms  de  Commentarii  ou 

'''  Savigny,  Geschichte  des  rômisclien  Rechts  de  Lectura ,   qui  sont  des  titres  donnés  après 

iw  MiHe/a/ter,  3*  édit. ,  f.  VI,  p.  Ao  et  suiv.  coup.    Pour   la   commo<lité   de   notre   exposé, 

'^'   Nous  citerons   le   Commentaire  des  Insfi-  nous   adopterons  le  litre   de  Commentaire. 

tûtes,  d'après  l'édition  de  Paris,   i53i.  L'au-  ''   (^onjt'clure    excellente  de   Françoii   Du- 

Icur  ne  parait  pas  avoir  donné  à  cet  ouvrage  un  chesne.  Les  tnss.  ont   \fonte,  Monteitalphi. 


SA  VIE.  557 

établie'".  Cette  famille  se  rattachait  d'ailleurs  à  un  diocèse  voi- 
sin :  elle  possédait  depuis  plusieurs  générations  la  seigneurie  ou 
repaire  (comme  on  disait  dans  le  pays)  de  Masmillaguet,  sis  en  la 
paroisse  de  Rougnac  (Charente).  D'après  les  recherches  de  Fran- 
çois Duchesne,  ce  domaine  avait  appartenu  à  Etienne  Faure,  aïeul 
de  notre  jurisconsulte,  qui  le  transmit  à  son  fds  Gérard.  Celui-ci 
épousa  Almoïse  de  Salvamg,  qui  lui  apporta  le  domaine  deRoussines, 
compris  dans  les  limites  de  la  seigneurie  de  Montbron.De  ce  mariage 
naquirent  deux  fils,  Elie  et  Jean,  et  une  fille  du  nom  de  Pétronille. 
Leur  naissance  est  sans  doute  de  beaucoup  antérieure  à  i  aS/j ,  époque 
à  laquelle  Gérard  et  Almoïse  réglèrent  le  sort  de  leurs  biens;  en 
ellet,  à  ce  moment,  leur  fille  Pétronille  était  déjà  veuve.  En  vertu  d'un 
testament-jiartage,  la  seigneurie  de  Masmillaguet  fut  attribuée  au  fils 
aine  Elie*^',  tandis  que  Jean,  à  charge  de  fournir  à  sa  sœur  un  capital 
en  argent,  reçut  le  domaine  de  Roussines,  dont  il  prit  quelquefois 
le  nom'^'.  Il  se  nomme  lui-même  aussi  bien  Jean  de  Roussines  (r/c 
Riincinis)  que  Jean  de  Montbron. 

Nous  connaissons  mal  les  débuts  de  Jean  Faure  dans  la  vie. 
Il  nous  apprend  que  la  nature  l'avait  doté  d'une  chevelure  rousse, 
grâce  à  laquelle,  déçu  par  une  interprétation  erronée  qui  est  impu- 
table au  glossateur  des  Institutes,  il  se  flattait  de  ressembler,  non 
seulement  au  roi  David,  mais  à  l'empereur  Justinien '*'.  De  bonne 
heure  il  fut  destiné  aux  études  juridiques.  Nous  savons  qu'il  fréquenta 
l'Université  de  Montpellier  à  une  époque  qu'il  ne  nous  est  pas  permis 
de  déterminer  avec  précision '^' ;  peut-être  même  fut-il  envoyé  à  Bo- 
logne pour  V  poursuivre  ses  études'^'.  Si  ces  voyages  lointains  et  ces 

'''  Nous  empruntons  les  renseignemenls  que  de  Poitiers.  Le  13  septembre  iSaS,  Jean  XXII 

nous  donnons    sur    cette   famille   à    François  lui    accorde    une    nouvelle    expectative    à    lu 

de  Corlieu ,   auteur  du  Recueil  en  forme  d'his-  condition    qu'il    abandonnera      son     prieuré 

toire  de  la  ville  et  des  comtes  d'Angoalème  (édil.  (G.   Mollat,  Lettres  communes  de   Jean  XXII, 

de  iSyG,  p.  ii6;  édit.  de  1629,  p.  106),  et  n"  353a  et  18220).  Le  nom  de  baptême  de 

surtout  à  François  Duchesne,  f/ù(oire  lies  cA«n-  ce  personnage   nous    permet  de  le   rattacher 

ceKers  rie  France  (Paris,  1 680),  p.  84o  et  suiv.  sans  invraisemblance    à    la    famille   de   Jean 

'*'  On  trouve  dans  les  documents  pontifl-  Faure ,  et   plus  particulièrement  à  son  frère 

caui  de  cette  époque  la  mention  d'un  person-  aîné  Elie,  dont  il  a  pu  être  le  fils  ou  le  i'dleul. 

nage,  Eïie  de  Montbron,  pourvu  de  l'expecta-  '''  Exemples  :  CommenJdiVe ,  fol.   'i-jç)  v°    et 

tive   d'une  prébende  au  chapitre  de    Limoges  4o6. 

sous  Clément  \  ,  plus  tard  moine  à  Saint-Flo-  '"'  Ibid. ,  fol.  3. 

rent  de  Saumui'.  et,  en  i3a3,  prieur  du  mo-  ''"'  Ibid.,  loi.  aaS. 

nastère  de  Notre-Dame  de  Veniers,  au  diocèse  '"'  Voir  la  mention  qu'il  tait  des  méthodes 

3  3 


ri58  JEAN  FAUllK,   I.IXilSTE. 

séjours  prolongés  dans  les  Universités  furent  onéreux  à  sa  famille,  lui- 
même  sut  en  tirer  un  excellent  parti;  kWlessus  nous  sommes  ren- 
seignés par  un  acte  de  i32^  ,  où  sont  mentionnées  les  récriminations 
de  son  frère  aîné'"'.  Non  seulement,  y  est-il  dit,  la  terre  de  Roussines, 
donnée  en  partage  à  Jean,  était  d'une  valeur  notablement  supériiuire 
au  domaine  paternel  attribué  à  Elie,  mais  encore  Jean  avait  profité 
des  sommes  d'argent  employées  pendant  nombre  d'années  à  l'en- 
tretenir aux  écoles  et  avait  été  ainsi  mis  en  état  de  remplir  des  fonc- 
tions aussi  rémunératrices  qu'honorables,  et  d'acquérir  pour  lui- 
même  une  fortune  importante.  H  n'y  a  pas  que  ce  témoignage  qui 
atteste  l'aisance  du  jurisconsulte;  quelques  années  plus  tard,  en  i334, 
un  autre  Jean  Faure,  probablement  son  fils,  lui  aussi  versé  dans 
l'étude  du  droit  (il  était  licencié  es  lois),  épousait  la  fille  d'un  riche 
bourgeois  d'Angoulême'^l 

Sur  cette  carrière  brillante  du  cadet,  qui  excitait  la  jalousie  de  son 
aîné,  nous  ne  possédons  que  fort  peu  de  renseignements.  Que  Jean 
Faure  se  soit  élevé  jusques  à  la  dignité  de  chancelier  de  France,  ainsi 
que  l'ont  pensé  quelques  anciens  auteurs,  c'est  là  une  opinion  que 
personne  aujourd'hui  ne  s'aviserait  de  soutenir.  Avant  tout,  il  fut 
avocat;  il  le  dit,  et  d'ailleurs  nous  pourrions  nous  en  douter,  ne 
fût-ce  qu'en  lisant  les  passages  de  ses  écrits  où  il  s'occupe  avec  un 
intérêt  évident  du  barreau,  de  ses  privilèges  et  de  ses  obligations. 
Il  ajoute  qu'il  fut  ])endant  treize  ans  éloigné  de  son  cabinet  de  travail 
et  de  ses  livres'^*.  Ce  temps  fut  employé  par  lui  à  des  voyages  où  il 
traitait  d'alFaires  d'ordre  judiciaire;  c'est  à  l'occasion  de  ces  voyages 
([u'il  composa  un  ouvrage,  le  B/ei^/atre  du  Code,  de  dimensions  assez  ré- 
duites pour  qu'il  pût  l'emporter  avec  lui  dans  une  «  mallette  »  exiguë. 

L'auteur  des  Recherches  de  la  France,  Etienne  Pasquier,  donne  une 
indication  de  nature  à  nous  permettre  de  deviner  le  motif  des  voyages 

de  liologiii',  Commentaire,   loi.    3.49   v°,  et  ci-  sur    Jean   Faure,  jurisconsalte  angoumoi.ùn  du 

dessous,  p.  Sfi.S.  Un  texte  du  xv'siècle  nomme  xiv'  siècle,  dans  le  BuUelin  de  la  Société  ar- 

.lean  Faure  duclur  Doiiiiiiieiisis ;  voir  le  titre  du  chéoloijique  et  historique  de  la  Charente ,  IV*  sé- 

yfencWoriuni  composé  par  Pierre  Hoque,  docteur  rie,  t.  Ilf,  i865,  p.  87  et  suiv. 

de  Poitiers  ,  sur  l'œuvre  de  Faure  :  manuscrit  '''   H  s'agit  du   passage  du  Commentaire  où 

de    la    Bibliothèque    de    Bordeaux,    n°    /|o5,  l'auteur  se  prononce  pour  la  thèse  de  la  res- 

lol.  f)6.   Ce  nianuMiit  a  été  exéiiité  en  i/|6o.  ponsabllité  de   l'avocat   qui   a   perdu  sa  cause 

''   François  Duchesne,  up.cil.,  p.  8/(1-842.  pcr  imprndentinm  (fol.   lU  v").   Faure  ajoute  : 

>"   Voir  les  documents  publiés  par  M.  Henri  «Contra  me  loquor,  qui  advocatus  sum,  et  lui 

l.éridon  n  la  suite  de  sa  notice  intilulée  :  Notice  annisxrii  dislractus  a  studio:  sed  parcant  socii.  » 


SA  VIK.  559 

(le  Jean  Faure'"';  il  avait,  d'après  Pasquier,  rempli  les  fonctions  de 
sénéchal  de  la  baronnie  de  La  Rocliefoucauld  eu  Angoumois,  c'est- 
à-dire  qu'il  avait  tenu  le  siège  de  la  haute  justice  de  cette  baronnie. 
Sans  contredit,  Jean  Faure  put  être  à  la  fois,  pendant  un  certain 
temps,  avocat  et  chef  de  la  justice  de  La  Rochefoucauld.  L'histoire 
judiciaire  de  l'ancienne  France  montre  qu'il  n'y  avait  aucune  incom- 
patibilité entre  le  ministèn;  du  barreau  et  les  fonctions  déjuge  sei- 
gneurial; il  en  fut  ainsi  jusques  à  la  lin  de  l'Ancien  Régime.  Or,  on 
(onnaît  en  Vngoumois,  dans  la  région  même  à  laquelhî  appartenait 
Jean  Faure,  un  certain  nombre  de  baronnies  possédant  d'importants 
droits  de  justice;  c'est  ainsi  qu'il  est  possible  de  constater  l'existence 
de  sénéchaussées  seigneuriales,  non  seulement  à  La  Rochefoucauld, 
mais  à  Montbron,  à  Marthon  et  en  d'autres  lieux  du  voisinage'-'. 
Il  n'est  nullement  invraisemblable  qu'un  jurisconsulte  estimé  pour 
sa  science  et  son  expérience  ait  cumulé  les  fonctions  de  sénpchal 
en  plusieurs  circonscriptions  baronniales.  Au  xvii*  siècle,  un  même 
personnage  était  à  la  fois  sénéchal  de  La  Rochefoucauld,  de  Blanzac, 
de  Marthon,  de  Mussidan,  de  Barbezieux  et  fie  Cellefrouin'-''.  Qu'une 
fortune  analogue  soit  échue  à  Jean  Faure,  excellent  jurisconsulte,  ce 
fait  n'aurait  rien  d'étonnant  et  sulhrait  à  expliquer  les  incessants 
voyages  au  cours  desquels  il  était  absorbé  par  des  occupations  d'ordre 
judiciaire. 

Après  treize  ans  de  cette  vie  errante,  Jean  Faure  redevint  simple- 
ment avocat,  exerçant  son  ministère  près  des  juridictionsd'Angou- 
lême.  On  a  pu  se  demander  si,  à  cette  époque  de  sa  vie,  il  n'avait 
pas  reçu  la  mission  d'enseigner  le  droit.  Un  vieil  historien  d'Angou- 
lême  dit  bien  que  Jean  Faure  fut  représenté  sur  sa  tombe  «en  une 
"  chaire  avec  ses  habits  doctoraux'''*  »,  ce  qui  ne  fournit  pas  un  argu- 
ment décisif,  le  costume  d'avocat  ou  de  magistrat  dont  était  revêtue 
l'effigie  du  défunt  ayant  pu  donner  lieu  à  une  interprétation  erronée. 
lOn  traitant  de  ses  ouvrages,  nous  aurons  l'occasion  de  montrer  que 
les  deux  écrits  juridiques  qui  composent  son  œuvre  ne  sont  nulle- 
ment la  reproduction  d'un  enseignement  oral.  Au  surplus,  dans  ces 
écrits,  l'auteur  fait  allusion  à  trois  Universités,  mais  ce  n'est  point 
pour  dire  qu'il  y  enseigna.  Il  rappelle  qu'il  fut  étudiant  à  Montpel- 

'"'  Recherches.  Uv.  IX,  chap.  xxxix.  —  '*'  Voir,  sur  tous  ces  points,  Archives  de  la  Charente. 
F,  5-,  58,  ()0,  fil.  70,  4fii.  —  '''   IHri..  V,  60.  —  '''   François  de  Corlieu,  loc.  cit. 


500  JEAN  FAURE,  LWUSTK. 

lier;  il  cite  avec  éloge  la  méthode  suivie  par  les  maîtres  de  Bologne, 
et  il  adresse  d'acerbes  critiques  à  ceux  d'Orléans.  Quand,  pour 
donner  un  exemple  destiné  à  faciliter  l'intelligence  de  ses  explica- 
tions, il  lui  faut  mettre  en  scène  des  personnages,  c'est  l'évêque, 
l'ofTicial,  un  bourgeois  d'Angoulême  qu'il  présente  à  ses  lecteurs'''; 
il  n'en  eût  ])as  été  de  même  s'il  eût  vécu  dans  une  ville  d'Université. 
En  somme,  il  ne  semble  nullement  démontré  que  Jean  Faure  ait 
quitté  sa  ville  natale  pour  professer  le  droit  civil  dans  une  école  de 
haut  enseignement. 

C'est  à  Angoulème  que  s'acheva  la  carrière  de  notre  jurisconsulte. 
11  mourut  dans  cette  ville  et  y  fut  enseveli  dans  le  cloître  des  Frères 
Prêcheurs.  D'après  le  témoignage  de  l'historien  d'Angoulême,  François 
de  Corlieu'^',  qui,  écrivant  en  i566,  avait  pu  encore  voir  l'épitaphe 
fie  Jean  Faure,  sa  mort  serait  survenue  «environ  l'an  i34o",  date 
qui  n'est  nullement  invraisemblable.  Gravée  à  côté  de  la  «  représen- 
"  tation  »  du  défunt,  son  épjtaphe  contenait  «plusieurs  sortes  de 
vers  "à  sa  louange».  Le  monument  consacré  à  sa  mémoire  fut 
endommagé  lors  des  dévastations  commises  par  les  Huguenots  en 
i56i;  mais  la  tombe  de  Jean  Faure  ne  fut  pas  violée  par  eux.  Ses 
restes  y  reposèrent  jusques  à  l'année  1822  ;  à  cette  époque,  qui  fut 
celle  de  la  construction  du  Palais  de  Justice  sur  l'emplacement  du 
couvent  des  Jacobins,  le  cercueil  du  jurisconsulte  fut  ouvert,  «ses 
«cendres  furent  jetées  au  vent,  et  le  plomb  du  cercueil  lut  vendu 
«  au  plus  offrant  *'^'  ».  Au  prix  de  cette  profanation,  qu'il  eût  été  si  facile 
d'éviter,  fut  édifié  l'auditoire  où  plaident  de  nos  jours  les  avocats 
d'Angoulême,  successeurs  de  Jean  Faure. 


SES  ECRITS. 

Nous  connaissons  deux  ouvrages  de  Jean  Faure,  imprimés  plus 
d'une  fois  depuis  la  fin  du  xv*  siècle.  L'un  est  le  Breviarium  sur 
les   livres  I-IX    du    Gode  de  Justinien**';   on  sait  que  l'explication 

'*'   Commentaire,  fol.  4a,  ^79.  Sig  v*.  crit  en  l'année  làog,  provient  de  Saint-Viclor 

'*'  Loc.  cit.  de  Paris);  Reims,  n°  83o  (xv'  siècle),  a  appar- 

'''  Léridon,  op.  cit.,  p.  la.  tenu  à  Goillaume  Fiilastre,  doyen  de  Reims, 

''  Mahcicrits.  Mazarine,   n°  i/|i3(trans-  puis  cardinal  ;  Tours, n°*65oel  65 1  (xv*  siècle). 


SES  ECRITS. 


501 


(les  textes  contenus  dans  ces  livres  formait,  dans  nombre  d'écoles, 
l'une  des  bases  de  l'enseignement  du  droit  civil.  L'autre,  de 
beaucoup  le  plus  important  et  le  plus  répandu ,  est  le  Commen- 
taire sur  les  quatre  livres  des  Instilutes  du  même  empereur,  c'est- 
à-dire  sur  le  manuel  classique  où  est  résumé  l'ensemble  du 
droit"). 

Ces  deux  écrits  de  Jean  b'aure  nous  semblent  présenter  un  carac- 
tère qui  leur  est  commun;  ce  ne  sont  pas  des  recueils  de  leçons 
professées  dans  une  chaire  et  ensuite  recueillies  et  livrées  au 
public  sous  la  forme  d'un  volume.  Le  Breviarium  n'est  nullement 
l'œuvre  d'un  maître  attaché  à  une  Université;  c'est,  comme  on  l'a 
dit  plus  haut,  parce  que  des  occupations  professionnelles  lui  impo- 
saient de  fréquentes  absences  que  l'auteur  voulut  réunir  les  notions 
les  plus  importantes  du  droit  en  un  volume  destiné  à  lui  tenir  lieu 
de  bibliothèque  au  cours  de  ses  voyages.  Si  le  Commentaire  sur  les 
Institutes  contient  un  plus  grand  nombre  d'amples  développements, 


En  oiilro,  Hiinel  [Cutnloiji  lihioiiim  iiuuiuscrip- 
Inrnm,  col.  980)  inentioniu-  la  pr(''s<'nce  d'un 
manuscrit  à  Sé\ille,  dans  la  Bibliotheca  Go- 
lunibina,  AA,  i4-<,  36. 

Éditioiss.  Trois  éditions  antérieures  à  i5oo 
sont  mentionnées  dans  le  Calaloyue  général 
des  incunuhles  des  hiblioliièques  publiques  de 
France,  par  M"*  M.  PcUechet  :  une  donnée  à 
Louvain  vers  \\']b,  une  à  Lyon  en  i48o, 
une  à  Paris  en  1/199  (cf.  Hain,  Reperloriwn, 
II"'  68^5-6846).  Nous  coimaissons  en  outre 
les  éditions  suivantes,  du  xvi'  siècle  :  Paris, 
r'mars  i5i6  (anc. st.),  et  1  545  ;  Ljon,  iSao, 
1537,  i55o,  1598.  Sur  les  éditions  de  Lyon, 
if.  Baudrier,  tiibliographie  lyonnaise,  t.  V, 
|).  36-!;  X,  p.  "204  et  ia3;  VI,  p.  474.  Voir 
aussi  Léridou,  op.  cil.,  p.  45. 

'"'  Mahdscrits.  Bibl.  nat. ,  lat.  444'?  (xv°  siè- 
cle); Mazarine,  i4ia  (début  du  xv'  siècle, 
([ui  provient  de  Saint-Victor);  Amiens,  n°  35o 
(xv'  siècle)  ;  Douai,  n°  J73  (xv'  siècle);  Saint- 
Omer,  n°  48 1;  Tours,  n°  04 1  (commence- 
ment du  xv'  siècle);  Oxford,  Ail  Soûls,  Sg 
(transcrit  en  i4o6  par  un  étudiant  d'Orléans)  ; 
Madrid,  Bibl.  royale,  A  AI,  et  Séville ,  Colum- 
bina,  W  i4o,  3,  d'après  Hànel,  op.  cit., 
col.  9G9  et  9H0. 

Editions.  I.e  Catalogue  général  des  incu- 
nables de  France,  par  M"'  M.  Pellechrt,  sij^nale 
Hisi.  iiiréB.  —  \\\v. 


deux  éditions  du  Commentaire  ou  Lecturu 
sur  les  Institutes:  l'une  saris  indication  typo- 
graphique, l'autre  donnée  a  \enise  en  1499- 
ilain  mentionne  en  outre  quatre  éditions  de 
Venise,  i488,  1^193,  1496  et  1497.  Au 
xvi*  siècle,  de  nombreuses  éditions  ont  éti' 
publiées  à  Lyon.  Nous  Indiquerons  avec  la 
Bibliographie  lyonnaise  de  Bauflrier,  les  édi- 
tions de  i5i3,  i5a3,  i5j7,  1637,  i54o, 
i543,  i546,  1678,  1593  (Baudrier,  X, 
p.  391;  I,  p.  2i4;  VIll,  p.  42;  VI, 
p.  187;  V,  p.  ao4;  VII,  p.  4o3  ;  X, 
p.  i48;  VI,  p.  476;  V,  p.  507).  On  peut 
citer  encore  des  éditions  de  Lyon,  i53i; 
Milan,  i5o4;  Venise,  lôiG,  ces  deux  der- 
nières signalées  par  l'Index  inséré  au  tome  X 
des  Annales  tjpographici  de  Panzer;  en  tout 
dix-huit  éditions  entré  les  origines  de  l'impri- 
merie et  1 600. 

Deux  exemplaires  figoi'aieut  dans  la  biblio- 
thèque de  Claude  Bellièvre  en  iô3o  [Mélanges 
offerts  à  M.  Emile  Picot,  t.  II,  1913,  p.  346, 
n°  35).  Les  écrits  de  Jean  Faure  avaient 
aussi  trouvé  place  dans  'a  bibliothèque  de 
Gilles  Perrin ,  archidiacre  de  Josas  au  xvi"  siè- 
cle (Ualletin  hist.  et  phil.  da  Comité  des 
travaiuc  historiqaes,  1896,  pages  776.  et 
783).     . 


3  C  * 


502  JEAN  FAURE,   LEGISTE. 

et  coiislituc  une  œuvre  plus  complète,  il  n'a  pas  davantage  laspecl 
d'un  recueil  de  leçons  professées  en  chaire.  Comme  le  Brevianuin,  le 
Commentaire  n'a  jamais  été  qu'une  œuvre  écrite  ;  on  en  j)eut  trouver 
la  preuve  dans  les  expressions  employées  à  diverses  reprises  par 
l'auteur.  Au  début  de  son  explication  du  litre  des  actions,  il  se  com- 
pare aux  auties  scriploivs  jaris  civilts,  et  oppose  ses  procédés  aux 
leurs:  «Ego  aulem  in  hoc  toto  volumine  contrario  stylo  usus  sum  ■■, 
dit-il,  et  il  ajoute  que,  s'il  ne  se  fût  agi  que  de  répéter  ce  qui  avait  déjà 
été  dit,  il  n'eûl  pas  été  besoin  de  nova  scriptura^'K  Ailleurs,  faisant 
allusion  à  la  doctrine  de  quelques-uns  de  ses  prédécesseurs  sur  une 
question  controversée,  il  ajoute  :  «  Ego  melius  non  possem  scribere 
quam  ipsi'*'.  »  Plus  loin,  s'excusant  de  mettre  un  terme  à  des  considé- 
rations >ur  la  matière  des  interdits,  il  ajoute  :  «  Sed  scripturarum  iu)n 
essel  finis  cui  vellet  omnia  tangore'^'.  »  Ces  observations  confirment 
uotre  conclusion  antérieurement  énoncée  :  Jean  Faure  fit  œuvre 
d'écrivain,  mais  non  de  professeur. 

Il  n'en  possédait  pas  moins  une  culture  juridique  aussi  étendue 
que  profonde,  étant  familier  a\ec  les  textes  et  le-,  auteurs  qui  les 
ont  conimeiitcs.  Pour  s'en  convaincre,  il  suffit  de  parcourir  ses  écrits  : 
à  côté  d'innombrables  citations  empruntées  aux  diverses  parties  du 
Corjxis  jnns  civilis  et  du  Corpus  jaris  canonici  (y  compris  les  Clémen- 
tines), a  Ih  glose  (pii  Is  accompagne  (^t  à  quelques  passages  de  la 
Lomharda  et  des  Libri  Fendnriim,  Jean  Faure  cite,  parmi  l(>s  civi- 
listes,  de  nombreux  auteurs  italiens,  Martiims,  Bulgarus,  Cypria- 
nus''*',  Placentin,  Odefroi,  Hugolinus,  Roffroi  de  Bénévenl,  Accurse, 
Jacques  /"xtldiiini,  Jacques  de  Arena,  Azon,  Jean  Bassien,  Fi-ançois 
Accurse,  Dino  de  Mugello,  et  enfin  Cino  da  Pistoia,  dont  on  ren- 
contre tout  au  moins,  dans  le  Commentaire  i,nv  les  Institutes,  une  cita- 
tion authentique  empruntée  à  la  Lectiiru  sur  le  (^ode  cpie  Cino 
composa  entie  i .')  i  i  et  i  3  i  /|  ^^K  Cino  est  le  légiste  le  j)lus  récent  dont 

'"'    Fol.  T^'i   v".  *"'   Ciette    citatiun    est    insérée    au    cou^^  du 

'*'   Fol.  34b  v'.  coiiiinerilaire  du  paragraphe  ,'j  du   titre  II   du 

'■■'    Fol.  Sg^i   v".  livre  I  des  Instilutes,  De  jure  ndtiinili,  qenliuni 

■*'   Il  ne  faut  ijas  cioire  que  la   uienlion  Cy ,  et  civili     loi.  i4);  elle  si-  trouve  dans   les  nia- 

qui  s<?  rencontie  dans  le  texte  du  Commentaire  nuserit>,    comme    nous    l'avons    pu    constalei 

Ici',  fol.  376)50  lapporle    à    (linus   de   Pisloie;  Maiaiini'.     l4l2,    fol.    l'^\    Bibi     n^il.,    latin 

elle    concerne    le  ;,dossateur  Cyprianus.   Il    en  àià'i  <  loi.   17   v").  Il  n'en  est  pas  de  mêm^- de 

est  ainsi  menu-  (|uand ,  par  erreur,  l'éditeur  a  la  citation  de  Cinus  qui  parait  se  trouver  dans 


imp 


rimé  C'in.  le  HrfiinriiimlM.S'S  \°].  sur  c.  J<,  Code  ,  III , 


SES  ECRITS.  56;t 

Faure  ait  utilisé  les  ouvrages.  Quoique  Savigny  en  ail  ])u  penser^'', 
si  Bariole  esl  mentionné  clans  les  écrits  de  Jean  Paure,  son  nom  n'v 
paraît  que  dans  des  passages  interpolés;  il  en  est  de  même  du  nom 
du  contemporain  de  Bartole,  Jacques  Butrigarius'^'.  H  convient  de 
faire  remarquer  qu'à  la  dillerence  de  son  émule  Pierre  Jacohi,  notre 
jurisconsulte  se  rattache  étroitement  aux  deux  maîtres  qui,  à  la  lin  du 
\nr  siècle  et  au  début  du  xiv^,  ont  été  l'honneur  de  la  science  fran- 
çai.^e,  encore  que  justice  ne  leur  ait  pas  toujours  été  rendue;  nous 
avons  iioiiinié  Jacques  de  Revigny  et  Pierre  de  Belleperche,  qui  mou- 
r-.iiviil  liin  évéque  de  Verdun  et  l'autre  évêque  d'Xuxerre.  Sans  se 
croire  ohligé  d'adopter  aveuglément  toutes  leurs  opinions,  Jean  Faiire 
en  tient  toujours  compte,  et  les  cite  prestpie  à  chaque  page  de  son 
Commentaire.  Pour  expliquer  les  passages  obscurs  des  Lihn  Fendorum , 
il  a  recours  à  la  glose  devenue  classique  de  Jacques  Columbl.  En 
outre,  il  a  puisé  abondamment  aux  ('crits  des  canonisles;  on  ren- 
contre ]ilus  ou  moins  fréquemment  dans  son  œuvre  les  noms  de 
Bernard  de  Compostelle,  «le  Pierre  de  Sampson'''',  d'Henri  de  Suse, 
cardinal  d'Ostie,  de  (leotTroi  de  Trani,  de  Guillaume  Durant,  le 
célèbre  auteur  du  Spéculum,  el  enlln  ceux  du  cardinal  Le  Moine  el 
de  Jean  André,  tous  deux  ses  contemporains.   . 

Jean  Faure  ne  s'est  pas  enfermé  dans  les  limites  étroites  de  la  litté- 
rature purement  professionnelle.  Il  ne  manque  pas  de  citer  la  Bible; 
il  s'est  adressé  aux  ouvrages  de  divers  auteurs  non  juridicpies.  «  Non 
"  seulement  il  est  permis  au  jurisconsulte,  écrit-il,  d'invoquer  à  l'appui 
'<  de  ses  opinions  les  dires  des  poètes  et  des  philosophes  de  l'antiquité; 
"  mais  il  est  beau,  il  est  élégant  de  le  faire.  Toutefois,  ajoute-t-il , 
'(  l'autorité  de  ces  écrivains  ne  nous  lie  pas  si  ce  n'est  dans  la  matière 
'•pour  laquelle  ils  possèdent  une  compétence  spéciale;  ainsi  faudra- 
I  t-il  suivre  Priscien  en  ce  qui  concerne  la  grammaire,  Aristote  pour 
"la  logique  et  la  philosophie  naturelle,  Hippocrate  quand  il  s'agira 

l)'apr<'s    le   manuscrit     i4i3    de    la    Mazariiu-  loi.  678 )   et  11    la  citalion   de   Butrigaiius    qui 

(loi.  /(a  v"),   il   faut   lire  Dinus  et   non  Cmns.  lifi^io  au   l'olio   246.  Voir  le  manuscrit   de    la 

En  ce  qui  concerne  la  confusion  avec  Gypria-  Mazarine  i/ii"?,    loi.  318  et  .'5o7   v",  et  le  ma- 

nus,  voir  plus  haut.  nnscrit  de    la  Bibl.  nat.,   latin    4443,101.   iiS 

'"   Op.  cit.,  t.  VI,  p.  35.  el   jof)  v". 

''   Ces    remarques    s'appliquent    aux    deux  '"   Ce   canotiiste  est   cité  au  moins  une  l'ois 

citations  de  Bartole  fjiii  se  rencontrent  dans  le  dans  le  Cnnimentnirc ,  (ol.  T)  v°. 
Cninmentiiire    sur    les    InslitiUes    ffol.     t46   et 


56^1  JEAN  FAURE,  LKdISTE. 

«  de  médecine'"'.  »  Notre  auteur  ne  craint  pas  d'affirmer  cette  opinion 
à  l'encontre  de  celle  des  hommes  qu'il  appelle  sunphces  légiste,  qui 
ne  savent  rien  des  poètes  et  des  philosophes  de  l'antiquité,  et, qui  pis 
est,  ignorent  les  moralistes  dont  la  lecture  est  un  bienfait  pour  l'âme  et 
peut  contribuer  à  la  sauver.  Sous  l'empire  de  ces  idées,  Jean  Faure 
ne  se  fait  aucun  scrupule  de  citer  Aristote,  Gicéron,  Sénèque,  Clau- 
dien;  il  convient  d'ajouter  qu'il  cite  avec  eux  les  auteurs  chrétiens, 
saint  Basile,  les  Pères  latins,  Hugues  de  Saint-Victor  et  saint  Bernard. 
Son  esprit  curieux  s'est  aussi  porté  vers  les  questions  d'ordre 
scientifique.  C'est  ainsi  qu'à  propos  d'un  passage  des  Institutes '■''  où 
est' mentionné  Yelectrum,  il  dit  que  le  véritable   elertram  n'est  pas  le 

Froduit  d'une  combinaison  de  l'or  et  de  l'argent,  comme  semble 
indiquer  Justinieii.  C'est  un  métal  distinct,  jouissant  d'une  propriété 
merveilleuse  :  quand  on  jette  un  poison  dans  un  vase  fait  de  ce  métal, 
le  vase  prend  aussitôt  toutes  les  couleurs  de  l'arc-en-ciel.  Faure 
raconte  qu'il  en  a  élé  instruit  par  les  Elymologiœ  d'Isidore  de  Séville'^' 
et  qu'il  a  fait  avec  succès  la  démonstration  de  ce  phénomène  en  pré- 
sence d'un  grand  personnage.  Il  s'exprime  à  cette  occasion  avec  un 
dédain  non  dissimulé  sur  le  compte  de  l'auteur  de  la  glose  des  Insti- 
tutes,  qui  n'a  rien  vu  de  tout  cela.  «  C'était  sans  doute,  dit-il,  un  très 
"  grand  légiste,  mais  il  n'en  semble  pas  moins  un  grand  ignorant  dans 
-  les  autres  facultés.  « 

Ce  n'est  point  seulement  par  l'étude  des  œuvres  juridiques,  litté- 
raires ou  scientifiques  que  Jean  Faure  s'est  préparé  à  la  carrière 
dn  droit.  En  homme  du  xiv*^  siècle,  il  s'est  formé  à  la  dialectique, 
et  s'il  se  garde  d'en  abuser,  il  sait,  à  l'occasion,  en  tirer  parti.  Il 
connaît  d'ailleurs  les  ressources  de  l'argumentation  ;  pour  intei- 
préter  les  textes  qui  font  difficulté,  il  use  de  distinctions  souvent 
justes,  parfois  subtiles;  il  sait  rechercher  la  ratio  Icgis,  recourir  à 
l'argument  historique,  ou  encore,  s'il  en  est  besoin,  à  l'argument 
d'analogie  qu'il  emploie  volontiers.  Il  n'ignore  pas  fusage  qui  peut 
être  fait  des  brocards,  ou,  pour  user  d'une  expression  familière  à 
ses  contemporains,  de  la  via  bwcardica,  mais  il  ne  s'en  sert  qu'avec 
la  réserve  qui  convient  à  un  homme  avisé  et  judicieux  **l 

'"   Commentaire,  foi.  aao.  '*'   Conuiientaire ,    fol.    137.   Sur  ia    via  bro- 

'*'   Intl.,  Il,  S  '17.  CA.  Commentaire,  fol.   66-         airdica  et  in  critique  qu'en  iaiMit  un  coatem- 
'''  Cr  Etymolngim,  XVI,  a4.  porain  de  Faure,  Gino  da  Pisloit,  cf.  Savi^y, 


SES  ECRITS.  565 

On  ne  s'étonnera  pas  de  ce  qu'un  esprit  ainsi  cultivé  et  assoupli  ait 
reconnu  les  lacunes  et  les  défauts  de  l'enseignement  qui  se  donnait 
dans  les  Universités  et  des  écrits  juridiques  produits  par  la  génération 
qui  en  sortait.  Jean  Faure  critique  vivement  les  maîtres  qui,  infidèles 
aux  traditions  de  Bologne,  ne  pré.sentent  pas  chaque  année  à  leurs 
élèves  un  ensemble  de  leçons  correspondant  à  un  cycle  complet 
d'études,  par  exemple  uncontmenlairedu  Digestum  vêtus  ou  du  Code, 
et  se  bornent  à  un  enseignement  fragmentaire.  Qu'ils  enseignent  en 
rVance  ou  en  Italie,  Jean  Faure  blâme  ceux  qui,  loin  de  concentrer 
leur  attention  sur  les  matières  nécessaires  et  substantielles,  s'arrêtenl 
à  des  questions  de  luxe,  magis  ad  ostentatiunem  (juam  ad  instractionem , 
et  servent  à  leurs  auditeurs  des  outres  pleines  de  vent  sous  prétexte 
de  leur  exposer  des  opinions  nouvelles'"'.  Ainsi  ils  ensevelissent,  sous 
le  fatras  des  systèmes  et  la  multitude  des  livres,  le  texte  même  des 
lois  que  les  étudiants  ne  connaissent  pas,  non  plus  que  les  décisions 
qui  y  sont  contenues'''.  Il  convient  de  faire  la  guerre  aux  subtilités 
inutiles  et  aux  discussions  oiseuses;  il  convient  de  se  défier  de  la  foule 
innombrable  des  écrits,  et  pour  cela  de  se  rappeler  le  motdeSenèque  : 
«  Distrahit  librorum  multitudo'''  ».  Ayez  les  livres  que  vous  pourrez  lire 
utilement,  n'en  lisez  pas  autant  que  vous  pourriez  en  avoir. 

Il  semble  bien  que,  par  ces  diverses  critiques,  Jean  Faure  fasse  le 
procès  de  l'enseignement  tel  qu'il  est  donné  dans  certaines  Universités 
de  son  temps,  par  exemple  à  Montpellier,  où  l'on  n'hésite  pas 
à  permettre  au  professeur  de  s'appesantir  sur  certains  points,  sauf  à 
négliger  les  autres  ou  à  les  renvoyer  à  l'enseignement  extraordinaire'''. 
11  dédaignait,  comme  devait  le  faire  après  lui  Bartole ,  les  gloses  des 
maîtres  d'Orléans,  connues  pour  dire  le  contraire  de  la  proposition 
contenue  au  texte'^',  ou  leur  enseignement  fort  propre  à  ébranler, 

op.  cit.,  a*  éd.,  t.  111,  p.  568;  t.  VI,  p.  91,  et  '*'   «Audeotibi  dicei-e  quod  nesril  legem  qui 

Luigi  Chiappelli,    Vitn  e    opère  giuridiche   di  non  legit  totum  Codicem  de  aecpio  progressii 

Cino  da  Pistoia  (Pisioie ,  1881),  p.  iga.Chiap-  in  anno,  et  idem  de  aliis  voluminibus,  et  sicfit 

l>elli  cite  le  passage  du  commentaire  de  Cino  Bononiae.  •  {Commentaire,  fol.  2/19  v*.) 
sur  la  loi  a,  Code  de  Jastinien,  VII,  56,  ainsi  <''  Ibid.,  fol.  aio  v°. 

conçu:  iVia  est  brocardica,  et  ideo  semper  du-  '''  Ibid.,  fol.  a. 

'  bia  • ,  et  cet  autre  passage  du  commentaire  de  ''*  Marcel   Fouraier ,    Histoire  de  hi  science 

la  loi  16,  ibid.,  IV,  35  :  «Ista  qiHMtio  cadit  in  du  droit  en  France,  p.  5o6,  5a6-5-!7. 
vias  brocardicas  que  semper  »unt  plene  sen-  '*'   Commentaire,  fol.  336  v".  Cf.  Bartole,  sur 

tibus  et  ideo  evitandep  per  doctores  quantum  les   Institutes,   liv.  I,   tit.  1 :  1  Hoc  esaet  glossa 

possint.  »  Aureliancnsis ,  quo?  textum  destruit.  • 


56()  JEW   KALI\K,   I.WilS'IK. 

sans  iriiit,  les  parties  certaines  de  la  science  juridique  "\  ou  enliii 
le  jargon,  moitié  latin  moitié  français,  dont  ils  usaient  en  chaire. 
Mieux  vaudrait,  dit-il,  se  servii-  du  grossier  patois  [(jrossum  idioinu'^ 
des  Angoumoisins  et  des  Poitevins,  à  la  condition  d'être  en  mesuie 
de  comprendre  et  de  ])arler  le  latin  '"',  qui,  en  somme,  est  jiour  les 
hommes  de  cette  épcxpie,  la  vraie  langue  du  droit.  En  coujposanl  ses 
ouvrages,  .lean  Faure  s'est  propose  de  montrer  comment  on  peut 
donner  en  latin  un  enseignement  répondant  aux  hesoins  de  ceux 
qui  élurlient  le  flroit.  Tel  est  le  but  de  ses  deux  livres. 

Le  lireviariam  sur  le  Code  est  incontestablement  le  premier  en  date. 
Le  Commentaire  sur  les  Institutes  renvoie  maintes  lois  à  cet  ouvrage; 
quant  au  renvoi  au  Commentaire  qu'on  trouve  dans  le  lireviunum 
il  (igure  dans  un  passage  interpolé  (pii  ne  se  retrouve  point  dans  les 
manuscrits*''. Sur  l'époqueuii  fut  composé  le  Dieviarium,  nous  n'avons 
point  d'indication  précise;  mais  nous  pouvons  le  tenir  pour  postérieur 
au  'i5  octobre  i3i7,  date  de  la  promulgation  par  Jean  XXll  des 
(Clémentines,  qui  y  sont  citées'*'.  11  fut  certainement  rédigé  entre 
i3i7  et  l'époque  où  fut  écrit  le  Commeiilaiie,  (pu  ne  saurait,  comme 
on  le  veira  bientôt,  être  antérieur  à  i  335.  On  ne  risqueguèrede  com- 
mettre une  grave  erreur  en  en  plaçant  la  con) position  approxima- 
tivement vers  i395  ou  i33o,  en  ui»  temps  où  l'auteur  était  encore 
iluu'ians  et  neyocians^''K  Le  Commentaire  sur  les  Institutes,  d'après  une 
indication  donnée  par  .lean  Faure,  a  été  rédigé  sous  le  pontilicat  de 
Benoit  XII;  il  ne  peut  donc  être  antérieur  à  i335''''.  Si  l'on  admet, 
comme  nous  avons  cru  devoir  le  faire  ''',  que  Faure  est  mort  «  environ 
l'an  1  3/|0  »,  on  en  conclura  (pie  son  dernier  livre  a  dû  être  compose 
entre  i335  et  i34o.  Aussi  ne  .s'élonnera-t-on  pas  d'y  rtuicontrer  un 
passage  (pii  n'a  guère  pu  être  écrit  qu'au  moment  où  la  guerre  de 
Cent  ans,  qui  s'ouvrit  en  i339,  était  proche,  si  déjà  elle  n'avait 
éclaté'**'.  Il  serait  surprenant  que  dans  un  livre  écrit  en  France  à  cette 
épo(jue,   Bartole  eût  j^u  être  cité;  il  était  encore  ])en  connu  en  Italie, 

'''   Commentaire ,  loi.  36/|  v'.  '''   Commentaire ,  loi.  5  v". 

'"    Ihid.,  loi.  5'2   v°.  '''   Voir  ci-dessus,  |i.  56o. 

''     iireviniium ,   loi.  i  8.  (.<■  renvoi  ne  lifjure  ''    C'est  le  |)assnge  (fol.   i  i  )  ou  l'auleur  dit  : 

|>as  dans  le  manuscrit  de  la  M.i/.Hi'iiu',  II*  i/ji."».  «Et  per  hor  videtur  (]uod  ii\  \nf,'liap  non  (lossil 

''   Voir   fol.  (),    où    est   riléi'   l.i   iléciéinle   i.  indireie  helliini    régi   FraneiaB   pix)   relius  qua* 

Clémentines.  V,   l  i .  leiiel   al)   codein,   si   rei   Fraiiriae  velil  sibi  jus 

''     lliid.,  loi.   '|.  laciTc   In  suis  rausis.  u 


SKS  KCIUTS.  567 

à  plus  forU"  raisoi)  élait-il  ignoré  de  l'autre  coté  des  \lpes.  On  ren- 
contre bien  des  citations  de  Bartole  dans  le  Commentaire,  mais, 
comme  on  l'a  dit,  les  passages  où  il  est  nommé  ne  liraient  pas  dajis 
les  manuscrits  el  ont  été  ajoutés  après  coup  par  les  éditeurs 

Des  deux  ouvrages  de  Faure,  le  Commentaire  est  de  beaucoup  le 
plus  important,  par  l'ampleur  de  l'exposé  et  la  richesse  des  dévelop- 
pements. Mais,  dans  l'un  et  l'autre,  la  méthode  suivie  est  la  même; 
l'auteur  se  propose  d'y  dégager  les  règles  du  droit  obscurcies  par  les 
controverses  on  ensevelies  sous  la  masse  compacte  des  écrits  des  glos- 
sateurs  et  des  commentateurs.  Il  tien!  à  bon  droit  le  texte,  et  non  la 
glose,  pour  le  fondement  de  la  science  juridique.  vSans  la  reproduire 
in  extensn ,  il  présente  très  brièvement  sur  chaque  mot  important  les 
opinions  de  la  glose;  toutefois,  il  ne  s'astreint  nullenumt  à  les  suivre. 
A  l'exemple  de  son  prédécesseur  Pierre  de  Belleperche,  et  de  son 
contemporain  Cino  <la  Pistoia'*',  il  connaît  les  lacunes  et  les  défauts 
de  la  glose,  et  sait  au  besoin  les  montrer;  ce  n'est  pas  lui  qui  méri- 
terait d'être  accusé  d'idol.âtrie  pour  l'œuvre  d'Accurse.  De  même,  sur 
les  (Hieslions  douteuses  qu'il  rencontre,  il  indique  les  solutions  don- 
nées par  les  docteurs,  qu'il  présente  le  plus  souvent  sous  la  forme 
d'apostilles  à  la  glose.  Sans  doute,  en  principe,  il  conseille  de  s'en 
rapporter  à  la  cnmmunis  opinio''^^  des  maîtres  de  la  science  du  droit; 
mais  cela  ne  l'empêche  pas,  le  cas  échéant,  de  critiquer  leurs  doc- 
trines, usant  à  l'égard  de  ses  prédécesseurs  ou  de  ses  contemporains 
d'un  jugement  indépendant  et  d'une  verve  parfois  très  caustic(ue. 
Uix  oj)inions  des  autres  il  ajoute,  dit-il,  ce  que  Dieu  lui  inspire; 
ce  sont  parfois  de  brèves  explications,  parfois  des  exposés  magistraux 
où  sont  traitées  les  plus  graves  questions.  Là,  Jean  Faure  permet 
d'apprécier  sa  maîtrise  des  textes  et  des  écrits  juridiques;  là,  il  lui 
arrive  de  se  ressouvenir  des  leçons  de  dialectique  qu'il  a  reçues  dans 
sa  jeunesse,  témoins  la  première  page  de  l'explication  des  Institutes, 
où  il  traite  de  la  matière  et  des  caractères  de  la  science  du  droit,  ou 
encore  le  début  du  commentaire  du  livre  IV  du  même  ouvrage 
où,  à  la  suite  de  Placentin  et  d'Azon,  de  Jacques  de  Revigny  et  de 

'''  Cl.   Luigi  Chiappelli,    Vita  e  opcrc  (jiari-  avant  tout  compte  du  texte.  Par  ces  tendances, 

dirhe    di    Cino    da    Pistoia     (Pistoie,     1881),  Cino  cl  Faure,  qui  le  suit  de  quelques  annôes, 

p.   i88.  On  constate  dans  les  ouvrages  de  Cino  présentent  quelque  analogie. 
uiK-  indépendance  nettement  accusée  vis-à-vis  '*'   Commentaire,  fol.  "t. 

(le   la    tjloM'  el  mi   souci  1res  marqué  de  Icnir 


5()S  JKW  FAURK,   LK(jlSTK. 

Pierre  de  Belleperche,  il  s'efforce  de  définir  l'action  et  den  déter- 
miner la  nature.  A  ces  exemples  on  en  pourrait  ajouter  beaucoup 
d'autres;  mais  il  n'est  pas  moins  vrai  que  cette  manière  de  comprendre 
la  science  juridique  n'est  pas  celle  que  préfère  l'auteur.  Nul  moins 

3ue  lui  n'a  de  goût  pour  les  discussions  purement  verbales.  A  propos 
es  observations  de  la  glose  sur  la  définition  de  l'obligation,  donnée 
par  les  Institutes,  Jean  Famé,  après  quelques  considérations  «ju'il 
tient  à  présenter  en  bref  (car,  dit-il,  son  lecteur  non  indigel  dictis), 
pose  la  question  de  savoir  si  l'obligation  est  un  être  réel  ou  pure- 
ment intellectuel.  Là-dessus  il  répond:  «  Pour  résoudre  ce  problème, 
dispute  selon  la  logique,  toi  qui  es  récemment  arrivé  de  Paris;  tu  ne 
t'es  pas  encore  appliqué  aux  connaissances  d'où  découlent  le  lait 
et  le  miel;  par  ces  disputes  auxquelles  tu  te  livreras,  tu  acquerras 
peu  de  gloire  ''^.  «  Aucun  passage  ne  donne  une  idée  plus  juste  des 
tendances  de  Jean  Kaure,  de  la  manière  claire  et  réaliste  qu'il  affec- 
tionne, et  de  faversion  qu'il  éprouve  pour  l'interminable  et  obscur 
bavardage  de  certains  docteurs. 

C'est  que  notre  jurisconsulte  a  reçu  en  partage  un  esprit  iiel 
et  perspicace;  il  discerne  rapidement  le  point  vital  d'une  question  et 
sait  le  mettre  en  pleine  lumière.  En  voici  un  exemple.  Les  juristes 
n'ignorent  pas  que  peu  de  matières  ont  été  plus  embrouillées,  corrirne 
à  plaisir,  que  celle  des  actions  dites  mixtes,  c'est-à-dire  des  actions 
en  partage  et  en  bornage;  d'un  mot,  Jean  Faure  place  son  lecteur 
sur  le  véritable  terrain  en  montrant  qu'elles  sont  essentiellement 
des  actions  personnelles,  procédant  de  quasi-contrats '^\  Ce  qu'il  fait 
à  propos  de  cette  tbéorie,  il  le  répète  à  propos  de  beaucoup  d'autres. 
Par  là,  il  simplifie  la  tâcbe  de  ses  lecteurs  et  leur  montre  le  chemin. 
On  ne  s'étonnera  pas  de  constater  que  ses  sympathies  vont  moins  aux 
théoriciens  qu'aux  praticiens.  Gilles  Bellemère  avait  bien  raison 
d'écrire  de  lui,  dès  le  xiv*"  siècle,  qu'il  était  un  esprit  plus  pratique 
que  spéculatif. 

Animé  de  ces  dis])ositions,  Faure  n'eût  trouvé  aucune  satisfaction 
a  étudier  le  droit  romain  comme  une  législation  morte.  Ce  n'est  pas 
lui  qui  se  fût  appliqué,  ainsi  que  le  faisaient  les  glossateurs,  à  en  dis- 
séquer le  cadavre  pour  en  analyser  exactement  toutes  les  parties; 

''"'  Commentaire ,  loi.   i  tÎj  \°.  —   ''    Commentnire ,  fol.  aSo  v°  et  3n  v*. 


SES  ECRITS.  569 

ce  n'est  pas  lui  qui,  à  la  façon  des  humanistes  de  la  Renaissance  ou 
de  publicisles  et  érudits  d'une  époque  plus  récente,  se  fût  résigné 
à  ne  considérer  l'étude  des  lois  de  Rome  que  comme  une  branche 
de  la  connaissance  de  l'antiquité ,  c'est-à-dire  comme  une  étude  de 
luxe  pour  le  jurisconsulte.  Son  ambition,  comme  d'ailleurs  celle 
de  ses  contemporains,  était  plus  haute;  ils  trouvaient  dans  le  droit 
romain  un  cadre  excellent  auquel  ils  pouvaient  adapter  les  insti- 
tutions de  leur  temps,  et  des  méthodes  utiles  pour  l'interprétation 
des  lois;  qu'on  se  souvienne  des  efforts  de  Jacques  de  Revigny  pour 
systématiser  le  droit  féodal  d'après  les  principes  romains'".  Ainsi 
avait  été  ouverte  une  voie  où  devaient  se  précipiter  les  jurisconsultes 
du  XIV'  siècle;  parmi  eux  nul  ne  suivit  cette  voie  avec  plus  d'empres- 
sement que  Jean  Faure.  De  très  nombreux  passages  de  ses  écrits 
en  fourniraient  la  preuve;  qu'il  nous  suffise  d'en  donner  quelques 
exemples.  Pour  déterminer  l'état  juridique  des  conditionarii ,  gens 
de  condition  inférieure  du  bailliage  de  Bourges  et  des  régions  voi- 
sines, il  a  recours  aux  règles  relatives  aux  colons  romains  du 
Bas-Limpire  '^'.  11  étend  l'institution  du  pécule  (juasi  caslrense  aux 
fonctionnaires  des  seigneurs  féodaux,  comtes  et  barons,  et  aussi 
aux  officiaux  des  prélats ''';  il  met  l'action  (fuod  jassu  au  service  du 
créancier  qui  a  passé  un  contrat  avec  un  moine  autorisé  par  son 
abbé'*'.  Il  applique  aux  biens  d'église,  avec  des  distinctions  variées, 
la  classification  romaine  des  biens  en  trois  catégories  :  sacrés,  reli- 
gieux et  profanes  '^'.  Il  place  sur  le  même  pied  la  stipulation  ro- 
maine et  le  contrat  par  lettre  qui  fut  d'un  emploi  si  général  au  moyen 
àge'^\  l'une  et  l'autre  étant  destinés  à  rendre  les  mêmes  services.  Il 
introduit  les  communautés  taisibles  dans  la  catégorie  des  sociétés'''. 
On  pourrait  multiplier  ces  exemples;  nous  nous  permettrons  seu- 
lement d'ajouter  que  c'est  surtout  par  ses  efforts  pour  faire  entrer 
la  propriété  féodale  dans  les  cadres  romains  que  Jean  Faure  a  marqué 
sa  trace.  H  s'est  préoccupé  de  trouver,  dans  l'arsenal  juridique  des 
Romains,  des  moyens  de  protéger  les  rapports  de  droit  nés  de  ce 
fait   que   divers   attributs  de   la  souveraineté  sont  tombés  dans  le 

'"'  Cl".  Pieire  de  ïourtoulou.  Les  œuvres  île  <*'  Ibid.,  foL  35a* 

/ar</uM(fcileiii(/nj  (Paris,  1899),  p.  45  et  suiv.  '''   Ihid. ,  io\.  ^%. 

"  Commentaire,  foi.  386.  '*'  Ibid.,  fol.  Sog. 

'      md..\'o\.%^.  C    /ftlW..foJ.   2  35. 


HIST.   I.ITTER.   XXW. 


7a 


570  JEAN  FAURE,  LEGISTE. 

domaine  el  le  commerce  des  particuliers;  c'est  ainsi  qu'aux  seigneurs 
justiciers  qui  doivent  défendre  leur  juridiction  contre  des  préten- 
tions rivales,  il  donne  les  interdits  et  l'action  confessoire  que  le  droit 
romain  met  au  service  du  titulaire  des  droits  de  servitude'''.  C'est 
encore  sous  l'empire  de  cette  idée  que,  poussant  à  bout  la  théorie 
des  deux  domaines,  le  domaine  direct  et  le  domaine  utile,  créée  par 
Accurse  et  développée  par  ses  successeurs,  Jean  Faure  a  eu  le  mérite 
d'en  déduire  «une  pleine  et  franche  conception  du  caractère  relatif 
«  des  deux  domaines»,  et  donné  ainsi  à  la  théorie  toute  son  utilité 
pratique.  «  Sa  doctrine  sur  ce  point,  dit  un  bon  juge,  fut  la  dernière 
«pierre  de  l'édifice;  elle  prévalut  partout  chez  nous  et  ne  fut  nulle 
«part  ensuite  plus  largement  exposée'^'.  »  Remarquez  d'ailleurs  que 
Jean  Faure,  quand  il  lui  arrive  d'assimiler  une  institution  coutumière 
à  une  institution  romaine,  n'use  de  l'assimilation  qu'avec  discerne- 
ment, sans  lui  faire  produire  des  conséquences  de  pure  logique  qui 
euss'^nt  été  fâcheuses.  S'il  rapproche  le  bail  à  cens  de  l'emphytéose, 
il  ne  les  confond  pas'^';  comme  ses  pareils,  il  distingue  nettement 
l'investiture  féodale  de  la  tradition  romaine'*',  il  compare  sans  doute 
avec  la  tutelle  agnatique  organisée  par  la  loi  des  XII  Tables  le  privi- 
lège de  tutelle  réservé  aux  agnats  par  les  coutumes  d'Angoumois,  de 
Saintongeet  de  Poitou,  mais  il  se  garde  d'imposer  à  ses  contemporains 
toutes  les  règles  de  l'institution  romaine'^'.  En  bon  jurisconsulte,  il 
ne  se  lie  pas  les  mains  par  les  assimilations  dont  il  dégage  le  prin- 
cipe; il  sait  en  écarter  les  conséquences  qui  lui  semblent  contraires 
à  la  nature  des  choses  ou  à  l'équité. 

Ainsi,  Jean  Faure,  tout  en  exposant  le  droit  romain,  ne  perd  jamais 
de  vue  le  droit  qu'enseignaient  ceux  qu'il  appelle  les  consuetudtnaru^^\ 
c'est-à-dire  les  jurisconsultes  coutumiers;  il  a  présent  à  l'esprit  l'en- 
semble de  règles  juridiques  qui  constitue  pour  lui  la  consuetudo  regni 
Franciœ.  C'est  cette  coutume  générale  qu'il  invoque,  plus  fréquem- 
ment que  les  coutumes  régionales  ou  locales.  D'ailleurs,  qu'il  s'agisse 
de  droit  romain  ou  de  droit  coutumier,  il  ne  tient  pas  sa  tâche  pour 
achevée  quand  il  a  dégagé  une  règle  juridique;  il  faut  encore  (ju'il 

'''   Commentaire,  loi.  3oi  el  pussim.  '■'  Cummentaire ,  fol.  j'jS  v°. 

''■   E.   Meyniai,  Notice   sur  la  formation   du  '*'  Breviariam,  fol.  77. 

domaine  divisé ,  au  tume  II  des  Mélanges  l'itting,  ''  Commentaire ,  fol.  Sy. 

j).  46i.  '*  Exemple  :  Commentaire ,  fol.  4o5. 


SES  ECKITS.  571 

donne,  à  ceux  qui  devront  appliquer  cette  règle,  les  conseils  que  lui 
suggère  son  expérience.  Sur  tel  point  douteux,  quel  parti  suivre  dans 
la  pratique  quotidienne?  «Je  sais,  dit-il,  que,  sur  ce  point,  les  jugos 
«  s'en  tiennent  à  l'opinion  de  la  glose;  c'est  donc  à  la  glose  qu'il  faut 
«se  conformer ''l  »  S'il  se  trouve  en  présence  d'un  usage  universel- 
lement adopté  par  les  praticiens,  il  ne  manque  pas  d'en  informer  ses 
lecteurs  :  sicut  toia  die  fit  in  caria,  écril-il,  ou  :  etsictota  diefaciunt  advo- 
cati^^l  Que  s'il  s'agit  d'une  règle  universellement  rejetée,  il  se  croit 
obligé  de  le  dire  :  (juod  mim(juam  vidi  senare'^K  Nuîf  mieux  que  lui 
ne  connaît  les  errements  suivis  par  la  juridiction  suprême,  la  Caria 
Francicr,  qu'il  appelle  parfois  le  Parlement'*';  en  maints  passages  il 
renvoie  le  lecteur  à  la  jurisprudence  de  celte  Cour'*'.  Il  garde  d'ail- 
leurs, vis-à-vis  des  arrêts  qu'elle  rend  et  du  style  qu'elle  suit,  l'indépen- 
dance de  son  jugement  et  de  sa  critique.  S'il  dit  parfois  :  Caria  Franaœ 
non  serval  has  sabtilitates^^\  ce  qui,  dans  sa  bouche,  est  un  éloge,  il 
n'hésile  pas  à  présenter  comme  contraires  à  la  justice  des  décisions 
de  celle  Cour  rendues  en  une  forme  (]ui  lui  semble  réprouvée  par  le 
droit*''.  Surtout  il  ne  ménage  pas  ses  conseils  aux  avocats  qui  ont  la 
charge  de  rédiger  les  actes  importants  de  la  procédure,  aussi  bien 
qu'aux  procureurs  qui  représentent  les  parties  en  justice.  Tant  pis 
pour  celui  d'entre  eux  qui  ne  tiendra  pas  compte  de  ses  avis;  il  sera 
vivement  réprimandé  :  «  Fatuusest  advocatus  qui  talem  exceptionem 
non  admisit'*'.  » 

On  n'aurait  qu'imparfaitement  fait  connaître  le  jurisconsulte 
qu'était  Jean  Faure,  si  l'on  ne  faisait  remarquer  qu'il  s'occupa  surtout 
du  droit  privé,  (^omme  il  convenait  à  sa  double  qualité  d'avocat  et  de 
magistrat,  le  droit  public  ne  tient  dans  ses  écrits  qu'une  place  secon- 
daire. Cependant,  en  plus  d'une  page,  il  a  l'occasion  d'en  donner  des 
notions.  H  reconnaît  très  nettement  que  la  souveraineté  est  conférée 
par  le  peuple,  ad  (juem  de  jure  communi  spécial  eleclio  et  crealio  prin- 

I"  Commentaire,  Jol.  368.  fol.  38a,  384,  386  v»,  388,  SSo,  Soo,  3qi 

'"  fbi<^- .  '<'!•  369  et  38 1 .  39 1  V',  396 ,  3qq  et  passim. 

">  Ibid..  (ol.  366  V.  ^(.)  ml,  fol    39/v. 

'*'  .  De   consuetudine  PaiiamieDti  est  quod  '''  Ibid. ,  foi.  398. 

dominus    qui    comparuit  in    propria  persona  ''  /fciti..  foi.  39a.  —  On  trouvera  une  autre 

non  potest  dimillere  pro  se  procuralorem  nisi  preuve  de  son  esprit  pratique  dans  les  recom- 

oblenla  iicenlia  a  curia  vei  gratla  régis.»  (Corn-  mandations  minutieuses  qu'il  fait  (fol.  gS  v°) 

mentaire  .ioV  187  v'.)  au  sujet  de  la  confection  matérielle  des   testa- 

'"   Voir,  .î  titre  d'exemple ,  le  Commentaire,  ments. 


572  JEAN  FAURE,  LEGISTK. 

cipis''^^;  telle  est  la  théorie  des  romanistes,  le  principe  héréditaire  n'étant 
à  leur  avis  qu'une  coutume  qui  déroge  à  ce  principe.  Pour  eux ,  c'est  de 
la  délégation  du  peuple  que  procède  le  pouvoir  de  l'Empereur,  seul 
souverain  qui  ait  qualité  pour  faire  des  lois  universelles.  Avec  ce 
pouvoir  qui  s'étend,  en  théorie,  à  toute  la  chrétienté,  Faure  concilie 
tant  bien  que  mal  l'existence  d'Etats  indépendants,  tels  que  la  France, 
dont  les  chefs  ne  reconnaissent  pas  de  supérieurs  et  n'obéissent  pas 
aux  lois  de  l'Empire (^*.  Quant  aux  seigneurs  féodaux,  il  est  certaine- 
ment enclin  à  contenir  leurs  pouvoirs  dans  de  justes  limites.  Comtes 
et  barons  sont  pour  lui  soumis  au  sénéchal  qui  représente  le  roi  dans 
la  région'^';  qu'ils  ne  s'avisent  pas  de  se  conduire  en  empereurs  dans 
leurs  domaines,  d'y  lever  des  taxes  insolites  que  le  prince  lui-même  ne 
peut  imposer  en  conscience  que  ob  necessitatem  et  utihtatem  publicam, 
ou  encore  de  prétendre ,  au  mépris  du  droit  des  sujets,  qu'eux-mêmes 
sont  maîtres  exclusifs  des  chemins  et  des  cours  d'eau'*';  qu'ils  ne 
s'enhardissent  pas  jusqu'à  transformer,  sous  prétexte  de  nécessité 
urgente,  les  églises  en  forteresses.  Une  autre  tendance  manifeste  chez 
.lean  Faure  est  celle  d'affermir  la  situation  des  officiers  de  l'ordre 
judiciaire  et  administratif;  il  est  à  remarquer  que  déjà  il  les  consi- 
dère comme  propriétaires  de  leurs  charges,  tant  il  est  soucieux  de  les 
protéger  contre  l'arbitraire  de  l'administration  supérieure,  des  baillis 
et  des  sénéchaux  '^'. 

Être  dévoués  au  roi ,  tenir  en  échec  les  seigneurs  féodaux,  défendre 
les  intérêts  de  classe  des  hommes  de  loi,  ne  sont-ce  pas  là  autant  de 
traits  qui,  jusqu'à  la  fin  de  la  monarchie,  caractériseront  cette  légion 
de  gens  de  robe,  magistrats  ou  avocats, qui,  en  France,  constitueront 
l'élément  supérieur  de  la  bourgeoisie  ?  Et  pour  mieux  marquer  la 
lessemblance,  il  nous  est  possible  de  discerner  dans  la  personne  de 
Jean  Faure  un  autre  trait  :  une  adhésion  entière  à  la  foi  et  à  la  morale 
du  christianisme,  se  combinant  avec  une  réserve  quelque  peu  défiante 
vis-à-vis  du  clergé,  contre  lequel,  sur  le  terrain  de  la  juridiction,  les 
juristes  séculiers  mènent  depuis  longtemps  une  lutte  acharnée. 

'•'   Brevinrium,  loi.  \  v°.  ''•    Commentaire,  fol.  77;  ci.  fot.  42  et  11. 

''*   •  Non  glorienlur  impériales  ex  hoc  quod  '*    Ihid.,  fol.  58. 

regnum  Francie  esset  subjectum  Imperio  :  ([uia  '*    •  Cuni  officia  sint  officialium  quoad  pro- 

hic  loquitur  (  Ju.slinianus)  de  quadain  Francia  prielafem.  •    Ibid.,  fol.  35.  —  CA.    firevinrinm , 

(juae  es!  Alcinaiinia.  "  Commentaire ,  fol.  lî  v",  >ur  loi.   u). 
le  mot  Frnncuf.  —  Cf.  Breviarium,  fol.  1  et  a. 


SES  ECRITS.  573 

On  ne  saurait  douter  que  Jean  Faure  ne  fût  pénétré  des  croyances 
catholiques,  en  matière  de  foi  aussi  bien  que  de  morale.  De  la  reli- 
gion, (|u'ii  conçoit  comme  le  lien  qui  unit  l'âme  à  Dieu,  il  se  fait 
une  très  haute  idée;  aussi  il  la  veut  grave  et  sérieuse,  sincère  et  pro- 
fonde, résultat  de  la  libre  adhésion  du  fidèle  et  non  de  la  contrainte; 
sur  ce  point  il  répète  le  texte  d'un  ancien  concile  de  Tolède,  qu'il  a 
trouvé  dans  le  Décret  de  Gratien'"'.  H  recommande  aux  fidèles  de 
conserver  cette  foi  comme  un  précieux  dépôt  et  pour  cela  d'éviter  les 
recherches  indiscrètes  ou  inutiles  qui  pourraient  la  mettre  en  péril '^', 
il  leur  rappelle  le  conseil  de  l'auteur  de  l'FiCclésiastique  :  Altiora  ne 
(liKusieris^^K  11  les  met  surtout  en  garde  contre  la  tentation  de  se 
livrer  à  ces  investigations  ambitieuses  par  lesquelles  l'homme  se  flatte 
de  surprendre  les  secrets  de  Dieu.  Que  le  chrétien  étudie  la  nature 
pour  connaître  les  vertus  médicales  des  plantes  et  qu'il  ajoute  foi  à  ces 
vertus,  il  le  peut  et  il  le  doit:  «  Haecenim  naturaliterfiunt ''"'»;  mais  qu'il 
ne  s'adonne  pas  à  la  superstition,  à  la  magie,  aux  pratiques  occultes, 
qui  peu  à  peu  le  conduiront  à  des  crimes  tels  que  les  envoûtements'*'. 
Il  ne  s'exposera  pas  à  ces  périls,  s'il  s'abstient  de  franchir  les 
limites  que  lui  assigne  la  doctrine  et  s'il  se  borne,  suivant  le  conseil 
«le  notre  auteur,  à  croire  ce  que  croit  l'Eglise  romaine.  .lean  Faure 
n'hésite  pas  à  reconnaître  l'autorité  suprême  de  cette  Eglise  et  la  plé- 
nitude de  puissance  du  Pape.  Le  successeur  de  saint  Pierre  est  délen- 
teur des  deux  glaives,  le  spirituel  et  le  teniporel'^'.  «On  ne  trouve 
"  nulle  part,  dit  Jean  Faure,  que  le  Seigneur,  conférant  la  puissance 
"  à  Pierre,  l'ait  restreinte  aux  choses  spirituelles.  »  Cette  autorité  du 
Pape  est  sans  linntes,  puisque,  le  cas  échéant,  il  peut,  notre  juris- 
consulte le  reconnaît,  déposer  les  rois. 

Pour  entendre  la  pensée  de  Jean  Faure,  il  faut,  de  ces  passages, 
en  rapprocher  d'autres  dont,  sur  certains  points,  l'accent  est  sensible- 
ment dilTérent.  Sans  doute  le  Pape  a  reçu  les  deux  glaives;  mais  «je 
«crois  volontiers,  ajoute  le  jurisconsulte,  qu'il  ne  doit  pas  s'immiscer 
"  dans  la  juridiction  séculière  »;  sauf  dans  les  cas  extrêmes'^*,  où  sont 

'"'   D.  XJjV,  c.  5;  cl.  Krei'iiirium,  iol.  6  v°et  7.  bile   quud   homo   possit    mori   pi-r   verba  seu 

'"'  Ibid..  fol  274.  inçantationes  ;   sed    forte    inlellipilur    quando 

'''   [II,  2*î.  proceditur  ad   atiquod  factum,   sinit   ad  (rac 

•'•  Cl.  Breviariiim,  loi.  273  v"  et  274.  tionem  imaginis.  i> 
'*'  A  la   fin  du   Commentaire  (fol.  4o5  v'),  '''   Hrex'iariiim ,  fol.  5. 

on   lit   c«  passage  :  »  Et  nota  hic  unum  mira-  '''  Ibid. 

2  9 


r^l/i  JEAN  FALRE,  I.KCJISTE. 

en  péril  le  salut  des  âmes  et  les  droits  supérieurs  de  la  justice,  il  fail 
bien  de  tenir  le  glaive  temporel  au  fourreau.  Pour  mieux  marquer 
son  opinion,  Jean  Faure  rassemble  alors  les  textes  connus,  depuis 
ceux  de  l'Evangile*'' jusqu'à  un  passage  de  saint  Bernard,  d'où  l'on 
peut  induire  que  le  rôle  de  la  puissance  ecclésiastique  n'est  pas  de 
diriger  les  allaires  temporelles*'^'.  De  même,  il  se  garde  bien  de  mécon- 
naître les  privilèges  traditionnels  que  les  pouvoirs  publics  du  moyen 
âge  reconnaissent  au  clergé;  mais  il  n'est  pas  disposé  à  les  étendre. 
En  quelques  mots,  il  refuse  les  privilèges  de  clergie  aux  clercs  mariés, 
si  ce  n'est,  à  certaines  conditions,  le  privilège  du  for  en  matière  de 
délits '■*';  il  ne  s'élend  guère  sur  les  controverses  qu'a  soulevées  cette 
question.  —  Quand  il  est  amené  à  se  poser  une  autre  question,  très 
vivement  discutée  de  son  temps,  celle  de  savoir  si  le  clerc  poursuivi  en 
matière  réelle  immobilière  a  droit  à  la  compétence  des  cours  d'Eglise, 
il  répond  :  «  A  la  vérité,  des  opinions  divergentes  ont  été  proposées  sur 
«  ce  point.  Quoi  qu'il  en  puisse  être  de  la  règle  de  droit,  les  cardinaux 
«et  les  évêquesrépondent,  jele  sais,  que,  dans  le  royaume  de  France, 
«  le  juge  séculier  est  compétent  pour  connaître  des  matières  réelles, 
•<  et  que  les  clercs  peuvent  se  défendre  devant  son  tribunal  dans  les 
«procès  portant  sur  ces  matières.  C'est  pourquoi,  étant  moi-même 
«  du  royaume,  je  ne  combats  point  ses  lois'*'.  »  Au  surplus,  il  ne  pro- 
fesse point  un  respect  aveugle  pour  tous  ceux  qui  portent  le  costume 
clérical.  «  L'habit  ne  fait  pas  le  moine,  écril-il;  il  y  a  peut-être  plus 
«  d'hommes  vraiment  religieux  parmi  ceux  qui  portent  le  vêlement 
«  séculier  que  parmi  ceux  qui  sont  revêtus  d'un  autre  costume.  »  Ce 
qui  importe,  c'est  de  bien  vivre,  et  non  de  s'envelopper  d'une  chape 
sous  iacpielle  s'abrite  parfois  une  âme  chargée  de  crimes'^'.  D'ailleurs, 
il  ne  dissimule  pas  sa  haute  estime  pour  le  religieux  qui  mène  une 

'''    /Jrei'wiium,   (ol.  5.   Il  (omnience  partes  dit  des  clercs  mariés  «quod   de   iilis  judicaii 

Jexles  de  saint  Jean,  III,  17  ;  XVIII,  36,  et  VI,  .dum  est  sicut  de  laicis  in  causis  pecuniariis^. 

i5.  S'il  respecte  leur  privilège  en  matière  «le  délits, 

''•   Ibid.  c'est  sans  doute  par  applicaliou  de  la  décrélale 

'''    Ibid.,    fol.    8   et    iG    v°.    Dans    ce    der-  de  Bonilace  VIII,  c.   1,  in  Sexto,  III,  3;  il  ne 

nier    passage,   après   avoir    posé    en    principe  s'agit  en   ce  cas   que   des   clercs    mariés  ciim 

(lUé  les  clercs  mariés  n'oni    pas  droit  au  l'or  uiiicn  et  virijine  qui  portent  l'hahit  et  la  Ion 

ecclésiastique:  «Item   hodie   llallit  régula]   in  sure. 

dericis    conjugatis»,    Jean    Kaure   discute  en  '*'      Commentaire,     loi.     '6-jà;     Breviariam , 

(|uel(|iies  mots  la  valeur  de   la  coutume  con-  loi.   1  ti   v°. 

traire.   —   .\iUeurs   [Commentaire .  Col.   Tf]?)]  il  '■■'    Hrrviarinm ,  fol.  6  v". 


SKS  EGHITS.  575 

vie  conforme  à  ses  vœux,  (j'est  pour  assurer  la  sincérité  de  ces  vœux 
que  Jean  Faure  l)làme  les  moines  qui,  par  leurs  sollicitations  indis- 
(^èles,  ne  crai<;nent  pas  d'entraver  la  liberté  des  novices'''. 

On  ne  s'étonnera  pas  de  ce  que  Jean  Faure,  appartenant,  comme 
on  le  voit,  à  lacatéjjorie  des  lé<;isfes,  garde  son  indépendance  vis-à-vis 
descanonistes.  Or,  suj-  plus  d'un  point  de  la  doctrine  juridique,  légistes 
et  canonisles  sont  en  désaccord  ;  il  s'en  faut  de  beaucoup  que  notre 
auteui'  adopte  toutes  les  solutions  canoniques.  C'est  ainsi  qu'en  un  pas- 
sage de  son  Coinincntaire  sur  les  Institutes,  il  semble  fairedu  mariage  un 
contrat  verbal'""',  ce  qui  n'est  nullement  conforme  au  droit  canon,  qui 
ne  soumet  l'échange  des  consentements  à  aucune  forme.  Sur  la  valeur 
de  la  renonciation,  confirmée  par  le  serment,  en  vertu  de  lacjuelle 
une  femme  mariée  s'était  engagée  à  ne  point  criti(pier  l'aliénation  d'un 
fonds  dotal  consentie  par  son  mari,  des  décrëtales  d'Innocent  111  et  de 
Boniface  VllI  se  prononçaient  sans  ambages;  par  respect  pour  le  ser- 
ment et  |iour  exiler  des  parjures,  elles  donnaient  effet  à  la  renoncia- 
tion, (Micore  que  faliénalion  du  fonds  fût  contraire  à  la  loi  civile'^'. 
Sans  se  mettre  en  opposition  directe  avec  ces  décrélales,  Jean  Faure 
résout  la  question  par  des  moyens  termes  et  des  distinctions  variées'*'. 
De  même,  s'il  reconnaît  au  juge  ecclésiastique  le  droit,  qui  lui  avait 
été  contesté,  de  pi-ononcer  des  amendes,  il  ne  lui  permet  d'en  user(|ue 
lors([ue  cela  intéresse  la  partie  civile'^'.  On  pourrait,  à  cesexem])les, 
en  ajoul,er  d'autres  :  en  général,  notre  jurisconsulte  s'en  tient  aux 
opinions  des  légistes. 

Ce  j)ortrait  de  Jean  Faure  ne  serait  pas  achevé  si  nous  ne  signa- 
lions chez  lui  un  autre  trait  caractéristique  qui  n'est  autre  que  son 
souci  des  considérations  morales.  Si  l'étude  du  droit  canonique  et 
civil  lui  parut  digne  d'être  recommandée,  c'est  surtout  à  cause  de  la 
forte  instruction  morale  qu'elle  donne  à  ceux  qui  le  cultivent.  Lui- 
même  en  est  tout  pénétré,  et,  en  maints  passages,  laisse  voir  ses 
préoccupations.  Il  ne  manque  pas,  quand  l'occasion  se  présente,  de 
fustiger  le  vice  et  ceux  qui  s'en  font  les  protecteurs.  Les  hommes 
qui  s'adonnent  à  la  luxure  se  placent,  à  son  avis,  au-dessous  des 

''*  11  s'appuie  sur  les  deruirres  lignes  d'une  '''   C.  28,  Décrétâtes  de  Gréqoire  IX,  11,  a4; 

décrétale  (c.  18,  Dénétales,  111,  3  a):  «  facil  pro  c.  -a,  Sexle,  11,  11. 

«  religiosis  qui  suggeiunt  pueris  quod  intrent  in  '*'   Commentaire,  Col.  85  v°  et  86;  Brevin 

•  religionem  •  (Commenfoire,  fol.  8).  ri'um,  fol.   loi. 

'''  r.f  fol.  ■:>-  '"   Breviarium ,  loi.  .Hi  \°. 


576  JEW  FAllRE,   i.KCilSTK. 

animaux;  l'homme  étant  raisonnable  par  nature,  ce  qui  est  naturel 
aux  animaux  est,  pour  l'honime,  contraire  à  sa  nature.  «  Sois  donc 
«homme,  ajoute-t-il,  et  non  bête;  que  la  volupté  d'une  heure  ne 
«t'asservisse  pas  à  ton  corps,  chose  très  vile.  Crois-moi,  de  même 
«  que  la  cupidité  est  la  source  de  tous  les  maux,  de  même  la  luxure 
«rassemble  en  elle-même  le  venin  de  tous  les  péchés'"'.  «  L'homme 
est  souvent  conduit  à  la  luxure  par  les  mauvaises  lectures;  aussi  notre 
jurisconsulte  s'indigne  contre  ceux  qui  se  délectent  à  lire  ou  a 
entendre  des  romans  et  des  contes  '^',  et  leur  rappelle  la  condamnation 
portée  par  saint  Paul  contre  ceux  qui  donnent  toute  leur  attention 
à  des  fables'^'.  Plus  souvent  encore  c'est  la  perversité  des  compagnons 
ou  la  faiblesse  des  supérieurs  qui  propage  la  débauche.  Un  jeune  étu- 
diant est  entré  dans  une  société  de^o/mrrfi'*'  qui  sont  corrompus  ;  quand 
il  reviendraàde  meilleurs  sentiments,  il  pourra  intenter  contre  ses  cor- 
rupteurs une  action  analogue  à  l'action  romaine  de  servo  corrupto.  Cette 
opinion  a  été  proposée  par  Pierre  de  Belleperche,  et  Jean  Faure  lui 
donne  son  approbation  complète  :  «  Est  bona  et  aequa,  quamvis  non 
«  sit  vei'a.  »  «  Plût  au  ciel,  ajoute-t-il,  (jue  tous  les  corrupteurs  de  la 
«  jeunesse  dussent  payer  leurs  méfaits'^'  !  »  Quelques-uns  des  supérieurs 
laïques  ou  ecclésiastiques  ne  sont  pas  traités  avec  plus  de  douceur; 
Faure  voudrait  voir  bannis  les  hommes  puissants,  surtout  les  mau- 
vais justiciers,  qui  entretiennent  à  leur  service  des  gens  de  sac  et  de 
corde,  sauf  à  les  désavouer  quand  ils  sont  trop  compromis,  Qu  encore 
les  abbés  qui  gardent  en  leur  dépendance  des  moines  aussi  étran- 
gers au  bon  sens  qu'à  la  justice.  Ces  chefs  indignes  sont  infiniment 
plus  coupal)les  que  les  tristes  personnages  dont  ils  se  sont  fait  des 
instruments '**', 

Le  vice  et  la  corruption  seraient  moindres  si  les  hommes  écoutaient 
les  leçons  du  droit.  Malheureusement  ceux  qui  sont  chargés  de  la 
répression  du  crime  laissent  trop  souvent  le  pouvoir  s'énerver  en 
leurs  mains.  Le  concubinage,  comme  toute  fornication,  est  un  crime 
contre  Dieu  et  la  foi  chrétienne;  cependant  les  docteurs  tolèrent  que 
les  enfants  qui  en   sont  issus   succèdent  à  leurs  parents^'.  L'adul- 

(')  Commentaire,  loi.  363  v».  '''  CJ.  Bonilace  VIII,  c.  i.  in  Sexto.  III,  i. 

'*'  Ibid.,  fol.  8.  «Contra  illos  qui  delectan-  '*'   Commentaire,  fol.  319. 

lur  in  romantiis  et  fabulis.  •  '*'  Ibid.,  fol.  36o  v*. 

'''   Ad  Timotheiim,  II,  iv,  /|.  '''    Brcriariurn ,  fol.   iSfi. 


SES  hXKITS.  577 

tère  est  puni  de  mort  par  le  droit  divin,  comme  on  peut  le  voir  en 
ouvrant  le  Deutérononie;  les  constitutions  impériales  lui  infligent 
aussi  la  peine  capitale*''.  Notre  auteur  se  demande  par  quelle  faiblesse 
les  juges  humains  ont  pu  laisser  tomber  en  désuétude  la  peine  établie 
par  Dieu  même,  au  risque  de  contaminer  la  société.  Grâce  à  leur  in- 
dulgence, on  peut  dire  que  rien  n'est  plus  sain  dans  le  corps  social,  du 
sommet  à  la  base;  les  grands  et  les  petits  sont  également  dépravés,  le 
lys  est  gâté  comme  rhysope'"^'(  est-ce  une  allusion  aux  scandales  donnés 
par  la  famille  royale  à  la  lin  du  règne  de  Philippe  le  Bel?)  D'une  ma- 
nière générale,  Faure  n'est  nullement  enclin  à  permettre  que  la  ré- 
pression s'affaiblisse;  on  en  pourrait  donner  plus  d'une  preuve.  Il 
réfute  les  crihcpies  dirigées  contre  la  loi  Coriieha  de  sicariis,  que  d'au- 
cims  trouvent  troj)  rigoureuse  en  certains  points''^'.  Après  avoir  rap- 
pelé que  le  vol  commis  par  un  serviteur  est  toujours  puni  de  mort, 
tandis  que,  si  le  vol  est  commis  par  un  étranger,  la  sentence  capitale 
n'est  prononcée  (pi'en  cas  de  récidi\e'*',  Faure  se  demande  quelle 
devra  être  la  décision  du  juge  (juand  le  délit  sera  à  la  fois  l'œuvre 
d'un  domesti(|ue  (ît  d'un  étranger;  à  cette  question  il  répond  que  tous 
deux  devront  être  pendus'^'.  Nous  sommes  loin  de  la  commisération  du 
bon  Pierre  .lacobi ,  qui  ne  pouvait  souffrir  que  l'on  pendit  un  coupable 
«  pour  le  premier  vol'®'  ». 

Si  rigide  d'ailleurs  que  soit  la  conception  qu'il  s'est  faite  du  juge 
chargé  d'assurer  la  répression  des  crimes,  Jean  Faure  sait  reconnaître 
la  limite  qui  sépare  le  domaine  de  la  justice  humaine  de  celui  de  la 
justice  divine.  «  H  y  a  des  sots,  écrit-il,  qui  s'imaginent  que  les  con- 
II  damnés  à  mort  sont,  par  le  fait  même,  des  réprouvés  voués  à  la 
«damnation,  damnati  in  anima»;  sans  se  mettre  en  peine  d'opposer  à 
cette  opinion  une  réfutation  en  forme,  il  se  borne  à  ajouter  ces  mots: 
«  quod  plus  quam  fatuum  est  dicere'^'  ». 

Faure  ne  traitait  pas  les  délits  civils  avec  plus  de  ménagements 
que  les  délits  contraires  à  la  loi  pénale.  H  se  ffatte  de  s'être  prononcé, 
tout  avocat  qu'il  fût,  pour  la  responsabilité  des  avocats  envers  leurs 
clients  à  raison  de  leurs  fautes'"'.  Il  ne  se  contente  pas  d'ailleurs  d'ap- 

'''   Faure  parait  (aire allusion  à  la  r.  .'4o,  Code  '''   /&i(i. ,  fol.  4o(J. 

ile.lustiiiien,  IX.,  ç),  nd legem  Juliamde adulteriis.  '"'  Aurea  PracticaUhellnriim(Co\o^e,  i57.'>), 

'     Comnuiildirr,  loi.  4o5.  ().  376.. 
.    '*'  Commentaire ,  toi.  in^y  v".  '''   Commentaire ,  toi.  /|o4  v°. 

"''     Ihid..   fol.   40;).  '"I     Ibid.,    fol.    2i    V°. 

msi.  i,Mi>;n.  —  \\\v.  73 


578  JEAN  FAURE,  LEGISTE. 

précier  les  actes  humains  au  point  de  vue  des  règles  purement  juri- 
diques; il  lui  arrive  de  les  apprécier  au  point  de  vue  de  la  conscience 
chrétienne.  Sans  aller  aussi  loin  dans  cette  voie  que  les  canonistes, 
il  s'inquiète  comme  eux  du  péché  et  de  ses  conséquences.  Le  cas 
échéant,  il  n'hésite  point  à  transformer  le  devoir  moral  en  obligation 
juridique.  C'est  ainsi  qu'il  fut  amené,  en  plusieurs  passages  de  ses 
œuvres,  à  exposer  la  théorie,  qui  nous  paraît  à  tort  très  moderne,  de 
l'abus  du  droit.  En  vertu  de  cette  théorie  Faure  condamne,  non  point 
seulement  comme  moraliste,  mais  comme  jurisconsulte,  la  conduite 
de  l'homme  qui,  sans  aucun  profit  pour  lui-même,  use  de  son  droit 
de  manière  à  nuire  à  autrui'"'.  Là-dessus  notre  juriste  pose  des  prin- 
cipes qui,  dit-il,  pourront  servir  à  résoudre  un  grand  nombre  de 
questions.  Il  est  piquant  de  constater  que  le  vieux  jurisconsulte  a  in- 
terprété, plus  raisonnablement  que  beaucoup  de  ses  successeurs, 
l'adage  Qui  suo  jure  utiliir  neminem  Iccdit,  et  qu'il  a  été  ainsi  le  précur- 
seur d'une  jurisprudence  que  notre  génération  a  vue  se  développer 
progressivement  et  tient  pour  une  conquête  précieuse. 

Les  c(Hisidérations  d'ordre  moral,  qui  étaient  chères  à  Jean  Faure, 
le  conduisirent  à  des  conclusions  très  personnelles  quand,  commen- 
tant le  titre  ix  du  livre  I\  des  Institules,  si  quadrupes  pauperiem  fecerit , 
il  dut  examiner  les  conséquences  des  méfaits  commis  par  les  animaux. 
H  est,  à  son  avis,  des  animaux  auxquels  il  convient  d'attribuer  un  cer- 
tain degré  de  raison;  aussi  croit-il  pouvoir  leur  imputer  des  délits. 
Il  ^  a  lieu,  dit-il,  lorsque  l'animal  a  causé  un  dommage,  de  voir 
s'il  est  en  faute,  accipiendo  culpain  (jualis  possil  cadere  in  eo '"■'.  11  en 
donne  des  exemples  doni  le  plus  remarquable  est  emprunté  aux 
mœurs  du  chien.  Selon  lui,  cet  animal  est  exempt  de  faute  s'il 
s'approprie  un  morceau  de  viande  abandonné,  sans  gardien,  vu  un 
lieu  ouvert  à  tous;  il  n'en  est  pas  de  même  lorsqu'il  rompt  le  garde- 
manger  où  est  conservée  la  viande,  renver.se  la  chaudière  où  elle 
cuil.  ou  terrifie  par  ses  grondements  la  jjersonne  qui  en  a  la  garde. 
La  conséquence  en  est  que,  conformément  aux  règles  posées  pour  les 
délits  d'esclaves,  si  le  chien  est  en  faute,  le  maître  peut  être  pour- 
suivi; si,  au  contraire,  la  conduite  de  l'animal  ne  prête  pas  à  la  critique, 
il  ne  saurait  être  question  de  poursuite  contre  le  maître.  La  solution 

'''  Voir  l'exposé  complet  de  la   théorir  dan>  le   Breviunuin ,  toi.  80  >°,  et  dans  le  Cominentitirc, 
loi.  35.  -  '"  Ihiil,  fol.  363  V  . 


SES  KCRIÏS.  579 

est  incontestable;  mais  la  manière  dont  Jean  Faure  la  justifie  ne 
manque  pas  d'originalité.  Au  surplus,  l'idée  qu'il  y  développe  est 
peut-être  empruntée  à  deux  fragments  du  Digeste"',  ou  encore  auv 
doctrines  de  quelques  écrivains  de  l'Antiquité  qui  attribuaient  une 
certaine  moralité  aux  animaux. 

Les  écrits  de  Jean  Faure  occupent  une  place  importante  dans  la 
série  des  (cuvres  juridiques.  Le  fait  que  nous  avons  pu  signaler  dix- 
huit  éditions  de  son  Commentaire  sur  les  Institules  antérieures  à  la 
fin  du  xvi"  siècle  suffit  à  attester  l'estime  où  le  tenaient  nos  anciens 
jurisconsultes.  L'autorité  de  Faure  comme  interprèle  du  droit  romain 
était  universellement  reconnue  bien  avant  que  Dumoulin  eût  dit  de  lui 
qu'il  était  Romani  juris  perilissimus.  De  bonne  heuie  sa  réputation 
avait  franchi  les  limites  du  royaume;  il  fut  cité  par  les  juriscon- 
sultes italiens  dès  la  seconde  moitié  du  xiv*  siècle.  Au  siècle  suivant, 
des  auteurs  tels  qu'Alexandre  d'Imola  et  Jason  rendent  témoignage 
de  ses  excellentes  qualités'-'.  Mais  c'est  surtout  en  France  que  se  fait 
sentir  l'influence  de  Jean  Faure.  On  peut  s'en  rendre  compte  si  l'on  re- 
marque que  dix  éditions  de  son  Comm<?«/af/ï' parurent  au  xyi" siècle  dans 
la  seule  ville  de  Lyon,  ^^u  surplus  il  sulht,  pour  s'en  assurer,  de  con- 
stater l'autorité  dont  jouissaient  ses  écrits  auprès  des  écrivains  juridi- 
ques et  des  praticiens.  Déjà,  à  la  Un  du  xiv^  siècle,  il  était  loué  par  Gilles 
Bellemère  ;  pour  les  siècles  suivants,  on  peut  invoquer'^'  les  témoi- 
"^nages  de  Chasseneuz,  dans  son  commentaire  sur  la  Coutume  de 
Bourgogne,  de  Dumoulin  qui  lui  rend  hommage,  non  seulement 
comme  romaniste,  mais  comme  maître  du  droit  coutumier,  de  Tira- 
queau  dans  son  Traité  de  la  noblesse,  de  Brodeau  dans  son  commentaire 
du  titre  de  la  coutume  de  Paris  consacré  au  retrait  lignager,  et  d'An- 
toine Mornac  dans  ses  Obscrvationes  sur  la  première  constitution  du 
(vode  de  Justinien.  Il  convient  d'ajouter  à  cette  énumération  le  com- 
patriote de  Faure,  Jean  Vigier,  qui,  en  maintes  pages  de  son  com- 
mentaire sur  la  Coutume  d'Angoumois,  ne  manque  pas  de  citer  celui 
qu'avec  une  respectueuse  sympathie,  il  appelle  «  notre  Faure  ».  Tous 
ces  éloges  pourraient  être  ramenés  à  deux  phrases  :  l'une  tirée  du  com- 

'''   Cl.  I,  p.  7  et  1 1,  Difeste.W,  i  (solutions  <^'   Ces  lémoign.iges  ont  été  réunis  par  Tai- 

d'Ulpien  ot  de  Quintus  Mucius).  sand    dans   son   ouvrage    :   Les   vies    des    plus 

'''   M.intua,   De  viris  ittastribas ,  au  tome  I"  célèbres    jurisconsultes    (Paris,    1767),    p.    181 

des    Trnctntus   unirersi  jaris    (Venise,    ir)8/|),  et  suiv. 
fol,   i6/(  v°- 


580  ANONYME  DE  METZ. 

mentaire  de  Nicolas  Boyer  sur  la  Coutume  de  Hourges,  où  Jean  Faure 
est  proclamé  le  premier  des  jurisconsultes  coutumiers  de  France  : 
«  summusFranciœconsuetudinarius'"  »,  et  l'autre  où  Fabricius  résume 
son  appréciation  en  des  termes  qui  rappellent  les  expressions  de 
Jason  :  «  Doctor  subtilis  et  perspicacissimus  et  fundamentalis  '*'  ».  C'est 
en  bref  l'appréciation  unanime  des  maîtres  de  notre  ancienne  juris- 
prudence sur  Jean  Faure. 

Ecrit  aithibué  à  tort  à  Jean   Faure. 

Savigny,  dans  sa  première  édition ,  att  libuait  à  Jean  l'aure  une  courte 
Repetitio  super  materia  (juastionis  seu  torturœ^^' .  Cet  écrit  ligure  à  la  suite 
du  Breviarium  dans  quelques  éditions  du  xyi*"  siècle,  notamment  dans 
celles  qui  furent  données  à  Paris  en  i5i6  et  en  i5-45.  La  Repetitio 
saper  materia  (juœstionis  ne  porte  en  aucune  façon  le  caractère  des 
écrits  de  Jean  Faure.  En  outre,  divers  passages  prouvent  qu'elle  a 
l'té  rédigée  en  Italie  :  il  y  est  question  du  statut  local  et  du  podestat. 
Il  y  est  parlé  de  la  coutume  générale  d'Italie  «  que  nous  observons'*'  ». 
Enfin  Bartole  y  est  cité,  tandis  que  Faure  ne  le  cite  pas  et  proba- 
blement n'a  pas  connu  ses  (Buvres.  11  convient  donc  de  rayer  cet  écrit 
(le  la  liste  des  ouvrages  de  Jean  Faure.  C'est  d'ailleurs  l'opinion  à 
laquelle  se  ranjj^e  Saviffnv  dans  sa  deuxième  édition  '^'. 

P.  F. 


A^^ONYME, 

AUTEUR   D'UN    POÈME   SUR  LA   GUERRE    DE   METZ    EN    132'i. 

Après  avoir  été  la  capitale  du  royaume  mérovingien  d'Austrasie, 
Metz  était  devenue  en  980  terre  d'Empire,  aux  termes  d'un  accord 

'■'  Titre  de»  fiei's,  ch.  î4-  —  '*'  Hihliotheca  médite  et  infinue  latinitatif  (éd.  Maa»i),  t.  Il, 
p.  i35.  —  '''  Grfchichtc  (les  rômifclieii  Rerhtes  im  MiUeMtir,  i.  VI  (i"  éd.),  p.  4o.  —  '*'  N"  i4. 
—  O  T.  Vr,  p.  43.  note  a. 


SON  POÈME.  581 

entre  l'empereur  Othoii  II  et  le  roi  de  France  Lothaire.  Dès  lors, 
tout  en  conservant  à  leur  ville  le  titre  nominal  de  cité  impériale, 
qui  pouvait  empêcher  leurs  puissants  voisins,  le  duc  de  Lorraine 
et  le  roi  de  France,  de  la  réunir  à  leurs  domaines,  les  Messins 
avaient  constamment  travaillé  à  s'affranchir  de  toute  domination 
extérieure.  Au  xm*  siècle,  ils  avaient  réussi  également  à  se  soustraire 
à  l'autorité  de  If  urs  évêques ,  qui  n'avaient  plus  conservé  que 
le  droit  de  marquer  la  monnaie  à  l'efligie  de  saint  Etienne,  et  de 
conférer  l'investiture  aux  magistrats  chargés  de  rendre  la  justice  et 
déjà  désignés  auparavant  par  les  conseillers  populaires. 

Ainsi  artranchis  de  toute  suzeraineté  impériale  ou  épiscopale,  les 
citoyens  de  Metz  entretenaient  avec  leurs  nombreux  et  puissants 
voisins  des  relations  d'un  caractère  purement  commercial.  Les  pro- 
ductions d'un  territoire  fertile  en  vignobles  et  en  céréales,  la  fabrica- 
tion des  draps  avaient  enrichi  beaucoup  d'entre  eux,  et  maintes  fois 
les  ducs  de  Lorraine  ou  de  Luxembourg  et  les  comtes  de  Bar  avaient 
eu  recours  à  eux.  Si  quelque  prince  ou  baron  des  contrées  voisines, 
dit  un  chroniqueur  messin*'',  avait  besoin  d'or  ou  d'argent,  il  en 
trouvait  à  l'hôtel  des  changes,  où  les  bourgeois  tenaient  leur 
banque'^',  contre  des  gages  convenables,  terres  ou  seigneuries,  ou 
contre  des  obligations,  qu'on  déposait  dans  les  arches  des  amans 
(les  notaires  de  Metz)  ;  quand  les  emprunteurs  manquaient  à  leurs 
engagements,  les  terres  étaient  saisies  et  les  gages  confisqués.  Il  en 
résultait  que  la  grande  richesse  des  Messins  les  rendait  un  objet  de 
crainte  et  d'envie  pour  leurs  voisins.  Desimpies  bourgeois  prenaient 
ainsi  possession  de  terres  reçues  en  garantie  des  prêts  qu'ils  avaient 
consentis,  et  souvent  allaient  jusqu'à  refuser,  en  qualité  de  citoyens 
de  la  libre  cité  de  Metz,  l'hommage  que  devaient  au  suzerain  ces 
arrière-fiefs.  La  mauvaise  humeur  de  ces  puissants  débiteurs  les 
j)oussa  à  des  projets  de  vengeance. 

Edouard,  marquis  du  Pont  et  comte  de  Bar,  se  trouvait»  au  début 
de  l'année  i33^.,  débiteur  de  fortes  .sommes,  qui  l'avaient  aidé  à  se 
racheter  de  la  prison  dans  laquelle  le  duc  de  Lorraine,  Ferri  IV, 

''*  Les  Chroniques  de  la  ville  de  Mett.re-  mentionne   :  Li  usarier  ie  Mtlz   (Leroux  de 

cueillie».  .  .  p«r  .l.-F.  Hngnenin  (MeU,  i838),  Lincy,  Le  Livre  des  proverbes  Jrnnçais ,  2'  éd., 

p.  39.  1869,1.  I",  p.  364). 

'~'  Dès  le  mil'  siècle,  le  Dit  de  l'Apostoile 


582  ANONYME  DE   METZ. 

l'avait  retenu  plusieurs  années'"'.  Une  simple  bourgeoise  de  Metz, 
clame  Poince,  veuve  de  Nicolas  de  La  Court,  lui  avait  prêté,  en  i  3  i5, 
dix-neuf  à  vingt  mille  livres  en  sous  d'or  et  en  bons  petits  tournois. 
Comme  les  délais  fixés  pour  le  remboursement  étaient  passés,  la 
dame,  protégée  par  l'échevinage,  avait  pris  possession  de  plusieurs 
terres  du  domaine  de  son  débiteur.  Edouard,  une  fois  réconcilié  avec 
le  duc  de  Lorraine,  devint  le  plus  ardent  promT)teur  d'une  ligue 
destinée  à  châtier  l'orgueilleuse  cité.  Le  jeune  roi  titulaire  de  Dohènie, 
Jean  de  Luxembourg,  qui,  plus  tard,  devait  chercher  et  trouver  une 
mort  glorieuse  dans  la  funeste  plaine  de  Crécy,  se  joignit  à  eux  ,  pour 
satisfaire  apparemment  quelque  ressentiment  analogue,  el  quand 
l'archevêque  de  Trêves,  Baudouin  de  Luxembourg,  vit  se  former 
l'orage  qui  allait  fondre  sur  Metz,  il  s'empressa  de  prendre  le  parti 
de  son  neveu.  Ces  quatre  princes,  une  fois  assurés  de  leurs  disposi- 
tions réciproques,  se  réunirent  d'abord  à  Thionville  dans  les  domaines 
du  comte  de  Bar,  puis  à  Remich,  petite  ville  du  Luxembourg,  où, 
le  2  5  août  i32^,  ils  conclurent  un  traité  d'alliance  contre  la  cité  de 
Metz''^'  et  s'engagèrent  à  n'accepter  séparément  aucun  accord  avant 
d'avoir  mis  à  la  raison  ces  insolents  banquiers. 

Tel  fut  le  début  de  la  campagne  qu'un  rimeur  anonyme  a  de 
son  mieux  racontée,  non  en  chroniqueur  impartial,  mais  pour 
défendre  le  bon  droit  de  ses  concitoyens.  Son  poème  compte  J96 
couplets,  de  sept  vers  chacun,  au  total  2,072  vers  octosyllabicpies. 
Le  style  de  l'auteur  a  conservé  l'empreinte  messine,  mais  sa  langue 
a  été  systématiquement  rajeunie  par  les  copistes  du  xv*  siècle.  Voici 
comment  il  débute  : 

I .  I^our  esctievir  mirancolie  Or  m'en  dont  Dieu  a  lel  fin  traire 

Qui  m'ait  esteit  souvent  contraire,  C'on  n'y  puisse  trouver  folie. 

Une  matière  ai  cntaillie  Ne  nulle  rien  qui  puist  desplaire. 
Dont  je  voira  plussieurs  vers  faire. 


'''  La  Guerre  de  Metz,  en  i32U ,  poème  du  élu  de  Metz,  Henri  1",  dauphin  de  Viennois, 

XIV*  siècle,  publié  iiar  E.  de  Bouleiller,  avec  la  se  joignit  aux  conlédérés  le  i5  novembre  sui- 

collaborntion  de  F.  Bonnardot  (Paris,  iSyS),  vanl  [ihid,  p.  5a,')-5a6).  CI.  Les  Chroniques  de 

p.  6.  la  ville  de   Metz,   p.  89   vl  suiv.  ;  La   Gueiic 

"'  Voir   Histoire  (jcnénile  de  Metz,  par  des  de  Metz  en  13'2i,  publiée  par  E.  de  ISouteiller. 

relif,'ieu\    bénédictins    [D.     Tabouillol,    elc]  iniroduclion,    p.    6    et    suiv.;    et    Wesiphal, 

Mel7.  i775,in-4°\t.  Il,  p.  5a/i-5a5.  L'évétpie  Gescliirhle  der  Sladt  Metz,  t.  I",  p.  i-j-jel  suiv. 


SON  POUME.  583 

î.  Touttes  flours  soiinonte  la  rose.  Car  en  lie  maint  prosperiteit, 

Chescuns  sait  bien,  c'est  veriteit  ;  Franchise,  avoir  et  gens  pitouse. 

Pour  ceu  vons  ai  dist  reste  chose  Cortoisie  et  humiliteit. 
Qii'ensi  fait  Mt^ts  toutes  cileis. 

3.  Mets  est  la  nieie  de  franchise  ;  Elle  ne  doit  taille,  ne  prise. 

Qui  ceu  ne  croit ,  il  se  dessoit.  Ne  droiture,  quel  qu'elle  soit.  .  . 

Il  parle  ainsi  longuement  des  libertés  de  la  grande  cité  avant  de 
se  complaire  à  rappeler  son  opulence  : 

h.  La  grant  richesse  ne  l'avoir  Ne  les  bleis  qui  sont  on  greniers. 

Qui  est  a  Mets,  ne  les  deniere  Ne  les  vins  qui  sont  on  seliers.  .  . 

Vous  n'y  porriés  parmy  savoir, 

Les  iMessins  ont  d'ailleurs  tous  les  genres  de  bouté.  Ils  sont  chari- 
tables et  grands  aumôniers;  ils  ont  des  hospices,  des  maisons  de 
refuge.  La  ville  supporte  les  frais  de  la  sépulture  des  pauvres;  elle 
fait  bon  accueil  aux  étrangers.  Le  genre  de  vie  de  ses  habitants  est 
des  plus  modestes;  ils  sont  assurément  fort  pieux,  mais  sans  perdre 
de  vue  leur  intérêt  : 

8.   Messe  oient  devott-ment. 

Puis  vait  chescun  a  son  affaire. 

Nulle  part  il  n'y  a  une  cité  plus  riche  et  plus  prospère  :  l'air  y  est 
doux  et  sain  ;  le  bon  vin  y  abonde.  11  y  a  dans  la  «ville  trois  jours  de 
marché  par  semaine,  où  l'on  voit  étalés  draps  d'or  et  d'écarlate,  rares 
fourrures,  ornements  et  vases  d'église,  heaumes,  épées  et  harnache- 
ments de  tout  genre: 

i6.  Il  n'ait  chose,  tant  soit  salvaige,  S'une  chose  ait  auctoriteit. 

Qu'est  à  l'homme  necessiteit,  Aulcuns  dient  par  lor  usaige: 

Sans  aultre  part  faire  voiaige,  «  C'est  Mets  !  »,  font  il,  «  en  veriteit  ». 
C'en  ne  trouvai  si  en  la  citeit. 

Le  bourgeois  de  Metz  prête  volontiers,  mais  on  le  voit  emprunter 
rarement.  Il  n'hésite  pas  à  avancer  de  fortes  sommes  dès  qu'on  lui 
donne  en  garantie  des  meubles,  des  joyaux  ou  des  terres.  Lui  repro- 
chera-t-on  de  prendre  des  sûretés  ?  Non,  sans  aucun  doute,  et  dès 


58'i 


WONYVIK  r)K  MF/rz. 


nu'un  grand  seigneur  a  donné  des  gages,  en  échange  de  l'argent 
dont  il  a  besoin,  il  ne  devrait  pas  s'indigner  de  les  perdre,  à  défaut 
de  payement  aux  termes  échus.  Pourquoi  serait-il  permis  aux  grands 
plutôt  qu'aux  petits  de  violer  leurs  contrats?  C'est  en  ne  faisant  aucune 
acception  de  personnes  (jue  les  gens  de  Metz  ont  mérité  le  respect  et 
recueilli  l'estime  de  tout  le  monde  : 


[^S.  Mets  oui  anue  conte  ul  roy, 
Duc  et  prince  et  auitre  baron 
Conques  ne  li  firent  desroy 
I.a  monlance  d'ung  esperon. 


iMais  desorrnaix  m)us  conterons 
D'une  assemblée  et  d'ung  conroy 
C'ont  faite  enti'auK.  nri.  laron. 


Peut-être  l'original  portait-t-il  a  baron  » ,  car  le  mot"  larron  »  est  bien 
rude,  appliqué  aux  puissants  personnages  qui  allaient  déclarer  la 
guerre  à  la  ville  et  que  plus  loin  notre  poète  nommera  «  les  quatre 
rois",  bien  qu'un  seid  d'entre  eux,  Jean  de  Luxembourg,  ait  jamais 
porté  couronne. 


Vi-Ileiais!  pourquoy  font  alliance 

Sus  ceulx  de   MetsP    l\ien    ne    lor 
[doient, 
l'it  s'ont  lieii  mainte  finance 


De  noz  citains  (jui  lor  prestoient. 
Eu  tons  besoins  les  seconoient 
tJebieid,  devin,  d'argent  à  crance. 
Et  de  quanque  meslier  a  voient. 


Aussitôt  que  l'échevinage  de  iVletz  avait  appris  ce  qui  s'était  passé 
dans  les  assemblées  de  Thionville  et  de  Remich,  il  avait  envoyé  vers 
le  roi  de  Bohême  pour  lui  demander  ce  que  la  ville  avait  à  craindre 
de  lui  et  de  ses  nouveaux  alliés  : 

'19.    Il  demandent  s'a  Mets  vendroient, 
Et  il  lespondent  sans  dongier 
Que,  s'il  y  vont,  bien  le  sauroient. 


Sans  paraître  blessés  de  cet  insidtant  accueil,  les  échevins  Hrent 
demander  par  un  second,  puis  par  un  troisième  envoyé  quels  étaient 
les  griels  qu'on  leur  reprochait,  se  déclarant  prêts  à  donner  satisfaction 
sans  délai.  On  ne  daigna  pas  les  écouter.  La  guerre  était  imminente; 
les  bourgeois  s'y  préparèrent  de  leur  mieux.  Ils  accumulent  blés, 
larines  et  tonnes  de  vin  ;  les  villageois  du  pays  messin  se  hâtent  de 


SON  POEME.  585 

transporter  dans  la  ville  tout   ce  qui  pouvait  être  de  bonne  prise 
pour  l'ennemi  : 

56.  Chescuns  ses  biens  a  Mets  amoinne, 
Qu'il  ne  lait  rien  qu'en  puist  mener, 
Fors  que  foin  et  i'estrain  d'awoinne. 

À  peine  les  hérauts  eurent-ils  porté  le  défi  des  quatre  confédérés 
que  le  pays  messin  fut  envahi,  d'abord  par  les  gens  d'armes  du  roi 
de  Bohême,  puis  par  ceux  du  comte  de  Bar.  J^urieux  de  voir  leur 
échapper  les  riches  proies  qu'ils  comptaient  surprendre ,  les  ennemis 
dévastèrent  toute  la  contrée,  et  du  haut  des  murs  de  la  ville  on  vit 
les  flammes  dévorer  les  fermes,  les  bourgs  et  les  villages.  Cette  entrée 
subite  en  campagne  était  une  violation  des  lois  de  la  guerre  : 

6i .  Nenil  certes,  il  n'est  pas  roy, 
Car  il  deûst  .xl.  jours 
Estre  tous  coys,  et  ses  conrois 
Deùst  avoir  ausy  séjour. 
Cil  qui  conquerre  veult  honnour 
Ne  doit  pas  faire  tel  desroi 
Qu'il  en  seroit  blameis  tous  jours. 

Le  16  septembre  1824,  les  Luxembourgeois  et  les  Barrois  s'avan- 
cèrent jusqu'à  deux  lieues  de  la  ville  et  dressèrent  leurs  tentes  autour 
du  village  de  Malroy,  qu'ils  brûlèrent  ensuite  ainsi  que  plusieurs  des 
villages  voisins.  Et  cependant  les  Messins  hésitaient  à  faire  une  sortie 
pour  punir  les  pillards  et  les  incendiaires.  Enfin  un  bourgeois,  qui 
avait  précédemment  gagné  les  éperons  de  chevalier,  Jacques  Gron- 
gnat''\  réunit  une  troupe  de  braves  gens,  fondit  àl'improviste  sur  les 
Luxembourgeois  et  les  mit  en  fuite  en  capturant  un  de  leurs  chefs. 
Il  rentra  triomphant  dans  la  ville  ;  mais  cet  exploit  n'empêcha  pas  le 
comte  de  Bar,  le  roi  Jean  et  l'archevêque  de  Trêves,  dont  le  contin- 
gent venait  d'arriver,  de  donner  l'assaut  à  la  ville  du  côté  du  faubourg 
Saint-Julien.  Les  échevins,  confiants  dans  la  force  de  leurs  murailles, 
hésitaient  à  faire  une  nouvelle  sortie  pour  repousser  les  assaillants, 

'"'  Strophe  71  de  l'édition  E.  de  BooteiUer,  p.  i4o,  et  notes,  p.  a8i. 

HIST.  LITTÉB.  XXXV.  ^^ 


586  ANONYME  DE  METZ. 

lorsque  le  sire  de  Bitche,  comte  de  Deux-Ponls,  (|iii  des  premiers 
a\ait  répondu  à  l'appel  des  bourgeois  de  Metz,  leur  déclara  qu'il 
renonçait  à  son  engagement  si  l'on  n'ouvrait  pas  la  porte  à  ses 
hommes  d'armes  : 

80.  Il  ait  parkit  a  haulle  chiere  :  «  ( Kiant  ce  vaiirait  a  col  ftirir, 

«  Allrs  moy  tost  la  porto  ouvrir  1  «  'l'eni'S  vous  tuit  a  ma  haiiiuri', 

1.  Ne  vous  Iraheis  humais  arieiv.  «  Hui  en  ferons  graiil  part  morir.  « 
«  Prenés  l'srus  pour  vous  rouvrir; 

Le  succès  justifia  cette  généreuse  résolution.  Le  roi  de  Bohême, 
dont  les  soldats  savaient  mieux  piller  que  combattre,  donna  le  signal 
de  la  retraite;  il  ne  fut  plus  question  de  réduire  la  ville,  et  l'armée 
confédérée  s'éloigna  sans  tenter  aucune  nouvelle  attaque.  Le  sire  de 
Bitche,  à  son  tour,  la  poursuivit  dans  sa  retraite  et  ramena  plusieurs 
prisonniers,  entre  autres  un  pre>ix  chevalier,  Henri  de  Fenestrange, 
dont  la  ville  pouvait  espérer  une  forte  rançon'".  On  le  taxa  à  six 
mille  livres;  mais  les  amis  qu'il  avait  parmi  les  nobles  venus  au 
secours  de  la  ville  s'interposèrent  en  sa  faveur,  en  déclarant  qu'ils  ne 
souffriraient  pas  qu'on  exigeât  d'Henri  de  Fenestrange  autre  chose 
qu(>  le  serment  de  ne  plus  porter  les  armes  contre  la  ville  : 

I  1  2.  Li  soldiour  firent  partie  Plux  ne  seruienl  nulz  d'ialz  armés. 

Pour  monsignour  Ilanri  a  Mets  ;  Il  fut  quitte  par  tel  maistric; 

Entre  aulx  ont  fait  une  ahaitie  La  vit  on  bien  qu'il  fut  ameis. 
()ue,  cil  n'estoil  quitte  clamés, 

D'après  cet  incident,  on  peut  se  faire  une  idée  juste  des  obstacles 
que  rencontrait  l'échevinage  parmi  ses  alliés.  H  avait  à  compter  aussi 
avec  les  Messins  eux-mêmes.  Pour  mettre  la  ville  en  état  de  soutenir 
un  second  siège,  on  avait  jugé  nécessaire  d'abattre  les  maisons  qui 
bordaient  les  fossés,  qu'on  voulait  élargir.  De  là  grands  sujets  de  mé- 
contentement. Ceux  qu'atteignaient  ces  nouvelles  mesures  soute- 
naient que  rien  ne  les  justifiait.  Puis  les  auxiliaires,  flamands,  alle- 
mands et  suisses,  insistaient  pour  qu'on  les  lançât  à  la  poursuite  de 
l'ennemi,  mais  à  la  condition  de  n'avoir  pas  la  milice  bourgeoise 
avec  eux.  H  y  eut,  à  ce  propos,  de  grands  débats  dans  le  conseil, 

■''  Voie   ibid.,  |).   i5o  el  aS(). 


SON  POKMK.  587 

et,  comme  il  arrive  assez  ordinairement,  plus  on  délibéra,  plus  on 
trouva  de  raisons  pour  ne  rien  aventurer  : 

1  iS.  Gui  qu'il  fut  bel  ne  cui  fut  lait,  Et,  s'il  ars  ont,  il  arderont. 

De  la  ville  point  n'isseront.  Kt,  o'il  ont  fait  honte  ne  lait. 

On  temps  après,  se  Dieu  leur  lait,  D'autreteil  jeu  lor  jueront. 
Des  ennemis  se  vengeront 

Toutefois  quand  les  ennemis,  après  avoir  tout  ravagé,  tout  brûlé 
dans  le  pays  d'«  Entre  deux  eaux"'»,  voulurent  mettre  en  sûreté  le 
butin  recueilli,  ils  trouvèrent  sur  la  Moselle  plusieurs  bateaux  en- 
nemis, qui  leur  en  disputèrent  le  passage.  Au  reste,  cette  campagne 
fut  assez  peu  honorable  pour  les  belligérants  des  deux  partis  :  les 
délenseurs  de  Metz  s'étaient  contentés  de  quelques  rares  sorties  et 
n'avaient  rien  fait  pour  arrêter  le  ravage  et  l'incendie  de  leur  terri- 
toire. 

Ces  premières  hostilités  avaient  commencé  le  25  septembre  i32/i 
et  ne  s'étaient  pas  prolongées  au  delà  du  i"  octobre.  Ce  fut  bientôt 
le  tour  des  représailles.  Les  confédérés  avaient  licencié  leurs  troupes, 
persuadés  que  la  leçon  infligée  aux  bourgeois  de  Metz  était  sufiisante, 
et,  qu'ayant  à  peine  osé  paraître  devant  eux,  ils  ne  songeraient  pas 
à  se  venger.  Mais,  dit  notre  rimeur  : 

I  '46.  Se  quitte  sont  en  tel  manière,  Mais  reulx  qui  ont  trop  convoitiet, 

11  averont  bien  aploitiet  ;  Il  avicnt  bien  a  parderriere 

Se  lour  terre  demoure  entière.  Qu'il  pardent  tout  ou  la  moitiet. 
On  lour  ferait  grant  amitiet. 

Ce  qui  tenait  le  plus  au  cœur  des  Messins,  c'était  l'incendie 
de  nombreuses  maisons  qui  leur  étaient  engagées  pour  garantie 
d'emprunts  contractés  envers  eux  avant  la  guerre.  Les  représailles 
furent  terribles,  et,  au  lieu  de  les  exercer  pendant  quelques  jours, 
les  Messins,  durant  plus  de  trois  mois,  répandirent  la  terreur  et 
la  désolation  sur  les  frontières  du  Barrois,  de  la  Lorraine,  du 
Luxembourg  et  du  diocèse  de  Trêves.  Les  confédérés  ne  tardèrent 
pas  à  riposter,  et  Jean  de  Luxembourg,  qui  avait  envahi  une  seconde 

'''  La  Moselle  el  la  Scille. 


588 


ANONYME  DE  METZ. 


fois  le  territoire  de  Metz,  fut  arrêté  par  la  compagnie  du  Raugraf 
Conrad  : 


167.  Celui  jour  ont  bien  esploitiet 
Cil  de  Mets,  qui  ont  retenu 
Maintz  bon  prison,  et  luit  haitiet 
En  leur  hosteih  sont  revenu. 


De  ceu  leur  est  bien  advenu 
Qu'il  n'ont  mies  en  vain  gaitîet  : 
Liez  en  furent  grans  et  menus. 


Non  contents  de  cette  première  expédition,  les  Messins,  le  jour  des 
Morts,  envahirent  le  Barrois,  sans  que  le  comte  Edouard  essayât 
même  de  les  inquiéter  : 


1  6  i .  Ly  pays  lut  brûlez  et  ars; 
Beste  n'y  laissent  ne  vitaille. 
A  Monsons  estoit  Endovvars, 
Qui  ne  lor  fist  oncques  baitaille  ; 


Il  redoubtoit  trop  la  pitaille 
Pour  ceu  qu'avoit  mains  mortels 
[dars 
Et  mainte  espée  que  bien  taille. 


Dans  une  seconde  excursion,  plus  heureuse  que  la  première,  le 
roi  Jean  surprit  les  gardiens  d'un  nouveau  pont,  que  les  Messins 
avaient  appelé  le  Pont  des  Morts''';  il  le  fit  jeter  bas,  en  retenant  pri- 
sonniers ceux  qui  n'avaient  pas  su  le  défendre.  Une  autre  fois,  Thicrri 
de  Bierp*^',  un  de  ses  chevaliers,  ramena  vingt  bourgeois,  et  dans  le 
nombre  l'opulent  GeofProi  Corbel '^'.  Une  autre  fois  encore,  le  roi, 
profitant  du  recueillement  avec  lequel  les  Messins  fêtaient  la  grande 
semaine  de  Noël,  ordonnait  à  ses  gens  de  se  répandre  dans  les  vignes, 
déjà  vendangées  par  lui  l'année  précédente,  et  d'en  arracher  les 
ceps.  C'est  là  ce  que  notre  rimeur  lui  reproche  avec  le  plus  d'amer- 
tume : 


199.  Oncques  ne  lut  de  bonne  ligne 
Certes  atrais,  ne  de  haultesse, 
Li  roy  qui  fait  destruire  vigne; 
Ce  n'est  pas  fait  de  gentilesse. 

300.  Cil  qui  n'aimment  vin  et  vignoble 
Ne  sont  pas  neis  de  bonne  geste. 
Car  jamais  lai,  ne  clerc,  ne  noble, 
S'il  n'ont  du  vin,  ne  feront  feste. 


Car  dou  vin  naist  toute  liesse. 
Je  vorroie  qu'il  heut  la  tigne 
Quant  les  vigueurs  ensi  apresse. 

Sans  vin  chanter  ne  puent  preste 
Messe,  qui  est  chose  très  noble  ; 
Dont  mefTait   moult  qui  vin  ten- 
[peste. 


''*  Strophe   178  de  La  Guerre  de  Metz,  édi- 
tion E.  deBonleiller,  p.  ii)6. 


'''  Strophe  191,  p.  aoa. 
'''  Strophe  19a. 


SON  POÈME.  589 

Et  il  y  a  grande  apparence  que  ceux  de  Metz,  qu'il  nomme  «  wau- 
dessours'''»,  ou  boute-feus,  répandus  sur  le  vaste  territoire  ennemi, 
ne  traitaient  pas  mieux  tout  ce  qu'ils  trouvaient  sur  leur  passage, 
vignes,  fourrages,  meubles  et  maisons. 

Notre  chronique  ne  se  poursuit  pas  assez  loin  pour  raconter  la  fin 
de  la  lutte,  qui  désola  pendant  deux  ans,  avec  des  alternatives  di- 
verses, d'un  côté  le  comté  de  Bar,  le  duché  de  Luxembourg,  le  diocèse 
de  Trêves  et  la  Lorraine,  de  l'autre  toutle  territoire  messin.  Les  perles, 
les  dégâts,  les  pillages  avaient  été  réciproques;  mais  tout  en  usant, 
semble-t-il,de  plus  rudes  représailles,  les  Messins,  qui  les  infligeaient 
aux  quatre  agresseurs,  en  avaient  plus  souffert  que  chacun  d'eux  en 
particulier.  Si  nous  accordions  une  foi  entière  aux  récits  contempo- 
rains, il  faudrait  attribuer  à  nos  citadins  la  meilleure  part  dans  le 
succès;  nous  les  trouverions  aussi  très  résolus  à  ne  poser  les  armes 
qu'après  avoir  obtenu  de  leurs  ennemis  la  réparation  de  tous  les  maux 
que  la  guerre  avait  entraînés'^'.  Mais,  il  ne  faut  pas  l'oublier,  toutes  les 
relations  que  nous  avons  pu  confronter  sont  dues  à  des  habitants  de 
Metz  '^',  et,  si  nous  nous  arrêtons  aux  conditions  de  la  paix  conclue  le 
3  mars  i3a5  (i326  n.  st.)  '*',  nous  voyons  que  les  concessions 
faites  par  la  ville  sont  loin  d'être  compensées  par  celles  que  lui 
accordent  les  confédérés.  Ainsi,  de  part  et  d'autre,  les  prisonniers 
sont  renvoyés  sans  rançon,  le  butin  reste  à  ceux  qui  l'ont  recueilli, 
et  aucune  réclamation  n'est  admise  pour  couvrir  les  frais  de  la 
guerre.  Les  engagements  contractés  avant  la  guerre  conservent 
leur  plein  effet,  et  les  Messins  gardent  la  faculté  d'acquérir  et  de 
conserver  des  fiefs,  mais  à  la  condition  de  satisfaire  au  service  attaché 
à  ces  fiefs. 

Ainsi,  ceux  qui  avaient,  avant  la  guerre,  voulu  échapper  à  ces  obh- 
gations  les  acceptaient  maintenant.  Bien  plus,  les  Messins  consentaient 
à  payer  aux  princes  confédérés  une  somme  de  quinze  mille  livres,  à 

'"  On  désignait  sous  ce  nom  les  conduc-  lies  par  J.-F.  Huguenin  (Metz,  i838,gr.  in-8). 

leurs  des  trains  de  bois,  et  par  extension  des  Cf.  la  Notice  de  M.  Auguste  Prost  sur  les  Chro- 

cclaireurs.  Le  Dictionnaire  de  l'ancienne  langue  niques  de  Me<^...,dans  les  Mémoires  de  l'Acadé- 

f'rançaife  de  Godefroy  (t.  VIII,  p.  SaS)  en  cite  mie  nationale  de  Metz.  Sa'  année,   i85o-i85i, 

plusieurs  exemples,    tous  empruntés  à  notre  p.  ao8-255. 

poème.  '*'  Preuves  de  l'histoire  de  Metz,  des  Béné- 

("  Strophe  276  de  La  Guerre  de  Metz  en  dictins,  t.  IV,  p.   ig-aA,  et  E.  de  Bouteiller, 

132i,  édition  E.  de  Bouteiller,  p.  a46.  La  Guerre  de  Metz  en  132à.  p.  ioà-àoç),  avec 

'''   Les  Chroniques  de  la  ville  de  Metz,  recueil-  facsimiie. 

4  0 


590  WONYMK  DE  MEIZ. 

des  termes  assez  rapprochés,  et  quatre  des  principaux  bourgeois  de- 
vaient s'en  porter  garants.  De  tels  résultais  nous  mettent  en  garde 
contre  tout  ce  que  nous  disent  les  chroniqueurs  contemporains  de  la 
fierté  avec  laquelle  les  bourgeois  avaient  reçu  les  premières  propo- 
sitions de  paix  et  de  l'insistance  que  les  princes  confédérés  avaient 
mise  à  les  faire  accepter.  De  part  et  d'autre,  de  nombreux  villages 
incendiés,  beaucoup  de  pillages,  d'énormes  dépenses,  sans  parler  des 
pertes  d'hommes,  durent  faire  également  regretter  aux  uns  et  aux 
autres  d'avoir  provoqué  une  lutte  si  longtemps  continuée  et  dont  le 
résultat  devait  être  stérile.  Elle  eut  cependant  l'avantage  de  montrer  ;'i 
de  puissants  voisins  qu'ils  devaient  traiter  les  bourgeois  de  Metz  sur  un 
pied  de  parfaite  égalité. 

L'auteur  anonyme  de  cette  importante  relation  était  apparemment 
un  citoyen  de  la  ville,  et,  suivant  toutes  les  probabilités,  un  clerc.  On 
ne  voit  pas  qu'il  se  compte  une  seule  fois  au  nombre  des  hommes 
d'armes,  sergents,  écuyers  ou  chevaliers,  qui  payèrent  alors  do  leur 
personne.  Son  style,  sans  jamais  s'élever  au-dessus  d'un  récit  en  prose, 
n'est  pas  à  mépriser  :  il  est  clair,  animé,  rapide  et  n'abonde  pas, 
comme  tant  d'autres,  en  lieux  communs.  S'il  passe  lestement  sur  les 
journées  dans  lesquelles  ses  concitoyens  n'ont  pas  eu  l'avantage,  il 
laisse  deviner  que,  à  son  avis,  ils  auraient  dû  sortir  de  leurs  murailles 
quand  le  roi  de  Bohême  avait  donné  le  signal  de  la  dévastation  de 
leur  territoire.  Après  avoir  raconté  la  première  retraite  des  confédérés, 
il  ajoute  : 

1^8.  Scciizde  Mets  ont  lâchement  Je  vou^  dit  bien  selon  ma  crance, 

Des  ennemis  prise  vangcnrc  ,  Ains  que  la  guerre  ait  finement , 

Puis  qu'ils  firent  département,  Lors  ferait  Mets  duel  et  pesance. 
Ne  les  tenés  point  a  vitance. 

Et,  s'il  ne  nous  a  pas  fait  assister  à  la  fin  de  la  guerre  et  au  traité 
de  paix  qui  rétablit  entre  les  diverses  parties  la  bonne  intelligence 
ancienne,  c'est  apparemment  parce  qu'il  n'avait  pas  été  le  témoin 
de  la  dernière  période  de  cette  levée  de  boucliers,  soit  que  la  mort 
l'ait  surpris  avant  l'achèvement  de  son  œuvre,  soit  que,  ne  vou- 
lant pas  lui  donner  de  publicité,  il  ait  négligé  d'y  mettre  la  dernière 


SON  POEMK.  591 

Les  trois  manuscrits  présentement  connus  qui  nous  ont  conservé  le 
texte  de  la  Guenede  .\/e/2  sont  d'origine  messine,  mais  postérieurs  tous 
Irois  de  plus  d'un  siècle  aux  événements  dont  ils  ont  transmis  le  récit; 
la  date  de  leur  copie  ne  semble  pas  pouvoir  être  reculée  plus  haut 
que  le  milieu  du  xv^  siècle.  L'exemplaire  le  plus  complet  du  poèn)e 
(le  la  (jiicrrc  de  Metz,  après  avoir  fait  partie  des  collections  de  Balles- 
dens  et  de  Colbert,  porte  aujourd'hui  le  n°  6782  des  manuscrits  du 
fonds  français  à  la  Bibliothèque  nationale.  Il  compte,  comme  il  a  été 
(lit  plus  haut,  2075  vers,  répartis  en  296  couplets,  de  sept  vers 
chacun,  et  on  lit  en  tète  le  titre  suivant  :  «  De  la  guerre  des  trois  rois 
«  qui  mirent  le  siège  devant  la  bonne  cité  de  Mets  en  l'an  mil  cccc 
«et  xliiij  ans.  X  Cette  dernière  date  provient  d'une  erreur  évidente 
(lu  copiste,  qui  a  confondu  le  siège  de  Metz  par  Charles  VII  et  liem; 
d'Anjou,  roi  de  Sicile  et  duc  de  Lorraine,  en  1  444.  avec  celui  de  i324- 
C'est  ce  manuscrit  qui  a  été  pris  pour  base  de  l'édition  de  la  Guerre  de 
Metz  en  1324,  publiée  en  1875  par  1"^.  de  Bouteiller,  avec  la  collabo- 
ration de  F.  Bonnardot,  mais  il  ne  contient  que  ce  seul  poème,  sans 
aucune  des  onze  petites  pièces  imprimées  à  la  suite  par  les  mêmes 
éditeurs.  Celles-ci,  par  contre,  acconqjagnent  le  poème  dans  les  deux 
autres  manuscrits  >''. 

Le  premier  de  ces  manuscrits,  après  avoir  été  recueilli  par  un 
érudit  ujcssin,  le  comte  Enimery,  a  été  accpiis  de  ses  héritiers 
en  1849  et  est  aujourd'hui  conservé  sous  le  n"  83  i  [81]  à  la  Biblio- 
lhè(pie  de  Metz;  c'est  un  précieux  recueil  de  chroniques  et  de  pièces 
lelalives  à  l'histoire  des  événements  dont  Metz  a  été  le  théâtre  aux 
\iv''et  XV'  siècles.  Le  texte  de  notre  poème  y  est  intitulé  :  «  Une  coro- 
«  nique  et  un  biaul  dit  de  la  guerre  que  le  roy  Jean  de  Bahaigne  fist 
i(  aveuc  l'archevesque  deTrieve,  le  duc  de  Lorrainne  et  le  quien  de 
"  Bair  contre  cianix  de  Metz  par  mil  m'  et  xxmi.  »  11  ne  compte  dans 
ce  manuscrit  que  2o3i  vers,  occupant  les  feuillets  77  à  i33,  et  est 
suivi,  aux  feuillets  i34  à  180,  des  onze  petites  pièces  énumérées  plus 
loin.  Le  dernier  manuscrit  contient  ces  mêmes  pièces  à  la  suite  du 
poème,  avec  une  simple  interversion  de  ri4i;('  Maria,  rejeté  après  lesdeux 

''    On  tiouveia  une  dfsciiplion  délailléi-  de  pioduil  tlans  le  ('nUilo<jtie<jéiicial  des  wdnit.Hiils 

ces    deux    manuscrits   dans    le    Catalogue  des  (Paris,    1879,    '""'i'')'    '■   V'  P-   ^9-^"^î)^-    ^'• 

iii'inuscrits    relatifs  à  l'Instoire  de   Metz,...  par  aussi    E.   de    Bouteiller,    La   Guerre   de   Met: 

M.  Clercs  (Met/,   .85G.  in-S"),  p.  5()-C5;  re-  en    i:i'2'l .  p.  Sig  ct4i3. 


592  RIMEURS  DE  METZ. 

Credo,  sans  aucun  des  autres  textes  historiques  transcrits  dans  le  précé- 
dent volume.  Le  poème  lui-même  n'y  compte  que  2016  vers.  Au  début 
du  xvi"  siècle,  il  appartenait  à  la  fille  d'un  échevin  de  Metz,  Anne  de 
Gournay,  et  il  se  trouvait  encore  à  Metz  dans  la  seconde  moitié  du 
xviii"  siècle,  lors([u'en  1770  le  secrétaire  de  l'Académie,  Dupré  de 
Geneste,  en  fit  une  copie  inscrite  aujourd'hui  sous  le  n°  882  [82]  des 
manuscrits  de  la  Bibliothèque  de  Metz.  Les  éditeurs  de  la  Guerre  de 
Metz  déploraient,  en  1 876 ,  la  perte  de  ce  manuscrit  dont  ils  n'ont  pu 
utiliser  que  la  copie  faite  par  Dupré  de  Geneste;  il  devait  être  retrouvé 
dix  ans  plus  tard  à  Nancy,  et  son  dernier  possesseur  connu,  PaulLalle- 
mand ,  en  a  publié  en  i885  une  description  exacte  dans  le  Journal 
de  la  Société  d'archéologie  lorraine  '*'. 

Il  y  a  lieu  de  dire  maintenant  quelques  mots  de  ces  onze  petites 
pièces  de  vers,  composées  pendant  la  guerre  de  Metz  ou  à  son  occa- 
sion'^' et  qu'on  trouve  copiées  à  la  suite  de  notre  poème  dans  deux 
des  manuscrits  : 

I.  C'est  le  serment  le  pappegay  des  Tresez  de  la  guerre  de  Mets  et  du 
Commun.  —  (ie  petit  poème,  de  i4o  vers,  débute  ainsi  : 

L'autrier  estois  lés  ung  airbre... 

Ce  papegay  ou  perroquet,  chargé  de  faire  le  sermon, 

1  7.  Venus  estoit  iour  des  escolles  ; 
Si  les  preschoit  par  paraboles. 

Il  nous  conduit  au  nid  de  la  cigogne,  dame  Berthe,  qui  repré- 
sente la  justice  de  Metz.  L'oiseau  a  rempli  d'ordures  toute  la  ville  et 
provoqué  de  grands  tumultes,  heureusement  apaisés  par  le  gerfaut, 
qui  n'est  autre  que  messire  André  de  La  Pierre,  chevalier  d'Artois 
soudoyé. 

II.  C'est  du  moins  ce  que  nous  révèle  le  petit  poème  suivant,  qui 
ne  compte  que  82  vers  et  est  intitulé  :  C'est  l'exposition  du  sarmont  le 

C  34'  année,  p.   1 1  7-1  a3,  et  tirage  à  pari  et  toutes  les  recherches  ponr  le  découvrir  n'ont 

«le  6  p.  in-8°. —  Ce  manuscrit  ne  figure  pas  au  ])u  jusqu'ici  aboutir. 
Catalogne  de  la  vente  de  la    bibliothèque  de  '''  Edition  E.  de  Bouteiller,  p.  Siô-Sgi. 

M.  P.  Lallemand,  faite  à  Dijon  en  mai  1897, 


LEURS  POEMES.  593 

pappegay,  composé  pour  dissiper  l'obscurité  de  l'allégorie  précédente , 
ainsi  que  l'auteur  nous  en  avertit  dès  le  début  : 

Or  vous  dirais  rentondement,  5.  Les  orduroz,  ce  sont  11  lais 

Car  j'ay  parle!  obscurément  :  Que  contre  Deu  ont  estez  fais 

Mets  est  le  nis,  entendes  bien,  Par  damme  Berte  la  justice. 
Qu'ait  heii  honnour  et  tout  bien. 

III.  Un  troisième  poème,  aussi  médiocre  que  les  deux  précédents 
et  qui  fait  corps  avec  eux,  est  intitulé  :  C'est  la  confirmacion*le  jai  dlngle- 
lerrc  an  celui  sarmont  du  pappegay.  Il  compte  47  vers  et  débute  ainsi  : 

Quant  le  sarmont  du  pappegay 
Fut  parfenis,  si  com  dit  ay... 

Ces  trois  petits  poèmes,  composés  sans  doute  par  le  même  auteur, 
sont  l'œuvre  d'un  Messin  fort  mal  disposé  pour  les  magistrats  de  la 
ville;  le  geai,  venu  de  Londres,  estime  en  effet  que 

Par  les  saiges  est  Mets  foidée 
35.  El  par  les  lolz  est  rafilée. 

IV.  C'est  la  Propkccie  maistre  Lambelin  de  Cornuollc. 

Dieu  gart  la  compaignie  de  péchiez  el  de  crime! 

La  Prophétie  de  maître  Lambelin  de  Cornouaille,  auteur  dont  le 
nom,  que  nous  allons  retrouver  plus  loin,  n'est  pas  connu  d'ailleurs, 
offre  plus  d'intérêt  et  n'est  pas  entièrement  dépourvue  de  valeur  lit- 
téraire. Elle  compte  76  vers,  répartis  en  19  quatrains  monorimes, 
qui  apportent  quelques  détails  nouveaux  sur  l'état  de  la  cité  ainsi  que 
sur  les  discordes  intestines  que  semblaient  raviver  encore  les  dangers 
de  la  guerre  extérieure.  Le  petit  peuple  accusait  l'échevinage  et  les 
échevins  accusaient  les  Parages. 

Or  est  li  povres  foibles  et  li  Commis  est  fors; 
Li  Comuns  fait  a  Mets  ses  lois  et  ses  alTors. 
Dieu  dont  la  fin  soit  bonne,  c'est  tout  mes  resconfors; 
2 à-  Se  paix  avions  dedens  nous,  paix  aurienz  defors. 
La  guerre  qu'est  dedens  fait  a  Mets  giand  dapmaige; 
Ne  sont  pas  d'un  accort  li  Commun,  li  Paraige. 

HIST.    I.ITTKB.  XXW.  ^5 


394  RIMEIKS  DK   MK'IZ. 

L'auteur  gourmande  ensuite  les  quatre  souverains,  qu'il  délie  de 
prendre  Metz  : 

()uant  de  vins  de  Blenoii  ^eia  nieiir  iKiu\elle 
Que  vauronl  ^i^s  d'Arlxiis,  d' \u\ais  ou  de  Roclicllc 
Adont  seront  seigneurs  Irieve,  Nancev,  Bair,  L. .   ' 
56.  De  la  riteit  que  cict  entrr  Saille  et  Muselle. 

Quant  il  n'aMa  ribaus  es  foierez  de  Champaifjiie, 
Et  i  avrai  la  couronne  de  Navaire  et  d'Espai<<ne, 
Et  serai  roy  en  paix  de  France  et  d'AUemaigne, 
\dont  serait  Mets  prinse  por  le  roi  de  Bahaigne. 

V.  Le  titre  de  la  pièce  suivante  :  C'est  li  A.  B.  (].  maistrc  Asselui  du 
Pont  contre  cenLr  de  Mets,  indique  tout  de  suite  dans  quel  esprit  elle  a 
été  conçue.  Maître  Asselin,  notaire  de  Ponl-à-Mousson,  ville  du  conile 
de  Bar,  attaque  dès  le  début  les  Messins  : 

Chascun  me  dit  a  cpioy  je  pance:  Bien  sont  plains  de  grant  démesure, 

Je  pance  a  Mets,  son  ne  me  pance.  Quant  ilz  cuident  par  leur  usure 

Tuis  ceulx  de  Mets  sont  fols  nays.  Leur  voisins  mater  et  confondre, 

ils  n'ont  en  euk  sens  ne  science.  Hz  font  leur  lois  et  leur  mesure, 

Pour  queil  raison, pour  queil  science  Hz  sont  plux  prenans  que  presuif, 

6.  Seront  ilz  seigneurs  du  pays?  12.  Hz  sacorchent  après  le  tondre. 

Dans  le  reste  de  la  pièce,  qui  compte  180  vers,  repartis  en  3o  si- 
vains,  Asselin  exhorte  les  Messins,  tantôt  par  de  douces  paroles,  tan- 
tôt par  de  rudes  menaces,  à  faire  amende  honorable  aux  princes 
(ju'ils  ont  offensés. 

Vi.   La  réplique  ne  se  fit  pas  attendre;  elle  est  intitulée  :  C'esi  In 
rcscepcwn  maistre  Lambehn,  recteur  de  Paris  et  d'Orliens.   Lambelin.- 
dont  le  nom  figure  en  tête  de  la  Proplœcie  précédente,  dit  son  fait  a 
maître  Asselin  dans  ce  petit  poème  de  186  vers,  répartis  également 
en  sixains,  et  qui  débute  ainsi  : 

Que  Dieu  me  garl  de  mal  et  d'ire  ! 
J'ay  trop  grand  dieul  quant  j  oye  dire 
Nulz  mal  de  Mets,  ei  st;  me  poise... 

'    Initiale  de  lAixcmbourg. 


I.KIRS  POEVIES.  Mlf) 

Sa  réponse  est  à  la  fois  dédai<>neiise  et  véhémente;  les  traits  en 
vont  exchisivenienl  frapper  les  sujets  du  comte  de  Bar  : 

En  \eiitc  je  me  rrnivrille  En  mal  liiiri-  cliescim  d'eulx  vaille. 

Comment  ouzent  k'Aer  roiiiiille  Ils  ne  gardent  leste  ne  vaille; 

Nul/,  dos  Coiitaulz devant  proudomuie.         T)^.  Pour  ce  Rarrois  harretours  nomme. 

Les  cinq  pièces  ([ui  suivent,  animées  d'un  même  sentiment  patrio- 
tique, sont  cependant  d'un  caractère  plus  particulièrement  religieux, 
et  si  nous  ne  savons  rien  non  plus  de  leurs  auteurs,  dont  les  noms 
sont  sans  doute  supposés,  elles  témoignent,  du  moins,  que  ceux-ci 
étaient  aussi  attaciiés  à  leur  patrie  qu'à  leur  foi. 

VM.  La  première  intitulée  :  C'osl  une  l^alenoslre  de  la  guère  de  Met:, 
(jue  linhiu  lie  la  Vah'e  /ist ,  débute  ainsi  : 

Cil  (juestauliiit  l'ierre  l'aposlrc 

Me  dont  sa  ■,'iaice  et  puis  lavoslre... 

L'auteur  n'y  dissimule  pas  la  misère  de  ses  concitoyens  durant  cette 
longue  guerre,  dont  il  souhaite  la  lin  : 

[dveiiiiil,  ainsi  adveintçuel  Des  povre/.  gens  hien  te  souveigne; 

Dieu,  des  rilains  pitiet  le  preigne;  Hz  ont  pou  hleil',  cherbons  et  leigne, 

De  ton  ayde  ont  grant  mestier.  '42.  Et  sVruxrent  |)on  de  lour  mestier. 

Elle  compte  i8o  vers,  répartis  en  sixains,  connue  le  sont  toutes 
les  pièces  qui  suivent. 

Mil  et  IX.    C'est  le  (iredo  Henreis  de  Heis. 

l'atvr  noitcr  sens  le  Credo 

\e  vaidroit  riens,  sicnt  credo 


Dès  le  début  l'auteur  constate  les  véritables  motifs  de  la    guerre: 
les  emprunts  contractés  par  les  princes  confédérés  : 

I^a  guerre  vient  par  leui*  acroire, 
Car  per  prester,  c'est  sens  mescroiic , 
1  9..  Mets  ait  guaingniez  mains  anemis. 

Notre  auteur,  peut-être  un  clerc,  y  déplore  les  maux  causés  par 
la  guerre   aux  domaines  temporels  de  l'évèque  Louis  de  Poitiers, 


596  RIMEl  RS  DE  METZ. 

qui  venait  de  se  détacher  des  confédérés  pour  prendre  le  parti  de 
la  cité. 

Ce  premier  Credo  compte  2  34  vers  et  est  suivi  d'un  autre  beau- 
coup plus  court  (78  vers)  :  C'est  le  Credo  Michelet  Petitpain,  qui 
maint  devant  les  Repanties;  celui-ci  débute  ainsi  : 

Le  grant  Credo  sens  le  pelit, 
Siciit  credo,  vavilrait  petit... 

L'auteur  de  ces  vers  fort  médiocres  y  exprime  surtout  des  vœux 
en  faveur  d'une  paix  prochaine. 

X.  L'avant-dernière  pièce,  qui  compte  72  vers,  est  intitulée:  C'est 
li  Ave  Maria  Margueron  du  Pont  Rengmont.  Elle  débute  par  : 

Ains  iroie  Irans  maria 

Que  laissasse  Ave  Maiia, 

Quant  l'ay  trouvé  en  Y  A.  B.  C... 

et  ne  se  distingue  des  précédentes  que  par  un  sentiment  plus  marqué 
de  lassitude  et  un  plus  vif  désir  de  conciliation.  Il  suffira  d'en  citer  le 
second  sixain ,  qui  est  le  meilleur  : 

Ave!  Seigneurs,  ouvreis  la  porte  ;  Ung  si  biaul  dont  com  je  raporte  : 

Bien  soit  venuz  qui  paix  aporte ,  C'est  paix ,  pour  nous  muelz  depour- 
Plus  bel  juei  ne  puet  pourter.  [ter. 

I  G.  Teii  vat  a  Romme  qui  n'aporte 

XI.  La  onzième  et  dernière  de  ces  petites  poésies,  inspirées  par 
la  guerre  de  Metz,  est  intitulée  :  C'est  ung  Benedicite  de  Loivis  de  Pitié, 
evesauede  Metz.  Elle  compte  1  2  strophes  de  six  vers,  terminées  par  un 
envoi  de  huit  vers  sur  deux  rimes  alternées,  au  total  80  vers,  et 
débute  ainsi  : 

Seigneur,  pour  Dieu,  paix /acite.' 
S'ourez  le  Benedicite... 

C'est  un  dernier  appel  à  la  paix  et  un  éloge  dithyrambique  du  nou- 
vel évêque  de  Metz,  Louis  de  Poitiers,  qui  avait  succédé,  le  ï"  fé- 
vrier i325,  à  Henri  I",  dauphin  de  Viennois.  Le  prélat  avait  été 
sans  doute  l'un  des  garants  du  paiement  des  quinze  mille  livres,  au- 


LELRS  R)KiMI':S. 


597 


quel  les  Messins  avaient  consenti,  comme  une  des  conditions  de  la 
paix;  c'est  ce  qui  paraît  résulter  des  vers  suivants  : 

Car  pour  plaisir  la  gent  crueirt-, 
Et  pour  faire  la  paix  entière, 
60.   Sa  propre  terre  ait  mis  en  gaigc. 

Si  Louis  de  Poitiers  avait  été  contraint  de  quitter  le  siège  de  Lan- 
gres  à  la  suite  de  différends  avec  son  chapitre  ^'',  il  semble  qu'il 
n'ait  pas  tardé  à  se  concilier  la  reconnaissance  de  ses  nouveaux 
diocésains. 

H.  O. 


NOTICES  SUCCINCTES. 


Raimond  Béqvin,  frère  prêcheur. 

I.  Les  actes  des  chapitres  généraux  et  provinciaux  de  l'Ordre  de 
saint  Dominique,  où  sont  nommés  beaucoup  de  frères,  avec  l'indi- 
cation de  leurs  fonctions,  ont  permis  d'esquisser  comme  il  suit  la 
carrière  de  frère  Raimond  Béquin'-',  qui  paraît  pour  la  première  fois 
comme  lecteur  à  Albi  en  19.98'^'.  On  le  trouve  ensuite  étudiant 
en  théologie  au  couvent  de  Montpellier  en  i3o2,  sous-lecteur  au 
couvent  d'Agen  en  i3o3,  de  Bordeaux  en  i3o4;  sans  fonctions  au 


'"'  On  trouve  l'écho  de  ce»  différends,  que  le 
chapitre  avaîl  portés  en  Cour  de  Rome  et  au 
Parlement  de  Paris,  dans  un  poème  latin 
unonyme,  qui  a  été  conservé  par  le  manu- 
scrit 38,  fol.  49-64,  de  la  BioUothèque  de 
Langres.  Quelques  extraits  de  ce  poème  ont  été 

[tubliés  en    1900  par  M.  P.  Alphandéry  dans 
e  Moyen  Age,  a'  série,  t.  IV,  p.  569-607. 

'''  Les  manuscrits  donnent  tantôt  Dequini 
(l'ornae  adoptée  par  Echard  et  par  Deniile), 
tantôt  Beguini.  on   encore  Bigin  (  Archiv  fur 


Lileruliir-und  kircliengeschichle ,  t.  Il,  p.  ■>.  iG, 
note  5).  La  forme  Béquin  se  rencontre  dans 
des  actes  contemporains  de  la  région  (CaUi- 
logue  général  des  manuscrùs ,  t.  XXIII,  p.  i65). 
—  Un  certain  Pons  Béquin,  sans  doute  parent 
de  frère  Raimond,  reçut  de  Jean  XXII  un 
canonicat  en  i3a4  (Lettres  communes,  ana- 
lysées par  G.  Mollat,  n*  aio83). 

'''  C.  Douais,  Acta  capitalorum  prorlncia- 
tiam  Ordinis  Fralrum  Prœdicatorum  (Toulouse, 
1896),  p.  432. 


598  NO'I'ICES  SLCCINCTES. 

couvent  de  Toulouse  en  i3o5;  lecteur  au  couvent  de  Bayonnr 
en  i3o6,  à  Orthez  en  i3o8,  à  Cahois  en  i3ii,  à  Toulouse  en 
i3i'<;  prieur  du  couveni  de  Toulouse  de  i3i3  à  i3i5,  où  il 
fit  bàlir  une  sacristie  iKnivelle;  prédicateur  j>énéral  en  i3i.V'. 
Le  Chapitre  général  tenu  à  Pampelune  dans  la  seconde  quinzaine  de 
mai  1  3  17  l'assigna  pour  «  lire  »,  cette  année-là,  les  Sentences  à  l'aris'""'. 

11  est  dès  lors  comblé  d'honneurs.  Maître  du  Sacré  Palais  en  i32  1'", 
Il  fut  un  des  oratenrs  qui,  t-n  juillet  1  32  3,  lors  des  cérémonies  de  la 
canonisation  de  saint  Thomas  d'Aquin,  ])rononcèr('nt  m  curia  l'élogi- 
du  nouveau  saint.  On  ne  voit  pas  hien  pourquoi  les  capitouls  de 
Toulouse  prirent  la  peine,  vers  la  lin  de  cette  même  année,  dr  recom- 
mander au  pape  un  personnage  déjà  si  lavorisé'.  Déliniteur  au  Cha- 
pitre général  de  son  Ordre  en  i3i^i,  il  tut  nommé  par  Jean  \XII, 
le  19  mars,  patriarclio  de  Jérusalem.  Le  P.  Echard  a  noté  (|ue  ce 
fut  le  cardinal-évêque  de  Sabine  (le  dominicain  Guillaume  Pierre 
de  Godin,  de  Bay)nne,  dont  la  notice  sera  dans  notre  prochain 
volume)  qui  procéda  à  sa  consécration;  il  était  son  compatriote  et, 
sans  (It)ute,  son  protecteur. 

Montfaucon  a  signalé,  parmi  les  manuscrits  du  \atican,  une 
I  Censura  Rhemundi,  patriarche  .ferosolimitani,  et  aliorum  a  Johanne 
X\ll  delegatorum,  super  articulis  .lacobi,  archiepiscopi  Aquensis  » '■' . 
Mention  qui  a  passé  longtemps  inaperçue.  Mais,  de  cette  pièce,  nous 
aurons  l'occasion  de  parler  bientôt,  dans  la  notice  cojisacrée  a 
Durand  de  Saint-Pour(  ain  ".  Il  sullit  d'indiquer  ici  ([ue  Piaimond 
Béquin,  patriarche  de  Jérusalem,  présida  la  commission  de  théolo- 
giens instituée  par  Jean  \XI1,  entre  mars  i3>6  et  février  1327, 
pour  examiner  des  propositions  suspectes  qui  lui  avaient  été  sou- 
mises par  Jaccjues  de  Conçois,  archevêque  d'Aix. 

\u  patriarchat  de  Jéiitsalein  était,  à  cette  époque,  annexée  l'admi- 
nistiation  du  diocèse  de   Limassol  en  Chypre.  Frère  liaimond  alla 

''   C.  Douai»,    Les  Frères  Piriheiira  en  G(i<  '    A.  (-oulon.   Lettres  secrètes  et  iiiriales  du 

conne  au  xiii'  et  nu.  xiy'  siècle  (  Paris,  i><85),  jinpe  Jean  Wll,  n*  i88ç). 
p.  471.  CI.  Quélir  et  Erhartl,   Scriptorcs  Onli-  '     Montl'aucon  ,    Bibliolhecn    hibliulhecaruni . 

nis  Preedicutoruni .  t.  I",  |>.  ;)6o.  I.  I".  p.   i35'  et  '107'. 

'    Dcnille  et   (ilialciain,  ('hnrliilariniii  lui-  "    Noire  notice  sur  Duranil  de  Saint-Poiir- 

versilalis  Parisiensis ,  t.  Il,  p.  jo'i.  cain    linurera   au    lomc    \\\\  I    de    \' Histoire 

■'    J.Catalani,  De  matjistni  Savri  Pnlntii  iij  n-  littéraire, 
stoliri  (Roin.-p,  1751),  p-  •)7- 


UAIMOM)  BKQl  IN.  .lUO 

lésulei-  dans  l'île.  On  a  des  lettres  de  Jean  \XII  qui  lui  sont  adressées 
au  sujet  de  la  conduite  à  tenir  là  contre  les  Nestoriens'*'.  H  y  mourut 
en  i328,  et  fut  remplacé  dans  le  patriarchat  par  son  confrère  Jean 
(le  Naples. 

II.  Nicolas  Bertrand  attribue  à  frère  Raimond  «Quodlibeta  varia 
«et  alia  quaedain  opuscula»,  mais  il  ajoute  que  ces  ouvrages  sont 
perdus  "-'.  Tous  les  bibliographes  l'ont  répété  depuis. 

Cependant  le  manuscrit  5()2  de  la  Bibliothèque  de  Reims  — 
])récieux  recueil  d'œuvres  dominicaines  de  la  première  moitié 
du  xiv*^  siècle,  provenant  de  la  librairie  de  l'archevêque  Gui  de  Roye, 
—  a  conservé  (fol.  fi\  v"  —  77)  un  Quolibet  de  Raimond  Bcquin  : 
»  Incipil  Qiwdlihct  magistri  li.  Heyiuiu ,  Oïdinis  Prcdicatoriiin.  Oueritur 
ntrum  Ghristus  et  apostoli  habuerint  aliqua  bona..  .  » 

Les  questions  de  ce  Quolibet  sont  au  nombre  de  dix,  savoir  : 

1.  Utrum  Chiishis  cl  ;i|)ostoli  habutrint  .nliqua  timporalia  in  conimuni  quaiituin 
ad  proprietatcm  it  Hominium. 

2.  Itruni  esscncia  divina  cognoscatnr  a  \iator<'  naUiraliler,  sccuncUiin  (jus  pro 
|)riam  el  dislinclam  ralionem. 

3.  Utruin  inti'llcctus  \iaton.s  possit  aliqua  viitutc  j)('rtiii(jt'rf  ad  claiam  et  r\i- 
dcntem  essencic  divinr  cognilionem. 

4.  Utrum  iiitiHi'cliis  beatus  possit  clari'  cl  c\id<nl('r  rogiiosccrc  diviiiam  csscn- 
ciam,  non  congnosccndo  propriclatcs  relatives. 

!).  Utrum  ad  vidcndiiin  clare  dixinam  essenciam  rc([airatur  de  ncccssilali'  Itinieii 
glorie. 

6.  Utrum  esMtieia  divina  distiiiguatui'  alitjun  modo  a  pioprieijitc  rclaliva  vri  a 
pcrsona. 

7.  Utrum  libellas  voiunlatis  consislal  formalilcr  in  placencia  ejus. 
H.   Ltrum  de  ente  in  comniuni  possit  formari  imus  conccplus. 

9.    Utrum  babil  us  scientificus  habeat  unitatem  realem  vel  rationis. 
10.    Utrum  cognitio  coiifusa  ])recedat  delei  minatain. 

La  première  ([uestion  se  rattache  à  une  controverse  vivement  agi- 
tée au  temps  de  Jean  XXII,  celle  de   la  pauvreté  monastique.  Elle 

'''   Haynaldi,      limalcs    crdcsiastici ,     aimée  '-    Nicolas  Bertrand, /Je  r/io/osiiHorHm  //w/i's 

i;)24,  S44;  iiiG,i'.S.  CL  Jean  XXll.  Lellres        (Tholosap,  ifui;. 
romnuincs,  anal\sccs  |).ir  (j.  Mollat,  n°  a63t)7. 


(■)()0  NOTICKS  S(  CCLNCTËS. 

a  été  détachée  pour  former  un  opuscule  à  part  dans  le  manuscrit  27;") 
de  la  Bibliothèque  de  Laon,  où  elle  est  anonyme*'*. 

H  existe  au  moins  un  second  exemplaire  du  Quolibet  de  frère 
Baimond.  Comme  la  première  question  y  manque,  cet  eî^emplaire, 
anonyme,  commence  par  la  seconde  du  manuscrit  de  Reims  :  «  Utrum 
"  essentia  divina  cognoscatur  a  viatore»,  etc.  Il  se  trouve  dans  le 
numéro  3i4  de  la  Bibliothèque  d'Avignon,  qui  provient  du  couvent 
des  Frères  Prêcheurs  de  cette  ville. 

C.  L. 

Jean  «Doa//v/c/»,  frèhe  prêcheur. 

Le  manuscrit  latin  3  100  de  la  Bibliothèque  nationale  (anc.  Col- 
bert  3216)  est  un  beau  volume  en  parchemin,  d'une  écriture  beau- 
coup plus  soignée  que  celle  de  la  plupart  des  manuscrits  scolastiques, 
el  dont  la  première  page  est  discrètement  ornée.  11  contient  un  abrégé 
de  la  Seciinda  Scciinde  de  Thomas  d'Aquin  (Inc.  :  Utrum  objeclumfidei 
sit  Veritas  prima).  On  en  a  depuis  longtemps  remarqué  Vexplicit''^\  car 
l'auleur  y  est  nommé  (fol.  260  verso)  : 

Explicit  Summa  utcumque  abreviata  et  per  quasdam  decisiones  dearticulata,  ex- 
cerpta  de  Sccanda  Secundo  sancti  Thome  de  Aquino,  Ordinis  Fratruni  Predicatoruin, 
per  fratrem  Johannein  Dominiri,  cjusdem  Ordinis,  de  expresse  mandato  sanctissimi 
palris  et  domini  nostri  domini  Johannis,  divina  providencia  Sacrosancte  Romane 
ac  uiiiversalis  Ecclesie  pape  XXII,  compléta  in  Avenione  anno  Domini  M°  CGC" 
XXIil",  pontificatus  sui  anno  [en  hianc),  sahbato  post  festum  venerabilis  doctoris 
sancti  Thome  predicti  immédiate  subséquente. 

La  canonisation  de  saint  Thomas  est  de  juillet  i323  et  sa  fête  est 
célébrée  le  7  mars;  l'abiégé  du  frère  Jean  Dominici  fut  donc  achevé 
le  samedi  10  mars  i32/i  (n.  st.). 

Cet  abréviateur,  qui  travailla  sur  l'ordre  exprès  de  Jean  XXII,  n'est 
autre,  sans  doute,  que  le  frère  Jean  Dominici,  lecteur  de  théologie 
cliH7,  les  Frères  Prêcheurs  de  Narbonne,  que  le  même  Jean  XXII  ad- 

'■  l.'incijiil  el  V explicit  du  traité  anonyme  (/icatorum,  t.  1",  p.  558,  col.  i.  —  Echard  a  pu- 

n'  .'))    (le  ce  manuscrit  de   Laon  sont   iden-  l)lié  là,  d'après  le  ms.  latin  3ioo,  le  texte  de 

li(|uos    à    ceux    de    la    première   question   du  la  première  question,  pour  faire  partagera  ses 

<Uiolibcl  de  frère  Raimond  dans   le  manuscrit  lecteurs  l'opinion  favorable  qu'il  avait  des  pro- 

ile  lU'ims  (fol.  4'i  v'-49).  cédés  dont  l'abréviateur  s'est  servi,  et   de  sa 

"'  Quélifct  Kcharil,  .Sfri'/)(o)«  Oi(/i;!(\   /'/«'  clarté. 


JEAN  DE  BLANGI.  601 

joignit  en  iSaS  à  deux  autres  personnages,  l'archevêque  de  Brindisi 
et  un  chanoine  d' A  versa,  pour  réconcilier  avec  l'Eglise  romaine,  en 
Serbie,  Ouroch,  le  roi  du  pays,  qui  avait  manifesté  l'intention  d'ab- 
jurerle  schisme  grec''*.  C'est  aussi,  sans  doute,  le  «frère  Jean  Domi- 
nici,  dit  de  Montpellier»,  qui  avait  débuté  comme  lecteur  de  logique 
à  Narbonne  en  1296'^';  qui  avait  été  ensuite  lecteur  à  Ramiers 
(1297)  et  à  Valence  (i3oi)'^';  et  qui  avait  repris  à  Narbonne,  en 
i3o3,  les  fonctions  de  lecteur'*. 

Il  ne  semble  pas  que  son  ouvrage,  quel  qu'en  soit  le  mérite,  ait  eu 
du  succès.  Car  nous  n'en  connaissons  que  l'exemplaire  solennel  de  la 
Bibliothèque  du  roi. 

C.   L.     . 

.h:A^  DE  Blangi  ,  théologien. 

I.  En  juin  iSiy,  Thomas  de  Bailli  et  les  membres  de  la  Faculté 
de  théologie  de  l'Université  de  Paris  informèrent  Michel  de  Mortemer 
(en  Normandie),  cardinal  de  la  promotion  de  décembre  i3i2  et  pro- 
tecteur naturel  des  originaires  de  Normandie  en  cour  de  Rome,  que 
maître  Jean  de  Blangi'*',  docteur  en  théologie,  son  compatriote,  très 
reconnaissant  de  l'expectative  de  la  prébende  dans  l'église  de  Rouen 
qui  venait  de  lui  être  conférée  sur  la  recommandation  dudit  cardinal, 
craignait  d'avoir  longtemps  à  attendre,  et  n'avait  pas,  en  attendant, 
de  quoi  «  tenir  son  état  ».  En  conséquence,  considérant  quantum  dede- 
cus  sit  ecclesie  Del  doctorem  m  tlieologia  in  nccessariis  sustinerc  dejcctiim , 
ils  le  priaient  de  faire  en  sorte  que  maître  Jean  eût  satisfaction''''. 

Maître  Jean  était  docteur  en  théologie  depuis  i3i3-i3i4,  car,  le 
12  octobre  i336,  Benoît  \11  déclare,  dans  une  bulle,  que  Jean  de 
Blangi  régentait,  à  cette  date,  en  l'Université  de  Paris,  depuis  vingt- 
deux  ans  et  davantage'"'.  H  le  savait  bien,  car  lorsque  ce  pape 
s'appelait  encore  Jacques  Fournier,  il  avait  été  le  condisciple  de  Jean 

'''  Raynaldi    {Annalet    ccdeiiatlict ,    éd.    <lo  *'  Ibid.,  p.  472. 

Lucques,  t.   V,  p.   aa5)  a  publié  celte  pièce  '^'  Blangy-sor-Bresle,    air.    de    Neiifchâlel 

d'après  le  registre   cxi  du  Vatican    (p.  263)  (.Seine-Inférieure). 
Cf.  G.  Mollat,  n°  1662.  '''  Denille  et  Châtelain,  Cliartulanum  Uni- 

'*'  C.  Douais,  Acta  capitulornm  Ordinis  Fia-  vcrsitatis  Parisiensis,  t.  II,  p.  2o5. 
Irum  Preedicatoram  (Toulouse,  1896),  p.  /|o6.  ''    Ibid.,  p.  468. 

'')  Ibid.,  p.  4j5et /|6i. 

IIIST.  I.ITTÉR.  XXXV.  76 


(■)()2  NOTICKS  SLCCINCTKS. 

à  Paris;  an  témoignage  de  Vllistoria  episcoponim  AnlissioJorensidni , 
il  avait  même  conquis  la  licence  et  le  doctorat  en  même  temps 
que  son  camaïade  normand  ''. 

L'expectative  d'un  canonicat  à  Rouen  avait  été  procurée  à  maître 
lean  par  le  cardinal  Michel  dès  le  i3  novembre  i.îiti.  Il  lut  fait  cha- 
noine do  Beauvais  le  lo  janvier  1^2  i'"'.  11  était,  en  outre,  chanoine 
de  Paris  en  i336'^'. 

A  t[uelle  époque  Jean  de  Blangi  devint-il  doven  de  la  Faculté 
de  théologie  de  Paris?  Il  l'était  déjà  le  3o  juin  1329''';  et,  !<- 
1  "^  juin  i335,  Benoît  \I1  dit  (|u'il  l'a  été  per  maltos  annos^'\ 

Par  un  compte  sans  date,  mais  qui  a  été  rédigé  entre  i32i)  et 
1  336,  on  sait  enfin  qu'il  habitait  rue  des  Cordeliers  [in  rlco  Miiioriiiii^^ 
à  Paris  <^ 

Le  2 janvier  i334,  \ingt-neuf  maîtres  en  théologie  de  l'Université 
de  Paris  adressèrent  à  Philippe  VI  une  lettre  célèbre  pour  lui  présen- 
ter oiriciellement  une  sorte  de  compte  rendu  de  l'assemblée  que  ce 
prince  avait  convoquée  en  sa  présence,  au  Bois  de  Vincennes,  le 
■?3  décembre  précédent,  et  qui  avait  délibéré  sur  la  question  contro- 
versée de  la  Vision  béatifique.  Jean  de  Blangi ,  qui  s'intitule  dans  cette 
pièce  archidiacre  du  \ exin  en  l'Eglise  de  Rouen,  y  est  nommé  le 
second,  après  le  chancelier  Guillaume  Bernard. 

L'amitié  de  Benoît  \1I,  et  sans  doute  celle  de  Pierre  Roger,  qui  fut 
archevêque  de  Rouen  avant  de  passer  sur  le  siège  de  Sens,  valurent  à 
ce  théologien  si  estimé  le  siège  épiscopal  d'Auxerre,  au  commence- 
ment de  l'année  i33()'^.  Evêque  d'Auxerre,  il  assista  l'année  suiNante 
avec  son  métrojiolitain ,  Pierre  lioger,  à  la  conclusion  des  trêves d'Arras 
entre  les  rois  de  France  et  d'Angleterre'^.  Mais  les  actes  de  son  épi- 
scopal sont  très  rares ^^\  et  la  fonction  lui  pesait.  Il  obtint,  qneicjues 

"    Deiiillc  et  (Ihatelain,  p.  20."),  nolt'  2.  '    Froissait,  Chroniiiiu- ,  cd.  S.  Lucc,  t.  II, 

'■■'   Ihid. —  V.n  i3,S6,  il  adressas  Benoit  \II  p.  85  et  264- 

une  requête  |)our  être  pajé  de  certains  fruits  ''   M.  Ch.  Pori-c,  archiviste  tie  l'Yonne,  (jui 

de  celte  prébende  que  le  chapitre  de  Beau\ai3  a  bien   ^oulu    les  rechercher    pour   nous    aux 

hii  refusait  pour  cause  de  non-résidence  (p.  ifiS.  \rchives    de    l'\oniie,    n'en    a  trouvé    qu'un 

l.ettic  citée  à  la  note  précédente.  ((!   i<)48):  une  charte  du  l'\  ruai  io/|i,  insé- 

'    Lettre  de  Jean  \XII,  i/i((/.,  p. /|()8,  note.  réc  à  la  suite  de   la   cliarte   d'affranchissement 

'•   Ibitl.  des  habitants  d'Oiss  par  le  chapitre  d'Auxeri-e, 

'■■'   Ihul.,  |>.  (itj.'î,  col.   1.  du    3  mars    i.>''ii,   d.ms  un  vidimus  des  pré- 

'■'   Galitit  clirisliaiKi,  t.  \ll,  col.  3l8;  cf.  J.  vots  de  Villeneuve-le  Roi.  Kn  voici  le  texte: 

l.nnnoii  ie;ili   \(naiiw  iiyinnnsii   l'nvisieiisi.i  his-  \  to,,/  ,cu\   qui    \erront  co^    présentes   Litres, 

Uinii  (Parisiis,   i^'<~~  ' ,  p.  891.  nuii'*  Jehan/ ,  parla  :;raci^  de  Dieu  c\csquo  d'Aucerre, 


MCOI.AS  iyK\M-:/A'l.  00,^ 

iinnées  plus  tard,  de  Clément  VI  (Pierre  Roger)  la  permission  de  s'en 
défaire  en  f^ardanl  une  pension  sur  les  revenus  de  la  uiense.  Il  voulait 
retourner  à  Paris,  théâtre  de  son  activité  passée.  Mais  il  mourut  des 
laligues  du  voyage,  en  arrivant,  à  la  mi-mars  1 3/j5.  Il  fut  enterré  dans 
l'église  d<;  la  Cliartreuse  de  Vauvert,  sous  une  lame  de  cuivre.  Son 
épitaplic  a  été  publiée  :  Hicjacet  recolcnde  memorie  Jnannes  de  Blaïuiiaco, 
liotomafjcnsis  diocesis,  doctor  in  sacra  tlieologia,  episcopus  Autissiodorensis. 
(lujiis  anima  reqmcscal  in  pare.  Qm  olnit  anno  Domini   MCCCXLUII^^ . 

II.  i\os  prédécesseurs,  qui  ont  rendu  compte  de  l'assendjlée  précitée 
du  Bois  de  Vincennes  en  décembre  i,S33  '-,  n'ont  pas  mentionné  la 
part  qu'y  prit  le  doyen  Jean  de  Blangi.  Ils  l'auraient  fait  certainement 
s'ils  avaient  su  —  ce  que  tout  le  monde  parait  avoir  ignoré  jusqu'à 
présent  —  que  cest  ce  personnage  qui  porta  la  parole,  au  nom  de 
ses  confrères,  en  cette  circonstance  solennelle,  et  que  son  discours  a 
été  conservé.  Il  se  trouve  dans  un  manuscrit  du  xu*"  siècle  au  Musée 
britannique  (Arnndel,  n°  I91).  où  il  est  intitulé  (fol.  35  v")  : 
<<  Baciones  magistri  Johannis  de  filaniaco,  inagistri  in  tlieologia, 
"  deducte  et  proposite  publiée  \n  quodam  sermone,  in  presencia 
"  régis  Fraucie,  de  Visione  Dei  sanclarum  animarum.  » 

Jean  de  lilangi,  le  tliéologien  le  plus  (mi  vue  de  l'Université  de 
Paris  pendant  dix  ans  et  davantage,  a  dû  composer  bien  d'autres 
écrits,  ne  serait-ce  que  ses  lectures  obligatoires  de  régent.  Mais  s'il  en 
existe  encore,  nous  n'en  connaissons  aucun  exemplaire  sous  son  nom. 

C.  L. 

\h:OI.\S    l)E\\E/.\i,     CWOMSIE. 

I.  Nicolas  d'Ennezat,  de  l'Ordre  des  Frères  Prêcheurs,  était  vrai- 
seujblablement,    comme    son    nom    l'indique,    originaire    de   l'Au- 

>alul  on  Aosli'i'  Sciyiieiir.  Sii\oir  faisons  a  loui  que  de  i|uoy  nous  avons  mis  noslre  seaul  en  ces  présentes 

iKiu^  la  remission  de  la  iiiaiu  morte  faite  par  hono-  lettres  a  la  requeste  desdiz  honorables.  Données] 

raldcs  personnes  noi  aniez  le.  doyen  et  chapitre  de  le  jeudi,  octave  de  l'Ascension  Nostre  Seigneur,  l'an 

noslre  église   d'Aucerrc  an-   hahitanz   de  leur  ville  de  grâce  mil  trois  cens  et  quarente  et  ung. 
il'Oisv,  et  en  la  forme  et  manière  contenues  en  la  ,     >,        „  ,,.  ,       ,,,',   ,. 

.■I.a^rjtrc  en  laquelle  csnoslres  présentes  lettres  sont  ,    /'•     ''oinmeraye ,     Histoire    de     l  Eglise 

annexées,  loons,  volons,  gréons  et  approvons.  Et  pour  >,illwdrale  de  lioueit  (  Houen  ,  ib8b),  p.  133. 
que  la  chose   soit  plus  lérme  et  estable  a  perpe-  '     Ilhloivc  lillêrnire,  t.  WXIV,   J).  GlO. 


tuiténous  V  mectons  iiostrederret  (sic),  (^iilesmoini; 


76. 


60/j  NOTICKS  SLCCINCTES. 

vergue''*.  Un  personnage  de  ce  nom  et  de  celte  qualité  paraît  soiivenl 
dans  les  actes  du  Procès  des  Templiers  comme  commissaire  de  l'in- 
quisiteur Guillaume  de  Paris *^'.  D  autre  part  on  sait  par  un  acte  du 
9  septembre  182  1'^'  que,  à  raison  de  sa  qualité  d'exécuteur  des  der- 
nières volontés  d'une  certaine  Agnès  rfe  Graeriis,  le  frère  Nicolas  d'En- 
nezat  était  entré  en  conllit  avec  les  autorités  universitaires  et  avait 
tenu  des  propos  qui  parurent  attentatoires  aux  privilèges  de  l'Univer- 
sité et  de  la  Faculté  des  Arts  :  il  fut  obligé  de  leur  en  présenter,  par 
écrit,  ses  humbles  excuses.  Quétif  et  Échard  ont  cru  que  le  religieux 
dominicain  qui  dut  ainsi  s'incliner  devant  l'Université  était  peut-être 
un  personnage  différent  de  notre  jurisconsulte,  son  confrère  et  son 
homonyme*''.  Nous  n'apercevons  pas  la  moindre  raison  de  partager 
cette  opinion.  À  notre  avis,  il  n'y  eut  qu'un  seul  Nicolas  d'Ennezat, 
de  l'Ordre  des  Frères  Prêcheurs,  qui  vivait  dans  le  premier  tiers  du 
xiv*  siècle.  Peut-être  enseigna-t-il  au  couvent  de  la  rue  Saint-Jacques; 
c'est  une  hypothèse  que  Quétif  et  Fxhard  semblent  admettre  sans 
hésiter. 

11.  Chaque  fois  qu'un  grand  recueil  de  lois  a  été  mis  en  circu- 
lation, des  juristes  se  sont  empressés  d'en  dresser  des  répertoires;  la 
littérature  juridique  de  tous  les  temps,  du  nôtre  en  particulier,  en 
lournit  de  nombreux  exemples.  Aussi  ne  faut-il  pas  s'étonner  de  con- 
stater que,  après  l'apparition  du  Décret  et  des  collections  de  Décré- 
tales,  les  canonistes  se  livrèrent  à  la  composition  d'une  foule  d'ou- 
vrages de  ce  genre.  C'est  à  de  tels  travaux  que  Nicolas  d'Ennezat 
a  consacré  son  activité;  nous  ne  connaissons  de  lui  aucun  écrit 
original. 

Son  œuvre  comprend  trois  tables.  Celle  du  Décret  de  Gratien  est 
un  index  alphabétique  des  principales  matières,   avec  renvoi   aux 


''  Quel  il' el  Kchîinl,  iSfri/)/()/e,v  0/(ii»i,v /'/«•-  '"    J.  Michelet,  Procès  des  Templiers ,  I.    Il, 

dwatorum,  t.    I",   p.  .>49:  Schulte,  Geseinchtc  p.  fwx.  et  passim. 

(lerQnellenundLiterntiirdescanonischenRcchls,  <''  Texte  dans  Du  Boiilay,  Hisloria  Universi- 

I.  FI,    p.    33i.   Ënnezat  est  nn    chef-lieu   de  tatis  Pariiiensis .  X.  W ,  f.  i88,  et  dans  Denifle- 

i-anton   du  Puy  de-Dôme,   arr.  de   Riom.  On  et  Châtelain,  CharlalnriiimUitiversitatis  Parisien- 

l'onnail  un  Guillaume  d'Ennezat ,  rfor/or /cynni .  ^is .  t.  I",  p.  a46,  n'  800.  L'original  est  au\ 

it  Montpellier  en  1 3/i  1  (Marcel  Fournier,  SfnfB/,*  Vitli.  nat.,  M  67',  n°  46. 

rf  privilèfjes    des    Universités   françaises,    t.  Il,  '•   M.  Fouiiiier,   Histoire  de  la   svicme    du 

p.  86).  droit  en  France ,   t.  1",  p.  549- 


NICOLAS  DKNNKZ AT.  005 

textes *').  lin  ce  qui  concerne  les  Décrétales  de  Grégoire  IX,  auxquelles 
ii  a  réuni  le  Sexte,  la  table  dressée  par  frère  Nicolas  est  double '-^i 
d'abord  une  liste,  suivant  l'ordre  du  recueil,  des  titres  contenus 
dans  chaque  livre  et  des  constitutions  qui  le  composent;  chacune 
de  celles-ci,  désignée  par  ses  premiers  mots,  reçoit  en  outre  une 
indication  sommaire  constituée  par  le  jeu  des  lettres  de  l'alphabet 
précédées  du  numéro  de  chacpie  livre,  pour  faciliter  les  références; 
vient  ensuite  l'index  alphabétique  des  principales  matières,  avec  ren- 
vois aux  textes.  La  table  alphabétique  des  Clémentines  est  établie 
d'après  les  mêmes  principes'^';  dans  quelques  manuscrits,  elle  se 
termine  par  ces  mots:  Exphcit  tabula  super  Seiitunuin  [librum  Decre- 
talium]  yra^r/i-  N.  de  Anesiaco,  Ordinis  Fratrum  Predicatonim,  aiino  Do- 
mini  M"  VAX"  A/A". 

D'après  ce  que  dit  l'auteur  dans  la  préface  qu'il  a  placée  en  tête  de 
la  table  du  Décret,  ces  indices  étaient  destinés  à  venir  en  aide  aux 
étudiants  pauvres,  copiam  libroriim  non  Itabentes.  C'est  un  grand  service 
qu'il  croit  leur  rendre;  aussi  recommande-t-il  au  lecteur  de  prier 
pour  frère  Nicolas  d'Ennezat,  (jiii  non  soluni  pro  se,  sed  pro  mullis  in  hoc 
laboravit. 

Les  labiés  de  Nicolas  d'Ennezat  n'ont  pas  été  imprimées.  Elles  se 
trouvent  souvent  réunies,  par  exemple  dans  les  manuscrits  suivants  : 
Bibl.  nal.,  nouv.  acq.  lat.  770,  fol.  26  et  suiv.  ;  Mazarine,  i3o8  (pro- 
venant de  Saint-Victor);  Amiens,  383;  Reims,  748;  Saint-Quentin, 
79;  Saint-Omer,  5ii  et  554;  Vendôme,  90;  Munich,  lat.  9657.  Le 
manuscrit  547  ^^  Saint-Omer  paraît  ne  contenir  que  la  table  des 
Décrétales  et  du  Sexte;  le  manuscrit  17  de  Merton  Collège,  Oxford, 
contient  seulement  la  table  des  Clémentines;  voir  aussi  des  manu- 
scrits de  Konigsberg '''  et  de  Breslau'"'  signalés  par  Schulte,  et  le 
manuscrit  du  Vatican  (lat.  5709)  signalé  par  R.  Scholz'''. 

P.  V. 

'''   \m..         «Salvaloris     gralia...       \bbates  '*'   Scliulle,  op.  cil.,  I.  I[,  p.  '!.')i. 

poslquam  benediclioneni.  . .  »  Quétit'et  Kcliard  '^'  Schulte,  op.  cit. ,  t.  II ,  p.  Mo. 

ne  signalent  pas  la  table  du  Décret.  '*'  R.    Scholz,   Vnhekannle    hiichcnpulitischv 

'*'  Inc.   :    «  Sicut   spiritualla    et   tenuporalia  Streitschriflen  mis  drr  Zeit  Ludwitjs  des  Baieni . 

dilTerunt.  .  .  »  I.  I",  p.  7,  dans  la  lUhliolliek  des  Preussischeu 

'''    Ivc.    :    «  Abbatisse    si    debeant    benc-  hislorisrhen    Iiisliliils    in    nom    (I.    I\    et    \, 

dici.  »  191  ^). 


OOC)  NOTICES  SLCCINCTKS. 


SiMo.\  Vaihet,  canomste. 

I.  Schulte  a  le  premier  signalé  Simon  Vairet,  ([u'il  connaissait  par 
le  catalogue  des  manuscrits  d'Arras,  et  dont  il  sait  seulement  qu'il 
était  professeur  de  l'un  et  l'autre  droits*''.  Nous  sommes  en  mesure 
de  lournir  sur  sa  personne  cpielques  renseignements  plus  précis. 

En  i3i8,  Vairet  était  à  la  lois  chanoine  de  Saint-Quentin  el 
membre  de  deux  chapitres  du  diocèse  de  Térouanne  :  le  chapitre 
de  Saint-Sauveur  de  Saint-Pol,  et  le  chapitre  qui,  à  Liilers,  desservait 
l'église  dédiée  à  saint  Omer'-';  il  professait  en  outre  le  droit  civil  et  le 
droit  canonique,  (l'était  déjà  à  cette  époque  un  personnage  d'un  certain 
âge  et  d'une  certaine  importance,  puisque,  le  20  juillet  de  cette  même 
année  i3i8,  Jean  XXll  le  pourvut  d'une  place  de  chanoine  au  cha- 
pitre métropolitain  de  Reims,  concession  que  le  Pape  dut  renouvelei' 
le  .3  avril  i3  19  '''.Le  20  novembre  de  l'année  suivante,  il  est  désigné, 
avec  deux  chanoines  d'Arras,  pour  exécuter  un  rescrit  pontifical 
relatif  à  une  prébende  du  chapitre  de  Saint-Amé  de  Douai.  Ces 
quelques  informations  donnent  à  penser  qu'il  appartenait  à  la 
])rovince  ecclésiastique  de  Heims  et  à  la  région  du  Nord  de  la  l'rance; 
cette  hypothèse  est  encore  conlirmée  par  le  fait  que  les  manu- 
scrits connus  de  .ses  ouvrages  sont  conservés  à  \rras,  à  Douai,  à 
\miens  et  à  Reims.  Les  liens  qui  l'unissaient  à  la  région  du  Nord  ne 
(levaient  pas  se  rompre.  Nous  savons,  par  un  document  de  i336, 
([u'à  cette  époque  il  avait  joint  à  ses  autres  bénélices  un  canonical  à 
la  cathédrale  d'Arras  :  le  i"  juin  de  cette  année,  il  était  chargé  d'une 
délégation  de  Benoit  Xll  concernant  une  affaire  qui  intéressait  un 
chanoine  de  Cambrai  ' .  Cependant,  il  n'était  pas  sans  attaches  avec  le 
milieu  parisien'*',  où,  sans  aucun  doute,  il  passa  une  portion  consi- 
dérable de  sa  vie.   C'est  à   Paris  (|u'il  enseigna  le  droit  canonique. 

'')  SchultP,  (iesrhichle  lier  Qncllcn  iiiid  Lile-  •*)   Vidal,  n"  9448. 

ratiir  des  canoiniihcn  Hechts,  I.  II,  p.  4o5.  '''  Il  est  possible  qu'il  ait  cii  des  parents  à 

'''  Voir  les  bulles  indiquées  à  la  note  sui-  Taris.  De  son  temps,  il  y  avait  à  la  Chambre 

\ante.  des   comptes    un    clerc    nommé  Jean    \'airel 

'^'   Mollat,  op.  cil.,  n"   78/1O  et  çiio.");  Ar-  {Actes  du  Parlement  de  Paris,  l.  1"  ,  n°'  778  el 

nold  Fayen,  Lettres   de  Jean  Wll  [Aiiiilecla  ia3o;  F.   Auberl,    Le   Parlement  de  Paris  île 

VaticanoMijira ,i.  ]"),  n"  G23  el  70().  l'hilipjic  le    Bel   à    Charles    \  II,  p.  172). 


SLMON  VVIUKT.  007 

En  1828,  il  est  cité  comme  jiigeur  au  v  Enquêtes  du  Parlement''; 
toutefois,  son  nom  ne  se  retrouve  pas  dans  la  liste  des  jugeurs  de 
i336C^'. 

Un  acte  où  figurent  ses  exécuteurs  testamentaires,  en  date  du 
2-2  novembre  iS^y  '',  fait  croire  (jue  sa  mort  fut  de  peu  antérieure 
à  ce  jour.  Son  confière,  Jean  de  Thélu,  comme  lui  docteur  en 
décrets  et  chanoine  de  Saint-Quentin,  avait,  par  testament,  fondé  en 
l'église  Saint-André-des-Arts  une  cfiapellenie  et  réglé  les  condi- 
tions de  la  nomination  du  chapelain.  Or,  par  l'acte  précité,  les 
exécuteurs  des  dernières  volontés  de  Vairet,  d'accord  avec  ceux 
auxquels  Jean  de  Thélu  avait  confié  les  siennes,  remirent  aux 
représentants  de  l'Université  un  sac  scellé  du  cachet  de  Vairet  où  se 
trouvait  une  somme  importante*''.  La  destination  de  cette  somme 
était  indiquée  par  un  billet  de  la  main  du  défunt,  où  se  lisaient  ces 
mots  :  «  Pro  magistro  J.  de  Tlielu,  si  de  mea  hereditate  non  faciam.  » 
Il  est  clair  que  Vairet  entendait  participer  à  la  fondation  de  Thélu, 
([ue  sans  doute  il  avait  quelque  temps  rêvé  de  faire  lui-même.  Les 
Intentions  des  deux  donateurs  furent  réalisées.  Le  i4  juin  i348''', 
l'Université  enqjloyait  les  capitaux  dont  elle  disposait  à  acheter  des 
rentes  dont  les  arrérages  devaient  constituer  la  dotation  de  la  tuture 
chapellenie.  Le  10  octobre,  l'évêque  de  Paris  fondait  la  (•ha])elleiiie 
et  en  nommait  le  premier  bénéficier,  sur  la  présentation  de  la  corpo- 
ration des  maîtres  et  des  écoliers  de  l'Université;  ce  chapelain  n'étail 
autre  que  le  philosophe  Jean  Buridan"''. 

'■'    \ndci-  GinWoh,  lurlificlics  sur  ks  maitres  (cl'.   J.    ViarcJ ,     .lniiriKinx   du    l'irsar  de    l'Iii 

des  requêtes  de  t'Iiôlel    (Paris,  1909J,  |).   ■i-''-.  lippe  de  Valois,   11"    1 /|68  et  la  note).   Il  fnnl 

'''   P.     riuilhiernioî,     Kiiqiiéles     el    procès,  donc  substituer  l'année   iSIS  à   Tannée  1008 

[>.  638.  indiquée  par  Du  Houlay. 

'''   Denilleet  Chalolain,  (  linrlulariiim  l  iiiix'r-  '"'   L'I  nivcrsité  s'adressa  à  rc\0(|uolp  5  août 

sitntis  P((i isieiisis ,  t.  Il,  i).  G19,  n"  1  i."),').  i3/i8  et  lui  présenta  Biiiidan,  sur  le  nom  du 

"'  /|/i6   florins  d'or,  70  llorins  à  l'agneau,  quel  les  personnages  cliargés  de  cette  mission 

20  à  la  niasse,  la  gros  tournois.  par  le  testament  de  'J'hélu  s'étaient  entendus 

'^'   Cet  iicte  est  repioduit  dans  l'acte  de  fon-  dès    le  mois   d'octobre   précédent  (l)enille   cl 

dation  émanant  de  l'évêque  de  Paris  cl  publié  (Jiatelain,  op.  cil.,  I.  Il,  p.  6''.  i,  n"  iiT),  etl)u 

par  Du  Boulay,  lllslorin  rnieersilalls  l'nrisien-  Boulay,  o^.  cil.,  t.  IV,  p.  307).  I/évéque  ré- 

sis,  t.  IV,  p.  3o/i  et  siiiv.  Il  est,  dans  cet  ou-  pondit  à  la  requête  des  universitaires  par l'acle 

vrage,   daté    du    samedi    lA  juin   i3o8.  Cette  de    fondation  du    10  orlobrc    i.'i/iS,  dont  on 

date    est    fausse    pour     diverses    raisons.     J.e  trouvera  le  texic  in  e.rlenso  dans  l'ouvrage  di' 

i/i  juin  I  J08  n'était  point  un  samedi,  l.e  pré-  Du  Boulay.   L'acte  est  meniionni-  dans  celui 

vnt  de  Paris,  Guillaume  Gormont,  qui    reçut  de  Denille  el  Cliatclain  avec  la  date  du  18  oc- 

l'acte,   clait  prévol    le  samedi    i/j   juin    10^8  lobre. 


()08  NOTICES  SUCCINCTES. 

11.  Nous  connaissons  deux  ouvrages  de  Simon  Vairet.  L'un  est  une 
compilation,  suivant  l'ordre  des  Clémentines,  tirée  des  principaux 
commentateurs  de  ce  recueil.  \  airet  recueillit  d'abord  les  fragments  d<' 
trois  commentaires,  ceux  de  Guillaume  de  Montlauzun,  de  Jesselin 
de  Cassagnes  et  de  Jean  André'''.  Le  commentaire  de  Jean  André,  le 
moins  ancien,  paraît  avoir  été  composé  en  iSaG;  l'œuvre  de  Vairet, 
dans  son  premier  état,  date  donc  d'une  année  postérieure  à  iSaC. 
\près  l'avoir  composée,  il  eut  connaissance  d'un  nouveau  commen- 
taire sur  les  Clémentines,  celui  du  maître  italien  Paul  de  Liazarus, 
d'abord  élève  de  l'Université  de  Bologne,  qui  enseignait  à  Pérouse 
en  iSaS,  puis  revint  à  Bologne  et  vécut  jusqu'à  l'année  i356'-. 
Nous  ignorons  la  date  de  sa  Lectiira  sur  les  (Jémentines,  et  par  con- 
séquent nous  ne  pouvons  déterminer  l'année  où  Vairet  put  lui  em- 
prunter des  extraits  pour  compléter  sa  compilation.  Mais  nous  n'avons 
pas  grande  chance  de  nous  tromper  en  plaçant  la  composition  de 
cette  Lecturn  entre  i33o  et  i3,45. 

Les  manuscrits  que  nous  possédons  de  l'œuvre  de  Vairet  sont 
au  nombre  de  trois  :  Arras,  482;  Douai,  621;  Reims,  7^5;  ils  re- 
])roduisent  ce  travail  dans  son  second  état,  c'est-à-dire  fait  d'extraits 
lires  des  commentaires  des  quatre  docteurs.  L'auteur  indique  dans 
sa  préface'^'  la  méthode  qu'il  a  suivie.  Chacun  des  quatre  commen- 
tateurs a  fourni  à  Vairet  une  série  de  textes.  La  série  de  Jean  André, 
la  plus  importante,  à  cause  de  la  haute  estime  où  est  tenu  cet  auteur, 
constitue  vraiment  la  base  de  son  ouvrage.  Dans  les  séries  de  Guil- 
laume de  Montlauzun  et  de  Jesselin  de  Cassagnes,  Vairet  a  distingué 
des  extraits  qu'il  en  a  retirés  pour  les  joindre  aux  passages  correspon- 
dants de  la  série  de  Jean  André,  et  d'autres  qu'il  a  laissés  à  leur  place 
dans  leur  propre  série.  11  ne  s'est  point  livré  à  ce  travail  sur  les  frag- 
ments tirés  par  lui  de  l'œuVre  de  Paul  de  Liazariu,  qu'il  a  connue 
après  coup;  tous  les  extraits  de  cet  auteur  sont  demeurés  dans  la 
quatrième  série. 

''  -Nous  en  sommes  inforniés  par  la  préface,  g"*-'»  et  de  Paul  de  Liazaiiis   (ms.  Gi|7  de  Ja 

donl  un  fragment  a   été  publié  par  Schuite,  Bihiiollièque     de      l'Arsenal,    provenant    de 

/or.  rit.  Il  ne  faut  pas  confondre  cet  ouvrage  Saiiit-Viclor,  fol.  IJO  et  suiv.). 
avec  une  compilation  anonyme  faite  de  trois  '''  Cf.  Schuite,   op.  cit.,  t.  Il,    p.    2'î6   et 

coiinncntaires    sur     les    (Clémentines,    triplex  saiw,  et  Histoire  littéraire,  i.  XWW,  \t.  63 1 . 
///o<n;  les  trois  commentaires  sont  ceux  de  Guil-  '''   Ixc.  :  ■  Hic  glosas  quatuor  auctoruai ,  de 

laumc  de  Montlauzun,  de  Jesselin  de  Cdssa-  cisiscorum  prcfationibiis .  .  .  • 


ANONniE,  AUTEIR  DU  «COITUMIER  D'ARTOIS..  60*) 

L'ouvrage  de  Vairet  est  fait  à  peu  près  entièrement  à  coups  de 
ciseaux;  ce  qu'il  a  ajouté  de  son  fonds  aux  textes  qu'il  empruntait  à 
autrui  est  très  peu  de  chose, mcltd  nul  parnm  ah  els  cxtvaneum  addensde 
meo.  Les  textes  extraits  de  l'œuvre  de  Jean  \ndré  ont  été  en  "énéral 
respectés.  L'auteur  a  pris  plus  de  liberté  avec  les  écrits  des  autres 
maîtres;  il  s'est  cru  autorisé,  le  cas  échéant,  à  les  abréger,  tout  en 
conservant  les  développements  nécessaires  pour  l'intelligence  de  la 
question  de  droit.  Pour  alléger  son  livre,  il  n'a  pas  hésité  à  omettre 
tous  les  passages  qui,  reproduits,  eussent  été  purement  et  simple- 
ment des  répétitions  :  Non  enim  eœpedit  omma  m  omnilnis  Itcriini  scrihi. 
Enhn,  il  a  donné  à  son  œuvre  une  disposition  matérielle  telle  que  le 
lecteur  peut  toujours  savoir  auquel  des  quatre  maîtres  il  a  affaire. 
C'est  en  suivant  ces  règles  que  Vairet  a  cru  faire  une  œuvre  utile  aux 
canonistes  ses  contemporains,  si  curieux  de  résoudre  les  questions 
soulevées  ])ar  l'application  des  Clémentines.  Il  signe  modestement 
cette  œuvre  de  son  nom,  suivi  de  ces  épithètes  :  mintinus  addiscentinm, 
utnusqiiejuris  modiciis  y)/-o/pssor'''. 

L'autre  ouvrage  de  Simon  Vairet  qui  nous  est  parvenu  est  moins 
original  encore  que  le  premier.  C'est  une  table  alphabétique,  à 
l'usage  des  jurisconsultes,  des  textes  de  la  Bible  et  d'autres  ouvrages 
contenus  dans  les  recueils  de  droit.  Elle  est  intitulée  :  «  Tabula  do- 
)nini  Symonis  Bayreti  (^/c),  juris  professoris,  composita  secundum 
ordinem  alphabeti  ad  inveniendum  plures  concordias  ad  unam  dic- 
tionem.  »  Cet  ouvrage  nous  a  été  conservé  flans  le  manuscrit  383  do 
la  Bibliothèque  d'Amiens'^'. 

P.  F. 

A\o\y^rE,  autelr  du  ^i  Coutumier  n'Anrois». 

Le  Coiitumier  d  Artois,  œuvre  privée  où  pour  la  première  fols  fut 
consigné  le  droit  de  cette  province,  m;  nous  a  été  conservé  que  par 
les  deux  manuscrits  5^48  et  52/^9  du  fonds  français  de  la  Biblio- 
thèque nationale.  En  lybG,  Adrien  Maillart,  avocat  au  Parlement  de 
Paris,  qui,  par  ses  études  et  l'exercice  du  barreau,  avait  acquis  une 

''*  Ce  sont  les  derniers  mots  de  la  préface.         Iilinlhàiucs  publiques  de   France.  Dci>arlcineuls, 
'"'   Vutalo(jiie  ijcncrnl  des  manuscrits  des  Bi-         t.  \l\,p.  i83. 

IIIST.  I.ITTKB.  —  \\\v.  77 


()10  NOTICES  SICCIXCTES. 

connaissance  très  étendue  du  droit  artésien ''^  le  publia  pour  la  pre- 
mière fois,  non  sans  se  permettre  certaines  licences  avec  le  texte'-'. 
Maillart  n'avait  d'ailleurs  connu  qu'un  seul  manuscrit,  le  n°  5^49- 
En  i883,  Adolphe  Tardif  en  donna,  d'après  les  deux  manuscrits,  une 
nouvelle  édition  plus  correcte'^';  cette  édition  était  destinée  à  prendre 
place  dans  une  (Collection  de  textes  réunis  pour  l'enseignement  de 
l'histoire  du  droit. 

Le  Coulumicr  d'Artois  est  écrit  en  dialecte  du  pays;  il  est  divisé  en 
56  titres,  dont  chacun  est  précédé  d'une  rubrique.  Si  l'auteur  parait, 
au  début,  s'être  conformé  à  un  plan  qui  rappelle  celui  du  Conseil  dv 
Pierre  de  Fontaines,  il  l'a  vite  abandonné;  la  suite  de  son  œuvre 
semble  caractérisée  par  une  absence  complète  de  méthode. 

Il  n'est  pas  difficile  de  dater  cet  écrit;  il  fut  composé  entre  i  2  85, 
date  de  l'expédition  de  Philippe  le  Hardi  en  Aragon,  à  laquelle  il  est 
fait  allusion,  et  i3o2,  année  où  mourut  le  comte  d'Artois  Robert  II, 
du  vivant  duquel  le  Coutumier  fut  certainement  rédigé.  Sans  doute 
le  lecteur  peut,  à  première  vue,  être  tenté  de  donner  au  Coutumier 
une  date  un  peu  plus  basse.  Il  y  rencontre  en  eiïet,  à  propos  d'un 
procès  intéressant  les  biens  dépendant  de  la  commanderie  de  Loi- 
son'*',  plusieurs  mentions  des  cbevaliers  de  l'Hôpital;  or  cette  com- 
manderie ne  put  appartenir  aux  Hospitaliers  qu'après  la  dévolution, 
réalisée  en  i3i5,  des  biens  de  l'Ordre  du  Temple.  Toutefois,  en  y 
regardant  de  près,  il  est  facile  de  se  convaincre  que  ces  mentions 
proviennent  de  corrections  faites  à  la  rédaction  primitive.  Ce  qui  le 
prouve,  c'est  la  présence,  à  côté  des  passages  se  référant  à  l'Hôpital, 
d'autres  passages  non  corrigés  qui  se  rapportent  au  Temple'^ .  Cett(; 
bigarrure  ne  saurait  s'expliquer  que  par  une  correction  incomplète 
du  texte  primitif,  qui  fut  faite  après  coup. 

L'œuvre  elle-même  se  distingue  par  certains  caractères  : 

1°  Pour  une  part  importante,  elle  n'est  point  originale.  L'auteur  y 
.1  transcrit,  sans  y  faire  de  changements  graves,  des  fragments  consi- 
dérables de  deux  ouvrages  appartenant  à  la  littérature  juridique  du 

C  Ses  papiers  furent  acquis  après  sa  mort  ''■   C'oitliimiei  (/éiiéral  d'Arlois,  175(1,  in-fol. 

par  Etienne  Caulet,  évoque  de  Grenoble,  bi-  ''    Coutumier  d'Arlois ,  Pari»,  i883.  Kos  ci- 

bliopliile  bien  connu;  ils  sont  encore  conser\ es  talions  se  réfèrent  à  cette  édition. 

»    la    Bibliothèque    publique   de    cette    ville ,  ''    Titres   XIX    et   suiv.  —  Loison ,   r"  "  do 

manuscrits   1 356-1 368.  On  y  trouve  de  Irè»  (liiinpa^'nc-lez-Hesdin,  Pas-de-Calais, 

nombreux  dossiers  inti'ressant  l'Artois.  '''  Cf.  p.  5a  et  5(i. 


VNONYMK,    \LTELJl  DL   «COUTLMIER  D'ARTOIS..  611 

\iir  siècle.  En  premier  lieu,  il  a  fait  de  larges  emprunts  au  Conseil  de 
Pierre  de  Fontaines.  Non  seulement,  comme  l'a  fait  remarquer  Adol- 
phe Tardif"),  il  s'en  est  approprié  tout  le  prologue,  sans  songer  à  aver- 
tir le  lecleur  de  ce  plagiat,  mais  il  en  a  extrait  maints  passages  qui  ont 
pris  place  surtout  dans  la  première  moitié  de  son  recueil;  on  le  peut 
constater  par  l'examen  des  titres  I",  111,  VU  que  nous  citons  à  litre 
d'exemples.  Le  second  des  ouvrages  qui  ont  fortement  inlluencé  le 
Contutmer  d'Artois  n'est  autre  que  les  Étahlissements  de  saint  Louis. 
Celte  inlluencé  a  été  mise  en  lumière  par  Adolphe  Tardif  et  par  Paul 
Viollet'-'.  Klle  se  manifeste  notamment  au  cours  des  titres  IX-XI 
XIII,  MV-XVll,  WXlll,  \XXIV,  \\\V,  XLVIII.  L'auteur  se  per- 
met d'ailleurs  de  modifier  parfois  le  texte  de  son  modèle;  c'est  ainsi 
qu'à  la  fin  du  tilr<>  X\XV  (S  5),  il  signale  un  usage  plus  favorable 
à^la  leinme  noble  qui  a  failli  (jue  n'était  la  règle  consignée  dans  les 
lùahlisscnienls.  D'après  lui,  on  doit  tout  au  moins  la  faire  «  vivre  avoir 
selonc  sa  foie  aventure  ». 

2"  Beaucoup  des  règles  recueillies  par  l'auteur  et  ()résentées, 
comme  on  l'a  dit,  d'une  manière  assez  désordonnée,  concernent  la 
procédure  civile  et  l'instruction  criminelle.  Il  traite  aussi  en  pins  d'un 
passage  (le  la  relation  féodale,  de  la  distinction  des  biens,  du  droit 
des  héritages,  c'est-à-dire  de  la  propriété  foncière,  des  mineurs,  de 
la  femme  mariée  et  des  successions.  Sans  aucun  doute  son  expose 
Il  est  pas  complet;  mais  on  y  trouve  réunies  beaucoup  des  prescrip- 
tions importantes  du  droit  féodal  et  coutumier.  L'auteur  appartient 
sûrement  à  la  catégorie  des  juristes  qu'on  appelait  de  son  temps  les 
consuetudinarii. 

3"  Il  avait  d'ailleurs  d'aulres  connaissances  juridiques  que  celles 
que  lui  fournissait  le  droit  coutumier.  Il  n'est  pas  besoin  d'une 
longue  élude  de  son  (l'uvre  pour  demeurer  convaincu  qu'il  avait 
SUIVI,  en  quelque  Université,  peut-être  à  Orléans,  l'enseignement 
du  droit  civil  et  du  droit  canonique,  et  qu'il  était  pénétré  des  no- 
tions qu'il  y  avait  acquises.  11  cite  les  Décrétales  de  Grégoire  IX, 
et,  plus  souvent,  les  compilations  de  Justinien,  dont  il  lui  arrive 
parfois  de  traduire  les  textes.  Si  l'on  veut  des  preuves  de  l'influence 
qu'exerce   sur  lui   le  droit  romain,   il    suffira    de    se    reporter    au 

1')  p.  MM.  _   ^)  P.  Viollet,  lùdbliisemenls  de  sa'ii.t  Louis,  I.  1",  p.  31a. 

77- 


012  NOTICES  SUCCINCTES. 

titre  XXXI ,  sur  la  rescision  des  ventes  immobilières ,  et  au  titre  X  W II , 
sur  la  restitution  en  entier  accordée  aux  mineurs,  institutions  pure- 
ment romaines,  que  l'auteur  tient  à  introduire  dans  la  pratique  cou- 
lumière,  ou  encore  aux  divers  titres  relatifs  à  la  procédure  :  titre  VII 
sur  les  exceptions,  titre  VIII  sur  la  règle  Spoliatus  aiite  omnia  resti- 
laeudiis,  titres  IX  et  X  sur  l'office  des  procureurs  et  des  avocats, 
titres  XL VII  et  \LV  III  sur  l'instruction  criminelle,  titre  XLIX  et  sui- 
vants sur  les  preuves,  où  l'on  peut  voir  le  système  des  preuves 
romaines  à  côté  du  combat  judiciaire;  titres  LU  et  LUI  cù  est  exposée 
la  distinction  d'origine  canonique  entre  le  juge  ordinaire  et  le  juge 
délégué,  et  enfin  titre  LIV,  où,  à  propos  des  arbitres,  l'auteur  se 
complaît  à  des  développements  provenant  de  la  «loy»,  c'est-à-dire 
des  textes  romains. 

4°  Sa  connaissance  du  droit  n'était  pas  seulement  théorique;  il  en 
doit  une  bonne  part  à  la  pratique  judiciaire.  Selon  toutes  les  vrai- 
semblances, il  était  avocat,  et  exerçait  sa  profession  devant  les  diverses 
juridictions  de  la  province,  de  préférence,  semble-t-il,  devant  les 
juridictions  séculières,  celles  du  comte  ou  des  cours  seigneuriales.  H 
fait  des  allusions  fréquentes  aux  procès  qui  s'y  sont  débattus,  raconte 
ce  qu'il  y  a  vu  et  indique  la  conduite  qu'il  tint  lui-même  dans  une 
affaire  qui  lui  était  confiée'''. 

Tel  qu'il  se  présente  à  nous,  le  Contiumer  d'Arlois  se  place  dans 
la  famille  des  œuvres  qui  ont  ])ré2oaré  la  romanisation  du  droit  cou- 
tumier,  comme  le  Conseil  de  Pierre  de  Fontaines  et  le  Livre  de  Jos- 
l'ice  et  de  Plel.  Au  surplus  ce  coutumier  ne  paraît  pas  avoir  été  très 
répandu;  nous  n'en  voulons  d'autre  preuve  que  le  petit  nombre  de 
manuscrits  qui  en  ont  été  conservés.  Il  convient  toutefois  de  faire 
remarquer  que  Boutillier,  jurisconsulte  originaire  d'Artois,  lui  a  fait 
des  emprunts  lorsqu'il  a  écrit  sa  Somme  rural  '"^'.  On  retrouve 
notamment,  dans  ladite  Somme,  les  développements  que  l'auteur 
du  Coutumier  a  consacrés  à  deux  procès,  celui  des  gens  de  «  Daufine  » 
contre  les  Templiers,  et  celui  auquel  donna  lieu  la  succession 
d'Eustache  de  Neuville,  chevalier  mort  au  voyage  d'Aragon. 

P.  F. 


'■'  Page  G3,  n"  7.  —  '='  Cf.  Artois,  G,  S  a,   19  et  20;    3.i,  S  2;  39,  S  10  et  .''17,5  j;  et 
l^outiUier,  fit.  78;  33;  98:  74  et   34  (éd.  de  Lyon,   i6-.!i,  p.  783,  35'i,  961,  737  et  385). 


«COMPILATIO  DE  USIBUS  ANDEGAVIE  «.  (iKi 


AS0\YMK,  AUTEUR  DE  LA   «  CoMPlLATlO  DE  USIHUS 
ET  CONSUETUDINIBUS  AnDEGAVIE». 

Les  travaux  de  l'érudition  pendant  la  seconde  moitié  du  mk*"  siècle 
ont  jeté  la  lumière  sur  l'histoire  du  droit  angevin  au  moyen  âge.  H  a 
été  établi  qu'une  rédaction,  d'ailleurs  non  olficielle,  de  la  Coutume  de 
l'Anjou  avait  été  faite  vers  le  milieu  du  xiii"  siècle,  probablement  en 
i'j/i6;  Paul  VioHei  a  montré  que  cette  Coutume  ainsi  rédigée  forme 
la  base  du  livre  I"  des  Etablissements  de  saint  Loa/s'''. 

On  connaît,  par  un  manuscrit  de  la  Bibliothèque  nationale, 
Ir.  18985,  une  autre  rédaction  française  des  usages  angevins, 
la  CompUatio  de  usibas  et  consuetadmibus  Andeijavw,  œuvre  anonyme, 
pubHée  par  Marnier,  en  i853,  et  de  nouveau,  en  1877,  par 
C.-J.  Beautemps-Beaupré'^'.  Laferrière  y  voyait  un  procès-verbal, 
fait  pour  l'Anjou,  de  l'enquête  qu'il  s'imaginait  avoir  été  ordonnée 
par  saint  Louis  sur  les  diverses  coutumes  du  royaume,  et  il  rap- 
portait ce  procès-verbal  à  l'année  12G8  ''.  Cette  opinion  n'a  trouvé 
aucun  écho.  Nul  ne  conteste  que  la  Compilatio  soit  une  œuvre  privée, 
et  c'est  à  ce  titre  qu'il  en  est  traité  ici. 

Si  l'on  s'est  eflbrcé  d'en  déterminer  l'auteur,  à  coup  sur  on  n'y  a 
pas  réussi.  Tout  ce  qu'il  est  permis  de  dire,  c'est  que  la  (loinpilutio  esl 
l'œuvre  d'un  praticien  angevin.  Ce  jurisconsulte  s'est  attaché  à  réunii- 
des  règles  de  législation  féodale  ou  coutumière  qui  concernent  le  droit 
privé,  la  procédure  civile  et  le  droit  pénal;  il  ignore,  ou  tout  au 
moins  écarte,  le  droit  romain  et  le  droit  canonique.  H  s'est  d'ailleurs 
lort  peu  préoccupé  de  présenter  les  diverses  matières  du  droit  d'après 
un  ordre  méthodique.  Son  principal  souci  est  de  les  ramener  à  des 
formules  aussi  brèves  que  possible;  il  est  l'ennemi  des  explications  et 
des  développements  que  l'on  trouve  en  abondance  dans  d'autres 
ouvrages  contemporains,  par  exemple  dans  celui  de  Beaumanoir 
ou  dans  la  Très  ancienne  Coutume  de  lirctacjne.  H  n'y  a  guère  qu'un 
article  où  il  s'aventure  à  une  sorte  de  rapide  commentaire  :  c'est  celui 

*''  Cf.  Paul  Viollel,  Etablissements  de  saint  Louis,  t.  I",  p.  8  et  suiv.  —  '"'  Contâmes  et  institu- 
tions Je  l'Anjou  et  du  Maine  antérieures  aa  xri'  siècle  (Paris,  1877),  t.  1",  p.  44  et  suiv.  — 
*''   Reine  critique  de  législation,  f.  IV  (i854).  p.  i45. 


0|/i  NOTICES  SLCCLNCTES. 

où  il  (lit  que  le  meurtrier  peut  être  poursuivi  même  quand  personne 
n'a  formé  plainte  contre  lui,  car  le  sanj^j  se  plaint;  il  y  invoque,  pour 
en  faire  la  preuve,  le  passage  de  la  Genèse  où  Dieu  dit  à  Cain  :  «  I.e 
«  sang  d'Abel,  ton  frère,  que  tu  as  tué,  crie  vers  moi  de  la  terre  au 
.(  ciel'"'.  »  Non  moins  rares  sont  les  citations  de  coutumes  de  pays  voi- 
sins ou  des  décisions  de  jurisprudence  :  l'auteur  cite  une  fois  l'usage 
de  la  Touraine,  une  fois  celui  du  Poitou  et  une  lois  un  jugement 
rendu  par  un  chevalier  nommé  Aimeri  de  La  Chevritre. 

La  détermination  de  la  date  de  la  Coinpilalio  fait  (pielque  dilli- 
culté.  LUe  est  certainement  postérieure  à  la  première  rédaction  de  la 
Coutume,  qui,  on  l'a  dit,  est  une  œuvre  du  milieu  du  xiii*  siècle. 
Paul  Viollet,  pour  de  bonnes  raisons,  la  tient  pour  un  écrit  du 
\iv''  siècle  -'.  Nous  estimons  qu'il  n'est  pas  impossible  de  resserrer  les 
limites  de  la  période  :\u  cours  de  laquelle  la  Compihdio  a  été  rédigée. 
D'une  part,  il  paraît  vraisemblable  que  l'acte  de  la  royauté  visé  par 
l'art.  55  est  l'ordonnance  du  28  juillet  i3i5  sur  les  dettes  des  Juifs. 
D'autre  part,  il  y  oui,  de  i326  à  i328,  au  moins  quatre  dispositions 
législatives'''  sur  l'amortissement;  la  dernière,  qui  est  du  ^3  novembre 
1028,  pourrait  bien  être  le  «noveaus  commendemenz  dou  Iioy  »  au- 
quel il  est  fait  allusion  dans  l'art.  94.  En  ce  cas  la  rédaction  de  la 
Comp'dai'u)  aurait  suivi  de  peu  l'avènement  de  Philippe  de  Valois 
à  la  couionne  de  France.  D'ailleurs  la  Coinpilalio  ne  lait  pas  mention 
du  comte  et  suppose  (jue  l'Anjou  relève  directement  du  roi;  or,  telle 
fut  la  situation  de  l'Anjou  de  i328  à  i332. 

Peut-être  serait-on  tenté  d'alléguer,  contre  cette  opinion,  que  le 
roi  dont  parle  la  (lompilulio  est  le  comte  d'Anjou,  roi  de  Sicile 
(1266-1290).  Mais  nous  ne  croyons  pas  qu'une  telle  ronlusion  se 
soit  ghssée  dans  l'esprit  habituellement  précis  de  notre  jurisconsulte. 
Dans  ce  texte,  le  roi  ne  peut  être  que  le  monarque  (|ui  exerce  en 
x\njou  les  droits  régaliens,  auxquels  il  est  plus  d'une  lois  fait  allusion, 
et  qui  connaît  des  cas  royaux.  D'ailleurs  le  roi  auquel  l'art.  2  i 
attribue  les  meubles  des  usuriers  et  qui  règne  à  la  lois  sur  l'Anjou, 
le  Poitou  et  le  Maine,  est  incontestablement  le  roi  de  balance. 

Nous  estimons  donc  que  la  Coinpilalio  de  iisibus  \ndc(javie  est 
l'œuvre  d'un  jurisconsulte  peu  ordonné,  mais  enneuii   de  dévelop- 

'''  Art.  7;  c(.  (icnésc,  IV,  lo.  —  '''  Op.  cil.,  p.  3o  et  suiv.  —  '■^''  Orilmnuio  es  itcs  rois  de  France 
lie  la  troisième  nice ,  I.  1'  ,  |).  786(1  797;  I.  H,  p.  l3  et  23. 


IILC.IES  DE  CAKOI.S.  GIT) 

pements  réputés  par  lui  superflus,  qui,  vers  i33o,  a  tracé  un  tableau 
raccourci  du  droit  coutumier  angevin. 

P.  F. 

HlGlF.S    DE    (Imoi.S,    I.KtilSTE. 

I.  Le  juricon5ultc  Hugues  de  (larols  n'est  connu  que  par  des  tra- 
vaux récents.  Né  hors  mariage,  puisqu'il  dut  être  légitimé  par  Philippe 
le  Bel  en  i  3  i  2  ''),  il  était  originaire  d'une  petite  ville  du  Languedoc, 
Montréal  (Aude).  Il  se  fit  clerc  et  étudia  le  droit  civil  à  Toulouse,  oîi, 
vers  1290,  il  eut  pour  maître  Pierre  de  Terrières,  plus  tard  chance- 
lier de  Charles  II  de  Sicile  et  archevêque  d'Arles  '""  En  1 3  i  2  ,  époque  à 
laquelle  il  obtint  sa  légitimation,  il  est  qualifié  dejiirisperitiis,  habitant 
Toulouse,  lin  acte  du  1 1  octobre  1  3  1 9 ,  passé  à  Béziers,  dans  lequel  il 
figure  comme  témoin,  lui  donne  le  titre  de  doctor  legiim^^\  que  nous 
retrouvons  dans  un  arrêt  du  Parlement  de  i3i8  ''.  Cet  arrêt  le  délé- 
guait à  la  connaissance  d'un  appel  formé  contre  une  sentence  du  juge 
des  causes  criminelles  de  la  sénéchaussée  de  Toulouse;  d'autres  arrêts 
fie  i3iG,  i3i8  et  i32  2  attestent  que  le  Parlement  confiait  volontiers 
à  Hugues  des  délégations  de  ce  genre '\  Par  sa  science  juridique,  il 
avait  mérité  d'être  un  des  docteurs  chargés  de  tenir  la  place  du  tri- 
bunal suprême  promis  au  Languedoc  en  i3o3;  mais,  tandis  que  ce 
tribunal  eût  rendu  des  sentences  en  dernier  ressort,  les  sentences  des 
délégués  de  Toulouse  étaient  soumises  au  contrôle  du  Parlement 
de  Paris. 

Hugues  de  Carols  ne  termina  ])oint  sa  carrièie  à  Toulouse.  Dès 
la  fin  de  l'année  1 325 ,  il  était  viguier  de  Carcassonne  et  l'un  des  deux 
conservateurs  du  salin  de  cette  ville;  l'autre  était  Jacques  Barthé- 

'''   Voiri"arlicie  d'Anloine  ïhoma»,  Ix  jurh  aimii ,  Arles,  n°'    i389-l/i5o;  chanoine  Albe, 

ronsulle  Iliigo  de  CarroUif  on   Cnrroliis ,   dans  Aatour  de. leanXXU ,  dans  \ei  Annales  de Sainl- 

\es  Annules  du  Midi,  iSgS,  I.  V,  p.  379-381,  on  Louis^les-Français ,   1901-1902,  t.  VF,  p.  358 

esl  publié  l'acte  de  légitimation  donné  par  Plii-  el    suiv.  ;   et,   du  môme   auteur.   Prélats  ori<ji- 

lippe  le  Delen  i3ia.  C'est  à  tort  que  Boularic,  noires   du   (Juercy,  iliid.,   igo/i-igoT),    t.    IX, 

suivi  par  Delisle,  l'a  nommé  Hugues  (!<■  C.ha-  p.  321. 

rolles.  ('    Arch.  nat.,  .IJ  Gi,  n"  43i. 

'''  Sur   ce   personnage,     \oir    Ilistoiic    lil-  ''    Boularic,  Arles  du  Parlement  de  Paris, 

téraire ,  I.  XXV,  p.  468  et  suiv.;  A.  Thomas,  t.  H,  n°  52o/|. 

Extraits  des  ArcMres  dn  Vatican,  dans  les  ^/e-  '''   Ibid.,  n'" /1798,  r)3o8  et  6995.  Hugues 

/imjei  de  l'Ecole  françaisede  Home, I.  Il, p.  1  i.'i-  n'était  pas  le  seul  docteur  à  qui  l'on  confiât  de 

i35;  Albanès-Chevalier,  Gnllia  cliristiona  noris-  telles  missions;  cf.  11°  5307. 


(•)!(.  NOTICES  SUCCINCTES. 

lemy,  avocat  du  roi  près  la  sénéchaussée  de  Carcassonne'"'.  Hugues 
de  Carols  exerçait  encore  ces  fonctions  en  i32()  :  nous  en  avons  la 
preuve  par  un  acte  du  3o  mars,  où,  au  nom  du  roi,  il  approuve  une 
transaction  passée  entre  l'abbaye  de  Lézat  et  les  fermiers  du  salin'-'. 
Il  s'intitule  dans  cet  acte  :  «Huf^o  de  GarroUis,  legum  professor,  cle- 
«  riens  domini  Régis,  conservalor jurium,  libertatum  et  privilegiorum 
«  salini  (iarcassone.  «  Nous  ne  savons  rien  de  lui  postérieurement  à 
l'année  iS^g. 

II.  Une  œuvre  de  la  jeunesse  d'Hugues  de  Carols  est  contenue 
dans  le  manuscrit  653  de  la  Bibliothèque  de  Tours**',  provenant 
de  la  cathédrale  de  celte  ville.  C'est  un  traité  de  droit  romain, 
rédigé,  comme  nous  l'apprend  une  mention  du  manuscrit,  au  cours 
de  la  cinquième  année  d'études  juridiques  de  l'auteur,  qui  coïncida 
avec  l'année  i2i)5*'').  Cet  ouvrage  est  dédié  à  Guillaume  de  (>répi, 
prévôt  de  Saint-Quentin  en  Vermandois,  conseiller  du  roi  de  France; 
c'est  une  Lectarn  sur  VArhnr  actwnain  d'un  maitre  fort  connu,  le  cé- 
lèbre Jean  Bassien  ,  originaire  de  Crémone,  que  l'auteur  appelle  .lean 
de  Crémone.  VArbor  actionuin,  qui  date  vraisemblablement  de  la  fin 
du  Ml"  siècle,  jouissait  d'une  grande  vogue.  En  le  commentant, 
Hugues  entreprenait  une  besogne  où  il  avait  eu  de  nombreux 
préflécesseurs.  S'il  se  mit  à  l'œuvre,  c'est  qu'il  était  mécontent  de 
l'ouvrage  de  ses  devanciers,  «quia  doctrinam  liujus  operis  nostri 
«  predecessores  incertam  et  quasi  insolitam  dimiserunt  ».  11  indique 
son  plan  dans  le  préambule  de  son  œuvre,  ([ui  a  été  publié  par 
L.  Delisle'"'';  l'étude  du  manuscrit  de  Tours  prouve  (jue  ce  plan  a 
été  réalisé. 

Après  avoir,  dans  ce  préambule  quelque  peu  prétentieux,  mais 

''  Voir   l'acte  indiqué  à   la   note  suivante.  Arts,    lAtttinliiie  latine  <ln  moyen  l'uje   fl'aiis, 

qui  reproduit  les  lettres  d'insfilulion  des  con  '890),  p.  84-89.  ("est  M.  Delisle  qui  a  signalé, 

servateure.  dans  ce  manuscrit  l'oeuvre,  ignorée  jusqu'.i  lui, 

'■'   Arch.  nal.,  .IJ  67,  n°  1  1  1  ;  cf.  Blbl.  nal.,  de  Hugues  de  (]arols. 
Coll.  Doat,  103,  fol.  u()i  et  suiv.  La  transac-  '*'  Cetledale  S3  trouve  au  fol.  33  du  manu- 

lion    fut   conclue  à  Toulouse    entre    Pons  de  scrit,  où  l'on  peut  lire  :  «Quia  nd  iinoin  inten- 

\iilemur,  abbé  de   F..c2al,   et  les  fermiers  du  «  tum  pcrveni,  regratior  summo  Deo  et  beale 

sel.  Il  Marie  \  irgini ,  domine  nostre,  sanrio  Michaeli 

'  \oir,  sur  ce  manuscrit,   L.   Delisle,   In-  «  archangelo  et  omnibus  sanctis,  non  quantum 

stinriions  adressées  par  le  Comité   des    travaux  «del)eo   sed   quantum  possuni,  anno    Domini 

liittoriques  et  scientijiqnes  aux  correspondants  du  «  M°  CC°  XC'  quinte.  » 
Miiii.<(cte  de  l'fnstruction  publique  et  des  iieau.i-  '■''■   Dans  l'écrit  précité. 


JKAN  "l)K  LKIDLNO"  ILT  LOI  IS  DK  MELLN.  617 

dont  la  littérature  juridique  de  son  temps  nous  offre  des  exemples, 
présenté  le  portrait  de  la  jurisprudence ,  revêtue  du  soleil  et  couronnée 
d'étoiles,  comme  la  femme  de  l'Apocalypse,  après  avoir  décrit  la  fi- 
gure géométrique,  inventée  par  Bassien,  qu'il  faut  quelque  bonne 
volonté  pour  assimiler  à  un  arbre,  l'auteur  résume  la  théorie  du 
lihellus  introductif  de  l'instance,  et  traite  successivement  des  diverses 
actions  romaines.  11  étudie  d'abord,  conformément  à  son  modèle,  les 
actions  prétoriennes  réelles,  parmi  lesquelles  il  place  en  première 
ligne  la  Publicienne,  l'action  réelle  rescisoire  et  la  Servienne;  pour 
chaque  action,  il  donne  une  formule  de  libellas.  Lorsqu'il  a  épuisé  la 
matière  des  actions,  il  passe  aux  stipulations  prétoriennes  et  aux  dé- 
crets d'envoi  en  possession;  il  termine  en  traitant  de  l'office  du  juge 
et  de  la  répression  des  faits  délictueux,  non  sans  y  avoir  entremêlé 
des  notions  sur  la  coutume  et  la  théorie  juridique  de  la  divisibilité 
et  de  l'indivisibilité,  qu'on  ne  s'attendrait  guère  à  trouver  dans  un 
ouvrage  de  pure  pratique  judiciaire. 

Telle  qu'il  se  présente,  l'écrit  en  question  de  Hugues  de  Garols 
prerid  place  dans  la  série  des  œuvres  de  procédure  dont  l'origine  re- 
monte à  YArbor  aciionum  et  qui  furent  continuées  à  la  fois  par  les 
commentaires  de  l'ouvrage  de  Bassien  et  par  les  traités  De  libellis  ci 
conceptione  libelloium,  dont  le  plus  célèbre  en  Trance  fui  la  Praclica 
aurea  de  Pierre  Jacobi. 

Dans  ses  Sincjularia^^^  le  jurisconsulte  dauphinois  Gui  Pape  men- 
tionne une  autre  œuvre  de  Hugues  de  Carols,  qu'il  désigne  par  ces 
mots  :  Tractatus  m  materta  coiisuetudinis  ;  il  en  cite  quelques  lignes. 
Mous  ne  la  connaissons  point  autrement. 

P.   F. 


JeA\  m  de  LeUDIJ\0»  ,   XrAÎTRE  Es  ARTS,   ET  LoUIS  DE  MeLI'\. 

Dans  un  manuscrit  duxiv^  siècle,  fort  soigné  en  toutes  ses  parties, 
qui  contient  divers  ouvrages  bien  connus  de  la  littérature  scolastique 
et  qui  porte  le  n"  493  à  [la  Bibliothèque  de  Reims,  se  trouve,  du 

.'■'  Éd.  del.yon.  i533,n«8o3. 

HIST.  I.ITTÉR.   XXXV.  78 


618  NOTICES  SLiCClNCTES. 

folio    i5i    au   folio   166  v°,  un  opuscule   dont   voici    les  premiers 
mots  : 

Ad  honorcm  Dei  omiiipoUiilis  et  ingenii  «lomini  mci  dcjinini  Lndovici  de  Meluii- 
diino  volo  dispulare  hanc  questionem:  «  An  in  uno  et  codcm  iiidifxijduo  loniia 
generis  sil  alia  ipalitcr  et  sul)stantiantcr  a  forma  speciui.  » 

L'auteur  est  nommé,  et  son  ouvrage  est  daté  à  la  fin  : 

Explirit  tpicslio  de  pluralitate  formarum  et  diversilate  generis  cl  spcciei,  ordinala 
pcr  magistruni  Johannem  de  Leuduno,  et  roniplcta  anno  Domini  i3iy,  ■>.3  dû 
januarii. 

Louis  de  Melun,  suppôt  de  l'Université,  habitant  près  de  la  porlc 
Saint-Marcel,  à  Paris,  figure  sur  un  rôle  d'imposition,  daté  par 
MM.  Denifle  et  Châtelain,  qui  l'ont  publié,  de  septembre  1.W9  à 
mars  i336''^  ^^  Y  ^  bien  de  l'apparence  que  ce  personnage,  sur 
lequel  les  éditeurs  du  Gartulaire  de  l'Université  de  Paris  n'ont  pas 
fait  d'observation,  n'est  autre  que  le  Louis  de  Melun,  chanoine  de 
(.hartres  ])ar  collation  de  l'évêque  llobert  de  Joigni  (entre  i3i5  el 
1326)'^',  à  qui  Charles  IV  conféra  la  chantrerie  de  Chartres,  le 
•î4  avril  i326,  par  droit  de  régale*^',  et  qui  garda  cette  importante 
prébende  après  avoir  soutenu,  et  perdu,  un  long  procès  au  Parle- 
ment contre  maître  Philippe  Nicolas,  lequel  se  prévalait  d'une  colla- 
tion antagoniste  du  pape'**'.  11  appartenait  à  la  grande  famille  des 
vicomtes  de  Melun,  et  sa  mère  était  une  fille  de  la  maison  de  Sulli. 

Quant  à  ce  Jean  de  Lcuduno^^^  qui  acheva ,  le  2 3  février  1  3  1 8  (n.  st. ] , 
la  dissertation  dont  il  s'agit,  il  n'est  nommé,  à  notre  connaissance, 
que  dans  un  Obituaire  de  Saint-Victor  de  Paris:  il  serait  mort  le  /j  no- 
Acmbre  d'une  année  indéterminée'**'. 

<''   (1i(irliiliiiiiiin  liiivcrsilatis  l'arisieiisls ,  t.  II,  H  ncsl  question  de  tout  cela  ni  d.-ins  VUislo'iie 

|>.  G63,  roi.  I.  de  Cliailres  de   K.  de   l.'J'^pinois,  ni   dans  Le 

'''   Arcli.  nat.,  .1  S'il)',  ii"  2iS.  Ecoles  de  Chai  1res  on  moyen  «'/e  de  A.  Clei\ai. 

'''   Ihid.,  n"  1.  '*'   Peut-être  «de  Leudon  ».  Il  y  a,  en  Seliu - 

'*'  Les  iellri'sde  Philippe  VI ,  qui  conllnnenl  el-Marne,   au    voisinage   des  domaines   de    la 

à  Louis   de  Melun   la   possession   de  la    clian-  maison  de  Melun,  deux  Leudon,  dont  la  forme 

Irerie  de  (lliarlies  et   qui   annulent  l'arrêt  du  ancienne    était    certainement    Leudaniiin  :    un 

Parlement  en  faveur  de  maltie  Philippe  INico-  hameau  dans  la  commune  do  Li/ines-et-Maisun- 

las,  .sont  (lu   -j  octobre    i33/i   (Arch.  nat.,  JJ  Houge,   et   une   commune  du    canton  de  La 

()(),  n"  i38i  ).  L'arrêt  en  question  a  été  gratté  ferté-Gaucher. 

sur  le  registre  du  Parlement  (X'*6,  fol. /|o/j  v°)  '*'   Hintoi-irnx  de  In  France,  Ohlliwires.  I.  I", 

et   le  dossier  de   l'alTaire   porté  au  Trésor  des  (Paris,     igo'j),     p.     ."»g8   :     «  Anniversaiinm 

chartes,  où  il  est  encore  (.1  ?i'\();  cf.  \olires  et  niagistii  Johannis  de  Lnduno»  (xiv"  siècle  . 
ealrails  des  iiiiiiiiisirils ,   t.  XL,  ir)i-,p.  l65|. 


.IK\N  «DE  LEUDUNO»  ET  I.01JIS  DE  MELUN.  619 

Maître  Jean  indique  son  plan  : 

De  isia  qncslione  sic  piocedam.  IVimo  poiiam  rationos  pio  parle  airirmativa 
quas  nescio  solvere.  Secundo  ponam  rationes  ad  opposituin  que  sunt  quasi  démon 
sirationes  apud  alios.  Teicio  respondeho  ad  eas  secundum  posse  meuni.  Quarto  remo- 
vel)o  quasdam  responsiones  et  inslancias  quihus  aliqui  nituntur  dehililare  primam 
rationum  nicarum. 

La  quatrième  partie,  toute  polémique,  la  plus  intéressante,  com- 
mence au  folio  i6i  \°,  col.  2,  en  ces  termes:  «Omnibus  hiis  expe- 
«ditiscum  lande  [)ei,onere])aturmiclii  quaternuscujusdam  sociorum 
«  nostrorum  magne  sublilitatis  et  profundi  ingenii,  in  quo  ipse  labo- 
«  rabat  ad  solulionem  nostre  prime  rationis...  >.  Mais  la  discussion  ne 
s'engage  à  fond  contre  l'émule  anonyme  qu'au  folio  1 63,  col.  2: 
«Nunc  accedo  magis  ad  rationes  istius  viri...  »  Discussion  serrée,  où 
maître  Jean  cite  textuellement,  çà  et  là,  les  expressions  mêmes'  du 
contradicteur'",  sans  craindre  d'avouer,  honnêtement,  ses  propres 
hésitations '■'>.  Discussion  très  courtoise;  car  l'anonyme,  peut-être 
«  monseigneur..  Louis  de  Melun  lui-même,  est  couvert  de  fleurs  inat- 
tendues: «  Et  rêvera  firmiter  teneo  quod  si  ille  voluisset  laborare  ad 
«defensionem  illius  mee  rationis,  ipsetaliter  laborasset  eam  et  cavil- 
«  lariones  contra  eam  omnino  extirpasse!  quod  non  oportuisset  me  ad 
«  hec  agenda  vocari  ;  tamen  de  hoc  ego  regracior  ei  super  hoc  quod 
«  ipse  michi  ipsi  reliquit  perHcere  quod  inceperam...'^' ... 

Maître  Jean  s'excuse,  en  terminant,  d'avoir  été  prolixe;  mais  à  son 
sens,  il  le  fallait,  pour  déblayer  le  terrain  de  tant  d'arguties  et  remet- 
tre en  lumière  la  vérité  obscurcie  moins  par  les  arguments  que  par 
l'illustration  de  ses  contradicteurs  : 

Omnibus  igitur  hiis  caviilalionilms  evlemiinatis,  facile  .st  unicuique  hene  dispo- 
sito...  removere  universas  e>asiones...  et  defendere  illaui  antiquam  veritatem  de 
plurahtate  iormarum,  generis  «t  speciei,  que  aliquo  tcmpore  negala  crat  magis 
propter  famositatcm  negantium  eam  quam  propter  elTiracitatem  ralionum.  Nullus 
itaque  studiosus  et  verus  philosophice  veritalis  amicus  in  hujus  operis  longitudine 
fatigetur,  nam,  etsi  .  Veritas  slot  in  paucis  »,  ut  consueverunt  aliqui  proverbialiter 

''*   «liée  sunt  verba  l.ujus  Niri.  nichii  addilo         |.uto, quedani  omnino impossibiUa...  .(fol  i65 
nKh.1  remoto.  Hec  autein  verba,  licel  ex  enii-  O  .  Jstad  est  multum  difficile;  dico   tame 

(loi 

78 


men 


nentis    perspicacilalis    profundilale    processe  «l"»'' michi  videlur  ad  nresens... .'(  loi    i6AvM 

nnl,  lamen  includunt  multa  improbabilia  cl,  O  Fol.  itiG. 


620  NOTICKS  SICCINCTES. 

Hicori',  tamen,  (iiin  aiiqua  vcritas  est  occulta  et  a  nuiltis  igiiola,  a  pluribusqiie 
iiegata,  indiget  dcclaratioiiibus...  per  quas  iieduiu  proveclis  scd  et  junioribus 
satisfiat. 

Use  montre  foit  préoccupé,  d'un  bouta  l'autre  de  son  ouvrage, 
des  besoins  et  des  objections  possibles  des  «  juniores  ».  C'était  assuré- 
ment un  professeur,  l'^t  sa  dissertation  est  un  très  bon  spécimen  des 
discussions  pédagogico-philosophic|ues  qui  étaient  le  pain  quotidien 
de  la  Faculté  des  Arts  en  l'Université  de  Paris  au  temps  des  derniers 
Capétiens  directs. 

CL. 

Hahthélemi   Fléchieii,    maître   es  arts. 

1.  Barthélemi  Flécliier  [Flexerii),  maître  es  arts,  paraît  en  cette 
qualité  comme  ayant  approuvé  plusieurs  statuts  de  l'Université  de 
Toulouse,  datés  de  1828  et  de  1829,  et  comme  recteur  de  ladite 
Université  en  1 3 28. 

Dom  Vaissete  a  écrit,  il  est  vrai,  que  «en  iSa/i,  Barthélémy 
«  Fléchier,  maître  es  arts  et  recteur  de  l'Université  de  Toulouse,  fit 
«divers  règlements  pour  modérer  les  fêtes,  les  jeux  et  les  banquets 
«  excessifs  que  les  écoliers  faisaient  lorsqu'ils  prenaient  quelque  degré; 
«  il  fut  statué,  ce  jour-là,  que  le  nouveau  licencié  ne  pourrait  se  faire 
«  accompagner  que  par  deux  trompettes  et  un  tambour  en  allant  à 
(<  l'église  et  en  revenant  chez  lui  »  '"'.  Mais  dom  Vaissete  s'est  trompé  : 
les  statuts  en  question  sont  datés,  dans  la  source  même  qu'il 
indique*-',  de  i3'j8. 

Le  7  juillet  de  cette  année,  maître  Barthélemi  a  souscrit  des  statuts 
universitaires  sur  le  salaire  des  bedeaux;  mais  le  recteur  était  alors 
Pierre  de  Murinais,  chanoine  de  Saint-Antoine  en  Viennois,  docteur 
en  décret  -^K 

D'autre  part,  dans  deux  statuts  de  la  même  année  —  lun  sur  le 

''     Dom  Vaissete,  Uiflo'uc  ijciurale  ilc  Lan-  hliolbèque   nationale.  \uir    le  l'olin  6i    de  ce 

tiaedoc ,  t.  IX,  p.  47&-  Reproduit  sans  obser-  manuscrit. 

\ations  par   B.    Hauréau  dans   le   Journal  dei  '^'   Dom    Vaissete,    op.     lil.,    f.    VII.     |>r. , 

Savants,  i883,p.  64^.  col.   5ao.  Cf.  M.  Fournier,   SUituls    et   piivi- 

'*'   La   source  indiquée  est  «Baluze,  366».  tèijes    des    Uiiiversiles  françaises.   I.   1"    (Paris, 

Ce  volume,  copié  de  la   main  de  Baluze,  est  1890),  p-  49<). 
aujourd'hui  le  manuscrit  latin  /iaai  de  la  Bi- 


BARTHKLF.MI   FI.KCHIKi;.  021 

cérémonial  des  examens''',  l'autre  d'un  caractère  sompluaire  et  sur  \v. 
régime  des  études,  notamment  dans  la  Facuhé  des  Arts  -  —  qui  ne 
sont  datés  que  du  niHlésime  (i328),  sans  indication  de  mois,  les 
formules  initiales  portent:  «  Existente  rectore  magistro  Bartholomeo 
«  Fleciiern  »;  ce  qui  n'empêche  pas,  du  reste,  que  le  nom  de  «  Bartlié- 
II  lemi  Fléchier,  maître  es  arts»,  y  figure  aussi,  sans  autre  qualifi- 
cation, parmi  les  souscriptions  finales ^^'. 

11  faut  conclure  de  ces  faits  que  Barthélemi  Fléchier  lut  recteur 
pendant  le  quatrième  trimestre  (octobre-décembre)  de  1 3'.<8.  On  sait, 
en  eflet,  qu'à  Toulouse  la  dignité  rectorale  n'était  conférée  que  pour 
trois  mois;  que  le  recteur  du  prenn'er  trimestre  de  l'an  était  toujours 
un  ci\iliste  ou  un  décretiste;  que,  quand  c'était  un  civiliste,  le 
recteur  du  troisième  triuiestre  était  toujours  un  décretiste  (ce  cpii  fut 
le  cas  en  i328)  et  celui  du  quatrième  un  «logicien»  de  la  Faculté 
des  Arts'',  comme  notre  Barthélemi. 

Le  3o  mai  1329,  d'autres  statuts  pour  la  Faculté  des  Arts  lurent 
adoptés  «  relatu  et  querela  coram  nobis  propositis  per  venerabiles 
"  viros  niagistrum  Hugonem  Cellerii  et  magistrum  Bartholomeum 
•  Flexerii,  magislros  in  artibus,  aclu  legentes  in  studio  Tholo- 
nsano»*^'.  La  courte  magistrature  de  Barthélemi,  le  seul  incident  de 
sa  vie  qui  soit  connu''',  avait  alors,  naturellement,  pris  fin. 

IL  On  a  de  ce  maître  une  Questio  determinala  «de  Virginitate  ». 
Inc.:  «Questio  est  utrum  virginitas  sil  virtus  moralis  et  videtur 
«  quod  non.  »  Nous  en  connaissons  deux  exemplaires  du  xiv"  siècle, 
l'un  et  fautre  à  la  suite  de  résumés  ou  de  commentaires  de  l'Ethique 
d'Aristote,  dans  le  manuscrit  169  (fol.  ()()-ioô)  de  Bordeaux''  et 
dans  le  manuscrit  692  de  Douai. 

•''   Doin  Vaissete,  coJ.   5.!5;    M.    Foiiinier,  ces  statuts,  ledit  persomiagc  «  ct.iit  redc\enu 

|>.  5oi.  «simple  maître». 

'■-'  BibHollièquenationale.lat.  4i23,  fol.  61-  ''  Voiries  statuts  de  i3i  1  (Dom  V'aisscle, 

(ia.  Cette  pièce  intéressante  a  été  omise  dans  op.  liu.  t.  Vil,  col.  45o,  S  3  el  4). 

les  éditions.  '^'  Doiii  Vaissete,  col.  52G;   M.    Fournier, 

'  '  Le  fait  qu'un  personnage  soit  mentionné  p.  5o.j. 

comme  maître,  sans  antre  qualification,  dans  <''   Nous  nous  sommes  assurés  que  le  recteur 

les  souscriptions  Hnales  de  statuts  dont  le»  for-  de  1 328  n'a  laissé  aucune  trace  au\    Vrchives 

mutes  initiales  ont  disparu,  ne  suflît  donc  pas  de  la  Haute-Garonne. 

à  prouver,  comme  on  l'a   pensé  [Journal  des  '''  On  Ut  dans  cet  exemplaire,  à  la  lin  :  "l'A 

SdiaitU ,   i883,    p.  6/ia),  que,   à  l'époque  de  « isia  suinciant  de questione  determinata  a  ma- 


()22  NOTICES  SI  CCINCTRS. 

11  ne  laul  pas  conclure  de  ïincipit  précité  (pie  Baiihélemi  Flc- 
chier  ait  été  d'avis  que  la  virginité  n'est  pas  une  vei'lu  ;  car  sa  Qiicslto 
commence,  suivant  l'usage,  par  l'exposé  des  arguments  donnés 
«contre»  et  «pour»  la  thèse  que  l'auteur  va  s'efforcer  d'éclaircir 
ensuite  jwr  des  considérations  personnelles.  Il  y  avait  des  gens  qui 
niaient,  d'autres  qui  aflirmaient  que  la  virginité  fût  une  vertu  morale. 
Telles  sont,  par  exemple ,  quelques-unes  des  douze  raisons  que  faisaien  I 
valoir  les  premiers  : 

i^II].  Nullu  virlus  iiicludiliir  in  vicio.  .  .,  sed  \iigiiiitas  incliKliliii'  iii  \icio.  t'adl  , 
(|uia  siippoiiiliir  iiiseiisihililati ,  supposita  integritate  cor[)()iis.  Oiiaïc  non  ot  \irhis. 

I^XIJ.  Nulluin  c'Oiivi'nit  (">sc  xiiliioMnn  nioralitor  sine  prudoncia .  .  .,  si-d  alicpir 
\iigini's  suni  l'aliio,  ut  dicilur  in  EvangL'Iio.  .  .  Et  pcr  consoquens  virginilas  non  r>i 


\  nliis. 


Ayant  ainsi  post»  le  contre  et  le  pour  [In  opposllani  arcjuitur  5«  », 
Barthelenii  aborde  lui-même  le  problème  [Ad  (jucstionem  islam  ivs- 
pondeoy,  et  il  convient,  dit-il,  fl'adopter  à  ce  sujet  un  plan  en 
six  points  : 

Spx  sunt  vidoiida. 

l'riino  insistonduiii  rsl  circa  passioni's  rirca  qiias  sunl  \irlules  morales,  j.  Circa 
dcHiniliunoin  virlulis.  S.  (lirca  cjus  divisioneni.  h.  l'rincipaliter  circa  xirtuli^ 
ninrali's.  3.  Circa  virlulis  intcliectuales.  G.  Insislondum  circa  proposituni  prin- 
cipale. 

(.luu'un  de  ces  points  [aiiiciili)  est,  bien  entendu,  subdivise  à  son 
tour  (le  premier  en  six),  défini  et  discuté  à  grand  renfort  de  rélé- 
rences  à  D'^lbique  aristotélicienne. 

1/auteur  répond  enfin  aux  objections  qu'il  avait  mises  d'abord  en 
axant.  Voici  ce  qui  a  trait  à  celles  que  nous  avons  citées  : 

\irginilas  non  gcncratur  t'\  ahstinenciis  siiupliciler  suniptis,  scd  c\  ahstincnciis 
ut  flectis,  et  niaxiiue  e\  doctionibus  ipsis;  et  ticc  sunt  opéra  ex  quibus  generatur 
\irginilas;  et  liée  sic  accepta  sunt  totaliter  diversa  ab  operibus  ex  cpiibus  insensibi- 
lilas  gentM-atur. 

\(l    m""',    diceuduni    (juod    ali(|ue    virgines  secundum  carnis  integrilaleni,   non 

»  gistro  lîarlholomco  Floxerii,  magislro  in  ar-  avec  celui  de  Douai,  qui  est  inlilulé  :  i  Qiieslio 
•  libus  Tholosei.  Cet  exemplaire  n'en  est  pas  «de  Virgiiiitalc  édita  a  magistro  Bartholomeo 
moinsconiplet,  comme  l'atteste  la  comparaison         «Flexerii,  niagistro  iii  arlil)us  Tolose.  • 


PIEUIŒ  DE  COLRPALAI.  (i^ii 

liiibontfs  mciilis  iiitif,'iitalfm,  siint  l'aliif,  de  (|iiil)iis  ai^ucbalur  ;  vir{;iiies  autem 
siTuiuluni  nioroni  lial)ciil('>i  corpdiis  et  mentis  intcgritatein  nunqiiaiii  sunl  latiii  vel 
latue. 

B.  Hauréau,  qui  n'avait  pas  lu  Bartiiélemi  Flécliier,  lui  promit, 
eu  i883,  sur  le  vu  des  rubriques  relevées  dans  les  manuscrits  de 
Bordeaux  et  de  Douai,  une  notice  dans  V Histoire  littévairc^^K  La  voilà  : 
on  saura  désormais  (pie  le  maitre  de  Toulouse  a  parlé  et  même  écrit 
([uelquelois,  sinon  toujours,  en  mauvais  style,  comme  bien  d'autres 
dans  1  Ecole,  pour  nr  rien  dire  d'important. 

C.  L. 


ViERni:    DE    CornPALAI ,    AURÉ   de   S  \l\T-(iEini  il\-l>ES-PRKS. 

En  i3o(),  l'abbatiat  de  Saint-Germain-des-Prés,  à  Paris,  étant  va- 
cant, les  moines  élurent  en  discorde  deux  personnaf>es,  qui,  par  la 
suite,  résignèrent  l'un  et  l'autre,  (ilément  \  pourvut  à  la  vacance, 
dans  ces  conditions,  en  transportant  à  Saint-Ciermain,  le  â  juillet, 
Pierre  de  Courpalai,  abbé  de  Saint-Jean  de  Laon'- . 

Pierre,  d'une  lamiHe  bien  connue  de  la  cliàlellenie  de  Provins, 
était  docteur  en  décrets. 

Nous  n'avons  |)as  à  raconter  ici  l'Iiistoire  de  son  administration  à 
Saint-Germain-des-Prés;  il  suffira  d'indiquer  «pie  dom  Jîouillart,  qui 
la  esquissée'',  n'a  pas  su  (|ue,en  1826,  Jean  XXII,  après  avoir  trans- 
léré  d'autorité  Pierre  de  Courpalai  à  l'abbave  de  Fécamp,  ce  qui 
ressemble  à  une  disgrâce,  pour  le  remplacer  à  Sainl-(!ermain  par 
Pierre  Roger,  le  futur  Clément  M,  consentit,  à  la  suite  de  nous  ne 
savons  quelles  interventions,  à  canceller  ces  mesures '''.  —  Pierre 
de  Courpalai  lut  employé  par  le  pape  et  par  le  roi,  notamment 
dans  l'aliairc  des   rempliers*'"^  et  à  la  Cbambre  des  comptes'"';  on  le 

"'  Journal  des  Savants ,  ioc.  cit.  '*'   Cli.-V.   L.mglois,    Rc(jhlres  perdus  de  la 

'    Re<jesluiii  Ctcinenlis  papuc   l  ",  n"    i  1 58 ;  Chambre  des  compics .  dans  les  Notices  cl   cx- 

i{.  n°  iiGo.  traits   des  nninuscriti-,  1.  XL  (i()i7),  p.  81.  — 

'^'  Dom  Bouillarl ,  flistoire  de  l'ahliayc  royale  Kn  1 3 1 5  et  en  1 3 1  (i ,  l'abbé  de  Saint-(ierniaiii- 

dcSuint-Gerniain-desi'ii-:  (Paris,  l'a'i),  |'.  i48  dos-Prés  fut  chargé  de  plusieurs  missions  di- 

c't  suiv.  plomatiques    c\    polilitjucs   (A.    Artoimr,    Le 

''   Denille  et  Châtelain,  Cltarluhirium   lui-  mouvement  de  i.'Hi.  Paris,   i()i!,  p.  •").'),  70; 

irrsitatis  l'iirisieiisis ,  t.  Il,  p.  'jig.nolc  /|.  cf.  H.Wnquct,  Le  hiiillinjie deVerminidois.  Paris, 

i/nV/.,p.  i2().Cf.  (iallia  cliristiana.  \.  \i\ ,  i()i(),p.  ?,>•>. 
col.  ',57. 


i,2'i  NOTICES  SUCCINCTES. 

voit  i)arailre  flans  lotîtes  les  grandes  cérémonies  qui  eurent  lien,  à 
Paris,  en  son  lenij^s'".  H  est  mort  le  3  avril  i33r>  (n.  st.). 

Doni  Boniilart  écrit  :  «  L'abbé  Pierre .  .  .  composa  un  petit  épitoinc 
((de  l'histoire  de  chaque  Roy  de  France  qui  avoit  fait  du  bien,  ou  qui 
<(  avoit  été  enterré  dans  son  abbaye.  11  le  lit  transcrire  sur  des  tableaux, 
1  et  appliquer  ensuite  aux  piliers  de  l'église  de  Saint-(iermain-des-Prés, 
"  au-dessus  de  chaque  sépulture,  en  forme  d'épitaphe.  Ils  y  sont  reste/, 
«tant  que  l'écriture  a  été  lisible.  Cet  ouvrage,  quoique  de  peu  de 
«  conséquence,  s'est  conservé  jusquesà  nos  jours,  et  se  trouve  dans  un 
.<  des  carlulaires  de  l'abbaye'-'.  "  L'opuscule  de  l'abbé  Pierre  se  trouve 
en  ellet  dans  le  cartulaire  dit  de  l'abbé  (luillaunic  (Arch.  nal.,  LL 
1026,  fol.  289-293),  avec  cet  explicit  : 

ilci-  il  gcslis  Franroruin  antiquis  a^MiinpIa,  pcr  \ciu'ial)iltin  autcm  IVtrum  Ar 
Corpalayo,  ahhaliMU  istiiis  rccicsio,  coinpciuliosi'  sunt  compilala  anno  Doinini  INl" 
litTciitcsiino  li'icpsimo. 

Les  notices,  au  nombre  de  douze,  et  dont  trois  sont  desépitaphes, 
concernent  (llovis,  Childebert  («Hic  jacet.  .  .  ")'",  (Uotaire,  Chilpé- 
ricf"  I lie  jacet.  .  .  »),  Clotaire  H  («Hic jacet.  .  .  »),Dagobert,  Pépin, 
(îliarlemagne,  Louis  le  Pieux '''\  Charles  le  Gbauve'^',  Louis  le  (iros, 
Philip]ie  H  ("  Icf/HisiVo/- cognominalus  »). 

\j.   Là. 


Pierre  \  idil,  fhère  i'HÈciievr,  AsrHO\OME. 

•Le  nom  de  cet  astronome  peu  connu  n'a  pas  échappé  à  Echard  , 
mais  il  ne  figure  dans  les  Scriptores  Ordinis  Prœdicatorum^^^  que  sur 
la  foi  du  catalogue  des  manuscrits  de  Daluze,  imprimé  en  1719, 
où  Pclrus  Vilalis  est  mentionné  comme  auteur  d'un  calendrier  dédié 
au  pape  Jean  XXll'^'.   Le  manuscrit  de  Baluze  est  aujourd'hui  à  la 

''  C'es[  à  (]uoi  s'esl  intéressé  surtout  dom  «  ista  cruce  aurea  per  Childebertuni  rpgem  liic 

l^oulilart.  »  reposita.  »  Cf.  Dom  Bouillârt,  op.  rit.,  p.  77. 

'    Dom  Bouillârt,  op.  ci». ,  p.   i5i.  '    «  Ludovicus  Pius.  Supra puteuni  sacrarii.  • 

"'  La  nolicp  de  Childebert  se  termine  par  '    «Carolus  Calviis.  Juxta   tumbam  Ullro- 

nnc  pièce  de  dix  vers.  inc.  :  iFrancorum  rer-  »  gothc  regine.  » 

•■  lor  prerlarus.  .  .  »  Suit  (fol.  ayo)  le  récit  d'un  '*'  Tome  II,  p.  .^37. 

mintcle  arrivé  en  1061  :  <•  Nota  miraculum  dr  ''   Il  n'est  pas  fait  mention  de  noire  autour 


IMEURË  \  IDAL.  025 

Bibliothèque  nationale,  où  il  porte  le  n"  7/120  \  du  tonds  latin.  Paul 
Meyer,  ayant  eu  l'occasion  de  le  décrire,  a  donné  un  extrait  de  la 
dédicace  de  Pierre  Vidal  et  deviné  qu'elle  devait  être  postérieure  de 
peu  à  ravènenient  de  Jean  XXII  au  pontifical'"'.  L'étude  directe 
du  manuscrit  m;  permet  pas  seulement  d'être  plus  précis;  elle  nous 
lait  connaître  les  raisons  qui  ont  décidé  l'auteur  à  composer  son  calen- 
drier et  à  le  dédier  au  pape.  Ces  raisons  sont  d'ordre  scientifique  et 
méritent  d'être  citées  textuellement.  Voici  donc,  avec  le  début  de  In 
dédicace,  la  partie  essentielle  du  prologue  qui  fait  corps  avec  elle  : 

Sedfiis  ciini  ruliiciii  ;id  tronum  graciu  cjus  rui  iiomrn  crat  Jacobus  piius '-', 
nuiir  autom,  tim|)(M('  f^iacio,  inorito  Johaniu's  est  nomoii  cjus  XXII"',  .  .  .  ,  offero 
ego,  fiatfr  tVtnis  Vitalis,  Onlinis  Fratinim  Predicaforum,  et  nomini  ejus  ascriho 
lioc  pifscns  \oviim  kalendanum,  super  Montempesulianuni  ordinatum,  per  quod 
duo  magna  limiinaria,  >idelicet  soi  et  luna,  in  suis  iiiolibus,  quantum  ad  aliquid,  in 
presenli  teinpoie  coiiiguntur,  ad  emendationem  kalendarii  Ecclesie  Sacrosancle, 
(lue*-",  non  hahens  niaculam  ncc  lugam,  nichil  débet  falsum  vel  indecens  continere. 

Quia  igilur,  I\iler  Sancte,  voseslis  hi\  mundi  et  lucerna  ardens  et  lucens  super 
eandalabiiun  {sic)  Ecclesii-  situata,  lumen  cpinque  ad  illuminationem  et  gtoriani 
plebis  universalis  F^rlesie  Sanrte  Dei,  ideo  ad  vos  patet  pertinere  diu  ncclecta  in 
lucem  producere,  et  piedictorum  duorum  iuminaiiuni  motus  eorrigere,  per  (pie 
lesta  Ecclesie  mobilia  siuun  suscipiunt  fundamentum...  In  hoc  autem  festo '''  et  aliis 
lestis  mobilibus  quandocpie  Chrisli  Ecclesia  ab  institutione  Domini  supradicta  mu! 
tum  deviatet  discordât,  in  subsannationem  sui  ab  hiis  qui  loris  suni,  Judeis  scilicel 
perfidis,  a  l>o  merilo  reprobatis.  Sic  enim  patuit  isto  anno  Domini  m",  ccc".  wm". , 
(|uia  Pasca  nostrun»,  «piod  secundum  predicla  esse  debuit  in  .  1 9".  die  marcii,  célébra 
lum  fuit  .•l'.V.  die  aprilis,  distans  aprimo  termine  per  .,'56.  dies,  cpiod  etiam»^*  potesl 
distare  amplius  in  lulurum...  Quamvis  autem  kalendarium  Ecclesie  Sacrosancle, 
secundum  tempus  institutionis  sue  prime,  bene  extiteril  ordinatum,  hodie  tamen, 
propter  correclionis''''  ejus  incurian»  et  necligenciam,  multum  deviat  ab  astrologia 
et  sencibili  {sic)  veritate,  \idelicetin  equinoxiis  atque  solsticiis...  et  in  motu  etiam 
lune...,  nam  hodie  luna  est  jam  .5'.  quando  ab  P^cclesia  pronunciatur  esse  prima,  et , 
nisi  in  posterum  corrigatur,  pronunciabitur  esse  prima  quando  erit  lumine  tola 
plena. 

Ex  quibus  omnibus,  l*aler  Sancte,  conveniens  videtur  valde  et  utile  ut,  prius- 
([uam  seneibilior  [sic)  error  appareat  in  Ecclesia  Sancta  Dei,  veslra  ubiiibet  vul- 
gata  discrecio  provideat  ut  bec  tanta  inconveniencia  boc  tempore  gracie  per  vos, 
\icarium   graciosum,   a  Cbristi  Ecclesia  extirpentur  et,  quantum  comode  poterit 

dans  l'article  que  Yflislolrc  lltltinire  a  consacre  ■'  Ms.  ;  qui. 

récemment  à  ce  pape.  ''■  La  fôtc  de  Pâques. 

'■'   Roniinilii ,    l8()7,    I.  WVI,    p.   2,36-23-.  ^'  Ms.  :  cccm  (  =  ccc/pjia). 

<'•   Ms.  : /)/'(f/i»v.  "'  \]s.  :  coirectioneni. 


79 


llisr.    LIITKH. 


()26  NOTICES  SUCCINCTKS. 

lieri,  sicut  iii  preseiiti  s[c]edula  jam   factum  est,  atl   lonj^a   lenipoia   kalendariiim 
Ecclesie,  expuigato  lalsitatis  fundameuto  veteri,  coirigalui'  '  ... 

Comme  on  a  pu  le  remarquer,  notre  auteur  indique  la  date  de 
l'année  où  il  offrit  son  œuvre  au  pape  :  i  3i8.  Montpellier  servant  de 
hase  à  ses  calculs,  on  est  jîorté  à  croire  qu'il  résidait  dans  cette  ville. 
Son  Novum  kalendariuni  pari  de  i  3  1 1  et  comprend  trois  cycles  de  dix- 
neuf  ans  ;  le  «canon»  qui  le  précède  explique  comment,  avec  de 
légères  additions  et  corrections,  on  peut  en  faire  un  calendrier  per- 
])étuel. 

Quant  à  la  réforme  proposée  au  pa|)e  Jean  AXll,  on  sait  que,  .si 
elle  ne  fut  promulguée  (jue  par  Grégoire  XIII,  en  1682,  elle  pré- 
occupa, depuis  l'an  1200,  JDeaucoup  d'astronomes  et  de  prélats 
instruits,  el  que  le  pape  Clément  Vl  fut  sur  le  point  de  la  réaliser, 
en  i345'-l  Jean  XXII  ne  paraît  pas  s'y  être  intéressé,  à  en  juger  par 
le  silence  des  documents  relatifs  à  son  pontificat.  L'initiative  prise 
par  frère  Pierre  \idal  n'en  est  pas  moins  louable  pour  avoir  échoué, 
en  son  temps,  et  pour  avoir  échappé,  dans  le  nôtre,  aux  érudits  (pii 
se  sont  occu])és  de  cette  question. 

Les  procès-verhaux  des  chapitres  provinciaux  des  Dominicains 
mentionnent  pour  la  première  fois  un  frère  «  P.  Vitalis  »  en  1  28 1  ;  il 
suivait  alors  le  cours  de  ^tnluraIl(l  au  couvent  de  Perpignan'".  iNous 
le  trouvons  comme  lecteur  de  logique  à  Marseille,  en  1282,  el  à 
Tarascon,  en  1  280 ,  puis'*'  de  nouveau  étudiant  en  ]\atumli<t  à  Béziers 
et  qualifié  cette  fois*^'  «P.  Vitalis  de  Montepessulano  » ,  en  1284. 
Il  étudie  la  théologie  à  Montpellier'*'  en  1287,  1288  et  1289,  est 
nommé  lecteur  de  la  Bible  à  Collioure'^,  en  1298,  et  à  Perpignan'** 
en  129G,  et  passe  avec  le  titre  de  lecteur  en  théologie  à  Arles'"',  (mi 
1299,  au  Puy'"",  en  1  3oo,  à  Saint-Maxiniin'"  ,  en  i3oi,  et  à  \u- 
benas''^'  en  i3o2.  Dans  ce  dernier  emploi,  il  est  appelé  «  P.  Vitalis  de 
Montepessulano».  Xous  croyons  que,  dans  tous  ces  textes,  il  s'agit 
de  notre  auteur,   sans  nous  dissimuler  pourtant  que  l'existence  de 

C  Ms.  cilé,  loi.  M)i.  '"'  ll>itl.,  p.  3or>,  3i,i  cl   .îa/i. 

'''  \o'irP.W\hem.  LcSysIéiiiedii  l/o»(/e,  I.  IV  ''  Ilnil.,  p.  ;5-'|. 

(Paris,  i9iG),p.  Y-'y-^t-]-  ■"'  llild,,  p.  '\o\. 

'^'  C.  l)ouais,   Acid  caf)iluloiuiH    j)roviiniii-  '''  llnd. ,  p.  \?>{'). 

//h Ml...  (Toulouse  .  I  Xi|1  ) ,  1 ,  7  '18.  ''"'  Und. ,  p.  4â  i . 

<"  Und.,  p.   iGo  e( ■■!f)8.  <"'  //./</.,  p.  /iJfS. 

!'l  Ibid.,  p.  -.77.  !'-i  Und..  p.  ',(18. 


RAIMOND  BANCXL.  027 

n?ligieu\  homonymes  complique  la  question.  J.e  chanoine  Douais 
affirme  qu'il  y  a  eu  vers  la  même  époque  trois  Pierre  Vidal  dans 
l'Ordre  de  saint  Dominique:  l'un  de  Montpellier,  l'autre  de  Figeac, 
le  troisième  de  Carcassonne**'.  En  réalité,  le  texte  auquel  il  renvoie 
pour  Pierre  Vidal  de  Figeac  porte  «  R.  Vitalis»,  c'est-à-dire  Raimond 
Vidal,  et  non  «  P.  Vitalis  » '-'.  Mais  la  -<  trinité .-  subsiste,  car  nous 
trouvons  un  «  P.  Vitalis  Caturcensem  n  chargé  de  lire  les  Sentences  à 
Gahors  en  iSaS'",  lequel  reparaît,  appelé  simplement  «P.  Vitalis», 
en  i3>,6,  avec  le  même  emploi  à  Saint-.lunien '',  en  i3'i8,  comme 
lecteur  de  théologie  à  Limoux '5>,  et,  en  i.^jg,  conime  lecteur  de 
Xnturaha  flans  la  même  ville ''^'.  L'absence  de  mentions  relatives  à 
Irère  Pierre  \  idal  de  Montpellier,  à  partir  de  i3o<,  tient  seulement 
à  c  que  les  procès-verbaux  des  chapitres  provinciaux  de  la  nouvelle 
|)rovnicc  de  Pro\ence,  créée  en  i3o3,  ne  nous  sont  pas  parvenus; 
nous  ne  ])ossédons,  en  eftet,  que  les  procès-verbaux  de  la  ])rovince 
de   Toulouse,  dont  Montpellier  ne  faisait  pas  partie. 

\.  T. 

HilMOM)  BA\Clf.,    FRÈRE   MISEVR,    iSTROSOME. 

Le  n.anuscrit  latin  -j/iio  a  de  la  Riblif.lhèque  nationale,  copié 
vers  i333  dans  le  Midi  de  la  France,  contient,  du  folio  Sy  v°  au 
lolio  (i3,  un  calendrier  astronomique  qui  porte  le  titre  suivant: 
(lonjnnccwnes  solis  cnm  lima  sccundinn  motus  mcdios  conim,  secmdnm 
maf/islruin  H.  Bamal[is],  Jratrem  Mmorum  Onlinis. 

Un  peu  plus  loin,  folio  7  1,  se  trouve  un  tableau  résumé  des  phéno- 
mènes astronomiques,  suivi  d'un  exposé  théorique  et  pratique  de  la 
manière  de  s'en  servir,  et  précédé  d'une  rubrique  développée  :  Inciini 
corrertio  halemiarli  Jacti  a  fmlre  R"  Vmmalis,  Ordniis  Minomm,  et  hoc  est 
ranon  priml  halendaru  magistri  Bancalls,  ut  patri  In  ipsa  tabula  et  in 
scripto  seqnenli;  et  hic  est  regala  de  conjnnccwmbus  mediis  lune  cum  sole  et 
adsciendum  nomina  aspectuum  cum  temporibus  scrtilis,  videlicet  tmjonic  et 
ihetrafjoni  et  opposicionis  medie.  Le  texte  débute   par:   Innovacinnes  seii 

'l-vércs   Prêcheurs  en   G.nco^uc  (Paris   el  ^'i   Bibl.  „at.,  lai.    .V,8-  (copie  du  ms.  'm,, 

Auch,  ,885),p.  91).  dcToulouse),  p.  8-..;j.  ' 

Bibl.   de   Toulouse,    ms.  /.go,    fol.    387  '   Ril.l.  n.it.,  I.il.  .,',87   p   86a 

eommunuation  de  .M.  F.  Galaberl).  )  //,,,/     ,,  H-.,  ' 

:^'  /W.,foI.  1/,6.  ■'  I-     /  •• 


79- 


028  NOTICES  SICCINCTES. 

conjuncciones  lune  cuiii  sole,  et  se  réfère  aux  célèbres  tables  de  Tolède. 
C'est  un  manuel  qui  n'olïre  rien  de  personnel.  Comme  l'auteur  prend 
pour  base  l'année  i3io,  il  est  certain  qu'il  vivait  au  début  du  xiv' 
siècle.  Paul  Meyer  a  signalé  les  deux  opuscules  dans  la  description 
([u'il  a  donnée  du  manuscrit  latin  74  20  a''*;  il  déclare  qu'il  ne  possède 
aucun  renseignement  sur  l'auteur.  En  tenant  compte  du  lait  que 
l'œuvre  de  frère  Bancal  a  été  utilisée  par  maîti-e  Etienne  Arblanl,  et 
connue  d'un  anonyme  toulousain  qui  a  commenté  Arblant,  comme 
on  le  verra  dans  l'article  qui  suit,  on  peut  conjecturer  que  ce  reli- 
f^ieux  appartenait  au  couvent  de  Toulouse. 

A.  T. 

Maître  Etienne  ARBLi^T,  astroi\ome. 

Aucun  bibliographe  n'a  enregistré  le  nom  de  cet  astronome.  Tout 
ce  que  nous  savons  de  lui  nous  est  fourni  par  le  manuscrit  2872  de 
la  Bibliothèque  de  l'Arsenal,  où  est  transcrit,  du  folio  6 1*^  au  folio  6/4'', 
un  commentaire  français  d'une  de  ses  couvres  dont  le  texte,  proba- 
blement rédigé  en  latin,  ne  nous  est  pas  parvenu.  Le  commentaire 
lui-même  semble  êlre  traduit  du  latin.  Il  débute,  sans  titre,  par  ces 
mots:  Car  science  meduinul  la  ihsposicwn  de  l'aeir  consi[de]re,  la  canse  de 
les  disposicions  de  l'aeir,  ce  sont  les  corps  celestiauh,  ainsr  corne  est  dit  au 
premier  livre  de  Melaures  '"-'.  Et  nous  ne  le  possédons  pas  en  entier, 
car  le  scribe  s'arrête  sur  cette  remarque  :  Ci  def/aut  le  kalendier  susdit; 
Cl   recoure::  nu  halcndier  la  /iorn<?''''. 

'''  Romnn'ui ,    i^i)7,    I-  XWI,   |).   ao^l-'ij'i.  de    rAcadémie    des    Irise  liptioas,    séance    du 

\os  citations  sont   faites  d'après  le  manuscrit,  ri  février  i8()(),  p.    uioi  ).  Cette  communica- 

et   non  d'après  les  evlraits    publiés  par   Paul  lion  a  échappé  à    Picire    Duhem,  qui  a  con- 

Meycr.  sacré  un  ^rand  article  à  (Guillaume  de  Saint- 

*''   .Sic,  pour  Afclcaii--,    ouvrage  attribué  à  Cloud,    dans    son   ou\raf;e    intitulé:    Le  iSys- 

Aristote.  lèine  du   Monde,  t.  1\'  (Paris,    1916),  p.    10- 

'^'  Il   s'agit    du  calendrier   dédié  |ku'  Guil-  ii).    Duheni   ignore   aussi   que  Guillaume  de 

laiinie  de  Salnl-Cloud  à  la  veuve  de    Philippe  Saint-Cloud,    après    avoir    offert    à   la  reine- 

le  Haixli,  Marie  de  Brabant;  voir  Histoire  litlc-  mère  son  Calendriev  rédigé  en  latin,  en  fit  une 

mire.  t.  \XV,  p.  &'.S--^!i.  Nous  saisissons  cette  version     française     pour    la    reine     Marie    de 

occasion  pour  compléter  ce  qui  a   été  dit    ici  Champagne,  femme  de  Philipjie  le  Bel,  morte 

(le  ce  célèbre  astronome.    Dès  l'apparition  de  en    i3o5.    Celte   nouvelle   forme,    importante 

notre    tome  X\V,    D' Vvezac   signala  dans   le  pour    l'histoire    de    notre    langue,    est    con- 

ms.    1037    de   1  Arsenal    l'existence     de    son  tenue  dans  le  ms.  ,^.>'i  de   l'Arsenal  (  voir  H. 

))etil  Irailé  intitulé:    Clililas  insiriimenli    qitod  Warlin  ,  Calai.  de:t  iii>'.  de  I  Arsenal ,  iSSô,  l.  \" , 

Dircctoriuni  tifipcUitliii    voir  les  Coiiiples  rendus  p.  3((/i-o<)r),  où  rien  ne  fait  soupçonner  lefail. 


NICOLAS  DE  lA  IIORBK.  02<> 

Voici  ce  qui  y  est  dit   sur  le  compte  de  maître  Etienne  Arblant: 

Entre  les  autres  auctors  le  quel  soufisaninenl,  et  non  supi'rllue[uieut] ,  legiere- 
ment  et  exemplairement, traicta'" du  soleil  et  de  la  lune  tant  quant  à  mire  en  appar 
lient,  fu  maistre  Esti{eiin]e  Arblant,  le  quel  fu  compilaire  de  ceste  Roe,  de  la  quelle 
exposicion  (en  l'aide  de  Dieu  devant  mise)  de  ehaseune  entend  à  bailler  en  lettres. 
Et  di  bien:  compilaiie,  <(uar  il  ne  fit  pas  le  kalendrier,  mais  le  fit  fi-ere  Raymon 
Bancal'"^',  de  l'Ordre  des  Meneurs;  et  le  rémanent  fisi  le  devant  dit  maistre  Estienne 
en  son  Qaadraii,  et  en  eeste  figure  le  conq)ila...  Le  tytie  est  til  :  ('/est  lu  Iloe  à  savoir 
In  conjonction  et  ladislanre  dn  soleil  et  de  la  lune...  '^'. 

Un  peu  plus  loin,  à  propos  du  caleudrier,  le  commentateur  précise 
la  date:  «  Ce  kalendrier  fu  fait  en  l'an  que  l'en  comptoil  mil  cccx.  »  El 
il  ajoute  bientôt  :  «  En  l'an  présent  se  compte  par  la  Incarnacion 
Mcccxxxv.  o  H  est  donc  établi  que  c'est  entre  ces  deux  dates,  i3io  et 
i335,  que  maître  Etienne  Arblant  coujposa  le  seul  ouvrage  qui  ail 
porté  son  nom  jusqu'à  nous.  Le  commentateur  était  de  Toulouse, 
assurément'''';  mais  cela  ne  suffit  peut-être  pas  pour  que  nous  assi- 
gnions la  même  patrie  à  notre  auteur. 

A.  T. 

Nicolas  nn  La   IIohhe,   rR\Di<:rh:in. 

Le  manuscrit  291  1  de  la  Bibliothèque  de  lArsenal,  flu  w*^  siècle, 
contient  la  traduction,  en  français,  de  traités  astrologiques  et  météo- 
rologiques, dont  l'autetir,  qui  les  écrivit  ou  latin  au  xiii*"  siècle.  Gui 
Bonati,  de  Forli,  est  bien  connu.  Il  y  a  six  parties  :  I.  «  Introductoire  >>; 
IL  «Interrogations»;  III.  «Elections»;  IV.  «Révolutions»;  V.  «  Nati- 
«  viles»;  VI.  «Des  pluycs  et  mutacions  do  l'air.  .  .  »'-''.  Le  manuscrit 
est  mutilé  au  commencement,  à  la  fin  delà  pn-niière  partie,  et  après 
les  lignes  initiales  du  chapitre  xi.  du  premier  traité  de  la  sixième 
partie,  laquelle  en  comportait  trois. 

que  nous  signalons  d'après  l'élude  directe  du  '    \  oir  la   notice  précédcnip. 

manascrit).  Un  autre  exeniplalre  du  Calendrier  '''   Ms.  cité,  loi.  62". 

de  Guillaume  en    français  se  trouve  dans  le  '*'  Cf.  ms.  cité,   fol.  6o:«Kt  se  est  vrav  à 

ms.  5^3  de  Rennes.  Toulouze.  • 

'''  Une   syntaxe    plus    rigoureuse   deman-  *■■'  La  traduction  a  été  laite  d'après  un  ma- 

derait  lesquels...   traiclereiil  :  mais  l'anonyme,  nuscrit   analogue  à   celui  des  œuvres  de  (îui 

né  dans  le  Midi,  manie   assez  gauchement  le  Bonati  qui  porte  aujourd'hui,  .i  la  Bibliolh(-<]ue 

français.  do  la  Sorhonne,  le  n'  5<(A  (xix' siècle). 


(VM) 


NOIICKS  SK.CINC'I'KS. 


Uejfplicit  (le  la  |>reniièi'e  partie  a  disparu,  mais  on  lit  encore  à  In 
lin  de  la  seconde  (loi.  iô6  \")  :  <  Cy  fine  la  translation  de  la  11'  partie 
"de  ce  livre,  laquelle  fusl  terminée  par  ledit  Nicolas  de  La  Horhe 
"  le  quinziesme  jour  de  décembre  l'an  M  CCC  W  \  II  ". 

\u  tome  XXIV  (p.  'j85)de  Vfhstoirc  littéraire,  nos  prédécesseurs 
ont  mentionné  en  passant  la  traduction  de  Nicolas  de  La  llorbe.  Ils  la 
connaissaient  par  une  noie  des  Bénédictins,  conservée  dans  les  ar- 
chives de  la  Commission,  d'où  il  ressort  (jue  I).  Prospcr  Tassin,  reli- 
«•ienx  de  Saint-Ouen  de  Rouen,  avait  comminiiqué  à  ses  confrères, 
continuateurs  de  D.  Rivet,  la  description  d'un  manuscrit  conservé  au 
wiii"  siècle  dans  «la  bihliolliéque  de  M.  1' \iclievêque,  m(''decin  à 
"  Rouen  ».  (Jr  celte  description  s'applique  de  tous  points  au  manuscrit 
de  l'Arsenal  (j<'idis  à  M.  de  Paulmy,  d'apiès  le  CiitahHjue  imprime 
de  ce  dépôt).  Il  semble  donc  (ju  un  seul  exemplaire  de  rouvra<,fe  de 
Nicolas  de  La  llorbe  ail  été  jusquà  présent  signalé. 

Il  y  en  a  un  autre  à  la  Ribliotlièque  de  \  alenciennes,  sous  le 
n".i4^;  d  es!  aiissi  i\\\  w*  siècle  et  incomplet''  . 

La  librairie  de  (lliarles  V,  si  riche  en  livres  de  ce  genre,  ne 
possédait  les  œuvres  de  (lui  Bonati  (pieu  latin  i^.liulicia  stillariiin . 
m"  (')(')-;  Dr  pliiriis,  u"  77'S). 

C.  L. 

Ah\oii.   HE  ()i  i\oi  h:\ii'Oi\  ,  \ii':Dh:(:i\   i:r    isrnoi.ocLE. 

Arnoul  de  Quinquempoix  '  est  le  seul  des  nombreux  médecins 
attachés  au  service  de  Philippe  le  Bel  et  de  ses  (ils  dont  l'activité  scien- 
tilique  nous  soit  al  lestée  ".  Il   tirait  vraisemblablement  son  nom  du 


''  i'c.ijtlicit  (le;  Li  Sciniiili'  [lailli'  e>l  ;iiiisi 
«DiKii  (Iniib  le  lus.  ili;  \  aionâeiines  :  "...  la- 
(Miclle  lu  teiiiiifit'C  par  ledil  Mcolasdo  Bchoil)c 
le  xv'  jiiiir  (1p  <lcr(Miil)ie   l'an  mil  cci.r.wxii.  .1 

'"'  Menlionné  par  nos  iiri'drresscurs,  sans 
ivftTence  :  «  Ernoul  Qniquc'in|)nisl,  citTr»  (  Ilis 
Iniie  lillérnire,  I.  WIV,  p.  '170).  Pour  son  nom 
lie  famillf,  nous  adoptons  l'orlhographc  olli- 
<  icilc  (lu  village  au(|u('l  nous  le  rattachons, 
inalgn-  son  jx-u  (lo  l'ondenicnl  étymologique;  la 
forme  |)rin)itive  est  en  cfTet  ('iiKfHenpoUl,  pour 
('»('  qu'en  pohl .  sorte  de  t\H\  signifiant  ;  •  V  qui 
(|u"il  en  p(''se».  I,es  doiMun''iils  du  lemp».  I  .ip- 


pellent  hniilpliiis  île  <)aiijucupvil ,  en  i.'lici 
.  Aich.  nat. ,  .IJ  /|5,  n°  i4i  )  >  ^rnalj'us  de  (Juin- 
ijuiiipoist ,  en  i3l5  (l.udcuig,  [\eUqui(V  iiwiiii- 
scriptoruin ,  t.  XII  ,p.  (}"]),  Ailciiulpliuf  de  (Juin- 
qncmpni.v ,  en  iS'iG  (J.  Viard ,  Joiiinniii  ./» 
'l'iesor  de  (,'liinles  IV  le  Bel,  n"  10216;. 

'''  Notons  en  passant  que  le  ms.  1  io  de  la 
Bibliothèque  d'Avranches,  qui  vient  de  niailic 
.leaii  Mellequin,  uoun  a  conserx-  deux  ordon- 
naiia's,  en  latin,  de  cet  autre  médecin  ro>al. 
loi.  ao8  v°;  cl.  Vdidl.  ijèn.  des  mss.  des  hilil. 
lie  Fi  lime,  t.  X,  p.  .'>5.  D'aolro  part,  c'est  san> 
Inudement  cpi'on  a   l.iit  de  maître  .Vrmen^^aud 


AUMHL  1)K  Ol  IMH  I:MIM)|\.  031 

\iHa<;e  de  Ouinqueiiipoix,  canton  de  Sainl-Jast-en-Cliaus.sée  (Oisej, 
auquel  une  rue  de  Paris  doit  égaleineiil  le  sien,  plutôt  que  d'un 
villaji^e  homonyme,  situé  dans  le  canton  de  l'ormerie,  arrondissement 
de  Beauvais,  qui  s'écrit  oniciellement  (Jnincampoix,  ou  de  toute  autie 
localité  désignée  par  le  même  vocable"  . 

Nous  ne  saAons  rien  de  ses  éludes  ni  de  ses  débuts.  Quand  il  nous 
apparaît  dans  les  documents,  il  est  dej)nis  longtemps  attaché  à  la 
cour  :  le  3o  mai  i3o4,  en  récompense  de  ses  services,  il  obtient  de 
Philippe  le  Bel  une  rente  à  vie  de  loo  livres  -',  et,  le  27  juin  i3  10,  une 
rente  héréditaire  de  .)o  livres  sur  le  Trésor  ".  Sous  Louis  \,  nous  le 
voyons  en  service,  à  raison  de  quatre  sous  par  jour,  pendant  onze 
jours  seulement,  échelonnés  de  juillet  à  novend)re  1  3  1 5  ''.  Naturelle- 
ment, il  a  des  princes  dans  sa  clientèle  :  le  1 .)  juin  iSiy  ,  la  comtesse 
d'Arlois  et  de  Bourgogne,  Mahaut,  donn(>  ordre  de  lui  payer  huit 
livres  parisis,  «  pour  ce  qu'il  s'est  pris  garde  de  llobert,  nostre  (11,  qui 
«  estoil  malade»  '.  11  reste  en  faveur  sous  Philippe  V.  Par  lettres 
datées  d'Amiens,  en  juillet  i3:<o,  le  roi  l'auforiscî  à  tenir  noblement, 
en  arrière-fief  de  la  couronne,  sans  pa^er  de  finance,  une  rente  en 
terres  de  vingt-tjuatres  livres,  acquise  de  Jean  de  Coudun,  chevalier, 
à  Clairoix,  près  de  (lontpiègne''^''.  Nous  retrouvons  son  nom  dans  les 
Journatix  du  Trésor  de  Charles  le  Bel,  mais  une  fois  seulement. 
Un  document  coiuptable,  du  1"  décembre  i3'j(),  établit  que  maître 
Arnoul  avait  alors  cessé  de  vivre  et  ((uc  sa  uiort  est  postérieuiv 
à  i3       ■ 


■>.  ] 


(71 


Un  manuscrit  du  \i\'   siècle  de  la  Bibliothèque  nationale  nous  a 
conservé,  en  l'attribuanl  à  notre  auteur,  la  traduction  d'un  o|)uscule 

BLiise,  (le  Montpellier,  un  iiu'deciu  de  Philippe  Maçon,    /.((    liltc  tir   Clninlilly ,    Seuils,    i  ()o8  , 

le  Bel    lllisloire  lillcniirc ,  t.  XXIV,  ().  470  el  p.  4). 

/171  ;ef.  iTiiW. ,  I.  \X\'III,  p.  loi  ).  — Auxœuvres  '"'   I.eKre    tianserile    dans    le    Litre    lOitiie . 

<!'Aini(  iigaud    énumérces    par   nos   de\ancieis  d<!  la  Cliainlire  des   lomples,  n"  73l  delait-- 

il     faut   ajouter   deux    versions,    faites   d'après  lilulion  de  ce  ie<;islre  par  Cli.-V.  Langlois  dans 

l'arabe,  d'opuscules  de  fîalien,  celle  des  (îùo-  les  I\utiies  et   extitiils   des   ntaiiiiscrils,  t.   XL, 

;ioniif(/ et  celle  du  Liif  ;  tie  ttujnititmc  prapiittruin  |).  .'>.')(>. 

tivfecliitiiit  el  vitioruii) ;  celle  dernière  est  datée  ''*   Arcli.  iiat.,.IJ  45,  n°  i4i  •  CI.  la  restitution 

du  i4  août  1299  (  nis.  5i  de  la  Bibl.  de  l'Aca-  du  J.'nic  loiit/c ,  n"  r)()G. 

demie  de  médecine,  loi.  aa3  et  227;  cf.  CataL  <*'  Lude«ig,  ouvr.  cité. 

(/rà.  (les  mss.  des  bibl.  île  l'niiue,  Paris,  t.  I",  ''    J.-M.  Richard,   Mtiltitiil ,  coiitlrssr  tl'  \iliiis 

1909,  p.  367).  cille  l'tiiiiiiioiiiie ,  1877,  p.  i5.^,  note  2. 

'''  On  sait  que  la  ville  de  (iliantilli  a  eu  pour  ''''   Arch.  nal.,  J.l  ^9,  n°  45 '• 

noyau  un  hameau  de  ce  nom,  qui  di'pcndait  '■   .1.  Viard,  ouvr.  cité,  n*  io5i6. 
en    1380  de  la  paroisse  di-  Gouvieux  (Gustave 


(.;i2  NOTICES  SLCCINCTKS. 

astrologùjue  d'  \II)uinasar.  Elle  est  précédée  de  la  ruhri([ue  suivante  : 
Chi  commcnclic  Alhnmacor,  Des  dédions  selonc  les  regars  et  les  conjonc- 
tions de  le  lune  as  planettes  par  les  l"2  signes;  et  llernoiis  de  QuKjaen- 
poir  (sic)  les  translata  ''.  Le  début  correspond  exactement  à  celui 
d'une  version  latine  contenue  dans  le  manuscrit  latin  7435  de  la 
Bibliothèque  nationale,  folio  i-3'i  ,  comme  on  ]>eut  en  juger  par  ce 
tableau  comparatif  : 

l)i\it  Albuniazai'  :  Plaïuit  niiclii,  iiiler  (.lie  ilist  Vlbuniar.ar  :  Entre  les  autns 

cetera  voliiiiiina  qui' (II' signorumjufliciis  livres  que  j'ai  fais  des  jugemens  des  si- 

il  planetaruui  composui,  de  eicclionibus  gnes,  il  me  plet  à  dire  aucune  coze  des 

aliquidexplicare...  (Bibl.  nat.,  lat.  -iiSS,  tiections    de    le    lune    (Bibl.     nat.,    J"r. 

loi.  i).  (il  3,  fol.   .'(.■)). 

Mais  les  tables,  (|ui  consliluent  l'essentiel  de  l'opuscule  d'Albumasar 
et  qui  occupent  les  folios  4-32  du  manuscrit  latin,  ne  figurent  pas 
dans  le  manuscrit  français.  Klles  manquent  aussi,  semble-t-il,  dans 
une  aulre  copie  de  la  même  traduction  donnée  comme  anonyme  pai- 
le  manuscrit  liegin.  lat.  i337  du  Vatican,  (|ui  est  du  w*"  siècle'-'. 

Le  roi  Charles  V  possédait  un  manuscrit,  aujourd'hui  perdu,  qui 
contenait  une  aulre  traduction  française  dont  l'initiative,  sinon  l'exécu- 
tion, V  élait  attribuée  à  maître  Arnoul.  Ce  manuscrit  est  ainsi  décrit 

dans  l'inventaire  de  (lilles  Mallet,  rédiifé  en  i373  : 

s 

Mkindus  de  inihiibiis  et  pliiviis  en  latin,  cl  avec  la  Rédemption  des  fis  d' Israël ,  i-n 
un  volume  rouvert  de  parcliemin,  que  fist  translater  de  ebrieu  ru  franrois,  à  Paris, 
maistrc   \inoul  de  Oui<|uanipoit..'-". 

Des  personnes  versées  en  bibliographie  hébraïque,  que  nous  avons 
consultées,  estiment  que  l'ouvrage  dont  il  s'agit  ici  ne  peut  être  que 
le  Séfèr  ha  Geonllali  (ou  «Livre  de  la  Rédemption  «)  de  Moïse  ben 
Nahmi,  traité  relatif  à  l'époque  de  la  venue  du  Messie,  où  l'auteur  a 
répété  et  développé  les  idées  qu'il  avait  exposées  dans  la  fameuse 
controverse  de  Barcelone,  en  1260.  Le  te.xtc  hébreu  de  cet  opuscule, 
antérieur  à  1270  —  puisque  Moïse  est  mort  cette  année-là  —  a  été 
souvent  imprinu'. 

A.  T. 

''  Bibl.  nat.,  Ir.  6i3,  loi.  i43'  laiic.  11'  7095;  ri'.  P.  Paris,  Manusrrils  friinçois,  t.  V,  p.  ao4- 
21)5).  —  •'-■  Notices  cl  edtniits.  1879,  t.  Wlll,  j'  pallie,  p.  iM.  —  '*  L.  Delisle,  Reclieniies 
sur  la  Ubidiiie  de  (huiles   V,  partli-  Il  (Paris,  19')-),   p.  127,  11'  777- 


ANONYME,  TRADUCTEUR  DES  «LETTRES  \  UUCILIUS".       033 
Anonyme  italien, 

AUTEUR  d'une  TRADUCTION  FRANÇAISE  DES  LETTRES  DE  SÉNÈQUE  À  LuCILIUS. 

Le  manuscrit  français  12235  tle  la  Bibliothèque  nationale  et  le 
ms.  add.  i5434  du  Musée  britannique,  tous  deux  exécutés  en 
Italie  au  xiv'' siècle,  contiennent,  sous  une  forme  tout  à  lait  pareille, 
une  traduction  française  des  Lettres  de  Sénèque  à  Lucilius,  qui  a  été 
si<^nalée  pour  la  premièi'e  fois,  en  i84o,  par  Paulin  Paris,  d'après  le 
manuscrit  français  12  235  *'*,  et  dont  Paul  Meyer  a  parlé  avec  plus  de 
détails  au  Congrès  international  des  sciences  historiques  tenu  à  Rome 
en  1 9o3  ''^'.  Le  traducteur  n'a  pas  fait  connaître  son  nom ,  mais  il  nous 
apprend,  dans  un  intéressant  prologue,  par  qui  il  a  été  sollicité 
d'entreprendre  celte  tâche.  Voici  ses  propres  termes  : 

Por  ce  que  cil  qui  les  translata  ne  fu  pas  tle  la  langue  françoise,  ne  de  si  haut 
enging  ne  tle  si  parfonde  science  corne  à  la  matière  afiert ,  il  s'escuse  ii  tous  coulz  qui 
1  uevre  verront  que  il  ne  le  blasment  se  il  a  failli  en  aucune  part  tle  la  propriété  de 
la  langue  ou  aus  sentences  de  l'aucteur,  et  leur  prie  humbleiuent  tjue,  par  leur 
bonté  et  par  leur  franchise,  l'en  vueillent  corrigier  et  amender  en  l'un  et  en  l'autre. 
Car  il  confesse  bien  que  ce  fu  trop  grant  presumplion  d'emprendrc  si  haute  chose  à 
translater;  mes  il  ne  le  fist  pas  de  son  gré,  car  misire  Bartholomy  Singuilerfe  (sic) 
th;  Naples,  conte  de  Caserte  et  grant  chambellenc  du  roiaume  de  Cezile,  l'en  pria  et 
li  commanda  '". 

Le  grand  seigneur  dont  il  est  question  dans  ce  prologue  apparte- 
nait à  la  famille  Siginulfo.  Il  est  bien  connu  des  historiens.  Après  avoir 
été  le  favori  du  roi  de  Naples  Chai  les  II  d'Anjou,  dont  son  frère 
Serge  fut  grand  amiral,  il  tomba  en  disgrâce  comme  soupçonné 
d'adultère  avec  la  première  femme  du  prince  de  Tarente.  II  réussit 
toutefois  à  se  disculper  ;  mais,  après  la  mort  du  roi,  il  se  vit 
condamné  par  contumace  au  bannissement  et  à  l'amende,  comme 
convaincu  d'une  tentative  d'assassinat  sur  la  personne  même  du 
prince  de  Tarente  (3o  décembre  i3io),  et  ses  biens  furent  confis- 
qués. Réfugié  auprès  de  Frédéric  d'Aragon,  il  mourut  en  Sicile,  vers 

'''    ^{anusc^its    français,     I.    III,    p.    3o5-  trouvera   dans  le  mémoire  cité  les  références 

307.  que  nous  ne  donnons  pas  ici. 

'''  Atti  del  Congresso  internazionale  di  scienze  '^'  Bibl.  nat.,  fr.  i2a35,  fol.  i  (loxte  publié 

storiche,   t.  IV   (Rome,  1904),  p.  37-40.  On  par  P.  Meyer,  revu  par  nous  sur  le  manuscrit  ). 

HIST.   I.ITTKR.   XXXV.  8o 


03/1  NOTICKS  SLCCINCTKS. 

i3i(").  Gomme  Barthélemi  Siginulfo  ne  devint  comte  de  Caserte  cinc 
le  3o  ,septeml)re  i3û8,  nous  pouvons  avec  vraisemblance  dater 
notre  traduction  de  i3o8-i3io. 

Le  traducteur  nous  dit  qu'il  n'est  pas  »  do  la  langue  françoisC"; 
il.  faut  donc  voir  en  lui  un  com])alriote  du  comte  de  Caserte 
Bien  rares  sont  les  Italiens  du  Sud  qui  ont  écrit  en  français  au 
moyen  âge,  malgré  les  circonstances  politiques  rpii  amenèrent  à 
régner  dans  cette  région  les  Normands,  au  w"  siècle,  et  les  Angevins, 
au  XIII''.  Paul  Meyer  déclare  que  notre  traduction  est  le  seul  ouvrage 
français  composé  dans  le  royaume  de  Naplesqu'il  connaisse  '',  oubliant 
([u'il  avait  admis  comme  j^robable  l'attribution  à  l'Italie  méridionale 
d'un  autre  traducteur  qui,  à  la  demande  d'un  comte  de  Miliircc  non 
identifié,  a  fait  passer  dans  notre  langue,  vers  la  fin  du  xm'  sièclo, 
les  cbroniques  d'Isidore,  d'Ikitrope,  de  Paul  Diacre  et  d'Aimé  du 
Mont-Gassin*"'.  Il  (^st  certain  que  le  tiaducteur  qui  travailla  pour  le 
comte  de  Mihtrée  était  un  Italien  du  Sud,  et  qui  savait  fort  mal 
le  français '■''.  En  revancbe,  celui  à  qui  s'adressa  Barlbélcmi  Siginulfo 
possédait  bien  notre  langue,  et  les  italianismes  sont  relativement  rares 
sous  sa  plume.  11  est  d'autant  ])lus  regrettable  que  sa  tradurlicm  des 
Lettres  à  Lucilius  n'ait  ])as  été  ccninue  dans  notre  ])ays,  où  la  lifte- 
rature  en  langue  vulgaire  dut  attendre  jusqu'au  règne  de  Gbarles  \ 
pour  s'enrichir  d'un  ouvrage  authentique  de  Sénèque,  le  De  rcincdti.i 
/nrliulnnun ,  mis  en  fiançais  par  Jaccpies  Bauchant'''. 

C'est  dans  une  autre  direction  que  l'œuvre  de  notre  anon^  me  trou\a 
de  l'écho.  Le  roi  Martin  1  ",  qui  régna  sur  fAragon  et  sur  la  Sicile  et 
mourut  en  i  ^oij,  possédait  dans  sa  bibliothèque  un  manuscrit,  aujour- 
d'hui perdu,  qui  contenait  les  «  Lpistolas  de  Seneca  en  siciliâ  »''■.  Il  est 
vraisemblable  que  cette  version  sicilienne  dérivait  de  la  version  fran- 
çaise exécutée  dans  les  circonstances  que  nous  avons  rapportées  et 
(lue  l'exil  de  Siginulfo  dut  faire  connaître  en  Sicile.  Ce  qui  est  certain, 
en  tout  cas,  c'est   que  l'œuvre  de  notre  anonyme  a  servi  de  base  à 

'''  Alli  cités,  p.  ().").  '"    0.  Dflarc,  ïsloiic  de  /i  A(i(m'i»(  i  noiii'ii . 

'■'   Iliid.,   p.  83-9'i.   Hap|iclons,  en  passant,  189'!  ),  p.  xlii  et  suix. 

(pie    l'idenlification    d'Aimr    du    Mont-d.issin  '*'  L.   Delislo,  l\cvhcnhei  fiir  lu  libmiiic  de 

avecAmal,    archevêque  de   Bordeaut,  admise  Charles  V,    1"   paiiic,  p.  88-()i;   cf.   Hi<toiie 

par  nos  devanciers  [Histoire  lilléruire,    t.  I\,  littéraire,  l.  WIV,  j).   iH-'.. 

p.  aa6)  est  erronée  ;   cf.  A.   Molinier,  Sonnes  '*'  Milà  v  Konlanals,   l'ronulircs  en  LfjiiiHn 

de  l'histoire  de  lùmirr.  n°"  1000  et  '!()7'2.  (Barcelone,  1861),  p.  'kjo. 


GEFROJ  DE  PICQUK.M.  035 

une  version  catalane  dont  la  Bibliothèque  nationale  possède  un  bel 
exemplaire  manuscrit  du  xv"  siècle,  le  n°  8'j  du  fonds  espaj^nol.  Le 
titre  le  proclame  en  ces  termes:  Lo  libre  de  Seneca  de  les  Epistoles 
fjuc  el  trames  a  Lucill,  Iransladades  de  lali  en  frances ,  e  piiys  de  Jranccs 
en  catluda.  VA  l'étude  du  texte  catalan  confirme  l'assertion  du  titre'''. 

\.T. 

GeFROI  de  PlCQLIGM, 
AUTEL  R  iri'NE  EXPOSITIOS  FRANÇAISE  SUR  LE   \0UiEAU   TeSTAME\T. 

Le  manuscrit  i  i  du  fonds  latin  d'Urbin  de  la  Bibliothèque  du 
Vatican,  exécuté  par  le  scribe  Pierre  de  Cambrai,  qui  en  termina 
la  copie  le  iS  janvier  1822,  et  orné  de  miniatures,  nous  a  conservé 
une  Exposition  française  des  Evangiles,  des  Actes  des  \])ôtres  et  de 
l'Apocalvpse,  dont  l'auteur,  nommé  Ce/rot  de  Pinkcyni,  a  tenu,  lui 
aussi,  à  préciser  le  jour  où  il  mit  la  dernière  main  à  sa  lourde  tâche 
(notez  que  le  volume  contient  425  feuillets,  à  deux  colonnes  de 
5  1  lignes),  lequel  jour  fut  le  lundi  24  août  1  82  1 .  Ce  qui  est  pluspré- 
<ieux,  c'est  que  Gefroi  nous  fait  connaître  le  nom  du  personnage  pour 
((uiil  s'était  mis  à  l'œuvre;  il  nous  dit,  en  ellet,  qu'il  "  travailla  à  la 
«  requeste,  pétition  et  amonestement  de  magnilique  et  excellent  sei- 
'  gnour  Ferrantin  de  Maletestes,  fdl  du  boneureus  et  renomé  baron 
"  Vlaletestin  *-'  ».  Ainsi  donc  il  est  avéréque,  trois  semaines  avant  la  mort 
de  Dante,  le  français  affirmait  son  prestige  en  Romagne,  vrai- 
semblablement à  Himini,  à  la  cour  même  de  la  célèbre  lamille  des 
Malatesta.  L'auteur  se  persuade  que  Kerrantin  «avait  receu  du  conseil 
«du  Très  Haut,  par  inspiration  ou  par  commandement,  de  devoir 
«  faire  translater  ceste  gioriouse  oevre  en  language  franchois  pour  la 
«commune  utilité  de  tous».  Son  nom,  où  l'on  ne  peut  hésiter  à 
reconnaître  celui  de  la  ville  de  Plcquigni,  sur  la  Somme,  et  la  forme 
même  de  l'adjectif  /ranc/jofs  témoignent  de  son  origine  picarde.  Mais 
les  courts  extraits  qu'on  a  publiés  de  cette  œuvre  nous  causent 
quelque  surprise.  Il  est  manifeste,  en  effet,  que  son  «  franchois  »  est 

'"'  A.  Morel-Fatio,   ('(ilaloijue  des  niss.  espa-  moyen  àijc    (Paris,     i88/i),    p.    267-268;    r(. 

ijnols   el  portuyais  (Paris,    1892),   p.    3o;    cf.  K.    Langlois    dans  Nolices   et  extraits,    1889, 

llitioire  littéraire,  t.  XXIV,  p.  543.  t.  XXXIII,  ■>.'  partie,  p.  2(j^-■i()^^. 

'*'  Samuel   Berger,    La  Bible   française   an 

ao. 


fi30  NOTICES  SLCCINCTES. 

éinaiHf  d'ilalianisnies,  ce  qui  ne  peut  s'expliquer  que  par  un  long 
séjour  à  Rimini  ou  dans  quelque  autre  cour  seigneuriale  de  l'Italie. 
Ce  n  est  pas  à  Picquigni  (ju'il  a  appris,  par  exemple,  à  donner  au 
verbe  mettre  le  participe  passé  barbare  we^u''',  à  dire  com  pour 
«avec»'^',  cime  pour  «  punaise  «'''^  laborier  pour  «  travail  »'''',  etc.  En- 
registrons seulement  ce  curieux  phénomène  d'hybridilé  linguistique, 
dont  l'étude  approfondie  ne  saurait  trouver  place  ici.  Nous  ne 
sommes  pas  non  plus  en  mesure  d'apprécier,  dans  ses  rapports  avec 
l'exégèse  sacrée,  l'œuvre  accomplie  par  Gefroi  de  Picquigni,  car  elle 
attend  encore  un  éditeur.  Nous  étions  seulement  tenus  d'en  signaler 
l'existence '^l 

A.  T. 

A\0!\YAtK, 
AUTEUR    d'une   EmiORTATIO.S   DE   CIRCONSTANCE   À    LA  CHARITÉ. 

Un  contemporain  a  écrit  sur  les  deux  derniers  feuillets  du  manu- 
scrit 782  de  Rouen,  qui  vient  de  Jumièges,  une  pièce  en  vers  latins 
et  français  alternés,  composée  pour  inviter  les  riches  à  venir  en  aide 
aux  pauvres  gens,  lors  de  la  famine  de  i3  16.  Douze  couplets  de  huit 
vers  octosyllabiques  sur  deux  rimes.  Inc.  : 

En  l'an  de  l'incarnation 
Assiint  tresdecim  cum   tribus... 

Cette  pièce  a  été  publiée  par  P.  Meyer  dans  le  Bulletin  de  la 
Société  des  anciens  textes  français,  t.  \X\III  (  1907),  p.  54-56. 

CL. 

AXONYME, 

AUTEUR  DU  a  Dit  des  Moustiers  de  Paris». 

11  v  a  sous  ce  titre,  dans  le  manuscrit  fr.  1  2483  de  la  Bibliothèque 
nationale,  une  énumération  versifiée  des  éghses  de  Paris  où  le  culte 

'"'  «A>onsnon8  metu  a  exécution  »  (S.Ber-  ^'-  Les  seigneurs  d'Esle  possédaient,  en  1 437, 

ger,  p.  u66).  un   manuscrit  analogue  à  VUrbinas  lai.  >i,  à 

'*'  Ibid.,  p.  367  :•  comm  humle  révérence.  •  moins  que  ce  ne  soit  ce  manuscrit  lui-même 

'^'   Ibid.,  p.  368:  «ois  maistres  qai  créa  le  qui  figure  dans  leur  catalogue;  voir  Romania , 

bueftist  la  iiHit'  antressi.  >  1889,  t.  XVIII,  p.  397. 

'*    Ibid.:  tMon /(i')o/ier  feni.» 


ANONYME,  AUTEUR  DES  «  LXXIl  BIAUTES  ».  (i;^7 

était  public  quand  elle  fut  dressée'^'.  Elle  a  été  publiée  deux  fois*"^'. 
Pour  de  bonnes  raisons,  H.-L.  Bordier  a  daté  ce  petit  poème  fies 
environs  de  i325'-". 

L'auteur  avait  antérieurement  composé  un  opuscule  du  même 
genre,  où  il  avait,  à  son  dire,  «  fet  mencion  des  églises  ou  devocion 
"  est  plus  monstrée  qu'en  autre  lieu  ». 

Il  avait  entrepris  celui-ci  à  la  requête  d'un  mécène  : 

Un  gentilhomme  m'otroia  Que  trestous  les  moustiers  meïsse 

Son  hoslel,  et  si  me  proia  De  I^aris  en  rime  et  en  dit. 

(Me  je,  pour  s'amoiir,  tant  fcisse 

Notons  que  l'anonyme  n'est  pas  si  dévot  qu'il  ne  se  laisse  aller  à 
parler,  en  passant,  du  bon  vin  des  Cordeliers '''. 

Saint-Magloire  est,  naturellement,  mentionné  (v.  191);  mais  rien 
n'indique  que  l'auteur  se  soit  intéressé  particulièrement  à  cette  église, 
pour  laquelle  certains  rimeurs  ont,  comme  on  sait,  travaillé  à  cette 
époque. 

C.  L. 

Al\OI>JYME,    AiTEiR    DES  uDl\]SIO.\S   DES  SOIXANTE  ET  DOUZE  BIÀUTÉS 
QUI  SO.\T  Ei\  DAMES  ». 

Ce  qui  vaut  à  cet  anonyme  l'honneur  d  avoir  ici  une  notice,  c'est 
qu'il  a  daté  le  seul  poème  qu'on  soit  en  droit  de  lui  attribuer  (Bibl. 
nat,,  fr.  24432,  fol.  245)^*'.  Bien  d'autres  pièces  du  même  genre, 
voire  sur  le  même  sujet'''',  parce  qu'elles  sont  anonymes  et  sans  date, 
ne  sauraient  être  ainsi  isolées  de  la  masse  énorme  des  petits  poèmes 
du  xiii'  et  du  xiv"  siècle. 

Les  M  Divisions  »  se  composent  de  seize  douzains  de  vers  octosylla- 
biques,  du  type  xxxvi  de  G.  Naetebus.  Il  y  a,  en  outre,  une  sorte  d'in- 
troduction  et,  à  la  fin,    une   manière  d'envoi,  qui  donnent  d'une 

'"'  Not.etexlr.  (les  man., i.WlX, 2'  ^. p. b^3.  '"'  Celte  pièce  n'a  pas  été  réimprimée  depuis 

<^'  Voir  A.  Lângfors,  Les  incipil  des  poèmes  Méon,  Nouveau  Recueil  de  fabliaux  et  contes, 

français,  p.  423.  f.  1"  (Paris,  iSaS),  p.  407. 

'''  H.-L.  Bordier.  Les  églises  et  monastères  de  '*'  G.  Naetebus  (Die  nicht-lyrmhenStroplien 

Paris  (Paris,  1 856) ,  p.  aS.  formen    des   Altfranzôsischen.    Leipzig,    1891, 

'*'  Cr.   la  Chronique   de    GelVoi    de  Paris,  p.  1 14)  en  cite  plusieurs. 
V.  682,"), 


ù:\8  notices  SICCJNCTES. 

façon  lorl  obscure  quelques  notions  sur  les  ciiconslances  où  celle 
composition  fut  bâclée  : 

L'an  de  grâce  mil  c  liois  cens  Ei»  ce!  temps  lu  et  a  cel  jour 

Et  trente  deux  fui  je  tracens,  Que  chevaliers  iu  Jehan    de  France'-'. 

A  Eucerre,  compaignons  queire,  Lors  me  souxint  esire  en  souflrance 

Por  eulz  compaignier  et  en(|aerre  D'une  excusacion  a  faire .  .  . 

Des  de<luis,  car  iere  a  séjour  ". 

L'envoi  final  est  à  l'adresse  de 

Micliiau,  del  e\esque  porlier 
D'Aucerre 

L'auteui-  dédie  sa  pièce  descriptive  des  perfections  physiques  de 
sa  dame,  qu'il  déclare  diijnc  d'être  reine  «  entre  les  dames  de  Paris  », 
à  ce  «  Micliiau  »,  compagnon  de  la  joyeuse  comj)agnie  qu'il  était  allt- 
chercher  à  Auxerre.  Il  semble  dire  que  la  matière  lui  en  avait  été 
fournie  par  un  troisième  compagnon  de  celte  même  compagnie,  (|ui 
est  nommé  par  deux  fois:  «  Bertaut  de  Chastcillon  »,  «  serganl  le  roy  " 
(v.  23/|),  faiseur  d'  «exploits»  (v.  aS).  11  est  dit,  énigmatiqncmeni , 
de  ce  Bertaut,  pour  rimer  avec  «argent»,  que  «il  art  gent  »  (v.  28). 

On  est  donc  là  dans  une  société  de  condition  très  modeste,  dont  il 
n'y  a  aucune  chance  pour  que  les  membres  aient  laissé  des  traces 
dans  les  archives.  Nous  ne  savons  rien,  en  effet,  du  sergent  Bertaul 
de  Chàtillon''*  ni  de  «  Michiau  »,  porlier  de  l'évêque  d'Auxerre. 

CL. 


/(i/wov    \ii>\i.,    \iiKVH  d'un  I'OÈMH:  e\   i.am.ve  doïl. 

H  ne  faudrait  pas  conclure  du  fait  que  La  Chace  des  mesdisans, 
poème  allégorique  en  français,  de  760  vers  environ,  daté  de  i338, 
ligure  dans  Les  «  Incipit  »  des  poèmes  français  antérieurs  aa  x\  i'  siècle  de 

<')   Ms.  cl  éd.:  I.  jeté  a  ce  jour».  Paris,  18G0,  p.  379),   séduit   par  l'homopho- 

'''   Les  i'èles  de  la  chevalerie  du  prince  Jean  nie  approximative  de  «Bertaut  »  et  de  «  Bretex  », 

eurent  lieu    à  Paris    le    29   septembre    i.iSa  a  hasardé,  sans  l'ombre  d'un  autre  motif,  que 

(Chronique  anonyme,  dans  les  A/cmoiV«  Je /((  les  «  Divisions   des  .LXXII.  biaulez  »   sont    «un 

Soticlé  (le  l'Iiistoire  de  l'aris,  t.  \1,  p.  i5o).  souvenir»  de  l'auteur  du  Tournoi  Je  Cluiuveiid 

'''   A.    Dinaux    [Les     Trotivèics    hnibançons.  1285). 


UVIMON  VIDAI..  iVM 

\.  Lan"-for.s'''  avec  la  seulo  indication  qu'il  s'en  trouve  deux  copies 
dans  le  manuscrit  français  j^/lJa,  ([ue  ce  poème  est  anonyme  et 
inédit.  L'auteur  s'appelait  «  Remon  Vidal»  (v.  68).  Le  poème  a  été 
publié  par  M.  Alfred  Mercier  dans  les  Annales  du  Midi  (t.  VI,  189/», 
p.  A68-/,93).  , 

On  ne  sait,  du  reste,  de  l'auteur  que  son  nom,  trop  répandu 
pour  ([u'on  puisse  espérer  de  l'identifier  avec  un  des  Raimon  Vidal 
dont  il  y  a  trace  dans  les  chartes  (l'alors.  Mais  il  résulte  de  sou  poème, 
où  sont  mis  en  scène  trente-cin([  personnaj-jes  identifiables,  qu'il  vi- 
vait, sans  doute  en  qualité  de  ménestrel,  à  la  cour  des  grands  sei- 
gneurs de  la  partie  occidentale  du  Languedoc,  sans  doute  à  celle  de 
Fa  maison  de  l'Isle-Jourdain'- .  Les  personnages  qui  étaient,  sem- 
ble-t-il,  à  la  léte  de  la  société  où  il  fréquentait,  tous  plus  ou  moins 
apparentés,  sont  le  comte  Bertrand  de  l'Isle-.lourdain  et  son  trèrc 
(iaston;  le  comte  Gaston  II  de  Koix;  Constance  d'Aragon,  femine  de 
.laime  H,  roi  de  Majorque;  Béatrice  de  Clermont,  comtesse  d'Arma- 
gnac et  de  Rodez;  "Marguerite  de  Poitiers,  fille  d'Aimar  de  Valen- 
tinois,  vicomtesse  de  Beaumont;  Marguerite  de  Gonlaut;  les  deux 
s(Burs  Algaie  et  Catherine  de  Talairan;  Rosemburge,  fille  d'Klie  de 
Périgord  et  femme  de  Pierre  de  (irailli,  vicomte  de  Benauges;  etc. 

Le  sujet  du  poème,  dirigé  contre  les  médisants,  si  nuisibles  en 
amour,  est  un  lieu  commun  des  ménestrels  de  cour.  Mais  il  est,  ici, 
assez  ingénieusement  présenté.  Un  seigneur,  cent  ans  auparavant,  a  éti- 
métamorphosé  en  sanglier  par  le  Dieu  d'Amour,  en  punition  du  mal 
(pi'il  a  fait  par  sa  mauvaise  langue.  Raimon  Vidal,  invité  par  (laslon 
de  risle-Jourdain,  qui  l'appelle  son  "  cher  ami  »,suit  la  chasse  à  courre 
que  mène,  le  1*'  mai  i338,  une  compagnie  de  dames  et  de  gentiLs- 
hommes,  avec  une  meule  de  chiens  dont  les  noms  sont  symboliques 
(Belacueil,  Leesse,  Biaumaintien,  Dousregart ,  Privé,  Doutance,etc.). 
A  la  fin,  le  sanglier  est  tué  et  on  le  coupe  en  morceaux,  qui  sont  pré- 
sentés aux  dames: 

-'i  'i.  Or  esl  mois,  rom  povez  vcoir;  VA  lY  \rinigiiac,  qui  ce  voûte/.. 

Aussi  fussent  tuit  cit  qui  sont  '.  A  touz  vos  pooirs  les  tuez...  '' 

Et  vous,  int'sdames  de  BcaumonI 

C  T.  1"  (Pari^,  1907,  |i.  5i.  — '"'  Cf.,  i>las  haut,  l'articlo  consacra  a  Guillaume  ilu  Cun. 
—  '^    Annales  du   \liili .  I.  c. ,  |).  'lyj. 


(i'iO  NOTICES  SICCINCTES. 

Cette  composition,  tout  à  fait  de  la  même  veine  que  celles  de  \\a- 
Iriquet  et  de  Jean  de  Condé,  offre  de  l'intérêt  surtout  parce  qu'elle  est, 
suivant  l'expression  de  l'édileur,  «le  ])lus  ancien  texte  littéraire 
«  écrit  en  français  par  un  homme  du  Midi  de  la  France  »  qui  ait  été 
conservé.  Il  vaut  la  peine  de  constater  que,  vers  le  temps  de  l'avène- 
ment des  Valois,  la  poésie  en  langue  d'oïl  était  en  honneur  dans  le 
grand  monde  du  pays  toulousain,  et  que  le  français  du  Nord  y  était, 
dès  lors,  très  bien  su.  Les  provençalismes  que  M.  Antoine  Thomas  a 
notés  dans  La  Chace  des  mesdisans''^'  sont  en  nombre  insignifiant. 

G.  L. 

A^O.WME, 

AVTKVR  nv  <.^  Livre  de  ia  tresorye»  de  l'abbaye  d'Origisy. 

Le  manuscrit  86  de  la  Bibliothèque  de  Saint-Quentin,  connu 
depuis  longtemps  sous  le  titre  de  Livre  de  la  tresorye  d'Origny  Sainle 
Benoile^'-',  a  conservé  une  compilation  rédigée  au  début  du  xiv*^  siècle, 
quelque  peu  confuse,  mais  précieuse  pour  fhistoire  do  cette  antique 
abbaye  du  diocèse  de  Laon'^'.  On  y  trouve  transcrits,  sans  ordre 
apparent,  la  vie,  le  récit  des  miracles  et  l'office  propre  de  sainte 
Benoîte,  à  côté  des  offices  de  sainte  Agnès,  de  saint  Louis  et  de 
quelques  autres  saints  particulièrement  honorés  dans  l'abbaye  ;  une 
longue  énumération  des  reliques  dont  la  réputation  attirait  à  Origny 
un  nombreux  concours  de  pèlerins;  une  série  de  prescriptions  litur- 
giques les  plus  minutieuses  réglant  la  célébration  des  offices  au  cours 
de  l'année,  la  vie  quotidienne  dans  l'abbaye,  l'élection  de  l'abbesse, 
la  réception  et  la  sépulture  des  religieuses;  puis  le  texte  français  d'un 
Mystère  de  la  Résurrection'*',  des  conseils  pieux  et  des  sermons  en 

!''  En  appendice  de  l'édition  précitée.  de   M.    Poissonnier,    publié  dans  les  Travaux 

'■'  Une  notice  détaillée,   mais  incomplète,  de  1869  de  la  Société  académique  de  Saint- 

dp  ce  manuscrit  a  été  donnée  par  Auguste  Mo-  ()uentin  (1870,  p.  333-4o6),  n'ajoute  aucun 

linier  dans  le  Catalogue  général  des  manuscrits,  détail  nouveau  pour  la  période  ancienne. 

(.  III  (i885),  p.  a38-2;io.  '*'  Publié  incomplètement  par  E.  de  Cousse- 

'   (inllia  christiana,  t.  IX  (1751),  col.  620-  maker  dans  le  Bulletin  du  Comité  de  la  langue , 

()37  ;  cf.  Le  Miroir  d'Orujny, .  .  .  sur  l'histoire  de  l'histoire  et  des  arts  de  la  France,  t.  IV,  1857, 

manuscrite  de  leu  M.  ()uentin  de  La  Fons,  p.  i3o-i4o;  reproduit  de  même  par  lui  dans 

.  uré  de  Saint-André  de  Saint-Quentin,  par  le  les  Drames  liturgiques  du  moyen-âge  (Rennes, 

\\.  P.  Pierre  de  S.  Quentin,  prédicateur  capu-  1860,  in-/|°),  p.  339-342- 
(in  (Saint-Quentin,  1660,  in-'»'')-lIn  mémoire 


LIVRE  DK  I.\  TRESORVE  [VORIGNY. -.  6^1 1 

français,  ])anni  lesquels  il  en  est  un  de  Guiart  do.  Cambrai,  une  série 
(le  Dits  ou  Proverbes  des  philosophes,  également  en  français;  enfin 
quelques  notes  historiques,  grâce  auxquelles  les  auteurs  de  la  Gallia 
rliristiana ,  au  défaut  des  archives  que  les  guerres  avaient  détruites, 
ont  pu  fixer  la  chronologie  des  abbesses  d'Origny  au  xiii"  siècle  et  au 
début  du  X1V-.  Après  Claude  llemeré''',  les  Bollandistesontégalement 
ntilisé  ce  manuscrit  pour  leur  édition  de  la  vie  de  sainte  Benoîte  et 
pour  le  commentaire  qui  la  jirécède  dans  h;  tome  IV  d'octobre  des 
A  (la  .sanclorum^-'. 

Nous  savons  la  date  j)rocise  de  cette  compilation  :  «  Cis  livres  lu 
M  fais  l'an  de  grâce  mil  CGC  et  quinze»,  est-il  dit  à  la  page  2  55  du 
manuscrit;  et  plus  loin  une  autre  note  nous  apprend  que  c'est  une 
religieuse  d'Origny,  lléloïsede  Conflans,  sans  doute  la  trésorière  de 
l'abbaye,  qui  a  présidé  à  sa  rédaction.  Son  nom  est  consigné  en  ces 
termes,  à  la  page  335  :  «Je  lleluis  de  Conlllans,  qui  ce  livre  fis  es- 
crire.  >i  lléloise  de  Conflans  était-elle  fille  de  Hugues  III,  seigneur 
de  Conflans,  comme  le  disent  le  P.  Anselme  et  Dufourny'*',  qui  lui 
donnent  le  prénom  d'Hélène  et  lui  attribuent  improprement  le  litre 
d'abbesse  d'Origny  ?  Puen  ne  permet  de  coidirmer  ou  de  contredire 
leur  assertion 

H.   0. 

''   .Ju'/(;<((i  Virnmanilnornin  viiulicnta  et  itlii'^-  ■^'  Histoire  (fénéalogiqac  et  clironolofjiqae  ilc 

((•((te  (Paris,  i6'i3,  in-4°),  p.  6o  ot  3?.8-33o.         la  Maison  de  h'iance ,  3°  édit.   (1730),  t.  VI, 
'')  Page  -j  i/i  el  suiv.  p.  1  '|.">. 


UlSr.    I.ITTEB. 

3   ♦ 


81 


ADDITIONS   ET  CORRECTIONS. 


P.  i38.         Écrits  ATTiiiiu  j':s  À  Guillaume  Dlram. 

GniHaume  Durant  dut,  comme  il  est  dit  au  cours  de  sa  notice, 
poursuivre  un  procès  qui  se  débattait  depuis  nombre  d'années  entre 
ses  prédécesseurs  et  l'administration  royale.  Ce  procès  portait  sur  les 
attributs  de  la  souveraineté  que  les  évèques  de  Mende  revendiquaient 
sur  le  Gévaudan,  en  vertu,  disaient-ils,  d'une  coutume  immémoriale 
reconnue  et  consacrée  par  le  célèbre  diplôme  de  Louis  Vil  dit  Bulle 
d'Or'"'.  C'est  à  Guillaume  Durant  qu'il  échut  de  terminer  à  l'amiable 
ce  conllit  par  la  convention  de  pariage  passée  entre  lui  et  Philippe 
le  Bel  en  février  i  Soy  *"^'. 

Quelques  années  plus  tôt,  dans  la  dernière  phase  du  procès,  alors 
(jue  les  intérêts  du  roi  étaient  confiés  à  Guillaume  de  Plaisians'^',  les 
arguments  qui  pouvaient  être  invoqués  au  proht  de  la  cause  de 
l'évèque  furent  réunis  et  exposés  avec  une  grande  richesse  de  dévelop- 
pements dans  un  copieux  mémoire.  Ce  mémoire  est  conservé  aux 
Archives  départementales  de  la  Lozère,  dans  le  fonds  de  l'évèrhé  de 
Mende  (G  ySo).  En  1896  et  1897,  il  a  été  publié,  sauf  quelques  par- 
ties, pour  la  II  Société  d'agriculture,  industrie,  sciences  et  arts»  du 
département,  par  MM.  Maisonobe  et  Porée''',  avec  le  concours  de 
M.  le  chanoine  Bemize. 

Il  n'est  aucune  œuvre  juridicjue  du  tenqjs  qui  présente  un  plus 
haut  intérêt  pour  l'histoire  du  droit  et  des  institutions.  Toutes 
les  questions  importantes  qui,  au  début  du  xiv"  siècle,  divisaient  les 
esprits  dans  le  domaine  du  droit  public  y  sont  très  amplement  dis- 
cutées. L'auteur,  pour  démontrer  les  droits  des  évèques,  passe  en 
revue  les  divers  attributs  de  la  souveraineté.  11  étudie  les  concessions 

'''  y\chill(>  Liichaiie,   Eludes  mr   les  actes  </'.■  publié  à  la  suite  dfs  tomes  XLVIII  et  \L1X 

Louis  17/ (Paris,  i885) ,  n° /|5:!.  (1896  et  1897)  du  B((//e/in  de  la  Société  cl';if,'ii- 

'"'  Voir  ci-dessus,  p.  20.  culture,    industrie,    sciences  et   arts    du    dc- 

'''  Cela    résulte  de  divers  passages  du  nié-  prtenicnl    de    la    Lozère.     Le    mémoire    csl 

moire  que  nous  signalons.  constitué  par  deux  fascicules,  avec  une  M-ule 

'*'     Mémoire  relatif  nu    pariage   île    1307.  pagination. 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS.  6.'i;i 

(iiii  en  ont  été  faites,  expressément  ou  tacitement;  il  s'efforce  de 
]ironver  que  ces  concessions  sont  conformes  au  droit  et  que,  en  tout 
cas,  des  aliénations  de  la  souveraineté  peuvent  être  fondées  sur  la 
coutume  ou  sur  la  prescription.  Il  analyse  la  relation  féodale,  et  la 
suit  dans  ses  conséquences,  afin  d'établir  solidement  la  suzeraineté 
(les  tWèques  sur  les  indociles  barons  du  Gévaudan.  Il  traile  des 
immunités  ecclésiastiques  et,  à  cette  occasion,  soutient  la  thèse  qu'un 
(lit^nitaire  de  l'Église  peut  être  à  la  fois  prélat  et  baron,  c'est  à-dire 
cumuler  la  juridiction  spirituelle  et  la  puissance  dans  l'ordre 
lemjîorel.  Pour  mieux  caractériser  la  situation  qu'il  attribue  à  l'évêque 
\is-à-vis  du  roi,  il  l'assimile,  non  sans  hardiesse,  à  celle  du  roi,  indé- 
])endant  au  lenq^orel  vis-à-vis  de  l'Empereur,  qui  lui-même  est  mo- 
narque universel,  ou,  comme  les  juristes  le  répétaient ,  dominus  mnndi; 
il  est  ainsi  amené  à  examiner  la  question  délicate  des  rapports  du 
roi  et  de  l'Empereur.  Il  serait  trop  long  d'indiquer  ici  toutes  les  con- 
troverses de  dioit  ])ublic  que  résout  l'auteur  de  ce  mémoire  : 
plusieurs  d'entre  celles  que  nous  avons  signalées  seront  de  nouveau 
discutées,  à  grand  renfort  d'arguments,  lors  delà  célèbre  assemblée 
tenue  au  Bois  de  Vincennes  en  i  828  et  iSag. 

\  côté  de  la  discussion  des  points  de  droit,  le  mémoire  sur  le 
pariage  de  Mende  contient  de  longues  et  importantes  discussions  de 
lait  qui  intéressent  l'histoire  du  Gévaudan  pendant  plus  d'un  siècle;  il 
s'agiten  effet,  pour  l'auteur,  de  montrer  l'usage  qu'ont  fait  les  évêques 
desdivers  attributs  de  la  souveraineté.  11  ne  néglige  rien  pour  mettre  en 
lumière,  par  de  nombreux  témoignages,  les  ellorts  persévérants  des 
évêques  soucieux  de  maintenir  dans  le  pays  l'ordre  et  la  paix  mena- 
cés par  les  entreprises  des  barons  :  les  évêques  se  servent  pour  cela, 
non  seulement  des  ressources  que  leur  fournit  la  dotation  de  leur  évê- 
ché,  mais  de  celles  qu'ils  trouvent  dans  la  levée  d'un  impôt  spécial,  ou 
compois,  perçu  dans  tout  le  diocèse,  et  entretiennent  ainsi  une  sorte 
de  gendarmerie  destinée  à  contenir  et  à  châtier  les  perturbateurs.  Les 
avocats  de  l'évêque  sentaient  bien  que  cet  argument ,  ibndé  sur  les  ser- 
vices rendus,  était  capital.  Ceux  de  Philippe  le  Bel  le  comprenaient 
aussi  et  ne  manquaient  pas  de  répondre  que  les  efforts  des  prélats  avaient 
été  impuissants  et  que  la  paix  du  roi  valait  bien  mieux  que  celle  de 
l'évêque.  Quoi  qu'il  en  faille  penser,  les  historiens  du  Gévaudan  trouve- 
lont  dans  ce  mémoire  une  abondante  minede  précieux  renseignements. 

«1 . 


644  ADDlTlOiNS  ET  CORBECTIO.NS. 

Il  n'est  pas  impossible  de  déterminer  la  date  à  laquelle  il  lut  com- 
])osé'".  L'auteur  y  dit  que  la  cause  dont  il  traite  est  depuis  vingt- 
deux  ans  en  état,  et  que,  depuis  le  début  de  cette  période,  terme  est 
donné  à  chaque  parlement  pour  le  prononcé  de  la  sentence.  Or,  il  a 
pris  soin  d'informer  le  lecteur  que  les  derniers  actes  de  l'instruction 
ont  été  accomplis  en  i  9,8 1  '■'.  Si  nous  comptons  vingt-deux  ans  à  partir 
(le  1281,  nous  obtenons  comme  date  de  la  rédaction  du  Mémoire 
l'année  i3o3.  Un  autre  renseignement  donné  par  l'auteur  nous  con- 
duit au  même  résultat.  H  mentionne  la  publication  en  Gévaudan  d'une 
importante  ordonnance  royale  en  matière  monétaire;  cette  publi- 
cation eut  Heu,  dit-il,  il  n'y  a  pas  encore  huit  années''*'.  Il  s'agit,  très 
vraisemblablement,  des  mesures  prises  par  Philippe  le  Bel  en  1295. 
En  somme,  il  n'y  a,  ce  semble,  aucune  témérité  à  dater  ce  mémoire 
de  i3o3. 

11  n'est  pas  douteux  que  l'évêque  Guillaume  Durant  en  ait  été 
l'inspirateur,  l'aut-il  aller  plus  loin  et  dire,  avec  M.  Porée,  qu'il  en 
lut  l'auteur'*'.-*  iNous  ne  le  pensons  pas.  On  n'y  reconnaît  ni  sa  manière 
ni  son  style  et,  d'ailleurs,  quelle  qu'ait  été  sa  formation  juridique,  il 
ne  paraît  pas  (ju'il  ail  possédé,  en  droit  romain  et  en  procédure,  les 
connaissances  techniques  dont  l'auteur  du  Mémoire  donne  d'innom- 
brables et  manifestes  preuves.  Cet  écrit  doit,  à  notre  avis,  être  attribué 
à  un  praticien  de  la  région  méridionale,  familier  avec  les  affaires  du 
Gévaudan;  il  ne  serait  pas  absolument  invraisemblable  d'y  voir  l'œuvre 
d'un  des  premiers  avocats  de  Montpellier,  Bermond  de  Montferrier, 
qui  tenait  une  place  importante  aussi  bien  à  l'Université  qu'au  bar- 
leau  et  qui,  nous  le  savons  par  les  affirmations  de  son  élève  Pierre 
Jacobi,  était  un  défenseur  convaincu  des  immunités  du  clergé'^'.  Il 
faut  remarquer  que  Jacobi  lui-même,  quelques  années  plus  tard,  fut 
employé  par  Guillaume*  Durant  soit  comme  homme  d'affaires,  soit 
comme  officiai'*';  il  n'y  aurait  rien  de  surprenant  à  ce  que  l'évêque 

'''   Il    est   certainpineiil    po5téiie\ir   !i    1297,  '*'   Etudes  liistorhjna  sur  h  Géraudnn  [P»r\i, 

année    de    la    canonisntion    de   saint    Louis,  191 9),  p.  467. 

qui   V    est   toujours  appelé   beatus    Ludovicut ,  '''   Voir  notamment  la  l'iavlica  aurca  libello- 

v.l   au    3    mars     1398,    date    de     la    publica-  mm  de  Pierre  Jaco/'i  (Cologm",  i575),  p.  SgG. 

tion  du  Sexte,  qui  \  est  cilé  (cf.  liiiUetin  cité,  '*'  Cf.    Roger    Grand.    Un  jarisconsulte   du 

p.  5o5  ).  X I  y'    siècle,     Pierre   .lacobi,    auteur     de    la 

'■'   P.  543.  là  Praclica  aurea  '  ,dMM\a  Bihliothèqne  de  itcole 

<'    P.  111.  des  rlwHes ,  1918. 1.  LXXIX. 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS.  CiT. 

eût  été,  dès  le  début  du  xiV  siècle,  en  relations  avec  le  juriscousulle 
qui  fut  le  maître  et  le  protecteur  de  Jacobi.  Ce  n'est  là,  d'ailleurs, 
qu'une  hypothèse.  P.  F. 


P.  i49i  lignes  ly-'io.  M.  Eugène  Martin-Cliabol  a  trouvé  récoiu- 
ment  aux  Archives  de  Pise  le  procès-verbal  d'une  assend)lée  du 
Conseil  général  de  la  commune  de  celle  ville,  assemblée  tenue 
le  27  janvier  i3i8,  el  devant  laquelle  Bernard  Gui  et  Bertrand  de 
La  Tour  exposèrent  le  but  de  la  mission  que  leur  avait  confiée  le  pape 
Jean  XXII.  On  décida  qu'une  commission  de  «  sapientes  viri  >•  serait 
nommée  par  les  Anciens  et  répondrait  «  sicul  eis  videbitur  ».  M.  Martin- 
Chabot  a  lait  connaître  sa  découverte  dans  une  communication 
destinée  au  Congrès  des  Sociétés  savantes  de  1921,  et  intitulée  : 
Un  témoignage  du  séjour  à  Fisc  de  Bernard  Gui  et  de  Bertrand  de  La  'Jour 
durant  leur  mission  en  Italie.  A.   T. 

P.  201,  ligne  2  5.  \u  lieu  de  :  «  Pierre  de  Parentaise  »,  lire  :  <i  Pierre 
de  Tarentaise  I).  A.    l. 

P.  2i6,  lignes  1-2  et  note  1.  Le  manuscrit  de  Jean,  abbe  de 
Joyenval,  se  trouve  aujourd'hui  à  la  Bibholeca  comunale  ClicUiaita  de 
Grosseto,  en  Toscane,  où  il  porte  le  n°  1 .  11  a  été  signalé  dans  le  Fan- 
fulla  délia  domenica  du  29  mai  1910  par  le  bibliothécaire,  M.  le  ])ro- 
lesseur  Alfred  Segré,  et  l'on  en  trouve  une  description  sommaire,  par 
le  même  auteur,  dans  le  recueil  du  D'  Albano  Sorbelli,  intitulé  : 
Inventari  dei  manoscritti  délie  hihlioteche  d'Jtaha,  tome  XVi  (Forli, 
1910),  page  39.  tîràce  à  une  obligeante  communication  de  M.  le 
professeur  Segré,  nous  pouvons  donner  quelques  détails  plus  précis 
sur  ce  manuscrit  (parchemin,  à  2  colonnes,  xiv'  siècle)  et  sur 
son  ancien  propriétaire.  On  lit  en  tête  :  Cronica  Jratris  Uernurdi  Gtit- 
donis  empta  per  dominum  abhatem  Gaudlivallis.  A  la  lin  du  prologue 
des  Flores  clironicorum,  cet  abbé  a  mis  sa  signature  avec  paraphe  el 
son  titre  :  J.  Toppeti,  Gaudiivallis  abbas.  H  s'agit  donc  de  Jean  V 
Touppet,  sur  lequel  on  peut  voir,  outre  la  Gallia  christiana,  dont  les 
dates  (i432-i44o)  sont  sujettes  à  caution,  Denifle  et  Châtelain, 
Cliartularium  Universitatis  Parisiensis ,  tome  IV,  à  la  table,  et  M.  Four- 


040  ADDITIONS  KT  (.OKRKCTIONS. 

nier  et  L.  Dorez,  La  Facidlé  de  Décret  de  rihncrsilc  de  l\iris,  lome  I  ", 
pages  3  63,  '>85,  3o4,  3  19,  3^5,  et  tome  II,  pages  o  1 ,  60  et  i()()-i  10. 
On  trouve  dans  ce  nianusciùt,  qui  ne  contient  que  des  écrits  de  Ber- 
nard Gui,  les  suivants,  cpie  nous  désignons,  pour  abrégei-,  par  les 
numéros  qu'ils  portent  dans  notre  notice,  en  suivant  l'ordre  du 
manuscrit  :  9  (deuxième  édition),  10,  11,  i3  (troisième  édition), 
3o,  7  (deuxième  édition),  3,  /j ,  -îG  (dernière  édition),  39  (dernière 
édition),  T.")  (dernière  édition),  2/1  (dernière  édition),  37,  i5,  1  (|)i<'- 
mière  édition).  Soit,  en  tout,  quinze  articles.  A.    T. 

1*.  219,  art.  28.  lin  manuscrit,  aujourd'hui  perdu,  se  trouvait  au 
xvii"  siècle  dans  la  bibliothèque  de  l'abbaye  de  Pébrac,  diocèse  de 
Saint-Flour  (cant.  de  Langeac,  arr.  delhioude).  Un  extrait  de  l'arlicli' 
consacré  par  Bernard  Gui  à  saint  Marien  fut  e\j)é(lié  par  le  prieur 
l^ierre  Vaulcoret,  le  i3  janvier  i()r)8,  à  la  demande  des  ciianoines 
d'Evaux  (Creuse);  il  est  aujourd'hui  conservé  dans  la  collection  de 
M.  iMarant,  avoué  à  Cliambon-sur-Voueizc  (Creuse) ,  qui  a  bien  voulu 
nous  le  communiquer.  L'extrait  est  précédé  de  ce  titre  :  Extracliiin 
e  vetere  nifiiiiiscnplo  /ruirts  Berna nli  (îiiidonis,  Ordiins  Pnvdicalonini,  ni 
Iraelalu  (lUi  iiisvrdiihir  '<  \(>miita  saiuloram  Lcnwvicensis  diarests  » ,  asser- 
voto  in  iabhollieca  nioiiaslerii  Ikahr  Marne  Piperacensis .  .  .  A.  T. 


P.  2  53,  Dans  un  recueil  de  fragments  de  manuscrits  français 
(Bibl.  nat.,  n.  acq.  fr.  934)  se  trouvent  (|uelques  feuillets,  pour  la 
j>lupart  très  mulilés,  d'un  exemplaire  du  Livre  de  Marco  Polo,  (pii 
devront  être  pris  ou  considération  par  le  futur  éditeur,  s'il  s'en 
trouve,  de  l'ancien  texte  français.  Les  fragments  conservés  eor- 
rcspondent  aux  chapitres  cxv  et  cwi,  cxxvi  à  cxxyiii  (complets), 
cxxix,  oxxxvin,  (.XLVii  et  cxi.viii  de  l'édition  Pauthier.        C.   L. 


P.  3<)i.  iNotie  article  Pikruk  Gexcien  était  déjà  composé  en  pla- 
cards, directement  d'après  le  manuscrit  du  Vatican,  lors([ue  l'édition 
du  Tornnieinent ,  ])ar  M.  Mario  Pelaez,  a  été  publiée.  Il  était  tiré 
lorsque  a  paru,  en  1921,  dans  la  Romnnia  (t.  XLVl,  1920,  p.  /jo8), 
un  compte  rendu  étendu  de  cette  édition  par  M.  A.  Langfors. 


\l)l)ITI()NS  ET  CORRECTIONS.  0/i7 

l/auleur  du  compte  rendu  a  dressé  ]a  liste  des  noms  propres  qui 
ligurenl  dans  le  poème  (p.  4  io-4  i4  ),  ce  que  l'éditeur  avait  omis  de 
faire.  C.  L. 


P.  3{)3,  li<rne  8.  L'anniversaire  de  Thomas  de  Bailli  est  indiqué  au 
i5  juin  par  l'obituaire  du  Collège  du  (iardinal  Lemoine  [Recueil  des 
liistoriens  de  la  France.  Obilnaires,  t.  I*"',  Paris,  1902,  p.  776),  au  i/| 
(il).,  p.  227)  et  au  17  [ib.,  p.  218)  du  même  mois  par  ceux  de  la 
cathédrale.  G.   L. 


V.  827.  Hélaldissons  ici  une  note,  ace  idenlellcnicnl  omise. 

La  Chronique  rimée  de  Saint -Magloire,  continuée  jusqu'en  i3o4, 
est  très  remarquable  par  les  renseignements  (ju'elle  donne  sur  les 
inqjositions  de  la  dernière  décade  du  xiii"  siècle;  les  études  faites  de 
nos  jours  d'après  ce  qui  reste  de  la  comptabilité  royale  en  ont  confirmé 
la  précision  extraordinaire.  C'est  là  un  trait  de  ressemblance  à  noter 
entre  cette  Chronique  et  celle  de  Geh'oi  de  Paris. 

Ajoutons  fpie  le  manuscrit  lat.  9^27  de  la  Bibliothèque  nationale, 
qui  contenait  l'exemplaire  unique  de  cette  Chronique,  est  revenu  à  la 
Bibliothèque  en  deux  volumes  du  h)n(ls  Jiarrois,  mais  amputé  pré- 
cisément des  feuillets  où  elle  se  trouvait;  ces  feuillets  ont  été  proba- 
blement détruits  par  le  ])ourvoyeur  de  Barrois.  C.    L. 

P.  3''i4-  H  y  aurait  eu  lieu  de  revenir,  à  propos  de  l'article  Gefroi 
DE  Paris,  sur  le  Dit  de  Vérité,  dont  nos  devanciers  ont  écrit  que  c'est 
«  une  touchante  requête  de  iL^niversité  de  Paris  contre  les  puissants 
ennemis  qui  l'attaquaient  auprès  de  Blanche  de  Castille  et  de 
Louis  l\")ii  et  qu'ils  ont  datée  de  «vers  1256».  Il  est  évident,  en 
effet,  à  première  vue,  que,  contrairement  à  l'hypothèse  lancée 
en  l'air  par  A.  .lubinal  et  que  nos  devanciers  ont  essayé  de  justifier'^', 
ce  petit  poème  s'adresse  à  Philippe  le  Bel.  C'est,  suivant  l'expres- 
sion même  de  fauteur,  une  «leifre»  —  lettre  ouverte,  à  la  façon 
de  celles  qui  paraissent  maintenant  dans  les  journaux  —  contre  les 

'''  Histoire  litléitiiie,  l.  \XV,  p.  xxxi.  —   ''i   IbicL,  I.  XXIII,  p.  292  el  ^/^o. 


(Vis  additions  et  COURECTIONS. 

conseillers  de  ce  prince,  «  coupe  bourses  »,  suscileurs  et  profiteurs  de 
<>uerre,  ceux-là  mêmes  contre  lesquels  Gelroi  de  Paris  a  tant  écrit, 
tout  à  fait  dans  le  même  esprit. 

Cela  l'st  évident  même  lorsqu'on  litl'éclilion  expurgée  du  Dit  de  Verilé 
qui  se  trouve  dans  le  manuscrit  français  12483  de  la  Bibliothèque 
nationale''',  publiée  par  A.  Jubinal'-',  comme  nos  devanciers  l'ont  pu 
faire.  Mais  cela  l'est  davantage  encore  lorsqu'on  étudie  celte  pièce 
dans  le  manuscrit  CXX\.  E.  5  de  la  Bibliothèque  de  l'Université  de 
l*avie,  où  non  seulement  le  texte  en  est  plus  correct,  mais  où  elle  est 
sensiblement  plus  longue  (cinquante  vers  de  plus]'^'. 

L'auteur  du  dit  s'adresse  au  roi  de  France,  au  nom  de  la  Vérité, 
(pii  a  été  chassée  de  sa  cour  (et  qui  n'a  pas  trouvé  un  asile  à  Rome)  : 

Mdii  mou  ont  di'  ta  court  <-lia<ii'', 
()u'il  ti'  ^oiiloit  avoir  lacu\ 
Parmi  les  flans .  .  . 

Pourijuoi?  Par  qui?  «  Par  tele  gent  que  je  no  nomme,  faus,  des- 
«loiaus»,  qui  justifient  par  là  le  proverbe  :  «  Onques  mauvais  n'ama 
"  preudomme.  »  (les  gens  ne  seraient  pas  (  maîtres  ",  et  ils  le  sont, 
si  la  Vérité  était  là,  comme  jadis  : 

(),").  Tu  crois  tel  gent  qui  le  font  pcistre''':  Cil  qui  a  i'cscu  et  au  hyaume 

C'est  grand  meschief.  Et  a  lespée 

Se  g'y  niainsisse,  par  mon  chief.  Ont  rcceii  mainte  colée 

Ti'l  gcnt  ne  fussent  mie  cliief  En  combatant  por  ta  contrée 

De  ton  royaume  En  tussent  maistre'^'.  .  . 

Qui  si  se  font  oindre  la  paume!  Mais  lout  va  ce  devant  derrière'*''.  .  . 

"Ha,  gentilz  sires»,  dit  la  Vérité,  rappelle-moi  et  je  démasquerai 
les  coupables;  je  découvrirai  «  le  pot  aus  roses  »  : 

,li'  le  trairai  de  tel  merele  Quanque  j'i  saurai,  bout  a  bout'". 

Que  cil  cberront  en  la  berele'^'.  .  .  Ni  ara  ni  tel  ni  estout 

Je  dirai  tout  Qui  ne  me  doute. 

'''  .\oh(■cset€J:t^^itsdeslnanusct■^ls,^. XWW,  '''  Cl.    la    (chronique    île    GelVoi    de    Paris, 

■y  p.,  |).  OaA.  V.  159J,  r)47o. 

'■'   A.. lubinal,  iVouveau  rctnei/...,  l.  II,  p.  83.  '*'  Ibid. ,  \>.  io.'),col.  a. 

'■■'  iNolice  et  extraits  du  ms.  de  l'avie,    par  '"'  Ibid.,    v.    tjoi,   5236,  7303.   Cf.    |)lus 

A.     Miissafin,    dans    les     Sitzungsberiihlc     de  haut,  p.  34>,  34t). 
rAradémic  de  Vienne,  phil.  et  liist.,  t.  L\l\  '"'   Ihid.,  v.  198,  7i4o,  "J'^àj- 

1870),  p.  575.  Cf.   Romanin ,  t.   I",   p.    a.'iG.  ■■'   Ibid. ,  w.  6'S  1-2. 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS.  .     6/1 9 

Tieus  qui  chevauchent  on  ta  route  Des  desloiaus 

Ne  verront  dedens.i.  an  goûte  Qui,  par  presens  et  par  joiaus. 

Se  me  rapeles.  Ont  contre  les  francs  hons"'roiaus 
Car  j'estendré  si  haut  mes  eles  Tant  meserré .  .  . 

Que  tu  sauras  bien  les  nouveies 

«Roys,  rapele  moy,  si  tu  oses  »  Mais  tu  n'oseras  pas;  car  les 
M  mestres  qui  t'ont  pris  en  cure  »  s'y  opposeront  :  «  Chaz  scot  trop  bien 
«  que!  barbe  il  leiche.  »  Vœu  final  : 

Dic\  doint  que  ne  sciés  trahi*^'! 

A  lire,  dans  le  manuscrit  de  Paris,  le  Dit  que  nous  venons  d'analyser, 
on  a  l'impression  d'une  identité  assez  frappante  de  pensée  et  d'expres- 
sion entre  ce  petit  poème,  verbeux,  mais  où  il  y  a  de  la  verve,  riche 
en  trouvailles  de  mots,  et  les  ouvrages  connus  de  Gefroi  de  Paris  qui 
offrent  les  mêmes  caractères'^'.  Mais  le  manuscrit  de  Paris  ne  présente, 
nous  l'avons  dit,  qu'une  édition  expurgée,  réduite  aux  généralités. 
Dans  le  manuscrit  dePavie,  quelqu'un  est  personnellement  visé  par 
l'auteur,  et  l'ouvrage  est  daté. 

L'invective  ad  hominein  est  d'une  violence  inouïe  : 

Tu  es  ravii  !  Aus  dames  convcndra  prester 

Mémento,  Domine,  David,  Et  du  cuir  a  poil  acheter 
Qui  tant  pense  as  cons  et  as  viz,  De  ton  avoir; 

Com  grant  haillic  (îrant  honte  en  deiisses  avoir. 

Tu  li  as  livrée  et  baillie.  Le  pucple,  ce  dois  tu  savoir, 
Honeur  ne  H  est  pas  faillie  Si  s'en  corroucc 

Pour  crupeter.  Ne  n'est  merveille  s'il  en  grouce. 

Quels  accents!  Mais  le  rimeur  ne  s'en  tient  pas  là  : 

Por  ce  voeil  je  ma  bouche  ouvrir  Propter  David,  sei-vum  tunin^^>, 
Por  ce  grant  barat  descouvrir  :  De  Chaaliz, 

Bien  fet  a  dire.  Qui  de  Margot  et  d'Aeliz 

Ticx  choses  nous  toUent  le  rire,  Est  si  durement  achaliz. 
Si  que  de  grant  angoisse  et  d'ire  Si  com  l'en  conte; 

Touz  tressuon.  Or  l'as  tu  fel  pareil  a  conte .... 
Merveille  est  que  ne  nous  tuon 

*''   Ms.  de  Pavie  :  hoirs.  —  iRoIausi   pour  analogues  à  ceux  que  nous  avons  faits  pour  les 

•  loiRus  s  ?  passages  cités  ici ,  à  propos  du  reste  de  ia  pièce. 
'*'  Chronique  de  Gefroi  de  Paris,  v.    i5io.  '*'  Cf.  la  Chronique  de  Gefroi,  v.   ()8i8  : 

'*'  Onpourraitmultiplierlesrapprochcments,  t  Prions  tuil  Dieu  propler  eam.  » 

BIST.  Linén.  —  XXXV.  8a 


650  ADDITIONS  ET  CORRFXTIONS. 

I^a  date  est  très  précise  : 

Ici  veil  fcnir  ct'ste  leitrc  .  .  .  V.n  l'an  M  o  CGC,  V  mains, 

El  lu  donnée  Lescript,  en  dispit  des  Romains, 

Eu  ce  mois  d'aoust,  a  l'entrée,  A  ma  requeste. 

\  Orlii'us ,  ciliés  Gdillo  i  FusÉi:  Frans  nrys ,  se  In  aimes  la  teste  , 

Qui,  a  SCS  mains,  Fai  snr  tes  pins  privez  cnqneste. 

dette  pièce  remarquable  fut  donc  écrite,  et  très  probablement 
composée,  à  Orléans,  au  commencement  du  mois  d'août  1295'". 
Et  Guillot  Fusée  est  le  nom  du  copiste,  sinon  de  l'auteur. 

Mais  quel  est  le  personnage,  accusé  de  mauvaises  mœurs  en  termes 
si  énergiques,  qui  es!  désigné  ici  sous  le  nom  biblique  de  David,  et 
qui  était  «de  Cliaaliz  n'-\^  Dès  1870,  A.  Mussalia  a  iait  appel  sur  ce 
point  à  la  perspicacité  des  «  connaisseurs  de  l'histoire  de  France  an 
temps  de  Philippe  le  Bel",  mais,  jusqu'ici,  sans  résultat.  —  On  est 
tenté,  au  premier  abord,  de  soupçonner  sous  ce  mas(|ne  un  des  prin- 
cipaux minisires  du  roi  :  quelqu'un  comme  Guillaume  Flote,  par 
exemple;  mais  il  n'y  a  aucun  rapport  connu  entre  Flote  et  Chaalis. 
Il  nous  semble  beaucoup  plus  probable  qu'il  s'agit  d'un  agent  du  roi 
dont  l'importance  n'était  de  premier  ordre  qu'à  Orléans,  la  ville  d'où 
l'écrit  est  daté.  Le  fonctionnaire  à  qui  le  roi  a  confié  une  «  grant 
baillie  »  [ïe  bailliage  d'Orléans  était  un  des  principaux  du  royaume), 
le  faisant  ainsi  «pareil  a  conte»,  et  que  le  peuple  se  courrouce  de 
voir  dépenser  l'argent  du  gouvernement  avec  des  femmes,  ne  saurait 
guère  être  qu'un  agent  local  et,  nommément,  le  bailli  d'Orléans.  Or, 
en  1  2()5,  le  bailli  d'Orléans  était  Pierre  Saimel  ou  Saimiaus  :  un  nom 
fréquent  dans  le  Valois,  où  se  trouve  Chaalis'"''.  Ce  Pierre  Saimel  avait 
eu  une  carrière  assez  exceptionnelle  :  d'abord  bailli  d'Amiens  (1281- 
1286),  ])uis  de  Vitri  (1287  ],  il  était  devenu  ensuite  prévôt  de  Paris; 
mais  à  ce  poste,  qui  conduisait  d'habitude  à  de  très  hautes  situations 
dans  l'administration  centrale,  il  ne  resta  qu'un  an  ou  deux.  Il  passa 
de  là,  de  nouveau  en  cjualité  de  bailli,  ce  qui  était  déchoir,  à  Orléans, 

'■   Celle  (lalo  csl  certaine.  \  oir  la  vnrianlc  '*'   Chaalis,    c"*  de   Fontaine-lcs-Corps-Nud» 

du  ms.  de  Pavie  aux  vers  83-8'i  :  «Lurs  n'avoies  (Oise). 

«tu   nule    guerre    —    N'en    Gascoignc    n'en  '''  Ce  nom  dérive  de  saim,  qui  veut    dire 

«Angleterre    —    N'en     Normandie...  «;    an  «graisse,   pellicule  qui   se   forme  sur  le  lall». 

lieu  de  la  leçon  vague  :  tEs  des  d'environ  ta  Mais  il  lait  penser  à  «  Samuel»  (d'où  le  sobriquet 

terre  —  N'aiilre  partie.  .  .  »  de  David?'. 


ADDITIONS  ET  COKHECTIONS.  051 

puis  à  Troyes,  enfin  à  Tours'"'.  Conformément  au  vœu  exprimé  par  le 
rimeur  dans  ses  deux  derniers  vers  précités,  Pierre  Saimel  fut  sou- 
mis, lorsqu'il  sortit  de  charge  à  Orléans  en  1296,  pour  sa  gestion  du 
bailliage  entre  129-2  et  i.jg5,à  une  enquête  par  enquêteurs-réfor- 
mateurs (ce  ((ui  n'avait,  du  reste,  rien  d'exceptionnel);  et  le  hasard  a 
conservé  des  fragments  de  cette  enquête  —  où,  à  la  vérité,  il  n'est 
question  que  de  la  brutalité  du  personnage,  non  de  ses  mœurs'-l 

Concluons.  Si  l'édition  expurgée  en  avait  été  conservée  seule,  on 
pourrait,  sous  toutes  réserves,  attribuer  le  Dit  de  Venté  à  Gefroi  de 
Paris,  en  raison  des  analogies  certaines  d'attitude  et  de  vocabulaire 
que  nous  avons  signalées.  Ce  serait  alors  un  ouvrage  de  jeunesse;  à 
([uoi  l'extraordinaire  virulence  du  poème  ne  contredit  certes  pas. 
D'autre  part,  l'édition  non  expurgée  porte  à  croire  que  le  poème  est, 
sinon  d'un  certain  Guillot  Fusée,  d'Orléans,  du  moins  d'un  rimeur 
Orléanais.  En  ce  cas,  il  faut  admettre  que  ce  rimeur,  jusqu'à  présent  in- 
connu, avait  du  talent,  et  un  talent  qui  fait  jienser  constamment  à 
celui  de  notre  Cefroi.  Entre  Rutebenf  et  Villon  il  y  a  eu  plus  de  poètes 
de  leur  famille  sjiirituelle  qu'on  ne  le  pense  communément.      C.  L. 


P.  365  et  874.  Nous  avons  dit  que  le  jurisconsulte  Gaillard  de  Dur- 
fort  avait  pu  être  le  collègue  de  Guillaume  du  Cun  lorsque  celui-ci 
enseignait  à  Toulouse  en  1 3  1 6  et  en  1 3 1 7 .  En  réalité ,  Gaillard ,  à  cette 
époque,  était  encore  un  étudiant;  en  iSao,  il  n'avait  pas  achevé  ses 
éludes  de  droit  (Mollat,  Lettres  communes  de  Jean  XXII,  n°  12671). 
Si  un  membre  de  la  famille  de  Durfort  a  enseigné  le  droit  à  Toulouse 
en  même  temps  que  Guillaume  du  Cun,  ce  fut  peut-être  Guillaume 
de  Durfort,  chapelain  du  Pape,  que  nous  retrouvons  plus  tard  cha- 
noine du  Puy  et  de  Narbonne  et  ([ui  fut  professeur  de  droit  civil 
{Ibid.,n°'  23831,23836,  28889,  26358,  30917).  —  Sur  Gaillard 
de  Durfort,  voir  la  notice  publiée  par  Paul  Fournier  dans  la  Nouvelle 
revue  d'histoire  du  droit  français  et  étranger  (année  1920)  au  cours  de 
ses  Notes  sur  (juchjucs  canonislcs  du  xiv'  siècle.  P.   F. 

<■'  L.  Delisle,  Préface  du  t.  XXIV  des  Mis-  ''*  Cli.-V.     Langlols,     Doléances     recueillies 

toriens  de  la  France.  C'est  par  distraction  que  par  les  enquêteurs ...  des  derniers  Capétiens 
l'auteur  dit  (p.  28)  que  Pierre  Saimel  fut  directs,  dans  la  Revue  historique,  t.  C  (1909), 
bailli  de  Caen  avant  d'aller  à  Paris.  p.  74- 

82. 


TABLE  DES  AUTEURS  ET  DES  MATIÈRES. 


Abano  (Pierre  d'). 

ABC  d'Asselin  du  Pont  à-Mousson ,  3^à- 

AMU  [Jofroi  (f). 

Adim  iGiilladmk). 

Adam  d^Orldnns,  >icomte  royal  de  Coutances, 
Sgo-Sgj. 

Advocacic  Aoilre  Dame,  387-388. 

Ailli  [Pierre  d'). 

Aimeri  Hugonis.  évéque  de  Lodève,  i&i, 

Aimeri  de  Plaisance,  maitre  général  de  l'Ordro 
:\es,  Dominicains,  191. 

Albert  de  Gandino .  dorteur  de  Bologne,  363. 

Albumazar,  632. 

Aldebert  de  Peyre.  prieur  d'Ispagnac,  18,  /|5. 

Alexis  [Guillnume). 

Alfari  (Jordan  d']. 

Alice  de  Beaufort,  tanto  de  Philippe  V,  'ii'i-4i5. 

Alkindus ,  63i. 

Antand  [Henri). 

Amnari  Aujier,  181. 

Amoros  [Behnird]. 

André  de  La  Pierre,  chevalier  d'Artois,  593. 

Andreoln  Catani.  noble  génois,  368. 

Anjou.  Voir  Compilatio. 

Amnedx  (Je*n  I)'). 

A.NO]«TMES.  Anonyme  de  Bayeui  .auteur  de  quatre 
poèmes  on  français,  385-3g4;  —  italien,  auteur 
d'une  traduction  en  français  des  Lettres  de  Sénèque 
à  Luciliu»,  633-635;  —  auteur  de  la  Compilatio  de 
luibui  Andegavic.  6i3-6i5-,  —  auteur  du  Coatumier 
d  Artois.  609-613;  —  auteur  du  Dit  des  moustiers 
de  Paris.  636-637;  —  auteur  des  «Divisions 
des  .Lxxii.  hiautés  qui  sont  en  dames  1,  637-638; 
—  auteur  d'une  Exhortation  de  circonstance  à  la 


charité,  en  vers,  636;  —  auteur  du  Livre  de  /« 
tresorye  de  l'abbaye  d'Origny,  6io-6^i. 

Aragon  [Jean  d']. 

Abblant  (ëtiekne). 

Arbor  aclionum.  Leclura  de  Hugues  de  Carols 
sur  cet  ouvrage,  616-617. 

.irci  (Jean  d']. 

.Xrmaijnac  [Bernard  VI.  Gaston  d). 

Armand  de  Narcis .  professeur  à  Toulouse ,  ar- 
chevêque d'Aix,  365,  369,.  374,  470. 

Aruengadd  Blaise,  de  Montpellier,  médecin, 
63o-63i. 

Arnaud  Duèse .  vicomte  de  Caraman,  367. 

Arnaud  Guidonis,  maître  en  théologie,  iio. 

Arnaud  Roiard,  frère  mineur,  évêque  de  Sarlat, 
463-467. 

Arnaud  de  Serano.  frère  mineur,  provincial  d'A- 
quitaine, 363. 

Arnaud  de  Trian  .  neveu  de  Jean  XXII,  iG4. 

Arnadu  Vidal,  de  Castelnaudari ,  troubadour, 
premier  lauréat  des  Jeux  Floraux,  5i3'Ô36, 

Arnoci.  de  Qdimqoempoix  ,  médecin  et  astrologue, 
630-633 

Arrablay  (Cardinal  d'),  3o3. 

Arii(jie  [Priore.'  Ordinis),  de  Bernard  Gui,  309. 

Artois.  Comptes,  399.  —   Coutumier,   609-613. 

ASSELIN  DD  PoNT-À-SloOSSON,  Sgi. 
Assise  [Jacques  d' ). 

Astori/  de  Peyre,  17,  18,  3/1,  43,  46. 
At  [RaimonJ]. 
Augier  [Amawi). 
Auxerre  [Guillaume  d'). 

Ave  Maria  de  Margueron  du  Pont  Rcn^mont, 
596. 


Bacevu  [Martyre  de  saint),  336-338. 
HkiLLi  [Baudouin .  Jean,  Pierre,  Thomas  de). 
Baxcai,  (  Raimond). 
Barot  [ Raimond). 

Barthélemi  Fléciiier,   maitre  es  arts,  recteur 
de  l'Université  de  Toulouse,  630-633. 


Bartkélemi  Siginulfo,  comte  de  Caserte,  633-634. 
Bartolt,  auteur  supposé  du  Processus  Satanœ  contra 
B.  Virgin*m,  387. 
Bassien  [Jean]. 
Baudoain  de  Bailli.  3o3. 

Bll'DOUIK   DB  CONDÉ,  434-435. 


f)54 


TABLE  DES  AUTEURS 


Baudouin  de  Luxembourq ,  archevêque  (le  Tr:\e^, 
ÔSs. 

Baycus.  Voir  Chujicleiic. 

Bvaujort  [Alice  de). 

Becoiseau ,  rbàteau  royal,  Sgg. 

Belteperche  [Pierre  de). 

Benais  [Pierre  de). 

Béqdin  (Raimond). 

Btjrand  VU  de  Mercœur,  conmlable  de  Cliam- 
pn^ne.  Ses  (liOereods  aver  Guillaume  Durant,  Q^, 
3ç,^-.',h. 

Bérenyer  de  Ijuidorre,  maître  général  de  l'Ordre 
des  Dominicains,  i5o,  i5i,  i6o,  177. 

Berenjaicr  de  SanlPlanciit ,  l'un  des  fondateurs 
des  Jeux  Fioraui,  5o6. 

Bcrmond  de  Montferner,  auteur  possible  d'un  mé- 
moire attribué  à  Guillaume  Durant,  644- 

Bernard  [Guillaume]. 

Bernard  Amoros,  de  Salnl-Flour,  collectionneur 
de  poé^ies  en  provençal  et  en  latin,  526-532. 

Bernard  lld.irma(]nac,iô. 

Bernard  Gii,  frire  prêcheur,  évêque  de  Lodève, 
i.'ip-sSa  et  G45-646.  —  Sa  vie,  i^oiSS.  —  Ses 
l'crils,  i,t5-232  et  645-640:  Théologie,  iS6-i58 
Liturgie,  1 58- 160;  Hagiographie,  160-170;  His 
toirc  des  conciles,  170-175-,  des  papes,  176-187 
de-i  empereurs,  187-188;  des  rois  de  France  et 
gé(igrBj)hie  de  la  Gaule,  1881 92;  des  Dominicains 
I  ()2-2o3  ;  de  l'Inquisition ,  2o3-309  ;  Histoire  locale 
209-230  :  Limoges,  209-224,  645-646;  Toulouse 


234-226;  Lodève,  22O-230.  —  Écriti  rausscmcnt 
attribués,  23o-232. 

Bernard  Jnarduin,  seigneur  de  l'Isle,  362,  367- 
368 ,  370. 

Bernard  de  Panassac,  troubadour,  l'un  des 
fondateurs  des  Jeux  Florauï,  5o4-ôi2. 

Bernai d  de  Bibcra,  frère  prrêlieur,  54o,  S'il, 
548,  549. 

Bernât  O'/i .  I  un  des  fondateurs  des  Jeux  Flo- 
raux, 5oti ,  .uô. 

Bertaut  de  CImsiiUon,  sergent  du  roi,  638 

Bertrand  de  La  Tour,  frère  mineur,  archevêque 
de  Salerne,puis  cardinal,  i46,  149,  463,  645. 

Bertrand  de  Alontfavet ,  cardinal,  366,  470. 

Bertrand  du  Pnurjel  .  cardinal,   149. 

Bertrand  de  Saint-Geniès .  patriarclie  d'Aquilée, 
470. 

Bélhune  [Robert  de). 

Bierp  (  Tliierri  de). 

Biqamie  [Dit  de),  32i-3a4- 

Biaise  {.irmenijatid). 

Blanci  (Jean  de). 

Btois.  Comptes,  4oo;  —  Comtes  de  la  maison  de 
Blois.  Voir  Gui  et  Huijurs  de  Clidtillon. 

Blois  [Charles  de). 

Bonati  (Gui). 

Bhassemex  (Watbiqdet;. 

Brocard  ou  Bnrcliard  du  ilont-.Sion,  auteur  su|>- 
posé  du  Directoriuni   ad  passagium   faciendum ,  283. 

Bmidan  [Jcan\ 


Cambrai  [Guiart,  Pierre  de). 

Canio  [  Pey). 

Canlelnup  [Thomas  de). 

Carols  (HiccES  de). 

Cassagnes  (Jesselin  de). 

Catala  (Jordan). 

Catani  [.indreolo). 

Cénarel  [Gui  de). 

Ccsiine  [Pierre  de). 

Chaillou  de  Pesstain.  glossateur  du  roman  de 
Fauvel.  345,  4 12. 

Chanson  à  la  Vierge,  par  Arnaud  Vidal,  525. 

Chapclerie  Noslre  Dame  de  Baiex ,  388-394. 

Chanté  [Exhortation  à  la),  en  vers,  636. 

Charles  de  Blois,  duc  de  Bretagne,  899. 

Chastel  dAmoTs,  424. 

Chastitlon  [Bertaut  de). 

Chàlillon  [Gaucher,  Gai,  Hugues  de). 

Chepoix  [Thibaut  de). 

Chrnnicoram  [Flores],  de  Bernard  Gui,   176. 

Chroniijue .  en  vers,  de  l'abbaye  de  Saint-Ma- 
gloire  de  Paris,  327. 

Clémence  Isaure.  5o4. 

Clémentines.  Apparatus  de    Guillaume  de  Mont- 


lauzun,  477,  5oo.  —  Commentaire  de  Jessclin  de 
Cassagnes,  354-36o.  —  Compilation  de  Simon 
Vairel,  608-609.  —  Requête  des  Frères  Mmeurs, 
342-343.  —  Voir  Septième. 

Cocatrix  [G.) ,  3oî. 

Code.  Lectura  de  Guillaume  du  Cun,  372- 
385. 

CompHatio  de  usibus  et  consuetudinibus  Andegavie, 
6i3-6iô. 

CoM.iLES.  Tractatus  de  modo  celebrandi  concilii ,  de 
Guillaume  Durant,  79.  —  Opuscules  de  Bernard 
Gui,  171,  178;  -  de  Guillaume  Le  Maire,  29, 
i38. 

Conçois  [Jacques  de). 

CoNDK  (Jea\  de). 

Condé  [Baudouin,  Pierre  de). 

Confez  [Jean  le). 

Conjlans  [HéloUe  de). 

Consalvas ,  frère  mineur,  3o5. 

Copia,  ménestrel,  4oi. 

Coppo  Jannutri,  de  Florence,  curé  de  S«int- 
Amand-en-Puelle,  456. 

Corbel  [Geoff'roi). 

Cornet  ' Baimond  de). 


ET  DES  MATIERES. 


655 


Cnuipalai  { Pierre  d 
(/'ourfoij  [Jean  ). 
Coutamier  d'Anjou, 
lois,  609-612. 


6i3-6i5. —  Coutitmiei    il'li 


Credo.  Voir  Henreis  de  Iteis  et  Mkhclcl  Petitpain. 

(iri'pi  { Guillaume  de). 

Cites  [Nicolas  de). 

(Un  (Gdillaume,  Pierre  du). 


Dômes.  Voir  Divisions  ot   Tornoiement. 

Décret.  Décrétâtes  et  Se.vte.  Tables  de  Nicola-- 
«l'Enneiat,  606-607. 

Décrctales.  Apparatns  fausseDient  atlriltuù  à  Jes- 
selin  (le  Cassagnes,  36i. 

Dc/ean  [Gaucelm). 

Digeste.  Leclnra  de  riuillauino  du  (iiiii,  372- 
385. 

Directorinm  ad  pussa<jiiim  fncieiulun  ,  (aiisstnirnt 
attribué  à  Guillauiiic'  .\dam,  38!-383. 

Discipiilornm  Damini  J.  C.  (Aomi/10),  di'  licrnai'd 
Gui,  160. 

Dits  :  de  la  rébellion  d'Engleterre  et  de  Flandre, 
3'i2-343;  —  de  bigamie,  3ai-334;  —  des  mais, 
3^0-342;  —  des  mousliers  de  Paris,  636-637;  — 
des  pateuostres,  338  34<i;  —  des  planettes,  3'ii; 
—  des  .1111.  rois,  34 'r,  —  du  roy,  343-343  ;  —  de 
vérité,  647-Côi. 


tytvisions  des  .LIXII.  biautés  i/ui  sont  en  dames , 
pornie,  637-638. 

Dominicains  (Ouvrages  de  Bernard  Gui  sur  les): 
Catalogue  des  maîtres  généraui,  ig4;  —  dis 
prieurs  provinciaux,  196;  —  Notices  sur  diver^ 
couvents,  196;  —  Catalogue  de  tous  les  couvents, 
199;  —  Actes  des  chapitres  généraux,  200;  —  drs 
chapitres  provinciaux,  202.  —  Autres  ouvrages  : 
()aestiones  circa  stalula.  2  3 1  ;  —  De  quatuor  dotibiis . 
(l'Ktienne  de  Salagnac,  ig3,  îoi. 

D()sii:«ici  (Jean). 

Dominictis  (juondam  Insegne,  notaire,  65. 

Di  CuN  (Gdillaume,  Pierre). 

Diièse  [Arnaud). 

Du  Pujr  [Baimond). 

Ddbant  ((juillaume). 

Ditrnnd  de  Saint-Pourrain,  2o4. 

Dtiifort  [Gaillard  de)! 


Edouard,  marquis  du  Pont  et  romtc  de  lîar, 
58i. 

Englesia  d'Orbessan ,  veuve  de  Bernard  de  Panas- 
sac,  509. 

Engaerraii  de  Murigni,  346,  4 '18. 

K-sNEZAT  (Nicolas  d'). 

l'iiuardus .  frère  prêcheur,  3o5. 

Ernaldas.  théologien,  de  l'Ordre  de  saint  Au- 
gustin, 3o5. 

Etienne  Arulvnt,  astronome,  628-6'îri- 


Etienne  de  Salagnac.  auteur  du  De  quatuor  doit- 
bus  ijuibus  Drus  Prediciitoruni  Ordinem  insignivit . 
'93. -SOI. 

Etienne  de  Suisi,  arcbi<liacre  de  Bruges,  3o2. 

E.remptionibus  [De),  traité  attribué  à  Guillaumo 
du  Cun,  385. 

Expérimenta  Jo.  Pickaerl,  317. 

Extravagantes  de  Jean  XXU.  Commentaire  de 
.Icsselin  de  Cassagnes,  354-36o. 


l'vDRE  (,If.an). 
i'auiel  (Koman  de),  345. 
Fcrrantin  de  Malalesta,  635. 
Ferrièrcs  [Pierre  de). 
rLtCHIER  (BaRTHÉI.EMi). 

Flores  clironicorum ,  de  Bernard  Gui, 

/'Ville  (  Guillaume). 

Foi.  Opuscules  de  Bernard  Gui  :  De 
dei .  i56;  —  Compendinni  Jidci  catlinlicr 
,    Farli  [Renier  de). 

FhACUET  (GÉttAlLl  deV 


lirticilisji- 


Fraite  [Girard  de). 

France.  Opuscules  de  Bernard  Gui  :  Arbor  généa- 
logie rcgum  Francorum.  190.  —  Nomina  requin 
Francorum,  190.  —  Beges  Francorum.  188.  — 
Galliarum  descriplio ,  191. 

Francesco  Pipino,  Pippino .  chroniqueur,  181; 
traducteur  de  Marco  Polo,  245,  248-25o,    257. 

François  de  Pise.  auteur  de  la  Passion  de  Thonia, 
de  Tolentino,  270. 

Fusée  [GitiHot]. 


656 


TABLE  DES  AUTEURS 


Gaillard  de  Durfuit .  cbanoine  d'Apen  et  rliaiilre 
lie  Cahors,  365,  374,  Goi. 

(iaUiaiiun  descriplin .  de  Bernard  Gui,    igi. 

Gandino  [Albert  de). 

Garde-Gaérin  [La],  5o-55,   i35. 

Gaston  d'Armagnac,  i35. 

Gaitrelm  Dejean ,  cardinal,  102. 

Gaucher  de  Chiitillon  ,  connétable,  397. 

Gkfroi  des  Nés,  traducteur,  i-ii-ii-j.  —  Gefboi 
i)K  Pabis,  auteur  d'ouvrages  de  circonstance  et  d'une 
Cbroniqiie  en  vers,  357-.<36.  —  Gefroi,  auteur  de 
.livei-s  Dits,  336-3/,G,  047-651. 

Gefroi  de  Picquigm  ,  auteur  d'une  Exposition 
rrançai>e  sur  le  Nouveau  Testament,  635-636. 

Gencien  ( Pierre). 

Geojfroi  Corhcl .  588. 

Geofrin.  Voir  Jnfroi. 

GÉr.AiD  DE  Krachet,  frère  prêcheur,  198. 

Giiaiidaii.  Juifs,  26;  Pariage  de  i3o7,  18-24 
€■1  6i2-G4ô. 

09. 


Girard  de  /•'niifc 
(iom  (.1e\n). 
Goleui  [Jean). 
Gontaiit  [Gtiillieni  de]. 
(irandimontis  [Prinres] 
(jiéijoire  le  Grand  (.S 


de  Bernard  (iui 
Dialixjuc .  traduit  en  vers 


français,  385-386.  —  lie .  traduite  en  vers  français, 
.iSr,3S7. 

Guerre  de  Met^  (Poème  anonyme  sur  la)  en 
i3>'j ,  580-597. 

Gi'i  (Bernard). 

Gai  [Guiard,  Ilélie).  —  Voir  au^si  Giiii/i'iiis. 

Gui  Bonati,  astronome,  639  63o. 

Gui  de  Cénarrt,  18,  ai. 

Gai  de  Châtillon  ,  comte  de  Blois,  397. 

Gui  Guidonis  ,  i4i,  i55. 

Gui  da  Tour,  bourgeois  d'Alais,  543-556. 

Guiard  Gui ,  sénécbal  de  Toulouse,  i43. 

Guiart  de  <',aml)rai.  Sermon,  04  1. 

Guiberl  de  Peyre.  35. 
^Guidonis  [De  spiritu],  538-556. 

Guidonis  [Arnaud,  Bernard,  Gui,  Guillaume, 
Pierre).  —  Voir  aussi  Gui. 

Guilliem  deGontaut,  l'un  des  fondateurs  des  Jeux 
Floraux,  5oG. 

Guilheni  de  l.ohra,  l'un  des  fondateurs  des  Jeux 
rioraui,  5o6. 

GniLLADUK  Adam  ,  frère  prêcheur,  missionnaire  en 
Orient,  277-284.  • —  De  modo Sarracenos  eitirpandi, 
280-182;  —  Direcloriam  ad  passagiam  JacienJam , 
faussement  attribué,  282-283.  —  Autres  ouvrages, 
-Si. 

Gui/(iinme  .ilesis,  moine  de  Lyre,  385. 

f'iutllanme  rf',li/iii(nin<  [Vie  de  S.),  325. 


Gui//(iii«ic  (/'luxure.  3o4. 

Guillaume  Bernard,  chancelier  de  l'iniversilé  de 
Paris,  6o2-6o3. 

Guillaume  de  Crépi,  prévôt  de  Saint-Quentin , 
G16. 

Guillaume  do  Cun  ,  légiste,  évèquc  de  Bâtas  «'l 
de  Saint- Bertrand  de  Comminges.  Sa  vie,  361-371. 
—  Ses  écrits  :  Lectures  sur  le  Digeste  et  le  Code. 
372-385. 

Guillaume  Dcrant  le  Jeune,  évèquc  de  Mendc-, 
1-137,  3o3,  642-645. 

Sa  vie,  1-64-  —  Pariage  de  i3o7  en  Gévaudan, 
18,  642.  —  Partage  de  la  Garde-Guérin,  5o.  — 
Différends  avec  Bernard  VI  d'Armagnac,  35;  — 
•ivec  Béraud  VII  de  Mercoeur,  39;  —  a\ec  la  famille 
de  Peyre,  18,  46.  —  Relations  avec  Jean  XXII, 
35.  —  Rôle  à  la  cour  de  France,  3i,  56,  i5i.  -  - 
Passage  en  Terre  Sainte,  57.  —  Mort  en  Chypre, 
60. 

Ses  écrits  :  Mission  en  Italie,  64-7 ■■  —  Canoni- 
sation de  Thomas  de  Canteloup,  é\cque  de  Here- 
ford ,  72-75.  —  A<ldilion  aux  Instructions  et  Consti- 
tutions du  Speculator,  75-79.  —  Tractatus  de  mot/" 
celebrandi  cnncilti,  79-1 29.  —  Mémoire  sur  les  pré- 
|)aratifs  de  la  Croisade,  139-134.  —  Directorium 
citori ,  i34i35.  —  Correspondance,  i35i38.  — 
Kcrits  faussement  attribués,  i38-i39,  642-645. 

Guillaume  t'iote ,  65o. 

Guillaume  Guidonis,  i43. 

Guillaume,  comte  de  Hainaut,  438,  iôo. 

Guillaume  de  La  Barre,  roman  d'aventures,  617- 
525. 

Guillaume  de  La  Broue,  évoque  de  Cahors, 
iC5. 

Guillaume  Le  Maire,  auteur  du  LiMlus  de  rebns 
m  cnneilio  dejintendis,  29,   i38. 

Guillaume  Molinirr,  rédacteur  des  Lejrs  dAmors, 
5oC. 

Guillaume  de  Montlau/it» .  canoniste,  abbé  de 
Monlierneuf,  à  Poitiers.  Sa  vie,  467-476.  —  Ses 
écrits,  476-501  ;  écrits  douteux,  5oi-5o3. 

Guillaume  de  Narbonne .  3o3. 

Guillaume  de  Plaisions,  auteur  du  mémoire  sur 
les  droits  du  roi  en  Gévaudan,  642-645. 

Gudlaume  de  Iio(juesel.  évêque  de  Béliers,  6». 

Guillaume  de  Saint-Cloui ,  astronome,  628. 

Guillaum»  de  Toeco,  prieur  de  Bénévent,  i63. 

Guillaume  de  Trie,  évéqiie  de  Bayenx,  390-39^). 

Guillaume  de  Villers ,  gendre  de  Bernard  de  Pa- 
nassac,  509. 

Guillemin,  ménestrel  de  Hugues  de  Bourgogne. 
399. 

Guillot  Fasée,  d'Orléans,  auteur  supposé  du  Dit 
de  Vérité ,  65 1. 


ET  DES  MATIERES. 


057 


lltis  (HENnEIS  de). 

miie  Gui,  évéque  d'Autun,  l'iS. 

Ilellequin  [Jean). 

Ilchiïse  de  Cnnjlans ,  Ircsorii  rc  de  l'abbaje  d'Ori- 
fjiiy,  6iii- 

IIknreis  de  IIeis.  Cmla ,  5i|5. 

Henri  imand,  niuitre  à  l'UniMTsité  de  Pari'-, 
3..,i. 

Hinri  de  Mnndcvilti' ,  chiriirgii'ii,  3i3. 

llrni  i  de  Sulli ,  bouleilicr  de  Krancc,  i5i,   '|i3. 


Herenlluits  [Pierre  de). 

Ilérout  [Laiirenl). 

Iliinnti  (G.),  dorlour  es  lois,  3C5,  3-'i. 

fluipnis  ,  Aimeri). 

Hir.iiKS  deCaboi.s,  lé;»i^le,  aiilcur  d'une  /  >■.  («i 
sur  i'Arlior  acUnnum.  615017. 

Hugues  de  Châtillon .  comte  de  Itlois,  3ij7. 

Uuyues  de  Qaintinlinc.  iH,  3/1. 

Hiiinhert  de  Homans.  Enlrails,  pnr  IJcrnanl  Gii 
.■:3. 


/ii(/uiji/ionij( Praclirn  ojlicii).i\v  Bornard  Gui ,  2o3. 
Insejnr  [Dontinirus  (yiinn(/(ii»  . 


fsaurc  [(îlcmriirv). 

hnirl  [  Itcdnnpll.m  drs  fils  d'),  031 


J.  Sapiens,  3oô. 

.faeobi  (Pierre). 

Jacques  d  Assise,  clianuine  de  Meam,  65. 

Jacques  de  Conçois,  évèqne  de  Lodèvo,  puis 
archevêque  d'Aii,  i65,  .')5i. 

Jacques  Tessier,  copiste  d'un  cliansoiinier  proveii- 
rai,  026,  5^7. 

Jannutri  [Coppo). 

Jean  d'Anneux,  cuit  dr  Saint-Amand-en-Puelle. 
Sa  >ie,  /|55  'i56.  —  Ses  iVrils,  'i5b-462. 

Jean  d'Araijun,  tils  puiné  d<^  Jaime  II,  ^70. 

Jean  itArci,  évéque  de  Mende  et  d'Aulun,  61. 

Jean  Uassien,  de  C.réinoiie,  563,    616,  617. 

Jean  de  Blangi,  doyen  de  la  Faculté  de  théoloi;ie 
de  Paris,  évéque  d'.AuieiTC,  6oi-6o3. 

,fean  Baridan ,  607. 

Jean  de  Condé,  ménestrel  il  poète.  Sa  vie,  /121- 
iîd.  —  Ses  écrits,  'lîS  iJ'i. 

Jean  Cimrtins .  3o3. 

Jean  Domimci  .  frère  prêcheur,  auteur  d'un 
abrégé  de  la  .Secundo  sccunde  de  saint  Thomas,  600 
601. 

Jean  FAiiBE.de  Monlhron,  en  Angoumois,  lé- 
giste. Sa  vie,  556-56o.  —  Ses  écrits  :  Breviarium 
sur  le  Code,  560-560 ;  Cummenlairc  sur  les  Insti- 
tutes,  566-58o. 

Jean  Gobi  junior,  auteur  de  la  .S'cii/a  ccli,  534- 
538;  et  du  De  spiritu  Guidonis,  538-556. 

Jean  Gobi  senior,  auteur  des  UiVaciifa  béate  Ma- 
rie Magdalcnc ,  532-.'>34. 

Jean  Golein ,  traducteur  de  Bernard  Gui,  157, 
»6o,  161,  173,  187-181),  igi,  210,  3 1 '1 ,  21O, 
320,  iil ,  226. 

HIST.  LITTÉn.  XXXV. 


Jeun  Urllcqain.  médecin  du  roi.  C.'io. 

Jean  Justice,  auteur  supposé  de  la  Cliafilcrie 
Aiiïtie  Dame  de  Batex ,  3()3. 

Jean  Laurent,  maître  à  l'Université  de  Toulouse, 
365. 

Jeun  le  Confez,   copiste,  387. 

.\v.\.\  ne  Levdvno .  maître  es  arts,  617-620 

Jean  le  Mire,  chirurgien  du  roi,  3i3. 

Jeun  de  Luxembourg ,  roi  de  Holième,  582. 

Jeun  Miélot,  traducteur  du  Ihncliiriuni  ad  pus^u- 
qiitni  facienduui .  2  83. 

Jeun  de  Montbton,  j't-J. 

Jean  XXII,  pape.  «De  la  création  du  pape  Jean», 
329.  —  Relations  avec  Guillaume  Diirant,  35.  — 
(.ommentaire  de  Jesselin  de  Cassagnes  sur  les 
Exlravaqantes .  35^-36o. 

Jean  Pitart,  chirurgien  et  poète,  3io-32  4.  — 
Recettes  médicales,  317-321.  —  Dit  do  bigamie, 

321-324. 

Jean,  comte  de  Rouci,  '11 3. 

Jean  de  Roussincs .  557. 

Jean  de  Saint-Gobain ,  4oo. 

Jean  de  Sancerre,  lieutenant  du  sénéchal  de  lieau- 
caire,  35o. 

Jean  dt  Tkélu,  chanoine  de  Saint-Quentin,  G07. 

Jean  Touppel ,  ahbé  de  Joyenval,  216,  6'|)- 

Jean  du  Vijnai,  traducteur  du  Directnrium  ad 
p(tssagiam  Jaciendum ,  2  83. 

Jesselin  db  Cassagnes,  canonistc.  Sa  vie,  348- 
353.  —  Ses  écrits  :  Apparalus  ou  Lectura  sur  le 
.''rxte,  les  Clémentines  et  les  Extrara/juntcs  de 
Jean  XXll.  353-36o. 

Jeux  Floraux,  leur  fondation,  5o'i-5o6. 

.S3 


658 


TABLK  DES  AUTEURS 


Jofroi.  Voir  Gcfroi. 
Jofroi.  prieur  de  Vigeois  ,  217,  aao. 
Jofroi  d'Ablis,  inquisiteur  de  Carcassonne,   i46. 
John     Mynsfortli,  fellow    de    Merton    CoUege, 
Oiford,  455. 

Jordan  d'Alfari,  frère  mineur,  869. 


Jordan  Catala  ,  frère  prêcheur,  missionnaire  en 
Orient.  Sa  vie,  260-269.  —  ^**  écrits:  Lettres, 
370-271  ;  Stirabilia  Jescripta,  i-ji-i-j-j. 

Jourdain  [Bernard]. 

Joyenval  (Abbaye  de),  2 16,  645. 

Justice  I Jean). 


La  Barre  [Guillaume  de). 

La  Broue  [Guillaume  de). 

La  HoaBE  (Nicolas  de). 

Lambelix  de  CoRNorAULKS,  recteur  de  Paris  et 
d'Orléans,  auteur  d'une  Propkecie,  SgS. 

Landorre  [Bérencjer  de). 

La  i'terre  [.indré  de). 

La  Porte  [Rainaad  de). 

Larchier  [Pierre). 

La  Tour  [Bertrand  de). 

Laurent  [Jean). 

Laurent  Héraut,  procureur  du  roi  à  Bayeux , 
389.393. 

Le  Mire  [Jean). 

Lkudvno  (Jean  de). 

Leys  damnrs,  5oG. 


Limoges.  Opuscules  de  Bernard  Gui  :  Fandatio 
nonasterii  S.  Augustini  Ltmoiicensis,  217; —  Nomina 
episcoporum  Lemovicensium ,  2i4;  —  Nomina  sanclo- 
rum  Lemovicensis  diocesis,  219;  —  Priores  Ordinis 
Artiste,  209  ;  —  Priores  Ordinis  Grandimontis ,  2  1 1. 

Lobra  [Guilliem  de). 

Lodève.  Opuscules  de  Bernard  Gui  :  Cartidarium 
ecclesie  Lodorensis ,  227;  —  Catalogus  episcoporum 
Lodovensium ,  229;  —  Registrum  ecclesiarum  dioce- 
sis Lodovensii,  229;  —  Statuta,  etc.,  synodi  Lodoren- 
sis, 228. 

Louis  X,  828,   33o. 

Louis  de  Melun,  chanoine  et  chantre  de  Chartres, 
G 17-620. 

Louis    de   Poitiers,  évéque   de  Metz,   596. 

Liuxembourg  [Baudouin,  Jean  de). 


Mayloire  [Vie  de  5.),  325-326.  —  Voir  .Sni'nl- 
Macjloire  [Chronique  de). 

Mahiet,  ménestrel  de  Louis  X,  899. 

Mais  [Dit  des).  34o-34ï. 

Malatesta  [  Ferrantin  d$). 

Mancasole  [Thomcu). 

Marco  Polo,  233-259,  646.  —  Sa  vie,  23i- 
237.  —  Son  iLivre»,  238-343;  —  Géographie  de 
l'Italie  à  lui  attribuée,  209. 

Mahcckbon  du  Pont  Rengmont  ,  596. 

Marigni  [Engaerran  de). 

Martin  1",  roi  d'Aragon  et  de  Sicile,  634. 

Martin  Zacharie ,  amiral  génois,  268. 

MaynsJoTth  [John]. 

Mejana  Serra  [Pejre  de). 

Melun  [Louis  de). 

Mercœur  [Béraud  VU  de). 

Metz  (Poème  anonyme  sur  la  Guerre  de)  vu 
i334,  580-597. —  Papegay  des  Treize  de  la  Guerre, 
693  ;  Pàtenotrc ,  595. 


Michel  de  Morlemer,  cardinal,  601,  603. 

MiCHELET  PsTiTPAiN,  auteur  d'un  Credo,  596. 

iUicAiau,  portier  de  l'évéque  d'Auierre,  638. 

Miélot  [Jean]. 

Mineurs  [Frères).  Requèle  des  Frères  Mineurs 
sur  les  ClémentiAcs ,  343.  —  Traité  contre  eux  par 
Jean  d'Ânneux,  457-459. 

Mirabilia  descripta,  de  Jordan  Calala,  370-277. 

Misse  [De  ordinatione  officii),  de  Bernard  Gui ,  1  Sg. 

Moïse  ben  Nahmi,  auteur  du  Scfcr  ha  Geoultali . 
632. 

Mondex'ille  [Henri  de). 

Montaut  {Sicard  de). 

Montfavet  [Bertrand  de). 

Montferrier  [Bermond  de]. 

Montierneuf  [Abbaye  de),  à  Poitiers,  472-47!. 

MONTLAIZIN  (GviLLADUE  UE). 

Uortemer  [Michel  de). 

)ioustiers  de  Paris  [Dit  des],  630-637. 

.WrJlèrc  de  la  Résurrection,  en  français,  64o. 


Nadal  [Pierre]. 
Ncirbonne  [Gnillaume  de). 


Nui  ces  [Armand  de 
>És  (Gepboi  des). 


ET  DES  MATIÈRES. 


659 


Nicolas  de  Cues  ,  cardinal,   138. 
Nicolas   d'E.vnezat,     frère   prêcheur,   canoniste, 
6o3-6o5.   —   Ses  écrits,  6o4-6o5. 


INrcoLAS  DE  La  Horde,  Iradiicleur  des  ueuvres  «le 
Gui  Bonati,  629-630. 


Oiiy.  Cbarle  de   Jeau  de  Blangi,   rvèque   d'\u- 
lerre.  602,  Oo3. 
Olivi  [Pierre-Jean). 
OrbeuoA  (  Engletia  d'  ). 
Orignj-Sainte-BenoUe  (t  Livre  de  la  Tresorvei  de 


l'abbaye  d"),  64o-6ài. 
Orléans  ^  Adam  d'  ). 
Oth  {Bernât). 
Ourocli.  roi  de  Serbie,  60 1. 


399- 


i58. 
cardinal, 


Pa>iassac  (Beknabo  de). 

l'aris.  Cbarlreusede  V«u\erl,  Go3.  —  CJIironique 
de  Saint-Magloire,  327,  G37.  Sij.  —  Dit  des 
moasliers  de  Paris,  636-637.  —  Tornoiemenl  as 
dames  de  Paris,  par  Pierre  Gencien,  285-3oi. 

Paris  (Gbpboi  de). 

Pariset,  ménestrel  de  Pbilippe  le  Loni; 

Patenôlre  de  la  Guerre  de  Meti,  Sgâ. 

Patenostres  {Dit  des),  338-34o. 

Peccato  oriffinali  {De),  de  Bernard  Gui 

Pelfori  de  Rabastcns,  abbé  de  Lombez, 
63,  64,  363,  36(,. 

Pesstain  {CkaiUoii  de). 

PmnTPàiM  (Miceielkt). 

Pejr  Camo,  l'un  des  fondaleuro  des  Jeui  Floraux, 
5o6. 

Peyre  { Àldehert .  Astonj.  Gaibert ,  Rickardde). 

Peyre  de  Mejana  Serra .  i'un  des  fondateurs  des 
JeiM  Floraui,  5o6. 

Philippe  V  le  Long.  Sjg,  33o,  344.   345. 

Philippe  de  Valois  (Manuel  d'bistoire  de).   182. 

Philippnt,  ménestrel  de  l'évéque  de  Thérouanne, 
4oo. 

PiCQDIGNI   (GePROI   De). 

Piequigni  {Renaut  de). 
Pierre  d'Ahano,  255. 
Pierre  d' Ailli ,  i23-ii6. 
Pierre  de  Bailli,  3o3. 

Pierre  de  Belleperche.  jurisconsulte,  379. 
Pierre  de  Renais,  évéque   de  Bayeux,  389,  392. 
Pierre  de  Cambrai,  copiste.  635. 
Pierre  de  Césène ,  65. 

Pierre  de  Condé,  clerc  du  roi.  391 ,  4i3. 
PiERnB  DE  C0DRPALAI,   abbé  de  Saint-Germaio- 
des-Pré».  623-624. 


Pierre  du  6'un,  chevalier,  362. 

Pierre  de  Ferrières,  jurisconsulte,  379. 

Pierre  Gencien,  auteur  du  Tornoiemenl  «i 
dames  de  Paris ,  284-3oi,  646-647. 

Pierre  Guidonis,  i4i. 

Pierre  de  Herenthalt ,  181. 

Pierre  Jacobi.  644-645. 

Pierre  Jean  Olivi,  463,  467. 

Pierre  Larchier.  écolàtre d'Aire,  390-392. 

Pierre  Nadal,  maître  à  l'Université  de  Tou- 
louse,  365. 

Pierre  des  Prés,  cardinal.  470. 

Pierre  Rémi,  financier,  4>3. 

Pierre  Roger,  archevêque  de  Rouen ,  puis  de  Sens, 
1G2 .  602. 

Pierre  .Saimel ,  ou  Saimiaus .  bailli  d'Orléans, 
65o. 

Pierre  dcSampson,  canoniite,  563. 

Pierre  Teissier,  cardinal.  369,  470. 

Pierre  de  Turri ,  frère  mineur,  270. 

Pierre  Vidal,  frère  prêcheur,  astronome.  624- 
627. 

l'ipino  [Francesco). 

Pise  [François,  Rusticien  de). 

PiTART  (Jean). 

Plaisance  [Aimeri  de). 

Planettes  {Dit  des),  Hi. 

Polo  (Marco). 

Poiu  de  Villemur.  471  .   616. 

Poirr  (AssELiN  dd). 

Poirr  Rknguont  (Màrgdbron  dd). 

Pouget  (Bertrand  du). 

Prés  {Pierre  des). 

Puy  [Raymond  du). 


QnmQinniPou  (Ainodl  de) 
Qaintinkac  [Hujiui  de). 


QiuUibett  de  Thomas    de   Bailli.   3o3-3io;   de 
RainHMtd  Béquin,  697-600;  de  divers,  3o5. 

83. 


C60 


TAHLE  DES  AUTEURS 


lUilimleiis  [  l'elfni  I  <lc]. 

Ilaimond  At.  seigneur  ilc  Piiyd.inlel,  troubadour, 
.*)  I .). 

r.AiMOM)  BwcAL,  fnrc  mineur,  astronome, 
G  5 -G  3  S. 

Itaimnnd  Barol.  préchanlre  de  \lrnde,  (i.). 

lUiMOD  BÉiii'^.  frère  prêclu-ur,  patriarrhe  «le 
.lirnsalem ,  aulcvir  de  Quolibets.  5i|7-Coo. 

Unimiind  de  Cmnct ,  5io-5ii. 

Ilaymnnd  du  l'ny.  évt'qae  d'Agdr,370. 

Hmmon  Vidal,  poète,  auteur  de  I.a  Chucc  «iis 
inisditans ,  4oo,  638-640. 

haimondin.  ménestrel,  io3. 

Ilainatid  de  La  Porte,  archevêque  de  Bourses, 
lôo. 

Itamusio    (G.-B.),  éditeur  du  «  Livre  »   de  Marco 

Polo,    2'|5-24H. 

lidonl  de  Vt'inais,  médecin  el  tliéologien,  3o2. 
Hchellion  d'Enijleterre  et    de  Flandre  (  Dit  de  lu  ) , 
,1  12-3^3. 

Iledeinptiondcsjils  d'Israii.  03"!. 

Itcmi  [PierreV 

fienaut ,  ridame  de  Pieijuitjni ,  316. 


Iteniur  de  Forli ,  Jurisconsulte,  378-379,  3S.'|. 

Hésurrectlnn  (Mritère  de  lu) ,  lî'io. 

liibera  [Bernard  de). 

liichard  de  Peyre.  48. 

Roliert ,  roi  de  Naples,  463. 

Hobert  de  Béthune,  comte  de  Flandre,  ijo. 

Koberl  du  Sartrin .  garde  du  sceau  royal  à  ('..i- 
rentan ,  3i4. 

Roiii\  DE  La  Vallke,  auteor  de  la  Patenoire  de 
la  (iuerre  de  Meti,  Sgo. 

Undrijue,  archevêque  de  Saint-Jacques  de  C.orn- 
|i05lelle.  (jorrespondauce  avec  Bernard  (iul,  •>07. 

ttoqer  (Pierre). 

lioger  de  Salerne,  chirurgien,  3 10. 

UoiAMD  (Abmaud). 

linmana  (llusnbert  de). 

/(nmc  Opuscules  de  Bernard  Gui  :  Romani  inipe- 
niliirrs.  1 86 ;  — Itomani  pontijices ,  186. 

Houci  [Jean,  comte  de). 

tioy{Dit  du),  3àî-343;  —  Dit  des  .nu.  mit. 
3'i'i. 

Huslicien  de  Pise ,  collaborateur  de  Marco  l'olo. 


.Sacranientale  de  Guillaume  de  Montlaiiziin  ,  '181- 
480,  4()9-5oo. 

Saimel,  ou  .Saiinians  [Pierre]. 

.Suinl-Ctoud  [Guillaume  de). 

.Saint-Geniis  (  Bertrand  de  ^. 

.Saint-Giibain  [Jean  de). 

.Saint- Maijli.ire  de  Paris  (Abbaye  de).  Chronique 
en  vers,  327,  G'17.  —  Voir  Marfloirc  (Vie  de 
saint). 

Saintl'ourrain  [Durand  de). 

Salajnuc  [Etienne  de). 

Salerne  [Roger  de). 

Hampson  [Pierre  de). 

.Sancerre  [Jean  de). 

Sant-Plancat  [Berengaier  de). 

Sarracenos  [De  modo  exiirpandi),  œuvre  de  Guil- 
laume Ailam,  280-282. 

.Sartrin  [Robert  du). 

Scala  rcti.  œuvre  de  Jean  (iobi  junior.  534- 
538. 


.SVnèi/iic.  Lettres  à  Lucilius,  traduction  française 
par  un  Italien,  633-634. 

.Septième,  terme  désignant  les  Clénuntines .  342, 
(io5. 

Serann  [Arnaud  de). 

■Sexte.  Apparatas  ou  Lectura  de  Jesselin  de  Cas- 
saines,  353-354.  —  Lectura  de  Guillaume  de 
Montlauzun,  477.  —  Tables  de  Nicolas  d'Ennciat, 
606-607. 

.Sicard  de  Montaut.  seigneur  d'Auterive,  5iS. 

.Siginulfo  [Barthélemi). 

.Simon  de  Tournai,  théologien,  3o4. 

Simon  Vairet,  canoniste,  chanoine  d'Arras,  606- 
C09. 

.Soffridus  tjuondam  Spedalerii ,  notaire,  65. 

Spéculum  sanctorale,  de  Bernard  Gui,  i65. 

Spedalerii  [Soff'ridus  quondam). 

Spirilu  Guidonis  [De),  œuvre  de  Jean  Gobi  junior. 

.Saisi  [Etienne  de). 

Sulli  [Henri  de  ). 


Teissier  [Pierre). 

Telinn,  ou  Teliau  [  Vie  de  saint),  3»D. 


Templiers  (Affaire  des),  458.  489,  6o4. 
Tessier  [Jacques). 


ET  DES  MATIERES. 


661 


Théla  [Jean  de). 

Tliibaut  de  Chepoii .  éditeur  du  •  Livre  •  de 
Marco  Polo,  35i;>55,  257. 

Tliierride  Bierp.  588. 

Tlmmas  d'Aquin.  Sa  légende,  par  Bernard  Gui, 
161;  abrégé  de  sa  Scciinda  secunde .  par  Jean 
Dominici.    600. 

Thomas  de  Bailli,  cbancelier  <le  l'Kglise  d- 
Pari>.  Sa  vie,  3oi-3o3,  601,  647.  —  Ses  écrits, 
3o3-3jo. 

Thomat  de  Ciinleloup.  évéque  de  Hereford.  En- 
qurte  sur  sa  canonisation  ,  20,  72-75. 

Thomas  Mancasolr ,  é>èqur  de  Samarkande,  ■>76. 

Thomas  de  Tnirntino,  frère  mineur,  martyr  à 
Tan.i ,  26i ,  270. 


Tnccn  [Guillaume  de). 

Tolentino  [Thomas  de). 

Tornoiement  as  diimcs  de  Paris,  poème.  Voir 
Pierre  Gencien. 

Toulouse.  Collège  l'onde  par  Guillaume  de  Mont- 
laii/iin,  472-/173. —  Jeu»  Floraux,  5o4.  —  Opus- 
cules de  Bernard  Gui  :  Comités  Tholosani.  ïîS; 
—  Nomina  episcoporum  Tholosane  sedis ,  2j4. 

Touppcl  [Jean). 

Tournai  (.Simon  de). 

Tousel,  ménestrel  de  Loui>  X,  399. 

Tifiin  [Arnaud  dt). 

Trie  [Guillaume  de). 

Titiri  [Pierre  de). 


Vairei  (Simon). 

Valois  [Philippe  de). 

Vauverl  (Chartreuse  de),  à  Paris,  6o3. 

Vémars  [  Raoul  de  ). 

Vidal  (Arnado,  Pikbre,  Uaimomd}. 

Vies  de  saints  :  Magloire,  traduction  par  Gelroi 


des  Nés,  335-326;—  Grégoire,  386-387;  —Guil- 
laume d'Aquitaine,  325;  —  Teliau ,  326. 

Mgnai  [Jean  du). 
Villemur  [Pons  de). 

Vincennes    [Assemblée    de),    i-ji-Z-ji,    6o2-6o3, 
G'i;i. 


w 

WATRiQCtT   Bbassemkx,   de   Couvin,   ménestrel  du   comte  de  Blois,  3()'i-'i2 1.  —  Sa   \ie,396-4o3. 
Ses  écrits,  io3-42i. 


Zacharie  [Martin). 


TABLE 

DES  ARTICLES  CONTENUS  DANS  CE  TRENTE-CINQUIEME  VOLUME. 


Avertissement '" 

Notice  sur  Paul  Vioi.i.et '>■ 

Notice  sur  Noël  \'ai.ois "mi 

Notice  sur  Pai  t.  Mkver "<' 


QUATORZIEME    SIECLE. 

Guillaume  Durant  le  jeuno ,  c\è((iiL'  de  Meiide  (  P.  V.  ) i 

Bernard  Gui ,  frère  prêcheur  (  \.  T.  j 1 3() 

Marco  Polo  (C.  L.) 2.^2 

Jordan   Catala,    missionnaire  (CL.) 2  Go 

(juillaume  Adam,  missionnaire  (H.  O. ) '-i"]"] 

Pierre  (iencien  ,  auteur  d'un  poème  en  français  (G.  L.) a84 

Thomas  de  Bailli,  chancelier  de  Paris  (C.  L.  ) 3oi 

Jean  Pitart,  chirurgien  et  poète  (  \.  T.  ) 3io 

Gcfroi  des  Nés,  ou  de  Paris,  traducteur  et  publiciste  (C.  L.) 32^1 

Jesselin  de  Cassaf^'nes ,  canonislc  (  P.  F.  ). .' 3/iH 

(juillaume  du  Cun,  légiste  (  P.  F.  ) 30 1 

Anonyme  de  Bayeux,  auteur  de  quatre  poèmes  en  français  (C.  L.) 38. > 

Watriquel,  ménestrel  et  poète  français  (C.  L.  ) 394 

Jean  de  Condé,  ménestrel  et  poète  français  (C.  L.) 42  1 

Jean  d'Anncux,  clerc  séculier  et  moraliste  (C.  L. ) 4'>r> 

Arnaud  Roiard,  frère  mineur  (C.  I-. ) /i''2 

Guillaume  de  Montlauzun,  canoniste  (P.  F.) 4'>7 

Bernard  de  Panassac,  troubadour  (A.  T.  ) ■")o'i 

Arnaud  Vidal,  troubadour,  premier  lauréat  des  Jeux  Floraux  (A.  T.) .11 3 

Bernard  Amoros,  compilateur  (C.  L. ) >26 

Les  deux  Jean  Gobi,  frères  prêcheurs  (C.  F..) •■)2 

Jean  Faure,  légiste  (  P.  F.  ) ôôC» 

Anonyme,  auteur  d'un  poème  siu-  la  guerre  de  Metz  en  i324  (H.  O.) r)^o 


664      TABLE  DES  ARTICLES  DU  TRENTE-CINQUIÈME  VOLUME. 

Notices  succinctes  : 

Raiinond  Béquin,  frère  prêcheur  (  C.  L.  ^ ôgy 

Jean  Doininici  (CL.) 600 

Jean  de  Blangi ,  théologien  (CL.) 60 1 

Nicolas  d'Ennezal,  canonist«  (  P.  F.  ) 6o3 

Simon  Vaiict ,  canoniste  ( P.  F. ) 606 

\nonyniP ,  ;iiitenr  du  ('outawiir  d'  \rtuis  (  P.  F.  ) 6ot) 

Vnon\ me ,  aiilciir  de  la  Compilalio  de  usibiis  .  1  udeqavie  (P.V.] 61."} 

Hugiics  de  (kirols,  légiste  (P.  F.) 61 5 

Jean  de  Lcuduno  et  liOuis  de  Mcluii  (CL.) 617 

Barthélémy  Fléchier,  maître  es  arts  (C  L.l fiao 

Pierre  de  (>oiu'palai,  abbé  de  Saint-Gormain-des-Prés  (C  L. GsS 

Pierre  Vidal,  frère  prêcheur,  astronome  (A.  T.) 634 

Raimond  Bancal ,  frère  mineur,  astronome  (  A.  T.  ) 637 

Maître  Etienne  Arhlant,  astronome  (  A.  T.  ) 638 

Nicolas  de  La  Horbe,  traducteur  (C.  L.) 633 

\rnoul  de  Quincam|)oix,  médecin  et  astrologue  (  \.  T.  ) 600 

Vnonyme   italien,  auteur    d'une  traduction    française  des    Lctlics    de    Sénèque  à 

Lucilius  (A.  T.) '. 63:? 

Gefroi  de  Picquigni,  auteur  d'une  Exposition  française  sur   le   .Nouveau  Testament 

(A.  T.) ' 63.') 

Anonyme,  auteur  d'une  Exhortation  de  circonstance  à  la  diiuité  (C  L. ) 636 

Anonyme,  auteur  du  Dit  des    Moustiers  de  Paris  (C.  L.) 636 

Anonyme,  auteur  des  «Divisions  des  .lxxii.  hiautés  qui  sont  rn  dames»  (CL.)....  637 

Raimon  Vidal,  auteur  d'un  poème  en  langue  d'oil  (CL.) 638 

Anonyme,  autenr  du  Livre  de  la  Iresuryc  de  l'abbaye  d'Origny  (H.  O.) 6'io 

Additions  et  corrections 64» 

Table  des  .\utei'rs  et  des  matières 653 


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FORM   lOS 

039821